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Pour un anarchisme révolutionnaire - La Brochure

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

La publication du livre « pour un anarchisme révolutionnaire » a été l'occasion de rencontrer beaucoup de camarades, et d'avoir de nombreuses discussions. Cette brochure s'inspire de ces échanges. Elle reprend les questions qui ont été posées le plus souvent et présente l'essentiel de ce qui s'est dit par la suite.
Ce qui va suivre n'est donc pas un résumé du livre. Si la plupart des propositions ci-dessous s'y trouvaient déjà, elles n'ont pu s'énoncer concrètement et se préciser qu'au fil des discussions, remarques et critiques qui ont été faites au livre.
Espérons que cette brochure soit l'occasion de poursuivre ces échanges et de nourrir nos réflexions dans les luttes à venir…

Pourquoi parler de « révolution anarchiste » et en quoi consiste-t-elle  ?

Nous partons d'un double constat : d'un côté beaucoup d'anarchistes ont pris le chemin de la désertion, de la constitution de communautés alternatives, s'éloignant d'un discours et de la recherche de pratiques révolutionnaires. Et d'un autre côté, la question de la révolution est revenue sur la table ces dix dernières années. C'est dans ce contexte que nous avons voulu réaffirmer, avant tout, la nécessité et la possibilité de la révolution. Mais dès lors, la question est de savoir ce que l'on met derrière ce terme. C'est d'ailleurs une question que beaucoup de gens se posent. On voit bien l'évolution qu'il y a eu ces dernières années : maintenant, lorsque l'on distribue des tracts ou des journaux révolutionnaires dans la rue, beaucoup de personnes prennent cela au sérieux, s'y intéressent, veulent en savoir plus. Ce qui n'était pas le cas il n'y a ne serait-ce que quelques années (on constate sur ce point « un avant » et « un après » mouvement des Gilets Jaunes). Les questions qui reviennent le plus souvent sont : mais de quelle révolution s'agit-il ? Comment gagner ? Qu'est-ce que cela veut dire ? Jusqu'où faut-il aller ? Que devons-nous détruire, et pour construire quoi ?
Ces questions nous nous les posons aussi. Nous avons écrit ce livre dans la volonté de nous en expliquer et de tenter de produire quelques propositions. C'est en ce sens que nous parlons d'une révolution anarchiste. Car l'anarchisme, et plus précisément le communisme-anarchiste (ou communisme-libertaire) s'est affronté à ces questions, à la fois dans la pratique et dans la théorie. Il permet de viser une révolution sociale qui ne conduise pas à une autre forme d'autoritarisme, à la production d'un nouvel ordre économique, ou à un capitalisme d'État comme on a pu le voir en URSS.
Ce que nous appelons une révolution anarchiste, ce n'est pas une révolution faite par des anarchistes, mais une révolution qui vise la destruction du pouvoir — et non sa prise. Au fond, la différence essentielle est là : il s'agit de détruire dans un même mouvement le Capitalisme et l'État, et à travers eux l'exploitation et le pouvoir. La révolution anarchiste ne vise pas à se servir de l'État pour abattre le capitalisme. Elle vise au contraire à détruire l'État, car celui-ci est au coeur de l'économie capitaliste. On ne pourra pas se défaire de l'exploitation économique sans détruire l'État. Nous développons à plusieurs endroits dans le livre ce lien intime et central entre l'État et le capitalisme pour montrer que l'État moderne est l'instrument de l'exploitation économique.
Ceci est tout à fait criant aujourd'hui, où les États doivent une grande partie de leur force et de leur capacité d'action, à leur place sur les marchés financiers : à leur capacité à s'endetter. Or, la confiance qui permet à un État de se voir prêter de l'argent facilement dépend de sa capacité à garantir les conditions de circulation, d'accumulation et de création de valeur future. Cette garantie n'est rien d'autre que celle des conditions nécessaires au capitalisme. En dernière instance, cette garantie se mesure à la capacité d'un État à contraindre la population à travailler pour les capitalistes. Dès lors, l'État ne peut faire autrement que de maintenir l'exploitation. C'est à la fois sa visée et ce par quoi il tire sa force. Pour mettre fin à l'exploitation économique et à son lot de misère, de concurrence, de guerre permanente, le pouvoir de l'État est en réalité un obstacle, quelque soit celles ou ceux qui le dirigent. Car l'État repose sur la création de valeur économique par la contrainte au travail. Il n'y a pas d'État sans une division en classe de la société et donc sans l'exploitation de la majeure partie de la population pour entretenir les classes exploitantes et dirigeantes.
Aujourd'hui, alors que les partis politiques et les élections sont désertés, et à l'heure où plus personne ne croit sérieusement que le capitalisme nous conduira ailleurs que dans un mur, la question révolutionnaire flotte à nouveau dans l'air. En France, elle s'est posée avec les Gilets Jaunes, et elle se posera à nouveau. Mais nous observons des soulèvements partout dans le monde : au Chili, à Hong Kong, en Colombie, au Liban, aux USA, au Kazakhstan, etc. Ce sont à travers ces mouvements, dans la pratique, que nous pourrons tracer les chemins qui nous conduirons à la victoire de la révolution sociale. Pour autant, la perspective générale peut s'énoncer : parvenir à vaincre le maintien de l'ordre et le pouvoir de l'État tout en détruisant l'économie afin d'inventer un rapport social où nous reproduirons nos existences à travers l'entraide incommensurable et le partage, et non à travers la production capitaliste.
Au sein de ces soulèvements, toute la question est de repérer leur dynamique : Y-a-t-il des pratiques et des discours qui portent une capacité à dépasser la seule revendication de réforme ou de négociation ? Rallier et appuyer ces pratiques est la meilleure façon d'accroitre la force révolutionnaire des mouvements. Dès lors, nous pensons que le rôle des révolutionnaires est de porter des initiatives qui vont dans ce sens, mais aussi de diffuser des pratiques qui ont marché ailleurs, de faire vivre l'histoire et l'actualité internationale de la lutte de classe. Le tout sans chercher à constituer une boutique politique de plus. Le seul parti des anarchistes, c'est celui de la révolution. Ce n'est pas parce qu'un parti politique ou un syndicat se prétend révolutionnaire qu'il n'est pas, dans les luttes, un obstacle à dépasser. L'encadrement de la lutte par les partis et syndicats n'a jamais produit autre chose que la défaite par la négociation, et la promotion de quelques personnes qui ont pu rejoindre une fraction de la classe dirigeante.
La révolution anarchiste est donc celle qui détruit l'exploitation ainsi que le pouvoir et ses représentants, y compris les tendances au sein du mouvement qui voudraient devenir les représentants de la révolution.
Que voudrait dire la victoire ? À quoi ressemblerait un monde anarchiste ? Cela n'est pas donné d'avance. Le communisme libertaire est aussi une façon de concevoir la vie autrement, mais il nous ouvre vers l'inconnu : un monde sans travail, sans économie, sans classe dirigeante, sans États… Ce monde sera avant tout créé par celles et ceux qui feront la révolution, avec tout ce que cela implique de résonance internationale et de bouleversement culturel. La révolution n'est pas pour autant la fin de l'histoire. Au contraire, c'est bien plutôt un commencement. L'enjeu n'est pas seulement de transformer le monde tel qu'il est, mais de rendre possible la transformation d'un monde libéré du pouvoir et de l'économie — et de leurs contraintes sur les possibles devenirs historiques. La révolution, c'est donc aussi la destruction de ce qui nous empêche de transformer le monde et qui ramène toute aspiration au changement, toute alternative, aussi bien intentionnée soit-elle, dans le giron du capitalisme et de l'État.

Ces dernières années, nous assistons à un renforcement de l'appareil d'État. La perspective d'une révolution anarchiste ne s'éloigne-t-elle pas  ?

