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Procès 1312 : suite à l'acquittement du flic éborgneur, les mots de la rage

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Nous rassemblons dans cet article trois textes écrits à chaud par des personnes ayant assisté aux trois jours d'audience de la cour d'assises de Paris qui a finalement acquitté le CRS mutilateur — reconnu coupable mais exonéré de sa responsabilité pour « légitime défense » !

Nous, l'arrière-scène

Nous sommes l'arrière-scène du procès. Celleux qu'on appelle « le public ». Les spectateurices silencieux.ses, passif.ves, dont le seul droit est d'exister là comme un tout confus d'individus indéterminés, là pour regarder mais pas voir, écouter mais pas entendre, penser mais pas parler.

Nous, l'arrière-scène, on a été acteurs et actrices lors du procès aux assises du policier qui a éborgné Laurent Théron. Nous l'avons été et avons résisté. Nous ne nous sommes pas tenues sages.

Nous, l'arrière-scène, avons arraché des droits que le théâtre de la justice nous refuse en prenant une place qui ne nous était pas attribuée.

Nous avons arraché le droit de nous distinguer. Nous nous sommes d'abord distingué.e.s des flics : chacun.e dans notre camp, nous avons dessiné une fracture visible entre eux et nous. Nous étions plus nombreux.ses, plus joyeux.ses, plus agité.e.s, plus solidaires. Nous qui ne nous connaissions pas tou.te.s, avons créé un lien visible, matériel, dans cette salle où celleux qui se tenaient sages et indifférenciés dans les quelques bancs formant un carré stricte étaient les keufs. Dans la rue comme ici, ils se ressemblent tous, en formation, au garde à vous. Même dépourvus de leurs uniformes, ils constituent la masse informe d'un même corps docile qui ne comprend que le langage de l'ordre, de la peur et de l'autorité.

Nous nous sommes distingué.e.s en entrant et sortant bruyamment, en toussant lorsque les identités des témoins étaient dites à la barre pour ne pas leur donner le loisir de les entendre. En riant ouvertement lorsque les absurdités tristement banales qui constitue le discours pénal étaient énoncées. En applaudissant lorsque nos camarades et ami.e.s affrontaient ce discours en prononçant des mots qui ne devraient selon eux pas avoir leur place dans un tribunal. En boycottant la plaidoirie de Liénard. En levant la voix pour réclamer notre droit à entendre ce qui se disait malgré la lacheté de Lienard qui refusait de parler dans le micro. C'est par cette multitude de gestes, d'attitude, de bruits que nous avons résisté. Nous avons désobéi. Nous avons refusé l'injonction à nous taire, malgré les nombreux rappels agacés de la présidente. Notre corps à nous, il a montré qu'il était à la fois multiple et uni par les multiples actes de résistance que chacun.e a décidé d'opérer. Nous sommes un corps parce que chacun.e de nous peut prendre la liberté de décider où, quand et comment il ou elle peut transgresser l'ordre des choses, et accepter que d'autres ne le fassent pas de la même manière. Pourtant, les moments d'applaudissements et de rire général, insupportables pour la cour, ainsi que les chants entonnés dans les couloirs des tribunaux montrent que nous savons nous retrouver en une voix. Nous n'avons ni besoin de chef, ni besoin d'ordre, ni besoin d'uniforme pour nous rassembler.

Nous, qu'ils veulent reléguer à l'arrière de la scène, nous en prenons l'avant. Et nous continuerons de le faire, dans les tribunaux, comme dans la rue, et comme partout où nous déciderons de refuser la place à laquelle ils nous assignent. Nous continuerons de nous imposer sur la scène de leur théâtre, nous continuerons de déjouer leur scénario, nous continuerons de jouer le spectacle désarmant de la multitude d'affronts qui font résistance.

dessins d'audience : Crayondeluttes / @handievenere (twt)

Les soutiens du CRS en terrain conquis

En 2016, Laurent Théron est mutilé lors d'une manifestation. J'ai pu assister au procès du CRS responsable, Alexandre Mathieu.
Une partie des bancs était réservée aux collègues du CRS et en qualité d'observatrice, j'ai pu constater que tout était prétexte à provocation de la part de ces derniers vis-à-vis du reste de l'assistance, laissant une forte sensation d'étonnement et de questionnement. Un autre procès s'est ainsi joué au sein de l'arrière-salle. Voilà quelques réflexions sur ce que j'ai ressenti, vu et entendu durant ces trois jours.

