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Passe sanitaire : attaquons l’obligation d’identification

mercredi 9 juin 2021 à 14:37

Le gouvernement vient de lancer son système de passe sanitaire. Nous allons déposer un référé (recours d’urgence) contre ce passe sanitaire devant le Conseil d’État car il divulgue de façon injustifiée des données sur l’état civil et des données de santé.

L’accès aux grands événements sera limité aux personnes présentant certaines garanties contre la pandémie, telles que le fait d’être vaccinées, d’avoir réalisé un test PCR ou de s’être récemment rétablies de la maladie. Ce n’est pas cette limitation que nous avons choisi d’attaquer. Le problème principal que nous attaquons est que, pour apporter la preuve d’une telle garantie, chaque personne devra fournir un passe sanitaire comportant son nom afin, comme l’a expliqué Cédric O, de prouver qu’elle en est bien la titulaire par la production d’une carte d’identité ou d’un passeport. Ainsi, l’accès aux grands événements sera en pratique limité aux personnes disposant d’une carte d’identité ou d’un passeport. C’est cette conséquence du passe sanitaire que nous sommes sur le point d’attaquer devant le Conseil d’État.

Si, en pratique, la possession d’une carte d’identité semble être une obligation pour beaucoup de personnes, elle ne l’est pas en droit : notre identité se prouve par tout moyen (pendant des siècles, par exemple, elle se prouvait simplement par témoignage oral, ce que l’administration admet d’ailleurs comme étant toujours valable). La possession d’une carte d’identité ne doit pas s’imposer davantage qu’elle ne l’est aujourd’hui, car ce type de fichage généralisé risque d’avoir de terrible conséquences avec le développement des nouvelles technologies et la légalisation de la surveillance de masse.

Reconnaissance faciale

Dès aujourd’hui, nombre d’entre nous refusons de renouveler notre carte d’identité depuis qu’un décret de 2015 prévoit que la photo de notre visage doit obligatoirement être numérisée et centralisée dans le méga-fichier TES en cas de renouvellement de papiers d’identité. Ce méga-fichier, que nous avons attaqué sans succès devant le Conseil d’État, sera la base idéale du système de reconnaissance faciale généralisée dont rêvent les différents partis de droite dure qui se partagent actuellement le pouvoir.

Traçage automatisé

De plus, la crise sanitaire ne doit pas être un prétexte pour rétablir l’obligation généralisée de détenir une carte d’identité, telle que l’avait imposée le gouvernement de Vichy afin de traquer et de tuer les séparatistes juifs et résistants.

Cette crainte est d’autant plus grave que le système de code en deux dimensions (parfois appelé « cachet électronique visible » ou « 2D-Doc ») intégré au passe sanitaire est celui destiné à intégrer les futures cartes d’identité biométriques. Ce système simple et pratique de code en 2D facilitera le traçage constant et à grande échelle de toute personne présentant sa carte d’identité. Si, à l’heure actuelle, le passe sanitaire permet déjà et très facilement la constitution de fichiers illicites de données personnelles, la situation pourrait très vite s’aggraver s’agissant des futures cartes d’identité. En facilitant le contrôle d’identité (il suffit de scanner un code 2D, n’importe qui peut le faire avec un smartphone) on peut s’attendre à des contrôles d’identité de plus en plus numérisés et nombreux, de la part de la police (en entrée de manifestation ou en cités) comme des services de sécurité privée (discothèques, festivals, transports, hôtels…).

Tel que cela a été le cas pour les téléphones (voir notre dossier), il faut redouter que la loi impose rapidement à ces systèmes de contrôle d’identité de conserver durablement les informations automatiquement collectées sur les cartes d’identité, afin de les mettre à disposition de la police et des services de renseignement pour leur permettre de suivre à la trace nombres de nos activités.

En résulte un triptyque idéal du traçage constant, automatisé et centralisé de l’ensemble de la population : géolocalisation du téléphone, reconnaissance faciale et contrôle d’identité automatisé.

