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Le Conseil d'État fait peu de cas de la liberté d'expression sur Internet

mercredi 10 septembre 2014 à 14:41

Tribune de Félix Tréguer, co-fondateur de La Quadrature du Net, publiée initialement le 10 septembre 2014 dans Mediapart

L'hiver dernier, la jurisprudence Dieudonné du Conseil d'État avait déjà suscité des inquiétudes quant à la protection de la liberté d'expression en droit français. Bien qu'il comporte des propositions positives sur les nombreux autres sujets abordés, le rapport sur le « numérique et les droits fondamentaux » publié hier par la section du rapport et des études du Palais-Royal tend à les confirmer, puisqu'il légitime l'extrajudiciarisation des atteintes portées à cette liberté fondamentale.

Le Conseil d'Etat.

On lit ainsi dans ce document, à la page 229 :

La répartition des rôles entre les juges, les administrations et les acteurs privés dans la lutte contre les contenus illicites [sur Internet] doit éviter deux écueils. Le premier serait de privilégier la répression, par l’identification des auteurs des infractions et leur traduction devant les juridictions pénales, sur la prévention par le retrait ou le blocage des contenus illicites. Cette thèse a pour elle la tradition du droit de la presse, qui écarte le contrôle a priori des journaux et des livres, n’admet qu’avec réticences la possibilité d’un retrait et privilégie la répression pénale a posteriori. Cependant, la visibilité et la rapidité de diffusion que permet internet ont pour conséquence que les infractions peuvent y entraîner des troubles beaucoup plus grands.

Dans ce passage, les auteurs du rapport cherchent d'abord à ménager le pouvoir de police de l'exécutif pour porter atteinte à la liberté d'expression (sujet d'actualité, avec l'examen du projet de loi sur le terrorisme à l'Assemblée nationale qui étend le blocage administratif de sites Internet). En parlant des « troubles beaucoup plus grands » à l'ordre public qu'induirait Internet, ils tendent à se situer dans la tendance conservatrice de la Cour européenne des droits de l'Homme, qui considère qu'Internet est un espace par nature dangereux justifiant de plus grandes restrictions de liberté.

Le Conseil d'État refuse donc d'envisager un élargissement des limites légales de la liberté d'expression, notamment pour assouplir certaines des contraintes pesant sur l'expression publique, développées dans un espace public dominé par les médias de masse et les journalistes professionnels. Pour lui, Internet – et donc l'expression publique de « simples » citoyens jusqu'ici exclus du débat démocratique –, « ne remet en cause ni l’existence de ces limites ni leur tracé ». Bien au contraire, il s'agirait de durcir leur application : les auteurs rejettent ainsi l'application du droit de la presse et de ses garanties procédurales à l'expression en ligne, rejoignant en cela des discours et initiatives politiques en cours (initiatives dénoncées par les défenseurs des droits de l'Homme).

Outre la réhabilitation du pouvoir de police administrative pour encadrer l'expression publique, l'extrajudiciarisation défendue par le Conseil d'État passe par la légitimation de la censure privée sur Internet. Cette dernière s'est largement banalisée depuis dix ans, à mesure que des dérives jurisprudentielles et législatives confiaient aux hébergeurs, aux moteurs de recherche et autres réseaux sociaux le soin de réguler la liberté d'expression. Or, le rapport indique qu'« il ne serait pas réaliste de dénier aux acteurs privés le droit de décider du retrait d’un contenu ». Il s'en justifie à travers deux arguments, en prenant l'exemple des atteintes au droit d'auteur :

La justice n’a pas les moyens (et ne pourrait raisonnablement les avoir) d’être saisie de tout incident relatif à la mise en ligne d’une vidéo sans accord de ses ayants droit ou à des propos discriminatoires à l’égard d’un groupe de personnes. Les inévitables délais des procédures juridictionnelles conduiraient à ce que les troubles causés par ces actes perdurent bien plus longtemps que dans la situation actuelle. Cette position n’a pas non plus, en dépit des apparences, de justification sur le plan des principes. Dès lors que certains propos ou la diffusion de certains contenus ont été interdits par la loi, les acteurs privés que sont les fournisseurs d’accès, les hébergeurs et les éditeurs ont nécessairement une responsabilité à l’égard de leur mise en ligne.

