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Lettre ouverte à Arnaud Montebourg et Axelle Lemaire : défendez la neutralité du Net !

mardi 3 juin 2014 à 10:21

Paris, 3 juin 2014 — Le 6 juin prochain lors du conseil1 de l'Union européenne, les ministres des États membres seront invités à prendre note de l'état d'avancement des travaux concernant la proposition de règlement sur la neutralité du Net. À l'approche de cet événement, La Quadrature du Net vient d'envoyer une lettre à Arnaud Montebourg, Ministre de l'économie, et Axelle Lemaire, Secrétaire d'État au numérique, et les interpelle publiquement afin qu'ils prennent une position claire et publique à propos de la neutralité du Net.

Monsieur le Ministre,
Madame la Secrétaire d'État,

À l'approche de la réunion du Conseil de l'Union européenne du 6 juin prochain, les États membres devront s'exprimer sur l'état d'avancement de la proposition de la Commission dite « Continent connecté », portant sur le marché unique des télécommunications. Dans ce cadre, La Quadrature du Net tient à vous faire part de ses préoccupations et de ses interrogations concernant le chapitre consacré à l'Internet ouvert et, en particulier, aux questions liées à la neutralité du Net.

La neutralité du Net2 est une composante essentielle de l'Internet comme bien commun. C'est la neutralité qui fait d'Internet un réseaux de communication partagé, vecteur de participation démocratique et d'innovation. Face aux intérêts catégoriels des opérateurs télécoms, ou autres entreprises de l'économie numérique en situation de quasi-monopole, elle garantit à tous – citoyens, entrepreneurs, innovateurs, consommateurs – un accès libre et équitable au réseau.

En protégeant le bien commun qu'est la neutralité, lors de son vote du 3 avril dernier, le Parlement européen était donc pleinement dans son rôle de garant de l'intérêt général, ménageant la capacité d'innovation des entreprises des télécoms tout en sauvegardant ce principe crucial qu'est la neutralité du Net.

Alors qu'aux États-Unis, la FCC cherche à revenir sur les avancées obtenues en la matière depuis 2006, au mépris des promesses de campagne de Barack Obama, nous craignons que le vote positif des eurodéputés du 3 avril dernier ne soit à son tour remis en cause par le Conseil de l'Union européenne au cours de la procédure législative.

Ainsi, à la veille du vote des eurodéputés, le gouvernement français s'est malheureusement aligné sur la position du lobby des opérateurs télécoms en appelant – par la voix du Secrétariat général aux Affaires européennes – au rejet des amendements transpartisans, finalement adoptés.

La Quadrature du Net appelle le gouvernement à rompre avec les ambiguïtés et atermoiements passés, et à faire de la neutralité du Net un enjeu politique fort pour cette nouvelle période qui s'amorce au niveau de l'Union européenne, et ce sur la base des éléments suivants :

La neutralité du Net protège la liberté et l'égalité des citoyens

L'accès égal au réseau pour tous les internautes, lecteurs ou producteurs de contenus, est une des composantes historiques de l'Internet. C'est ce qui a fait sa force, c'est ce qui a conduit à son développement incroyablement rapide et libre.

La neutralité du Net permet à tous de s'informer, de prendre la parole, de participer au débat citoyen et d'être potentiellement écouté.

Le développement d'Internet et du web a conduit, en France et dans le monde, à faciliter la participation démocratique du plus grand nombre, en permettant à tous d'avoir un accès égal aux réseaux de communication. Ces avancées sont incompatibles avec un Internet « à deux vitesses », donnant aux plus offrants certains privilèges dans l'acheminement du trafic Internet.

En parallèle de la lutte contre la fracture numérique, garantir la neutralité du Net en interdisant aux opérateurs télécoms de se livrer à des pratiques discriminatoires est la clé de la promotion d'un accès universel à Internet.

L'importance de la neutralité du Net pour l'innovation

Les études qui estiment la part de croissance, de PIB et d'emplois induits par le développement d'Internet montrent que le développement de l'économie numérique, via des “pure players” ou simplement par la hausse de l'usage d'Internet dans l'ensemble de l'économie, est en forte croissance. En 2011, on estimait que 25% des emplois nets créés en France étaient dus à Internet, directement ou indirectement3.

