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source: La Quadrature du Net

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Nos arguments pour faire interdire la vidéosurveillance automatisée

lundi 23 janvier 2023 à 15:04

La loi sur les Jeux Olympiques, qui cherche notamment à légaliser la vidéosurveillance automatisée (VSA) et dont vous nous parlions ici, est passée sans encombre jeudi dernier en commission des lois au Sénat et sera discutée dès demain en séance.

Nous avons envoyé à l’ensemble des sénatrices et sénateurs un dossier d’analyse de cette technologie, fruit du travail de documentation et d’étude mené depuis plus de trois ans avec l’initiative Technopolice. Ce long document reprend et expose les enjeux techniques, politiques et juridiques de la VSA afin que nos élu·es prennent la mesure du danger engendré par sa mise en place et prennent surtout conscience du contexte dans lequel elle est défendue. Car contrairement à ce que le gouvernement prétend, la VSA ne sauvera pas les Jeux Olympiques de 2024.

Pour démystifier ce discours, les parlementaires doivent connaître la réalité économique et politique dans laquelle ces technologies ont émergé mais également comment leur conception implique un ensemble de choix politiques tout en débouchant sur une application qui sera, elle aussi, un instrument de mise en œuvre d’une politique répressive et de surveillance. Aussi, le Sénat doit prendre le temps d’appréhender le cadre juridique actuel, protecteur des données personnelles et de la vie privée, et qui est est en passe d’être fallacieusement écarté par ce projet de loi pour rendre acceptable la légalisation de la VSA.

Le rapport est accessible ici.

Nous espérons que les parlementaires le liront et arriveront à la seule conclusion possible : la vidéosurveillance automatisée est un outil de surveillance totale, qui analyse et classe la population, et qui ne doit jamais être légalisé. Seule la suppression de l’article 7 est envisageable.

Nous avons d’ailleurs pu prendre le temps de discuter de ce sujet samedi 14 janvier à la Flèche d’Or à Paris, où vous êtes venu·es nombreuses et nombreux écouter et débattre du phénomène des Jeux olympiques comme accélérateur de surveillance. Vous pouvez retrouver la présentation de Technopolice et de la VSA et le débat sur les jeux olympiques sur notre Peertube.

Nous reviendrons vite sur les actions à mener contre la vidéosurveillance automatisée et contre ce projet de société de surveillance que nous devons absolument refuser !

Non à la vidéosurveillance algorithmique, refusons l’article 7 de la loi olympique !

mercredi 18 janvier 2023 à 17:07

Aujourd’hui, le projet de loi olympique commence à être examiné en commission au Sénat. En son sein, l’article 7 vise à autoriser la vidéosurveillance algorithmique (VSA). Bien qu’elle soit prétendument circonscrite aux JO, il n’en est rien : la VSA est un projet politique du gouvernement qui n’attendait qu’une occasion pour sortir des cartons (lire notre analyse de ce projet de loi ici).

La VSA est déjà déployée illégalement en France

Après avoir voulu intégrer la VSA dans la loi Sécurité Globale, puis dans la LOPMI, le gouvernement utilise les Jeux olympiques comme prétexte pour faire passer des mesures qui visent à accélérer la surveillance de la population.

Depuis 2019, date de lancement de la campagne Technopolice, nous observons que des dizaines de villes en France ont expérimenté, illégalement, la vidéosurveillance algorithmique. Dès 2016, c’est la ville de Toulouse qui a passé un contrat avec IBM pour détecter des « événements anormaux ». Le logiciel de VSA de l’entreprise Briefcam est également déployé dans [au moins] 35 communes en France (dont Nîmes, Moirans où nous l’avons attaqué devant le tribunal administratif). Depuis 2018, c’est la ville de Marseille, avec la SNEF, qui analyse algorithmiquement les corps de ses habitant.es via les caméras de vidéosurveillance du centre ville.


extrait du programme fonctionnel technique, accompagnant le marché public de la ville de Marseille

Pour se représenter les différentes fonctionnalités de la vidéosurveillance algorithmique voici une vidéo de présentation du logiciel de Briefcam, un des plus répandu en France :

À l’origine de la vidéosurveillance algorithmique : les caméras

1) Une absence criante d’évaluation publique concernant la vidéosurveillance

Depuis la fin des années 90, la vidéosurveillance n’a cessé de se déployer en France. Le dernier recensement des caméras, privées comme publiques, réalisé par la CNIL il y a plus de 10 ans en comptabilisait 800 000 sur le territoire. Depuis, les subventions publiques qui leur sont destinées n’ont cessé de croître, atteignant 15 millions d’euros en 2021. La LOPMI a acté le triplement de ce fond. S’il existe un tel engouement pour la vidéosurveillance, c’est qu’il doit exister des résultats tangibles non ? Et pourtant non…

Le projet de loi propose d’expérimenter la vidéosurveillance automatisée alors même qu’aucune évaluation publique des dispositifs actuels de vidéosurveillance n’existe, qu’aucun besoin réel n’a été identifié ni une quelconque utilité scientifiquement démontrée. Le projet du gouvernement est donc de passer à une nouvelle étape de la surveillance de masse, en fondant la légitimité d’une technologie très intrusive sur l’intensification de la surveillance via l’automatisation de l’analyse des images, alors que l’utilité des caméras de vidéosurveillance pour lutter contre la délinquance n’a jamais fait ses preuves. Contrairement au principe qui voudrait que toute politique publique soit périodiquement évaluée, la vidéosurveillance — notamment dans sa nouvelle version automatisée — se développe sur le seul fondement des croyances défendues par les personnes qui en font commerce et qui la déploient. De fait, aucune étude d’impact préalable à l’installation de dispositifs de vidéosurveillance ou de VSA n’est sérieusement menée.

