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« PPL Prostitution » : une pierre de plus à l'édifice de la censure

mardi 13 octobre 2015 à 15:32

Paris, le 13 octobre 2015 — Les 14 et 15 octobre prochains, le Sénat discutera en seconde lecture de la proposition de loi dite « de lutte contre le système prostitutionnel ». Adopté, ce texte étendra à nouveau – pour la troisième fois depuis l'élection de François Hollande – les mesures permettant ou entraînant la censure de contenus accessibles sur Internet sans intervention de l'autorité judiciaire (plus de détails dans cette analyse). Si l'adoption de ces dispositions semble à présent inexorable, leurs détails et étendue restent quant à elles à déterminer, entre extension de l'obligation pesant sur les hébergeurs de contenus d'exercer des missions de police privée et blocage administratif1 décidé par le seul pouvoir exécutif. Peu ou prou, avec ou sans passage dans une commission mixte paritaire, ces mesures n'en constitueront pas moins une nouvelle avancée dans l'extra-judiciarisation du Net et un nouveau recul pour la liberté d'expression.

Indépendamment de son sujet de fond – la « lutte contre la prostitution » – , le déroulement de la discussion publique de ce texte au sein de l'institution législative illustre le verrouillage du débat concernant la régulation des abus de la liberté d'expression en ligne, et plus généralement, l'impossibilité pour les citoyen·ne·s non élu·e·s d'y prendre part de manière concrète. Aussi humbles qu'elles soient, les analyses et propositions alternatives produites et portées par La Quadrature du Net et d'autres exégètes amateurs – tels que la Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge numérique2 – sur ces sujets n'auront fait l'objet que de discussions superficielles lors des différentes lectures de la proposition de loi au Parlement, grâce aux interventions des quelques rares élu·e·s les plus averti·e·s. À ce jour, seules les mesures de blocage administratif les plus décriées ont été discutées : sur demande du gouvernement, elles pourraient être finalement supprimées, mais pour des raisons et approches n'ayant que peu à voir avec la défense des droits et libertés3.

Ainsi, le problème auquel nous sommes confrontés n'est donc plus de parvenir à convaincre les membres du Parlement, mais de parvenir à simplement leur rappeler la nature affichée de l'institution dans laquelle ils et elles siègent et la légitimité de l'ensemble des paroles exprimées à l'extérieur de leurs seins. A contrario, les acteurs défendant les intérêts privés des plus puissants et certains de ceux choisissant le recours à la violence ont une facilité d'accès à ces cénacles qui finit de discréditer leur fonctionnement, et par conséquent, la légitimité de leurs décisions. Dans un registre différent et avec des conséquences radicalement plus alarmantes, les adoptions récentes des textes légalisant la surveillance de masse malgré une opposition exceptionnelle tant par son ampleur que par la diversité des acteurs qui y ont pris part, illustrent là aussi l'avancement du délitement démocratique en France.

Si cette situation n'est pas totalement nouvelle, la disparition d'une opposition parlementaire à même de relayer les idées exprimées à l'extérieur des institutions représentatives l'aggrave dramatiquement. Indiscutablement, sur la question numérique – comme sur beaucoup d'autres –, l'actuelle majorité parlementaire prétendument socialiste ne constitue en rien une alternance à ses prédécesseures. Pire, elle perpétue leur entreprise de démolition méthodique de l'Internet porteur de promesses d'émancipations généralisées par la diffusion de la libre expression, des savoirs et informations, des œuvres culturelles ou de la possibilité de prendre part aux décisions démocratiques. Aussi discutable que soit la possibilité de réalisation effective de ces promesses, il ne fait aucun doute que la poursuite de l'empilement législatif actuel concernant ces technologies empêchera leur réalisation. Au contraire, en plus d'étendre les possibilités de contrôle des populations par la surveillance et la censure – hier au nom de la lutte contre le terrorisme, aujourd'hui au nom de la lutte contre la prostitution –, ces lois ne contribuent qu'à maintenir les positions sociales existantes en réservant les effets positifs des nouvelles technologies aux seuls acteurs déjà à même d'en profiter. L'agitation médiatique de dispositifs étiquetés « collaboratifs » pour l'écriture de lois potentielles n'y changera rien : tant que les législations concernant le domaine numérique ne seront pas guidées par une volonté de réellement protéger et favoriser les droits fondamentaux et l'égalité sociale, elles ne permettront que le maintien d'un statu quo ne bénéficiant qu'aux acteurs oligopolistiques ou déjà fortement dotés en capitaux.