Données de santé

Comme si ce futur n’était déjà pas assez insupportable, le passe sanitaire pose dès aujourd’hui un autre problème aussi absurde qu’injustifiable : la lecture du code en 2D permet à n’importe qui, toujours aussi facilement, d’accéder à des données de santé très sensibles mais parfaitement inutiles au fonctionnement du passe : date de prise du vaccin, nom du vaccin, contraction passée de la maladie… Difficile de comprendre pourquoi le gouvernement a permis un tel système, parfaitement contraire tant au décret qu’à la loi encadrant le passe sanitaire. C’est un autre argument que nous déploierons devant le Conseil d’État contre ce système.

Refuser la surveillance de masse

Nous devons repousser toute tentative de rendre obligatoires les cartes d’identité et de généraliser la reconnaissance faciale (qui sera une conséquence probable de l’obligation d’avoir une carte d’identité). Le passe sanitaire, dans son format actuel, renforce ces deux risques mortels pour nos libertés.

À la place de ce passe sanitaire, nous appelons à la seule alternative capable de repousser l’enfer sécuritaire souhaité par l’extrême droite : faisons-nous confiance les un·es les autres pour ne pas mettre en danger notre entourage, demandons-nous de ne pas aller en festival ou en concert sans vaccin ou test PCR à jour, et arrêtons de nous considérer comme des irresponsables. Depuis plus d’un an, aucun laboratoire ne demande une pièce d’identité pour réaliser un test PCR ; il est absurde d’en demander une aujourd’hui pour le passe sanitaire. La crise sanitaire ne pourra être traversée sans confiance réciproque, et la confiance ne saurait jamais naître de la contrainte.

Image d’illustration : Musées d’Arts et d’Histoire de La Rochelle

Lettre ouverte appelant à l’interdiction mondiale du recours à la reconnaissance faciale et biométrique permettant une surveillance de masse et une surveillance ciblée discriminatoire

mardi 8 juin 2021 à 16:07

La Quadrature du Net est signataire d’une lettre ouverte internationale, signée par plus de 170 associations dans le monde entier et rédigée par EDRi, Access Now, Amnesty International, Human Right Watch, Internet Freedom Foundation (IFF), et l’Instituto Brasileiro de Defesa do Consumidor (IDEC).

Nous, les soussigné·e·s, demandons l’interdiction totale du recours aux technologies de reconnaissance faciale et de reconnaissance biométrique à distance qui permettent une surveillance de masse et une surveillance ciblée discriminatoire. Ces outils ont la capacité d’identifier, de suivre, de distinguer et de repérer des personnes où qu’elles aillent, compromettant ainsi nos droits fondamentaux et nos libertés civiles – notamment les droits à la vie privée et à la protection des données, le droit à la liberté d’expression, le droit à la libre association (ce qui mène à la criminalisation des actions de protestation et a un effet dissuasif), et les droits à l’égalité et à la non-discrimination.

Ces technologies menacent délibérément les droits des citoyen·ne·s et ont déjà causé de graves préjudices. Aucune mesure de protection technique ou juridique ne pourrait totalement éradiquer le risque qu’elles représentent, et nous pensons donc qu’elles ne doivent jamais être utilisées en public ni dans des espaces accessibles au public, que ce soit par des gouvernements ou par le secteur privé.

Lire la lettre entière ici

Plus d’informations

Le Printemps Marseillais dans la Technopolice ? Au fond à droite

mardi 8 juin 2021 à 10:31

À Marseille, la nouvelle majorité municipale s’était engagée durant la campagne 2020 à mettre un coup d’arrêt aux projets technopoliciers de l’ancien maire Jean-Claude Gaudin. Hélas, un an plus tard, l’ensemble de ces engagements ont été trahis. La gauche au pouvoir serait-elle condamnée à reproduire les vieux réflexes sécuritaires qui, depuis quarante ans, gangrènent le débat public ?

