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Lutte contre la prostitution : la censure privée d'Internet encouragée

vendredi 29 novembre 2013 à 15:59

Paris, 29 novembre 2013 — Aujourd'hui, l'Assemblée Nationale s'est prononcée sur la proposition de loi dite contre le « système prostitutionnel ». Comme La Quadrature du Net les y invitait, les députés se sont opposés à l'extension de la censure administrative d'Internet. Néanmoins, ils ont entériné les nouvelles obligations qui, mises à la charge des hébergeurs, renforceront les formes de censure privée qui portent d'ores et déjà atteinte à la protection de la liberté d'expression sur Internet.

L'article 1er de la proposition de loi débattue aujourd'hui prévoyait de conférer à une autorité administrative le pouvoir de prononcer des mesures de censure du Net, sans l'intervention préalable de l'autorité judiciaire. Reprenant à la lettre les dispositions qu'avait introduites la LOPPSI en 2011 afin de combattre la diffusion de contenus à caractère pédopornographique, la proposition de loi visait à les étendre aux sites contrevenant aux dispositions pénales qui répriment le proxénétisme et la traite des êtres humains. Un tel ajout se révélait en l'espèce particulièrement inefficace et toujours aussi dangereux pour les libertés individuelles (voir la note envoyée aux députés à ce sujet). La Quadrature du Net se réjouit donc que l'Assemblée nationale ait rejeté un telle extension, suite notamment au dépôt d'un amendement de suppression par le gouvernement.

Najat Vallaud-Belkacem
Najat Vallaud-Belkacem,
ministre des Droits des femmes

Néanmoins, ce même article 1er prévoit aussi de modifier l'obligation1 imposée par la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) aux hébergeurs de mettre en place un dispositif permettant à toute personne de signaler certaines catégories de contenus considérés comme particulièrement graves (apologie de crimes contre l'humanité, négationisme, pédopornographie), auxquels viendraient alors s'ajouter ceux considérés comme participant au « système prostitutionnel »2. Or, les hébergeurs sont par ailleurs pénalement responsables des contenus qu'ils hébergent dès lors qu'ils ont connaissance de ces derniers. Ainsi, tout dispositif de signalement ne peut que les inciter à retirer les contenus signalés, et ce afin d'éviter tout risque juridique. Une forme de censure privée, hors de tout cadre judiciaire et de toute garantie contre des atteintes injustifiées aux libertés fondamentales des citoyens.

Des amendements3 présentés par les députés Serge Coronado (EELV) et Lionel Tardy (UMP) visaient à supprimer cette disposition pour limiter le risque de censure de contenus parfaitement licites qui auraient été signalés à tort. En lieu et place, une solution cohérente consisterait à encourager les citoyens à entrer directement en contact avec les services de police pour signaler les contenus leur paraissant constitutifs d'infraction via la plate-forme des pouvoirs publics prévue à cet effet (internet-signalement.gouv.fr). Ils n'ont malheureusement pas été entendus, ni par leurs collègues, ni par le gouvernement.

« Des deux formes de censure contenues dans cette proposition de loi, les députés ont choisi de rejeter celle qui violait de la manière la plus flagrante la liberté d'expression sur Internet. Mais en condamnant la censure administrative tout en s'obstinant à encourager la censure privée des contenus en ligne, les députés font preuve d'une absence de cohérence. Alors que d'autres projets de loi en cours d'examen au Parlement renforcent également la régulation extra-judiciaire du Net4, le gouvernement et le législateur doivent mettre fin à cette fuite en avant répressive en instaurant un moratoire contre toute nouvelle disposition susceptible de porter atteinte aux droits fondamentaux sur le réseau. À l'image de l'initiative du Marco Civil actuellement en discussion au Brésil, les pouvoirs publics doivent engager un large dialogue avec la société civile afin d'apporter des garanties législatives fortes en faveur des libertés publiques et des droits fondamentaux sur Internet » conclut Félix Tréguer, co-fondateur de l'association La Quadrature du Net.

