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[Brochures] Pour Zyed, Bouna, Rémi et les autres : ni oubli ni pardon !

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Super-bulletin n°45 d'infokiosques.net (novembre 2020).

Il y a quinze ans, en novembre 2005, se déroulait une révolte incendiaire d'une ampleur inédite sur pratiquement tout le territoire français, principalement dans les quartiers populaires, suite au décès le 27 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois de deux adolescents qui tentaient de fuir un contrôle de police : Zyed Benna et Bouna Traoré.

Les assassinats policiers étaient fréquents avant 2005. Ils le sont toujours en 2020. Les tenants de la « real politik » prétendront que cette révolte incendiaire n'a donc servi à rien. Au contraire, cette révolte a montré que l'inacceptable ne doit pas rester sans réponse, que la colère partagée par la population peut s'exprimer de manière spontanée et autonome sans leaders ni manipulateurs, loin des partis politiques et des récupérateurs de toutes sortes. Et si cette révolte, comme beaucoup d'autres, a pu sembler sans perspectives, elle a posé le point de départ nécessaire à toute possibilité d'envisager un changement concret de société, un renversement réel du système : ce point de départ, c'est une défiance assumée, directe, sans dialogue ni médiation, de l'État et de son bras armé toujours plus puissant, la police.

Parce que pour tous les assassinats policiers, il n'y aura ni oubli ni pardon, parce que les luttes passées peuvent inspirer les luttes présentes et à venir, nous avons publié récemment sur infokiosques.net deux « vieilles » brochures revenant sur la révolte incendiaire d'octobre-décembre 2005 :


C7H16 : G la rage et je la garde

Anonymes, 3K2N, Boris Lamine, Des combattants émeutiers du 93, Salim / 2006 / Mis en ligne le 12 novembre 2020

Quelques mois après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois et le déclenchement de la révolte incendiaire d'octobre-décembre 2005, le recueil de textes C7H16 réunissait des textes courts parus à l'époque sur internet, des extraits de fictions littéraires, une chronologie des événements et un street-CD.

Sommaire :
- Edito / G la rage et je la garde
- Chopé sur le net / La révolte fait rage...
- Nouvelle / Fonctionnaires en danger !
- Chopé sur le net / Ma cité
- Nouvelle / Juste un gamin qui grandit...
- Chronologie
- Extrait d'une nouvelle / Il fera si bon mourir
- Extrait d'une nouvelle / Au pied du fromager


La révolte incendiaire de novembre 2005 en France et l'hypothèse insurrectionnelle

Anonyme / 2010 / Mis en ligne le 2 novembre 2020

Réflexions anarchistes à propos de la vague incendiaire historique de novembre-décembre 2005, publiées initialement en 2010 dans la revue A Corps Perdu n°3.

Sommaire :
- Fausses questions
- ... et quelques réponses
- Pacification et révolte hexagonales
- Une révolte généralisée des banlieues ?
- Un langage commun : la destruction
- Groupes affinitaires et incendie volontaire
- Novembre 2005 et la question de l'insurrection


En 2010, nous avions mis en ligne cette autre brochure :

Postface à l'édition castillane de « C'est de la racaille ? Eh bien, j'en suis ! »

Alessi Dell'Umbria / avril 2009 / Mis en ligne le 19 avril 2010

C'est de la racaille ? Eh bien, j'en suis !, sorti au pritemps 2006, est un livre traitant des émeutes qui ont eu lieu en France en octobre-novembre 2005.

L'auteur, Alessi Dell'Umbria, n'est ni sociologue ni journaliste. Son livre, aux propos incisifs, replace les événements de l'automne 2005 dans le contexte d'une désintégration sociale et d'un renforcement de l'État-Léviathan. Il met également en évidence ce qui a fait la force de cette révolte quand des centaines de groupes se sont organisés pour s'affronter avec l'État. Sans mot d'ordre, mais en frappant juste ; sans délégation ni organe de liaison, mais communiquant entre eux à travers leurs actes ; une partie de la jeunesse pauvre du pays s'est identifiée à un sort commun et a fait preuve de solidarité loin de toute prose idéologique.
Sans discours moralisant ou victimisant, l'auteur s'adresse d'égal à égal aux révoltés des banlieues pauvres.

Dans le texte présenté ici, issu d'une postface rédigée pour l'édition castillane de C'est de la racaille ? Eh bien, j'en suis !, il revient de manière auto-critique sur son livre et en profite pour développer quelques points.


Il y a six ans, le 26 octobre 2014, un autre jeune était tué par la police, dans un tout autre contexte : Rémi Fraisse est mort, touché par un tir de grenade offensive, lors d'affrontements avec les gendarmes sur la ZAD du Testet.

Si sa mort a été suivie par de nombreuses manifestations sauvages, des rassemblements et des actions de solidarité qu'il serait intéressant de rappeler, cette brochure s'attache à la critique de la cogestion, c'est-à-dire de la collaboration avec le pouvoir, dans le cadre de la lutte contre le projet de barrage de Sivens.

Contester ou cogérer ? Sur la lutte contre le barrage du Testet à Sivens, et les leçons que l'on peut en tirer pour l'avenir des luttes territoriales

Anonyme, Des habitant⋅e⋅s du Tarn / octobre 2017 / Mis en ligne le 23 octobre 2020

À la suite d'une introduction qui se penche sur l'histoire de la cogestion (réformiste) comme stratégie d'intégration (para)étatique des dynamiques contestataires (révolutionnaires), ce texte fait une analyse de la lutte contre le projet de barrage du Testet, à partir d'un récit chronologique de 2011 jusqu'à 2017.

« Comment penser les rapports, dans les luttes territoriales actuelles, entre leurs deux composantes essentielles, les forces de contestation (radicale) et les visées de cogestion (citoyenne) ? Ces deux attitudes peuvent-elles, comme on le souhaite souvent la bouche en cœur, se combiner et se renforcer, à quelles conditions et jusqu'à quel point ? Quels sont les dangers de ce genre d'alliance, et peut-on s'en prémunir ? Comment les autorités tirent-elles parti de cette division, et comment pouvons-nous en tirer parti ?
L'histoire de la lutte contre le barrage du Testet dans la forêt de Sivens (Tarn), et de l'évolution de sa composition, peut nous donner des éléments de réponse. Après une première phase de constitution de l'opposition, et de coopération étroite entre ses deux principales composantes, la violence croissante de la lutte sur le terrain a fait monter la tension entre elles. Finalement, l'État a repris la main sur le terrain en jouant la double stratégie de la carotte participative (pour la frange cogestionnaire de l'opposition) et du bâton répressif (pour ses éléments contestataires).
 »

Sommaire :

  • Intro
  • La cogestion se sait impuissante et suscite la contestation
  • Les tensions montent de toutes parts
  • La carotte de la démocratie participative et le bâton des milices fascistoïdes
  • La composition explosive des luttes territoriales
  • Bonus : Tract « Après les pyromanes, les pompiers ? Les dessous du "projet de territoire" de Sivens »

Depuis le précédent super-bulletin, dix nouvelles brochures ont été mises en ligne. Il y a maintenant 762 brochures, trouvables ainsi :

par date de publication sur le site :
https://infokiosques.net/pardate

par titre :
https://infokiosques.net/partitre

par auteur-e :
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Cet article a été publié initialement en novembre 2020.