Glissement vers l'abîme

L'accusé
Son attitude était décontractée et insouciante durant tout le procès : blagues avec ses collègues lors des interruptions de séance, clin d'œil envers ses soutiens après avoir fait ses excuses à la victime…
Ce comportement laissait penser qu'il ne prenait pas conscience de ses actes, ni du lieu où il se trouvait.

La présidente de la cour d'assises, Catherine Sultan
Ses nombreuses questions semblaient vouloir influencer les jurés en faveur du CRS, d'autant qu'elle a fait écourter l'intervention de la victime et demandé aux témoins de moralité (victimes également des violences policières) de ne pas se positionner en qualité d'expert.

Les six membres du jury
Pourquoi les juré-e-s n'ont pas posé de question durant tout le procès ?
Pourquoi les juré-e-s n'ont pas pris de notes ?

L'avocat de l'accusé Laurent-Franck Liénard
Son intervention n'a presque pas été entendue par le public, suite à son refus assumé de parler dans le micro — "je m'exprime pour la cour, pas pour le public ! " — , rendant ainsi ses propos inaudibles.
Il indiquera à plusieurs reprises durant sa plaidoirie que le contre rendu du traitement relatif au suivi de l'usage des armes (TSUA), ainsi que l'habilitation obligatoire pour l'utilisation d'une grenade de désencerclement (classe A), n'est qu'une "formalité administrative".
Après avoir utilisé des montages photos qui n'étaient pas dans le dossier et qui pouvaient sembler douteux (et sans que la présidente ne le reprenne), l'avocat a, lors de sa plaidoirie, pu dire qu'il n'était pas nécessaire de condamner le CRS car la victime elle-même ne le souhaitait pas !!! Il a également rajouté que de toutes façons, cela ne rendra pas son œil à la victime.

Les gendarmes du tribunal
Les gendarmes chargés de la sécurité à la cour d'Assises ont, de façon marquante, eu des comportements favorisant les soutiens de l'accusé par rapport à ceux de la victime. D'abord, Ils questionnaient chaque personne entrant dans la salle d'audience concernant les raisons de leur présence. Ensuite, les soutiens du CRS ne patientaient pas et n'ont pas été fouillés à l'entrée dans la salle d'audience, contrairement à ceux de la victime. De plus, une surveillance accrue envers les soutiens de la victime a été constatée : scrutés, dévisagés durant tout le procès, quatre gendarmes étaient en charge de contenir les soutiens de la victime, contre aucun pour les soutiens de l'accusé. Enfin, dernier exemple, quand le téléphone d'un policier a sonné en pleine audience, un des gendarmes du tribunal l'a fait sortir par la salle des témoins, tout en plaisantant, alors que les soutiens de la victime ont été systématiquement repris afin qu'ils rangent leur portable.

Les syndicalistes policiers dans leur fief
Un syndicat de Police représenté par Linda Kebab. Cette dernière va agresser verbalement une personne du public en la racisant, elle sera aussitôt soutenue par ses collègues qui lui formuleront, en substance, de « ne pas faire attention car il s'agit d'un singe ».
Prétextant être une journaliste, Kebab enverra durant tout le procès des messages sur son portable au su et au vu des gendarmes du tribunal qui n'interviendront jamais.

Invective en bande organisée
Durant tout le procès, les soutiens de la victime ont vécu un grand nombre de tentatives d'intimidation de la part des collègues du CRS, dissimulant derrière leur allure patibulaire un comportement de manipulateurs narcissiques. Insultes et propos injurieux proférés lors des interventions de Lucie Simon l'avocate de la victime (« pose ton cul, grosse pute », lancé de façon à n'être entendus que par le public), prises de photos en douce des soutiens de Laurent, qui n'a pas cessé après que cela a été rapporté aux gendarmes du tribunal, prises de notes des noms et adresses des témoins de moralité, installation de soutiens de l'accusé à côté des soutiens de la victime, dans une attitude de provocation. Deux policiers ont même discuté tranquillement du fait qu'il est courant de balancer des grenades de désencerclement dans les manifestations sans y être habilité.
Ils ont également insulté les deux inspecteurs de l'IGPN venus témoigner : « ce n'est pas un collègue, c'est un bâtard » ; quant à l'expert de la gendarmerie, « c'est un vendu, il faudrait une purge ».
Tous ces comportements ont ainsi poussé le reste du public dans leurs retranchements, d'autant qu'à aucun de ces moments les gendarmes du tribunal ne sont intervenus.