AlloStreaming : premier blocage judiciaire d'un site de streaming, bientôt la censure privée ?

jeudi 28 novembre 2013 à 19:42

Paris, 28 novembre 2013 — Le tribunal de grande instance de Paris vient de rendre une décision très attendue dans l'affaire Allostreaming, engagée il y a près de deux ans. S'il accepte le blocage des 16 sites existants, le tribunal a cependant pour l'instant refusé d'autoriser la censure privée que souhaitaient instaurer les ayants droit. Pour autant, il laisse la porte ouverte à une telle censure privée en invitant à une coopération entre les acteurs de l'Internet et l'industrie du divertissement, sous couvert d'« auto-régulation ». Ce jugement alambiqué risque désormais d'être instrumentalisé par les lobbies de la culture pour appeler à la mise en œuvre des préconisations du rapport Lescure, consacrant ainsi des formes inacceptables de censure privée comme mode courant d'application d'un droit d'auteur en pleine crise de légitimité.

Pour rappel, dans cette affaire, plusieurs syndicats professionnels représentant les producteurs, éditeurs et les distributeurs de vidéos avaient assigné en justice des fournisseurs d'accès à Internet et des moteurs de recherche afin de censurer l'accès à plusieurs sites proposant des contenus audiovisuels en streaming.

Si les sites Allostreaming initialement visés ont depuis fermé, la justice vient d'ordonner aux fournisseurs d'accès et moteurs de recherche le blocage de 16 autres sites qui reproduisaient le contenu sous d'autres noms de domaine (sites dits « miroirs »), mesures qui devront être financées par les ayants droit eux-mêmes. Par ailleurs, le tribunal a logiquement refusé de permettre à l'industrie du divertissement d'ordonner directement aux intermédiaires du Net de censurer les sites miroirs susceptibles d'apparaître à l'avenir sans repasser par la case « justice ». Il laisse néanmoins la porte ouverte à l'« auto-régulation » au travers d'une coopération entre acteurs de l'Internet et ayants droit afin de censurer ces sites miroirs, qui sont souvent utilisés à des fins d'expression politique par des citoyens souhaitant dénoncer la censure d'un site (comme ce fut par exemple le cas dans l'affaire Copwatch). En bref, le tribunal ne tranche pas, mais ne ferme pas la porte à une censure privée déjà largement promue par les lobbies, l'HADOPI ou la mission Lescure.

« Pour la première fois, des sites Internet vont être bloqués par des fournisseurs d'accès au nom de la protection du droit d'auteur, et ce sur la base des dispositions extrêmement vagues de la loi HADOPI votée en 2009. C'est une très mauvaise nouvelle tant le blocage apparaît comme une mesure dangereuse, compte tenu notamment du risque inévitable de surblocage d'usages parfaitement licites. Mais l'encouragement à une coopération entre acteurs de l'Internet et ayants droit pour censurer les sites miroirs susceptibles d'apparaître à l'avenir est encore plus inquiétant. Après la récente décision dans l'affaire opposant Google à Max Mosley, ce jugement vient une nouvelle fois avaliser les formes de censure privée qui se développent partout sur Internet et minent les droits fondamentaux. Les acteurs du Net concernés doivent désormais signifier clairement leur refus de se livrer à des missions de justice et de police privées », indique Félix Tréguer, membre fondateur de l'association La Quadrature du Net.

« À l'heure où la mission Lescure ou l'HADOPI continuent d'exiger le renforcement de la censure privée pour combattre les sites de streaming commerciaux, les lobbies du divertissement vont probablement redoubler leurs efforts pour pousser le gouvernement à accentuer la répression, en faisant pression sur les acteurs de l'Internet. Au regard de la longue liste de mesures répressives déjà en discussion au Parlement, le gouvernement devrait au contraire s'engager à légiférer pour protéger les droits fondamentaux sur Internet, et entamer une véritable réforme du droit d'auteur. En dehors du blocage, il existe d'autres façons de s'attaquer aux intermédiaires qui tirent profit de la distribution d'œuvres. Surtout, il faut reconnaître une fois pour toutes la légitimité et l'utilité du partage de la culture entre individus, hors-marché, dont la répression a conduit à l'explosion des sites de streaming », conclut Jérémie Zimmermann, co-fondateur et porte-parole de l'association La Quadrature du Net.