La neutralité du net est considérée comme un vecteur d'innovation car elle permet à de nouveaux entrants de faire concurrence aux acteurs les mieux établis. Si, demain, les opérateurs pouvaient donner une priorité aux flux des entreprises les plus offrantes, ce moteur de l'économie numérique serait mis en pièce. Les PME innovantes ont besoin de voir garanti un accès neutre et inconditionnel à l'Internet pour leur développement et leur croissance, notamment face aux rapprochements entres les grands acteurs américains de l'économie numérique et certains opérateurs télécoms, ou face aux stratégies d'intégration verticale des opérateurs qui investissent dans le marché des contenus et des services en ligne.

En outre, dans un contexte de concentration croissante du secteur télécoms, par ailleurs largement défendue et encouragée par le gouvernement français, la neutralité du Net est une garantie essentielle face au risque d'abus de position dominante.

La neutralité du Net comme enjeu politique

Après les élections européennes du 25 mai dernier, alors que le Parlement européen se voit investi de nombreux députés eurosceptiques, il est crucial que la position du Conseil des ministres de l'Union européenne, et notamment celle de la France au sein de ce Conseil, soit une position de défense de la démocratie européenne et des intérêts des citoyens. Le gouvernement français peut-il sérieusement prêter la main aux manœuvres des lobbies industriels en vue d'enterrer la position des parlementaires européens, y compris ceux de sa propre couleur politique ?

Monsieur le Ministre,
Madame la Secrétaire d'État,

Nous comptons sur votre action pour défendre les intérêts de vos concitoyens et des économies française et européenne dans ce dossier. Attentifs à l'action du gouvernement et aux travaux du Conseil de l'Union européenne, nous espérons y voir confirmé le vote du Parlement européen du 3 avril dernier.

Restant à votre disposition pour tout complément d'information, recevez, Monsieur le Ministre, Madame la Secrétaire d'État, l'expression de nos plus respectueuses salutations,

La Quadrature du Net

Après le Parlement européen, que feront les États membres pour la neutralité du Net ?

lundi 2 juin 2014 à 18:05

Paris, 3 juin 2014 — Le 6 juin prochain lors du Conseil de l'Union européenne, les ministres seront invités à prendre note de l'état d'avancement des travaux concernant la proposition de règlement sur la neutralité du Net. Après des élections européennes qui ont vu la montée en puissance des forces eurosceptiques, les gouvernements des États membres seront-ils prêts à suivre le vote du Parlement européen et à défendre nos libertés ?

La neutralité du Net est revenue dans l'actualité ces dernières semaines, avec la décision de la FCC (Federal Communications Commission, l'équivalent de l'Arcep américain) d'autoriser les discriminations commerciales (« fast-lanes »). C'est un recul majeur pour le principe de neutralité du Net aux États-Unis, alors même que le Parlement européen s'est, lui, exprimé en faveur d'une protection réelle du principe de Neutralité du Net en avril dernier.

Procédure législative européenne
La procédure législative européenne

En Europe, les avancées permises par le vote des eurodéputés sont cependant loin d'être acquises. Le 6 juin prochain, le Conseil des ministres de l'Union européenne, qui réunit les ministres des États membres, devait rendre un « rapport d'orientation ». Ce rapport aurait dû donner un premier aperçu de la position des États sur la proposition de la Commission européenne, qui a fait l'objet de vives critiques à cause d'un encadrement très vague des services spécialisés et d'une formulation ambiguë et contradictoire de la neutralité du Net. Ce rapport aurait permis de comprendre comment les États membres se situent par rapport à la proposition plus exigeante adoptée par le Parlement.

Mais l'ordre du jour publié à la fin du mois de mai montre au contraire que le processus est en train de ralentir, voire de se déliter : le 6 juin, il n'est prévu que de donner « un état d'avancement des travaux » concernant le dossier.