Soutiens de la victime
Face à toutes ces constatations, les soutiens du plaignant ont essayé d'intervenir à plusieurs reprises en demandent que l'avocat de l'accusé parle dans le micro, sont sorties en désordre de la salle d'audience en pleine plaidoirie de l'avocat de l'accusé, ont réagi bruyamment lorsque ce même avocat a sorti une photo de Paris Match comme preuve, et ont toussé au bon moment afin que les identités et adresses des témoins de moralité ne puissent pas être entendues et notées par les collègues policiers du CRS.

Ce procès a duré trois jours.
Trois longs jours de provocations, de tentatives d'humiliations et d'intimidation de la part des soutiens à l'accusé.
Trois longs jours où l'équité n'avait pas sa place, où les soutiens de l'accusé pouvaient rigoler, insulter, critiquer, intimider en toute impunité alors que ceux de la victime se faisaient reprendre par les gendarmes du tribunal à la moindre réaction.
Trois longs jours où les soutiens d'Alexandre Mathieu semblaient être en terrain conquis.
Trois longs jours pour acquitter Alexandre Mathieu qui n'a aucun regret concernant la subtilisation d'une grenade de désencerclement (arme classée A), la préméditation de son geste, l'usage de cette grenade sans aucun respect de procédure, l'utilisation sans habilitation, sans autorisation et les conséquences qui en résultent : le massacre d'une vie.
Trois longs jours où la cause racine de ce drame n'a pas été traitée.
Trois longs jours qui ont permis au final d'ouvrir la boîte de pandore.
Trois longs jours où les soutiens du plaignant n'ont pas craqué, ni répondu aux invectives incessantes et aux humiliations des policiers. J'ai d'ailleurs envie de dire « Bravo à toutes & tous ».

Tous les coups portés à Laurent, on les a ressentis !

C'est hyper violent ce qui est arrivé à Laurent ! Même s'il n'attendait pas grand chose de ce procès, la violence assénée pendant les audiences et le coup de grâce infligé par ce verdict, affirmant sans vergogne le non-droit, lui renvoie une violence judiciaire inouïe après une violence policière mutilatrice.

Tous les coups portés sur Laurent, nous les avons ressentis, à marquer nos corps, à insulter notre intelligence de tant de méchancetés et d'inepties. On a compris depuis bien longtemps que les institutions judiciaires sont prises en otage par l'appareil oppressif et répressif et aussi que rien ne viendra des instances supranationales. Si nous appelons à ester [1] en justice contre les violences policières, c'est pour démontrer l'injustice, l'impunité... Et bientôt l'immunité policière. Mais de là à voir une victime se faire étriller de la sorte, un cap a été franchi.

Mais plus grave encore, cette négation à l'encontre de Laurent, syndicaliste, l'a été plus encore par l'absence des syndicats dans leur ensemble à ce procès. Cela démontre une fois de plus ce manque de courage politique, voire même une tacite complicité avec l'État dans la conduite de cette guerre sociale qu'on nous inflige par des lois certes républicaines mais anti démocratiques.

Encore une fois, ils se tirent une balle dans le pied, notamment après celle de leur inaction face à l'effraction des forces répressives à la Bourse du Travail de Paris. D'ailleurs, leur raisonnement sur le "bon" ou "mauvais manifestant", que nous réfutons, explose ici par une seule question : que représentait Laurent à leurs "yeux" pour qu'ils soient absents à ce point ? Plus franchement, valideraient-ils ce verdict d'acquittement ? Certes des camarades syndiqué.e.s de toutes tendances étaient présent.e.s pour accompagner Laurent. Oui, mais nous y avons plus ressenti une démarche personnelle. Nous ne les remercierons jamais assez de leur courage pour s'être exposé.e.s à nos côtés face aux nervis du pouvoir.