La pandémie de Covid-19, ou plutôt la gestion par l'État de la pandémie, a été l'occasion pour les États de faire un pas de plus dans le virage autoritaire qui s'était déjà largement amorcé auparavant. D' « antiterroriste », l'état d'urgence est passé « sanitaire » (sans pour autant annuler la dimension « antiterroriste » de la justification de la fuite en avant sécuritaire). Rien d'étonnant à ce que cette fuite en avant sécuritaire se fasse à travers l'arsenal technologique développé par le capitalisme, qui fournit aux États (qui ont les moyens de se les payer) une puissance de surveillance, de contrôle et de répression toujours plus perfectionnées et invasives. La pandémie a aussi été l'occasion d'imposer à grande échelle toute une batterie de technologies numériques dans le monde du (télé)travail : (télé)médecine, (télé)enseignement, (télé)administration, etc., finissant de hisser les grandes plateformes numériques, GAFAM et autres, au rang d'actuel leader mondial de l'économie capitaliste. Rien de bien surprenant au final, tout ce que nous avons vu se développer très rapidement pendant la pandémie était très clairement déjà en marche avant elle. La pandémie n'a été qu'un coup d'accélérateur donné aux tendances techno-sécuritaires du capitalisme contemporain.
De ce point de vue, il est clair que l'État se prépare pour réprimer les offensives qui pourraient le viser. Il renforce et étend très largement l'arsenal policier, durcit encore la législation, les conditions de travail, etc. Ce renforcement massif de l'arsenal répressif laisse entrevoir que l'État prend acte qu'il lui sera de plus en plus difficile d'acheter la paix sociale. Surtout après le « quoi qu'il en coûte de Macron », qui après avoir enrichi le patronat et temporairement maintenu la paix sociale, a ajouté la « dette Covid » à la crise de la dette qui n'en finit plus de ne pas finir depuis 2008.
La petite musique de l'austérité est en train tranquillement de revenir sur le devant de la scène, mais avec les milliards de la « dette Covid » en plus. Rembourser la dette est un mirage, bien évidemment. L'enjeu est plutôt que l'État puisse continuer à s'endetter. Et pour cela, il doit prouver qu'il est un bon gestionnaire de l'extraction du profit. C'est-à-dire, que l'État doit montrer sa capacité à produire et maintenir les conditions nécessaires à la circulation, l'investissement et la valorisation des capitaux sur le territoire économique dont il a la gestion. Cette preuve s'obtient par le durcissement des conditions d'exploitation (qui permet l'accroissement du taux d'exploitation) : austérité, attaque des salaires directs ou indirects (chômage, minimum sociaux, retraites), réforme du code du travail permettant une extraction plus forte de plus-value, etc., tout ceci en vue de maintenir des taux de profits acceptables pour les capitalistes. Tout semble indiquer que nous allons vers un durcissement de l'exploitation et que l'État se prépare à imposer cela par la force. Le renforcement autoritaire des États est une forme de bunkérisation en vue de tenter de mâter les soulèvements. Et cela se constate à une échelle bien plus large que la France.
Plus récemment, on a vu la guerre revenir sur la scène européenne et être aussi l'occasion pour les États de renforcer leur appareil répressif, d'exacerber les nationalismes, de relancer l'industrie de l'armement. Plus encore, on peut considérer qu'une des dimensions de l'attaque de l'Ukraine par la Russie est celle d'une « opération de police » visant à réprimer les soulèvements dans la sphère d'influence Russe (Biélorussie en 2020, Kazaksthan en 2022). [1]
C'est pourquoi cette bunkérisation traduit aussi un état du capitalisme aujourd'hui : nous sommes dans un moment où l'antagonisme de classe se durcit et donc se dévoile. La lutte de classe revient ainsi sur le devant de la scène. Seulement, les capacités intégratives du capitalisme sont limitées. On assiste à une massification des petits boulots sous-payés ou précaires, avec le retour du travail journalier et du travail à la pièce à travers le capitalisme de plateforme, notamment avec l'explosion de la livraison en « auto-entreprise » dirigée par plateforme-numérique. La précarité touche aussi les personnes en CDI, qui, endettées, ne parviennent plus à joindre les deux bouts. L'idée que le travail soit vecteur de socialisation ou de réalisation personnelle a fait son temps. Car travailler, c'est travailler dans le capitalisme, qui est reconnu de plus en plus massivement comme une impasse historique — littéralement invivable. L'intégration par le travail est en crise.
Mais aussi, et peut-être surtout, le capitalisme et l'État ont beaucoup de mal à intégrer la lutte des prolétaires, c'est-à-dire à ramener les mouvements, voire les soulèvements, dans le giron de la reproduction du capital : les syndicats n'arrivent plus à faire tampon entre les luttes et l'État. Nous assistons à un refus des mouvements actuels à se laisser représenter par des figures politiques dictant les champs du possible et de l'impossible en négociant la défaite perpétuelle. L'intégration politique est en crise.
Il est difficile de dire si la révolution anarchiste s'éloigne ou se rapproche. Mais il est clair que les conditions actuelles du capitalisme et de ses crises (alliant crise de l'intégration par le travail, crise de la représentation politique, et refus des syndicats et des partis politiques comme médiations des luttes face à l'État) posent des conditions historiques où la proposition d'une révolution anarchiste est rendue potentiellement audible, et ceci d'une façon inédite. De plus, le cycle de soulèvement international auquel on assiste ces dernières années va plutôt dans le sens d'une approfondissement du mouvement (réel) révolutionnaire. Nous assistons par exemple à un notable dépassement de l'opposition violence/non violence dans les soulèvements à travers le monde. Nous assistons également à des échanges entre les mouvements à l'international. On a vu par exemple les soulèvements aux États-Unis et en France s'inspirer de techniques d'affrontement vues à Hong Kong. Plus récemment, le dernier soulèvement en Colombie (au printemps 2021) a repris des pratiques vues au Chili, aux États-Unis ou en France. Sur ce point, on pourra se reporter au très bon livre « Soulèvement » de Mirasol, qui traite spécifiquement de cette question.
Bien sûr, cet approfondissement révolutionnaire de la dynamique des mouvements actuels n'est pas un long fleuve tranquille. Et force est de constater que le mouvement contre le pass sanitaire n'a porté ni l'offensivité, ni la dynamique révolutionnaire que l'on a pu voir avec les Gilets Jaunes. Mais les conditions de la crise du capitalisme tout autant que celles d'un soulèvement révolutionnaire sont à notre avis tout à fait d'actualité.


En tant qu'exploités, prolétaires, nous sommes isolés, atomisés. Les organisations ouvrières sont mortes ou très faibles. Alors, d'où peut venir la force révolutionnaire ?

Pendant longtemps, l'antagonisme de classe a été conçu en terme d'une lutte du travail contre le capital. L'histoire du mouvement ouvrier est marquée par cette idéologie, qui a été largement produite et entretenue par les cadres des syndicats et des partis « révolutionnaires ». La révolution était perçue comme la montée en puissance des travailleurs et du travail contre les capitalistes et le Capital. Dès lors, la révolution consistait en une poursuite du travail, mais (soi-disant) sans le capitalisme. Le socialisme, la propriété collective des moyens de production et la planification du travail remplaceraient le capitalisme et la concurrence. Cette conception est une impasse. Elle ne peut conduire « au mieux » qu'à une forme de capitalisme autogéré, ou bien à un capitalisme d'État. Et l'un comme l'autre ne tarderait pas à voir ré-émerger les conditions de la concurrence. En réalité, si nous voulons détruire le capitalisme, nous devons détruire ce qui fait son coeur même : le travail. Toute l'oeuvre de Marx va dans ce sens : le fondement de la valeur, c'est le travail. Et abolir la propriété privée sans abolir la valeur est une impasse. Il faut bien sûr abattre le capitalisme, mais pour cela il ne suffit pas d'abattre l'un de ses pieds : le Capital (soit la richesse accumulée, la propriété privée des moyens de production et la circulation de marchandises, pour faire court). Il nous faut abattre la façon dont cette valeur se fabrique : le travail. La révolution consiste donc à détruire l'État qui organise la société du Capital et la contrainte au travail, défaire la production capitaliste, et trouver une façon de faire ensemble et non de travailler. Tant que nous garderons la quantification d'un temps spécifique dédié à la production en vue d'une rémunération (sous quelque forme qu'elle soit, bons de travail, bons de consommation, banque de temps, troc, monnaies alternatives, etc.), nous garderons les germes de la concurrence et de l'échange. Il nous faut détruire le travail comme sphère temporelle spécifique de production.
Mais ce sera bien le prolétariat qui fera la révolution, bien qu'il n'y soit pas destiné. La révolution n'est pas une affaire de destin, mais de rupture. Dans le livre, nous remettons au coeur de la question révolutionnaire l'importance, déjà soulevée par Bakounine, de l'acte et de la visée révolutionnaire. Nous ne pensons pas que le capitalisme produise les conditions de son propre dépassement à lui tout seul. La dynamique révolutionnaire est à chercher en dehors de ce qui constitue la dynamique du capitalisme. Or, « le prolétariat » tel qu'on l'entend en général, c'est-à-dire comme synonyme de « la classe ouvrière » est un produit du capitalisme. C'est la condition faite aux exploités, à celles et ceux qui n'ont que leur force de travail à vendre pour survivre. Ce sont les prolétaires en tant qu'exploités.
Dès lors, lorsque nous disons que c'est bien le prolétariat qui fera la révolution, ce n'est pas simplement de ce prolétariat exploité dont nous parlons. Nous ne parlons pas d'un prolétariat qui serait une donnée sociologique, ou une identité au sein de la reproduction de la société du Capital. Nous parlons du prolétariat qui se constitue comme classe révolutionnaire, dans un mouvement d'offensive contre sa condition d'existence au sein du capitalisme. Le prolétariat révolutionnaire se constitue donc dans une dynamique antinomique aux conditions d'existences des classes sociales. Cette constitution ne se fait pas à partir d'une condition sociologique ou à partir d'une identité préalable, elle se fait sur la base de l'identification à un mouvement qui attaque matériellement les intérêts des capitalistes et l'État. Bien évidemment, un tel mouvement ne peut provenir que de la classe des exploités, des « prolétaires » au sens classique du terme. Car seuls les exploités sont dans cette position où, pour se libérer de leurs chaînes (celles de l'exploitation par le travail), ils doivent détruire l'ensemble de la société capitaliste. Et bien sûr, ce n'est pas la bourgeoisie qui va défaire le capitalisme.
Dans la perspective révolutionnaire, la question est celle de la dynamique des soulèvements de cette classe des exploités-prolétaires. Une fois qu'un mouvement est enclenché, ce qui peut permettre la constitution d'une force révolutionnaire, c'est une dynamique qui se déploie dans le mouvement, et qui se dirige vers la remise en cause radicale de l'exploitation, c'est-à-dire des conditions d'existence des classes sociales. Alors, une force révolutionnaire peut prendre forme et gagner en puissance.
Pour ce qui est de savoir comment la révolution peut se réaliser, il est bien évidemment impossible de répondre avant qu'elle n'ait eu lieu. Car la forme de la révolution dépendra du mouvement et des pratiques qui auront permis historiquement l'émergence et l'extension de sa force. Cependant, on peut se risquer à énoncer quelques points logiques :