Cela laisse à penser que les gouvernements n'ont pas encore pris de position claire sur la neutralité du Net, ou qu'une partie d'entre eux ne souhaite pas faire progresser le dossier. Il est donc à craindre que ce report vise à éviter l'adoption d'une définition forte de la neutralité du Net et d'une prise de position par rapport à l'expression démocratique des parlementaires.

Arnaud Montebourg Axelle Lemaire

Quelle est la position de la France dans ce processus ?

Chaque État membre aura un rôle important à jouer dans la position qui sera prise. Alors que l'Italie, qui assurera la future Présidence du Conseil, s'est exprimée en faveur de la neutralité du Net, la position de la France demeure encore extrêmement ambiguë.

Lors du vote, le gouvernement français a appelé à rejeter les amendements défendant un Internet neutre que certains eurodéputés socialistes – à l'image de Catherine Trautmann – avaient ardemment défendu et qui ont été adoptés. Une attitude incohérente, qui a – de fait – aligné la France sur la position défendue par les lobbies des grands opérateurs télécoms.

Pour autant, Axelle Lemaire, nouvelle Secrétaire d'État au Numérique – à l'époque députée à l'Assemblée Nationale – avait de son côté appelé à voter en faveur des amendements portés par les eurodéputés socialistes, s'opposant ainsi aux positions du gouvernement français et portant le germe d'une contradiction interne. De la même façon, ses premières interventions publiques après sa nomination comme secrétaire d'État au Numérique semblent indiquer qu'elle est toujours favorable à la neutralité du Net.

À la lumière de ces positions visiblement contradictoires, il est légitime de s'interroger sur la position publique de la France au Conseil du 6 juin prochain. Sera-t-elle celle des industriels des télécoms, que défend avec zèle le ministre de l'Économie Arnaud Montebourg ? Ou celle d'une vraie neutralité du Net, telle que l'ont défendue les citoyens européens et leurs représentants au Parlement européen, en accord avec les positions d'Axelle Lemaire ?

Les citoyens français sont en droit de savoir quelle sera la position de la France dans ces négociations cruciales pour l'avenir d'Internet. Le gouvernement de Manuel Valls doit donc faire état publiquement de sa position sur ce dossier sensible et ainsi permettre la tenue d'un débat public. La position de la France dans ce dossier a-elle changé entre le 3 avril et aujourd'hui, ou va-t-on assister à une passe d'armes entre deux ministres, deux personnalités qui divergent sur le fond même du sujet qu'ils ont à traiter ?

Faire de la neutralité du Net un objet politique, économique et sociétal

À quelques heures de la réunion du Conseil relative à la neutralité, La Quadrature du Net a écrit au gouvernement pour l'enjoindre à prendre une position claire et publique sur la neutralité du Net, en accord avec celle affichée par les eurodéputés et la société civile.

Le gouvernement doit comprendre que la neutralité du Net est un véritable enjeu politique :

« Après les élections européennes du 25 mai dernier, alors que le Parlement européen se voit investi de nombreux députés eurosceptiques, il est crucial que la position du Conseil des ministres de l'Union européenne, et notamment celle de la France au sein de ce Conseil, soit une position de défense de la démocratie européenne et des intérêts des citoyens. Le gouvernement français va-t-il prêter la main à des manœuvres pour enterrer la position des parlementaires européens, y compris de sa propre couleur politique ? » déclare Miriam Artino en charge de l'analyse juridique et politique à La Quadrature du Net.

« La Quadrature du Net sera vigilante et interpelle le gouvernement, son Ministre de l'économie Arnaud Montebourg, sa Secrétaire d'État au numérique Axelle Lemaire, afin qu'ils prennent une position claire au sujet de la neutralité du Net et qu'ils la défendent au sein du Conseil de l'Union européenne. Le bien commun qu'est Internet doit être fermement défendu par nos dirigeants. Il en va des droits fondamentaux des citoyens sur Internet, il en va des capacités d'innovation et de création de la France et de l'Europe » conclut Adrienne Charmet-Alix coordinatrice des campagnes à La Quadrature du Net.

Newsletter #56

vendredi 23 mai 2014 à 12:45

Bonjour à toutes et à tous !

