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Projet de loi « terrorisme » : le Sénat adopte le projet de loi liberticide

jeudi 16 octobre 2014 à 16:00

Paris, le 16 octobre 2014 — Après deux jours de discussion, le Sénat vient d'adopter le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme par 317 votes pour et 28 contre, en première et unique lecture. Si certains sénateurs ont courageusement lutté contre les dispositions liberticides du projet mené par le ministre Bernard Cazeneuve, La Quadrature du Net se désole que la discussion législative n'ait pas permis de corriger substantiellement un projet de loi inadapté et dangereux. Le texte sera examiné en commission mixte paritaire dans les semaines qui viennent, où il sera probablement adopté sans réelle modification.

Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur du Projet de loi « Terrorisme »
Jean-Jacques Hyest (UMP), co-rapporteur
du projet de loi au Sénat

Au cours de l'après-midi, le projet de loi défendu par Bernard Cazeneuve, le ministre de l'Intérieur, refusant toute évolution de sa position, et repoussant d'un revers de main toutes les alertes de la société civile, a été voté avec l'ensemble de ses dispositions dangereuses : interdiction administrative de sortie du territoire, création du délit d'entreprise individuelle terroriste, blocage administratif des sites Internet, modifications substantielles de la procédure pénale au-delà des actes de terrorisme.

Pire, le Sénat a consacré une grave atteinte au principe d'égalité devant la loi pénale en réintégrant l'article 4 relatif à l'apologie et de la provocation au terrorisme dans la loi de 1881, sauf lorsque ces faits sont commis sur Internet. Dans l'esprit du ministre et de nombreux sénateurs, Internet est un danger en soi qui mérite une telle dérogation : le vote de cet amendement introduit une inégalité flagrante entre Internet et les autres modes de communications, déjà sanctionnée par le passé par le Conseil constitutionnel1, et une confusion grave entre outil et contenu, vecteur de communication et audience réelle.

Le choix du gouvernement de discuter ce projet de loi en procédure accélérée, complètement injustifié2, lui aura permis d'évacuer du débat législatif un examen approfondi des dispositions les plus dangereuses – a fortiori en période de renouvellement de l'une des deux chambres – malgré le travail courageux de certains sénateurs. Le texte, légèrement modifié par rapport à celui adopté à l'Assemblée nationale, sera examiné et harmonisé en commission mixte paritaire au cours des prochaines semaines, où il sera probablement définitivement adopté sans modification substantielle.

« Si les sénateurs ont fait un réel effort de travail sur ce texte néfaste, celui-ci a été malheureusement voté avec l'ensemble des dispositions dangereuses que La Quadrature du Net et de nombreux autres acteurs de l'Internet ou défenseurs des libertés publiques dénoncent depuis plusieurs mois. Pourrons-nous espérer un sursaut de courage de nos parlementaires pour porter ce texte devant le Conseil Constitutionnel, afin d'en vérifier la conformité avec le texte fondateur de la Vème République ? En démocratie, les élus ne devraient pas craindre un tel examen. Nous ne pouvons accepter un tel traitement inadapté et liberticide de questions aussi graves que la lutte contre le terrorisme » déclare Adrienne Charmet, coordinatrice des campagnes de La Quadrature du Net.

Projet de loi Terrorisme : les amendements à soutenir au Sénat

mercredi 15 octobre 2014 à 14:39

Paris, le 15 octobre 2014 — Aujourd'hui à partir de 14h30, le Sénat débute l'examen du projet de loi « Terrorisme » de Bernard Cazeneuve. Après le dépôt des amendements par les parlementaires et le gouvernement, La Quadrature du Net – qui s'oppose depuis plusieurs mois à ce projet de loi – engage les sénateurs à étudier ou soutenir les amendements intéressants pour améliorer les dispositions toujours dangereuses du projet de loi.

