PROJET AUTOBLOG


La Quadrature du Net

source: La Quadrature du Net

⇐ retour index

Technopolice: les bailleurs sociaux en première ligne

mercredi 10 mars 2021 à 16:29

On sait que les quartiers les plus défavorisés sont des lieux privilégiés d’expérimentation de la technopolice et de la répression policière. Caméras-piétons, LBD, drones : autant d’exemples de techniques largement déployées sur les populations les plus précaires avant d’être généralisées.

Le rapport annuel 2021 de l’Association Nationale de la Vidéoprotection, le grand lobby national de la vidéosurveillance, apporte de nouveaux éléments sur les rapports entretenus entre la Technopolice et les quartiers populaires.

Plusieurs pages sont dédiées aux sombres pratiques du plus grand bailleur de logements sociaux en France, le Groupe 3F . Y sont en particulier décrits trois exemples d’utilisation de la vidéosurveillance par le groupe. Tous concernent des « Quartiers de reconquête républicaine » (QRR) et portent des noms de code militaires, tels « Opération JULIETT » ou encore « Opération ALPHA ».

L’utilisation de caméras cachées

Le premier cas concerne l’installation de caméras de vidéosurveillance dans le 19e arrondissement de Paris, dans le quartier de Crimée. Il s’agissait de lutter contre des regroupements de personnes répondant à « des logiques de trafic [..] ou ethniques » (sic).

On apprend que la reconquête du parking « Jumeau » a ainsi impliqué l’installation de caméras « anti-vandales » mais aussi de caméras factices et de caméras « pin-hole ».

Ces dernières sont conçues pour être quasiment indétectables à l’œil nu et sont normalement utilisées pour espionner une ou plusieurs personnes à leur insu. Elles peuvent par exemple être installées dans de faux détecteurs anti-incendies, de faux détecteurs de mouvement ou simplement dans de fausses vis ! En voici deux exemplaires trouvés sur internet :

Une caméra dans un détecteur de fumée :

Une caméra dans une prise électrique :

La retransmission en temps réel aux services de police

La deuxième spécificité des systèmes de vidéosurveillance mis en place par le bailleur social est la transmission des images en temps réel aux Centres de Supervision Urbaine (CSU) des forces de l’ordre.

Si ce déport vidéo est autorisé, il faut toutefois préciser que cette pratique est strictement encadrée par la loi LOPPSI 2. Elle n’est en particulier autorisée qu’en cas « de circonstances faisant redouter la commission imminente d’une atteinte grave » et limitée au « temps nécessaire à l’intervention des services de la police ou de la gendarmerie ».

Notons d’ailleurs que dans le cadre de la loi « Sécurité Globale », le gouvernement cherche à faciliter ce déport en le permettant dès lors qu’il y a « occupation par des personnes qui entravent l’accès et la libre circulation des locataires (…)». L’article 20 bis du projet de loi de Sécurité Globale voté par l’Assemblée Nationale prévoit de supprimer le critère d' »atteinte grave » et de le remplacer par « en cas d’occupation par des personnes qui entravent l’accès et la libre circulation des locataires ou empêchent le bon fonctionnement des dispositifs de sécurité et de sûreté ou nuisent à la tranquillité des lieux » (voir notre billet à ce sujet). Cet article a été supprimé par le Sénat mais devrait malheureusement revenir au moment des débats en commission mixte paritaire.

Mais à Aulnay, dans le cadre de l’opération « ALPHA », Immobilière 3F ne semble pas faire grand cas de cet encadrement. Il est ainsi prévu que le déport vidéo vers le CSU d’Aulnay puisse être activé à la demande des policiers. Rien ne permet de comprendre comment le cadre législatif sera respecté.

Opération « Chicha »

Dernière illustration de la banalisation de l’utilisation de la vidéosurveillance des habitants de logements sociaux ? Le bailleur social se vante d’utiliser des caméras nomades pour lutter contre… les fumeurs de chicha.

Tout cela ne fait que souligner la surveillance permanente, et pernicieuse, des populations défavorisées. Comme les migrants aux frontières, elles sont les premières à souffrir de la fuite en avant technopolicière de notre société.

Une fuite en avant

Ces expérimentations donnent, de nouveau, à voir l’infiltration permanente de la surveillance dans notre société : aux caméras-fixes dans la rue, se superpose une surveillance par les airs (drones), à hauteur d’hommes (caméras-piétons), surveillance qui nous poursuit désormais jusque dans les halls d’immeubles. A quand nos portes d’entrée ou nos chambres ?