L'actualité récente a été marquée par des bonnes nouvelles au niveau européen : le 3 avril dernier, quelques semaines avant les élections européennes, les eurodéputés ont voté en faveur d'un texte réellement protecteur pour la neutralité du Net. Le texte adopté en session plénière inclut une définition rigoureuse de ce principe fondateur d'Internet, lui confère une portée normative, et en encadre efficacement les exceptions que pourront mettre en place les fournisseurs d'accès. Cette victoire – la plus importante pour la protection des libertés en ligne depuis le rejet de l'ACTA en juillet 2012 – est le résultat de l'importante mobilisation citoyenne et du travail constructif de quelques eurodéputés et organisations de la société civile. À présent, il nous faudra rester vigilants tout au long de la suite du processus législatif, en particulier lors du passage du texte au Conseil de l'Union européen, afin de maintenir ces avancées dans la version définitive du texte.

Les eurodéputés ont également adopté une résolution condamnant les programmes de surveillance européens et américains, et appelant à la suspension de l'accord « Safe Harbor ». Cette suspension est réclamée de longue date par de nombreuses organisations de la société civiles, dont La Quadrature du Net, et est devenue particulièrement pressante à la lumière des révélations du lanceur d'alerte Edward Snowden. Les résolutions du Parlement européen n'étant malheureusement pas contraignantes, il appartient désormais à la Commission européenne d'entendre cet appel des représentants des citoyens et d'instaurer des mesures effectives, afin de mettre un terme au transfert illimité de données personnelles vers les États-Unis.

Toujours au niveau européen, la Cour de Justice européenne a rendu un important arrêt invalidant la directive européenne sur la rétention des données adoptée en 2006 et s'opposant au fichage systématique de nos communications en ligne. S'il est encore difficile de mesurer pleinement les conséquences de cette décision en France, cette nouvelle jurisprudence représente une étape importante dans la reconquête de notre droit fondamental à la vie privée et à la protection de nos données personnelles. Cet arrêt de la plus haute institution juridique de l'Union européenne est une victoire historique pour tous ceux qui s'étaient mobilisés contre la directive de 2006, et invite à continuer le combat contre la surveillance par tous les moyens appropriés, qu'ils soient techniques, politiques ou juridiques.

En France, les Sénateurs ont adopté en seconde lecture le projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes de Najat Vallaud-Belkacem. Malgré les nombreuses mises en garde de La Quadrature du Net, ces élus viennent d'étendre les mesures de censure privée de ce texte, au nom de la lutte contre les propos haineux diffusés sur Internet. Avant la prochaine et dernière lecture du texte à l'Assemblée nationale, il est maintenant urgent que les citoyens se mobilisent et appellent les députés à supprimer ces dangereuses dispositions risquant d'aggraver encore un peu plus les dérives de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN).

Des recommandations proposant une remise en question de l'équilibre de responsabilité des hébergeurs se retrouvent également dans le rapport de Mireille Imbert-Quaretta sur la « prévention et la lutte contre la contrefaçon en ligne », remis à la Ministre de la Culture Aurélie Filippetti lundi 12 mai. Sans surprise, ce rapport échoue à proposer les mesures à même de concilier droit d'auteur et pratiques culturelles actuelles. Au contraire, il propose le développement de mesures aggravant la transformation des intermédiaires techniques en police privée et la censure extra-judiciaire au nom de la protection des intérêts des ayant droits. Une fois encore, les citoyens devront se préparer à agir au cas où le gouvernement envisagerait réellement de persister dans le développement des politiques répressives dans le domaine numérique démarré par ses prédécesseurs et d'inscrire dans la loi de telles dispositions.

Enfin, La Quadrature du Net recrute un(e) chargé(e) de campagne. N'hésitez pas à diffuser l'annonce autour de vous, ou même à y postuler.