Pour information, La Quadrature du Net avait rédigé une note juridique pointant la non-conformité des mesures exigées par les ayants droit vis-à-vis du droit européen, et notamment leur manque de base légale. Les conclusions de l'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne concernant le blocage d'un site de streaming par un FAI autrichien, rendues publiques cette semaine, bien qu'elles n'invalident pas le principe même du blocage de sites, tendent néanmoins à confirmer la nécessité d'encadrer précisément ces mesures. Un tel encadrement fait cruellement défaut dans la loi française, qui reste extrêmement vague1, et appelle à une refonte du droit de l'Internet pour que soient mieux protégés les droits fondamentaux.

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Lutte contre le proxénétisme : l'inacceptable retour de la censure administrative du Net

lundi 25 novembre 2013 à 19:44

Paris, 26 novembre 2013 — Ce mercredi 27 novembre, l'Assemblée Nationale discutera en première lecture de la proposition de loi « renforçant la lutte contre le système prostitutionnel ». La Quadrature du Net appelle les citoyens à contacter leurs députés, afin qu'ils suppriment l'article 1er de la proposition visant à renforcer la responsabilité des hébergeurs et à étendre la censure administrative d'Internet.

[MISE À JOUR 27/11 : Le gouvernement a déposé hier un amendement demandant la suppression des mesures de blocage que la proposition de loi tentait d'imposer. Celui-ci ne modifie cependant pas les dispositions renforçant la responsabilité des hébergeurs et qui encouragent la censure privée.]

La censure administrative d'Internet est de retour, au travers d'une proposition de loi relative à la lutte contre le « système prostitutionnel ». Alors qu'en 2011, les députés socialistes s'étaient vivement opposés à l'article 4 de la LOPPSI – qui prévoit le filtrage administratif d'Internet contre la diffusion de contenus à caractère pédopornographique et qui attend son décret d'application depuis presque trois ans – et alors que le Parlement vient d'abroger la principale disposition instituant le filtrage administratif au sein de la Loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) de 2004, cette proposition de loi relative à la prostitution remet sur la table des mesures dangereuses pour les droits fondamentaux. L'article premier1 propose ainsi d'étendre la censure administrative afin de lutter contre les sites web « participant au système prostitutionnel ». Il vise également à ajouter la prostitution aux catégories de contenus pour lesquelles les hébergeurs doivent mettre en place des dispositifs de signalement et prévenir les autorités, risquant d'inciter ces acteurs privés à censurer des contenus en ligne dans un cadre extra-judiciaire.

À l'issue d'un débat témoignant du manque de prise en considération des risques inhérents au blocage de sites Internet, la commission parlementaire spéciale en charge de ce texte a décidé de rejeter un premier amendement qui proposait de supprimer la censure administrative prévue par le texte. C'est désormais à l'ensemble des députés mobilisés sur ce dossier de faire en sorte qu'aucune lutte, aussi légitime soit-elle, ne puisse devenir le cheval de Troie d'atteintes inacceptables aux droits fondamentaux sur Internet. Pour ce faire, les députés doivent ainsi voter en faveur des amendements n°1, n°4, n°5 et n°15 qui visent à supprimer ces dangereuses dispositions.

La Quadrature du Net a envoyé une note aux députés pour leur rappeler que le filtrage d'Internet est contraire aux principes de l'État de droit, et les informer des risques de censure privée liés aux dispositifs de signalement de contenus potentiellement illicites gérés par les hébergeurs. Tout citoyen peut à son tour participer à la défense des droits fondamentaux en contactant son député et en l'invitant à faire en sorte que les dispositions de l'article premier soient supprimées (pour plus d'informations, rendez-vous sur la page de campagne dédiée).