  • La dynamique d'un dépassement révolutionnaire émerge des pratiques au sein d'un mouvement — et non des idéologies ou des revendications.
  • La constitution d'une visée révolutionnaire au sein d'un mouvement est un point de bascule fondamental. Dès lors qu'une visée révolutionnaire s'énonce concrètement (c'est-à-dire lorsque le mouvement reconnaît et assume comme sien des pratiques qui lui permettent de prendre conscience de sa force révolutionnaire), alors s'engage une lutte, au sein même du mouvement, entre dynamique révolutionnaire et contre-révolutionnaire (appels au calme, à la négociation, à l'intégration à l'État ou à la prise du pouvoir d'État par des représentants, à une nouvelle constitution ou à un nouveau pacte démocratique, etc.). La lutte pour la force révolutionnaire se fait donc à la fois contre l'État et la classe capitaliste, mais aussi à l'intérieur du mouvement. Cette lutte, dans ces deux faces, ne se gagne pas par la prise de la direction du mouvement, mais par la propagation hégémonique des pratiques et initiatives qui étendent et accroissent la force révolutionnaire.
  • La naissance et la reconnaissance de cette potentialité révolutionnaire se construit en même temps qu'ont lieux les premières offensives qui devront conduire à la défaite du maintien de l'ordre, la mise « hors-service » de l'État, et l'arrêt de la production capitaliste : c'est le temps de l'insurrection.
  • L'insurrection ne peut être victorieuse que si elle trouve les moyens de reproduire la force révolutionnaire et d'étendre sa dynamique à partir de pratiques qui permettent une reproduction de l'existence qui n'ont pas l'exploitation et le pouvoir comme socle. En ce sens, le contenu de la révolution est bien l'abolition de la valeur et des rapports sociaux qui y sont liés.
  • La révolution correspond à la transformation du monde par l'extension, la généralisation, et la poursuite créative des pratiques d'entraides fondées sur l'abolition de la valeur nées à travers l'insurrection. La révolution communiste-libertaire vise à défaire le lien quantifié entre le travail et l'accès à des produits de subsistance. Elle vise une société où il n'existe pas une sphère du travail qui détermine (en fonction d'un temps de travail effectué ou de son équivalent quantifiable) la quantité de ce que l'on a le droit de recevoir. Le communisme libertaire est une société où on ne produit pas pour obtenir de quoi vivre, mais un monde où l'on vit en s'entraidant dans l'existence. Le « travail » est détruit pour laisser place à un entrelacement incommensurable des « faires » à travers l'entraide et le partage. Il n'y a plus de mode de production en tant que tel, car produire n'est plus une activité séparée de ce qui constitue l'ensemble de l'existence et de sa signification. Au fond, c'est cela que veut dire abolir la valeur.
  • La contagion insurrectionnelle et révolutionnaire doit nécessairement prendre une dimension internationale, afin d'abattre tous les États et pas simplement un État, afin de détruire les capacités de réorganisation et de contre-offensive de la bourgeoisie loin du foyer révolutionnaire, et afin d'éviter l'intervention d'autres États pour éteindre la révolution (comme les États-Unis l'ont fait régulièrement en Amérique latine, le France en Afrique, et plus récemment la Russie en Europe de l'Est).

Les partis et syndicats étant de plus en plus discrédités, le « municipalisme libertaire » théorisé par Murray Bookchin apparaît-il comme une possibilité ?

À l'heure actuelle, le municipalisme (ou communalisme) soi-disant libertaire n'est rien d'autre que de la social-démocratie vaguement participative. Nous voyons dans la tendance à « prendre des mairies », très en vogue actuellement chez certains anarchistes, une intégration de ces derniers à l'État local. Bien que Bookchin n'ait jamais vraiment lâché la question révolutionnaire, ceux qui se revendiquent aujourd'hui du municipalisme libertaire s'en tiennent en réalité le plus souvent à un simple municipalisme. Cette tendance s'articule avec des mouvements de désertion où quelques néo-ruraux, souvent sur-diplômés, se mettent aux affaires là où ils vivent. S'impliquer dans la vie politique de sa mairie, constituer des listes municipales « citoyennes » ou prôner la démocratie directe, cela n'a rien à voir avec l'anarchisme révolutionnaire que nous défendons. Pour une raison finalement simple : le municipalisme ne s'attaque pas au rapport social capitaliste et à son socle : la valeur. Il se pose comme une alternative à la gestion politique du capitalisme. Dans les luttes, nous devons être vigilants à ne pas tomber dans les tentatives de séduction de ce courant politique, et même le combattre. Car il est une théorie de la défaite : lorsqu'il s'exprime, c'est pour ramener les pratiques dans le giron de l'État et de la gestion « démocratique » du travail.
Le courant anarchiste a souvent fétichisé la forme « démocratique », que ce soit sous formes de procédures de décisions ou de conceptions fédératives des entités territoriales à « gouverner ». Le problème fondamental de toutes les propositions démocratiques est de vouloir créer un espace-temps séparé du reste de la vie où les décisions qui s'y prendraient seraient souveraines. On peut faire ici un parallèle avec le travail : si l'abolition de la valeur en passe par la disparition d'une sphère séparée du reste de la vie dédiée à la production mesurée et quantifiée, alors l'abolition de la politique telle que nous la connaissons est la disparition d'une sphère politique séparée du reste des pratiques quotidiennes permettant la reproduction de l'existence. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas des conflits interpersonnels, mais ils ne seront réglés ni par la division du travail, ni par l'ingénierie démocratique. Toutes les propositions démocratiques finissent par retomber sur une forme de souverainisme, que celui-ci soit justifié par des formes de vies « traditionnelles » de quelques-uns sur un espace particulier, le travail de la terre ou l'ancrage territorial en général. La démocratie revient en réalité toujours à justifier la constitution d'un pouvoir et les frontières de son emprise. Il s'agit de définir une communauté politique légitime et souveraine sur son territoire. En ce sens, la démocratie, y compris dans sa forme radicale et directe, définit une forme de propriété (elle définit son territoire) sur lequel sa légitimité décisionnelle s'exerce. On peut bien dire qu'il s'agit là d'une propriété « collective », ça n'y change pas grand chose : il s'agira de donner une assise à cette propriété. Et pour cela, quoi de mieux que le travail ? « La terre est à ceux qui la travaillent et l'habitent », entend-on jusque dans certains milieux libertaires. Contre cela, affirmons avec force que la terre n'appartient à personne. Cela ne veut pas dire que l'on ne peut pas se sentir attaché, voire appartenir à une terre. Mais cela n'a pas à devenir le fondement d'une quelconque forme de propriété sur laquelle un ascendant politique s'appuierait. C'est en tout cas la perspective révolutionnaire : détruire l'ensemble du mode de production capitaliste fondé sur le travail et la propriété, et détruire le pouvoir qui s'y fonde.

La révolution devrait-elle détruire l'industrie et la technologie ? Et si oui, s'agit-il d'une forme de primitivisme ?