La participation des représentants de la plupart des partis de gauche à la scandaleuse manifestation policière devant l’Assemblée nationale, le 19 mai dernier, est loin d’être un fait isolé ou une erreur de parcours. Bien au contraire, elle constitue la dernière illustration en date d’une stratégie quasi-constante depuis quarante ans, qui voit ces partis de gauche se livrer à une surenchère sécuritaire dans le but de séduire les électeurs des partis plus à droite. Or, ce faisant, ces partis entretiennent non seulement leurs propres défaites électorales, aggravant la désaffection des électeurs, mais ils actent aussi une véritable démission idéologique, puisqu’ils renoncent de ce fait à réfléchir à d’autres réponses que la répression et le musellement des libertés pour assurer la « paix sociale ». La droite et ses obsessions autoritaires gagnent ainsi par forfait.

Depuis le lancement de la campagne Technopolice en septembre 2019, et à notre modeste mesure, l’un de nos objectifs consiste à battre en brèche ces tendances délétères en contribuant à politiser les enjeux liés à la surveillance numérique dans nos villes. C’est dans cette optique que, lors des élections municipales de l’an dernier, nous avions cherché à interpeller les équipes en lice autour des projets de vidéosurveillance automatisée ou de police prédictive.

À Marseille par exemple, en lien avec d’autres associations et collectifs locaux, nous avons rédigé une lettre ouverte à l’adresse des candidats, et publiée le 5 mars 2020 dans le journal La Marseillaise. Cette lettre ouverte faisait quatre demandes :

Parmi les principaux partis en lice, le Printemps Marseillais fut le seul à nous contacter suite à cette lettre ouverte.

Des promesses électorales…

En campagne pour les élections municipales, cette liste de « gauche plurielle » incorporant des profils issus de la « société civile » nous disait être en accord avec ces demandes. Compte tenu de l’illégalité de l’expérimentation de la vidéosurveillance automatisée (voir notre recours déposé devant le Tribunal administratif de Marseille en octobre dernier) et des nombreux problèmes soulevés par l’Observatoire Big Data de la Tranquillité Publique, l’abandon de ces projets par la nouvelle majorité municipale nous semblait constituer une simple formalité.

Quant au moratoire sur l’installation de nouvelles caméras de surveillance, l’idée était explicitement reprise dans le programme du Printemps Marseillais. En page 15, celui-ci rappelait « que quatre études nationales successives [avaient] démontré leur inefficacité » et que ces équipements étaient « très coûteux (installation, fonctionnement, personnel mobilisé) ». S’il n’était plus question d’un audit citoyen permanent sur les politiques de sécurité et l’achat de technologies de surveillance, le programme évoquait néanmoins la mise en place d’« Assises annuelles des Sécurités pour Marseille » afin de « co-construire, suivre et évaluer la stratégie et les politiques publiques municipales de la sécurité, de la tranquillité publique et du vivre ensemble » (p. 14).

De manière plus générale, l’arrivée de nouvelles équipes municipales issues de la « gauche plurielle » à l’issue des élections municipales 2020 nous semblait de bon augure : face aux projets techno-sécuritaires le plus souvent portés par des élus locaux classés à droite, elle laissait espérer un changement de politique. Notre espoir était qu’à Marseille et ailleurs, ces nouvelles majorités puissent non seulement porter un coup d’arrêt à ces projets, mais aussi batailler dans le débat public pour battre en brèche les discours sécuritaires qui saturent le débat public et font aujourd’hui le lit de l’autoritarisme. Les manifestations du mois de juin 2020 contre le racisme policier, ou les mobilisations historiques contre la loi « sécurité globale » aux mois de novembre et décembre 2020, auraient pu aider à convaincre les politiciens et politiciennes les moins téméraires qu’il y avait là un espace politique à occuper et à faire vivre.