L'antifascisme contre la révolution

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Commentaires sur la révolution sociale espagnole.

« La révolution espagnole fut la plus singulière des révolutions collectivistes du XXe siècle. C'est la seule révolution radicale et violente qui se soit produite dans un pays d'Europe de l'Ouest et la seule qui ait été, malgré l'hégémonie communiste croissante, véritablement pluraliste, animée par une multitude de forces, souvent concurrentes et hostiles. Incapable de s'opposer ouvertement à la révolution, la bourgeoisie s'adapta au nouveau régime dans l'espoir que le cours des événements changerait. L'impuissance manifeste de leurs partis incita très vite les libéraux et les conservateurs à rechercher une organisation capable d'arrêter le courant révolutionnaire lancé par les syndicats anarchiste et socialiste. Quelques semaines seulement après le début de la révolution, une organisation incarnait à elle seule tous les espoirs immédiats de la petite et moyenne bourgeoisie : le Parti communiste. »

Burnett Bolloten, La Guerre d'Espagne. Révolution et contre-révolution (1934- 1939), 1991

1. La gauche n'a de sens qu'aux côtés de l'État et du Capital, comme médiatrice des rapports de classe et arbitre de l'exploitation. Formée à encadrer les exploité·es, à négocier en leur nom et à les réprimer si besoin, ses cadres sont d'une utilité certaine à la conservation des institutions de la bourgeoisie et à l'évolution de sa domination politique. Ses discours et son programme sont au final moins menaçants que son autonomie relative : à une époque où le capital cherche à étendre ses rapports à l'ensemble des sociétés, l'existence d'une communauté autre que la sienne fait obstruction. Le syndicalisme, même soumis et compromis, est de trop : tout organe de collaboration de classe doit émaner de l'État. Il faut le savoir, sans s'enfermer dans des manifestations datées de cette tendance totalitaire et des débats périmés à son sujet. Nous devons retrouver une perspective révolutionnaire, communiste, et penser ses manifestations présentes.

Mai 1937, barricade dans les rues de Barcelone.

2. Au triomphe du camp nationaliste a succédé celui des révisionnismes mythologiques de la Gauche. Retrouver une perspective révolutionnaire, communiste, implique de renouer avec l'autonomie de classe, que l'État et la Gauche ont violemment attaquée à travers le gouvernement de Front Populaire. La disciplinarisation productiviste du prolétariat et son désarmement par l'intégration des milices dans l'armée bourgeoise ont participé à la dissolution de la révolution dans la guerre. Et pas n'importe laquelle : celle de fronts, typique des États modernes. L'armée républicaine était une vulgaire armée bourgeoise. En 1934, cette même armée avait été placée - par cette même République - sous les ordres de Franco pour écraser la révolution asturienne. C'est à cette armée, mais aussi à la garde civile positionnée à l'arrière, que sont allées les armes et les munitions que réclamaient les milices prolétariennes sous-équipées. C'est derrière cette armée et cette police que les « anarchistes de gouvernement » se sont rangés, abandonnant définitivement toute perspective révolutionnaire au profit de la conservation d'un État bourgeois - et colonial. Le régime des brigades internationales n'a pas accordé son indépendance au Maroc. Le Front Populaire français et les généraux républicains espagnols s'y sont opposés. Une victoire militaire sans conservation de cette colonie menaçait la prospérité de la bourgeoisie libérale, qui entendait naturellement garantir ses intérêts au sortir de la guerre. De même, une victoire militaire sans écrasement préalable de la révolution sociale risquait d'être fatale à la bourgeoisie et à son État. L'antifascisme démocratique a servi de justification idéologique à la contre-révolution.

Le groupe anarchiste Les Amis de Durruti appelle, en vain, à s'allier au POUM, dont une colonne était en route depuis Madrid pour soutenir l'insurrection à Barcelone et en Catalogne.

3. La révolution espagnole s'éteint le 8 mai 1937 dans les rues de Barcelone. La CNT reste dans le gouvernement, qui vient de réprimer ses bases et leurs camarades du POUM, et passe sous la direction d'un socialiste plus droitier que son prédécesseur, chargé de régénérer l'autorité perdue par l'appareil d'État face à l'action des révolutionnaires. La direction de la CNT, c'est le parti de l'ordre. Peu après, le dirigeant du POUM Andreu Nin est arrêté par la police politique républicaine et exécuté, après avoir été dénoncé par André Marty, « inspecteur général » des Brigades internationales – responsable, en outre, du nettoyage opéré par les services du NKVD dans les rangs des volontaires armés. L'acharnement victorieux contre le POUM, les anarchistes et les autres antistaliniens – en un mot, les révolutionnaires – était parfaitement logique à une époque où le stalinisme s'était engagé dans une lutte mondiale pour le contrôle et la direction du prolétariat. L'antifascisme démocratique fut sans doute l'arme la plus sophistiquée de cette entreprise. Forçant les plus radicaux et radicales à s'aligner sur les plus modéré·es au nom de l'unité d'action, repoussant la révolution après la guerre, l'antifascisme démocratique a permis de dénoncer et de combattre comme « fascisme de gauche » toute tentative réelle de réaliser la révolution.

Carte des bâtiments tenus par les staliniens et leurs alliés (étoiles bleues pleines), et par les anarchistes et le POUM (étoiles rouges contourées) pendant les journées de mai 1937.

4. Ironiquement, l'antifascisme constitua le principal argument au service du renversement de la conception léniniste de la guerre. L'impératif stratégique n'était plus de « transformer la guerre impérialiste entre les peuples en une guerre civile des classes opprimées contre leurs oppresseurs, en une guerre pour l'expropriation de la classe des capitalistes, pour la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, pour la réalisation du socialisme. » Au contraire, le passage à la guerre de fronts et l'intégration des milices dans l'armées régulière – avec son pendant social, la redisciplinarisation de la classe ouvrière désarmée, et son pendant politique, l'intégration de l'anarchisme à l'État – a marqué la transformation de la guerre civile des classes opprimées contre leurs oppresseurs en une guerre impérialiste entre les peuples, pour l'extension de la sphère d'influence du régime bureaucratique soviétique, pour la conservation des institutions représentatives bourgeoises, pour la réalisation de l'industrialisation capitaliste dans la péninsule ibérique.