La possibilité de transmettre ces vidéos dans des centres de commandement, centralisant et analysant l’ensemble de ces flux, est désormais facilitée et encouragée alors même qu’elle était initialement strictement encadrée.

Que dire enfin des caméras de type « pin-hole » ? Alors que la législation mettait au cœur de l’équilibre du système l’information des personnes sur l’existence des caméras (qui devaient être visibles pour tout le monde), on constate le développement de caméras discrètes, cachées, invisibles. Une surveillance qui ne s’assume plus, qui se veut invisible, pernicieuse et incontestable…

MaDada : exigeons les documents de la Technopolice

lundi 8 mars 2021 à 13:25

MaDada.fr est une plateforme web citoyenne, ouverte à tous, qui facilite et permet à tout un chacun de faire des demandes d’accès aux documents administratifs. Demandons les documents de la Technopolice partout autour de nous, exigeons la transparence, afin de mieux lutter contre ces dispositifs.

La campagne Technopolice vise à analyser et documenter les dispositifs de surveillance policière qui se propagent dans nos villes et nos vies, afin de mieux les contrer. Ce travail de veille et de recherche d’information, nous l’effectuons ensemble, de façon décentralisée, le forum Technopolice, ouvert à tous, nous servant de lieu où nous nous retrouvons, et où toutes ces informations se croisent, s’échangent et sont analysées collectivement. Le site data.technopolice.fr est lui un lieu de sauvegarde et d’organisation des documents issus de nos recherches.

Ces recherches et analyses nourrissent nos actions pour contrer la surveillance : elles nous aident à porter et appuyer des contentieux, à organiser des actions collaboratives (carte de la Technopolice, lettre ouverte pour les municipales) ou des actions de sensibilisation (expositions et ateliers Technopolice à Avignon, Marseille ou Nice ). Lire notre boîte à outils pour en savoir plus sur nos outils et modes d’actions.

Une source très importante d’informations pour la campagne Technopolice sont les « demandes d’accès aux documents administratifs », (parfois appelées « demandes CADA » par abus de langage, du nom de l’autorité chargée de rendre des avis sur la communicabilité des documents administratifs). La Technopolice avance vite, se répand et évolue en permanence, mais elle avance masquée, sans études préliminaires, sans débat ni concertation citoyennes et dans un manque profond de transparence et de démocratie. C’est à travers des informations recueillies par des demandes CADA que nous avons pu attaquer et faire interdire les portiques de reconnaissance faciale à Marseille et Nice, ou bien que l’écoute sonore à Saint-Étienne est apparue délirante.

Faisons valoir notre droit d’accès aux informations publiques

L’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 mentionne que « La société a le droit de demander des comptes à tout Agent public de son administration ». Le droit d’accès aux informations publiques est donc un droit constitutionnel. Ce droit est précisé et garanti par la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, codifiée au livre III du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), qui institue le principe de la liberté d’accès aux documents administratifs à toute personne qui en fait la demande.

Notre Guide de demandes CADA vous propose un modèle de lettre et donne des indications détaillées sur la rédaction des demandes de documents administratifs.

MaDada.fr : une plateforme collaborative qui facilite les demandes

Une fois que l’on a identifié la demande à faire, les documents à demander et l’administration à laquelle l’adresser, on peut passer par Ma Dada. Il s’agit d’une plateforme web citoyenne, initiative de l’association Open Knowledge Foundation France, qui permet d’acheminer les demandes en maintenant à jour l’annuaire des administrations, d’y recevoir les réponses éventuelles, de recevoir des notifications en cas de dépassement des délais légaux de réponse et d’effectuer les rappels et les recours amiables dans ce cas. Elle permet le suivi des demandes, la duplication de celles-ci et l’envoi de demandes en série à plusieurs administrations à la fois (demandes par paquets de la fonctionnalité avancée MaDada++). En cas de non réponse après le délai légal d’un mois, afin de faciliter la saisine de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), elle permet d’avoir accès à l’échange complet de la demande via son lien web public, ou d’en exporter une copie dans un fichier PDF.

Par défaut, les demandes sur Ma Dada sont publiques, leur réponses également. La plateforme joue ainsi le rôle d’une base de connaissances ouverte collective, un document demandé par un utilisateur profitant à tous les autres. Certaines peuvent néanmoins être rendues privées (fonctionnalités avancées MaDada++) pour les besoins d’une enquête ou d’analyse avant publication, ou pour celles et ceux qui ne souhaitent pas s’exposer.