C’est en substance le discours que nous avons tenu à Yannick Ohanessian, le nouvel adjoint en charge de la sécurité à la mairie de Marseille, lors d’une rencontre organisée en octobre dernier. L’échange avec ce proche du nouveau maire PS de la ville, Benoît Payan, fut cordial. Mais alors que le rendez-vous était programmé depuis plus de deux mois, et que nous avions bien indiqué qu’il s’agissait pour nous de savoir ce que le Printemps Marseillais, désormais « aux manettes », comptait faire pour tenir ses promesses de campagne, l’élu était apparu bien peu au fait des dossiers. À la suite de cet échange, nous lui avions envoyé un certain nombre de documents et d’analyses pour lui permettre de s’informer davantage, et nous avions alors convenu de nous reparler début 2021.

Huit mois plus tard : plus de son, plus d’images. Pas même de réponses à nos multiples demandes de rendez-vous, malgré des relances multiples. Au lieu de cela, ces dernières semaines ont de nouveau illustré ce fait : une fois au pouvoir, les partis de gauche ont une fâcheuse tendance à s’asseoir sur leurs promesses anti-sécuritaires pour reprendre les politiques promues par leurs concurrents de droite. Jugez plutôt : un an à peine après l’arrivée au pouvoir du Printemps Marseillais à la mairie, l’ensemble des engagements de campagne liés à la Technopolice ont été rompus.

… honteusement trahies un an plus tard

S’agissant des caméras de vidéosurveillance, la nouvelle mairie continue à procéder à l’installation de nouvelles caméras de surveillance dont elle dénonçait pourtant le coût. En décembre dernier, la majorité municipale faisait voter un marché estimé entre 12 et 44 millions d’euros pour assurer la maintenance du parc existant de caméras de surveillance, mais aussi son « amélioration » et « l’installation ponctuelle et/ou temporaire de nouveaux points de captation avec ses capteurs vidéos ou spécifiques ». Le budget 2021 de la ville indique également, page 278, que plus de 3 millions d’euros de recettes ont été encaissées par la ville pour procéder à l’« extension de la vidéo-protection », grâce à des fonds transférés par le département des Bouches-du-Rhône et l’État. Quant au budget municipal, il versera au pot commun de la vidéosurveillance 800 000 euros en 2021, et alors que le maire Benoît Payan ne cesse d’insister sur l’état calamiteux des finances publiques de la ville.

Action menée le 1er avril 2021 au Vieux-Port par le groupe Technopolice Marseille
Action menée le 1er avril 2021 au Vieux-Port par le groupe Technopolice Marseille

Au lieu des « Assises annuelles des Sécurités pour Marseille » censées inclure les citoyens et citoyennes marseillaises, le Printemps Marseillais s’en tient à un audit de sécurité qui sera conduit par une entreprise privée de manière totalement opaque. Nous avons envoyé une demande d’accès aux documents administratifs pour en savoir plus sur ce marché, mais la mairie n’a même pas daigné nous répondre. Cela nous a conduit à saisir la CADA, la commission d’accès aux documents administratifs.

Sur la vidéosurveillance automatisée, les nouvelles ne sont pas non plus encourageantes. Après le dépôt de notre recours contre ce projet illégal en décembre dernier, l’équipe municipale avait annoncé à l’AFP la « suspension » du projet. Mais six mois plus tard, aucune nouvelle de cette suspension (nos demandes CADA sur ce point sont restées lettre morte). Pire, nous apprenions en février dernier que la ville avait passé un contrat avec un cabinet d’avocats parisien pour défendre la licéité de ce projet, prenant le risque d’obtenir une jurisprudence qui pourrait faire tâche d’huile et encourager le couplage de l’« intelligence artificielle » et des caméras de vidéosurveillance à travers l’ensemble du pays.