2) De rares études pointent unanimement vers l’inutilité de la vidéosurveillance

Or, les évaluations portant sur la vidéosurveillance soulignent au contraire l’inefficacité et le coût faramineux de tels dispositifs :
Le rapport de la Cour des comptes de 2020 rappelle qu’«  aucune corrélation globale n’a été relevée entre l’existence de dispositifs de vidéoprotection et le niveau de la délinquance commise sur la voie publique, ou encore les taux d’élucidation ». Quant au laboratoire de recherche de la CNIL, le LINC, il affirme après avoir passé en revue l’état de l’art que « la littérature académique, en France et à l’international […], a démontré que la vidéosurveillance n’a pas d’impact significatif sur la délinquance ». Plus récemment, les recherches du chercheur Guillaume Gormand, commandées par la gendarmerie, concluent elles aussi à une absence d’effet sur la commission d’infraction et à une utilité résiduelle pour l’élucidation des infractions commises (1,13 % des enquêtes élucidées ont bénéficié des images de caméras sur la voie publique).

3) Le coût faramineux de la vidéosurveillance

En outre, petit à petit, la vidéosurveillance a fait exploser les budgets publics qui lui étaient consacrés. Sur le court terme, ces dispositifs impliquent le développement ou l’achat de logiciels de gestion du parc de caméras (système de gestion vidéo sur IP, ou VMS), l’installation de nouvelles caméras, la transmission de flux, des capacités de stockage des données, des machines assez puissantes pour analyser des quantités de données en un temps très rapide. Sur le temps long, ils nécessitent la maintenance, la mise à niveau, le renouvellement régulier des licences logicielles, l’amélioration du matériel qui devient très vite obsolète et enfin les réparations du matériel endommagé.

À titre d’illustration, le ministère de l’Intérieur évoque pour les Jeux Olympiques l’installation de 15 000 nouvelles caméras, pour 44 millions d’euros de financement du Fond interministériel pour la prévention de la délinquance – FIPD.

Une caméra de vidéosurveillance coûte [D’après cet article de La Dépêche du 13 septembre 2021 : https://www.ladepeche.fr/2021/09/13/toulouse-bientot-des-cameras-de-videoprotection-a-la-demande-pour-les-quartiers-9787539.php] à l’achat aux municipalités entre 25 000 et 40 000 euros l’unité, sans prendre en compte le coût de l’entretien, du raccordement ou du potentiel [D’après cet article d’Actu Toulouse du 18 juin 2021 https://actu.fr/occitanie/toulouse_31555/toulouse-comment-la-ville-veut-aller-plus-loin-contre-la-delinquance-avec-des-cameras-mobiles_42726163.html] coût d’abonnement 4G/5G (autour de 9 000 € par an et par caméra).

« Il y aura toujours plus de caméras et toujours plus d’utilisation de l’intelligence artificielle » à Nice, affirme Estrosi pour « gérer la circulation, les risques de pollution, les risques majeurs, pour lutter contre le trafic de drogues, les rodéos urbains et pour anticiper toutes les menaces  ».

La VSA : une nouvelle étape dans le mythe de l’efficacité de la vidéosurveillance

La vidéosurveillance algorithmique est présentée comme une manière de rendre plus efficace l’exploitation policière de la multitude de caméras installées sur le territoire. Il existerait trop de caméras pour qu’on puisse les utiliser efficacement avec du personnel humain, et l’assistance de l’intelligence artificielle serait inévitable et nécessaire pour faire face à la quantité de flux vidéo ainsi générée.

Cette idée que l’automatisation permettrait de rendre la vidéosurveillance enfin efficace s’inscrit dans une vieille logique du « bluff technologique » de la vidéosurveillance. Depuis des années, les industriels du secteur ne cessent de promettre que l’efficacité de la vidéosurveillance dépend d’un surcroît d’investissement : il faudrait plus de caméras disséminées sur le territoire, il faudrait que celles-ci soit dotées d’une meilleure définition, qu’elles offrent une champ de vision plus large (d’où l’arrivée de caméras 360, pivot), etc. Mais aussi qu’elles soient visionnées « en direct ». Il a donc fallu créer des centres de supervision urbaine – CSU dans toutes les villes, puis y mettre des gens pour visionner le flux vidéo 24h/24. Il a aussi souvent été dit qu’il fallait davantage d’agents dans les CSU pour scruter les flux vidéo à la recherche d’actes délinquants commis en flagrance. Maintenant, il faut « mutualiser » les CSU au niveau des intercommunalités, ce dont se félicite Dominique Legrand, président du lobby de français de la vidéosurveillance, l’AN2V.

Dominique Legrand, président fondateur de l’AN2V, l’association nationale de la vidéoprotection évoque, à propos de la centralisation de CSU « L’objectif de la création d’un tel dispositif est de pouvoir assurer le visionnage en temps réel de manière centralisée, en un même lieu (cyber) sécurisé, de l’ensemble des caméras des communes et intercommunalités […] L’AN2V a déjà évangélisé cette idée sur plusieurs départements et régions ! » cité dans le guide PIXEL 2023 édité par l’AN2V.

Chaque nouvelle nouvelle étape dans la surveillance promet son efficacité et tente de légitimer les investissements précédents. Au fil des années ces multiples promesses de la vidéosurveillance n’ont pas été tenues. En l’absence de toute évaluation ou étude préalable, la généralisation de la VSA ne serait qu’une perte de temps et d’argent, en plus de constituer une profonde remise en cause de nos droits et libertés.

LA VSA ne sera pas circonscrite aux jeux olympiques

Symptomatique d’un marché économique juteux, les industriels ont patiemment attendu que le gouvernement trouve une bonne opportunité pour légaliser cette technologie tout en ménageant « l’acceptabilité » de la population. Si les JO sont le prétexte idéal, ne soyons pas naïfs : comme on l’a déjà vu, la VSA est déjà « expérimentée » depuis plusieurs années dans des communes et fait l’objet de quantité de financements publics pour se perfectionner. De plus, une fois que tous ces algorithmes auront pu être testé pendant deux ans, lors de tout événement « festival, sportif ou récréatif » – comme le prévoit l’article 7 -, que les entreprises sécuritaires auront fait la promotion de leurs joujoux devant le monde entier lors des JO, que des dizaines de milliers d’agents auront été formés à l’utilisation de ces algorithmes, il semble peu probable que la VSA soit abandonnée fin 2024.

