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Fichage policier : recours contre le détournement du fichier du « Système de contrôle automatisé »

lundi 9 novembre 2020 à 17:47

Nous venons de déposer un recours devant le Conseil d’État contre l’extension du fichier du Système de contrôle automatisé (SCA). Depuis avril, ce fichier permet de conserver pendant 5 à 10 ans les informations relatives à une contravention ou un délit conduisant au paiement d’une amende forfaitaire. Nous attaquons cet énième fichier de police.

Le SCA — ou ADOC, pour « Accès au dossier des contraventions » — est un fichier de police qui permettait, avant avril, de conserver des informations relatives aux délits routiers. En avril, pendant le confinement, le gouvernement a détourné ce fichier pour y inscrire des informations relatives au non-respect du confinement. La police et la gendarmerie l’ont ainsi utilisé pour repérer les récidivistes, afin tout simplement, de les mettre en prison1Le non-respect des règles de confinement, aujourd’hui encore, vous expose à une amende de 135€, mais la récidive peut en effet vous conduire en prison.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_16354_1').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_16354_1', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });.

Ce fichier ne permettant pas, à l’époque, de conserver des informations autres que sur les délits routiers, les procédures judiciaires ont depuis été annulées et les personnes relaxées.

Qu’à cela ne tienne. Puisque les tribunaux reprochaient à la police d’utiliser un fichier sans en avoir le droit, la police — par le biais du ministre de l’intérieur — a changé les règles du jeu. Et voilà que, depuis mi-avril 2020, toute infraction réprimée par une amende forfaitaire sera inscrite dans ce fichier, et cela pour une durée de 5 ans (pour les contraventions) à 10 ans (pour les délits).

Outre la méthode infâme et indigne d’un État de droit, cette manœuvre accentue de manière inquiétante le fichage de la population. Non seulement les infractions visées sont peu graves2C’est justement parce que ces infractions sont « peu graves » que l’on peut décider de de payer une amende forfaitaire au lieu de passer devant un tribunal.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_16354_2').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_16354_2', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });, mais elles sont aussi très nombreuses. Vous pourrez donc vous retrouver dans ce fichier de police pour avoir vendu une Tour Eiffel à la sauvette, pour avoir du cannabis sur vous, pour le dépôt d’ordures3Notons à ce propos que la police sanctionne l’affichage militant sauvage par une amende pour dépôt d’ordures sauvage.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_16354_3').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_16354_3', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });, pour avoir participé à une manifestation interdite sur la voie publique, ou encore, depuis fin octobre, pour ne pas avoir respecté les obligations de confinement. Et cette liste est très loin d’être exhaustive : nous avons relevé dix délits et une trentaine de contraventions qui, seulement parce qu’ils et elles font l’objet du paiement d’une amende, vous inscrira dans un énième fichier de police. Et ce pour une période relativement longue.

À travers ce fichier, c’est encore une fois l’impunité policière qui doit être dénoncée. Le gouvernement fait fi des règles d’un l’État de droit pour arriver à ses fins : mettre les gens sous surveillance, les envoyer en prison et réprimer toujours plus durement. Il est pourtant établi qu’un fichage policier conduit toujours à des abus — le TAJ ou les drones ne sont que deux exemples dans un océan d’arbitraire.

References

Le non-respect des règles de confinement, aujourd’hui encore, vous expose à une amende de 135€, mais la récidive peut en effet vous conduire en prison.
C’est justement parce que ces infractions sont « peu graves » que l’on peut décider de de payer une amende forfaitaire au lieu de passer devant un tribunal.
Notons à ce propos que la police sanctionne l’affichage militant sauvage par une amende pour dépôt d’ordures sauvage.
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Sécurité globale : la police fait la loi

vendredi 6 novembre 2020 à 19:22

La loi « sécurité globale » a été adoptée hier en commission des lois de l’Assemblée nationale (relire notre première analyse de la loi). Un premier constat s’impose aux personnes qui ont suivi l’examen du texte : une ambiance singulière, lugubre et fuyante. Un silence de plomb rompu seulement par divers éclats de rires du groupe LREM, incongrus et parfaitement indécents compte tenu de la gravité du texte examiné. Certains diront qu’il faut écrire la loi d’une main tremblante. Alors tremblons.