« La censure de sites Internet est une mesure totalement disproportionnée, compte tenu notamment de l'inévitable risque de surblocage de contenus parfaitement licites qu'il fait courir. Si elle décidait d'en confier la responsabilité à l'administration plutôt qu'à un juge judiciaire garant des libertés fondamentales, la majorité reprendrait à son compte certaines des pires mesures répressives des gouvernements Sarkozy et reviendrait sur ses prises de position passées. Rien ne peut justifier la mise en place de mesures reposant sur une censure extra-judiciaire et qui sont nécessairement contraires à l'État de droit. Les députés doivent suivre la recommandation faite en 2011 par une mission parlementaire transpartisane de la commission des Affaires économiques, qui préconisait à juste titre l'adoption d'un moratoire sur toute nouvelle disposition relative au filtrage du Net. » conclut Jérémie Zimmermann, porte-parole de l'association La Quadrature du Net.

À noter : des dispositions en partie similaires à celles contenues dans cette proposition de loi sont également présentes dans le projet de loi sur l'égalité entre les sexes (extension des obligations de signalements incitant à la censure privée) et dans le projet de loi relatif à la consommation (donnant à la DGCCRF le pouvoir de demander au juge le blocage d'un site), tous deux également en cours d'examen à l'Assemblée.

Le Parlement européen va-t-il permettre la discrimination en ligne ou la neutralité du Net sans compromis ?

jeudi 21 novembre 2013 à 16:43

Paris, 19 novembre 2013 – La rapporteur Pilar del Castillo Vera (PPE - Espagne) vient de conclure son projet de rapport [en] sur la proposition de législation sur les télécommunications de Neelie Kroes. Malgré les nombreuses critiques exprimées1 contre cette proposition, del Castillo Vera a choisi de ne pas supprimer ses inacceptables dispositions anti-neutralité du Net. Avant qu'il ne soit trop tard, les citoyens doivent contacter la rapporteur et les membres de la commission ITRE, pour les appeler à garantir une application inconditionnelle du principe de neutralité du Net.

Neelie Kroes
Neelie Kroes

La proposition législative de Neelie Kroes sur les télécommunications prétend défendre le principe de neutralité du Net, mais le vide en réalité de son sens notamment en autorisant explicitement la discrimination commerciale par le biais de priorisations2. Après sa difficile adoption par la Commission européenne3, la proposition est maintenant entre les mains du Parlement européen, notamment de sa commission « Industrie » (ITRE) et de la rapporteur Pilar del Castillo Vera (PPE - Espagne), nommée le 10 octobre. Malgré les critiques, et particulièrement la prise de position ferme du Contrôleur européen de la vie privée, la rapporteur joue le jeu de Neelie Kroes et de sa fausse neutralité du Net au lieu de corriger les dangereuses failles du texte. Son projet de rapport tend en effet lui aussi à légitimer la priorisation que souhaitent mettre en œuvre les opérateurs dominants4.

De plus, malgré la complexité et l'importance de ce dossier, la rapporteur a accepté de préparer son projet de rapport en seulement un mois, sur la base d'un calendrier extrêmement serré5 qui est complètement inhabituel et dangereux pour un texte de ce type, censé achever le marché unique des télécoms6. Un tel calendrier – même avec la parodie [en] de consultation publique [en] ouverte pendant quelques jours par la rapporteur – ne permettra pas un examen approfondi des amendements que les députés du Parlement européen déposeront d'ici le 17 décembre, et pourrait conduire à un texte final désastreux.

Del Castillo Vera
Del Castillo Vera

La rapporteur Pilar del Castillo Vera, qui contrôle cette procédure, puis contrôlera la négociation des amendements de compromis déposés sur l'ensemble du texte, porte donc une énorme responsabilité. Soit elle participera à la mise en œuvre des propositions anti-neutralité du Net de Neelie Kroes autorisant la discrimination de nos communications, soit elle jouera un rôle majeur pour la garantie d'une vraie neutralité du Net protégeant nos libertés en ligne, en choisissant de mettre en place des protections significatives [en] contre les restrictions abusives et les discriminations de nos communications imposées par les opérateurs de télécommunication.