Bien qu'elle puisse paraître dérisoire au vu du recul législatif global et constant dans le domaine numérique, l'adoption à venir de la proposition de loi dite « de lutte contre le système prostitutionnel » n'en constituera pas moins une nouvelle pierre ajoutée à un ensemble de restrictions de la liberté d'expression et d'affaiblissement de l'équilibre des pouvoirs bien plus large. Plus que jamais, la protection et l'extension de nos libertés et droits fondamentaux dans les domaines liés au numérique semble donc exiger de considérer le pouvoir en place comme post-sociale-démocratique, et d'en tirer toutes les conclusions utiles.

Mur de censure

[Mediapart] Le transfert de données personnelles vers les Etats-Unis jugé illégal

lundi 12 octobre 2015 à 12:48

La Cour de justice européenne a annulé le Safe Harbor, l'accord sur le transfert de données collectées par des entreprises américaines sur des internautes européens, en raison de la perte de confiance et du peu de protection face aux services de renseignement. Si les activités des géants du Web ne sont pas pour autant stoppées, le Safe Harbor devra être renégocié. [...]

À l'origine du conflit juridique ayant abouti à ce jugement, se trouve la directive européenne 95/46/CE sur la protection des données personnelles qui a interdit le transfert de données prélevées en Europe vers des pays présentant un niveau de protection inférieur à celui des 31 États membres de l’Espace économique européen. [...]

Cet accord dérogatoire à la directive de 1995 était critiqué depuis plusieurs années en raison de nombreuses failles, certains suspectant les Américains de ne pas jouer le jeu. Les entreprises américaines, tout d’abord, ont la possibilité de se certifier elles-mêmes. Mais surtout, une clause du Safe Harbor autorise les services de renseignement américains à collecter des données d’utilisateurs européens en cas de menace pour la sécurité nationale. Or, les révélations d’Edward Snowden sur le dispositif mondial de surveillance mis en place par les États-Unis ont montré que ses services ont usé et abusé de leurs prérogatives. [...]

« La Quadrature du Net salue ce jugement courageux de la CJUE, et appelle à en appliquer les principes aux différents dossiers législatifs en cours concernant les données personnelles et la surveillance », a ainsi réagi l’association de défense des libertés numériques dans un communiqué citant, notamment, la loi renseignement et la loi sur la surveillance internationale en cours d’examen au Parlement. « Nous appelons les législateurs français et européens à en tirer les conclusions nécessaires, à travailler à la protection des citoyens à l'intérieur de l'Union et à revenir sur les législations de surveillance actuellement votées dans différents pays européens, notamment en France », poursuit Adrienne Charmet, coordinatrice des campagnes de La Quadrature. [...]

https://www.mediapart.fr/journal/international/061015/le-transfert-de-do...

Safe Harbor : lettre à la CNIL sur la protection des données personnelles

vendredi 9 octobre 2015 à 15:40

Paris, le 9 octobre 2015 — La Cour de Justice de l'Union européenne a invalidé le 6 octobre la décision 2000/520/CE autrement appelée accord « Safe Harbor » qui donnait un cadre légal au transfert des données des citoyens de l'Union européenne aux États-Unis et encadrait notamment l'export de données de la plupart des grandes plateformes mondiales. Après cette décision, La Quadrature du Net invite les citoyens à faire valoir leurs droits et à exprimer leurs inquiétudes auprès de la CNIL.

En attendant que la Commission européenne et le département du Commerce américain terminent leurs négociations d'un nouvel accord qui prenne en compte la décision de la CJUE, ces entreprises américaines et européennes sous-traitent des données sans aucune base juridique pourtant nécessaire à tout traitement de données à caractère personnel, ce qui laisse la porte ouverte à des procédures individuelles ou d'association les représentant légalement, mais permet également aux autorités de protection des données nationales de décider d'interdire la poursuite des flux de données si elles estiment que ceux-ci ne sont plus assez sécurisés pour les personnes concernées, comme le précise l'article 28.3 de la directive 95/46/CE ainsi que la loi 78-17 du 6 janvier 1978.