Les auteurs semblent oublier la réserve du Conseil constitutionnel, qui soulignait en 2004 que « la caractérisation d’un message illicite peut se révéler délicate, même pour un juriste », et estimait qu'il ne fallait donc pas que les acteurs de l'Internet se substituent au juge. À aucun moment ils ne proposent par exemple de venir préciser et limiter la notion de contenu « manifestement illicite », créée alors par les juges constitutionnels pour contrecarrer ces risques de censure privée et rendue quasiment obsolète en raison d'une inquiétante extension jurisprudentielle.

Dans un État de droit, lorsqu'est mis en cause une liberté fondamentale, c'est bien au juge de dire si, dans tel cas d'espèce, telle ou telle expression, tel ou tel contenu publié, constitue ou non une infraction prévue par la loi. Le Conseil d'État préfère pourtant conforter les logiques actuelles, qui confient aux hébergeurs et autres plateformes la tâche de procéder à des déclarations d’illicéité.

L'autre argument avancé en défense de la censure privée consiste à dire que la justice ne disposerait pas de moyens suffisants pour traiter les contentieux liés à Internet. Cela représente à n'en pas douter un défi. Raison pour laquelle il est urgent de réfléchir à l'adaptation des procédures, afin de garantir le principe d'une protection judiciaire de la liberté d'expression inscrit dans le droit depuis la loi sur la presse de 1881, et ainsi rendre effectif droit au procès équitable pour les abus de cette liberté commis sur Internet.

Les auteurs du rapport identifient d'ailleurs une piste intéressante à cet égard, lorsqu'ils proposent de mettre en place des procédures de médiation en amont du juge (proposition n° 31). Même si le Conseil ne prend pas le temps de l'évoquer, ces dernières pourraient en effet permettre le respect a minima d'un principe contradictoire, mais aussi le recours à un conseil juridique pour les personnes concernées. En outre, la conduite de ces médiations sous l'autorité d'un groupement d'intérêt public ou d'une association (statuts juridiques proposés par les auteurs) permettrait d'assurer la transparence des mesures de retrait de contenu, alors qu'aujourd'hui le phénomène est très difficile à mesurer en raison de l'opacité qui l'entoure. Enfin, le recours à la médiation n'interdirait en rien d'en référer au juge le cas échéant, garantissant ainsi le droit au procès équitable.

Malheureusement, le Conseil ne va pas au bout de cette idée, puisqu'il se refuse à condamner la censure privée et va même jusqu'à la légitimer au travers d'arguments contestables, en proposant seulement quelques aménagements cosmétiques (voir les propositions n°5, n° 6 et n° 29). Au final, cette proposition traduit simplement la volonté des auteurs de conjurer coûte que coûte l'engorgement des juridictions, et non pas une réelle conviction que la liberté d'expression mérite d'être mieux protégée.

Le peu de regard du Conseil d'État pour cette liberté – qui, en démocratie, est le premier des droits politiques – est confirmé par la lecture de la proposition n° 28, qui appelle à la censure automatisée à travers l'obligation pour les hébergeurs et autres plateformes d'empêcher toute nouvelle publication de contenus déjà retirés (un régime dit de « notice-and-staydown », qui ne peut être mis en œuvre qu'au travers de filtres automatiques « scannant » les communications Internet et fait courir d'importants risques de surblocage, comme le reconnaît d'ailleurs le rapport). Ou au vu de la proposition n° 2, qui remet en cause la neutralité du Net et la liberté de communication qu'elle garantit, du fait de la définition inutilement large des « services spécialisés » défendue par les auteurs (au passage, ils se permettent même de critiquer le vote du Parlement européen d'avril dernier, alors que la procédure législative est encore en cours à Bruxelles). Ou encore lorsque le Conseil défend l'idée que la CNIL est compétente pour préciser les conditions du « droit au déréférencement » ouvert par la jurisprudence de la CJUE (proposition n° 5). Car compte tenu de l'imprécision des dispositions existantes, ce devrait être non pas à la CNIL mais bien au législateur d'assurer l'équilibre entre, d'une part, le respect de la vie privée et du droit à l'« autodétermination informationnelle » (proposition n° 1) et, de l'autre, la liberté d'expression. Là encore, la séparation des pouvoirs est négligée.