Le RAID dans l’Assemblée

Cette loi illustre la méthode législative propre aux États policiers : la police écrit elle-même les règles qui définissent ses pouvoirs.

D’abord, littéralement, l’auteur principal du texte, Jean‑Michel Fauvergue (LREM), est l’ancien chef du RAID, de 2013 à 2017. Il est l’un des deux rapporteurs du texte. À travers lui et, depuis son pupitre en commission des lois, la police a pu imposer son autorité.

Quand la députée Danièle Obono (LFI) s’inquiète pour nos libertés fondamentales, Fauvergue lui reproche de « déverser [son] fiel sur la société française » – car, comprenez-vous, critiquer la police, c’est critiquer « la France ». Voyant Obono insister, il lui intime même : « Allez prendre vos gouttes ! ». Sans doute voit-il le « débat parlementaire »a comme un champ de bataille où il est exclu de négocier avec l’ennemi, tout en se permettant de reprocher à Obono de « voir la société de façon binaire entre les « gentils » et les « méchants »».

Pensées interdites

Cette négociation impossible s’est aussi traduite dans l’attitude de l’autre rapporteure du texte, Alice Thourot. Chaque fois qu’un amendement proposait de limiter ne serait-ce qu’un tant soit peu les nouveaux pouvoirs de la police, elle restait cloîtrée dans une unique et lancinante réponse, se résumant à : « Cette disposition a été demandée par la police, il faut l’adopter telle quelle ».

Elle n’est sortie de ce mutisme intellectuel que pour demander aux députés d’arrêter d’envisager des hypothèses où la police abuserait de ses nouveaux pouvoirs, car de telles pensées seraient insultantes pour la police. Entre ces « crimepensées » et le slogan choisi par Thourot pour cette loi, « protéger ceux qui nous protègent », 1984 est à l’honneur.

Trois député·es

Ne laissons ici aucun doute : le rôle historique du Parlement et du droit est précisément d’envisager des hypothèses où les institutions abuseraient de leur pouvoir afin d’en limiter les risques. Mais il n’y avait plus hier qu’une poignée de députés pour s’en souvenir. Saluons-les pour leur étrange baroud d’honneur. Danièle Obono, déjà citée, l’ancien marcheur Paul Molac et le centriste Philippe Latombe qui, devant les barrières dressées par la police au sein même de l’Assemblée nationale, a fait tomber les masques, rempli d’amertume, avouant que « les députés ne servent à rien ». Et en effet, ils n’auront servi à rien.

Alors que le sujet de cette loi, dont le processus d’adoption est – rappelons le – d’une rapidité exceptionnelle, touche à nos libertés publiques et nécessiterait une discussion solennelle et sérieuse de la part des parlementaires, nous avons à l’inverse pu observer une absence criante de la mesure de la gravité des enjeux, chaque augmentation de pouvoir de la police étant votée comme une simple formalité administrative.

La police autonome

Ce débat, tant sur sa forme que sur son fond, aura démontré que la police est une institution politique autonome, avec son agenda et ses idéologies propres qu’elle entend défendre elle-même. Les discussions sur l’article 21 sur les « caméras-piétons » l’ont parfaitement illustré.

Les députés de droite ont martelé qu’il fallait que cet article 21 permette aux policiers de publier les vidéos prises par leur caméra portative afin de « rétablir la vérité », ou plus exactement d’établir « leur vérité » dans la « guerre des images », et de justifier les violences policières filmées par les journalistes et la population. La police n’est donc plus uniquement chargée de protéger la population contre les infractions. Elle est aussi destinée à faire de la communication politique au même titre qu’un parti politique ou qu’un journal militant – les armes et les hélicoptères en plus.

Un chien-fou en liberté

Le gouvernement et sa majorité parlementaire ont toujours dû laisser à la police certaines libertés en contrepartie de la protection armée offerte contre les débordements populaires. Mais ce rapport de force semble largement déraper. Sur la forme, on pourrait se demander ce qu’il reste de l’indépendance du pouvoir législatif, soumis de fait à la police et à ses lobbyistes élus.