Des militantes du Parti socialiste unifié de Catalogne (PSUC, stalinien) démontent une barricade d'insurgés sur les Ramblas. En bout de chaîne humaine, l'agent du NKVD Caridad Mercreder.

5. Cette intégration – opérée sur les plans militaire, politique et social – est directement liée à la nature des structures – armée régulière, État-nation, syndicats – qui l'ont rendue possible. Nous ne nous étendrons pas ici sur la critique du militarisme et de sa discipline verticale, ni sur celle de l'État et de ses mythes unificateurs. La critique du syndicalisme nous semble plus pertinente, parce que moins évidente chez les militant·es révolutionnaires. La CNT espagnole était un syndicat. Pour original et radical qu'elle soit, cette centrale syndicale ne pouvait aller contre sa fonction : la négociation du prix de la force du travail (salaire) et la médiation dans les conflits de classe au travail (compromis). La répression, la conscience des bases, le caractère de masse de l'organisation n'y peuvent rien : un syndicat anarchiste est d'abord et toujours un syndicat. Il n'y a, dès lors, rien d'étonnant à voir des responsables de la CNT et de l'UGT assis à la même table œuvrer à la rationalisation de la production et à son optimisation par la modernisation technique et organisationnelle ; à imposer le taylorisme-fordisme au prolétariat au nom de la socialisation du capitalisme. Du reste, la contradiction entre institution et subversion avait été résolue bien avant la guerre civile, en 1931, avec le renoncement à l'anti-parlementarisme et le soutien électoral au camp républicain. La CNT, reniant son anti-étatisme, partait à la conquête du pouvoir. Six années plus tard, elle appelait les ouvriers et les ouvrières à obéir à la police du régime républicain – celle-là même qui emprisonnait, harcelait et assassinait les prolétaires en lutte jusqu'alors ; celle-là même qui avait réprimé, avec l'armée, l'insurrection asturienne de 1934 (3 000 tué·es, 7 000 blessé·es, 30 000 arrestations). Un bon anarchiste de gouvernement est un anarchiste mort.

Corps d'un anarchiste tué lors des affrontements à Cerdanyola del Vallès, au nord de Barcelone.

6. L'antifascisme a joué un rôle fondamental dans la conservation du pouvoir étatique et bourgeois en Espagne. L'erreur impardonnable des révolutionnaires a été de penser la conquête du pouvoir derrière eux. En vérité, si le prolétariat a pu reprendre partiellement le contrôle sur son activité, il n'a jamais eu le pouvoir. Les barricades de mai 1937 étaient l'ultime tentative des révolutionnaires et du prolétariat catalans de détruire le pouvoir d'État – qui s'était maintenu dans le gouvernement du Front Populaire, et qui allait se maintenir indépendamment de l'issue militaire du conflit. Dernière tentative de revenir à l'état insurrectionnel qui avait ouvert la perspective d'une révolution, elle n'a pas suffi à mettre un pied dans la porte. Gavée d'antifascisme jusqu'à l'indigestion, maintenue dans un mensonge permanent par les revirements et les anathèmes de la presse républicaine et stalinienne, la classe ouvrière est allée à l'abattoir persuadée d'y trouver son paradis. L'antifascisme a permis à la République espagnole de gagner la partie contre le prolétariat, mais seulement pour mieux la perdre contre Franco.

La Prison Model de Barcelone, lieu d'enfermement des révolutionnaires catalans sous la Restauration, la dictature de Primo de Rivera, le Front Populaire et le régime de Franco.

Ce texte a été rédigé par le Groupe Révolutionnaire Charlatan

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Vous pouvez également le retrouver au lien suivant : https://lacharlatanerie.wordpress.com/lantifascisme-contre-la-revolution/

Pas de “Fin” en Vue : Cultiver le Conflit avec un Monde de Pandémies

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Traduction d'un texte anarchiste offrant des perspectives sur le Covid, les pandémies en général, contre le monde qui les produit, et des modes d'action que l'on peut adopter dans ce cadre, pour détruire ce monde.

Traduction du texte « No “End” in Sight : On Cultivating Conflict With a World of Pandemics » par Ignatius, publié en anglais sur The Anarchist Library et Anarchist News

Ce qui Fut, Ce qui Est

On est actuellement en Septembre 2023. Selon à qui l'on demande, on est soit à la fin de la quatrième année de pandémie mondiale causée par le virus SARS-CoV-2, un an ou deux après la fin de cette pandémie mondiale, ou (pour ceux à l'esprit le plus complotiste) plus de trois ans après un grand complot qui a été si bien mené qu'il a réussi à tuer 1.14 millions (et plus à venir) de nos proches rien qu'aux États-Unis. Énormément a changé ces quatre dernières années, mais bien plus est resté identique.

J'écris parce que, croyant solidement à la position selon laquelle (au-delà des définitions les plus strictes) l'on existe encore à l'intérieur des relations qui ont amené cette pandémie la plus récente, j'ai développé un mélange de frustration et de découragement avec le nombre d'anarchistes et de compagnon.nes de voyage qui sont heureux.ses de déclarer la pandémie “terminée”, dans le but de justifier “l'arrêt” de toute prise de mesure de précaution contre la propagation du virus mentionné plus tôt. Plus particulièrement, je suis frustré.e de comment cette déclaration permet de normaliser la violence continue des maladies endémiques instaurée par les institutions de pouvoir.

Nous pouvons bien chipoter sur les définitions de ce qui constitue précisément une pandémie, et de si notre situation actuelle remplit ou non ces critères, mais quoi qu'il en soit, le Covid-19 est devenu endémique. Le nombre de cas augmente fortement ou disparaît tout au long de l'année, au fil que de nouveaux variants émergent apparemment avec les saisons. De nouvelles études démontrent les effets handicapants de masse des infections répétées, même après des cas légers ou asymptomatiques. Ces effets incluent un risque accru de maladies du cœur/rein/poumon, un risque accru d'embolies pulmonaires et de crises cardiaques, un risque accru de diabètes, etc. Chaque réinfection augmente la probabilité de développer la condition (à mon avis, mal-nommée) de “Covid long”, un amalgame de problèmes chroniques qui vont d'une fatigue constante et de douleurs généralisées (souvent aux articulations), à des difficultés à s'endormir, à se concentrer et à respirer, ainsi que de nombreuses autres conditions non listées ici.