 Les moyens de productions capitalistes sont entièrement tournés vers la production de valeur à travers l'exploitation. Ils sont la matérialisation même du rapport social capitaliste, et les moyens de son expansion. Or, les théories révolutionnaires anarchistes et communistes n'ont que très peu, voire pas du tout remis en cause la croyance en l'industrie. Ils la voyaient comme une technique neutre dont il s'agirait de s'emparer pour produire la base matérielle de la société communiste (libertaire ou pas). Quand aux critiques anti-industrielles ou anti-technologiques existantes, si elles ont eu le mérite de mettre en avant le fétichisme technologique et l'absurdité de la « neutralité » de l'industrie, la perspective révolutionnaire y est souvent discrète, voire absente. Il manquait une critique radicale de l'industrie et de la technologie dans une perspective révolutionnaire (et non morale, réformiste ou alternativiste).
L'industrie n'entre pas dans l'histoire comme une simple technique « neutre » de production, mais bien comme une technique d'exploitation capitaliste et de maintien de l'ordre. L'enfermement dans les usines a été une violence historique absolument brutale, où les capitalistes et la machine étatique tiennent les deux bouts de la prison industrielle qui se construit, et qu'il faut remplir de bras dociles. L'industrie s'impose par le sang et la misère.
Mais au-delà, l'industrie n'est rien d'autre que la matérialité même du mode de production capitaliste. Sur ce point, nous nous appuyons beaucoup sur Marx, qui a fait un travail remarquable sur la question, en dépit des positions clairement industrialistes du marxisme (mais ceci est vrai pour l'anarchisme également, comme nous l'avons dit). Détruire le capitalisme, cela implique donc de détruire l'industrie. Une usine est un lieu de travail, dédié à la production, où la planification technologique de la production règle le temps, les gestes, et plus généralement les possibles et les impossibles. Une usine ne sera jamais rien d'autre qu'un lieu de travail. Et l'industrie une organisation de la productivité et de la normalisation au sein d'une production massifiée. L'industrie est fondée sur l'extraction, l'échange, l'aliénation instrumentale, la division du travail, et plus fondamentalement la valeur. Il n'y a pas de place à un usage différent de son système de production. Au contraire, l'industrie c'est précisément la rationalisation scientifique de l'exploitation mise au chef de la production. C'est elle (et ses experts) qui dicte la façon dont s'organise le travail.
Une révolution qui tente de se baser sur l'industrie, on a déjà vu ça : dans les villes de l'Espagne révolutionnaire de 1936, notamment Barcelone (la situation était différente dans la ruralité Aragonaise). Cela donne des révolutions qui débouchent sur le retour des ouvriers dans les usines, pour reprendre le travail ! Voilà pourquoi une partie de la CNT en Catalogne s'est retrouvée avec des révoltes ouvrières contre elle à cette époque. Si on fait la révolution, c'est pour sortir de l'usine, pas pour y retourner en son nom. Et ceci est vrai plus fondamentalement pour le travail lui-même. L'industrie ne peut pas exister sans le travail — et la classe dirigeante (l'État) qui en assure les conditions. Abolir la valeur impliquera d'inventer des techniques qui ne se fondent pas sur le travail et sa rationalisation dans la production.
Il nous faut donc préciser un point important : nous faisons une critique de l'industrie et de la technologie, pas de la technique en général. Nous n'avons rien contre la technique. Mais il nous faut alors bien différencier « technique » et « technologie ». La technologie est la rationalisation instrumentale de l'exploitation. C'est le système d'exploitation rationaliste fondé sur la scientifisation du mode de production en vue de le perfectionner perpétuellement. En ce sens, l'industrie est une technique technologique. Mais toute technique n'est pas nécessairement technologique, toute machine n'est pas non plus nécessairement technologique. Et il peut y avoir de la technologie sans que ne soient employées des machines.
La révolution ne détruira donc pas la technique pour revenir à une forme de primitivisme quelconque. Au contraire, elle libèrera la technique de son enclave technologique et industrielle. L'industrie est une technologie qui vise l'augmentation de la productivité afin de réduire la part du coût de salaire à payer et augmenter les profits. Cela se fait par une normalisation et une massification de la production, et donc une uniformisation technologique de la technique. Or, la technique dans un monde communiste-libertaire, c'est une technique qui ouvre des champs à la variété des idées et des pratiques, une technique créative, orientée par et vers une multitude d'imaginaires foisonnants. Une technique qui ne vise pas la réduction du nombre de bras, mais l'accueil de chacun.

En somme, la révolution libère les forces créatives de la société, en détruisant les forces productives du Capital.


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La révolution n'est pas mécanique. Elle dépendra de nous.

Ce « nous » n'est pas celui d'un Parti ou d'un groupuscule. Mais seulement celui qui se construira à travers les luttes qui nous attendent. Au fond, c'est ce « nous » qui se cherche et se réinvente depuis bien des années, depuis des siècles même : celui de la classe exploitée qui passe à l'offensive.

Issus de ces mouvements et parlant à partir de ce qu'ils ont forgé en nous, nous défendons la visée d'une révolution anarchiste : une révolution sociale faite de multiples insurrections qui se fédèrent en s'opposant à la prise du pouvoir d'État, ainsi qu'à toute forme d'alternative gestionnaire, même lorsqu'elle se présente comme libertaire. Il s'agit de détruire le travail et le pouvoir politique, non de les transformer. Les chemins pour y parvenir sont à inventer au cœur des soulèvements de notre classe. Ils sont à créer à travers les luttes qui construisent ce « nous », en dépassant les catégories du pouvoir qui nous divisent entre exploités. Avec, pour objectif, la destruction de toutes les classes et du pouvoir qui structure leurs rapports.

Pour cela, ne tombons pas dans le piège des divisions identitaires, résistons aux illusions réformistes et retrouvons-nous tous ensemble dans les soulèvements qui s'annoncent. Renforçons l'offensivité de nos mouvements et leur capacité à s'étendre, organisons-nous contre tous les défenseurs de l'ordre et les forces contre-révolutionnaires qui veulent nous représenter auprès de l'État et nous conduire à la négociation. Œuvrons à la diffusion internationale des pratiques afin qu'elles soient rejoignables et reproductibles. Sachons identifier tout le monde matériel qui s'est érigé entre nous et la réappropriation collective de nos moyens d'existence : la contrainte au travail, l'organisation industrielle de la production, la transformation technologique de l'espace en métropole, le maintien de l'ordre économique par l'État. Et détruisons-le, mur par mur.

Seul un grand mouvement révolutionnaire constitué de multiples soulèvements peut nous permettre de déjouer le maintien de l'ordre tout en s'attaquant au cœur du problème : défaire le rapport social capitaliste, démanteler ses infrastructures, abattre l'État. La révolution impliquera forcément des moments d'affrontements violents. Les tenants de l'ordre capitaliste ne se laisseront pas faire. Mais il s'agit de bien plus : faire naître des façons de vivre où l'entraide incommensurable entre les personnes aura remplacé l'exploitation et le pouvoir ; une vie sans propriété privée et sans État, sans travail et sans argent : le communisme libertaire. La révolution ne s'arrête donc pas à l'insurrection, elle y prend son départ. Tout le défi qui nous attend est de parvenir, dans l'offensive, à transformer le monde.

Brochure - Pour un anarchisme révolutionnaire

[1] Voir sur ce point les 2 brochures suivantes :
Sur l'offensive Russe, la brochure de Mirasol : « La malédiction de Poutine. Soulèvements et raison d'État »
(https://camaraderevolution.org)
Sur le soulèvement au Kazakhstan : «  Kazakhstan. Récit d'un soulèvement de janvier 2022 »
(https://asaprevolution.net)

En PJ, la version PDF imprimable de la brochure.

murparmur@riseup.net

Notre émancipation nous appartient : Crise de la démocratie et gauche de la crise (1/3)

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Le texte qui suit est extrait d'une brochure non encore publiée et intitulée « Notre émancipation nous appartient ». Nous proposons de publier son contenu progressivement afin d'en faciliter la lecture.

Crise de la démocratie

« Les moutons vont à l'abattoir. Ils ne se disent rien, eux, et ils n'espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l'électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit. »

(Octave Mirbeau, La Grève des électeurs, 1888)

Derrière la crise de la démocratie, nous voyons l'agonie de la démocratie bourgeoise et le pourrissement de son outil cogestionnaire, la social-démocratie. L'opposition entre démocratie bourgeoise et dictature, autrefois présentées comme deux formes politiques irréconciliables, est désormais révolue. La social-démocratie, dont les vestiges peinent à maintenir leur intégrité, est chaque jour un peu plus dépassée. Elle est dépassée par le cours de l'histoire et l'évolution des rapports entre les classes, et ne peut que céder face à la contradiction entre son enracinement dans la démocratie libérale et les conséquences logiques de son projet de collaboration entre les classes. Le démantèlement progressif de l'État-providence, la centralité croissante du pouvoir exécutif et le développement ininterrompu des outils répressifs ne peuvent pas être infléchis par des forces politiques qui aspirent à gouverner le désastre, à prendre la main sur tout ce qui détruit la vie et à réconcilier l'inconciliable sur l'autel de la croissance nationale.

Aucune alliance, aucun front n'est envisageable avec les forces réformistes. D'une part, parce que ces organisations aspirent à nous gouverner quand nous aspirons à nous gouverner nous-mêmes. D'autre part, parce que la légitimité institutionnelle et les moyens pratiques (financements, locaux, outils d'impression et de communication, etc.) dont elles disposent nous rendraient immédiatement dépendant·es de leur bonne volonté. Enfin, parce qu'il n'y a aucune raison que la gauche institutionnelle déroge à son histoire. En 1914, la gauche a rallié l'Union sacrée et envoyé des millions de prolétaires mourir dans les charniers à ciel ouvert de la Première Guerre Mondiale. En 1919, de l'autre côté du Rhin, la gauche a envoyé les milices fascistes écraser les insurrections ouvrières de Berlin et de Bavière. En 1936, la gauche triomphante du Front Populaire renvoie les prolétaires au travail, récuse la révolution et prône « l'amélioration du sort des classes laborieuses dans le cadre de la société actuelle. » En 1940, l'écrasante majorité des députés de gauche vote les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. En 1968, au mois de mai, c'est la branche syndicale de la gauche institutionnelle qui empêche les étudiant·es révolutionnaires de fraterniser avec les ouvriers de Renault Billancourt, qui dénonce comme « dérive gauchiste » les occupations d'usines, et qui signe les accords de Grenelle pour rétablir l'ordre dans le pays. L'année suivante, en Belgique, cette même gauche syndicale qui désigne 61 ouvriers comme meneurs d'une grève sauvage de Citroën Bruxelles auprès de la police et les fait arrêter. C'est la gauche au pouvoir qui a visibilisé et normalisé les discours lepénistes : en 1981, François Mitterrand est intervenu en personne pour fournir du temps d'antenne à Jean-Marie Le Pen, afin de diviser la droite et de faire reculer le RPR. Entre 2015 et 2017, c'est la gauche de nouveau au pouvoir qui a accéléré le cours des réformes structurelles néolibérales, instauré l'état d'urgence et modernisé l'attirail juridique sécuritaire. C'est de son flanc, enfin, qu'est né le macronisme, aboutissement de décennies de compromissions social-libérales pour la prise du pouvoir, qui semble venir parachever le seul véritable accomplissement de cette gauche : paver la voie au fascisme au nom des valeurs républicaines en armant toujours plus l'État, dont on sait depuis les premiers balbutiements du mouvement ouvrier qu'il est l'instrument de classe qui exploite.

