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La Quadrature du Net

source: La Quadrature du Net

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Analyses et propositions d'amendements pour le projet de loi « terrorisme » lors de son passage au Sénat

mercredi 8 octobre 2014 à 17:48

Paris, le 8 octobre 2014 — La Quadrature du Net appelle les sénateurs à corriger les dangereuses dispositions du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme tel qu'il a été présenté par le gouvernement puis voté à l'Assemblée nationale. Pour cela, les principales dispositions problématiques et les mesures qui peuvent les amender sont présentées ci-dessous. Elles sont à disposition des sénateurs, afin qu'ils puissent s'en inspirer pour effectuer leur travail d'amélioration législative.

Article 4

Le transfert dans le code pénal des infractions de provocation à des actes de terrorisme crée les conditions pour la facilitation d’une justice expéditive, peu soucieuse du droit de chacun à un procès équitable.

De plus, le nouvel article 421-2-5 du code pénal n'opère pas de distinction entre une provocation suivie d'effet et une provocation qui ne l'est pas, ce qui est garanti, en revanche, aux articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881. Cette distinction est d’une importance primordiale à partir du moment où elle marque la frontière entre le champs de la protection des personnes et le champ de la liberté d’expression.

Dans le cadre du basculement du délit d'apologie du terrorisme du droit de la presse au code pénal, un risque majeur se pose et il a trait à la compromission du droit à la liberté d’expression, notamment lorsqu'il est exercé dans le cadre d'une forme de contestation sociale.

La lutte contre le développement de la propagande terroriste qui provoque ou glorifie les actes de terrorisme doit rester l’apanage du droit de la presse, la notion même de « propagande terroriste » n’ayant pas de définition juridique. Un rapport1 de l’ONU datant de septembre 2012, portant sur l’utilisation d’Internet à des fins terroristes, précise en effet que : « [c]e qui constitue une propagande terroriste, par comparaison à la défense légitime d’un point de vue, est souvent un jugement subjectif »2 Et il ajoute « la diffusion de la propagande n'est généralement pas, en soi, une activité interdite »3. Les règles procédurales associées au droit de la presse garantissent et protègent ainsi la liberté de chacun de continuer de s’exprimer, et endigue toute tentative, présente et future, de dérive autoritaire dans une société démocratique.

Par ailleurs, la création d'une circonstance aggravante pour tout contenu relatif à la provocation et à l'apologie du terrorisme, véhiculé par Internet plutôt qu'au moyen de supports physiques, s'inscrit en rupture du principe d'égalité devant la loi pénale 4. En effet, une telle stigmatisation du moyen utilisé n'apparaît ni nécessaire, ni proportionnée à la mise en œuvre d'une législation visant à lutter contre la radicalisation terroriste ; et ce d'autant plus lorsqu'on connaît la place que prennent d'autres lieux, comme les lieux de détention ou d'autres lieux de socialisation, dans les parcours de radicalisation, comme cela a été le cas pour M. Mehdi Nemmouche, inculpé dans le cadre de l'affaire relative aux meurtres du Musée juif de Bruxelles datant du 24 mai 2014.

La Quadrature du Net appelle à la suppression de l'article.

Article 5

Ayant pour objectif de pénaliser la préparation à la commission d’un acte en toute absence de commencement d’exécution, ce qui est juridiquement requis pour vérifier la commission effective d’une infraction, cet article représente une atteinte majeure au droit des citoyens à un procès équitable, garanti par le droit international, et à la présomption d'innocence garantie à l'article 9 de la de la Déclaration de 1789.

De plus, l’introduction d’une nouvelle incrimination d’entreprise terroriste individuelle, déjà rejetée dans le cadre des conclusions de la Commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés en 2012, met en place un dispositif juridique qui tend, une fois de plus, à la criminalisation et à la pénalisation de l’intention, aggravée par l’assimilation d’un acte isolé à celui accompli dans le cadre d’une association de malfaiteurs.

Par ailleurs, l'introduction d'éléments matériels pour définir l’entreprise terroriste individuelle montre clairement dans quelle mesure tout citoyen est potentiellement susceptible de faire l’objet d’une accusation de terrorisme, ce qui compromettrait la légitimité d'actions aujourd'hui considérées comme légitimes, à l'instar de l’entraînement au maniement des armes ou le séjour, pour les raisons les plus diverses, sur un théâtre d'opération de guerre.

En particulier, la création d’un délit de consultation habituelle des sites terroristes nuirait de manière significative au droit d’information de toute personne désireuse d’observer à titre personnel l’évolution de certaines phénoménologies de nature terroriste. Les exceptions créées pour les « professions ayant pour objet d'informer le public » ou pour les chercheurs scientifiques, ne saurait que produire une discrimination de fait entre citoyens, dont la jouissance du droit d'accès à l'information ne serait plus garantie de manière égalitaire, contrevenant à ce qui est inscrit à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Cet article crée par ailleurs une nouvelle infraction dont la conformité au principe de nécessité, tel que inscrit à l'article 8 de la déclaration de 1789, n'a aucunement été démontrée.