Nous proposons donc aux citoyens d'interpeller la CNIL, qui a été jusqu'à présent extrêmement timide sur la question alors que la CJUE a bien confirmé que les autorités nationales avaient compétence pour défendre leurs citoyens. Il est important de montrer que la poursuite hors cadre juridique du transfert de données personnelles vers les États-Unis n'est pas sans conséquences en matière de libertés fondamentales, car rien n'indique que la NSA a cessé d'accéder à ces données.

Nous publions donc ici la lettre que nous allons envoyer à la CNIL afin de lui demander d'investiguer sur la protection offerte par les GAFA (Google Apple Facebook Amazon), et autres entreprises américaines transférant leurs données aux États-Unis. Nous invitons les citoyens qui le désirent à s'en inspirer s'ils souhaitent, eux aussi, demander ces vérifications à la CNIL en leur nom propre.

Voir l'arrêt Schrems


emblême CJUE

Modèle de lettre

Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL)
Service des plaintes
8, rue Vivienne
CS 30223
75083 Paris cedex 02

Objet : Réclamation concernant le transfert de mes données aux États-Unis

Madame la Présidente,

Le 6 octobre 2015, la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) invalidait, dans son arrêt C-362/14 Schrems contre Data Protection Commissioner, la décision 2000/520/CE de la Commission, dite « Safe Harbor » ou « sphère de sécurité » qui permet aux entreprises établies aux États-Unis et en Europe et certifiées « Safe Harbor » de transférer les données personnelles des citoyens européens aux États-Unis pour les conserver et/ou les exploiter.

La CJUE confirme en outre dans le même arrêt le pouvoir de la CNIL en matière d'investigation et de contrôle . La CNIL peut par conséquent examiner en toute indépendance si le transfert des données vers un pays tiers à l'Union européenne respecte les exigences posées par la directive 95/46 CE (pts 61 et 62, C-362/14). Elle peut interdire temporairement ou définitivement un traitement de données, ou encore ester en justice, si le transfert de ces données ne s'effectue pas de façon à garantir un niveau de protection adéquat ( pts 118, 225 C 362/14).

Comme l'a relevé la CJUE, « la nécessité de disposer de telles garanties est d'autant plus importante lorsque les données à caractère personnel sont soumises à un traitement automatique et qu'il existe un risque important d'accès illicite à ces données (arrêt Digital Rights Ireland, C-293/12 et C-594/12) ».

Dans son communiqué du 7 octobre 2015, la CNIL indiquait que suite à la décision de la CJUE, « les autorités de protection des données devront examiner la validité des transferts qui leur sont soumis, en tenant compte du fait que la situation américaine n’est pas "adéquate" ».

Soucieux du traitement dont ont pu faire l'objet mes données à caractère personnel, et résidant actuellement en France, je fais appel à vous pour m'informer et savoir si ces données ont été collectées à mon insu par les services de renseignement américains. D'autre part il n'existe aucune voie administrative ou judiciaire pour les personnes concernées pour accéder aux données les concernant. À ce titre il y a atteinte au contenu essentiel du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective.

J'ai utilisé depuis XX/XXXX les services offerts par (entreprise/plateforme) et mes données personnelles sont donc susceptibles d'avoir été transférées aux États-Unis dans le cadre de l'accord du Safe Harbor. Eu égard à l'accès généralisé par les agences de sécurité américaines aux données stockées par de nombreuses plateformes établies aux États-Unis, il apparaît que le transfert vers ce pays de mes données à caractère personnel par (nom de l'entreprise ou de la plateforme) porte atteinte à ma vie privée et aux droits qui me sont reconnus aux termes de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée dite « Informatique et Libertés » (pt 99 C-362/14).

À ce titre, je souhaite vous demander d'investiguer afin de savoir si ... (entreprise/plateforme) a offert une protection suffisante à mes données à caractère personnel, conformément à l'article 68 de la loi Informatique et Libertés.