Une demande d’accès aux documents administratifs doit obligatoirement comporter l’identité de la personne qui en fait la demande ou, pour une association, le nom de l’association et son numéro RNA. Ainsi, si dans le cadre de la campagne Technopolice vous souhaitez faire des demandes tout en restant anonyme, n’hésitez pas à nous l’indiquer sur le forum Technopolice. Ma Dada peut également, sur demande ou signalisation, censurer des informations personnelles qui paraissent sur le site.

Mettons à nue la Technopolice

Pour la Technopolice, nous avons commencé à utiliser Ma Dada. Il est ainsi possible s’inspirer de demandes existantes : en voici par exemple une qui demande tous les documents relatifs à l’audit du système de surveillance à Marseille ; ou encore une autre concernant la sécurité des grands événements et des JO de Paris 2024 . Voici également cette demande par paquets adressée à chacune des villes de la Technocarte pour y obtenir les arrêtés préfectoraux d’autorisation des emplacements des caméras de surveillance.

Restez connectés, nous publierons dans les jours qui viennent différents exemples et résultats d’analyses de demandes CADA qui nous ont été utiles dans la campagne Technopolice !

La police en hélicoptère, ou la surveillance militaire des citoyens

vendredi 5 mars 2021 à 12:05

Ce article a été d’abord publié sur le blog de notre site de campagne Technopolice.

Depuis plusieurs années, les hélicoptères de la gendarmerie sont régulièrement déployés pour des missions de surveillance de l’espace public, et ce en toute illégalité. Dotés d’un matériel d’abord développé dans un contexte militaire, la police se vante de leur capacité d’espionnage bien supérieure à celles des drones : caméras thermiques avec zoom ultra-puissant, suivi automatisé des suspects, transmission en temps-réel des images à des postes de commandement…

Leur usage n’a pourtant jamais été sanctionné – ni par le juge ni par la Cnil. Le gouvernement veut maintenant les légaliser dans la PPL « Sécurité Globale » – dont les débats ont repris début mars au Sénat.

Difficile de remonter aux premières utilisations d’hélicoptères par la police à des fins de surveillance de l’espace public. En octobre 2000, une question écrite au Sénat laisse déjà deviner une utilisation régulière d’hélicoptères équipés de « caméras vidéo thermiques embarquées » par la police et la gendarmerie.

Aujourd’hui en tous cas, la police et la gendarmerie sont fières de leurs capacités de surveillance. Pendant le confinement, elles vantaient ainsi que l’hélicoptère « ne peut être ni vu ni entendu par les personnes au sol » et est doté de caméras « capables de deviner à des centaines de mètres la présence d’êtres humains ou d’animaux ». En 2018, il était précisé que la caméra pouvait même « identifier un individu à 1,5 km de distance » avec retransmission « en direct et suivi depuis le centre interministériel de crise du ministère de l’Intérieur ».

En 2017, le commandant des « forces aériennes de la gendarmerie nationale » parle d’un « énorme zoom qui permet de lire à 300 mètres d’altitude une plaque d’immatriculation située à un kilomètre, d’identifier une personne à 2 km et un véhicule à 4 km », précisant qu’il peut « demander à la caméra de suivre automatiquement un objectif, quelle que soit la position ou la trajectoire de l’hélicoptère ».

Un matériel militaire pour de la surveillance interne

Plus que le type d’hélicoptère utilisé (apparemment, des « EC-135 » que la gendarmerie prête à la police quand celle-ci en a besoin), c’est le type de caméra qui importe.

Depuis au moins 2010, la gendarmerie utilise un dispositif nommé « Wescam MX-15 » – qui n’est même plus qualifié de « simple caméra » mais de « boule optronique ». C’est cet objet, avec sa caméra thermique et son zoom surpuissant, qui permet à la police de filmer, traquer, identifier (de jour comme de nuit) et de retransmettre en direct le flux vidéo, avec une « qualité d’image comparable à celle que le public connaît pour le Tour de France ».

C’est un appareil clairement militaire, utilisé dans des zones de guerre et répertorié en tant que tel sur des sites d’armement. Il est pourtant déployé depuis plusieurs années au-dessus des villes en France. Comme pour d’autres outils de la Technopolice (drones, vidéosurveillance automatisée…), il y a encore ici cette porosité entre les technologies militaires utilisées dans les pays en guerre, celles expérimentées aux frontières et celles déployées pour la surveillance des villes – soit une militarisation progressive de nos espaces publics.