Sur le fond du texte aussi, le rapport de force semble basculer brutalement en faveur de la police. L’article 24 de la loi, qui conduira en pratique à empêcher la population et les journalistes de filmer et de diffuser les images de violences policières, fera disparaître un contre-pouvoir fondamental dans l’équilibre des institutions. Car la documentation des abus policier dans les médias, par la presse et la population, permettait de les contenir un minimum, ce qui arrangeait bien les autres pouvoirs. Si le contre-pouvoir de la presse devait sauter, plus grand-chose n’empêcherait la police de verser dans l’arbitraire le plus total.

Les amendements de la police

Hier, l’agenda a bel et bien été dicté par la police. Les seuls amendements sérieux à avoir été adoptés sont ceux qui accroissent les pouvoirs de la police.

Sur les articles qui nous intéressent, un premier amendement « vise à étendre aux polices municipales les avancées permises par le présent article en matière de caméras individuelles » (notamment la transmission en temps réel au centre de commandement, où les images pourront être analysées automatiquement). Un deuxième ensemble d’amendements allonge la liste des finalités permettant la surveillance par drones (lutte contre les rodéos urbains et les petits dealers notamment).

Enfin, la seule modification apportée à l’article 24 sur la diffusion d’images policières sonne comme une provocation : l’article 24, qui interdit toujours la diffusion du visage et d’autres éléments d’identification des policiers, permet désormais de diffuser des images illustrant leur matricule – ce fameux RIO dont l’absence est justement si souvent déplorée… Réagissant aux vives oppositions, notamment celle de la défenseure des droits, contre l’atteinte à la liberté d’informer constituée par cet article, l’ancien chef du RAID a été définitif : « nous voulons que les agents ne soient plus identifiables du grand public ».

La suite

Le texte sera examiné par l’ensemble des députés à partir du 17 novembre. Vous pouvez appeler ou écrire aux élus d’ici là via l’outil ci-dessous.

Nos espoirs principaux seront peut-être à placer dans le Sénat et le Conseil constitutionnel, qui ont une place singulière dans les rapports de force entre les institutions et sont récemment parvenus à réduire à néant les initiatives du gouvernement, notamment en s’opposant à la loi Avia.

Au hasard parmi les députés de
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Identité numérique et reconnaissance faciale : défaite au Conseil d’Etat, le combat continue !

vendredi 6 novembre 2020 à 13:44

En juillet 2019, nous avions attaqué l’application pour smartphone « ALICEM » devant le Conseil d’Etat. Cette application, développée par l’Agence des Titres Sécurisés (ANTS), visait à développer une identité numérique gouvernementale, soi-disant « sécurisée », conditionnée à un traitement de reconnaissance faciale obligatoire. Soit une manière détournée de commencer à imposer à l’ensemble de la société française la reconnaissance faciale à des fins d’identification. La CNIL s’était, pour une fois, autorisée à contredire frontalement le gouvernement en soulignant dans son avis qu’un tel dispositif était contraire au droit européen. Le gouvernement n’avait pas suivi son avis et avait publié, sans le modifier, le décret permettant la création de cette application.

Outre cette violation du droit européen sur la protection des données, nous avions souligné de notre côté le risque de normalisation de la reconnaissance faciale : à force de l’utiliser volontairement comme outil d’authentification, nous risquerions de nous y accoutumer, au point de ne plus nous indigner de ce mode de contrôle social particulièrement insidieux et dangereux pour les libertés publiques. Notre recours était également concomitant à un rapport signé par l’ancien ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, où ce dernier faisait d’inquiétants liens entre Alicem, la haine en ligne et son désir de mettre fin à l’anonymat. Enfin, nous avions attaqué la disproportion des données traitées pour l’application Alicem : pour créer cette identité, l’application traite en effet 32 données différentes (nom, prénom, taille, date de délivrance du passeport…).