Cordialement,

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Une avancée importante pour le droit de savoir et une occasion manquée pour les droits culturels

jeudi 8 octobre 2015 à 11:18

Paris, 8 octobre 2015 — La Quadrature du Net republie ici la contribution que Philippe Aigrain et Edwy Plenel ont effectuée en annexe au rapport de la Commission ad-hoc de réflexion et de proposition sur le droit et les libertés à l'âge numérique, rapport remis au président de l'Assemblée nationale aujourd'hui. Cette contribution est également mise en ligne dans l'édition Libres enfants du numérique de Mediapart.


Informaticien pour l’un, journaliste pour l’autre, tous deux acteurs du débat public, nous avons participé assidûment aux travaux de la Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique, depuis sa création en juin 2014. Nous l’avons fait au nom des engagements qui sont les nôtres, au sein de l’association La Quadrature du Net pour Philippe Aigrain, du journal en ligne Mediapart pour Edwy Plenel, deux entités toutes deux créées en 2008 qui ont en commun une défense entêtée des droits individuels des usagers et des libertés collectives des citoyens à l’heure des immenses bouleversements économiques, démocratiques, culturels, géopolitiques, écologiques, etc., qu’accompagne ou provoque la révolution multidimensionnelle dont le numérique est le moteur.

Venus de la société civile, qui plus est de la culture démocratique participative propre à l’univers du Net, nous lui devons un compte-rendu.

1. La question démocratique

Sans autre expérience que celle liée à nos professions et métiers, ce n’est pas sans appréhension ni réserve que nous avons fait le pari de cette réflexion collective, entre députés élus dont la légitimité institutionnelle est un fait acquis et « experts » désignés dont les légitimités peuvent toujours être contestées par d’autres compétences. De ce point de vue, nous devons donner acte à nos deux co-présidents, le député Christian Paul et l’avocate Christiane Féral-Schuhl, d’avoir su créer un climat fructueux d’échange, de participation et de délibération, qui a presque toujours permis de dégager des majorités d’idées, soucieuses d’ouvrir des perspectives partagées dans le souci du bien commun.

Ce fut notamment le cas quand notre Commission fut d’emblée mise à l’épreuve par l’accélération, sous la pression du pouvoir exécutif, d’un agenda parlementaire strictement sécuritaire, à rebours de l’intitulé même de notre instance. Mise en cause de l’État de droit et régression des libertés acquises étaient en effet à l’ordre du jour de la nouvelle – et énième – loi antiterroriste de l’automne 2014 tout comme de la loi relative au renseignement du printemps 2015 – impulsée sous le choc des attentats de janvier. Dans les deux cas, notre Commission a su faire front, en adoptant des recommandations transpartisanes où majorité et opposition parlementaires se sont retrouvées avec des citoyen-ne-s, eux aussi de sensibilités diverses, venus de la société civile sur les mêmes inquiétudes face aux risques d’un pouvoir de police sans contrôle fiable ni limite solide.

Ce consensus, qui ne fut pas très difficile à obtenir, a mis en évidence le fossé grandissant entre une minorité de parlementaires avertis du numérique, familiers de ses usages et curieux de ses inventions, et une majorité de leurs collègues prompts à le diaboliser par peur de la modernité et par méconnaissance de ses réalités. Car c’est peu dire que nous n’avons pas été entendus : les avis de la seule Commission de l’Assemblée nationale où étaient représentées des expertises variées, concrètes et documentées, venues du numérique, de son économie comme de sa démocratie, furent tenus pour quantité négligeable lors des débats dans l’hémicycle. Au lieu de quoi, l’émotion, le fantasme et le simplisme – bref, la politique de la peur – ont tenu lieu de réflexion. A cette occasion, le pouvoir exécutif a confirmé sa tentation absolutiste faute de ce contre-pouvoir vivant et vigilant qu’aurait représenté un parlementarisme libéré de la servitude du présidentialisme.