Pour le futur, les hélicoptères devraient être équipés chez Safran, avec une « boule optronique » dite « Euroflir 410 » : un zoom encore plus puissant, des détecteurs de mouvement, un ordinateur intégré… Bref, un ensemble de technologies que la police ne manquera pas d’utiliser pour nous espionner au plus près. Comme pour les drones, ce type de technologies couplé à de l’analyse logicielle des images concrétise la société fantasmée par le ministère de l’Intérieur dans son


livre blanc publié en novembre dernier : celui d’une surveillance automatisée et totale. L’objectif est que ce nouveau dispositif soit « opérationnel avant les JO de Paris 2024 ».

Surveillance des manifestations et identification des « suspects »

Les utilisations des hélicoptères semblent encore plus larges que celles des drones : surveillance du confinement et des manifestations, surtout pendant celles des gilets-jaunes. En mars 2019, la gendarmerie annonce d’ailleurs avoir effectué 717 heures de vol au-dessus des manifestations, pour un coût total de 1 million d’euros.

En 2010, déjà, la gendarmerie se vantait de sa surveillance des manifestations, car les hélicoptères sont, selon elle, «  les mieux placés pour détecter les débordements, incidents ou intrusions dans les cortèges » avec des « images transmises en direct dans les salles de commandement (…) permettant aux responsables de faire intervenir immédiatement les effectifs au sol ».

Au-delà de le surveillance des machines, c’est aussi sur leur capacité d’intimidation que mise la police quand elle dit « faire du bruit » au dessus des manifestations ou qu’elle multiplie les survols menaçants et continus au-dessus des ZAD.

Illégalité et impunité de la surveillance

Tout ce pouvoir de surveillance n’a jamais été, et n’est toujours pas, encadré par le moindre texte de loi. Il n’existe aucune limite à ce qu’a pu faire et ce que peut faire aujourd’hui la police en termes de surveillance de la voie publique par hélicoptères : durée de conservation des données, types de lieux pouvant être filmés, accès aux images, information sur la captation…

C’est exactement la même illégalité que nous avions soulevé concernant les drones et qui a conduit à leur interdiction en France, par le Conseil d’Etat d’abord, par la Cnil ensuite : l’absence de texte législatif ou réglementaire permettant à la police de capter des données personnelles. Rien de tel malheureusement pour les hélicoptères : malgré leur utilisation régulière, aucune autorité n’est venue rappeler le droit à la police.

Le gouvernement, les parlementaires et la police en sont bien conscients. Ils veulent donc profiter de la proposition de loi « Sécurité globale » pour légaliser le dispositif – plusieurs dizaines d’années plus tard.

La proposition de loi « Sécurité globale » revient en ce moment devant le Sénat. En plus d’intensifier la vidéosurveillance fixe, elle veut légitimer la vidéosurveillance mouvante : les drones, les caméras-piétons, les caméras embarquées et donc, les hélicoptères. Les parlementaires doivent refuser la militarisation de la surveillance de l’espace public.

La loi Sécurité Globale validée en commission au Sénat

mercredi 3 mars 2021 à 15:03

La commission des lois du Sénat a adopté ce matin sa position sur la proposition de loi Sécurité Globale. Il ne faut pas se laisser abuser par les modifications apportées au texte et dont se vanteront sans doute les rapporteurs, MM Hervé et Daubresse. Le texte adopté ce matin est aussi sécuritaire que celui adopté par l’Assemblée nationale.

Un débat à huis clos

Première mauvaise surprise : le débat en commission des lois s’est déroulé derrière des portes closes (sans retransmission vidéo) et a été d’une rapidité surprenante. Commencé à 8h30, l’examen du texte s’est terminé à 11h30. Il n’aura fallu que trois heures aux sénateurs pour voter leur version de la proposition de loi. Et, en toute opacité donc, réécrire l’article 24, légaliser les drones et les caméras embarquées, intensifier la vidéosurveillance fixe.

Article 24

Comme annoncé, les rapporteurs ont tenté de neutraliser l’article 24 qui, dans sa version initiale, aurait empêché de documenter les violences policières. Désormais, cet article se divise en deux infractions : une première sanctionne « la provocation, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, à l’identification » d’un policier ou d’un militaire ; une deuxième infraction sanctionne le fait de réaliser un traitement de données personnelles concernant des fonctionnaires sans respecter le RGPD et la loi informatique et liberté.