Hier, le Conseil d’Etat a rendu sa décision. Elle est choquante : plus d’un an après le dépôt de notre recours. Il rejette ce dernier en trois paragraphes. Il reprend notamment l’argumentation du ministère de l’Intérieur en considérant que la CNIL s’est trompée : le droit européen serait selon lui respecté car les personnes ne voulant pas utiliser l’application (du fait de la reconnaissance faciale) ne subiraient pas de préjudice. Elles pourraient en effet utiliser d’autres moyens d’identification pour accéder aux services publics en ligne (par exemple via un identifiant et un mot de passe via France Connect). Cette interprétation de la notion de « consentement libre et éclairé » méconnaît non seulement celle de la CNIL mais aussi celle du comité européen de la protection des données. Sur la question de l’étendue des données, il considère tout simplement que le traitement est « adéquat et proportionné ». Sans plus de détails. Une conclusion aucunement argumentée, qui résume à elle seule tout l’arbitraire de cette décision. Un seul lot de consolation  : le Conseil d’État y reconnaît donc que conditionner l’accès à un service public en ligne à la reconnaissance faciale ne respecte pas le droit des données personnelles (il faut toujours qu’une alternative soit proposée, et Alicem risque donc de ne jamais sortir de sa phase d’expérimentation).

Cette décision marque une bataille perdue contre la surveillance biométrique, contre son utilisation dans le cadre d’une identité numérique, et surtout contre sa normalisation. Notre recours aura néanmoins rempli un de ses objectifs : celui de mettre la lumière sur ce projet du gouvernement et de lancer le débat sur la reconnaissance faciale en France. De montrer aussi à ses promoteurs que chaque initiative, chaque tentative de leur part de nous imposer cette surveillance sera combattue. C’est dans cette même idée que nous avons déposé il y a quelques mois un recours contre la reconnaissance faciale dans le TAJ. C’est aussi dans cette idée que nous suivrons de près le prochain sujet de la carte d’identité numérique, où la biométrie sera, encore une fois, au cœur des débats.

Faut-il réguler Internet ? (1/2)

dimanche 1 novembre 2020 à 10:00

Cet article a été écrit dans le courant de l’année 2019 et participe d’un dossier réalisé pour Ritimo “Faire d’internet un monde meilleur” et publié sur leur site.

Le modèle de l’économie de l’attention

Si le rêve initial d’Internet était celui du partage, force est de constater qu’aujourd’hui les « Géants du Web » ont acquis un quasi-monopole sur de très nombreux aspects de nos activités en ligne : nos recherches sur le Net (Google Search possède par exemple 91 % des parts de marché en France), nos téléphones mobiles (le système Android est installé sur la plupart des portables, près de 8 sur 10 en France, et si l’on ajoute Apple et son système iOS, on couvre la quasi-totalité des portables), nos communications via les réseaux sociaux (qui passent en grande majorité par Facebook et Twitter) et les liens sociaux tissés par la même occasion…

Et ces entreprises n’ont pas développé ces activités dans un but philanthropique : elles sont là pour faire de l’argent, et leur modèle économique est essentiellement basé sur l’affichage publicitaire (cela représente par exemple 85 % du chiffre d’affaires de Google et même 98 % de celui de Facebook). Pour augmenter leur chiffre d’affaires et leurs bénéfices, ils font donc tout ce qu’ils peuvent pour mieux nous cibler et nous garder le plus longtemps possible sur leurs sites ou leurs applications. C’est ce qu’on appelle « l’économie de l’attention » : l’idée est de nous garder le plus longtemps possible « captif·ves », à la fois pour récupérer un maximum de données nous concernant, mais surtout pour bénéficier de plus de « temps de cerveau disponible » et mieux vendre leurs espaces publicitaires aux annonceurs.

Prenons l’exemple du réseau social Facebook. L’entreprise explique sans pudeur son fonctionnement : des personnes qui souhaitent diffuser un message (une publicité, un article, un événement, etc.) désignent à Facebook un public cible, selon certains critères sociaux, économiques ou de comportement, et paient l’entreprise pour qu’elle diffuse ce message à ce public, dans les meilleures conditions.