Jour après jour, nombre de messages personnels de soutiens sont adressés à Laurent. Cette élan puissant nous incite à penser que ce n'est peut-être pas une défaite, bien au contraire. Car en réalité, rien n'est une fin en soi... "Nous tissons, nous tissons..." Patience ! (*)

Notre force naît et croît de l'adversité et des souffrances. Laurent se relèvera plus fort encore, pour rejoindre les rangs parmi ses vrais soutiens. Car comme d'habitude, nos alertes n'atteindront pas la société civile, comme le permis de tuer, les armes de guerre, l'hyperverbalisation, les polices municipales... Ou alors le débat sera vicié en l'absence de radicalité, de questionnements sur les fondamentaux de la lutte sociale, résumé chez nous les gueux par "De quoi on parle ?" et "Pour qui on agit ?"

Nous aurons besoin d'un père courage comme Laurent pour caler la mêlée et forcer à la gniac ces murs qu'on ne cherche plus à déconstruire mais à détruire, au vu du sale qu'on nous renvoie de tous côtés.

Pas de justice pas de paix... Pas de paix !

dessins d'audience : Crayondeluttes / @handievenere (twt)


[1] « ester en justice » signifie « capacité d'une personne de soutenir une action en justice en qualité de demandeur. »(NdPLI)

(*) Référence au poème de Heinrich Heine, « Les tisserands silésiens » (1844) :
Dans l'œil sombre ne tombe aucun sanglot,
Face à leur métier, ils montrent les crocs :
Allemagne, nous tissons ton sindon,
Y tissons la triple malédiction —
Nous tissons, nous tissons !
Malédiction sur le dieu que louèrent
Nos prières dans la faim et l'hiver ;
En vain, nous avons attendu et cru,
Il nous a moqués, dupés et perdus —
Nous tissons, nous tissons !
Malédiction sur le roi, roi des riches,
Dur qui avec notre misère triche,
Qui nous ravit jusqu'à nos derniers biens,
Et nous fait abattre comme des chiens —
Nous tissons, nous tissons !
Malédiction sur la fausse patrie,
Où seules croissent honte et infamie,
Où chaque fleur si vite touche terre,
Où l'ordure et l'infect gorgent le ver —
Nous tissons, nous tissons !
Le métier craque, la navette vole,
Et jour et nuit, nous tissons sans paroles —
Vieille Allemagne, nous tissons ton sindon,
Y tissons la triple malédiction —
Nous tissons, nous tissons !

24 décembre 1923 : Germaine Berton, acquittée pour ne pas en faire une martyre

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Le 24 décembre 1923, près d'un an après l'assassinat de Maurice Plateau, membre de l'organisation d'extrême droite royaliste les « camelots du roi », Germaine Berton, jeune anarchiste de 21 ans, est acquittée.

Portrait de Germaine Berton entouré de ceux des membres du mouvement surréaliste
Paru dans le numéro 1 de la Révolution surréaliste

Après un parcours déjà tumultueux, marqué par la répression syndicale, parfois la prison, [1] Germaine Berton, jeune provinciale récemment montée à Paris, décide de frapper un grand coup :

Le 22 janvier 1923, ayant pénétré dans les locaux de l'Action française, elle abattit de plusieurs balles Maurice Plateau, chef des Camelots du roi, faute de pouvoir atteindre Léon Daudet, puis retourna l'arme contre elle, mais ne parvint qu'à se blesser. À la police venue l'arrêter, elle déclara qu'elle avait voulu venger Jaurès, Almereyda et protester contre l'occupation de la Ruhr. [2]

Les camelots du roi remplissaient le rôle de service d'ordre de l'Action Française, mouvement royaliste, antisémite et fasciste, et étaient impliqués dans de nombreuses rixes qui faisaient parfois des victimes. Quand à leur chef Maurice Plateau, c'était un ancien combattant, heureux de s'être fait amocher dans les tranchées.

Près d'un an après cet assassinat, le 24 décembre 1923, Germaine Berton est acquittée.

Comment, pour une fois, la justice a t-elle pu faire preuve de compréhension envers un acte de violence politique ?