Le projet de loi de lutte contre le terrorisme présenté par le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a été adopté à l'Assemblée nationale au mois de septembre, après des débats consternants montrant à quel point les députés font peu de cas des libertés fondamentales, n'hésitant pas à voter une loi d'affichage inefficace et liberticide dans l'espoir de répondre aux actualités dramatiques du Moyen-Orient. Le Sénat, chargé de poursuivre l'examen législatif aujourd'hui, doit absolument revenir sur les dispositions les plus dangereuses de ce projet de loi et rétablir l'équilibre fondamental entre libertés publiques et invocation sécuritaire. Les quelques amendements allant dans ce sens sont à soutenir. L'examen en procédure accélérée de ce projet de loi, avec une seule lecture par chaque Chambre, exige une prise de position forte des sénateurs.

Article 4

L'article 4 tel que proposé par l'Assemblée Nationale porte sur le transfert, du droit de la presse vers le code pénal, des infractions de provocation et apologie des actes de terrorisme.

Comme La Quadrature du Net le soulignait la semaine dernière, intégrer ces dispositions dans le code pénal affaiblirait les garanties procédurales qui protègent la liberté d'expression.

Dans son texte du 14 octobre 2014, la commission des lois siégeant au Sénat revient sur les dangers effectifs d'une telle disposition et s'oppose, par le biais de l'amendement 18, à l'idée d'extraire ces deux délits du droit de la presse.

Malheureusement, les sénateurs ne sont pas allés jusqu'au bout de leur raisonnement et ont créé une exception pour les délits de provocation et apologie commis sur Internet, ce qui remet en cause le principe d'égalité devant la loi pénale, établi au considérant 65 de la décision n° 2006-540 DC du Conseil Constitutionnel.

La suppression de l'article reste dès lors la solution la plus logique ; pour cette raison La Quadrature du Net se félicite du dépôt des amendements 43 et 61 qui vont dans le sens du rétablissement du statu quo et, par conséquent, du maintien de ces délits dans le droit de la presse.

À défaut, l'amendement 44 pourrait être soutenu ; il aurait, quant à lui, le mérite d'ajuster en partie l'objectif de la commission des lois et d'extraire du code pénal l'apologie des actes de terrorisme. L'idée est judicieuse, tout en sachant que cet amendement ne pourra pas tout seul résoudre les problèmes liés à l'introduction du délit de provocation dans le code pénal, comme La Quadrature du Net le signalait précédemment.

Article 5

L'article 5, tel que proposé par l'Assemblée, étend à la situation d'une préparation individuelle des dispositions qui aujourd'hui portent sur la participation à un groupement constitué en vue de commettre un acte de terrorisme (cf. article 421-2-1 du code pénal).

Il introduit le délit d'entreprise individuelle de terrorisme ayant vocation à criminaliser et pénaliser l'intention et non pas la commission ou la préparation elles-mêmes d'un acte de terrorisme.

Les amendements déposés en vue de l'élaboration du texte de la commission des lois n'ont fait que détailler ultérieurement les éléments matériels1 utiles à la définition d'entreprise terroriste individuelle, sans aucune prise en compte de la conformité de cette introduction au principe de légalité, inscrit à l'article 8 de la déclaration de 1789, et de présomption d'innocence inscrit à l'article 9 de la même déclaration.

La Quadrature du Net appelle ainsi au soutien de l'amendement 62 qui prend en compte les éléments y étant évoqués et propose la solution la plus adaptée à ce cadre, à savoir la suppression de l'article.

À défaut, La Quadrature du Net appelle au soutien de l'amendement 64 qui aurait le mérite de rendre les conditions pour définir une entreprise individuelle de terrorisme beaucoup plus strictes et permettrait, éventuellement, d'encadrer de manière plus claire ce délit, ce qui permettrait d'identifier plus précisément les cibles réellement concernées et non pas l'ensemble de la population.

Bien que cela ne remette guère en question la logique qui sous-tend l'article 5, ce qui est fortement regrettable, La Quadrature du Net salue l'amendement 47 qui vise à l'abolition de la consultation habituelle des sites comme constitutive de la préparation et donc d'un acte de terrorisme. L'utilisation de cet élément pourrait avoir des répercussions graves en termes de liberté d'expression et d'accès à l'information comme cela a été signalé la semaine dernière (cf. notre analyse).