Afin de cibler correctement ces publics, Facebook analyse donc les contenus produits par ses utilisat·rices : contenus publics, messages privés, interactions diverses, contenus consultés, appareils utilisés pour se connecter, temps de visionnage d’un message, etc. Ces contenus ne se résument pas à ce qu’on publie consciemment, mais à l’ensemble nos activités, qui dévoilent nos caractéristiques sociales, économiques… Pour voir à quel point cette analyse peut s’avérer redoutable, on peut évoquer une étude conduite par l’université de Cambridge en 2013 : 58 000 personnes ont répondu à un test de personnalité, puis ce test a été recoupé à tous leurs « j’aime » laissés sur Facebook. En repartant de leurs seuls « j’aime », l’université a ensuite pu estimer leur couleur de peau (avec 95 % de certitude), leurs orientations politique (85 %) et sexuelle (80 %), leur confession religieuse (82 %), s’ils fumaient (73 %), buvaient (70 %) ou consommaient de la drogue (65 %).

Ces données récoltées et traitées (sans forcément que les utilisateur·rices en soient averti·es ou conscient·es) permettent ensuite à Facebook de proposer des messages publicitaires « adaptés », aux moments et aux formats les plus opportuns pour fonctionner sur les personnes ciblées et les influencer dans leurs choix. Mais cela ne s’arrête pas là, Facebook collabore aussi avec des tiers pour pister des personnes n’ayant même pas de compte chez eux, via les cookies (petits fichiers stockés sur nos appareils, initialement faits pour faciliter la navigation, mais qui sont susceptibles d’être utilisés pour traquer les personnes), les boutons « j’aime » sur des pages de sites Internet (si une personne voit un de ces boutons s’afficher sur la page qu’elle consulte, des données la concernant – telle que son adresse IP par exemple – sont envoyées à Facebook et ce même si elle n’a pas de compte auprès de ce service), le Facebook login (bouton qui permet de se connecter sur un site via son compte Facebook, et qui renvoie lui aussi un certain nombre d’informations à Facebook)…

Mais il est aussi nécessaire de capter le plus longtemps possible l’attention des utilisat·rices dans le cadre de cette « économie de l’attention ». Prenons cette fois l’exemple de Youtube, la plus grosse plateforme vidéo d’Internet, propriété de Google et l’un des sites les plus visités au monde. Youtube ne se contente pas seulement d’héberger des vidéos : il s’agit d’un véritable média social de contenus multimédias, qui met en relation des individus et régule ces relations : lorsqu’une vidéo est visionnée sur Youtube, dans 70 % des cas l’utilisateur·rice a été amené·e à cliquer sur cette vidéo via l’algorithme de recommandation de Youtube. Et le but de cet algorithme n’est pas de servir l’utilisat·rice mais de faire en sorte que l’on reste le plus longtemps possible sur la plateforme, devant les publicités. Cet algorithme ne se pose certes pas la question du contenu, mais en pratique l’ancien employé de Google Guillaume Chaslot [dans un entretien dans le numéro 5 de la revue Vraiment, paru le 18 avril 2018] constate que les contenus les plus mis en avant se trouvent être les contenus agressifs, diffamants, choquants ou complotistes. Il compare : « C’est comme une bagarre dans la rue, les gens s’arrêtent pour regarder ».

Youtube, désirant ne pas perdre une seconde de visionnage de ses utilisat·rices, ne prend pas le risque de leur recommander des contenus trop extravagants. L’ancien employé déclare qu’ils ont refusé plusieurs fois de modifier l’algorithme de façon à ce que celui-ci ouvre l’utilisat·rice à des contenus inhabituels. Dans ces conditions, le débat public est entièrement déformé, les discussions les plus subtiles ou précises, jugées peu rentables, s’exposent à une censure par enterrement.