Et il faudrait placer nos espoirs et notre confiance dans les projets de celles et ceux qui, hier alliés de cette gauche et désormais plus radicaux donc présentables qu'elle, veulent désormais la remplacer et faire leur temps au pouvoir. Non merci. Les urnes, c'est pour les morts. L'abstentionnisme massif qui a caractérisé cette dernière vague d'élections (50% aux européennes, 65% aux régionales, 58% aux municipales, 28% au second tour des présidentielles sans compter les non-inscrits), ainsi que le rejet revendiqué de la politique institutionnelle par le plus grand mouvement contestataire que la France ait connu depuis un demi-siècle, sont là pour le rappeler.

Gauche de la crise

« Si un soulèvement devait se produire dans un avenir proche, la révolution devrait briser la chrysalide de la gauche dans laquelle elle a grandi et prendre son envol. Sinon, le poids mort de la politique nous entraînera une fois de plus vers la défaite. »

(Your Lazy Comrades, L'interrègne, 2022)

Force est de constater que la gauche institutionnelle, c'est-à-dire les gauches plus ou moins radicales mais toutes autant désireuses de nous gouverner, n'apportent aucune réponse concrète tant à la crise de la démocratie, qu'à celle généralisée du capitalisme. La gauche « socialiste » a fait tout le contraire avec, grossièrement, le « tournant de la rigueur » de 1983 et la Loi Travail de 2016. Après avoir légiféré au 49.3, la gauche du centre, s'est investie dans les efforts macronistes pour prolonger le supplice, à coups d'ordonnances cette fois. La gauche syndicale, ou plutôt ce qu'il en reste compte tenu du taux de syndicalisation en France, a depuis longtemps fini de devenir l'outil de cogestion et de pacification sociale bâtard auquel la destinait son assujettissement à la gauche parlementaire. La gauche « radicale », pour sa part, nous réchauffe les vieux programmes keynésiens qui avaient échoué en 1981-1982 et provoqué le tournant de la rigueur, tout en continuant de soumettre leur discours et leurs projets au double-objectif de croissance économique et de dilution des antagonismes dans le cadre national. La croissance, c'est l'accumulation du profit par l'exploitation des travailleurs et des travailleuses. La placer entre les mains d'un État républicain et moral n'enlève rien à la nature capitaliste du projet. La collaboration entre les classes sous le drapeau national, c'est le programme du fascisme. Rendre un pays néocolonial plus inclusif n'enlève rien à la nature réactionnaire de la nation. La gauche « anticapitaliste » est tellement résiduelle, empêtrée dans ses contradictions et clownesque que ce serait dommage de l'oublier : il y a les trotskistes qui scissionnent et se neutralisent dans leur course aux signatures ; il y a les insurrectionnalistes aux discours inaudibles et à la violence émeutière spécialisée ; il y a les communistes éparpillés et incapables de produire la moindre théorie critique ni stratégie cohérente ; il y a les libertaires qui réclament la relocalisation industrielle sans se rendre compte qu'ils appellent à refonder un pôle industriel national et nationalisé en pleine période de fascisation de l'État et de la société.

Sur le plan international, le positionnement de la gauche « radicale », celle la plus susceptible d'accéder au pouvoir dans les années à venir, est tout aussi ridicule. Il faut regarder en face le rapport de forces politiques comme La France Insoumise aux relations internationale et à l'État. Le fait que des souverainistes sur la ligne de Georges Kuzmanovic aient pu se retrouver dans les rangs de ce mouvement n'est pas anodin, mais logique. Il en va de même pour le passage des éléments les plus chauvins des formations réformistes dans les rangs fascistes la veille et à l'aube de la Seconde Guerre mondiale. L'ambiguïté des positionnements de Jean-Luc Mélenchon sur le pouvoir russe et ses manœuvres impérialistes, ou encore sur la légitimité du régime de Bashar Al-Assad, n'en est pas une. Tout comme le campisme de la gauche radicale ne traduit que leur religion de l'État et leur incapacité à penser la politique au-delà du gouvernement bureaucratique des peuples. Le leader de la France Insoumise défend volontiers la révolution bolivarienne et son État autoritaire, bureaucratisé et militarisé, gestionnaire capitaliste des ressources hydrocarbures. Il s'est empressé de saluer Andrés Manuel López Obrador, président « de gauche » élu sur des fausses promesses progressistes peu différentes de celles de nos leaders réformistes, et sa volonté de « rupture » avec le néolibéralisme. Sans surprise, il a immédiatement validé plusieurs mégaprojets et poursuivi les efforts de son parti pour neutraliser les instances indigènes autonomes, que ce soit par la création d'instances concurrentes à celles zapatistes ou par la collaboration active avec des paramilitaires. La gauche « molle », elle, a depuis longtemps abandonné les oppositions incantatoires de posture au profit du silence complice en période d'opposition, et de l'intervention militaire en période d'exercice du pouvoir.

Que peut-on attendre de ces gauches face à la barbarie moderne rampante et à l'état d'exception mondial permanent ? Rien. Nous devons rompre avec elle.

Rupture

« Le parlementarisme républicain, sous le masque de mythes que tous savent avariés (légitimité par le vote, état de droit, justice sociale), masque ce qu'il est réellement : le lieu de coagulation des différentes tendances d'une même force politique, celle de la démocratie représentative bourgeoise, héritière du scrutin censitaire, du monarchisme constitutionnel et du jacobinisme – tous adversaires historiques de la démocratie directe et du droit du peuple à se gouverner lui-même. »

(Tibor, Contre la politique, 2022)

Lors de la mascarade électorale présidentielle, le candidat sortant et grand favori du scrutin a refusé de débattre avec ses concurrents. Le pouvoir, incarné dans la figure du président, ne se sent même plus obligé de participer à sa propre mise-en-scène. Le monologue du pouvoir, dont le vocabulaire et les émetteurs n'ont de cesse de pencher à l'extrême droite, ne cherche presque plus à se déguiser en dialogue démocratique. La politique est une sphère séparée de la vie, sur laquelle nous n'avons aucun pouvoir. La progression de l'abstentionnisme dans les classes populaires, qui vient saper le mythe fondateur de la démocratie bourgeoise, est sans doute le fait le plus important de notre époque : voter ne sert à rien, aucun changement radical de la situation dans laquelle nous nous trouvons n'adviendra par le pouvoir du bulletin de vote. Plus nous nous détournons des formes aliénantes de la politique, plus nous nous montrons capables de faire émerger les nôtres, spontanées et instinctives, et d'en choisir nous-mêmes le contenu. Cette idée fait horreur aux organisations traditionnelles du prolétariat, à la gauche parlementaire et syndicale qui, dans leur entreprise de destruction de la conscience de classe, ont porté la ruine et l'inculture jusqu'à confondre l'idée de « démocratie » avec la politique parlementariste. Nous n'avons rien à attendre de cette gauche, et tout à gagner à rompre avec elle.

Rompre avec cette gauche ne signifie pas seulement dénoncer son adhésion aux mythes meurtriers de l'État-nation et son rôle crucial dans la stabilité du système de classes, auquel elle apporte sa légitimité morale ; c'est rompre avec la pudibonderie bourgeoise de nos « alliés » du camp radical, qui, trop peureux et trop conformistes pour se défaire des vieilles habitudes, pensent encore qu'une unité des divers secteurs de ceux qui prétendent changer la société peut faire effet. Ces gens s'abreuvent d'illusions : l'espoir, qui justifie de ne pas aller au bout de ses convictions en s'en remettant à l'idée d'un miracle grâce au vote ou à une quelconque spontanéité ; la martyrologie, qui justifie de ne pas réfléchir plus en avant à la nature de notre discours, en adoptant automatiquement une réponse émotionnelle à des problèmes politiques ; le folklorisme et le fétichisme de la lutte, qui justifient de ne pas penser les problèmes de notre époque avec nos propres armes, en se contentant de récupérer des outils périmés et des figures avariées d'une histoire pourtant riche en enseignements ; la convergence des luttes, illusion suprême qui voudrait qu'un front commun de toute la gauche puisse l'emporter sous couvert d'un refus d'assumer la contradiction – ce qui bénéficie systématiquement aux secteurs les plus réformistes et les plus partisans du statu quo. Rompre avec cette gauche, c'est se défaire des illusions nécessaires au fonctionnement du système. Tant que ces mensonges intéressés serviront à faire basculer celles et ceux qui aspirent à un renversement du système vers le retranchement confortable de positions suivistes et réformistes, vers le mensonge agréable d'une action circulaire, figée, dans les vieux circuits de la réforme et du mouvement social dominé par les dinosaures réformistes ; tant que ces mensonges serviront de légitimité morale à l'irresponsabilité, la lâcheté et l'incapacité à s'organiser et à lutter efficacement, alors il n'y aura aucun mouvement suffisamment fort pour freiner la barbarisation de la démocratie bourgeoise et du capital.