Si notre Commission a pu si facilement s’accorder, à la fois dans son refus d’évidentes régressions démocratiques et dans sa demande d’un sursaut radicalement inverse, c’est qu’elle partage cette conviction, affirmée dès les premières lignes de son rapport final, que la révolution numérique appelle l’invention d’une nouvelle culture démocratique, plus approfondie, plus horizontale, plus partagée. Bien au-delà des étiquettes partisanes, tant la ligne de clivage traverse toutes les familles politiques, les débats autour des enjeux inédits soulevés par les bouleversements en cours de façon de plus en plus accélérée mettent en évidence la faiblesse de notre écosystème démocratique, ses retards et ses fragilités. Tandis que nos travaux s’efforçaient d’affronter patiemment ce défi, qui est au ressort de notre sourde crise politique, de ses silences comme de ses impatiences, les coups de force sécuritaires imposés en urgence par le gouvernement, sans expertise fouillée ni bilan véritable des dispositions déjà en vigueur – et de leurs échecs manifestes –, témoignaient de ce que notre pays est encore, hélas, une démocratie de basse intensité, superficielle, verticale et confisquée, tant elle dépend de la volonté d’un seul, en lieu et place de la mobilisation de tous.

2. Le droit de savoir

« La démocratie, soulignait à l’inverse Pierre Mendès France dans La vérité guidait leurs pas 1, c’est beaucoup plus que la pratique des élections et le gouvernement de la majorité : c’est un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire ; c’est un code moral. » Il reviendra, espérons-le, à d’autres assemblées de fonder, institutionnellement, cette culture démocratique nouvelle qui nous libérera de la fascination pour le pouvoir personnel où s’épuise, voire se nécrose, notre vie publique. Mais, sans attendre cette échéance, la démocratie est déjà notre affaire, ici et maintenant. Le principal acquis des travaux de notre Commission et de son rapport final est de l’affirmer fortement et concrètement sur le terrain de deux libertés fondamentales, sans l’épanouissement desquels l’exercice du droit de vote peut n’être qu’une comédie des apparences, une liberté minée de l’intérieur parce que corrompue par les propagandes et les mensonges, les illusions idéologiques ou communicantes : le droit de savoir et la liberté de dire.

En plaçant la question du droit de savoir – droit de connaître tout ce qui est d’intérêt public, droit d’accès, droit de communication, droit de diffusion, etc. – avant celle de la liberté de dire – liberté d’expression, d’opinion, de conviction, de point de vue, etc. –, notre rapport met l’accent sur une question politique centrale que posait Hannah Arendt dans un texte célèbre de 1967, Vérité et politique : « La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat ». Posant que les « vérités de fait », qu’il s’agisse du présent ou du passé, sont « les vérités politiquement les plus importantes », la philosophe mettait au centre de la vie démocratique la question du libre accès des citoyens aux informations d’intérêt public qui, les concernant au premier chef, ne sauraient être confisquées par les pouvoirs, étatiques ou économiques, nationaux ou transnationaux, tenues au secret ou couvertes par l’opacité. S’appuyant sur les potentialités nouvelles – d’accès facile, d’archivage infini et de partage démultiplié – ouvertes par les technologies numériques, notre rapport met en évidence l’immense retard démocratique de la France en ce domaine du droit à l’information.

Tel est pour nous l’acquis principal de ce rapport dont nous appelons tous les citoyen-ne-s à se saisir : exiger la consécration d’un droit fondamental à l’information d’intérêt public, non seulement par la loi mais par diverses dispositions qui sont détaillées dans les propositions énoncées. Loin d’en faire un enjeu limité aux métiers de l’information, elles placent cette question du droit de savoir au ressort de la vie démocratique, comme un enjeu citoyen que le surgissement des lanceurs d’alerte concrétise. C’est donc à la société de s’emparer de ce qui est ici affirmé et revendiqué, tant il est à craindre que ce rapport, hélas, reste lettre morte. De fait, malgré ses engagements électoraux de 2012, l’actuelle majorité parlementaire, réduite à sa discipline présidentielle, a pour l’heure remisé sa promesse d’une nouvelle loi protégeant réellement le secret des sources, alors même qu’elle adoptait une loi sur le renseignement qui, potentiellement, le met en péril.

Les quatre premières parties de ce rapport ont donc notre entière approbation, avec le souhait qu’elles servent de base, demain ou après-demain, à ce sursaut démocratique dont notre pays a urgemment besoin, en redonnant au peuple lui-même la capacité d’inventer et de délibérer de façon informée, par l’accès le plus large aux savoirs et aux connaissances. En revanche, tout en approuvant avec ses limites le compromis final énoncé dans la cinquième partie, nous regrettons que, faute de temps et de débats, notre Commission ait échoué à produire une avancée de la même ampleur sur la question des droits culturels.