Bien qu'il soit vrai que chaque personne attrapant le Covid ne développera pas ces risques accrus ou ces problèmes chroniques, leurs conséquences retombent le plus intensément sur les pauvres et les racisé.e.s (particulièrement les NoirEs et les non-blanchEs cibléEs). Cette différence est en grande partie due aux types de travail que des personnes différentes sont forcéEs de prendre (l'exposition au Covid associée avec le travail varie énormément sur les axes de race et de classe), au racisme et au classisme inhérents à l'industrie médicales (des hôpitaux aux pharmacies) qui limitent l'accès à des soins significatifs ; ainsi qu'à des taux disproportionnés de problèmes médicaux pré-existantes. D'une façon similaire, il doit être évident que les conséquences déjà mentionnées vont retomber le plus intensément sur les handiEs, les immunodépriméEs, et celleux qui possèdent déjà d'autres comorbidités potentiellement importantes.

Je n'écris pas pour être alarmiste à propos d'une nouvelle menace existentielle. Rien de tout cela n'est propre à cette pandémie, ou à ce moment, ou même aux pandémies en général. J'aurais pu écrire une introduction quasi identique à un texte sur la police et les prisons, ou sur le travail et la production. Je n'écris pas non plus dans une tentative de moraliser quelles actions l'on devrait effectuer pour être jugéE comme bon.ne, ou éviter pour ne pas être jugée comme mauvais.e. J'écris car je désire cultiver un antagonisme plus explicite contre les institutions de pouvoir qui utilisent la violence, et maintiennent les relations, qui donnent naissance à des moments tels que celui-ci, aux pandémies et à leurs conséquences. J'écris car je désire une réorientation loin des cadres d'obligation, et vers des cadres de conflictualité. J'écris car je refuse d'accepter la normalisation de la violence quotidienne de la vie sous le régime du capital racial, avec aujourd'hui un accent mis sur la violence des maladies endémiques. Il n'y a aucun sacrifice “acceptable” au service de la production.

Ce texte n'est à aucun moment destiné à être exhaustif. C'est une introduction, une façon de mettre un pied dans la porte. C'est une tentative de créer un espace. Si vous n'êtes pas d'accord avec les prémisses ou les désirs alors qu'il en soit ainsi, partagez vos critiques ou mettez le feu à ce zine (ou encore mieux, votre téléphone/ordinateur). Si vous y trouvez des points communs mais auriez désiré qu'il aille plus loin ou dans une direction différente, utilisez ce texte comme un point de départ pour vos propres critiques ou discussions. Il y aura toujours plus qui doit être dit et être fait.

Les Pandémies comme Catastrophes Naturelles

Les pandémies et les catastrophes naturelles ont beaucoup en commun, notamment le fait qu'elles ne sont pas naturelles du tout, mais sont plutôt des constructions sociales employées pour normaliser et justifier la violence inhérente au régime existant du capitalisme racial. Bien que les feux de forêts, les ouragans, les séismes, les éruptions volcaniques se produisent depuis aussi longtemps que la terre et les océans existent, ce sont seulement devenus des “catastrophes” lorsqu'elles ont été reconnues comme des menaces à l'ordre dominant en vigueur. Étant donné que l'ordre actuel de notre monde est celui du capital, c'est le fait d'être une menace au capital (ce qui inclus parfois les vies de personnes) qui devient la caractéristique définissant une “catastrophe”. Les nuages massifs tourbillonnant constamment à la surface de Jupiter constituent un phénomène à la même échelle que l'accumulation de tous les ouragans les plus destructeurs s'étant abattus sur la côte est au cours du siècle dernier combinés. Et pourtant, ce n'est pas une catastrophe. Puisque ce n'est pas une menace à quoique ce soit de valeur, au capital, on lui donne un nom mignon (la Grande Tache Rouge) et on la traite avec amusement.

Mais qu'en est-il de la partie “naturelle” de “catastrophes naturelles” ? “Naturelle” construit ici l'illusion que la destruction des habitations des gens, les pertes de vie massives, l'arrivée ultérieures d'assureurs comme des vautours qui picorent sur les cadavres de ce qui reste sur le sillon carbonisé d'un feu de forêt (ou d'un ouragan, ou d'un séisme), que tout cela est une part naturelle du fait d'être en vie et de prospérer dans ce beau grand paradigme social au sein duquel nous existons. “Naturelle” offre la rationalisation du fait de continuer à construire des immeubles à moindre coût (mais à loyer premium) sur des lignes de faille actives. “Naturelle” aide à rationaliser la destruction de plaines d'inondation au profit du développement de commerces. Cela couvre l'incursion continue et écocidaire du capital dans chaque centimètre de terre d'où une valeur pourrait être extraite. “Naturelle” est un écran de fumée qui nous empêche de questionner si l'état présent des choses est vraiment la seule façon qui puisse exister.

Nous en venons aux pandémies. De la même façon que le “naturelle” dans “catastrophe naturelle” sert à normaliser la violence de l'intersection entre société capitaliste et conditions météo, la construction sociale des pandémies sert à normaliser la violence de l'intersection de la société capitalisme, du colonialisme de peuplement, et des infections virales. Bien que les conséquences initiales les plus frappantes des pandémies (à savoir les morts massives) arrivent souvent à faire les gros titres et la une des chaînes d'information, la discussion de leurs causes (et de comment leurs violences sont utilisées) va rarement au-delà de personnalités d'extrême-droite étalant leurs opinions complotistes.

On ne voit pas de discussions et de critiques à l'égard de l'élevage industriel qui, par sa nécessité pour fournir les entreprises de fast-food avec une source bon marché de viande, réduit la barrière nécessaire aux maladies pour passer d'hôtes non-humainEs à des hôtes humainEs. On ne voit pas de discussion au sujet de la déforestation (souvent au profit de l'élevage industrielle), qui force les animaux à migrer plus fréquemment, augmentant la probabilité des maladies à passer d'un.e hôte à l'autre. On ne voit pas de vaste discussion concernant le changement climatique – et plus précisément le réchauffement de la Terre et la fréquence accrue d'ouragans et de feux de forêts plus destructeurs, qui aggrave la contagion de maladies en augmentant la dispersion de vecteurs de maladies (moustiques, rongeurs, tiques, etc.) et en augmentant la contamination des nappes phréatiques. On ne voit pas ces discussions émerger, car les traiter de façon honnête reviendrait à questionner les hypothèses fondamentales de l'ordre existant, l'économie a besoin de continuer à croître, et croître signifie extraire autant et aussi rapidement que possible. Peu importent les feux de forêts.

Au lieu de ça, on nous présente une construction des maladies endémiques que l'on appelle pandémie et que l'on comprend comme une condition naturelle de notre existence dans ce monde. Être naturel.le, c'est n'avoir aucune cause mutable, et donc n'exiger aucune justification pour sa violence. Si l'on est sérieux.se quant au fait d'adopter des positions d'antagonisme contre le monde existant, et contre l'imposition de ses maladies endémiques, alors on doit rejeter cette normalisation et naturalisation des pandémies. Ce rejet doit commencer par une réorientation de notre vie quotidiennes.