L'amendement 48, présenté comme un amendement de repli, aurait pour effet de limiter les dégâts en termes de liberté d'expression, en excluant le délit d'apologie du terrorisme du cadre de la fréquentation habituelle des sites. Si aucun des amendements précédemment indiqués n'est adopté, les sénateurs sont appelés à soutenir celui-ci.

Article 9

L'article 9 a pour objectif de conférer à l'autorité administrative le pouvoir de demander aux fournisseurs d'accès Internet de bloquer les sites provoquant aux actes de terrorisme ou en faisant l'apologie.

Or, le blocage des sites se traduit souvent par une restriction grave à la liberté d'information, ce qui fait que :

En étendant une fois encore la responsabilité des hébergeurs par l'ajout de l'apologie ou de la provocation au terrorisme, dans le 7 du I de l'article 6 de la Loi pour la Confiance en l'Économie Numérique (LCEN), le législateur ne respecterait pas ces critères et il poursuivrait sa tendance néfaste à faire gérer les restrictions à la liberté d'expression par les hébergeurs, donc par des acteurs privés, et non par les autorités publiques dédiées à cette tâche (l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication notamment).

Le point 2 de l'article 9, en ce qu'il n'envisage pas de recours au juge judiciaire en amont de la décision de blocage, qu'il ne répond pas aux objectifs d'efficacité (le contournement des blocages est notoirement aisé), et qu'il n'offre aucune garantie de proportionnalité (les risques de surblocage sont massifs), ne peut servir l'objectif envisagé et doit donc être supprimé.

Les amendements 1 et 65, déposés en vue de supprimer l'ensemble de l'article 9 sont donc à soutenir. À défaut les amendements 51 et 8 supprimant le blocage administratif ainsi que l'amendement 52 supprimant l'extension de la responsabilité des hébergeurs doivent être soutenus. En dernier recours, La Quadrature du Net appelle au soutien des amendements qui rétablissent l'autorité du juge judiciaire ou du juge des libertés, en particulier les amendements 23, 69 et 53.

Article 10

L'article 10 a pour vocation de modifier le régime de perquisition applicable à l'ensemble des crimes et des délits flagrants. Son champs d'application dépasse donc celui de la lutte contre le terrorisme en tant que tel et il s'attaque à l'ensemble des délits régis par le code de procédure pénale. L'étendue de sa portée devrait, à elle seule, remettre en question la présence de telles dispositions dans un projet de loi qui devrait avoir vocation à porter sur les actes visés au point 11 de l'article 706-73 du code de procédure pénale, soit les crimes et les délits constituant des actes de terrorisme.

Plus précisément, cet article introduit une nouvelle modalité de perquisition depuis les services de police, ce qui laisse en suspens plus d'une question sur l'application des garanties nécessaires au maintien d'un équilibre entre efficacité des enquêtes et respect des libertés individuelles.

Dans la formulation de l'article, les mots « dans les conditions de perquisition prévues au présent code », sont probablement à considérer comme un garde-fou pour éviter toute dérive anti-démocratique ou non-respect de certains droits comme celui à la vie privée, mais ils laissent des questions ouvertes et des imprécisions sur leur application.

Or, l'amendement 24 propose la suppression de ces mots, ce qui enlèverait toute garantie possible de protection des droits dans ce cadre spécifique. Pour cette raison, La Quadrature du Net appelle fermement au rejet de cet amendement.

La Quadrature du Net appelle enfin à soutenir l'amendement 70 car l'autorisation que le juge des libertés et de la détention devra octroyer aux officiers de police judiciaire dans le cadre d'une enquête prévoyant une perquisition à distance, crée une protection très forte contre tout usage abusif des contrôles policiers.