L'institution judiciaire n'a pas, par cet acquittement, cherché à légitimer l'acte de Germaine Berton, mais a voulu désamorcer une tension qui aurait pu se cristalliser autour de la personne de la jeune anarchiste. En effet, juste après l'assassinat, des membres de l'Action française avaient attaqué des journaux anarchistes et même tenté de s'en prendre aux locaux de l'Humanité. Et Germaine Berton bénéficiait d'un fort soutien du mouvement anarchiste ainsi que du mouvement surréaliste.

L'Action française était un mouvement très violent, appelant à la haine raciale, antirépublicain, ce qui venait peut-être légitimer jusqu'aux yeux de la justice une certaine violence en retour.

Il s'agissait aussi pour l'institution judiciaire de se faire racheter pour l'acquittement de Raoul Villain, l'assassin de Jaurès, qui put se la couler douce jusqu'en 1936, date à laquelle les anarchistes espagnols débarquèrent à Ibiza et lui réglèrent son compte. L'acquittement de Villain, qui avait eu lieu en pleine ferveur patriotique, paraissait désormais, après la boucherie, impardonnable.

Enfin, le sexisme dominant permettait de justifier à bon compte un acquittement : la jeune femme, tout juste majeure, fut considérée comme irresponsable. Le tribunal privait ainsi le mouvement anarchiste d'une martyre potentielle, et désamorçait efficacement la dynamique qu'elle avait pu enclencher.

Les surréalistes face à l'affaire Germaine Berton

En 1923, éclate l'affaire Germaine Berton : le 23 janvier, une jeune militante anarchiste tue le « camelot du roi » Maurice Plateau, secrétaire de rédaction à l'Action française, dans les locaux du journal, d'un coup de revolver. Une deuxième affaire vient se greffer sur la première, lorsque Philippe Daudet, fils de Léon Daudet, rédacteur en chef de l'Action française, est retrouvé mort dans un taxi. Plusieurs versions se répandent sur la mort du jeune homme, âgé de seize ans : il serait monté dans un taxi, en sortant de la librairie anarchiste, gérée par un nommé Le Flaouter, et, à l'instant où il passait devant la fenêtre de la cellule de Germaine Berton dont il était amoureux, il se serait tiré un coup de revolver. Selon une deuxième version, il s'agirait d'un crime policier, Le Flaouter ayant été un indicateur de la police. Comme le souligne José Pierre, les surréalistes optèrent pour la première version : « Germaine Berton n'est donc pas seulement celle qui tue, mais celle pour qui l'on se tue ». Dès le début des événements, les surréalistes vont manifester leurs sympathies envers la jeune femme. dans Littérature de février-mars 1923 Aragon justifie l'acte terroriste de la militante :

À une époque où toute liberté est laissée à une fraction, sous le chantage de sentiments qui flattent ce qu'il y a de plus bas dans une nation, d'exprimer partout et en tous termes une doctrine d'arbitraire et de dictature, la provocation part de ceux qui, à tout instant, menacent chez autrui cette liberté qu'on leur laisse ; et si un individu prend conscience de cette monstrueuse inégalité, de la vanité de toute parole devant la puissance grandissante d'une telle fraction, je tiens cet individu pour autorisé à recourir aux moyens terroristes, en particulier au meurtre, pour sauvegarder, au risque de tout perdre, ce qui lui paraît, à tort ou à raison, précieux au delà de tout au monde

André Breton déclare que, pour lui, « l'opinion de Germaine Berton est infiniment plus considérable que celle de Monsieur Gide ». En décembre, lors du procès de la meurtrière, Breton ne pense qu'à elle, voit en elle l'incarnation de la révolution et de l'amour. Après son acquittement, Breton, Aragon et Max Morise vont lui porter une corbeille de roses et d'œillets rouges, accompagnés de ces mots : « À Germaine Berton, qui a fait ce que nous n'avons su faire ». Enfin, dans le numéro 1 de La Révolution surréaliste, parait le portrait de la jeune anarchiste, entouré de ceux des surréalistes, alors qu'un peu plus loin Aragon déclare se « prosterner simplement devant cette femme en tout admirable qui est le plus grand défi que je connaisse à l'esclavage, la plus belle protestation élevée à la face du monde », et rend hommage à l'absolue liberté dont elle a témoigné. Quand au suicide du jeune Daudet, il ne laissa pas non plus indifférents les surréalistes. A la suite de l'article de G. Vidal, gérant du Libertaire : « La mort tragique de Philippe Daudet », Aragon remit au journal un court texte, signé par le groupe :

Monsieur, Nous vous félicitons hautement de votre article : « La mort tragique de Philippe Daudet », paru dans Le Libertaire. Nous ne faisons pas partie de votre milieu, ce qui ne nous empêche pas d'admirer le courage dont vous faites preuve. Nous sommes de tout cœur avec Germaine Berton et Philippe Daudet : nous apprécions à sa valeur tout véritable acte de révolte.