Des populations-laboratoires

Un autre aspect de la VSA est la tendance croissante à être mis en données. Au-delà de la surveillance de l’espace public et de la normalisation des comportements qu’accentue la VSA, c’est tout un marché économique de la data qui en tire un avantage. Dans le cadre des expérimentations prévues par le projet de loi, dès lors qu’un acteur tiers est en charge du développement du système de surveillance, cela permet aux entreprises privées concernées d’utiliser les espaces publics et les personnes qui les traversent ou y vivent comme des « données sur pattes ». C’est exactement ce que prévoit le VIII de l’article 7 puisque les données captées par les caméras dans l’espace public peuvent servir de données d’apprentissage.

Les industries de la sécurité peuvent donc faire du profit sur les vies et les comportements des habitants d’une ville, améliorer leurs algorithmes de répression et ensuite les vendre sur le marché international. C’est ce que fait notamment la multinationale française Idémia, qui affine ses dispositifs de reconnaissance faciale dans les aéroports français avec les dispositifs PARAFE ou MONA, pour ensuite vendre des équipements de reconnaissance faciale à la Chine et participer à la surveillance de masse, ou encore pour remporter les appels d’offres de l’Union Européenne en vue de réaliser de la surveillance biométrique aux frontières de l’UE. Tel a également été le cas à Suresnes où l’entreprise XXII a obtenu le droit d’utiliser les caméras de la ville pour entraîner ses algorithmes, les habitantes et habitants de la ville étant transformé·es en cobayes pour le développement commercial d’un produit de surveillance.

A titre d’exemple, l’un des plus importants marchés de la surveillance aujourd’hui porte sur le contrôle des frontières à l’intérieur et à l’extérieur des pays membres de l’Union européenne. L’usage d’algorithmes de détection de comportements est ainsi utilisé sur des drones en Grèce afin de repérer et suivre des personnes aux zones de frontières. Dans ce cas précis, il est impossible de réduire la technologie fournie (et donc conçue et entraînée au préalable) à une seule assistance technique. Au contraire, elle est au service d’une politique policière répressive et d’une pratique dénoncée comme brutale dans ce pays. 1Ceci est typiquement illustré par l’aveu même d’une personne faisant parti d’un consortium de recherche ayant développé cet outil, que l’on peut lire dans cet article d’Algorithm Watch https://algorithmwatch.org/en/greece-plans-automated-drones/ : “For me, the one thing is, I don’t know exactly what the police will do to the migrants after we alert them.” He grimaced. “But what can I do,” he said. »<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_19884_2_1').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_19884_2_1', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });

Nous appelons les parlementaires à refuser l’article 7 du projet de loi olympique et continuons à nous mobiliser contre l’imposition de ces technologies liberticides !

References

References
1 Ceci est typiquement illustré par l’aveu même d’une personne faisant parti d’un consortium de recherche ayant développé cet outil, que l’on peut lire dans cet article d’Algorithm Watch https://algorithmwatch.org/en/greece-plans-automated-drones/ : “For me, the one thing is, I don’t know exactly what the police will do to the migrants after we alert them.” He grimaced. “But what can I do,” he said. »
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Surveillance sonore : Orléans baratine la justice

jeudi 12 janvier 2023 à 09:46

Il y a plus d’un an, La Quadrature du Net a déposé un recours contre un contrat passé par la ville d’Orléans qui autorise l’expérimentation de capteurs sonores dans l’espace public. L’été dernier, la commune défendait sa surveillance privée en adoptant la stratégie du baratin : raconter le plus de bêtises possibles pour embrouiller le tribunal administratif. Nous venons de lui répliquer.

Comme cela a déjà été fait à Saint-Étienne, Marseille, Paris ou Moirans, l’objectif est de faire tomber ce nouveau projet de Technopolice. Il s’agit d’un énième dispositif néfaste issu d’une start-up, ici Sensivic, qui utilise comme tremplin marketing l’avidité de certain·es élu·es pour la surveillance totale des populations.

En octobre 2021, nous avions appris que la ville d’Orléans avait signé une convention avec l’entreprise Sensivic pour expérimenter des « capteurs sonores » sur sa population. Dans la droite lignée de ce qui avait été tenté à Saint-Étienne, le projet consiste à déployer des « détecteurs de sons anormaux » (une douce expression pour « mouchards ») sur des caméras de surveillance.

L’idée, selon les termes de la convention, est « d’analyser en permanence le son ambiant pour pouvoir détecter des anomalies » et ainsi orienter les caméras ou les agents de police vers la source des bruits considérés comme « anormaux » par le micro. En somme, lier à la surveillance automatique visuelle, déjà déployée en masse dans nos villes, une surveillance sonore. En attendant la surveillance des odeurs, comme cela avait été évoqué en 2020 dans un livre blanc du ministre de l’Intérieur ?

La surveillance sonore ne passera pas

Des caméras, des micros, l’ensemble boosté par une supposée « intelligence artificielle » pour effacer toute trace d’anormalité dans nos villes… Non seulement ce projet est un énième fantasme sécuritaire né d’une start-up prête à tout pour rentabiliser son stand à Milipol (le salon parisien de la sécurité), mais il est aussi purement illégal. C’est ce que nous essayons de faire constater au tribunal administratif d’Orléans depuis désormais plus d’un an.

Pour cela, nous nous appuyons sur un précédent très similaire : la CNIL a en effet déjà considéré comme illégal un projet de surveillance sonore déployé quelques années plus tôt à Saint-Étienne. C’est notamment sur la base de cette analyse de la CNIL que nous avons attaqué l’expérimentation d’Orléans, déposant non seulement un recours devant le tribunal administratif mais aussi une plainte devant la CNIL pour la forcer à prendre position.

Si la procédure devant la CNIL n’a pas encore aboutie, la mairie d’Orléans a, en revanche, communiqué à l’été dernier sa défense devant le juge administratif. Nous venons d’y répondre.

Ne dites pas « microphone » mais « détecteur de vibration de l’air »…

La stratégie d’Orléans est simple : pour ne pas avoir à appliquer les règles protectrices du droit des données personnelles qu’elle sait ne pas respecter, la commune tente de faire passer l’idée que son dispositif de surveillance ne traiterait pas de données personnelles. Et par un tour de magie, de faire disparaître toutes les critiques sur les dangers de cette surveillance.

Le débat ressemble beaucoup à ce que l’on observe depuis que ces dispositifs de surveillance sont documentés dans le cadre de notre campagne Technopolice : des collectivités (mais derrière, en fait, des entreprises qui dictent leurs arguments de défense à la collectivité attaquée) qui refusent de se voir appliquer le droit des données personnelles, ou toute règle protectrice des droits fondamentaux.

