Résumé commercial (https://www.decitre.fr/livres/l-attestation-9782381910659.html#resume): «" Je soussigné(e) certifie que mon déplacement est lié au motif suivant... " Chacun d'entre nous se souvient de ces auto-attestations à remplir comme du confinement qui les accompagnait. Cet ouvrage a pour ambition de revenir sur ce moment littéralement extra-ordinaire au regard des questions qu'il a soulevées en matière de suspension des libertés et d'obéissance collective. Les sociologues Théo Boulakia et Nicolas Mariot reviennent sur ce temps si particulier du printemps 2020 durant lequel les habitants de ce pays n'eurent plus le droit de sortir de chez eux que sous des conditions très restrictives.
Le livre met en avant la singularité de l'expérience alors vécue : en quelques heures, tout un chacun, quel que soit son lieu de vie, son métier ou son niveau de revenu, s'est retrouvé soumis aux mêmes obligations. En ce sens, le confinement constitue une occasion historique rare d'étudier l'obéissance et le conformisme vis-à-vis de l'Etat. Ces enjeux, souvent posés sur un mode très général et abstrait, prennent pour l'occasion des formes concrètes : les personnes les plus aisées et éduquées ont-elles vraiment été plus respectueuses des règles que les plus précaires et fragiles ? Celles qui sont habituées à donner des ordres plus que celles qui, en temps normal, les reçoivent ? Si l'ouvrage apporte des réponses claires à ces questions, c'est parce qu'elles s'incarnent dans une situation observable et mesurable : le contrôle par la police de la présence en extérieur.
Du jour au lendemain en effet, des gens qui n'étaient d'habitude jamais contrôlés se sont retrouvés soumis au regard inquisiteur des forces de l'ordre. C'est cette extension du contrôle de police à toutes et tous qui représente à la fois la principale nouveauté imposée par l'événement et le fil directeur du livre. Pour ce faire, les deux auteurs ont mené une enquête fondée sur des matériaux originaux : réponses de plus de 15000 personnes, dans le temps même du confinement, à un questionnaire en ligne, données statistiques sur les contrôles et les verbalisations, ou encore innombrables " histoires du confinement " tirées de la presse locale et de la communication des forces de l'ordre.
De façon très originale, afin d'entrer dans le coeur du sujet, les auteurs ont imaginé une " foire aux questions " qui permet de poser des définitions et de situer la spécificité du printemps français au regard des choix opérés ailleurs dans le monde, notamment chez nos voisins européens - on pourra même se faire son propre avis sur où... passer le prochain confinement ! L'argumentation est constamment étayée et vivante : chacun.
e pourra s'y retrouver, notamment dans le rappel de l'exubérance de certaines restrictions locales décidées par les préfets et les maires. Parmi les nombreux apports de l'ouvrage, on peut mettre en avant le chapitre central qui montre comment l'omniprésence policière a produit un " inquiètement " du dehors, rendant aussi bien compte des décisions d'enfermement que de la tentation des excursions interdites.
Mais encore l'effort mené pour décrire l'ampleur du travail de surveillance déployé sur tout le territoire : dans le Lot, par exemple, le nombre de contrôles de l'attestation fut plus élevé que celui de la population adulte du département ! Le livre propose aussi une riche réflexion sur la délicate question de la mesure du conformisme (qu'est-ce qu'obéir ? comment repérer " la triche " ? ). Enfin il soulève celle, tout aussi complexe, du rôle du genre : comment expliquer, sans tomber dans des stéréotypes, que les femmes se soient montrées plus " respectueuses " du confinement que les hommes ?»
Vrai résumé (https://www.revue-ballast.fr/cartouches-87/): «En ordonnant, au printemps 2020, l’enfermement général de toute la population (avec quelques exceptions soumises à la rédaction d’une « attestation dérogatoire ») afin de ralentir la propagation d’une pandémie qui menaçait de déborder les capacités hospitalière du pays, le gouvernement français réalisa pendant 55 jours une expérience grandeur nature d’institution de l’obéissance collective. Théo Boulakia et Nicolas Mariot se sont penchés sur la production du conformisme et son ancrage social, dans ce cadre inédit, en partant des pratiques plutôt que des opinions. Leur enquête confronte le récit selon lequel le « modèle chinois », le confinement façon Wuhan, se serait répandu à l’ensemble de la planète, avec la réalité. Les auteurs mettent rapidement en évidence que l’assignation à résidence n’a pas été la règle générale et qu’elle n’a eu qu’un effet très faible sur la baisse des contaminations. Centrales dans les discours officiels, la « responsabilisation » et la « confiance » furent absentes des décisions prises : « En quelques heures, le nouveau régime juridique mis en place a transformé toute personne présente dans l’espace public en potentiel contrevenant ou hors-la-loi. » Jusqu’au 11 mai 2020, la police procéda à 21 millions de contrôles et distribua 1 100 000 verbalisations. Les auteurs tirent des conclusions particulièrement sévères, pointant la banalisation de l’exception et l’acceptation des « bricolages autoritaires » comme mode de gouvernement, même si des stratégies individuelles ont souvent permis l’aménagement d’un quotidien moins contraint. Amer constat que celui-ci : « [Qu’]une nouvelle union sacrée justifiant suspension des libertés et gouvernement secret sans contrôle ait pu se répéter presque à l’identique un siècle après la Grande Guerre, voilà qui n’est pas le signal d’un grand mûrissement démocratique. » [E.L.] »
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