La Quadrature du Net appelle à la suppression de l'article.

Article 9

Le blocage des sites internet est une restriction grave à la liberté d'information. En tant que tel, il doit n'être envisagé qu'en dernier recours, être proportionné et mis en place avec les plus extrêmes précautions. Il doit également répondre effectivement aux besoins annoncés, et donc être efficace.

Le 2° de l'article 9, en ce qu'il n'envisage pas de recours au juge judiciaire en amont de la décision de blocage, qu'il ne répond pas aux objectifs d'efficacité (le contournement des blocages est notoirement aisé), et qu'il n'offre aucune garantie de proportionnalité (les risques de surblocage sont massifs), ne peut servir l'objectif envisagé et doit donc être supprimé.

La Quadrature appelle à la suppression de l'article. À défaut d'être supprimé, pour que l'autorité judiciaire joue pleinement son rôle de gardienne des libertés fondamentales, il est proposé d'instituer une procédure de contrôle similaire à celle ayant cours pour la prolongation des placement des étrangers en centre de rétention administrative, par l'intervention du juge des libertés et de la détention qui se prononce sur le caractère manifestement illicite du contenu incriminé et contrôle la proportionnalité de la mesure ordonnée.

Article 10

L'article 10 ne vise pas spécialement les actes de terrorisme, mais il a vocation à modifier de manière radicale le régime de perquisitions applicable à l'ensemble des crimes et des délits flagrants, introduisant une nouvelle modalité de perquisition depuis les services de police et portant atteinte à la sécurité juridique de l'article 57 du code de procédure pénale.

Ledit article prévoit en effet que toute opération de perquisition soit faite « en présence de la personne au domicile de laquelle la perquisition a lieu » ou d'un représentant de son choix ; lorsque cette présence ne peut pas être garantie « l'officier de police judiciaire choisira deux témoins requis à cet effet par lui, en dehors des personnes relevant de son autorité administrative ». Ces dispositions ont pour objectif de garantir la transparence des opérations, ainsi que le respect d'un équilibre entre protection des droits et des libertés individuels d'un côté, et efficacités des enquêtes de l'autre.

La remise en question d'un tel régime, entraînerait donc de graves atteintes aux libertés individuelles d'une personne soupçonnée, et non pas jugée coupable, d'un crime quelconque et non pas exclusivement d'un acte de terrorisme.

Ces nouvelles pratiques risquent ainsi de se traduire par une violation complètement illégitime de la vie privée, ainsi que du droit à l'inviolabilité du domicile, dont la notion recouvre l'habitation stricto sensu ainsi que ses dépendances immédiates à l'instar d'une boîte aux lettres et, par extension, d’un système informatique.

La Quadrature appelle à la suppression de l'article. À défaut et afin de restreindre ces dispositions à l'objet du projet de loi, il est conseillé d'introduire une exception pour les actes visés au point 11 de l'article 706-73 du code de procédure pénale.

Article 11

L’article 11 du projet de loi ne s’inscrit pas spécialement dans la lutte contre le terrorisme, mais il relève de la mise au clair des données chiffrées nécessaires à la manifestation de la vérité, dans le cadre d’une enquête quelconque. Cela remet en question la pertinence d’une telle disposition qui n’a pour effet que celui de parvenir à une banalisation du droit de l’exception et de réduire le rôle de l’autorité judiciaire dans toutes les enquêtes relevant de la criminalité organisée. Par ailleurs, les décisions prises au titre de l'article 11 ne seront susceptibles d'aucun recours, conformément à l’article 230-4 du code de procédure pénale modifié par le texte.

La Quadrature du Net appelle à la suppression de l'article.

Article 12

En premier lieu, la répression d'atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données (STAD) ne peut être encadrée dans une loi relative à la lutte contre le terrorisme à moins de considérer que les délits commis en matière informatique peuvent tous être qualifiés d'actes de terrorisme, ce qui ne saurait être le cas.

En deuxième lieu, appliquer la notion de bande organisée aux attaques contre les systèmes informatiques revient à soumettre chaque citoyen aux dispositifs de la lutte contre la criminalité en bande organisée. Ce qui porte une atteinte particulièrement disproportionnée aux libertés individuelles de l'ensemble de la population, du fait qu'il s'agit de dispositions relatives au régime dérogatoire de la criminalité organisée.

En troisième lieu, la logique qui guide la répression accentuée de la lutte contre la criminalité en bande organisée n'a pas lieu d'être appliquée à la lutte contre les atteintes aux STAD. En effet, en matière de criminalité informatique, et contrairement à la criminalité physique, il n'y a pas de lien proportionnel entre le nombre de personnes impliquées dans un crime informatique et la gravité de ce crime.

La Quadrature appelle à la suppression de l'article.