En tant qu’hébergeur de contenu, Youtube est tenu de retirer un contenu « manifestement illicite » si celui-ci lui a été notifié. Compte tenu de la quantité de contenus que brasse la plateforme, elle a décidé d’automatiser la censure des contenus « potentiellement illicites », portant atteinte au droit de certains auteurs, au moyen de son RobotCopyright appelé « ContentID » (système d’empreinte numérique qui permet de comparer tout nouveau contenu déposé sur la plateforme à une base de données préexistante, alimentée par les titulaires de droit d’auteur). Pour être reconnu auteur·e sur la plateforme, il faut répondre à des critères fixés par Youtube. Une fois qu’un contenu est protégé par ce droit attribué par Youtube (en pratique, il s’agit en majorité de contenus issus de grosses chaînes de télévision ou de grands labels), la plateforme se permet de démonétiser1Nombreux sont les Youtubeur·ses qui vivent en partie des revenus publicitaires liés à leurs vidéos. Démonétiser une vidéo revient à supprimer les revenus publicitaires liés à cette vidéo et donc la rémunération de son auteur·rice, en cessant de mettre cette vidéo en avant ou en cessant de l’associer à des publicités.<script type="text/javascript"> jQuery("#footnote_plugin_tooltip_16242_1").tooltip({ tip: "#footnote_plugin_tooltip_text_16242_1", tipClass: "footnote_tooltip", effect: "fade", predelay: 800, fadeInSpeed: 200, fadeOutSpeed: 2000, position: "top right", relative: true, offset: [10, 10] }); ou supprimer les vidéos réutilisant le contenu protégé à la demande des titulaires de droit. Ce ContentID est un moyen de censure de plus qui démontre que Youtube ne souhaite pas permettre à chacun·e de s’exprimer (contrairement à son slogan « Broadcast yourself ») mais cherche simplement à administrer l’espace de débat public avec pour but de favoriser la centralisation et le contrôle de l’information. Et pour cause, cette censure et cet enfermement dans un espace de confort est le meilleur moyen d’emprisonner les utilisat·rices dans son écosystème au service de la publicité.

De la nécessité de réguler

Nous avons donc des entreprises qui récoltent nos données personnelles et en font la base de leur modèle économique, le plus souvent de manière illégale : en effet, depuis mai 2018, le RGPD prévoit que notre consentement à la collecte et au traitement de nos données personnelles n’est pas considéré comme valide s’il n’est pas librement donné, et notamment si l’on n’a pas d’autre choix que d’accepter pour pouvoir accéder au service (article 7, §4, et considérant 43 du RGPD, interprétés par le groupe de l’article 292https://www.cnil.fr/fr/le-g29-groupe-des-cnil-europeennes et https://ec.europa.eu/newsroom/article29/item-detail.cfm?item_id=623051 – référence en anglais<script type="text/javascript"> jQuery("#footnote_plugin_tooltip_16242_2").tooltip({ tip: "#footnote_plugin_tooltip_text_16242_2", tipClass: "footnote_tooltip", effect: "fade", predelay: 800, fadeInSpeed: 200, fadeOutSpeed: 2000, position: "top right", relative: true, offset: [10, 10] }); ). Or pour avoir un compte Facebook ou pour consulter des vidéos sur Youtube nous n’avons actuellement pas d’autre choix que d’accepter que nos données soient collectées par leurs outils de pistage/ciblage.

Et ces mêmes entreprises sont aussi celles qui mettent en avant des contenus polémiques, violents, racistes ou discriminatoires en partant de l’idée que ce sont ceux qui nous feront rester sur leur plateforme. Le rapport visant à « renforcer la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet », commandé par le Premier ministre français et publié en septembre 2018, l’explique très bien. Il dénonce « un lien pervers entre propos haineux et impact publicitaire : les personnes tenant des propos choquants ou extrémistes sont celles qui « rapportent » le plus, car l’une d’entre elles peut en provoquer cinquante ou cent autres. Sous cet angle, l’intérêt des réseaux sociaux est d’en héberger le plus possible ». Plus généralement, le rapport regrette la « règle selon laquelle un propos choquant fera davantage de « buzz » qu’un propos consensuel, alimentant de façon plus sûre le modèle économique des plateformes ».