3. Les droits culturels

Le contexte

L'irruption du numérique, a représenté un véritable séisme pour la réflexion sur les droits à l'égard des œuvres, notamment à partir des années 1990, lorsque l'usage massif du Web s'est ajouté à celui de l'informatique. Vingt ans plus tard, un fossé considérable s'est creusé entre le droit et les pratiques culturelles, mais aussi entre les différents acteurs de ce qui est devenu un écosystème complexe, où s'affrontent et s'allient aujourd'hui au moins quatre catégories d'acteurs : le public, les contributeurs à la création (auteurs, interprètes, techniciens), les éditeurs et producteurs et enfin les distributeurs et fabricants de matériels et logiciels pour ces matériels. Par ailleurs, des acteurs institutionnels comme les sociétés de perception et de répartition de droits, qui jouent ou pourraient jouer un rôle important de gestion collective pour tous les créateurs sont souvent contrôlés par les éditeurs, les héritiers et les gros bénéficiaires et interviennent de façon dominante dans le lobbying concernant l'évolution du droit d'auteur.

Nous voulons ici affirmer avec force qu'il est possible de servir ensemble les droits des auteurs et autres contributeurs à la création, le financement des activités créatives, le partage et la diversité de la culture. Mais que ce n'est possible qu'à condition de dépasser certaines incompréhensions concernant ce qui est en jeu dans l'espace numérique et de rompre avec certains dogmes.

Face à l'irruption du numérique, la réaction des acteurs en place a été marquée par un contresens majeur mais compréhensible. Ils ont été obnubilés par la perte de leur contrôle sur la circulation des œuvres, et sidérés que cette perte s'effectue au profit de ceux-là mêmes qui sont leurs clients : les individus qui apprécient les œuvres.

Les industries culturelles lancèrent ainsi une campagne pour empêcher les individus de partager les œuvres entre eux et pour pouvoir contrôler dans le détail leurs usages de celles-ci aux moyens de dispositifs techniques. Elles appelèrent « respect des droits d'auteur (ou du copyright) » et adaptation de ceux-ci à l'ère numérique cette offensive pour empêcher le développement de pratiques constitutives du Web (la copie, le partage, la réutilisation) lorsqu'elles portaient sur des œuvres soumises au droit d'auteur, même lorsque ces pratiques se développaient sans but de profit. Cette approche reposait sur diverses erreurs ou omissions :

Le bilan de l'approche qui fut activement poursuivie par les pouvoirs exécutifs et acceptée par les législateurs est fort peu satisfaisant :

Puisque le passé est déjà écrit, peut-on faire mieux dans le futur ? Nous en sommes convaincus, et nous sommes convaincus que c'est à cette condition qu'une vraie adaptation du droit d'auteur au numérique sera possible.

Comprendre l'écosystème et y favoriser de nouvelles synergies

Revenons aux quatre catégories d'acteurs listées plus haut, et prenons acte des profondes transformations que le numérique y a provoquées.

Comment sortir de ce cycle infernal où les seuls bénéficiaires sont les acteurs oligopolistiques, principalement les plateformes, secondairement les majors de l'édition ? C'est évidemment en reconnaissant enfin des droits au public et en construisant et soutenant des synergies positives entre lui, les auteurs et interprètes et les acteurs éditoriaux et de médiation innovants.

Repartir du socle des droits fondamentaux

Tout au court du travail de la commission, nous nous sommes basés sur les droits culturels fondamentaux. Définis dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme (article 27) et dans le Pacte des droits sociaux économiques et culturels (article 15 notamment), ils affirment en parallèle les droits de chacun à participer à la vie culturelle de la cité et ceux des auteurs — au sens large — à voir leurs intérêts moraux et matériels protégés. Sur ce dernier point, la déclaration comme le pacte sont agnostiques en ce qui concerne les moyens à employer, droits exclusifs ou toute autre méthode.