Orléans fait figure d’exemple type. Ainsi, la ville refuse de voir le produit de la société Sensivic qualifié de micros et préfère parler de « détecteur de vibration de l’air ». Cela ne s’invente pas. La commune pense ainsi perdre le juge et la CNIL en inventant sa novlangue et préférer des mots creux qui feraient oublier qu’il s’agit d’une surveillance permanente et totale de l’espace public.

La palme de l’absurdité revient de justesse à l’affirmation de la commune selon laquelle « Il convient de préciser que le traitement numérique s’opère par un code “firmware” c’est-à-dire embarqué dans le processeur électronique, et non pas de code “informatique” utilisé dans des ordinateurs classiques. Il s’agit, donc, d’électronique numérique. » La concurrence dans la course à l’aberration juridico-technique était pourtant rude.

Pire ! Le discours de la ville d’Orléans devant la justice entre en contradiction non seulement avec les termes mêmes de la convention passée (la convention que nous attaquons parle de « capteur sonore ») mais aussi avec la communication officielle de Sensivic, qui explique aux communes sur son site que « vos caméras peuvent maintenant avoir des oreilles affûtées ».

Toute l’analyse juridique de la ville d’Orléans repose en réalité sur deux documents inutiles. Le premier est issu d’un laboratoire « indépendant » et déclare, par un grossier argument d’autorité, que les produits de l’entreprise seraient « conformes au RGPD ». Mais comment croire en l’objectivité d’un laboratoire payé par une entreprise pour lui donner un document venant certifier un produit vis-à-vis des acheteurs potentiels ? Surtout lorsque son avis va frontalement à l’encontre du droit en la matière et des avis précédents de la CNIL ?

Le second est un courrier de la CNIL qui dit l’exact opposé de ce que veut démontrer Sensivic. La CNIL y rappelle justement sa position déjà exprimée sur Saint-Étienne : qu’un tel capteur sonore, couplé à une caméra de vidéosurveillance, est susceptible de porter une atteinte disproportionnée à la vie privée et à la liberté d’expression.

Bref, encore une start-up qui pense avoir trouvé un business fructueux en accentuant la surveillance de la population, au mépris de toute considération politique ou juridique – et qui reçoit pour cela le soutien aussi bien des collectivités publiques que des administrations.

Surveiller les gens, cela rapporte de l’argent

Entre temps, et sans être le moins du monde inquiétée par les autorités (qui l’ont plutôt encouragée), Sensivic, l’entreprise qui travaille avec Orléans sur cette surveillance, a tranquillement prospéré, continuant d’amasser les projets et les financements sur son business de surveillance sonore.

Présentant fièrement ses produits de surveillance au salon Viva Technology, la start-up a bénéficié d’une levée de fonds de plus de 1,6 millions d’euros en 2022 auprès d’un ensemble d’investisseurs, dont la BPI (la Banque Publique d’Investissement), fidèle investisseuse des pires projets de la Technopolice (dont le logiciel de surveillance TestWe, sanctionné il y a quelques semaines par la juridiction administrative).

Sur son site, la startup annonce d’ailleurs 1 542 détecteurs installés en France, Belgique et Suisse, et une équipe de 12 salarié·es, tous·tes dédié·es au déploiement d’une surveillance sonore de nos rues et villes, couplée à la vidéosurveillance déjà existante. 

Tout cela gravite dans un petit monde d’entreprises de surveillance, d’associations de lobbys et de financeurs bien habitués entre eux. Sensivic échange sur Youtube avec une autre start-up à tendance sécuritariste, Two-I (qui vend des solutions d’analyse d’image) en discutant analyse d’émotion, surveillance continue de l’espace et partenariat financier. Les deux sont d’ailleurs membres des mêmes associations de professionnels de la surveillance, dont l’AN2V (pour Association Nationale de Vidéoprotection), et sont toutes les deux soutenues par le « Comité Stratégique Filière Sécurité », sorte de lobby des industries de la sécurité officiellement soutenu et encouragé par l’État. 

Nous espérons bien gagner ce nouveau contentieux, devant la juridiction administrative et devant la CNIL, pour mettre un nouveau coup d’arrêt à l’extension de la Technopolice. Après la victoire contre le logiciel de surveillance des étudiant·es TestWe, cela serait une nouvelle encourageante dans la lutte qui s’annonce contre les Jeux Olympiques 2024

Mobilisation générale contre la légalisation de la vidéosurveillance automatisée !

jeudi 5 janvier 2023 à 16:29

En catimini pendant les fêtes, le gouvernement a déposé le projet de loi concernant les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Comme on l’attendait, ce texte prévoit d’ouvrir la voie à la légalisation de la vidéosurveillance automatisée (ou algorithmique, abrégée « VSA »), le tout sous un vernis théorique d’expérimentation limitée dans le temps. Et ce alors que partout sur le territoire, ces technologies sont déjà employées dans l’illégalité et l’impunité la plus totale. Prenant pour prétexte l’organisation prochaine des grandes compétitions sportives, le gouvernement et nombre de parlementaires se posent en défenseurs de l’industrie française en lui permettant de s’étendre durablement sur le marché de la vidéosurveillance.

Pour rappel : la vidéosurveillance automatisée, c’est la surveillance policière massive de l’espace public pour détecter des comportements réputés « anormaux » ; c’est le suivi algorithmique d’individus « suspects » dans la rue ; c’est l’intelligence artificielle pour faire la chasse aux illégalismes populaires ; c’est, à terme, l’identification par reconnaissance faciale en temps réel et la massification de la vidéoverbalisation ; ce sont des dizaines de millions d’euros d’argent public pour des technologies dangereuses déployées sans aucun débat digne de ce nom.

Si nous voulons tenir en échec ce projet de société, il nous faut obtenir coûte que coûte le rejet de ces dispositions. Tenez-vous prêt·es pour la mobilisation !