Comment les Individus réifient le Pouvoir

Même si nous préférons croire le contraire, la plupart d'entre nous passe la majorité de notre vie à reproduire exactement les systèmes qui nous tuent ou auxquels nous revendiquons nous opposer. À chaque fois que l'on va faire son travail de serveur.se, on participe à perpétuer l'exploitation inhérente aux restaurants. À chaque fois que l'on paie sa facture de carte de crédit, on participe à réifier l'emprise de la dette sur nos vies. À chaque fois que l'on voit un flic arrêter quelqu'unE et que l'on ne détruit pas sa voiture pendant qu'il a le dos tourné, on participe à réifier l'autorité de la police. À chaque fois que l'on passe devant une prison et que l'on ne fait pas tout ce qui est en notre pouvoir pour ouvrir les cages afin que celleux piégéEs à l'intérieur puissent être libres, on participe à réifier la capacité de l'État à emprisonner. Ce ne sont pas des jugements moraux mais des évaluations de relations. Je ne dis pas que l'on est une « mauvaise personne » quand l'on va travailler, mais qu'en allant travailler, on participe concrètement au renforcement du mode de production capitaliste.

Chaque jour, on prend des centaines de décisions (souvent par instinct et sans même les reconnaître comme telles) qui renforcent ou affaiblissent certains systèmes et rapports au monde, aux unEs aux autres, et à soi-même. Compte tenu de cette perspective, ce ne sera pas surprenant que je dise que les actions quotidiennes des individuEs jouent aussi un rôle dans la normalisation de maladies endémiques et la réification des systèmes de pouvoir qui exercent la violence des pandémies. Dans le contexte de la maladie endémique la plus récente (et plus largement la plus visible aux États-Unis), le Covid-19, je voudrais donner un aperçu d'un exemple de comment des actions individuelles normalisent et réifient ce qui est concrètement de la violence d'État par d'autres moyens. La raison pour laquelle je me focalise là-dessus est que, si nous avons une chance de changer significativement nos rapports au monde et les façons qui nous sont imposées d'exister dans celui-ci, nous devons d'abord être capables d'identifier les décisions que nous prenons et les actions que nous menons qui réifient ces relations.

Note : Je travaille à partir de la perspective que le validisme est un axe d'oppression profondément ancré (et dominant) dans notre monde, et que je désire affaiblir ses fondations, ses conséquences et sa réification à la fois dans notre monde en général et au sein des communautés plus intimes dans lesquelles j'existe. Si l'on ne pense pas à partir d'une perspective compatible, alors je suspecte que l'exemple suivant pourrait ne pas avoir beaucoup de sens, mais je vous encourage néanmoins à le considérer quand bien même.

Bien que nous puissions faire des allers-retours sur les différentes analyses des données sur les décès liés au Covid-19 (une analyse de plus en plus difficile étant donné que de nombreux hôpitaux ont arrêté de déclarer les données pertinentes), il reste qu'il y a toujours existé, et qu'il existera toujours, un groupe de personnes pour qui attraper le Covid-19 comporte un risque significativement plus élevé de développer des complications au long terme, et/ou de mourir d'une maladie aiguë. Ce groupe n'est pas une identité monolithe, mais beaucoup vont partager certains point communs comme le handicap, le fait d'être immunodépriméE, et/ou de posséder d'autres comorbidités potentiellement pertinentes. Depuis que le port du masque en public est devenu moins courant, un refrain a commencé à se faire entendre dans tous les espaces, anarchistes et au-delà, « il est de la responsabilité de chaque individuE d'évaluer leurs risques et de prendre les précautions qu'iels pensent nécessaires ».

Il s'agit d'une déclaration d'abandon, d'une déclaration qui légitime la violence dirigée vers une population vulnérable. Si elle était dite à propos d'une fuite de plomb des tuyaux de la ville dans l'eau potable, on appellerait cela une dissimulation du rôle de l'État dans notre empoisonnement. Si elle était dite à propos d'une réduction due financement de prestations alimentaires, on l'appellerait une mesure d'austérité (et si on s'inspirait des Grec.que.s on provoquerait des émeutes). Il est rare d'entendre le refrain ci-dessus dans des espaces anarchistes dans l'un ou l'autre de ces contextes. Mais ici et maintenant, dans le contexte du Covid-19, beaucoup d'anarchistes semblent marcher main dans la main avec l'État dans leur disposition à soutenir l'abandon d'un groupe particulièrement vulnérable, parmi lequel de nombreux.ses personnes qu'iels appelleraient camarades en même temps.

Mais comment cet abandon se manifeste-t-il dans l'(in)action quotidienne ? Le plus évident est le fait que se masquer ait été forcé dans le domaine de “l'évaluation individuelle d'un risque” comme si les décisions que l'on prenait n'avaient aucun effet sur les risques assumés par une autre personne. Quand l'on rentre dans un supermarché, ou d'autres endroits publics où les gens ont un besoin raisonnable de se rendre (particulièrement et incluant pour aller travailler), on ne connaît rien des autres personnes dans cet espace. On ne sait pas si le.a caissièrE a récemment eu une transplantation de rein et prend des immunosuppresseurs. On ne sait pas si la personne devant à la caisse souffre d'asthme grave qui s'aggrave même avec un léger rhume. L'évaluation du risque par chacunE, et de si l'on pense nécessaire ou non de porter un masque, affecte forcément toutes les autres personnes avec qui l'on partage un espace. Celleux qui se savent être à risque plus élevé pour des complications (qui est seulement une partie de toustes celleux qui sont à risque plus élevé) en sont bien conscientEs. Et, sachant cela, il ne leur reste que deux options : accepter un plus grand risque en étant dans des espaces publics à cause de l'inaction des autres autour d'elleux, ou être excluEs de ces espaces.

Dans le cas d'un supermarché, d'une pharmacie, d'un hôpital, et d'autres espaces publics, ce n'est pas vraiment un véritable choix. Nous avons tous besoin de courses, beaucoup d'entre nous ont besoin régulièrement de médicaments, et beaucoup d'entre nous souffrent d'urgences ou ont besoin de traitements qui ne peuvent être traités que par des soins urgents ou un hôpital. Dès lors, le simple choix de ne pas porter un masque dans ces environnements a, déjà, renforcé un manque d'attention systémique envers un groupe vulnérable spécifique. Mais la réification de l'abandon et de la violence devient encore plus évidente quand on regarde ce qui se passe dans les espaces de sociabilité et d'organisation, dans les endroits, événement, assemblées, etc “non-essentielles”.