Les droits fondamentaux doivent à chaque époque être interprétés en prenant en compte les conditions concrètes de leur exercice. C'est d'ailleurs ce qu'a fait le Conseil Constitutionnel lorsque dans sa décision du 10 juin 2009 il a affirmé l'accès à internet comme condition de l'exercice du plus important de tous les droits du point de vue de la démocratie, la liberté de pensée et d'expression. La prise en compte des droits culturels appelle le même effort d'actualisation. Conscients que cette prise en compte qui suppose une réorientation du cours dominant de l'évolution des droits ne serait que progressive, nous avons mis sur la table une approche pragmatique et modérée, minimale, même. Tout en invitant le législateur à animer les débats futurs sur une définition plus large des droits culturels des individus dans la sphère non marchande, nous lui avons recommandé de faire de petits pas dans la direction des droits minimaux des usagers et des auteurs, selon quatre aspects.

Quand même les droits les plus minimaux sont rejetés

Notre approche était si pragmatique que nous avons proposé nous-mêmes de renoncer au troisième volet que nous jugeons pourtant essentiel pour une véritable « mutation numérique » du droit d'auteur. Malgré cela, nous nous sommes heurtés en ce qui concerne les droits d'usage minimaux à une opposition de principe d'un petit nombre de membres de la Commission opposant la lettre du droit existant à ce que nous affirmons être les conditions réelles de son application.

Pourquoi un tel blocage ?

Le droit d'auteur n'était certainement pas le seul sujet traité par notre commission pour lequel existaient des divergences de vue entre ses membres. Cependant, d'autres cas, la mission d'expliciter de nouveaux droits pour l'âge numérique a prévalu, et nous devons remercier les membres de la commission qui ont ainsi permis que des recommandations fortes et claires soient formulées.

Quelle est donc la spécificité du droit d'auteur de ce point de vue ? Quels facteurs ont joué pour aboutir à une telle crispation en faveur du statut quo ? Il est probable que la prévalence d'une approche juridique centrée le droit matériel existant et non sur son devenir souhaitable a joué. Mais une autre source de blocage provient de ce que l'objet réel des débats sur le droit d'auteur est en réalité plus large que son appellation le laisse supposer. Dans de très nombreux cas, il ne s'agit pas des droits des auteurs mais aussi des intérêts des éditeurs, producteurs, distributeurs ou fournisseurs de technologies et services ou plus récemment des droits — ou de leur absence — pour le public. Nous espérons que notre contribution aura contribué à rendre visible cet élargissement du champ, à y cerner synergies et contradictions et qu'elle contribuera au développement d'une culture des droits culturels fondamentaux en France et en Europe.

Philippe Aigrain et Edwy Plenel

Proposition ambigue sur la neutralité du Net renvoyée au Parlement européen - Les organisations citoyennes appellent à l'action

mardi 6 octobre 2015 à 18:38

Bruxelles, 6 octobre 2015 — Suite à la conclusion, plus tôt cette année, d'un compromis ambigu portant sur la neutralité du Net et les frais d'itinérance des téléphones portables, la proposition de règlement sur le Marché unique des télécommunications [EN] a finalement été renvoyée au Parlement européen pour son approbation finale.

La neutralité du Net est le principe selon lequel tout le trafic internet doit être traité de façon égale par les fournisseurs d'accès Internet. En assurant un accès équitable à Internet dans sa totalité, la neutralité du Net permet la liberté d'expression et d'information en ligne.

Au cours de la dernière semaine d'octobre, le Parlement sera appelé à voter un texte contenant des principes positifs interdisant la plupart - mais pas toutes - des discriminations sur la toile. L'imprécision du texte laisse la porte ouverte à de nombreuses formes de comportements discriminatoires. On fait donc face à un « processus décisionnel dévoyé » duquel les principales décisions ont été retirées.

« Le Parlement européen est face à un choix simple » , selon Joe McNamee, Directeur exécutif de European Digital Rights (EDRi). « Soit il accepte les amendements afin de donner un sens réel et prévisible au texte, soit il laisse les régulateurs nationaux décider si, quand et comment les Européens obtiendront la neutralité du Net. »

Par exemple :

« Avec nos co-signataires, nous appelons tous les citoyens européens à passer d'urgence à l'action maintenant, via SaveTheInternet, afin de porter ces lacunes à l'attention du Parlement européen », poursuit Joe McNamee.

Contexte :