Ces nouvelles formules sont si confuses et redondantes avec le droit existant qu’il faut regretter que l’article n’ait pas été entièrement supprimé. On peut toutefois espérer que, ainsi modifié, l’article 24 ne fasse plus diversion et que le débat puisse enfin se recentrer sur les mesures de surveillance au cœur de la proposition de loi.

Vidéosurveillance

Le code de la sécurité intérieure limite actuellement le visionnage des images de vidéosurveillance aux seuls agents de la gendarmerie et de la police nationale. Ce matin, le Sénat a validé les articles 20, 20 bis A et 20 ter de la loi Sécurité Globale qui étendraient cet accès aux agents de la police municipale et de la ville de Paris, des communes, des communautés de communes et groupements similaires ainsi que des services de sécurité de la SNCF et de la RATP. Les sénateurs se sont contentés de quelques modifications de façade (ici, ici et ) qui, prétendant suivre l’avis d’une CNIL démissionnaire (relire nos critiques), ne changeront rien à l’extension injustifiable des personnes pouvant accéder aux images de vidéosurveillance.

Il n’y a bien qu’une seule véritable (et maigre) avancée en matière de vidéosurveillance : la commission des lois a supprimé l’article « 20 bis ». Celui-ci prévoyait de faciliter la retransmission en direct des images filmées par les caméras posées dans les halls d’immeubles. Comme nous l’avions souligné dans notre analyse juridique, en plus d’être une mesure de surveillance extrêmement invasive, cette disposition était clairement inconstitutionnelle.

Les rapporteurs ne pouvaient donc que l’enlever. La disposition risque malheureusement de réapparaître en commission mixte paritaire au moment des discussions avec l’Assemblée nationale.

Drones

S’agissant des drones, les rapporteurs ont appliqué une technique éculée en matière de faux-semblants législatifs : réécrire un article pour lui faire dire la même chose avec des mots à peine différents. Si l’amendement adopté semble dense, les différences avec le texte initial sont presque nulles : la police et la gendarmerie pourront tout aussi facilement déployer leurs drones pour maintenir leur politique de surveillance massive et de répressions des libertés par la violence (relire notre analyse).

La seule avancée obtenue ce matin est l’interdiction explicite de l’audiosurveillance et de la reconnaissance faciale par drone. Les rapporteurs prétendent vouloir «  réaffirmer, à ce stade, la prohibition des techniques qui ne sont pas expressément autorisées par le législateur (captation des sons, reconnaissance faciale, interconnexions automatisées de données) ». Bien que cette interdiction explicite ne soit pas nécessaire (le droit interdit déjà ces pratiques), ce positionnement symbolique du Sénat est bienvenu face à des industriels qui invitent déjà les autorités à recourir à ces techniques.

Caméra-piétons

La victoire symbolique obtenue sur les drones doit être largement relativisée : si nous redoutions le déploiement massif de la reconnaissance faciale, ce n’est pas tant sur les drones que sur les caméras-piétons, bientôt largement déployées en France et dont les images seront transmises en temps réel au centre de contrôle en application de la loi Sécurité Globale. Les rapporteurs n’ont rien fait pour contrer ce risque pourtant bien plus actuel et immédiat que celui posé par les drones, plus lointain. Comme si leur souhait de « réaffirmer » l’interdiction de la reconnaissance faciale était limité aux scénarios les plus abstraits mais que, pour les choses que la police réclame concrètement, le législateur devrait baisser les yeux et la laisser faire.

Ici encore, l’amendement adopté ce matin se contente de réécrire sans rien changer, en prétendant suivre l’avis de la CNIL qui, elle même, ne proposait rien de concret ou de juridique.

Reconnaissance faciale

La commission des lois a rejeté les amendements que nous dénoncions hier comme tentant d’instaurer un système de reconnaissance faciale généralisé. La provocation politique était sans doute trop importante. Et pourtant, dans le même temps, les sénateurs ont aussi rejeté l’amendement qui proposait d’interdire pendant deux ans les dispositifs de biométrie policière.

Comment comprendre ces deux positions qui, en apparence, s’opposent ? La situation semble identique à celle constatée à l’Assemblée nationale l’an dernier : la majorité et la droite souhaitent bien que la loi Sécurité Globale renforce le dispositif de reconnaissance faciale autorisé depuis 2012 par décret, mais pas grand monde ne semble prêt à assumer la responsabilité d’autoriser explicitement un tel régime dans la loi. L’hypocrisie est totale quand les rapporteurs prétendent interdire ce dispositif sur les drones mais refusent toute interdiction plus large.