References

↑ 1. Nombreux sont les Youtubeur·ses qui vivent en partie des revenus publicitaires liés à leurs vidéos. Démonétiser une vidéo revient à supprimer les revenus publicitaires liés à cette vidéo et donc la rémunération de son auteur·rice, en cessant de mettre cette vidéo en avant ou en cessant de l’associer à des publicités.
↑ 2. https://www.cnil.fr/fr/le-g29-groupe-des-cnil-europeennes et https://ec.europa.eu/newsroom/article29/item-detail.cfm?item_id=623051 – référence en anglais
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Lettre aux parlementaires : Supprimez les boites noires, ne violez pas le droit européen

vendredi 30 octobre 2020 à 16:14

Mercredi 4 novembre, l’Assemblée nationale examinera pour la seconde fois le projet de loi visant à prolonger encore une fois les « boites noires ». Introduites par la loi de renseignement de 2015, les « boites noires » sont des dispositifs analysant de façon automatisée l’ensemble des communications circulant sur un point du réseau de télécommunications afin, soi-disant, de « révéler des menaces terroristes ». Une de nos plus importantes affaires, récemment tranchée par la Cour de justice de l’Union européenne, vient de déclarer ces « boites noires » contraires au droit de l’Union.

Nous venons d’écrire aux députés pour qu’ils rejettent la tentative du gouvernement de violer le droit européen.

Objet : Supprimez les boites noires, ne violez pas le droit européen

Mesdames, Messieurs les membres de la commission des lois,

Le 4 novembre, vous examinerez le projet de loi relatif à la prorogation de diverses dispositions du code de la sécurité intérieure.

Le 8 juillet, vous aviez rendu un avis favorable à ces prorogations, notamment à celle de la mesure prévue à l’article L851-3 de ce code, jusqu’au 31 juillet 2021. Toutefois, depuis cet examen, un événement majeur est survenu et devrait vous convaincre d’adopter une position diamétralement opposée.

Le 6 octobre, au terme de cinq années de procédure, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt « La Quadrature du Net » dont les conséquences sur les activités de renseignement françaises seront d’une importance sans précédent. Cet arrêt dense et complexe affecte de très nombreux aspects du droit. Néanmoins, il y a un point sur lequel le Cour est limpide : la mesure décrite à l’article L851-3 du code de la sécurité intérieur, telle qu’elle est actuellement autorisée en droit français, est contraire au droit de l’Union et à ses traités.

La Cour considère que cette mesure est une « analyse automatisée [qui] s’applique de manière globale à l’ensemble des personnes faisant usage des moyens de communications électroniques » et que « les données faisant l’objet de l’analyse automatisée sont susceptibles de révéler la nature des informations consultées en ligne ». La Cour exige ainsi que cette « ingérence particulièrement grave » ne puisse être admise qu’à titre exceptionnel « face à une menace grave pour la sécurité nationale qui s’avère réelle et actuelle ou prévisible » et ce « pendant une période strictement limitée ». Enfin, la mise en œuvre d’une telle mesure doit faire « l’objet d’un contrôle effectif soit par une juridiction, soit par une entité administrative indépendante, dont la décision est dotée d’un effet contraignant ».

Le droit français ne respecte aucune de ces garanties. L’article L851-3 du code de la sécurité intérieure autorise cette mesure de façon générale et par principe, sans être conditionnée à la moindre « menace réelle et actuelle ». Le droit français n’encadre cette mesure dans aucune « période strictement limitée », mais autorise au contraire ces boites noires depuis cinq ans de façon ininterrompue. Enfin, le contrôle de cette mesure a été confié à la CNCTR qui, en droit, n’a aucun pouvoir contraignant.

Le gouvernement a annoncé qu’il corrigerait ces graves manquements dans une prochaine loi sur le renseignement, sans aucune garantie quant au délai ou à la pertinence des ces corrections. Pourtant, les services de renseignement ne cachent pas l’intérêt stratégique particulièrement limité de cette mesure. Dès lors, proroger l’autorisation de cette mesure ne pourrait être compris et décrit que d’une seule façon : la volonté active du législateur de renoncer aux princes de hiérarchie des normes et d’État de droit en matière de surveillance.