Enfin, s’agissant de l’Observatoire Big Data de la Tranquillité Publique, dont l’expérimentation était censée s’achever fin 2020 et dont la direction des affaires juridiques de la ville prétend aujourd’hui qu’il a été suspendu, c’est encore plus affligeant : alors qu’on lui faisait remarquer la subsistance de lignes budgétaires consacrées à ce prototype de police prédictive dans le budget 2021 (975 000 euros abondés par le département et l’Union européenne), le représentant du Parti Pirate au sein de la mairie de Marseille, Christophe Huguon, conseiller municipal à la transparence et à l’open data, se fendait d’une réaction sur Twitter :

« Nous avons pu, avec @yann_ohanessian, voir et tester le logiciel. Il ne s’agit absolument pas d’un outil de contrôle d’état policier fantasmé par l’ancienne majorité. Mais un outil de gestion (cartographique) de l’espace public (événements sportifs, culturels, marchés etc.). Cela dit une réflexion a déjà commencé pour avoir une vision et une utilisation plutôt orienté intérêt public que juste gestion d’espace public (un indice, il y a un peu d’open data dedans) » ».

Après avoir minimisé la dangerosité de cet outil — pourtant évidente à la lecture des documents associés au marché public –, il tentait de se dédouaner en précisant qu’il était « financé essentiellement par le département et l’Europe ». Comme si cela justifiait de dilapider l’argent public pour financer ce type d’outils. Quant à la référence à l’open data, Christophe Huguon semble y voir une monnaie d’échange : certes, semble-t-il vouloir nous dire tout en entretenant le suspense, « la mairie investit dans la police prédictive, mais nous publierons l’emplacement des caméras de surveillance en open data ». Maigre lot de consolation pour les collectifs locaux qui, ces derniers mois, ont passé de longues journées à cartographier eux-même l’emplacement de centaines de caméras sur le territoire marseillais, faute de transparence en la matière.

Mais le plus effarant, c’est sans doute de voir un élu du Parti Pirate délégué à la transparence administrative de sa ville tenter de « rassurer » la population en se félicitant d’avoir « vu et testé » ce logiciel propriétaire avec l’adjoint en charge de la sécurité dans le bureau de ce dernier. Il faudrait donc le croire sur parole ? Un peu d’open data ne suffira pas à remédier à l’opacité structurelle qui entoure les technologies de surveillance. Et nous ne pouvons que rappeler monsieur le conseiller municipal aux engagements du parti Pirate qu’il représente, lequel proclame non seulement que « l’accès à l’information, à l’éducation et au savoir doit être illimité », mais aussi que « nous, Pirates, soutenons la culture libre et le logiciel libre » tout en combattant « l’obsession croissante de surveillance car elle empêche le libre développement de l’individu ». Comme le dit le Parti pirate, « une société libre et démocratique est impossible sans un espace de liberté hors-surveillance » ; une telle société n’est évidemment pas soluble dans la police prédictive.

Mais ce n’est pas tout : outre les projets évoqués ici, le Printemps Marseillais encourage aussi la Technopolice sous couvert de « Smart City » : un « Smart Port™ » qui renforcera la surveillance aux abord du port autonome de Fos-Marseille et placera ses travailleurs et travailleuses sous la vigilance constante des machines ; une « Smart Métropole™ », avec des « Smart Réverbères™ » et la mesure « intelligente » du niveau de pollution atmosphérique, du niveau sonore, mais aussi des flux de piétons et de cyclistes… La surveillance constante des espaces publics urbains semblent avoir de beaux jours devant elle dans la cité phocéenne.

La stratégie perdante des partis de gauche

Nous ne sommes pas les seuls à nous heurter à l’incurie de la nouvelle majorité : le Collectif des écoles de Marseille, les associations d’aide aux migrants, des tiers-lieux culturels et bien d’autres encore trouvent également portes quasi-closes, ou bien se heurtent à une lenteur administrative effarante. Même les demandes CADA envoyées à la mairie sont aujourd’hui traitées dans des délais bien plus longs que sous l’ancienne majorité. Ce manque de considération pour les collectifs citoyens est d’autant moins excusable que l’équipe en lice s’était justement faite élire sur la promesse de refonder la démocratie à partir des dynamiques militantes locales. Là encore, difficile de ne pas y voir une forme d’instrumentalisation politicienne des mouvements sociaux.