[...]
L'acte de la jeune anarchiste renvoie à la célèbre phrase du Second Manifeste : « L'acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu'on peut dans la foule ». À ceci près qu'il ne s'agit pas ici de tirer au hasard mais d'abattre un responsable de l'Action française. C'est le geste de G. Berton, et non son appartenance au milieu libertaire, qui est glorifié par les surréalistes : célébration de la révolte donc, de la révolte individuelle, dirigée contre les représentants de la réaction, et non ralliement à l'anarchisme. En effet, Aragon laisse entendre que le geste de cette femme dépasse la doctrine dont elle se réclame. Il craint que son acte ne soit sous-estimé par ses compagnons ; car, pour les militants anarchistes, l'acte de révolte, ou la « propagande par le fait », est certes légitime, mais n'est qu'une des manifestations de la lutte contre l'ordre social qui en comprend bien d'autres et notamment la plus porteuse d'espérance : la révolte collective, prélude indispensable à la Révolution. Devant cette « minimisation », Aragon ne peut ressentir qu'une « honte » car, pour lui, cet acte individuel, manifestation suprême de l'individu, est le plus légitime acte de révolte. Ainsi s'inquiète-t-il devant d'éventuelles réticences de la part des anarchistes. la réaction d'Aragon est hautement significative : elle sous entend que l'anarchisme est jugé médiocre et que l'acte de révolte individuelle est glorifié au plus haut point. D'autres réactions viennent étayer cette thèse : pour Breton, l'acquittement de la jeune femme paraît retirer au geste sa valeur d'acte de révolte. Par ailleurs, leur absence de réaction devant les actes de révolte collectifs démontre leur manque d'intérêt pour le mouvement révolutionnaire : à l'inverse, ce sont d'autres actes de révolte qui ont retenu leur attention : les exploits de la Bande à Bonnot, ceux d'Emile Henry...

extrait de Parcours politique de surréalistes, Carole Reynaud Paligot.


[1] Née le 7 juin 1902 à Puteaux (Seine), suicidée à Paris le 4 juillet 1942 ; ouvrière métallurgiste ; syndicaliste et anarchiste.

Fille d'un mécanicien républicain et franc-maçon et d'une institutrice congréganiste très pieuse, Germaine Berton obtint le certificat d'études et fréquenta l'école des Beaux-Arts à Tours, puis devint ouvrière. En 1918, elle participa à la reconstitution du syndicat des Métaux à Tours. Elle fut ensuite renvoyée de l'usine Rimailho de Saint-Pierre-des-Corps pour son action syndicale. Son patron, Coste, la surnommait « la vierge noire ».

En 1920, elle fut secrétaire adjointe du comité syndicaliste révolutionnaire de Tours. Brièvement adhérente au PCF, elle écrivit des articles violents dans Le Réveil d'Indre-et-Loire, puis passa à l'Union anarchiste et au Comité de défense sociale.
Arrivée à Paris en octobre 1921, elle fut condamnée le 22 novembre à trois mois de prison pour avoir giflé le secrétaire du commissaire de police du quartier Saint-Gervais. Le dimanche 30 juillet 1922, elle prit part à la grande manifestation du Pré-Saint-Gervais pour l'amnistie des marins de la mer Noire. Lors des affrontements qui s'ensuivirent à Belleville, elle fut blessée d'un coup de sabre. En août, elle fut condamnée à quinze jours de prison pour port d'arme prohibé.

tiré de : Les Anarchistes, dictionnaire biographique du mouvement libertaire francophone (Maitron)

[2] Les Anarchistes, dictionnaire biographique du mouvement libertaire francophone (Maitron)

Attaque contre le Centre kurde de Paris !