C'est en lien avec ces espaces-ci que beaucoup diront que celleux qui pensent le risque trop haut, n'ont simplement pas besoin de participer à ces espaces. J'aimerais que vous preniez un moment pour considérer les conclusions logique de cette déclaration. Pensez-vous que ces personnes méritent moins d'avoir accès à des espaces de sociabilité ? Leur risque accru est-il simplement trop contraignant qu'il est préférable de complètement les exclure plutôt que de porter un masque en intérieur ? Si votre réponse est « oui » à n'importe laquelle de ces questions, je ne dirais pas que vous êtes une “mauvaise” personne (encore une fois, je ne crois pas à une dichotomie bon/mauvais, ni ne trouve pas utiles les cadres moraux) mais je dirais que vous et moi avons probablement des positionnements qui s'opposent.

Je trouve cet aspect encore plus poignant quand on considère le chevauchement entre les espaces de sociabilité et d'organisation. Je pense plus particulièrement aux bookfairs, ateliers, AGs, événements d'écritures de lettres, débriefings d'actions, etc. Si la responsabilité de réduction des risques retombe toujours uniquement sur celleux qui sont déjà à risque plus élevé, que pensez-vous que l'impact est sur leur participation dans ces espaces ? Est-ce que cela exclurait systématiquement des personnes spécifiques de ces espaces et milieux ? Comment cette exclusion potentielle reproduit-elle l'invisibilisation plus large des personnes vulnérables (dans ce cas, handiEs/immunodépriméEs) et légitime-t-elle leur exclusion systémique ? Vous vous fichez peut-être des réponses à ces questions, et je ne peux pas vous faire vous en soucier, mais je m'en soucie et je vous encourage à y penser.

Il semble important de noter ici qu'il y a de véritables préoccupations sur les effets que se masquer peut avoir sur la capacité de certaines personnes à naviguer dans des espaces publics, notamment celleux qui s'appuient plus fortement sur la communication non-verbale (particulièrement par des expressions faciales), celleux qui ont du mal à entendre, et celleux qui ont des troubles sensoriels. Je les nomme notamment parce que je trouve que celleux qui soutiennent un port du masque plus répandu (particulièrement celleux qui le font depuis un cadre de positions morales) effacent la possibilité qu'il existe des circonstances dans lesquelles se masquer est difficile ou nocif pour certaines/beaucoup de personnes.

Bien que je ne le discuterai pas en détails ici (encore une fois, c'est seulement une introduction à une conversation collaborative plus large), je pense qu'il existe des moyens d'atténuer les dommages qu'un port du masque plus répandu fait à la façon dont ces personnes existent dans les espaces publics, dans le cadre d'une lutte contre leur exclusion systématique. Par exemple, il existe des masques avec une partie transparente qui (bien que donnant souvent un look plutôt marrant) permettent de dégager une vue directe du visage d'une personne, rendant possible de lire plus clairement sur les lèvres et dans les expressions non-verbales. Ils pourraient potentiellement être distribués à des événements ou des distributions, selon le contexte de leur utilité désirée. Pour celleux avec des troubles sensoriels, se masquer pourrait bien ne pas être pratique du tout. Je ne suis pas intéressé.e par le fait de définir les frontières de cette praticité et je fais confiance aux gens (intentionnellement, par principe) pour agir de bonne foi pour évaluer la tension entre leurs propres besoins et ceux des autres. Dans le cas de nos propres événements/projets, quand c'est possible, nous pouvons prioriser l'utilisation d'espaces en extérieur (incluant des espaces couverts) et/ou des espaces en intérieur avec une bonne circulation de l'air ou ventilation, qui feraient du fait de se masquer à sens unique une véritable option.

La réification discutée plus tôt et la reproduction de violences systémiques est, dans le contexte où l'on considère une seule des décisions que l'on prend, si/comment/quand on porte un masque. On pourrait suivre le même raisonnement pour d'autres décisions à propos de mesures préventives et on n'aurait pas encore abordé l'handicapement de masse de millions de personnes au profit de la réification du mode de production capitaliste et de l'adoration de la marchandise. On n'aurait pas encore abordé comment notre disposition à « passer à autre chose que la pandémie » légitime et invisibilise la propagation totale du Covid dans les écoles et les prisons, renforçant la violence systématique contre les enfants et les prisonnièrEs respectivement (et, dans le cas de prisons pour mineurEs, une intersection horrible de ces systèmes de violence). On n'aurait pas encore abordé les disparités raciales dans l'accès aux vaccins et aux traitements, ayant pour conséquences des maladies graves et des décès (particulièrement dans les populations Noires, Hispaniques et Indigènes). Le Covid a mis en évidence et a davantage révélé de nombreuses cibles importantes pour celleux qui désirent ostensiblement le conflit avec le monde existant et sa richesse de relations oppressives. Pourtant, nombre de ces personnes se retrouvent à reproduire ces relations elles-mêmes, plutôt que les affaiblir dans ce contexte. Alors, il nous reste à considérer pourquoi il en est ainsi.

Traumatisme, Obligation, et Ressentiment

Comme mentionné au début, rien que dans les soi-disant États-Unis, plus d'1,14 millions de personnes ont été tuées par le Covid ces trois dernières années. Si on regarde plutôt le taux estimé de surmortalité, ce nombre atteint 1,36 millions. C'est un nombre de personnes plus élevé que celui de la population de 9 États. Avec un nombre si élevé, il est probable que la majorité d'entre nous ait perdu quelqu'un ces trois dernières années qui serait autrement encore parmi nous, beaucoup d'autres ont dû s'occuper de proches souffrant de grave maladies, et beaucoup souffrent encore de maladies graves elleux-mêmes (et évidemment, aucune de ces situations n'est mutuellement exclusive). Que nous voulions l'admettre ou non, beaucoup d'entre nous gardons un profond traumatisme de ces expériences. S'ajoute à cela le traumatisme de l'intensification des conflits interpersonnels dans une période de stress intense, et le trauma propre à un soulèvement social de masse : les inculpations, les proches qui finissent en prison, et le mal de cœur subséquent quand le monde ne change pas comme nous nous étions brièvement permis de le croire dans le moment.

Tous ces traumatismes sont liés à notre souvenir et notre conscience du Covid. Il n'y a aucun moyen de parler du Covid sans que ces traumatismes ne pointent leur bout de leur nez. Mais, si l'on peut mettre une certaine distance entre nous et la pandémie, nous convaincre qu'elle est “terminée” (souvent en se reposant sur une distinction linguistique pour nous y aider), alors on peut éviter la nécessité de faire face à ces traumatismes. Mais il y a un problème. Il est bien plus difficile d'essayer de mettre de la distance entre soi et les traumatismes qu'on essaie de faire disparaître quand, dans le rétroviseur, il y a d'autres personnes qui vous demandent de considérer si la pandémie est vraiment “terminée” pour tout le monde, vous forçant ainsi à reconnaître que, pour beaucoup, ces traumatismes sont toujours d'actualité, ne se sont jamais arrêtés. Cela ramène directement au premier plan ce que l'on pourrait essayer de fuir, ce qui est propice à ce que ressentiment prenne racine. Mais ce n'est pas la seule façon dont croît le ressentiment.