Désormais au pouvoir, tout se passe en fait comme si le Printemps Marseillais se laissait sciemment prendre au piège tendu par ses opposants de la droite locale. Depuis plusieurs mois, Martine Vassal, présidente LR de la métropole Aix-Marseille et du département des Bouches-du-Rhône, successeure désignée de Jean-Claude Gaudin, attaque en effet la majorité municipale en dénonçant sa supposée insouciance en matière de sécurité. Début mars, le département lançait une grande campagne de communication — avec les élections régionales et départementales en ligne de mire — où il vantait son action en matière de sécurité, mettant notamment en exergue l’installation des caméras de vidéosurveillance.

La campagne de communication du département des Bouches-du-Rhône, présidé par Martine Vassal
La campagne de communication du département des Bouches-du-Rhône, présidé par Martine Vassal, et son détournement par des collectifs locaux de « Résistance à l’agression publicitaire » et de Technopolice Marseille.

Un mois plus tôt, en février, c’est Gérald Darmanin lui-même qui dénonçait le supposé moratoire de la ville de Marseille. Le ministre de l’Intérieur prétendait que « la mairie de Marseille refuse l’installation de caméras de vidéoprotection », s’empressant d’ajouter une de ces petites phrases toutes faites dont les politiciens ont le secret : « il faut arrêter d’être pyromane et pompier ».

Or, plutôt que de résister à ces attaques — en rappelant par exemple que la vidéosurveillance est une politique publique qui se chiffre en milliards d’euros, sur laquelle les citoyens et citoyennes n’ont jamais leur mot à dire, et dont l’efficacité n’a jamais été démontrée, ou qu’il serait urgent d’envisager des réponses aux problèmes d’insécurité qui ne soit pas fondées sur la répression policière ou la fuite en avant techno-sécuritaire –, la plupart des partis de gauche s’entêtent à reproduire la même stratégie perdante depuis plus de quarante ans, à savoir : s’enfoncer dans un « consensus sécuritaire » où la peur et le contrôle social tiennent lieu de politique. De ce point de vue, les élus et responsables politiques « de gauche » qui concourent à ces stratégies ont une immense responsabilité dans la fascisation croissante du climat politique français.

Partage de données : les services de renseignement violent la Constitution

mercredi 2 juin 2021 à 15:00

La Quadrature du Net vient de demander au Conseil d’État de saisir le Conseil constitutionnel d’une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) contre une disposition de la loi renseignement, l’article L. 863-2 du code de la sécurité intérieure. Comme le révélait le journal Le Monde il y a près de deux ans, un data-center attenant au siège de la DGSE permet aux services de renseignement d’échanger des données collectées dans le cadre de leurs activités de surveillance, et ce en contournant certaines des garanties inscrites dans la loi renseignement, déjà bien maigres. Ces activités illégales posent de nouveau la question de l’impunité des responsables du renseignement français, et des autorités de contrôle qui les couvrent.

MAJ du 2 juin 2021 : par une décision du 19 mai 2021, le Conseil d’Etat a accepté de transmettre au Conseil constitutionnel notre question prioritaire de constitutionnalité. Nous venons d’adresser au Conseil Constitutionnel notre mémoire sur ce sujet, demandant la censure de l’article L. 863-2 du code de la sécurité intérieure. Ce même article est également en débat devant l’Assemblée nationale dans le cadre de la réforme de la loi Renseignement

En juin 2019, La Quadrature déposait un recours au Conseil d’État contre « l’entrepôt », dont l’existence venait d’être révélée dans la presse. Comme nous l’expliquions alors, « les activités de surveillance relèvent de régimes plus ou moins permissifs », avec des garanties plus ou moins importantes accordées aux droits fondamentaux selon les régimes.

Autant de garanties écartées d’un revers de main dès lors que les données sont versées dans ce pot commun dans lequel peuvent potentiellement venir piocher des dizaines de milliers d’agents, relevant de services aux compétences et aux missions très diverses (TRACFIN, douanes, direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, bureau central du renseignement pénitentiaire, ANSSI, service central du renseignement territorial, etc.). En pratique, l’entrepôt permet à un service donné d’accéder à des données qu’il n’aurait légalement pas le droit de collecter et d’exploiter dans le cadre des procédures prévues par la loi.