À travers ce rapport, le Conseil d'État risque en fait d'aider à consolider les dérives actuelles et ouvrir la voie à de nouvelles atteintes à la liberté d'expression. Il confirme malgré lui que cette dernière demeure le parent pauvre des droits de l'Homme.

Agissons avant le vote du projet de loi « terrorisme » à l'Assemblée nationale !

mardi 9 septembre 2014 à 11:00

Paris, 9 septembre 2014 — À partir du 15 septembre prochain, les députés de l'Assemblée nationale discuteront du projet de loi « terrorisme » de Bernard Cazeneuve. Afin qu'ils en corrigent les nombreuses et dangereuses mesures liberticides, il est urgent que les citoyens et associations se mobilisent et fassent entendre leur voix !

Interdictions de sortie du territoire, modifications de la législation sur la liberté d'expression, blocages de sites Internet sans juge… De nombreuses mesures du projet de loi de Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, sur la lutte contre le terrorisme justifieraient le rejet de la totalité du texte lors de son examen prochain à l'Assemblée nationale. Pourtant, la perspective de son adoption – qui plus est en procédure accélérée – semble faire l'objet d'un incompréhensible consensus favorable de la part des députés, qui multiplient même les surenchères sécuritaires. Il est donc indispensable que les citoyens fassent entendre leur voix sans attendre et appellent tous leurs représentants à étudier vraiment ce texte et à s'y opposer.

La Quadrature du Net a analysé ce projet de loi en profondeur afin de permettre aux citoyens de s'informer sur ces mesures et d'en connaître les motivations et les dangers, sur le site presumes-terroristes.fr.

Afin de permettre à tous de participer au débat et d'exprimer son opposition, La Quadrature du Net met à disposition le Piphone, un outil permettant d'être mis en relation avec un député rapidement et gratuitement.

Si vous n'êtes pas à l'aise avec le téléphone, vous pouvez aussi contacter vos élus par email, ou via les réseaux « sociaux ». Un autre moyen de participer à la campagne de mobilisation est de diffuser ces informations largement autour de vous, à vos familles, amis, collègues, etc. Des matériaux de campagne sont à votre disposition, que vous pouvez afficher sur vos espaces personnels respectifs ou participer à enrichir. Chacun de nous peut contribuer d'une manière ou d'une autre au rejet de ce dangereux projet de loi. Agissons !

« Tous les citoyens et députés soucieux des droits fondamentaux doivent s'opposer au projet de loi "terrorisme" de Bernard Cazeneuve. Voter en faveur d'une telle accumulation de mesures inefficaces et liberticides serait une aberration démocratique pour les députés. Malheureusement, la bataille pour le rejet est loin d'être gagnée, et la participation de tous est nécessaire : il reste peu de temps pour agir, et chaque appel à un député sera crucial ! » déclare Adrienne Charmet, coordinatrice des campagnes de La Quadrature du Net.

[NextINpact] Presumes-terroristes.fr : la contre-réponse au projet de loi sur le terrorisme

mardi 9 septembre 2014 à 10:28

Sur Presumes-terroristes.fr, La Quadrature, la Ligue des Droits de l’Homme, Framasoft, le Parti Pirate, Reporters sans frontières et le Syndicat de la magistrature s’opposent d'une même voix au projet de loi contre le terrorisme. Le site apporte ainsi son analyse sur ce texte bientôt examiné à l’Assemblée nationale. […]

Ses auteurs dénoncent une trousse à outils qui s’en prend directement à Internet, en malmenant le principe de la séparation des pouvoirs. On pense ici à cet article qui veut instaurer un blocage administratif des sites qualifiés par l’exécutif comme faisant l’apologie du terrorisme (article 9). « Contourner le juge, c'est faire une loi pour faciliter (renforcer les pouvoirs de la police) la vie des policiers, avec des risques importants pour les libertés publiques » oppose La Quadrature. « La qualité de notre démocratie ne peut être sacrifiée au nom de l'efficacité ou de la rapidité, sans garde-fous et contre-pouvoirs ». L’organisation se demande du coup si « la censure de la liberté d'information peut-elle être décidée dans l'opacité par des autorités policières sans procédure judiciaire ? », avec un mécanisme dont les limites sont régulièrement éclairées par les actualités. […]