Pour beaucoup, si ce n'est la plupart, des personnes valides, la principale interaction qu'iels ont avec le handicap se fait du point de vue de témoin extérieur de l'expérience de l'autre. Certaines personnes valides ont une expérience d'aidantE auprès de quelqu'unE qui est handiE de façon chronique ou aiguë, mais même cela reste une expérience extérieure au handicap. En occupant ce rôle d'aidantE, il n'est pas rare que l'on agisse en suivant un certain sens de l'obligation. Au début de la pandémie du Covid-19, le vocabulaire utilisé pour motiver les gens à s'inquiéter pour les (ou à s'occuper des) autres reposait beaucoup sur un lexique relevant de l'obligation, qui était repris à la fois par les médias et dans les milieux radicaux. Ce lexique de l'obligation renforce le handicap-comme-construction-sociale, qui sous-tend que les valides et les handiEs sont toustes deux comprises comme des catégories immuables ; les handiEs existant selon le bon vouloir des valides, et les valides étant obligéEs (typiquement, dans un sens moral) de s'occuper des handiEs. Mais ce qui est propre à l'obligation, c'est sa proximité avec la culpabilité. Et ce qui est propre avec la culpabilité, c'est que, bien qu'elle puisse constituer une bonne source de motivation pour agir à court-terme, elle aboutit au long-terme au ressentiment ; quand bien même si la culpabilité au cœur de ce ressentiment est quasiment tout le temps auto-imposée par les valides à elleux-mêmes.

Reconnaissant que l'obligation est par nature sans issue, je suis bien plus intéressé.e par l'idée de cultiver des positions de conflictualité, parmi lesquelles la réorientation d'actions qui comprend le fait de se masquer au sein d'un cadre de conflit explicite avec les systèmes de souffrance à une échelle plus globale, que je cherche à détruire. C'est en cela que consiste mon interprétation de ce qu'est réellement la solidarité : une reconnaissance de souffrances liées les unes aux autres et de désirs compatibles qui mènent à des actions œuvrant à la destruction des institutions de ces souffrances interconnectées. Par sa capacité à témoigner explicitement d'un rejet de la normalisation de maladies endémiques de façon visible, je pense honnêtement que le fait de se masquer dans des espaces publics est un moyen simple (mais concret) de commencer à créer des espaces en conflit avec l'existant. Évidemment, il nous faut aller bien plus loin si l'on veut vraiment détruire le monde.

Sérieusement, Détruisons l'Économie

Il a toujours été question du capital. La raison principale de “passer à autre chose” après le Covid (ou n'importe quelle autre catastrophe “naturelle”), depuis la perspective de celleux au pouvoir, a toujours été de prioriser les bénéfices, la production et des chaînes d'approvisionnement. Les taux disproportionnés de décès dus au Covid chez les personnes racisées et pauvres constitue une des meilleures démonstrations que l'on peut faire que le travail nous tue littéralement. Pour beaucoup, même au plus haut des première et seconde vagues (durant lesquelles on a recensé le plus grand nombre de décès dans le Nord-Est que dans le reste du pays) il n'y avait aucune possibilité de télétravailler, aucune priorité donnée à la santé. La flambée du Covid était le lot quotidien dans les abattoirs et les usines de conditionnement de viande, dans les usines de Tesla et les entrepôts d'Amazon. Des centaines de milliers de personnes sont mortes de façon prévisible pour enrichir encore davantage Elon Musk, Jeff Bezos et tous les autres du genre. Beaucoup plus se retrouvent avec des complications au long terme et des conséquences préoccupantes pour leur santé à l'avenir. Le nombre de personnes rentrant dans cette dernière catégorie ne fait que croître chaque jour. Des audiences récentes aux cours suprêmes d'État ont laissé leur vrai visage apparaître encore plus explicitement, en protégeant les patrons des plaintes déposées par des employéEs victimes (ou, dans certains cas, les veufves d'employéEs désormais décédéEs) d'avoir sacrifié leur santé (voire leur vie) pour que la production continue de tourner.

Pour celleux d'entre nous intéresséEs par la destruction de ce monde, il est plus urgent que jamais que nous anarchistes gardions une (anti-)politique contre le travail inscrite sur le bout de nos langues et la courbe de nos pieds-de-biche. On doit être sur les piquets à pousser pour des grèves qui constitueraient une attaque contre le capital lui-même, et pas seulement une menace visant à obtenir un salaire de misère un tout petit peu plus élevé. On doit articuler (soit depuis l'intérieur, soit sans eux) une alternative aux syndicats pour lutter contre les patrons et s'organiser avec nos collègues de travail. On doit lutter contre la normalisation de la violence qui nous est infligée au travail, dont la violence des maladies endémiques. Une façon de faire tout cela est de continuer à prendre des précautions de façon visible contre la propagation du Covid, et de parler de ces actions en des termes conflictuels.

On peut s'organiser dans les lieux de travail avec lesquels on a une proximité pour mettre à jour les systèmes de filtration d'air, et considérer des utilisations créatives du sabotage qui pourraient être pertinentes à cette organisation. Celleux d'entre nous qui ont des projets d'infokiosques peuvent ajouter des masques et des autotests Covid à notre inventaire de brochures, stickers, et tout autre caillou cool qu'on a trouvé sur le sol ce jour-là. On peut les voler si/quand on le peut, et recruter d'autres personnes pour nous aider à le faire. Dans la mesure du possible, une distribution directe réduit les obstacles à l'utilisation et nous donne une opportunité, dans un environnement plus chaleureux et moins stressant, de parler aux gens de pourquoi on fait les choses de la façon dont les fait. Prioriser les événements en extérieur et expliciter pourquoi on le fait permet d'éviter l'exclusion de celleux qui ne peuvent pas, ou choisissent de ne pas, risquer une plus grande exposition au Covid.