Tableau récapitulatif

Article 4

Article 5

Article 9

Article 10

« Les sénateurs ont l'opportunité de supprimer ou d'améliorer les pires dispositions de ce projet de loi. Il est de leur devoir de s'en saisir, malgré l'inconfort d'une procédure accélérée survenant en plein renouvellement de la Chambre. Les citoyens doivent pouvoir compter sur les sénateurs pour revenir à un meilleur équilibre entre libertés fondamentales et lutte contre le terrorisme, sous peine de voir la fuite en avant du gouvernement se poursuivre encore et encore dans des lois d'affichage et de communication inefficaces et liberticides » appelle Miriam Artino, coordinatrice de l'analyse juridique et politique de La Quadrature du Net

11 octobre 2014, journée européenne d'action contre les traités des multinationales

samedi 11 octobre 2014 à 00:46

Paris, le 10 octobre 2014 — La Quadrature du Net est engagée contre les négociations des traités internationaux TAFTA, CETA et TISA comme elle l'était contre le traité ACTA, appelle à participer et à relayer la Journée européenne d'action contre les traités des multinationales organisée notamment par le Collectif Stop-TAFTA.

Les traités internationaux tels qu'ils sont actuellement négociés sont antidémocratiques et dangereux : en étant négociés dans le secret, ils outrepassent les représentations démocratiques. Leurs dispositions, extensibles à l'envi, sont beaucoup plus larges que de simples accords commerciaux et, comme cela a été vu dans ACTA, mettent en danger l'équilibre déjà fragile de nos libertés fondamentales : répression du partage culturel, protection des données, brevets, arbitrage privé pouvant invalider des lois démocratiquement adoptées : ces domaines touchent directement la vie quotidienne des citoyens. Et le contexte post-Snowden de ces négociations ne peut que faire craindre des résultats néfastes pour les européens, alors que les États-Unis sont visiblement en capacité d'espionner l'ensemble des communications des négociateurs.

ACTA a été rejeté à la suite de la mobilisation de milliers de citoyens exigeant la transparence et l'abandon de dispositions néfastes. TAFTA, CETA et les autres accords de commerce peuvent également être repris en main par les citoyens, démocratiquement. Il est indispensable de ne pas relâcher la pression sur les institutions européennes, le gouvernement français et les négociateurs.

Pour plus d'informations sur les positionnements et les documents de TAFTA voir : https://www.laquadrature.net/fr/TAFTA

STOP TAFTA, CETA & TiSA !

Samedi 11 octobre, des dizaines de milliers de citoyen.ne.s se mobiliseront pour dénoncer les accords de libre-échange négociés par l'Union Européenne au profit des multinationales et au détriment des droits des populations et de l'environnement. À l'appel de nombreux mouvements sociaux, paysans, d'associations environnementales, de collectifs citoyens, de syndicats et de partis politiques, le 11 octobre sera une journée européenne d'action contre le TAFTA*, le CETA* et le TiSA* mais aussi contre les gaz et pétrole de schiste à l’occasion de la troisième édition du « Global Frackdown ».

Plus de 350 actions, dont 60 en France, sont prévues dans 20 pays d'Europe : débats publics, déambulations festives, pétitions, Manif'actions, rassemblements populaires, flashmobs, concert de casseroles et chaînes humaines, de Brest à la Réunion.

Pour voir la carte de ces actions, cliquez sur : https://www.collectifstoptafta.org/11-octobre-stop-tafta-ceta-tisa/

Des actions se tiendront également dans presque toutes les capitales européennes, de Bucarest à Madrid, Athènes, Berlin, Londres ou Helsinki. Une Manif'action est prévue à Paris. Le rendez-vous est fixé à 14h30, place Stalingrad. Avant le départ, les participants réaliseront une fresque humaine « Stop TAFTA ». Nous marcherons ensuite jusqu'à la place de la République où nous arriverons en même temps que la manifestation « NON au salon pro-nucléaire ». Nos manifestations se retrouveront derrière un slogan commun « TAFTA CETA TiSA, gaz et pétrole de schiste, nucléaire - Contre les multinationales et leur monde ».