Il ne s’agit pas de nier, négliger, ou de contester l’existence du fait terroriste, mais de s’interroger sur l’opportunité de cet agenda : quel peut être l’effet de ces épouvantails, réels ou non, sur l’opinion et par contrecoup, la représentation nationale ? Pas besoin d’être devin pour imaginer ce que préfère le ministère de l’Intérieur entre une opinion en demande active d'un tour de vis sécuritaire ou une opinion qui analyse, réfléchit, jauge, la tête reposée. Manque de chance pour Bernard Cazeneuve, Reuters vient de rapporter que le Parquet vient de contester l'existence d'un projet d'attentat dans cette brûlante affaire Nemmouche.

http://www.nextinpact.com/news/89730-presumes-terroristes-fr-contre-repo...

Campagne citoyenne contre le projet de loi « terrorisme »

mercredi 3 septembre 2014 à 10:33

Paris, 3 septembre 2014 — Le projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme proposé par le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve va être présenté à l'Assemblée nationale autour du 17 septembre. La Quadrature du Net s'oppose fermement aux dispositions inefficaces et liberticides de ce texte et appelle les citoyens et les parlementaires à se mobiliser contre le vote de ce projet de loi. Afin de permettre à tous de comprendre les enjeux de ce dossier, une présentation publique de la campagne de mobilisation aura lieu le 5 septembre prochain.

Depuis sa présentation en conseil des ministres le 9 juillet dernier, le projet de loi du ministre de l'Intérieur a été analysé et dénoncé par de nombreux acteurs, associations de défense des droits fondamentaux et professionnels du numérique en raison des nombreuses atteintes graves aux libertés qu'il comporte, sans garanties sérieuses d'efficacité pour son objectif affiché1. L'analyse détaillée de ce projet de loi soulève en effet de nombreuses inquiétudes : interdictions de sortie du territoire, modifications de la législation sur la liberté d'expression, blocage de sites Internet sans juge, etc.

À quelques jours de sa discussion à l'Assemblée nationale, en procédure accélérée n'autorisant qu'une seule lecture par le Parlement, La Quadrature du Net lance une campagne citoyenne afin que chacun puisse s'informer sur les dispositions inacceptables de ce projet de loi et puisse interpeller et convaincre les parlementaires de ne pas voter ce texte en l'état.

Citoyens, parlementaires et journalistes sont invités à venir découvrir cette campagne et s'informer sur le projet de loi Cazeneuve le vendredi 5 septembre, de 17h à 19h, dans les locaux de Mozilla (16bis boulevard Montmartre à Paris).

Au programme :

« La loi est l'affaire de tous. Le gouvernement a choisi une procédure d'urgence, à cheval sur l'été, pour faire adopter un projet de loi portant atteinte aux libertés fondamentales et inefficace pour la lutte contre le terrorisme. Il est du devoir des élus de la nation et des citoyens de se mobiliser pour défendre les libertés de tous, et nous appelons chacun à prendre ses responsabilités devant ce projet de loi. » déclare Adrienne Charmet, coordinatrice des campagnes de La Quadrature du Net.

Droit à l'oubli: Google, nouveau juge de la liberté d'expression ?

dimanche 3 août 2014 à 18:08

Paris, 3 août 2014 — Alors que Google questionne les internautes sur le droit à l'oubli et que les CNIL européennes préparent de leur côté des lignes directrices sur le droit à l'oubli, La Quadrature du Net invite l'ensemble des acteurs à revenir aux enjeux fondamentaux de l'arrêt de la CJUE sur le « droit à l'oubli » : le risque d'extrajudiciarisation du droit à l'oubli.


Éric Schmidt, président du CA de Google

« Comment trouver un équilibre entre le droit à l'oubli d'une personne et le droit à l'information du public ? » Depuis la publication du désormais fameux arrêt de la Cour de Justice de l'Union européenne sur le droit à l'oubli, cette question absolument légitime et au cœur d'un sujet épineux fait l'objet d'un débat très animé. Celle-ci pose cependant un problème majeur, car elle n'est formulée ni par le législateur, ni par une autorité administrative, mais par Google, acteur privé, chargé de fait de cette mission de justice par la décision de la Cour.