Cela fait plus de trois ans que nous documentons l’expérimentation illégale de la vidéosurveillance automatisée dans les villes et les villages français, que nous saisissons les tribunaux, dans des grandes villes comme à Marseille ou de petits villages comme à Moirans (Isère), pour dénoncer l’illégalité de ces technologies de surveillance dopées à l’intelligence artificielle. Trois années que, de leur côté, le gouvernement et les industriels se savent dans l’illégalité et qu’ils cherchent à changer la loi pour sécuriser ces déploiements sur le plan juridique. En 2020 déjà, la loi Sécurité Globale avait failli servir de canal législatif. Par peur des oppositions, le gouvernement avait alors préféré temporiser. Mais cette fois, nous y sommes…

L’opportunisme des Jeux olympiques

Le choix des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 pour tenter de légaliser ces technologies n’est pas anodin. Les JO sont un « méga-évènement » qui, par leur dimension exceptionnelle, vont permettre la mise en œuvre et l’accélération de politiques tout aussi exceptionnelles. Comme cela a pu être observé lors des précédentes éditions, ces évènements sont l’occasion d’innovations législatives sécuritaires. Les lois accompagnant les Jeux olympiques mettent systématiquement en place un cadre pour un maintien de l’ordre strict, une militarisation de l’espace public ou encore une intensification des mesures de surveillance.

Le chercheur Jules Boykoff compare ce phénomène d’accélération législative à la « théorie du choc », développée par Naomi Klein, selon laquelle les gouvernement utilisent une catastrophe ou un traumatisme social pour faire passer des mesures basées sur la privatisation et la dérégulation. Les Jeux olympiques apparaissent eux aussi comme un accélérateur de politiques exceptionnelles, mais cette fois-ci en prenant appui sur un moment de fête ou de spectacle, par essence extra-ordinaire, où les règles politiques pourraient être temporairement suspendues, pour faire progresser des politiques qu’il aurait été difficile, voire impossible, de mettre en place en temps normal. 

Le gouvernement brésilien a ainsi utilisé les Jeux olympiques de 2016 à Rio pour mener des opérations quasi militaires dans les favelas ou expulser des personnes de leur logement. De la même manière, pour les Jeux olympiques de Tokyo, le gouvernement japonais a fait passer une loi « anti-conspiration » en réalité voulue de longue date pour mâter les groupes militants et syndicaux. Les gouvernements précédents avaient tenté sans succès à trois reprises de faire passer une législation analogue. Cette loi a été très critiquée, notamment par les Nations Unies, au regard des atteintes aux libertés qu’elle créait et aux pouvoirs de surveillance qu’elle conférait à l’État. 

De la même manière, les méga-évènements sportifs sont souvent qualifiés de « spectacles de sécurité » ou « vitrines sécuritaires » puisqu’ils permettent à la fois d’être des moments d’expérimentation et des laboratoires des technologies, mais aussi de jouer sur ce moment exceptionnel pour atténuer les mesures de surveillance et les rendre plus acceptables (on vous en parlait notamment déjà ici et ).

Paris dans la course

Le choix du gouvernement français d’introduire les expérimentations de vidéosurveillance automatisée dans la loi sur les JO 2024 répond exactement à ce schéma et cette logique d’instrumentalisation des méga-évènements. Alors qu’aucune étude publique et scientifique n’existe sur ce sujet et qu’aucun besoin n’a été précisément identifié, les mesures concernant la VSA sont présentées par le gouvernement et certains parlementaires comme nécessaires à la sécurité de cet évènement. 

Dans l’analyse d’impact, le gouvernement se contente de prendre comme exemple la détection de colis abandonnés : « Plutôt que d’attendre son signalement par des effectifs de voie publique ou sa localisation par les opérateurs chargés du visionnage de milliers d’images de vidéosurveillance, cette mesure permettrait de gagner un temps précieux » et « seule l’utilisation d’un traitement algorithmique est de nature à signaler en temps réel cette situation à risque et de permettre aux services concernés de l’analyser et d’y donner suite le cas échéant.» Voilà pour la seule justification à l’introduction d’une surveillance algorithmique de l’espace public que le gouvernement entend déjà pérenniser et qui concerne potentiellement des millions de personnes.

Car en réalité, les expérimentations s’insèrent dans un projet politique plus large et satisfont les désirs exprimés depuis plusieurs années par le secteur industriel et les institutions policières d’utiliser massivement ces dispositifs. Il est donc certain que ces outils ne seront pas abandonnés après la fin de la période d’expérimentation, de la même manière que les boites noires des services de renseignement ou les règles dérogatoires de l’état d’urgence de 2015 ont été pérennisées alors qu’elles étaient censées être temporaires et exceptionnelles. D’ailleurs, des parlementaires en vue sur ce dossier, comme Philippe Latombe, évoquent dores et déjà une autre loi, plus généraliste, à venir sur le même sujet dans le courant de l’année 2023.

Un laisser-passer pour le marché de la VSA

Afin de permettre le développement de la VSA, le gouvernement a prévu un article 7 au sein du projet de loi qui propose un processus d’expérimentation découpé en plusieurs étapes jusqu’en juin 2025. Derrière cet apparent formalisme procédurier, l’article 7 constitue en réalité un tremplin pour la vente des logiciels de VSA à l’État et aux collectivités locales par le secteur privé. 

Déjà, Si la loi est présentée comme concernant les Jeux olympiques, c’est en réalité sur une quantité d’évènements toute autre que les algorithmes vont être déployés pendant la durée prescrite pour les expérimentations : festivals de musique, courses de marathon, spectacles en plein air, marchés de Noël ou encore la coupe du monde de rugby 2023. Autant d’évènements « sportifs », « récréatifs » ou « culturels » qui serviront de terrain de jeux à ces algorithmes. D’ailleurs, le périmètre de ces évènements est également très large puisque les images utilisées iront jusqu’aux abords de ces lieux et aux moyens de transport les desservant (l’intérieur et les voies).

Tout d’abord, les expérimentations sont censées respecter une double condition qui épouse parfaitement le vocable et les offres créés par le marché de la VSA. Premièrement, elles doivent avoir pour finalité « d’assurer la sécurité de manifestations sportives, récréatives ou culturelles, qui, par leur ampleur ou leurs circonstances sont particulièrement exposées à des risques d’actes de terrorisme ou d’atteinte grave à la sécurité des personnes ». Deuxièmement, l’objet des traitements doit être « de détecter, en temps réel, des événements prédéterminés susceptibles de présenter ou de révéler ces risques et de les signaler en vue de la mise en œuvre des mesures nécessaires » pour une panoplie de services de sécurité (la police et la gendarmerie nationales, la police municipale, les services d’incendie et de secours et les services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP). Les images traitées peuvent être celles issues des caméras de surveillance ou des drones, ces derniers étant autorisés depuis l’année dernière.