Notre force dépend de notre capacité à aller jusqu'au bout de nos convictions, à refuser de se compromettre avec tout ce qui cherche à intégrer notre critique au système pour mieux la neutraliser. Car la révolution n'est pas dans le prolongement de la réforme : elle est une voie qui considère simplement que toute idée d'un camp réformateur de la société, d'un progrès humain opposé à un conservatisme des dominants, d'une démocratie à améliorer ou réformer, est une confusion entretenue par le système. L'idée même que nous pourrions pactiser temporairement avec les « moins à gauche », les réformateurs timides, les révolutionnaires du dimanche, est une impasse récurrente du mouvement ouvrier, qui a toujours mené à la même défaite ridicule : la trahison des secteurs les plus avancé de la contestation une fois leur travail accompli. La réalité est que l'immense majorité des travailleurs, des opprimés, des gauchistes, doivent être extirpés par la démonstration et par la critique sans compromis, des mythologies étatistes et réformistes. Par conformisme et par suivisme, les vieilles forces politiques de conservation de la société conservent l'adhésion des masses : pour détruire cette situation figée, il faut se défaire de toute adhésion aux mensonges confortables d'une unité des buts qui demande simplement de choisir les bons moyens : nous voulons changer entièrement le système, ils veulent le conserver en plus sympathique. Le fait que les opprimés et les travailleurs soient les bénéficiaires supposés de ces deux ambitions différentes n'est pas la raison pour laquelle nous devons être alliés : c'est la raison pour laquelle nous sommes résolument ennemis.

À suivre

Sommaire :
Crise de la démocratie et gauche de la crise (1/3)
Crise du capital, capitale de la crise (2/3)
Fascisme, modernité et encadrement (3/3)

Actions et stratégies : retour d'expérience sur l'occupation de la Sorbonne

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

En venant simplement participer à une AG nous nous sommes retrouvées à occuper un bâtiment où, pour la plupart d'entre nous, nous n'avions jamais mis les pieds et à construire un mouvement pour acter une révolte contre les élections et leur monde.

Du mercredi 13 avril au jeudi 14 avril 2022, la Sorbonne « mère » a été occupée pour acter une révolte contre les élections, la montée de l'extrême droite et du fascisme, l'urgence écologique, la destruction des acquis sociaux par le néolibéralisme ambiant. Nous nous sentons en guerre contre ce monde et agir nous semble la moindre des choses. C'est pourquoi, en venant simplement participer à une AG nous nous sommes retrouvées occupant un bâtiment où, pour la plupart d'entre nous, nous n'avions jamais mis les pieds.

Dégonder les portes, déconnecter les serveurs : Petites actions et sabotages de l'occupation

On serait tentées de ne retenir de l'occupation de la Sorbonne que la manière dont elle s'est finie : c'est-à-dire par un siège policier et un départ de l'occupation loin d'être empouvoirant. Pour nous, cette image ne représente pas tout ce qui a pu se passer et on trouve important de visibilliser quelques trucs cools qui ont eu lieu. Les médias, la police et la justice auront toujours pour travail de décrédibiliser nos actes et criminaliser nos existences. Ils rangent nos actes et nos existences dans des cases : « dégradation », « mouvance anarcho autonome », « groupement en vue de commettre des violences », « black blocks » etc. Nous refuserons toujours de nous identifier à leurs catégories comme nous refuserons de reconnaître leurs chefs d'inculpations et nous agirons toujours pour faire déborder les révoltes, parce que c'est ainsi qu'on pourra marquer un rapport de force dans cette société de merde, et qu'aucun mode d'existence et d'action ne nous parait plus pertinent depuis notre position. Nous pensons qu'écrire sur les murs, transformer l'espace qui nous entoure, c'est se réapproprier les lieux qui nous sont dédiés. Parce que nous n'avons rien, prenons tout ! Attaquer la fac c'est attaquer la reproduction des classes sociales qu'elle permet. C'est attaquer le cours des choses, qui nous impose que quand on naît fille d'ouvrier on sera nous-même vouée à se tuer le dos pour un maigre salaire et n'avoir aucun temps libre. Occuper et attaquer la fac, c'est nous mettre en grève, dévier le train-train quotidien. Même si, quand on a la chance de pouvoir y accéder, on trouve son compte dans l'université, car les cours nous stimulent au niveau intellectuel, ça reste un lieu d'oppressions, un lieu symbolique de la violence de la guerre sociale, de la guerre de classe, de genre et de race. Nous n'oublions pas que selon leur condition, des étudiant.es se font décourager de poursuivre leurs études, voire subissent un harcèlement sexiste ou raciste par les profs qui ont un ascendant sur elleux, ces mêmes raclures pompent les mémoires de leurs élèves pour leur propre compte, ou se refont de jolies réputations de profs allié.es gauchistes sur le dos des étudiant.es en luttes, etc.

C'est, entre mille autres choses, pourquoi plein de petites actions ont fleuri tout au long de l'occupation et pourquoi nous refusons la sacralisation de la fac comme un lieu d'étude à préserver, blablabla. En voici un florilège :

  • Pour refaire la déco de nos chambres, pour avoir un maximum de fournitures scolaires ou juste pour le kiff, on a essayé de rentrer dans les salles de cours, les bureaux, les bibliothèques, etc. À l'intérieur des bureaux, on a trouvé des clés qui donnaient accès à d'autres bureaux, et tout un tas de trucs plus ou moins utiles qu'on a pu ramener chez nous ou utiliser sur place, comme des imprimantes pour diffuser des tracts, des bouilloires et cafetières, des balais ou des produits ménagers, des ordis, des projectiles. C'était pas toujours facile d'ouvrir les salles, parce que le matos manquait, mais au final, toutes les portes s'ouvrent.
  • Et ça tombe bien, car il fallait garantir des accès pour pouvoir renouveler les occupant.es, faire passer le ravitaillement et garder des salles occupées en empêchant les sécurités de les fermer à clé. Naturellement, des portes ont donc été ouvertes grâce à des coups d'extincteurs, des portes ont été dégondées (il suffit de soulever) et entreposées pour faire des barricades. Avis aux curieux.ses comme nous, il existe de nombreuses techniques pour ouvrir des portes vérouillées, donc certaines sont très bien expliquées dans cette petite brochure 'Toutes les portes s'ouvrent". (https://infokiosques.net/spip.php?page=resume&id_article=1814)
  • Dans la fac, il y avait quelques caméras, surtout aux portes de sorties. Certaines ont été dégomées à coup de poubelles, d'autres ont juste été tirées au sol à la main, d'autres ne voyaient plus rien car un super autocollant leur recouvraient la vue. Bref, on s'était dit que c'était mieux qu'elles soient hors d'état, car elles peuvent fournir des preuves pour nous incriminer nous ou des camarades. Des membres de l'administration ou de la police auraient pu reconnaître certain.es d'entre nous dessus.
  • Plusieurs personnes ont aussi développé des talents cachés sur le fonctionnement des distributeurs de bouffe et des machines à café. Ils ont été ouverts à l'aide de pieds de biche, on a pu bouffer un max d'oréos. Et en trifouillant un peu, c'était pas compliqué de trouver leurs réserves de thunes, ça a notamment permis d'acheter de la bouffe pour l'occupation ou de faire des dons. Mais on n'a pas réussi à faire fonctionner les machines à café...
  • Le jeudi midi, pendant un rassemblement de soutien place de la Sorbonne, pour faire diversion et tenter de faire entrer de nouvelles personnes, des occupant.es ont lancé un maximum de mobilier, de tables, de chaises sur des camions de policiers. Iels ont jeté de la poudre d'extincteur et de l'eau sur les flics eux-même. Ça n'a finalement pas permis de faire entrer des gens dans la Sorbonne, mais ça défoulait, et puis ça a pas mal désorganisé les keufs. On se dit qu'on aurait pu faire ça a d'autres occasions, comme lors de sorties ou d'entrées, pour mettre des bâtons dans les roues des forces de l'ordre.
  • La question des tags a été importante et on y a passé beaucoup de temps en AG. A vrai-dire, c'était même plus important que la défense collective juridique des personnes sans papiers...