Prochaine étape : la discussion en séance publique qui aura lieu les 16, 17 et 18 mars prochains. Il sera plus que jamais nécessaire de maintenir la pression sur les sénateurs pour qu’ils aillent beaucoup plus loin que les rapporteurs et mettent un coup d’arrêt définitif à ce texte.

Sécurité Globale : la droite appelle à la reconnaissance faciale

mardi 2 mars 2021 à 15:24

Demain 3 mars, la commission des lois du Sénat examinera la loi Sécurité Globale, déjà adoptée en novembre par l’Assemblée nationale (relire notre réaction). Alors que le texte était déjà largement contraire à la Constitution et au droit européen (relire notre analyse), les sénateurs et sénatrices de droite et du centre souhaitent s’enfoncer encore plus loin dans l’autoritarisme en officialisant un système jusqu’alors implicite dans la loi : instaurer un vaste régime de reconnaissance faciale.

Dans le cadre du vote de la loi Sécurité globale, 68 sénateurs et sénatrices proposent d’inscrire la reconnaissance faciale au livre VIII du code de la sécurité intérieure qui, créé en 2015 par la loi renseignement, avait autorisé la surveillance de masse des communications électroniques (voir notre analyse). Cette surveillance de masse s’étendrait désormais à nos rues : tous les visages filmés par les 75 000 caméras de vidéosurveillance françaises pourraient être analysés sur simple autorisation du Premier Ministre, afin de retrouver des personnes recherchées pour terrorisme. Cette apparente limitation aux menaces terroristes ne doit rassurer personne : la police et les services de renseignement qualifient seuls ce qui relève du terrorisme, sans le contrôle préalable d’un juge, ce qui permet déjà de viser des militants politiques (relire notre analyse concernant la censure des mouvements sociaux). Surtout, qu’elle soit soupçonnée ou non de terrorisme, l’ensemble de la population aurait son visage analysé, soumis à un contrôle d’identité invisible et permanent.

Un second amendement, signé par 19 sénateurs, propose déjà d’étendre ce système au-delà des seules menaces terroristes afin d’identifier toutes les personnes fichées dans le FAED (fichier automatisé des empreintes digitales – qui recueille aussi des photos de face des « relevés de signalétiques ») et le fichier des personnes recherchées, pour n’importe quelle finalité.

Ces initiatives n’ont rien de bien nouveau (c’est un classique de la droite la plus dure) et il faut espérer que ces amendements ne survivent pas bien longtemps tant ils sont liberticides et contraires à la Constitution et au droit européen (les signataires de ces amendements ignorent manifestement l’exigence de « nécessité absolue » requise par la directive 2016/680 en matière de biométrie). Hélas, peu importe que ces amendement perdurent ou non, car l’important soutien qu’ils ont reçu suffit à établir un terrible rapport de force : alors que, depuis plusieurs mois, une large partie de la population dénonce le risque que la vidéosurveillance et les caméras-piétons n’aboutissent à un système de reconnaissance faciale généralisée, Les Républicains (et leurs alliés centristes) tentent de s’approprier ce thème autoritaire pour en faire leur horizon politique immédiat.

En contraste, cette offensive autoritaire spectaculaire permet aux rapporteurs du texte, MM. Hervé et Daubresse, de se donner des airs de modérés à peu de frais. Ainsi leurs amendements sur les drones, les caméras piétons et l’extension de la vidéosurveillance valident les objectifs répressifs de Gérald Darmanin en les saupoudrant de « gardes-fous » de façade qui ne changent rien aux critiques politiques et juridiques si nombreuses à faire contre ce texte.

Dans ces conditions, difficile d’espérer un débat législatif capable de prendre en compte nos libertés. Comme trop souvent, il faudra très certainement se tourner vers le Conseil constitutionnel ou d’autres juridictions pour espérer cela, ou rejoindre le niveau européen par la pétition en cours contre la biométrie policière. En attendant, on peut saluer les amendements de la gauche qui, en minorité, propose de retirer l’autorisation des drones et de suspendre pendant 2 ans tous les dispositifs d’analyse biométrique automatisée.

Nous nous retrouverons demain dans la matinée pour suivre et commenter le vote du texte en commission. Comme pour souligner l’ampleur de l’offensive sécuritaire que nous subissons actuellement, ce vote sera suivi par l’audition de Gérald Darmanin, de Marlène Shiappa et d’Éric Dupond-Moretti sur la loi « séparatisme » – l’autre grande loi autoritaire qui vise, entre autres choses, à renforcer les pouvoirs du gouvernement pour dissoudre et entraver les associations militantes (voir notre position).