Comme pour beaucoup de dispositifs de surveillance, le gouvernement se justifie par une logique de prévention de risques. Et, comme souvent, ceux-ci sont si largement définis qu’ils peuvent inclure un nombre très large de situations. On retrouve à travers la fonctionnalité de détection d’évènements le cœur des dispositifs conçus et vendus par le marché de la VSA : deviner et classer les comportements « à risque » dans l’espace public et alerter sur ceux qui nécessiteraient une attention et une intervention de la police. Ainsi, dans la loi, l’« intelligence artificielle » (qui n’est jamais définie dans le texte) permettrait de déceler dans nos manières de vivre, bouger, marcher celles qui doivent déclencher – ou non – une alerte. 

Dans l’étude d’impact, les seuls « impacts sociaux » que le gouvernement relève seraient des avantages : la VSA « renforcerait » la sécurité, garantirait la « préservation de l’anonymat dans l’espace public et l’absence d’atteinte au droit à la vie privée » du fait de l’absence de reconnaissance faciale – carrément ! – et, enfin, les exigences de la loi permettraient la « neutralité de l’outil ». De son coté dans son avis, le Conseil d’État reprend la même logique que celle promue par les entreprises, à savoir que la fonction de l’algorithme se limite à une « levée de doute », minimisant ainsi le rôle du logiciel dans la prise de décision des agents de sécurité qui se déresponsabilisent derrière un outil technique. La CNIL, elle, est aux abonnés absents, se contentant de se féliciter que les « garanties » exigées dans sa précédente position qui appelait à légaliser la VSA aient été reprises dans le projet de loi…

Nous l’avons dénoncé à plusieurs reprises : ces outils sont tout sauf neutres. Dans la pratique actuelle du secteur, ces évènements vont de la « détection de comportement suspect », au « maraudage » (le fait d’être statique dans l’espace public), en passant par le « dépassement d’une ligne virtuelle » (c’est-à-dire l’entrée d’une personne dans une zone), le suivi de personne, la détection d’objets abandonnés, d’une bagarre ou encore d’un vol. Les comportements dits « suspects » ne reflètent aucune réalité tangible mais ne sont que la matérialisation de choix politiques subjectifs et discriminatoires qui se focalisent sur les personnes passant le plus de temps dans la rue : par exemple, sous la fonctionnalité de détection du « maraudage » se cache en réalité une chasse aux personnes mendiant. Qu’elle soit humaine ou algorithmique, l’interprétation des images est toujours dictée par des critères sociaux et moraux, et l’ajout d’une couche logicielle n’y change rien. Au final, elle automatise et massifie la prise de décision de la police pour mieux lui permettre d’augmenter son pouvoir de surveillance et de répression. 

Afin de pousser cette stratégie de minimisation de sa surveillance, le gouvernement affirme également que ces dispositifs ne traiteraient pas de données biométriques (ce qui est faux comme nous l’expliquions ici, et comme l’a récemment rappelé le Défenseur des droits1Dans son rapport « Technologies biométriques : l’impératif respect des droits fondamentaux » de 2021, le Défenseur des droits considérait déjà les technologies de VSA comme des traitements de données biométriques. En 2022, il rappelait que la VSA consiste à traiter des données biométriques dans son enquête sur la « Perception du développement des technologies biométriques en France ».<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_19834_2_1').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_19834_2_1', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });) et qu’ils ne feront pas de reconnaissance faciale. En s’engageant à renoncer pour l’instant à cette technologie qui a une place bien particulière dans l’imaginaire collectif, il joue ici un jeu politique et stratégique de communication pour donner à la VSA une image moins dangereuse. Le discours consiste à affirmer que la VSA ne reposerait « que » sur une analyse d’images purement technique qui ne se contenterait « que » d’« assister » l’humain. À nouveau, le gouvernement et le Conseil d’État piochent ici directement dans la pile d’arguments des marchands et promoteurs de la VSA. Celle-ci n’est en rien moins dangereuse que la reconnaissance faciale et touche à la même intimité du corps. En d’autres termes, la reconnaissance faciale n’est que l’une des nombreuses applications de la VSA. Et il y a fort à parier que son usage pour identifier des personnes en temps réel sur la voie publique sera à son tour légalisé, à l’occasion d’une prochaine et énième loi sécuritaire. Dès 2018, c’est d’ailleurs cet usage-là que des élus comme Christian Estrosi, le maire Horizons de Nice, mettaient en avant pour légitimer le recours à la vidéosurveillance automatisée dans leurs villes.

L’État aux manettes

Ensuite, le projet de loi prévoit que la confection et le déploiement des algorithmes soient divisé·es en plusieurs étapes, toutes supervisées par le pouvoir exécutif et avec le moins d’obstacles ou de gardes-fous possibles. 

Tout d’abord, à l’instar de la vidéosurveillance classique, les services de l’État ou des collectivités locales devront faire une demande d’autorisation au préfet. Ces demandes d’autorisation devront identifier un évènement précis où l’expérimentation aura lieu (par exemple le marathon de Paris en avril 2023 ou le festival des Vieilles Charrues en juillet) et définir l’algorithme à mettre en œuvre (quel « évènement » détecter, les spécificités de la situation justifiant l’usage de la VSA, qui peut y a voir accès, comment cela est financé…). Une analyse « bénéfices/risques » doit également être jointe à cette demande mais ce type de document est classiquement exigé en droit des données personnelles et il a dores et déjà fait la preuve de son incapacité à protéger les libertés publiques (ces analyses d’impact sont généralement mal rédigées par les demandeurs et n’empêchent presque jamais le déploiement de dispositifs qui pourraient plus tard être jugés illégaux par la justice).