« Vous allez encore dire que je suis bourgeoise, mais les fresques antiques au dessus des amphis c'est tellement plus profond que vos tags tout moches sur les murs ». De toute façon les tags étaient déjà faits avant que l'AG prenne une décision lol et ils auraient continué quoi qu'il soit décidé. On écrivait juste ce qui nous passait par la tête, avec des fautes et des dessins. On peignait des symboles anarchistes, féministes trans-inclusifs, des symboles de squats. On pouvait notamment lire « Feu aux CRA » , « Squat partout », « La révolution est un devoir » « Ni le Pen ni Macron »

  • On a vu aussi que toute la connectique de certains placards de réseau internet, des switch, des serveurs, avait été débranchée. On pense que c'est pas mal efficace pour empêcher la reprise normale de l'activité à la Sorbonne parce que ça doit être compliqué et long à rebrancher.
  • À un moment de notre exploration des bâtiments, on est tombés sur des galeries souterraines sous la Sorbonne, c'était diiiingue (comme quand on était sur les toits), en plus, dans ce genre de sous sols, il peut y avoir du matériel de bricolage dont on peut se servir pour améliorer nos barricades (des serflexs, du cable, ...), on peut aussi y découvrir de nouvelles sorties ou des accès au reste du bâtiment.
  • Au début de l'occup, l'idée a été mentionnée d'aller faire une autoréduction au Vieux Campeur et de revenir directement dans la fac, malheureusement ça n'a pas été mis en place :'(

AG éternelle, Service d'Ordre autogéré et nos saints ravitailleureuses : des questions d'organisation autonome

Les actions ça ne fait pas tout, et il nous fallait réfléchir à comment tenir une occupation dans le temps. ça a aussi beaucoup pris de place pendant les débats en AG. L'AG du midi s'est transformer en une AG infinie. Finalement deux vies se sont déroulées parallèlement dans cette occupation, certain.es s'organisaient en petits groupes sur des tâches différentes, d'autres semblaient vouloir parlementer en amphi toute la sainte journée et voter des choses plus ou moins importantes. Beaucoup d'entre nous faisions des allers retours entre ces modes. L'AG a été utile pour organiser des groupes de travail. Par exemple un groupe communication chargé de rédiger le communiqué de l'occupation. Il était vital de se répartir les tâches, puisque tout le monde ne peut pas être partout, et ça valait vraiment le coup de faire des petits groupes autonomes. Différents travaux militants ont été menés, et qu'il faut apprendre à valoriser comme il se doit, comme le travail de diffusion de la culture antirep, le travail autour de la communication avec l'extérieur.

Pour le SO, le mercredi soir, ça a un peu viré au cauchemar. Un groupe d'une quinzaine de mecs virilistes se baladait dans les couloirs avec des barres de fer pour « faire appliquer les décisions de l'AG », c'est-à-dire qu'ils empêchaient toute « dégradation » ou tout comportement qui ne leur plaisait pas, considérant comme suspect n'importe qui traînant trop longtemps dans les couloirs. Ils n'hésitaient pas à nous empêcher physiquement d'ouvrir des portes, de prendre des trucs, à utiliser des techniques de keufs, genre venir à 15, prendre à partie quelqu'un dans des petits espaces, avoir des brassards de couleur. C'était vraiment le pouvoir éxecutif qui ré-apparaissait, qui venait appliquer les décisions plus ou moins votées en AG. De toute façon le vote c'est naze. On s'est retrouvé à devoir cacher les actions qu'on faisait, à devoir guetter s'ils arrivaient pendant qu'on essayait d'ouvrir des portes... Dans une occupation qui est censée nous émanciper, être traitées comme des enfants qui faisions des bêtises, c'était de la grosse merde.

On a pu en parler avec des gens du SO après coup, qui nous ont expliqué que c'était pas les objectifs initiaux du SO, qui avait été présenté comme un groupe chargé de faire de l'autodéfense, contre les flics ou les fafs. Ce groupe de 15 mecs s'est visiblement incrusté dans le SO, et on ne les a plus vu le jeudi matin. Suite à ça, pour éviter que le SO soit trop viriliste, y'a eu des appels gênants en AG pour que, s'il vous plaît, les personnes non mec cis het rejoignez le SO, ça règlera les problèmes, et allez, on passe à autre chose. On se dit que pour éviter ce genre de problèmes, mieux vaudrait pas appeller ça a un SO. Le SO, pour nous, c'est les types baraqués de la CGT qui nous empêchent de faire des actions en manifs, font en sorte qu'on ne puisse pas rejoindre leur cortège en cas de mouvement de foule, et nourrissent le travail de la police en validant les catégories de bon.ne ou mauvais.e manifestant.e. Au sein de l'occup, pourquoi reprendre cet imaginaire macho des syndicats ? Pourquoi ne pas appeler ce groupe « groupe d'autodéfense » par exemple ? ça correspondrait mieux aux objectifs qui avaient étés fixés. Et être vigilant à qui constitue ce groupe dès le départ et si de faite ça intéresse que les mecs cis-het de faire partie du SO peut être que c'est pas pertinent d'en avoir un. Et puis on pense qu'il n'y a pas à imposer par la force les décisions prises en AG, parce qu'on est pas là pour refonder un État à l'intérieur des occups.

Par ailleurs, clairement, il y a des gens qui connaissent les lieux, et d'autres absoulment pas, c'est pourquoi l'AG est un bon moment pour faire un plan du bâtiment pour que tout le monde sache se situer. C'est aussi important en cas d'attaque ou d'expulsion. Peut-être que la prochaine fois on pourrait photocopier un plan de la fac à distribuer.

Peut-être qu'un groupe communication pourrait être utile à l'intérieur entre les personnes réparties en plusieurs salles et étage est compliqué. Quand on a décidé collectivement de sortir toustes ensembles on a failli laisser des gens à l'intérieur car on ne les trouvait pas et qu'on ne savait pas combien on était.

Il faut aussi parler du rôle des gens dehors, des gens qui font les courses, merci à elleux. Pour un exemple de choses à faire quand on est pas sur place, mais qu'on a de la force à l'extérieur, un soir des gens du squat de la Baudrière, un squat anarchiste, féministe et TransPédéGouine de Montreuil (labaudriere.noblogs.org) ont fait une cantine qu'iels ont apportée sur place. Aussi, le 2e jour, y'a eu la mise en place d'un groupe de care et d'écoute à l'infirmerie.

Individualisation face aux keufs, négociations plombantes et sortie collective en grappe. Retour critique sur quelques stratégies de l'occupation :

La stratégie des flics a été gagnante sur cette occupation. Ils ont assiégé la Sorbonne, ce qui rendait impossible le roulement des personnes à l'intérieur, le ravitaillement, et a provoqué de la panique et un certain desespoir. Ils bénéficient aussi de cette stratégie dans le sens où il n'y a pas d'expulsion formelle. Les occupant.es, lassé.es et apeuré.es sortent par elleux-même. Pas de scandale.

Ainsi, le deuxième jour, dans l'après-midi, des personnes seraient allées négocier avec les keufs comment sortir, une fois le siège mis en place. On trouve aberrant d'aller négocier avec la police qui nous matraque et réprime nos luttes, encore en plus pour obtenir de telles merdes : Les policiers voulaient qu'on sorte deux par deux en montrant nos papiers. Quoi de plus classique pour détruire la solidarité entre nous, et relever des identités qu'ils pourront convoquer par la suite, s'il y a des poursuite de la part de la fac. Le défi pour nous à ce moment là c'était de faire masse pour éviter la répression qui passe forcément par l'individualisation.

Déjà en AG, des personnes ont proposé de sortir toustes ensemble, sans montrer nos papiers. Mais on entendait déjà de nombreus.ses camarades chuchoter qu'iels montreraient leurs papiers, ce qui a créé une ambiance de méfiance entre nous.

Avec le recul, on pense que c'était tout à fait normal que nous ayions peur, que nous paniquions. Être assiégées ça fait flipper, et on pouvait craindre que les flics rentrent dans l'occupation et nous passent à tabac, personne n'en aurait été témoin. Mais face à cette situation peut-être qu'on aurait dû prendre plus le temps de discuter collectivement. On aurait pu mieux se rassurer, se donner de la force, se partager des conseils d'anti-répression, des gestes réflexes à avoir si on se fait matraquer ou arrêter.

Finalement, nous on a décidé de sortir en grappe de gens. La grappe, c'est une technique de défense collective dans la rue, qui consiste à se regrouper avec les gens avec qui ont veut faire corps, en se tenant les unes aux autres par les épaules, pour éviter les arrestations. C'était stylé, mais la grappe d'une soixantaine de personne à été coupée en deux par les FDO qui ont matraqué et refermé les portes, enfermant la moitié des gens à l'intérieur. D'ailleurs la grappe a été coupée à l'endroit où les gens étaient moins nombreux.ses car elle avait été formée dans une salle et elle continuait avec des gens dans un couloir plus étroit. Les flics ont donc coupé la grappe à l'endroit où le couloir commençait, ce qui peut donner à réfléchir pour les fois suivantes. Peut-être qu'on aurait dû mieux se tenir à ce moment là, refuser de partir tant que toute la grappe n'était pas sortie entierement par la porte. On a aussi entendu qu'au moment où la grappe allait sortir, tout le monde n'était pas prêt.e, et que des personnes qui craignaient, à raison, de se faire maltraiter à la sortie, n'ont pas osé sortir à ce moment là. On aurait pu prendre plus de temps pour préparer cette sortie en grappe d'occupant.es solidaire, que les personnes qui se sentaient le moins bien puissent se placer au milieu de la grappe, et ne laisser personne derrière.