Contraint d’opérer cet arbitrage, le colosse américain a ainsi lancé une consultation publique et annoncé la mise en place d'un comité d'experts1 en charge notamment de l'élaboration de lignes directrices visant à orienter les pratiques internes à l'entreprise. Google souhaiterait en effet que « les conclusions du comité consultatif [soient] utiles à d'autres personnes qui pourraient être touchées par la décision de la Cour ». Pour ce faire, ce comité « pourra […] solliciter des contributions de la part de gouvernements, entreprises, médias, établissements universitaires, du secteur de la technologie, des organisations travaillant sur la protection des données et d'autres structures ayant un intérêt particulier dans ce domaine ».

Autrement dit, nous assistons à l'appropriation par un acteur privé des prérogatives d'une autorité publique ou législative, et ce en raison de la décision de la Cour de justice de confier à une entreprise privée le rôle d'arbitrer entre les droits à la vie privée et à la liberté d'expression sans créer des garde-fous qui auraient évité ce genre de dérives.

Avec la mise en place de ce comité par l'entreprise américaine, les gouvernements et les législateurs nationaux ne semblent plus avoir de rôle à jouer, et sont désormais relégués au rang d'acteurs secondaires. Cette privatisation de la mise en œuvre du droit à l'oubli risque de se généraliser, puisque la décision de la Cour de justice ne concerne pas uniquement les parties au litige – Google dans ce cas – mais au-delà tous les exploitants de moteurs de recherche2.

Conscientes des problèmes soulevés par l'arrêt, les autorités de protection de données européennes, réunies à Bruxelles le 24 juillet dernier, ont commencé à recueillir des informations auprès de Google, Microsoft et Yahoo3. Les CNIL européennes souhaitent en effet édicter des lignes directrices qui seront censées s'imposer aux moteurs de recherche.

Mais là encore, il y a un risque d'excès de pouvoir. En effet, en l'état du droit, ni la loi française « informatique et libertés » de 1978, ni la directive de 1995, ni la jurisprudence de la CJUE ne permettent de poser les principes qui doivent régir l'équilibre entre le droit à la vie privée et la liberté d'expression. En l'absence d'une base légale suffisamment claire, ces lignes directrices seront donc une pure création des CNIL européennes, tranchant des questions extrêmement sensibles4. Or, s'il est dangereux de confier à un acteur privé le soin de déterminer les modalités d'application du droit à l'oubli, le fait que des autorités administratives puissent se substituer au législateur et au juge est également problématique. Et ce d'autant plus que, dans ce débat, les CNIL, en tant qu'autorités de protection du droit à la vie privée, risquent de faire trop peu de cas du droit à l'information et de la liberté d'expression, n'ayant pas de compétences spécifiques en la matière.

À défaut d'un moratoire sur l'application de l'arrêt de la CJUE, ces lignes directrices pourront jouer un rôle transitoire. Mais face à ce risque d'excès de pouvoir, les législateurs européens et nationaux doivent urgemment prendre leurs responsabilités et amorcer des travaux sur l'équilibre à trouver entre ces deux droits fondamentaux. Une telle clarification législative devra également replacer le juge judiciaire, garant des libertés individuelles, au cœur du dispositif, à rebours de la tendance générale à l'extrajudiciarisation de la liberté d'expression.

« Ces réactions diverses et difformes mettent en lumière le manque de coordination et d'indications claires sur la mise en œuvre de l'arrêt de la CJUE. Pour cette raison, il est nécessaire de procéder à une clarification législative afin de rétablir l'État de droit et de restituer au juge les compétences qui lui sont propres dans l'équilibre entre le droit à la vie privée d'un côté, et le droit à l'information et à la liberté d'expression de l'autre. Bien que son action soit volontairement trop zélée, la politique mise en œuvre par Google a le mérite de mettre en exergue les dangers liés à la privatisation de la justice. Le législateur doit prendre conscience de l'ampleur des enjeux et agir pour mettre en place un cadre clair sur la conciliation entre la liberté d'expression et les autres droits  » déclare Miriam Artino, en charge de l'analyse juridique et politique à La Quadrature du Net.