Pour fabriquer le logiciel, l’État et les collectivités auront trois options : le développer eux-mêmes, le faire développer par un tiers, ou bien l’acquérir directement sur le marché. C’est bien entendu ces deux dernières options qui seront très probablement privilégiées puisqu’il est bien moins cher et bien plus rapide de confier la tâche à des entreprises qui le font depuis des années que de créer un service d’ingénieur·es en interne (qui gagneraient d’ailleurs davantage dans le secteur privé). Et du coté des industriels de la VSA – les gros comme Thales ou Idemia, les plus petits comme Briefcam, Aquilae, XXII, Two-I ou Datakalab –, c’est banco  ! Cette loi va leur permettre de démultiplier les déploiements en apportant un cadre juridique qui fait largement défaut jusqu’à présent, en réorientant l’ensemble des développements de leurs technologie de « vision assistée par ordinateur » vers des applications sécuritaires.

Quant aux foules passées au crible de ces systèmes au cours de la multitude d’évènements où auront lieu les tests, elles serviront de cobayes : le projet de loi prévoit en effet que les images de vidéosurveillance « classique » encadrées par le code de sécurité intérieure pourront être utilisées comme données d’apprentissage si leur durée de conservation n’est pas expirée. Or, on apprend dans l’étude d’impact que « si la réutilisation de ces données est nécessaire à la correction des paramètres du traitement, ces dernières peuvent être conservées au-delà de ces durées, dans la limite de la durée de l’expérimentation et pour ce seul usage, afin de parfaire l’apprentissage des algorithmes ». Cela signifie que les entreprises de VSA pourront donc disposer d’un volume conséquent d’images pour entraîner leurs algorithmes. Et les citoyen·nes filmé·es deviendraient tout simplement leurs rats de laboratoire

Coté technique, le projet de loi prévoit que le développement du logiciel devra répondre à des exigences qui sont en total décalage avec la réalité de la confection de ce type de logiciels d’analyse d’image. Nous y reviendrons plus longuement dans un prochain article. 

Ces exigences feront l’objet d’une attestation de conformité établie par une autorité administrative qui n’est pas encore définie et selon des critères et des méthodes qui ne sont jamais précisées. On apprend dans l’étude d’impact que l’État demandera probablement de l’aide à un « organisme de certification spécialisée ». Sans doute un autre acteur privé ? En tout cas, la seule chose qui est demandée aux industriels est de « présenter des garanties de compétences et de continuité et fournir une documentation technique complète ». 

Une fois le logiciel prêt, ce seront le préfet du département et, à Paris, le préfet de police qui autoriseraient l’utilisation des algorithmes auprès des services de sécurité qui en feront la demande. Ils seront également les seuls à pouvoir décider d’arrêter son utilisation ou de la renouveler, tous les mois, si les conditions sont remplies. À la fin de tout ça, ce que l’on remarque, c’est l’absence criante de la CNIL. Évincée du processus, ses pouvoirs sont extrêmement limités et jamais contraignants, qu’il s’agisse du décret d’autorisation de l’expérimentation (il s’agit d’un avis uniquement consultatif), dans la décision du représentant de l’État ou du préfet de police de mettre en œuvre le système (cette décision lui est simplement adressée) ou dans le suivi de expérimentation (le préfet la tient au courant « au tant que besoin », c’est-à-dire selon son bon vouloir).

Cette éviction de tout contrôle indépendant n’est pas étonnante et s’inscrit dans la perte de pouvoirs de la CNIL observée depuis le début des années 2000, celle-ci étant mise à distance sur les sujets de surveillance étatique pour se concentrer vers l’accompagnement des entreprises. L’absence de réaction forte de la CNIL face au déploiement de la VSA pour préférer le dialogue complaisant avec ses constructeurs confirme bien sa mue en autorité régulatrice du secteur économique de la surveillance

La bataille commence

Le gouvernement avait ce projet dans ses cartons depuis longtemps. Nous ne souhaitons en aucun cas l’améliorer ou rafistoler la loi : nous voulons le rejet pur et simple de cet article 7 pour le projet de société de surveillance qu’il incarne. 

La VSA est un changement de dimension de la surveillance de masse. En autorisant l’État à analyser, classer, évaluer les mouvements et comportements de chaque individu dans l’espace public, en lui donnant des pouvoirs de décision décuplés par l’automatisation de la prise de décision, cette technologie transforme notre rapport à l’espace public et démultiplie les capacités de contrôle et de répression de la police

Nous allons nous battre pour que cette première étape de la légalisation de la VSA ne puisse jamais voir le jour. Nous allons avoir besoin de vous afin de montrer l’opposition de la société à ces technologies et interpeller les parlementaires. La bataille commence au Sénat dès le 18 janvier, avant que soit transmis le texte à l’Assemblée. Nous reviendrons rapidement avec de nouvelles analyses et des outils pour vous permettre d’agir avec nous ! En attendant, nous vous invitons à venir nombreuses et nombreux en discuter le 14 janvier à la Flèche d’Or, à Paris. Nous parlerons Technopolice et Jeux olympiques avec des militant·es et chercheur·euses qui travaillent sur le sujet, toutes les infos sont ici !

References

References
1 Dans son rapport « Technologies biométriques : l’impératif respect des droits fondamentaux » de 2021, le Défenseur des droits considérait déjà les technologies de VSA comme des traitements de données biométriques. En 2022, il rappelait que la VSA consiste à traiter des données biométriques dans son enquête sur la « Perception du développement des technologies biométriques en France ».
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Négligences à la CAF : 10 000 dossiers d’allocataires en accès libre

jeudi 5 janvier 2023 à 07:00

Après avoir documenté l’utilisation d’un algorithme de notation des allocataires à des fins de contrôle social par la CAF (voir ici et ici), nous revenons ici sur la fuite de plus de 10 000 dossiers d’allocataires suite à un ensemble de négligences de la part de l’institution.

Suite à notre travail sur l’utilisation d’un algorithme de notations des allocataires utilisé afin de sélectionner celles et ceux qui feront l’objet d’un contrôle (voir ici et ici), nous avons été contacté·es par la cellule investigation de Radio France à propos d’une base de données contenant plus de 10 000 dossiers d’allocataires de la CAF disponible en ligne sans aucune protection et accessible par n’importe qui.