Datalove <3

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Le Parlement européen, allié de nos libertés numériques

vendredi 23 mai 2014 à 08:57

Tribune de Jean Cattan, membre du Conseil d'administration de La Quadrature du Net, et Adrienne Charmet-Alix, coordinatrice des campagnes, publiée dans Mediapart le 22 mai 2014

Alors qu'il est d'usage dans le système politico-médiatique français de faire passer sur le dos de « l'Europe » tout ce qui peut être ressenti comme néfaste, rigide ou contraignant dans nos législations, et que les élections qui arrivent risquent de se dérouler dans une indifférence et une abstention majeures, il faut rappeler que le Parlement européen peut être un réel lieu de démocratie, bénéfique pour les citoyens, et qu'il l'a prouvé plusieurs fois notamment sur le terrain de la protection des droits et libertés sur Internet.

Le Parlement européen est un haut lieu de la démocratie. C'est un fait qu'il faut souligner à la veille des élections du 25 mai prochain. Sans défendre les intérêts des uns et les partis pris des autres, il s'agit de rendre compte du rôle crucial et trop peu connu que le Parlement européen a joué ces dernières années dans la défense de nos libertés et la démocratisation du débat public.

Pour illustrer ce rôle crucial, il peut être intéressant de reprendre brièvement quelques aspects de l'histoire récente de la défense des libertés sur Internet.

En 2008, le Parlement européen est saisi de la réforme du « Paquet Télécom », un ensemble de textes gouvernant de manière austère et technique le développement de nos réseaux et services de communications électroniques.

Pendant que les institutions européennes débattent de cette réforme, la France prépare sa loi Hadopi et la riposte graduée : jusqu'à son adoption au Parlement français en 2009, le projet de loi autorisait l'administration à couper l'accès à Internet des personnes qui ne l'auraient pas convenablement protégé contre les utilisateurs de réseaux de pair-à-pair.

Jusqu'ici quoi de plus commun ? À Bruxelles la technocratie, au Palais Bourbon les éclats et les cris.

C'était sans compter sur quelques parlementaires européens qui, face à l'ineptie d'une coupure de l'accès à Internet par une autorité administrative, ont déposé l'amendement dit « 138 » dans le Paquet Télécom. Selon les termes de cet amendement, c'est au juge qu'il reviendra de juger de notre liberté d'accéder aux services de communications en ligne.

En fin d'année 2009, la réforme du Paquet Télécom est adoptée. Si, en raison de la résistance des États membres, la portée de l'amendement 138 sera finalement considérablement réduite, il n'en demeure pas moins que dans cet épisode, le Parlement s'est affiché comme un rempart contre l'empiétement de l'administration sur les terres de la liberté d'expression. Il a ainsi pesé sur le débat français. Le Paquet Télécom fut une première preuve de l'intérêt du Parlement européen pour les questions numériques, et le préambule à d'autres combats.

Au même moment, fin 2009, nous apprenions que la Commission européenne avait reçu mandat de nos États pour négocier avec les États-Unis, le Japon et d'autres puissances un traité visant à protéger la propriété intellectuelle de manière plus efficace et couramment dénommé l'ACTA.

Malgré les enjeux fondamentaux de ce texte, sur les questions d'accès aux médicaments ou aux œuvres culturelles notamment, le projet d'accord est alors discuté à huis clos. Il n'arrive aux yeux du public que grâce à des fuites diplomatiques.

Dès les premières fuites, le Parlement européen a fait valoir auprès de la Commission européenne le droit à l'information que le Traité de Lisbonne l'oblige à lui fournir. Dès lors, le texte n'a eu de cesse d'être purgé de ses aberrations jusqu'à son rejet par une majorité écrasante de nos eurodéputés le 4 juillet 2012.

Ce 4 juillet là, lors du vote final, il n'est plus question de partis, il est question de démocratie. Ce sont des mois de travail et de mobilisation des citoyens européens qui sont récompensés. Alors que tout était fait pour l'en exclure, la voix des peuples de l'Union européenne s'invite efficacement à la table des négociations d'un accord commercial que quelques puissances voulaient garder secret. Le rejet de l'ACTA montre alors que là où le peuple n'est pas entendu par ses administrations nationales, il peut l'être par ses élus au Parlement européen.