Dans de telles circonstances, il est nécessaire que les citoyens européens prennent part au débat afin d'éviter une adoption précipitée des dispositions anti-neutralité du Net de Neelie Kroes. Les citoyens doivent contacter les membres de la commission ITRE et les appeler à intégrer dans la version finale du rapport une vision sans compromis7 de la neutralité du Net, n'acceptant aucune forme de discrimination, et qui soit garantie par des procédures de recours efficaces et des sanctions contre les opérateurs qui violeraient ce principe fondamental.

« Si le Parlement européen laisse passer le texte de Neelie Kroes sans amender ses mesures sur la neutralité du Net, il fera le jeu des opérateurs télécoms dominants aux dépends de la liberté de communication sur Internet et de l'innovation dans l'environnement numérique. Dès maintenant et jusqu'au vote final en session plénière, prévu quelques mois seulement avant les élections européennes, les citoyens doivent contacter les membres de la commission ITRE et tous les membres du Parlement européen concernés8 pour les appeler à garantir une vraie neutralité du Net, afin de garantir notre liberté de communication en ligne » conclut Jérémie Zimmermann, porte-parole de l'association La Quadrature du Net.

Agissez maintenant !

En tant que plateforme citoyenne, La Quadrature du Net met à disposition le PiPhone, un outil en ligne permettant d'appeler gratuitement les membres de la commission ITRE :

Agissez maitenant !

La liberté d’expression sur Internet, envers et contre la haine

jeudi 21 novembre 2013 à 09:04

Depuis le début de « l’affaire des tweets antisémites », il y a plus d’un an, la question est de nouveau posée de savoir s’il faut adapter la législation française pour renforcer la répression sur Internet, en particulier contre les discours racistes, sexistes, homophobes. À l’heure où des initiatives gouvernementales convergent en ce sens et après plusieurs mois de dialogue avec les associations de lutte contre les discriminations, les membres de La Quadrature du Net ont voulu rappeler les raisons qui nous poussent à une défense résolue de la liberté d’expression sur Internet face aux remises en cause dont elle fait l’objet. Dire aussi que, dans un contexte caractérisé par la banalisation des discours d’intolérance dans les sphères politiques et médiatiques et en plein débat sur les injures racistes qui visent la ministre de la Justice, Internet ne doit pas être vu comme une menace mais bien davantage comme un des outils par lequel la peur de l’autre doit être combattue.

Le « non-droit » sur Internet n’est pas forcément celui que l’on croit

Dès le déclenchement de l'affaire des tweets antisémites, certains représentants des associations de lutte contre les discriminations ont recommandé de réprimer ces abus en imposant des missions de police et de justice aux acteurs privés que sont les plate-formes comme Twitter, Google et autres services d’hébergement. Une censure privée qui ne dit pas son nom, et déjà largement encouragée par les lobbies des industries culturelles pour faire appliquer le droit d’auteur sur Internet.

De son côté, le gouvernement a prêté une oreille attentive à ces propositions. La porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, a fait en sorte que ces associations puissent traiter directement avec Twitter afin de censurer l’expression publique. Dans la même logique, le projet de loi pour l’égalité des sexes, actuellement examiné au Parlement, ainsi qu’un récent arrêté relatif à la loi pour la confiance pour l’économie numérique (LCEN) adoptée en 2004, visent à renforcer le rôle des hébergeurs – qui sont avant tout des prestataires techniques sans compétence juridique – dans la régulation des contenus en ligne. Exit le juge judiciaire. Quant au ministère de la Culture, il œuvre depuis des mois à étendre les missions régulatrices de l’autorité administrative qu’est le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) à Internet. Et ce alors que le droit de l’Internet souffre du caractère extrêmement vague de la LCEN, qui contribue non seulement à la régulation extra-judiciaire dont Internet fait d'ores et déjà l’objet, mais aussi à la généralisation de mesures de censure disproportionnées comme le blocage de l’accès à certains sites web.