Suite à cela, les personnes qui étaient restées à l'intérieur ont sorti un communiqué vidéo qui nous a fait grimacer. Sur les images on voyait une trentaine de jeunes plus ou moins masqués, la tête basse, parqués dans la cour. Et un.e étudiant.e qui filmait et disait que l'occupation est pacifique, que c'est notre droit constitutionnel de protester, qu'iels sortirait dans le calme, qu'iels avaient peur. En voyant ces images on était dégoûté.es. Même si nous comprenions que nos camarades puissent avoir peur et voulaient sortir, même si nous nous sentions solidaires d'elleux, nous ne nous reconnaissions pas du tout dans ces paroles. Nous pensons qu'avoir un discours victimaire et une position dos courbé ne nous donne aucune force, aucun espoir, ne donne envie à personne de nous rejoindre, et ne nous sert même pas stratégiquement. Nous sommes convaincu.es que la violence de l'auto-défense est légitime, et nous nous sentons solidaires des personnes qui se réapproprient la violence exercée contre eux par la société capitaliste, raciste et sexiste. Nous ne voulons pas nous fonder sur la loi ou sur nos dits « droits » pour justifier de nos actes, car ceux qui régissent le droit et la loi sont des vieux gars blancs qui n'ont aucune idée de ce que sont nos existences, et que la loi nous condamnera toujours. Nous pensons qu'il est sain de se dire quand on a peur, et de tisser des liens de confiance qui nous renforcent dans nos luttes, de trouver des stratagèmes pour que nos luttes soient inclusives et que chacun.e y ait sa place.

De plus, nous avons aussi passer un certain moment dans la rue hors de l'occupation pour la soutenir. Le soir de la sortie, l'ambiance était plombante, car nous étions inquiet.es pour nos camarades à l'intérieur et l'air avait comme une odeur de défaite. Nous étions impuissan.tes, rassemblé.es devant les flics qui tenaient le siège. Les gens ont commencé à s'asseoir et nous avons attendu là des heures. Nous avons tenté de proposer de faire une AG des soutiens extérieurs, mais les camarades sont sortis à ce moment là. On aurait pu s'organiser plus tôt pour permettre une sortie collective en se coordonnant avec l'intérieur. Si on avait eu envie et l'énergie on aurait pu essayer de constituer un cortège qui aurait fait pression sur les keufs qui eux aussi commençaient à s'endormir, pour atteindre les portes à quelques mètres et repartir toustes ensemble avec les occupant.es.

Pour finir on voulait rappeler quelques conseils de défense collective, lors d'actions, d'occupation ou de manifs. On n'a pas besoin d'être tout en noir mais on peut prévoir des tenues pour rester à peu près anonyme, sans trop de logos ou motifs reconnaissables, quelque chose pour masquer son visage, et des gants pour ne pas laisser ses empreintes partout. Les flics et l'administration se feraient une joie de reconnaître certain.es d'entre nous pour nous poursuivre en justice. Ou bien de comparer les vêtements des personne arrêtées avec les vêtements des personnes qui auraient été filmées en train de faire telle ou telle action.

Ne pas prendre ses papiers sur soi, c'est déjà rester anonyme et se donner la possibilité de mentir sur son idendité en cas de contrôle à la va-vite, mais c'est aussi être solidaire des personnes recherchés, fichés, sans papiers, réfugié.es, non français.es etc

Certain.es occupant.es n'avaient pas en tête les quelques conseis basiques de défense collective, on peut en retrouver pas mal sur ce site https://defensecollectiveparisbanlieues.noblogs.org/ ou bien dans ce petit manuel https://defensecollectiveparisbanlieues.noblogs.org/brochure-de-a-a-z/

Par ailleurs, c'est possible de concacter la Défense Collective Paris Banlieues sur ce mail si on a des questions ou qu'on est convoqué. defensecollective-pb@riseup.net

Quelques participantes autonomes et déter

Présentation à la librairie Libertalia d'« Abattoir à domicile, utopie rock'n'roll »

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Le 13 mai, à 19h30, Christophe Pagnon, auteur d'Abattoir à domicile édité aux éditions du bout de la ville
présentera son livre à la librairie Libertalia, 12, rue Marcelin-Berthelot ; 93100 Montreuil

https://www.librairielibertalia.com/web/nos-rdv.html

C'est l'histoire d'une bande de potes qui montent un groupe de rock and roll au milieu des années 1980. Ils rêvent de révolution, pas de maison de disque. Alors ils achètent un vieux camion qu'ils aménagent en scène nomade et ils se lancent sur les routes pour jouer, partout où on les attend pas, leurs comptines cruelles du vieux monde à l'agonie.
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Dans cette ode fiévreuse à la gratuité, à la débrouille collective et à l'ivresse de vivre, l'auteur se met en quête des jours enfuis et des passions éteintes. Que reste-t-il à transmettre de ces années de présent perpétuel où ne comptait que l'instant ? Peut-être, dans une époque qui semble se refermer toujours plus, le sentiment partagé que tout est possible, la joie comme arme de subversion, l'écume des jours érigée en art.

Christophe Pagnon est déjà l'auteur de deux pièces de théâtre – Moi toute seule ! et Casse-Départ – et d'un roman – Le Ciel renversé – parus chez L'Insomniaque. Il a également écrit de nombreuses pièces radiophoniques

Les éditions du bout de la ville
http://leseditionsduboutdelaville.com/index.php

Menaces sur le droit à l'avortement aux États-Unis : le collectif Avortement Europe dénonce une énième tentative de restreindre le droit des femmes à disposer de leur corps !

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Appel à manifester ce vendredi 6 mai à 18h place de la République.

Nous le savons, nos droits ne sont jamais acquis.

L'appropriation du corps des femmes par le patriarcat a la peau dure comme le démontrent les révélations du journal Politico. Les effets délétères des politiques réactionnaires du gouvernement républicain de Donald Trump et des mouvements anti-avortement se poursuivent malgré le changement politique démocrate à la présidence des USA.
Le journal Politico a révélé le 2 mai 2022 que des menaces pèsent sur la jurisprudence dite « Roe vs Wade ».

D'après cette jurisprudence, le droit à l'avortement est garanti par la Constitution au titre du respect de la vie privée. Le journal affirme cela en s'appuyant sur l'avant-projet d'une décision majoritaire de la Cour Suprême américaine le 10 février dernier rédigée par le juge conservateur Samuel Alito. Le texte prétend que l'arrêt Roe vs Wade serait « infondé » et doit faire l'objet de négociations jusqu'au 30 juin de cette année.

Comment une telle régression a-t-elle été rendue possible ?
Donald Trump, adversaire déclaré du droit à l'avortement, avait à l'époque de son mandat œuvré contre celui-ci en nommant à la Cour Suprême trois magistrats conservateurs. Ils confortaient ainsi sa majorité antichoix comptant 6 juges sur les 9 que dénombre la Cour Suprême. C'est cette même cour voulue par Trump qui n'a pas empêché la promulgation d'une loi texane limitant le droit à l'avortement aux 6 premières semaines de grossesse et c'est en délibérant au sujet d'une loi de l'état du Mississipi, qui remet en question le délai légal pour recourir à un avortement qu'une majorité des juges de la Cour Suprême s'est dite prête à annuler purement et simplement l'arrêt Roe vs Wade. Le document publié par Politico concerne ces délibérations.

Si cette décision entre en vigueur, le droit à l'avortement aux USA ne sera plus garanti par la Constitution, la décision de maintenir l'accès à l'avortement pour les femmes sera donc laissée à l'appréciation de chaque État. Ce serait près de 26 États qui pourraient décider d'interdire l'avortement, ce qui affecterait 36 millions de femmes selon Planned Parenthood action Fund.

Par ailleurs, interdire l'avortement ne signifie pas qu'il en y aura moins.
Les femmes qui ont besoin d'avorter trouveront un moyen de le faire et beaucoup seront obligées de se tourner vers des méthodes dangereuses qui pourraient causer des dommages graves, voire entraîner la mort. Les femmes précaires et marginalisées qui ont déjà des difficultés d'accès aux soins, seraient d'autant plus impactées.
Cela constituerait une immense régression en termes de droits des femmes dans le pays et un symbole effroyable pour le monde entier !

Nous, collectif avortement Europe, dénonçons une menace inadmissible au droit à disposer de notre corps !
Nous soutenons sans réserve les mobilisations des femmes américaines et appelons à manifester vendredi 6 mai 2022 à 18 heures place de la République et partout en France où cela est possible !

Les membres du Collectif Avortement Europe, les femmes décident dont notamment : ANCIC, ANSFO, Collectif CIVG Tenon, Democracy, FSU, Fédération SUD Santé Sociaux , Collectif National pour le Droit des Femmes, CADAC, Osez Le Féminisme, Parti Communiste, Planning Familial, Union syndicale Solidaires Marche Mondiale des Femmes France