Pour en savoir plus : https://www.collectifstoptafta.org/11-octobre-stop-tafta-ceta-tisa/
Appel européen : http://www.stop-ttip-ceta-tisa.eu/fr/reclamons-la-democratie-2/
Lien vers les organisations signataires : http://www.stop-ttip-ceta-tisa.eu/fr/supporting-groups-2/

Contact pour plus d'informations sur les actions ailleurs en Europe : Lucile Falgueyrac, lucile.aitec@reseau-ipam.org, 0671305145, AITEC

TAFTA, CETA, TiSA ?

Ces sigles désignent des accords de libre-échange et d’investissement négociés dans le plus grand secret. S’ils sont adoptés, ils consacreront la domination des multinationales sur nos sociétés, au détriment des citoyen.ne.s et de la démocratie.

Sous couvert d’une hypothétique relance de la croissance, ces accords s’attaquent aux normes sociales, financières, sanitaires, culturelles et environnementales. Si elles s’estiment lésées, les multinationales pourront poursuivre les États devant des tribunaux privés d’arbitrage, hors de tout contrôle démocratique.

Ces accords menacent de mettre en péril ce qui rend nos sociétés encore vivables.

Le 11 octobre, mobilisons-nous pour faire échouer ces négociations ! Des actions sont prévues partout en France et à travers l’Europe.
Et n’oubliez pas de vous déclarer Hors-TAFTA !

La loi antiterroriste devant le Sénat : l'urgence est mauvaise conseillère

jeudi 9 octobre 2014 à 10:42

Communiqué commun de l'Observatoire des libertés et du numérique (OLN)1

Paris, 9 octobre 2014 — Aujourd'hui, le Sénat examine le projet de loi antiterroriste. Il s'agira d'une lecture unique, puisque le gouvernement, confondant précipitation et efficacité, a décidé de la procédure d'urgence.

L'Observatoire des libertés et du numérique (OLN) considère que cette décision prive la représentation nationale d'un débat normal sur les libertés publiques, dans lequel les arguments contraires auraient mérité d’être entendus.

Si la lutte contre le terrorisme est légitime, elle ne peut justifier de légiférer en urgence sous le coup de la peur et de l’émotion, et d’adopter des lois toujours plus liberticides. Les événements récents posent sans aucune contestation possible la nécessité de procéder à la poursuite, à l'arrestation et au jugement de criminels. Mais sans le respect des principes, la lutte contre le terrorisme se réduit, aux dépens de la justice et des libertés publiques, à une vengeance sans fin. Amender encore une fois l’arsenal déjà lourd de la lutte antiterroriste dans ces circonstances, c’est prendre le risque de dissoudre la délibération démocratique dans une posture évènementielle. À chaque fois qu'en matière législative, on fait vite, on ne fait pas bien. Et c'est exactement le cas avec la future « loi antiterroriste », déjà votée par l’Assemblée nationale et qui va suivre la procédure d’urgence : une seule lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Une fois de plus, au lieu de procéder à une évaluation des lois existantes avant d’en promulguer une nouvelle qui pourrait tenir compte de l’expérience, ce qui tient lieu d’analyse, c’est le recours législatif immédiat et l'illusion est ainsi donnée que l'on a pris en haut lieu la mesure du danger. Aujourd’hui le combat contre le « djihad », comme hier celui contre le terrorisme, fait que, de coups de menton virils en déclarations martiales, la cause est entendue : la patrie est en danger et les atermoiements ne sont plus de mise, même quand il s'agit des libertés publiques. Que les prises de position honteuses de certains à droite, comme celle du député UMP Alain Marsaud, qui invitait à « s’asseoir sur les libertés », ne viennent pas éclipser le fait qu’aujourd’hui encore la balance entre sécurité et libertés va dans le même sens, déséquilibrée qu’elle est vers toujours plus de diminution des droits. Développement sans fin d’un arsenal répressif déjà très lourd, création d’une nouvelle infraction de l’intention, création de pouvoirs exorbitants de l’administration sur les citoyens, leurs déplacements, leur expression, notamment sur le Net, détricotage du droit de la presse, accroissement des pouvoirs de police et de la justice dans des domaines allant bien au-delà du terrorisme : autant de dévoiements de notre droit, que la lutte contre le terrorisme ne saurait légitimer.