Ces échanges de données se fondent sur une disposition inscrite en 2015 dans la loi renseignement : l’article L. 863-2 de code de la sécurité intérieure. Or, celui-ci ne fournit aucun encadrement spécifique : le législateur s’était alors défaussé en renvoyant à un décret d’application, mais celui-ci n’est jamais paru. Une source du Monde évoquait pour s’en expliquer un « défaut de base constitutionnelle ». Or, c’est bien à la loi d’encadrer ces pratiques, raison pour laquelle l’article L. 863-2 est tout simplement inconstitutionnel.

Depuis l’introduction de notre recours devant le Conseil d’État, des rapports parlementaires sont venus corroborer les révélation du Monde. Dans le rapport d’activité 2019 publié l’été dernier, la Délégation parlementaire au renseignement note ainsi :

(…) il ressort des travaux conduits par la délégation que l’absence de cadre réglementaire n’a pas empêché les services de procéder à des partages réguliers non seulement de renseignements exploités, c’est-à-dire d’extractions et de transcriptions, mais également de renseignements collectés, c’est-à-dire de données brutes recueillies dans le cadre d’une technique de renseignement.

La délégation a ainsi été informée de l’existence d’une procédure dite d’extension, qui permet la communication de transcriptions effectuées au sein du GIC [le Groupement interministériel de contrôle] à un service autre que celui qui a fait la demande initiale de technique de renseignement (…). La délégation regrette de n’avoir pu obtenir, en revanche, d’informations plus précises sur les conditions juridiques et opérationnelles dans lesquelles il est procédé à des partages de données brutes.

Dans ce rapport, la Délégation parlementaire au renseignement estimait également « urgent qu’un encadrement précis de ces échanges soit réalisé », notant à juste titre que « le renvoi simple à un décret pourrait se révéler insuffisant et placer le législateur en situation d’incompétence négative ».

Nous espérons que le Conseil d’État acceptera de transmettre notre QPC au Conseil constitutionnel afin de que celui-ci mette fin à cette violation manifeste de la Constitution, malheureusement caractéristique du renseignement français. Un autre exemple flagrant d’illégalité est le partage de données entre les services français et leurs homologues étrangers, qui porte sur des volumes colossaux et n’est nullement encadré par la loi. Pire, celle-ci interdit explicitement à la CNCTR, la commission de contrôle des activités de surveillance des services, de contrôler ces activités.

L’illégalité persistante du renseignement français et l’impunité dont bénéficient ses responsables sont d’autant plus problématiques que l’espionnage politique constitue désormais une priorité assumée des services de renseignement la surveillance des groupes militants ayant vu sa part plus que doubler entre 2017 et 2019 (passant de 6 à 14% du total des mesures de surveillance autorisées).

Téléchargez notre mémoire QPC

Vidéosurveillance biométrique dans nos supermarchés

lundi 31 mai 2021 à 17:19

Pendant que le combat continue pour faire interdire la surveillance dans nos rues, le secteur privé déploie discrètement ses dispositifs jusque dans les supermarchés. Afin de détecter de vols, Carrefour, Monoprix, Super U ou encore Franprix expérimentent des logiciels d’analyse biométrique pour surveiller nos moindres gestes dans leurs surfaces.

La crise sanitaire avait déjà libéré les velléités de surveillance biométrique des entreprises privées : caméras thermiques à l’entrée des entreprises, détection de distances physiques dans les bureaux, suivi de mouvement des yeux pour les examens d’université à distance…

Plusieurs entreprises françaises proposent maintenant de détecter automatiquement les vols en magasin « en temps-réel » grâce à des logiciels d’analyse biométrique directement branchés sur les caméras déjà présentes dans les magasins.