Ces initiatives gouvernementales contraires aux acquis du XIXème siècle en matière de liberté d’expression se sont accompagnées d’une remise en cause frontale des garanties procédurales offertes par la loi de 1881 sur la liberté de la presse, qui contient la plupart des dispositions pénales réprimant les abus de liberté d’expression. Il y a quelques mois, Manuel Valls, affirmait sans ambages que « la question est posée aujourd’hui, compte tenu de la force de frappe d’Internet et son influence sur les citoyens, de savoir si la répression de tels délits relève encore de cette législation ». La sénatrice écologiste Esther Benbassa regrettait quant à elle qu’Internet offre « à tout particulier la possibilité de bénéficier des garanties de la loi de 1881, sans pour autant être soumis à la déontologie des journalistes ». Non content d’encourager la censure extra-judiciaire d’Internet, le pouvoir politique veut aussi nier aux citoyens « ordinaires » – lorsqu’ils pourront tout de même être jugés par un magistrat – le bénéfice des différentes protections contenues dans cette loi qui honora en son temps la Troisième République. Comme si ces citoyens, au prétexte qu’ils ne sont pas diplômés d’écoles de journalisme et ne travaillent pas au sein de rédactions professionnelles, ne pouvaient jouir des garanties offertes par ce texte vieux de plus de 130 années. Comme s’il ne fallait pas plutôt considérer comme tout-à-fait normal le fait qu’ils bénéficient des mêmes protections légales, et concevoir la sujétion des journalistes professionnels aux règles déontologiques non pas comme une contrepartie de la liberté d’expression, mais bien davantage comme une manière de consacrer leur rôle de tiers de confiance dans le débat public.

Une peur d’Internet qui traduit l’inconfort des gouvernants face à la liberté d’expression

Dans le même temps, en matière d’Internet comme dans d’autres domaines, les accents sarkozystes résistent à l’alternance. Internet est ainsi présenté par Najat Vallaud-Belkacem comme « une zone de non-droit ». Pour François Hollande, il est cet espace où « toutes les rumeurs seraient vraies ». Quant au député Malek Boutih, il a récemment estimé que, « si on a aujourd’hui un tel développement de propos inacceptables, d’ailleurs sur le racisme comme sur plein de sujets, c’est qu’Internet est pour l'instant une sorte de Far West ». Autant de propos caricaturaux qui renvoient à l’image de la nouvelle frontière à civiliser dont l’ancien président usait à l’envie.

L’essentiel du discours politique reste ainsi cantonné à une vision qui fait d’Internet un espace dangereux pour la paix sociale et les droits d’autrui. Ces diatribes récurrentes chez l'essentiel de l’élite politique expliquent pourquoi, depuis près de quinze ans que l’accès à Internet se démocratise, rien n’a été entrepris au niveau législatif pour protéger sérieusement la liberté d’expression sur le réseau, et pourquoi le discours politique reste enfermé dans la logique du contrôle et de la répression.