De nombreux débats similaires attendent les eurodéputés que les citoyens européens éliront ce 25 mai. Le 3 avril dernier, le Parlement européen a démontré qu'il pouvait être assez indépendant pour protéger nos libertés : il a adopté de nombreux amendements en faveur de la neutralité de l'Internet, afin de protéger un accès libre et égalitaire à l'ensemble des contenus et services de l'Internet. Si elles sont confirmées par les représentants de nos États au Conseil de l'Union européenne (rien n'est moins sûr), et si le prochain Parlement tient bon face aux pressions de certains gouvernements et lobbies, ces dispositions protégeront nos communications par Internet de toute restrictions et discriminations imposées par les fournisseurs d'accès à Internet.

Dans le même temps, la mobilisation qui se fait de plus en plus visible au sujet du projet de l'accord de libre-échange TAFTA se joue également au niveau européen : la discussion et le vote éventuel du traité transatlantique feront inéluctablement intervenir le Parlement européen sur la scène commerciale internationale mondiale.

En dépit de toutes les lacunes démocratiques qui entachent les institutions représentatives, malgré l'influence démesurée de certains lobbies industriels sur la définition des politiques publiques, nous savons, armés de nos expériences passées, qu'au Parlement européen, la voix des citoyens compte.

Sur l'ensemble de ces sujets qui touchent de près ou de loin la sphère numérique, nous avons appris que la mobilisation citoyenne pouvait être entendue par les eurodéputés, qui savent parfois oublier les dissensions partisanes ou les querelles politiques nationales pour défendre les biens communs.

Sur ces sujets comme sur bien d'autres, les débats sont loin d'être achevés. Les mois à venir seront décisifs pour la protection des droits sur Internet : au delà de la neutralité du Net et de Tafta, les eurodéputés qui seront élus ce dimanche devront également travailler sur la protection des données personnelles, la surveillance de masse des communications, la réforme du droit d'auteur ou encore la censure privée qui se développe sur Internet. Dans chacun de ces débats et bien d'autres encore, ils auront l'occasion de défendre nos libertés menacées par des États en prises à des résistances profondes et souvent profondément archaïques.

Dans ce contexte, le Parlement européen peut fournir un espace de délibération plus ouvert et nous permettre d'enjamber des jeux de pouvoirs d'un autre temps pour passer directement au jeu de la démocratie.

C'est pourquoi, à tous les citoyens préoccupés de la défense des droits et libertés (sur Internet comme dans le reste de la société), à ceux qui cherchent à faire progresser la démocratie, à ceux qui se préoccupent de faire avancer une politique qui serve vraiment l'intérêt général, nous rappelons l'importance d'un vote éclairé aux élections européennes : le Parlement européen ne doit pas être le bouc-émissaire des défaillances de nos systèmes politiques nationaux, mais devenir l'antidote aux difficultés que traverse l'Union européenne.

C'est pourquoi le Parlement doit être encouragé, valorisé et donc élu avec la plus grande attention par les citoyens, qui auront à cœur de faire leur choix sur la qualité des positions, du travail et de l'indépendance des candidats plus que sur des calculs politiciens étriqués.

Nous n'invitons pas à voter pour tel ou tel. Nous souhaitons simplement rappeler l'importance démocratique de cet organe législatif fondamental, et inviter les électeurs européens à donner leur suffrage à des parlementaires qui sauront se montrer à l'écoute des citoyens. Afin qu'ensemble nous puissions ensuite, en travaillant avec nos élus, défendre et garantir les droits politiques, économiques, sociaux et culturels face aux menaces qui se font jour partout sur ce continent.

Neutralité du Net au Parlement européen : qui a voté quoi ?

jeudi 22 mai 2014 à 14:43

Paris, 22 mai 2014 — Le 3 avril dernier, après des années d'actions et de mobilisations citoyennes, le Parlement européen a voté en faveur d'un texte protecteur de la neutralité du Net. Début juin, les États membres réunis au sein du Conseil de l'Union européenne publieront un premier rapport d'orientation, sur la base duquel seront menées les négociations avec le Parlement européen. À quelques jours des élections qui désigneront les prochains représentants des citoyens en Europe, La Quadrature du Net revient sur l'un des dossiers les plus controversés de la législature, depuis les premières déclarations de Neelie Kroes, la Commissaire en charge de l’Agenda numérique, jusqu'au vote des eurodéputés le 3 avril dernier.