L’argument est d’autant plus efficace que la situation internationale est extrêmement dangereuse. A l’engagement militaire sur un théâtre extérieur correspond une relativisation des libertés fondamentales pour tenter de dominer l’incertitude de la période, ce qui suffirait à dévaloriser, voire annihiler la critique.

C’est ainsi que dans la loi antiterroriste, ses motifs n’ont que la peur comme conseillère. La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) tout comme la Commission numérique de l'Assemblée nationale et le Conseil national du numérique se sont d'ailleurs montrés, dans leurs avis, extrêmement critiques sur son contenu. Mais il en adviendra de ce texte comme d'autres : le gouvernement ni ne consulte ni ne sollicite un avis, dont il avait bien pressenti qu’il mettrait à jour l’illégitimité et l’inefficacité de telles atteintes aux droits et libertés.

Au rebours de cette courte vue, l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN) considère que l’expérience de ces lois appliquées dans le monde (en particulier aux États-Unis, qui s’en sont faits le parangon avec le Patriot Act), montre que celui-ci n’est pas devenu plus sûr avec ces méthodes. À moins d’être aveugle, il faut bien constater que le terrorisme ne faiblit pas quand tombent les libertés publiques. Dans les pays mêmes qui pratiquent à un degré ou à un autre la suspension des libertés dans ce cadre, les effets sont médiocres voire contre-productifs.

C’est à l'audition d'une multiplicité de points de vue, constitutionnel, juridique, politique, social, qu'il eût fallu procéder. Mais le débat n’a pas eu lieu puisque les initiateurs de la loi, telle qu'elle est, disent qu’il n’y a pas d’autre politique possible. Les questions ne seront donc pas posées. C’est ce à quoi les organisations qui composent l’OLN ne peuvent pas se résoudre. L'OLN appelle les sénateurs à tenir le débat, et, s’ils ne refusent pas d’adopter la loi, à tout le moins à proposer des amendements propres à apporter des garanties. Il appelle enfin les parlementaires à utiliser en tout état de cause leur possibilité de soumettre la loi au Conseil constitutionnel.

Analyses et propositions d'amendements pour le projet de loi « terrorisme » lors de son passage au Sénat

mercredi 8 octobre 2014 à 17:48

Paris, le 8 octobre 2014 — La Quadrature du Net appelle les sénateurs à corriger les dangereuses dispositions du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme tel qu'il a été présenté par le gouvernement puis voté à l'Assemblée nationale. Pour cela, les principales dispositions problématiques et les mesures qui peuvent les amender sont présentées ci-dessous. Elles sont à disposition des sénateurs, afin qu'ils puissent s'en inspirer pour effectuer leur travail d'amélioration législative.

Article 4

Le transfert dans le code pénal des infractions de provocation à des actes de terrorisme crée les conditions pour la facilitation d’une justice expéditive, peu soucieuse du droit de chacun à un procès équitable.

De plus, le nouvel article 421-2-5 du code pénal n'opère pas de distinction entre une provocation suivie d'effet et une provocation qui ne l'est pas, ce qui est garanti, en revanche, aux articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881. Cette distinction est d’une importance primordiale à partir du moment où elle marque la frontière entre le champs de la protection des personnes et le champ de la liberté d’expression.

Dans le cadre du basculement du délit d'apologie du terrorisme du droit de la presse au code pénal, un risque majeur se pose et il a trait à la compromission du droit à la liberté d’expression, notamment lorsqu'il est exercé dans le cadre d'une forme de contestation sociale.