Les dettes médicales continuent à être une préoccupation grandissantes pour des dizaines de millions de personnes dans ce pays, et un fardeau porté de façon disproportionné par les personnes pauvres et souffrant de maladies chroniques. Il y a des programmes d'annulation de dettes, mais ceux-ci sont avant tout axés sur la préservation de la structure globale d'une économie de dette puisque, si trop de personnes ne peuvent plus payer leurs dettes en même temps, tout s'écroule. Un phénomène similaire peut être observé avec les dettes de cartes de crédit et les prêts étudiants. Ces systèmes peuvent – et le font souvent – détruire des vies et agissent comme un bâton incroyablement efficace pour nous forcer à continuer à travailler là où on serait autrement plus disposéEs à démissionner. Je ne m'aventurerai pas à lister quelles actions spécifiques seraient intéressantes, mais il me semble urgent de trouver des moyens d'intervenir de façon significative dans ces systèmes, ou au moins d'aider à détruire l'illusion de nécessité de leur existence. Je ne serai jamais en mesure d'exprimer le sentiment de colère que l'on ressent en regardant quelqu'un que l'on aime se tordre de douleur pendant qu'un membre du personnel de facturation de l'hôpital [1] attend patiemment une pause pour s'approcher assez longtemps afin que votre proche signe qu'il reconnaît le coût de son traitement. C'est une cruauté qui n'a d'égale que les garages qui gardent votre voiture jusqu'à avoir payé les 13.50 dollars nécessaires pour avoir eu l'audace de passer la nuit aux urgences.

Je n'ai pas d'illusion quand au fait qu'il y ait une voie prescriptive que l'on pourrait suivre pour provoquer la fin du travail et du capitalisme et de toutes ses horribles tentacules. Mais je veux la fin de ce monde de capitalisme racial et des maladies endémiques qu'il exige. Je veux la fin de la normalisation de toute cette souffrance cruelle et inutile que l'on accepte comme si elle était le coût de la vie. Compte tenu de ce désir, je continuerai à chercher des points faibles dans lesquelles planter mon couteau, et je continuerai à chercher d'autres personnes pour m'aider.

Ça a toujours été une question de Care

Il y a un moment, j'ai eu une conversation avec un.e ami.e sur le conflit entre l'autonomie individuelle et le soin des autres (care), de si l'anarchie priorisait le premier sur le second, et de, si c'était le cas, ce que cela voulait dire. Plus je pense à cette conversation, plus je me dis qu'il n'y a pas d'autonomie sans soin, et moins je me soucie (care) de si je rentre dans la définition d'anarchiste que quelqu'unE d'autre aurait. AucunE d'entre nous ne peut vivre seulE. CertainEs d'être nous peuvent bien être capables de survivre seulEs pour un moment, peut-être même pendant très longtemps, mais pas de vivre. Vivre vraiment signifie prendre soin (care) des autres, et que les autres prennent soin de nous. C'est à travers notre connexion aux autres que l'on peut aller au-delà de nos propres limites. Je n'aurais jamais été assez courageux.se pour relancer une lacrymo sur une ligne de CRS si je ne m'étais pas fait un.e ami.e dans la foule quelques heures avant. Je n'aurais jamais appris à relier des livres (même avec des matériaux de fortune) si je n'avais pas eu un crush sur quelqu'unE. Je n'aurais jamais su retomber sur mes pieds après la mort soudaine d'un.e ami.e si je n'avais pas eu d'autres personnes pour m'aider à garder l'équilibre. Tout cela fait partie de mon autonomie, et nécessite le soin (care) d'autres personnes.

Toutes nos actions ont des conséquences, chaque décision que l'on prend renforces ou affaiblit un mode de relation (ou plusieurs), même si l'on ne le reconnaît pas toujours. Pour ramener tout cela au sujet du Covid et des maladies endémiques, de façon très simple, j'en attends plus des anarchistes. Je veux davantage de réflexion concernant les façons de résister à la normalisation de la mort et l'handicapement de masse. Je veux davantage de conflit avec les institutions de pouvoir existantes qui cultivent cette normalisation. Je veux davantage d'analyse critique concernant nos actions reproduisent le monde autour de nous. Et, par-dessus tout, je veux plus d'honnêteté. Comme je l'ai dit plus haut, je ne vois aucun intérêt à faire la morale. Je n'ai aucune envie de dicter ce qui est bon et ce qui est mauvais. Mais je veux plus d'honnêteté sur qui l'on peut accepter d'exclure et qui l'on peut accepter de sacrifier pour conserver sa façon de se rapporter au monde, et pour son propre confort. Comment pensez-vous que les excluEs et les sacrifiéEs devraient se rapporter à vous ? Comment se rapporteriez-vous à vous-mêmes si vous étiez à leur place ?

Je veux un monde qui attache plus de valeur à nos vies, et aux vies des autres, plutôt qu'un monde qui souhaite le retour d'une normalité qui était déjà en train de nous tuer. Je veux être davantage que le carburant pour la marche de mort écocidaire incessante du capitalisme racial. Je veux tout et je le veux pour tout le monde. Et vous, que voulez-vous ?


[1] L'auteur-ice parle du contexte états-uniens où les dépenses de santé sont peu socialisées, et atteignent vite plusieurs milliers de dollars

Manifestation : soutien aux expulsé.es de la rue Bara !

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Rendez-vous vendredi 27 octobre à 17h place de la Mairie de Montreuil en soutien aux personnes expulsées mardi matin rue Bara.

Le mardi 24 octobre, 200 policiers ont expulsé les 3 maisons squattées de la rue Bara, une semaine avant le début de la trêve hivernale.
La seule solution de relogement proposée : un centre d'hébergement à Lyon pour 2 semaines. Bien que cette expulsion soit orchestrée par la préfecture, la mairie de Montreuil a aussi sa part de responsabilité en restant sourde aux demandes des occupant.es qui ont tenté d'alerter sur leur situation depuis avril 2023. Encore une fois, des personnes vont se retrouver à la rue dans l'indifférence pendant que la mairie continue de faire sa communication sur le logement social.

Rendez-vous vendredi 27 octobre à 17h place de la Mairie de Montreuil

Logement digne et stable pour tous.tes !

On vit ici, on reste ici !

Soirée de soutien à la Palestine à Aubervilliers

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

La Brigade de Solidarité Aubervilliers-Pantin organise un soirée de soutien à la Palestine jeudi 26 octobre à Aubervilliers

Au programme à partir de 18h

  • exposition de photos d'Ahmad Al-bazz sur les villages détruits en 1948
  • projection de courts-métrages co-réalisés par A. Paq sur la situation en Palestine
  • Discussions avec la campagne BDS (Boycott-Désinvestissement-Sanction) et le collectif Tsedek ! sur la situation et comment soutenir le peuple palestinien.
  • et une cantine pour finir.

À la bourse du Travail d'Aubervilliers au 1 rue des 21 appelés à Aubervilliers.

La campagne Boycott -Désinvestissement - Sanction (BDS), c'est quoi ?
A l'image du boycott de l'Afrique du Sud des années 1980, cette campagne est un mouvement non violent destiné à stopper l'impunité d'Israël et à le forcer à respecter les droits des Palestinien.nes. Elle ne vise pas une population, mais cherche au final à obliger nos gouvernements à de légitimes sanctions pour imposer à Israël la seule issue pour cette région : l'application du droit international.