En 2010, l’audition de confirmation de Neelie Kroes à l’Agenda Numérique avait été encourageante ; interrogée par les eurodéputés au sujet de la neutralité du Net, la future Commissaire condamnait avec assurance les pratiques commerciales limitant l’accès aux contenus et aux services. Malheureusement, sa position a rapidement évolué, pour s'aligner de plus en plus sur les demandes des lobbies des télécoms. En septembre 2013, à l'approche de la fin de son mandat, Neelie Kroes a enfin rendu publique une proposition de règlement sur les télécommunications abordant la neutralité du Net. À quelques mois seulement des élections européennes, un calendrier accéléré a été mis en place, obligeant le Parlement européen à des débats et des décisions précipités. En complète contradiction avec les engagements pris en début de législature, Neelie Kroes proposait dans ce règlement d'autoriser les discriminations commerciales (« fast-lanes »), vidant complètement de son sens le principe de la neutralité du Net.

Malgré cette déplorable proposition, largement dénoncée par de nombreuses organisations de la société civile, la mobilisation massive1 de milliers de citoyens et de quelques eurodéputés particulièrement impliqués – que La Quadrature remercie une fois encore – a permis d'aboutir à un texte réellement protecteur de la neutralité du Net lors du vote au Parlement européen2. Comble du cynisme, cette importante victoire citoyenne a été chaleureusement saluée par la Commissaire, alors qu'elle combattait encore farouchement les amendements protecteurs de la neutralité du Net quelques jours seulement avant le vote.

Le détail du vote

Malgré un accord transpartisan entre les groupes socio-démocrate (S&D), vert (Verts/ALE), gauche unitaire (GUE), et libéraux (ADLE), l’issue du vote du 3 avril demeurait incertaine jusqu'à la dernière heure. Cette victoire a été le résultat d’un long travail de pédagogie, d'analyse, de déconstruction des arguments avancés par les lobbies des opérateurs télécoms et de rencontres avec les acteurs européens impliqués dans le processus. Quelques jours avant les élections européennes, La Quadrature du Net revient sur les détails de ce vote et sur l'évolution des positions des différents groupes au fil des mois le précédant.

Si certains points du texte ont divisé les eurodéputés, il est intéressant de remarquer que la définition des « services spécialisés », pourtant au cœur des débats, a fait l'objet d'un large consensus3.


Après ces premières étapes législatives, le projet de règlement voté le 3 avril par le Parlement européen est maintenant examiné par le Conseil de l'Union européenne, censé publier un premier rapport d'orientation le 5 ou le 6 juin prochain.

« Au vue des positions exprimées par les gouvernements français et anglais, qui envisagent déjà de remettre en question les avancées obtenues pour la protection de la neutralité du Net, le rôle du prochain Parlement européen sur ce dossier sera fondamental. Les eurodéputés, qui seront élus le dimanche 25 mai devront continuer le travail de leurs prédécesseurs et se battre pour défendre notre liberté de communication sur Internet. C'est pourquoi chaque citoyen, qui s'apprête à voter dimanche doit s'interroger sur la centralité de ces thèmes dans les préoccupations des candidats. La campagne européenne wepromise.eu a récolté les signatures de quelques centaines de candidats qui ont promis de s'engager pour les droits des citoyens sur Internet. Maintenant, la parole est aux électeurs », déclare Miriam Artino, en charge de l'analyse juridique et politique à La Quadrature du Net.



Ci-dessous le détail du vote des amendements essentiels. Pour un complément d'information, vous trouverez ici le détail de tous les amendements votés par appel nominatif (cf. pp.33-52).



Définition de la Neutralité du Net (amendements 234 et 241)

PPE favorables

ECR favorables

EFD favorables

NI favorables

S&D défavorables

Services fonctionnellement identiques (amendements 236 et 243, parties correspondantes 1 & 2)

ECR favorables

EFD favorables

NI favorables

PPE favorables

S&D défavorables

Mesures de gestion du traffic (amendements 236 et 243, parties correspondantes 4 & 5)

PPE favorables

EFD favorables

ECR favorables

NI favorables

S&D défavorables