La lutte contre le développement de la propagande terroriste qui provoque ou glorifie les actes de terrorisme doit rester l’apanage du droit de la presse, la notion même de « propagande terroriste » n’ayant pas de définition juridique. Un rapport1 de l’ONU datant de septembre 2012, portant sur l’utilisation d’Internet à des fins terroristes, précise en effet que : « [c]e qui constitue une propagande terroriste, par comparaison à la défense légitime d’un point de vue, est souvent un jugement subjectif »2 Et il ajoute « la diffusion de la propagande n'est généralement pas, en soi, une activité interdite »3. Les règles procédurales associées au droit de la presse garantissent et protègent ainsi la liberté de chacun de continuer de s’exprimer, et endigue toute tentative, présente et future, de dérive autoritaire dans une société démocratique.

Par ailleurs, la création d'une circonstance aggravante pour tout contenu relatif à la provocation et à l'apologie du terrorisme, véhiculé par Internet plutôt qu'au moyen de supports physiques, s'inscrit en rupture du principe d'égalité devant la loi pénale 4. En effet, une telle stigmatisation du moyen utilisé n'apparaît ni nécessaire, ni proportionnée à la mise en œuvre d'une législation visant à lutter contre la radicalisation terroriste ; et ce d'autant plus lorsqu'on connaît la place que prennent d'autres lieux, comme les lieux de détention ou d'autres lieux de socialisation, dans les parcours de radicalisation, comme cela a été le cas pour M. Mehdi Nemmouche, inculpé dans le cadre de l'affaire relative aux meurtres du Musée juif de Bruxelles datant du 24 mai 2014.

La Quadrature du Net appelle à la suppression de l'article.

Article 5

Ayant pour objectif de pénaliser la préparation à la commission d’un acte en toute absence de commencement d’exécution, ce qui est juridiquement requis pour vérifier la commission effective d’une infraction, cet article représente une atteinte majeure au droit des citoyens à un procès équitable, garanti par le droit international, et à la présomption d'innocence garantie à l'article 9 de la de la Déclaration de 1789.

De plus, l’introduction d’une nouvelle incrimination d’entreprise terroriste individuelle, déjà rejetée dans le cadre des conclusions de la Commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés en 2012, met en place un dispositif juridique qui tend, une fois de plus, à la criminalisation et à la pénalisation de l’intention, aggravée par l’assimilation d’un acte isolé à celui accompli dans le cadre d’une association de malfaiteurs.

Par ailleurs, l'introduction d'éléments matériels pour définir l’entreprise terroriste individuelle montre clairement dans quelle mesure tout citoyen est potentiellement susceptible de faire l’objet d’une accusation de terrorisme, ce qui compromettrait la légitimité d'actions aujourd'hui considérées comme légitimes, à l'instar de l’entraînement au maniement des armes ou le séjour, pour les raisons les plus diverses, sur un théâtre d'opération de guerre.

En particulier, la création d’un délit de consultation habituelle des sites terroristes nuirait de manière significative au droit d’information de toute personne désireuse d’observer à titre personnel l’évolution de certaines phénoménologies de nature terroriste. Les exceptions créées pour les « professions ayant pour objet d'informer le public » ou pour les chercheurs scientifiques, ne saurait que produire une discrimination de fait entre citoyens, dont la jouissance du droit d'accès à l'information ne serait plus garantie de manière égalitaire, contrevenant à ce qui est inscrit à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Cet article crée par ailleurs une nouvelle infraction dont la conformité au principe de nécessité, tel que inscrit à l'article 8 de la déclaration de 1789, n'a aucunement été démontrée.

La Quadrature du Net appelle à la suppression de l'article.

Article 9

Le blocage des sites internet est une restriction grave à la liberté d'information. En tant que tel, il doit n'être envisagé qu'en dernier recours, être proportionné et mis en place avec les plus extrêmes précautions. Il doit également répondre effectivement aux besoins annoncés, et donc être efficace.

Le 2° de l'article 9, en ce qu'il n'envisage pas de recours au juge judiciaire en amont de la décision de blocage, qu'il ne répond pas aux objectifs d'efficacité (le contournement des blocages est notoirement aisé), et qu'il n'offre aucune garantie de proportionnalité (les risques de surblocage sont massifs), ne peut servir l'objectif envisagé et doit donc être supprimé.