Cette diabolisation trahit en fait de la part de nos représentants élus un inconfort profond vis-à-vis de la liberté d’expression en général. Pendant que la majorité s’enorgueillit d’avoir abrogé le délit d’outrage au chef de l’État, elle fait mine d’oublier que ce dernier pourra toujours s’appuyer sur les dispositions spéciales qui protègent l’essentiel de la classe politique. Que, loin de battre en brèche ces protections dérogatoires accordées aux représentants de l’autorité, le législateur a adopté ces dernières années des nouvelles dispositions réprimant la critique de l’État, de ses représentants ou de ses symboles, en proscrivant l’outrage à l’hymne national et au drapeau tricolore. Que les sites Internet documentant et critiquant l’action de la police ont fait l’objet de poursuites récurrentes devant les tribunaux à l'initiative du ministère de l'Intérieur, et même parfois de mesures de censure. Qu’en 2010, le ministre Éric Besson a cherché en toute impunité à faire pression sur la société OVH basée à Roubaix pour qu’elle mette fin à l’hébergement de WikiLeaks, sans aucune décision ni même saisine préalable de l’autorité judiciaire. Qu’au plus haut sommet de l’État, on encourage l’exportation par des sociétés françaises de matériel de surveillance et de censure d’Internet vers des régimes autoritaires souhaitant réprimer la dissidence politique. Que dans le cadre de l’affaire Bettencourt, la justice française a récemment ordonné la censure d’articles et d’enregistrements sélectionnés par des journalistes d’investigation mettant en évidence les formes de corruption qui continuent d’entacher la vie politique française. Ou encore que les gouvernements successifs sont parfaitement incapables de proposer une réforme convenable de la protection des sources. Au-delà de l’épineuse question des discours haineux, la longueur de cet inventaire non-exhaustif illustre le fait que la liberté d’expression reste le parent pauvre des droits de l’Homme.

À rebours de l’extra-judiciarisation et la stigmatisation, mieux protéger la liberté d’expression

Dans ce contexte, et suite aux polémiques autour de l’incitation à la haine sur Internet, La Quadrature du Net a donc recherché le dialogue avec les associations de lutte contre les discriminations. À ce titre, nous avons contacté et rencontré l’hiver dernier les représentants de l’UEJF afin de débattre sereinement et autrement que par médias interposés. Nous avons également répondu favorablement à l’invitation de SOS Racisme à participer à des tables rondes consacrées à la « la lutte contre le racisme et les discriminations sur Internet ».

D’abord pour être clairs sur le fait qu’il ne s’agit évidemment pas pour nous de défendre l’intolérance et la violence qui s’expriment parfois au grand jour sur Internet, mais simplement de rappeler l’importance des principes sur lesquels sont fondés nos régimes politiques : la démocratie et l’État de droit. Redire que, face aux propositions inconséquentes que nous entendions, face à la censure privée ou administrative qui se banalise sur Internet, le rôle du juge dans la répression des abus de la liberté d’expression doit être réaffirmé et sanctuarisé ; que les infractions et sanctions en la matière doivent être réformées afin que la loi française respecte rigoureusement le droit international, et notamment la Convention européenne des droits de l'Homme ; que bien plus qu’une menace à conjurer coûte que coûte, le recours à l’anonymat sur Internet est avant tout un droit certes non pas absolu mais néanmoins partie intégrante de la liberté d’expression. Dire enfin que, pour rétablir une symétrie dans le rapport de force judiciaire avec ceux qui cherchent à réprimer certaines expressions publiques et amener les tribunaux à mieux prendre en compte cette liberté qui en démocratie est le premier des droits politiques, il faut habiliter les associations spécialisées dans la défense de la liberté d’expression à intervenir dans les procès en la matière (comme cela existe par exemple en matière de lutte contre les discriminations).

Poser lucidement la question des responsabilités

Bref, le but était de faire prendre conscience à nos interlocuteurs du régime d’exception qui se met progressivement en place pour réguler la liberté d’expression sur Internet, et de les appeler à ne pas faire de la moindre provocation le prétexte d’un renforcement de politiques contraires aux droits fondamentaux. Car, à notre sens, en faisant d’Internet leur bête noire, ces associations se trompent de cible. Ce moyen de communication n’est que le reflet des tensions qui habitent notre société. Même s’il peut parfois s’en faire une caisse de résonance, il n’en est en rien la cause.

Aussi faut-il poser lucidement la question des responsabilités dans la montée de l’intolérance. Et décider qui est le plus responsable, d’un adolescent immature lançant par pure provocation un concours de blagues antisémites sur Twitter ou d’une classe politique qui, à force de prises de parole, renforce les préjugés en instiguant et en exploitant la peur de l’autre à de basses fins électorales. Décider s’il ne faut pas en effet pointer du doigt l’exemple désastreux donné par ces responsables politiques qui, lorsque des mouvements venus de la société civile reprennent à leur compte le discours de l’intolérance, aboient avec les loups et entretiennent ainsi une spirale dangereuse. Aucune déconstruction, aucun barrage rhétorique n’est opposé à ces retours de flamme qui, immanquablement, leur reviennent des parties du peuple enivrées à force d’instrumentalisation du discours sécuritaire. Au contraire, ils soufflent sur les braises.