Les start-up françaises rêvent de surveillance généralisée

Si l’idée de détecter automatiquement les vols dans les magasins a déjà été testée au Japon, plusieurs entreprises françaises n’ont pas hésité à développer leur propre logiciel :

En bref : un ensemble de dispositifs de surveillance et de suivi biométrique déployés en toute liberté et sans aucune information des personnes la subissant.

La grande distribution s’engouffre dans la surveillance biométrique

Le plus impressionnant est peut-être d’examiner la liste des clients des entreprises précitées et de se rendre compte que leur déploiement est déjà bien avancé.

L’entreprise Veesion annonce équiper plus de 120 magasins en France et la carte affichée sur <linkedin> en laisse deviner bien plus. Dans l’onglet « Success Stories » de leur site, on trouve quelques exemples mis en avant, parmi un ensemble bien plus vaste que l’on peine encore à mesurer : Monoprix (produit installé en juillet 2019 dans un magasin de Paris sur 22 caméras), Franprix (3 magasins à Paris sur 48 caméras en 2019), Super U Express (1 magasin à Paris avec 13 caméras en 2019), Bio c’ Bon (4 sites à Paris).

L’entreprise Anaveo n’est pas en reste même s’il est difficile de deviner le nombre exact de leurs clients. Nous savons au moins que son déploiement a déjà commencé, tel qu’en atteste les témoignages d’un Carrefour Market à Bourges qui annonce avoir acheté 11 licences du logiciel pour ses 32 caméras et celui d’un Intermarché à Artenay.

Protéger la rentabilité de la grande distribution avec la Technopolice

Aucune gêne ni chez les concepteurs des logiciels ni dans la grande distribution. Au contraire, comme le dit clairement la société Anaveo, l’objectif du déploiement de cette surveillance biométrique est de lutter contre la « démarque invisible » (comprendre, le vol à l’étalage), c’est d’« aider le secteur de la distribution à protéger son chiffre d’affaires »

Pire, pour le créateur de Veesion, la détresse sociale créée par la récente pandémie va provoquer des troubles sociaux, forçant les commerces « à investir davantage dans les solutions leur permettant de s’en prémunir ». Son entreprise devra alors être, selon lui, « à la hauteur des nouvelles exigences du retail physique », c’est-à-dire, à bien le suivre, développer les outils de la Technopolice pour protéger la grande distribution des populations pauvres poussées au vol par la crise sociale. Autant d’énergie et de ressources qui auraient pu venir en aide aux pauvres mais qui seront retournées contre eux.

Cette Technopolice privée ne se contente pas de reprendre les outils des États policiers – elle en adopte aussi l’idéologie et le vocabulaire. Dans sa communication commerciale, Veesion met en scène une crainte sinistre : « on peut pas se fier aux clients, même fidèles ». C’est exactement sur cette idée du « tous suspects » que la surveillance de masse policière se fonde.

De nouveau, l’action de la CNIL ne semble pas nous protéger de ces attaques. En juin 2020, l’autorité avait bien alerté qu’une grande partie des dispositifs de vidéosurveillance automatisée ne respectaient pas le cadre légal. Ce communiqué ne semble pourtant pas avoir mis fin aux dérives de l’industrie sécuritaire ou à la grande distribution, au contraire. Malgré la gravité de leurs dispositifs (détection et suivi biométrique), ces entreprises se vantent encore de leurs systèmes de surveillance sans qu’aucune sanction publique ne soit venue les arrêter (nous venons d’adresser à la CNIL, en même temps que cet article, une demande CADA sur ce sujet précis pour savoir si une enquête, ou équivalent, était en cours).

Notre combat contre la surveillance biométrique ne doit évidemment pas se limiter aux autorités publiques. Comme la surveillance sur Internet, c’est une progression qui se fait à deux têtes, les entreprises privées main dans la main avec les responsables publics, déployant ensemble et en parallèle un contrôle social toujours plus poussé : les rues, les bureaux, les supermarchés — pour ne plus nous laisser aucun espace d’anonymat.

Si vous avez des informations sur ces dispositifs, vous pouvez utiliser notre plateforme dédiée pour nous envoyer des documents.