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Ce matin le centre Ahmet Kaya de Strasbourg St-Denis, le restaurant Avesta et un coiffeur ont été la cible d'une attaque à l'arme à feu.

2 personnes sont mortes et 4 blessées gravement.

À Paris les organisations kurdes appellent à rassemblement dès maintenant et toute la soirée à Strasbourg St-Denis, autour du centre kurde (rue d'Enghien). Le rassemblement se déplacera peut être en cours de journée.

Partagez largement dans vos réseaux et organisations !

10 ans après l'assassinat des trois camarades kurdes à quelques rues, il est plus que jamais nécessaire de défendre et soutenir le mouvement de libération du Kurdistan !

Manifestation contre l'attaque du Centre culturel kurde Ahmet-Kaya

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Vendredi 23 décembre, un homme connu des forces de police a perpétré une attaque à l'arme à feu contre le Centre culturel kurde Ahmed Kaya tuant deux personnes sur le coup, une mourrant à la suite de ses blessures et en blessant trois autres. Rassemblons-nous à Place de la République à 12:00 pour demander justice pour le peuple kurde !

Vendredi 23 décembre, un homme connu des forces de police a perpétré une attaque à l'arme à feu contre le Centre culturel kurde Ahmed Kaya tuant deux personnes sur la coup, une mourrant à la suite de ses blessures et en blessant trois autres.

Cet attentat de nature raciste et fasciste n'est pas un hasard, est spécifiquement tourné contre le peuple kurde. Selon les informations de l'Humanité, l'homme aurait été déposé en voiture devant le centre où devait se ternir une réunion pour l'organisation de la manifestation du 7 janvier, à la mémoire du triple assassinat des militantes kurdes survenu à Paris il y a bientôt 10 ans. Heureusement, la réunion a été retardée d'une heure, évitant un massacre.
C'est un crime organisé spécifiquement contre le peuple kurde.

Face à ce crime odieu, rassemblons-nous à Place de la République à 12:00 pour demander justice pour le peuple kurde !

Nous ne lacherons rien ! nous demandons justice pour Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez, pour nos trois camarades tué-e-s aujourd'hui.

Biji PKK !
Biji Kurdistan !
Jin, Jiyan, Azadî !

Rendez-vous à 12:00 à Place de la République.

Lilian Wolfe (1875-1974)

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Une des figures les moins publiques mais les plus importantes de la Freedom Press (Nicolas Walter, historien anarchiste)

Texte : MLT & Dessins : OLT - (CC BY-NC-SA)

Lilian Wolfe naît le 22 décembre 1875 à Londres. Embauchée au General Post Office, elle devient membre de la Civil Service Socialist Society.

Ayant adhéré à la Women's Freedom League mais, considérant l'octroi du droit de vote aux femmes comme un simple « palliatif », elle rejoint en 1913 le mouvement anarchiste. Elle participe à la renaissance de The Voice of Labor le 1er mai 1914.

Thomas Keell, le compositeur et rédacteur en chef du journal anarchiste Freedom, devient son compagnon.

The Voice of Labour publie un article en faveur de la désobéissance civile suite à l'instauration de la conscription militaire obligatoire de 1916. Lilian Wolfe et Thomas Keell sont arrêtés, condamnés pour avoir violé la loi de 1914 sur la défense du royaume. Keell préférera la prison au paiement d'une amende. Lilian, enceinte, paiera l'amende pour sa libération.

Spain and the World est lancé en 1936 par Vernond Richard, Thomas Kell, Marie-Louise Berneri, tandis que Lilian l'administrera.

Jusqu'à la mort de Thomas Keell le 26 juin 1938, elle vivra à Whiteway Colony dans la « lumière directrice de Léon Tolstoï ».

Toujours active elle est directrice administratrice de la librairie Freedom Press. Un poste qu'elle occupera jusqu'à l'âge de 95 ans. Membre du Conseil national des libertés civiles et de War Resisters International, elle décédera d'un accident vasculaire cérébral le 22 avril 1974.

Cette BD est extraite du dossier « Maudite soit la guerre ! » de Casse-Rôles n°22 - Novembre 2022 - Janvier 2023 [PDF]