De même, n’est-il pas trop commode d’accuser Internet alors que les discours xénophobes ou misogynes sont non seulement relayés tels quels par les médias de masse, mais sont aussi bien souvent entretenus et montés en épingle à des fins mercantiles ?

Repenser les stratégies de lutte contre l’intolérance avec Internet et non pas contre Internet

Poser la question des responsabilités amène aussi à s’interroger sur les moyens mis en œuvre dans la lutte contre les discours de haine, et notamment sur le recours fréquent au droit pénal par ces associations. Les injures racistes visant la ministre de la Justice ne sont que l'arbre qui cache la forêt. De plus en plus, au gré de sa banalisation, l’intolérance se pare des allures de discours modérés, échappant ainsi à la définition des infractions de la loi de 1881. On évite les expressions les plus grossières, outrageantes, ouvertement racistes, mais à force de sous-entendus, de petites phrases aux apparences anodines, d’écrits et de discours soi-disant savants venant justifier des conceptions politiques d’un autre âge, on stigmatise des minorités ethniques, religieuses, sexuelles. C’est pourquoi il faut rompre avec l’idée selon laquelle les stratégies pénales contre les pourvoyeurs de l’intolérance sont une solution efficace.

Certes, les associations de lutte contre les discriminations le savent bien, et s’engagent autant que leurs ressources le permettent dans des actions de sensibilisation. Mais sans doute peuvent elles mieux faire encore, et innover davantage. Au cours de nos rencontres, nous avons ainsi invité nos interlocuteurs à cesser de voir Internet avant tout comme une menace, pour réfléchir plutôt à la manière d’en faire une chance pour la cause en faveur de l’égalité et contre les discriminations. À notre sens, la priorité ne doit pas être de lutter contre le racisme sur Internet, mais par Internet, avec Internet, c’est-à-dire d’utiliser les formidables outils de mobilisation citoyenne dont il est le support pour créer un large mouvement de société capable de lutter contre les préjugés, de contrecarrer les propos de haine, de dénoncer l’instrumentalisation des différences, de déconstruire les interventions pseudo-intellectuelles qui dressent une partie des citoyens contre les autres. Comme nous l’a rappelé il y a peu le mouvement spontané des lycéens opposés aux expulsions de leurs camarades de classe, c’est d’abord dans l’espace public – là où se forment nos représentations collectives et où se construisent les normes sociales – que se mène la lutte contre la haine. Bien plus que dans les prétoires.

Nous sommes suffisamment nombreux en France à en avoir assez du racisme et de l’intolérance pour que – au-delà des poursuites pénales qui resteront évidemment nécessaires dans les cas les plus graves (incitation directe à la violence, harcèlement, ou lorsqu’est menacé le caractère républicain de nos institutions) –, nous puissions collectivement battre en brèche la tendance à la xénophobie, aux replis identitaires, au rejet de l'autre, à la violence. Mais en prétendant que la prohibition systématique des « discours dangereux » et la remise en cause de l’État de droit sont des solutions efficaces contre la montée de l’intolérance, ceux qui fomentent l’entreprise de diabolisation d’Internet se bercent d’illusions. C’est au contraire grâce à la liberté d’expression, de communication et d'association qu’il permet que nous pourrons œuvrer à une société dans laquelle l'on puisse, comme disait Marcel Mauss, « s’opposer sans se massacrer ». Et ainsi porter l’espérance d’un vivre-ensemble refondé dans la reconnaissance bienveillante de nos différences.

Félix Tréguer, membre fondateur de La Quadrature du Net, association de défense des droits fondamentaux sur Internet.

Tribune publiée initialement sur Mediapart.