La Quadrature appelle à la suppression de l'article. À défaut d'être supprimé, pour que l'autorité judiciaire joue pleinement son rôle de gardienne des libertés fondamentales, il est proposé d'instituer une procédure de contrôle similaire à celle ayant cours pour la prolongation des placement des étrangers en centre de rétention administrative, par l'intervention du juge des libertés et de la détention qui se prononce sur le caractère manifestement illicite du contenu incriminé et contrôle la proportionnalité de la mesure ordonnée.

Article 10

L'article 10 ne vise pas spécialement les actes de terrorisme, mais il a vocation à modifier de manière radicale le régime de perquisitions applicable à l'ensemble des crimes et des délits flagrants, introduisant une nouvelle modalité de perquisition depuis les services de police et portant atteinte à la sécurité juridique de l'article 57 du code de procédure pénale.

Ledit article prévoit en effet que toute opération de perquisition soit faite « en présence de la personne au domicile de laquelle la perquisition a lieu » ou d'un représentant de son choix ; lorsque cette présence ne peut pas être garantie « l'officier de police judiciaire choisira deux témoins requis à cet effet par lui, en dehors des personnes relevant de son autorité administrative ». Ces dispositions ont pour objectif de garantir la transparence des opérations, ainsi que le respect d'un équilibre entre protection des droits et des libertés individuels d'un côté, et efficacités des enquêtes de l'autre.

La remise en question d'un tel régime, entraînerait donc de graves atteintes aux libertés individuelles d'une personne soupçonnée, et non pas jugée coupable, d'un crime quelconque et non pas exclusivement d'un acte de terrorisme.

Ces nouvelles pratiques risquent ainsi de se traduire par une violation complètement illégitime de la vie privée, ainsi que du droit à l'inviolabilité du domicile, dont la notion recouvre l'habitation stricto sensu ainsi que ses dépendances immédiates à l'instar d'une boîte aux lettres et, par extension, d’un système informatique.

La Quadrature appelle à la suppression de l'article. À défaut et afin de restreindre ces dispositions à l'objet du projet de loi, il est conseillé d'introduire une exception pour les actes visés au point 11 de l'article 706-73 du code de procédure pénale.

Article 11

L’article 11 du projet de loi ne s’inscrit pas spécialement dans la lutte contre le terrorisme, mais il relève de la mise au clair des données chiffrées nécessaires à la manifestation de la vérité, dans le cadre d’une enquête quelconque. Cela remet en question la pertinence d’une telle disposition qui n’a pour effet que celui de parvenir à une banalisation du droit de l’exception et de réduire le rôle de l’autorité judiciaire dans toutes les enquêtes relevant de la criminalité organisée. Par ailleurs, les décisions prises au titre de l'article 11 ne seront susceptibles d'aucun recours, conformément à l’article 230-4 du code de procédure pénale modifié par le texte.

La Quadrature du Net appelle à la suppression de l'article.

Article 12

En premier lieu, la répression d'atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données (STAD) ne peut être encadrée dans une loi relative à la lutte contre le terrorisme à moins de considérer que les délits commis en matière informatique peuvent tous être qualifiés d'actes de terrorisme, ce qui ne saurait être le cas.

En deuxième lieu, appliquer la notion de bande organisée aux attaques contre les systèmes informatiques revient à soumettre chaque citoyen aux dispositifs de la lutte contre la criminalité en bande organisée. Ce qui porte une atteinte particulièrement disproportionnée aux libertés individuelles de l'ensemble de la population, du fait qu'il s'agit de dispositions relatives au régime dérogatoire de la criminalité organisée.

En troisième lieu, la logique qui guide la répression accentuée de la lutte contre la criminalité en bande organisée n'a pas lieu d'être appliquée à la lutte contre les atteintes aux STAD. En effet, en matière de criminalité informatique, et contrairement à la criminalité physique, il n'y a pas de lien proportionnel entre le nombre de personnes impliquées dans un crime informatique et la gravité de ce crime.

La Quadrature appelle à la suppression de l'article.