Une fuite majeure : état civil, situation familiale, données médicales et multiples informations sur les enfants

Pour chaque dossier, 181 variables sont disponibles1Pour l’explication des variables présentes, voir ce dictionnaire. La liste des variables est accessible ici. D’autres données relatives à la navigation internet des allocataires sur le site de la CAF étaient disponibles.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_19807_2_1').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_19807_2_1', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });. On trouve notamment les informations suivantes sur chaque allocataire :

L’exposition de cette base de données révèle donc énormément d’informations personnelles et sensibles sur plus de 10 000 allocataires. Et ce depuis plus d’un an et demi11Les premiers exercices semblent avoir été publiés en mars 2021.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_19807_2_11').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_19807_2_11', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });, sa date de mise en ligne remontant à mars 2021.

L’authenticité de ces données a été vérifiée par des journalistes de Radio France qui ont contacté plusieurs des allocataires identifiés à partir des informations disponibles.

Des données transférées à un prestataire privé sans aucune justification

Ces données ont été mises en ligne par un prestataire privé à qui la CAF avait demandé de former ses agent·es à la manipulation d’un logiciel de traitement statistique. C’est dans le cadre de cette formation que la CAF a communiqué quelques 10 000 dossiers d’allocataires à ce prestataire. Le but était qu’il puisse créer des exercices portant sur des cas réalistes.

À la vue du niveau très basique des exercices proposés dans la formation (manipulation simple de variables, tri de données, export/import de tables…), rien ne justifie l’utilisation de données personnelles des allocataires. En d’autres termes, les exercices auraient pu être réalisés avec des jeux de données complètement anodins (accessibles publiquement par exemple).

Contacté par Radio France, le prestataire a lui-même dit qu’il pensait que les données envoyées étaient « fictives », ajoutant qu’il n’avait pas demandé de données réelles car cela n’était pas nécessaire…

Ce transfert de données semble donc révéler le peu de cas que la CAF fait de nos données personnelles. Ou plutôt un sentiment de propriété de nos données personnelles de la part de ses responsables, qui semblent trouver cela normal de les transférer sans aucune raison à des prestataires privés… Ou de les utiliser pour développer un algorithme de notation ciblant les plus précaires.

Petit rappel aux responsables de la CAF (1/2) : supprimer les noms et prénoms ne revient pas à anonymiser des données

Certes, la CAF avait pris la « précaution » d’enlever du jeu de données les noms et prénoms des allocataires ainsi que le code postal. Mais une simple recherche à partir du reste de l’adresse (numéro et nom de rue), sur un site comme les Pages jaunes, suffit à identifier de nombreuses personnes.

C’est cette approche qu’a adoptée l’équipe de Radio France pour vérifier l’authenticité des données via l’appel à des allocataires dont la trace a été retrouvée.

Ainsi la CAF semble ignorer les principes de base de l’anonymisation des données personnelles. Une anonymisation correcte nécessite bien plus de traitements de manière à ce qu’il ne soit pas possible d’identifier les individus auxquels sont rattachés les données. Il faut par exemple supprimer, ou a minima modifier, les informations directement identifiantes (date de naissance et adresse par exemple). Nous redirigeons ces responsables vers le guide de la CNIL portant sur ce sujet.

Petit rappel aux responsables de la CAF (2/2) : chiffrer ses données, c’est bien

Pire, la base de données a été publiée sans que son accès n’ait été protégé. On aurait pu imaginer, a minima, que le prestataire les chiffrerait avant de les mettre en ligne pour les élèves de la formation à qui il aurait communiqué le mot de passe protégeant le fichier.

Mais même cette mesure de précaution élémentaire a été écartée. Le fichier contenant les informations a été publié sans la moindre protection. Il était donc accessible à toute personne se rendant sur le site du prestataire.

Le « Centre National d’Appui au Datamining » au centre des controverses

L’analyse des adresses des allocataires présentes dans les fichiers révèle que la plupart se trouvent en région bordelaise. Or c’est à Bordeaux que se trouve le « Centre National d’appui au Datamining » (CNAD)12Le centre d’appui au datamining (CNAD) a été créé en 2012 à Bordeaux par la CAF de Gironde. Voir notamment l’article de Mathieu Arzel dans le numéro 58 revue Regards publié en 2020 et disponible ici.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_19807_2_12').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_19807_2_12', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], }); de la CAF.

Ce centre a été créé en 2012 pour développer le fameux algorithme de notation des allocataires aujourd’hui vivement contesté (voir ici, ici, ici, ici ou encore ici).

Il est ainsi légitime de se demander si la formation ayant conduit à la fuite de données était à destination des agent·es du CNAD. Peut-être même d’agent·es ayant vocation à travailler sur l’algorithme de notation lui-même ?

La CAF doit rendre des comptes sur ses pratiques numériques

Les révélations sur les pratiques numériques nocives et irrespectueuses des données personnelles des allocataires par la CAF s’accumulent. Face aux questions légitimes qui lui sont posées, la CAF préfère s’enfermer dans l’opacité (voir notre article ici).

Nous n’arrêterons pas pour autant de les documenter.

Image d’illustration : reconstitution d’un extrait de la base de données concernée par la fuite.

References

References
1 Pour l’explication des variables présentes, voir ce dictionnaire. La liste des variables est accessible ici. D’autres données relatives à la navigation internet des allocataires sur le site de la CAF étaient disponibles.
2 Voir SEXE, DTNAIRES, NATIFAM, LILI4ADR.
3 Voir OCCLOG, MTAIDEL, MTLOYREM.
4 Voir SITFAM, NATTUT.
5 Voir TITUAAH, TOPGRO, CINCAAH.
6 Voir ACTRESPD0.
7 Voir PRESCONJ, DTNAICONJ, ACTCONJ.
8 Voir SITFAM, PERSCOUV, NBENLEFA, TPA, NBUC, RUC.
9 Voir variables DNAIENF, CATEENF, QUALENF, ENFASFVERS.
10 Voir toutes les variables en *VERS, TITUAAH.
11 Les premiers exercices semblent avoir été publiés en mars 2021.
12 Le centre d’appui au datamining (CNAD) a été créé en 2012 à Bordeaux par la CAF de Gironde. Voir notamment l’article de Mathieu Arzel dans le numéro 58 revue Regards publié en 2020 et disponible ici.
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