PROJET AUTOBLOG


S.I.Lex

Site original : S.I.Lex

⇐ retour index

Yesterday copyright seemed so far away

mardi 11 septembre 2012 à 16:56

Léna, alias K_rho sur Twitter, thésarde en Intelligence Artificielle et wikimédienne, nous propose un article fascinant sur un dispositif de « Mashup Assisté Par Ordinateur », qui interroge les frontières du droit d’auteur, dans la lignée du billet que j’avais consacré au cas du Photomaton.

Merci à elle ! Retrouvez Léna sur son blog : Alpha Kilo Bit.

***

Si la propriété intellectuelle se pose comme un cadre incontournable de la création, il existe en réalité de nombreux points morts qui ne peuvent absolument pas être analysés selon ses règles.

Par opensourceway. CC-BY-SA. Source : Flickr

Nous allons parler d’un objet totalement hors cadre créé non pas par d’artistes mais de chercheurs en intelligence artificielle : Gabriele Barbieri, François Pachet, Pierre Roy et Mirko Degli Esposti. Ils ont en effet réussi à mettre au point un système automatique de génération de paroles de chansons basé sur l’analyse et l’exploitation des chansons existantes.

La première partie de leur travail consiste à prendre une chanson existante et de n’en garder que la rythmique et la versification (les fameux deux quatrains suivis de deux tercets du sonnet classique). Cette première base sert de structure à la création de la chanson.

La seconde partie consiste en la création de dictionnaires de rythmes (ensemble des mots de deux, trois, quatre syllabes), de rimes et de champs lexicaux. De manière plus intéressante, ils génèrent aussi des dictionnaires de style, à l’aide d’une analyse statistique de l’ensemble des paroles d’un artiste.

La troisième partie, la plus technique, est un réseau de Markov permettant la génération automatique de phrases, sous contrainte. Les contraintes peuvent être un rythme imposé, une rime, un champ lexical ou un mot.

Enfin, une fois une structure et un style choisi, le réseau de Markov va générer des propositions de vers parmi lesquelles un opérateur humain va choisir. Le dialogue entre l’humain et le réseau peut être visualisé dans une vidéo en anglais générant un remix de Yesterday des Beatles dans le style de Bob Dylan.

Cliquez sur l’image pour voir la vidéo.

La question passionnante est la suivante : qui peut réclamer des droits d’auteur sur la chanson finale ?

On peut déjà écarter Les Beatles, car la structure rythmique de Yesterday n’est pas en elle-même une création originale mais une reprise de structures déjà existantes. Pour Bob Dylan, dont pourtant l’ensemble de l’oeuvre a été exploité, on ne peut pas non plus parler d’oeuvre de l’esprit pour un champ lexical. Concernant les chercheurs, ils ont effectivement produits un outil, mais ils ne peuvent pas plus prétendre à la parternité des chansons produites avec leur système de la même manière que Canon au Nikkon avec les photographies prises avec leur matériel. Reste l’humain faisant le choix des propositions qu’il préfère, mais, pour reprendre les propos de l’un des chercheurs, “il n’y a pas plus de processus créatif lorsqu’un humain choisit parmi les propositions du système que lorsqu’une personne va au cinéma et choisit le film qui lui semble le mieux”.

Au final, on se rend compte que la nouvelle chanson créée est bien une oeuvre, mais collective, un remix basé sur l’ensemble des oeuvres existantes aidé d’un outil automatique et d’un peu de sensibilité et non pas le fruit de la création ex nihilo d’un auteur unique. Comme le disait Joëlle Farchy : “Il se pourrait que la notion d’auteur [...] ne soit qu’une construction sociale et culturelle éphémère de quelques siècles, qui s’évanouisse dans la cyberculture.”

***

Quelques mots de commentaires, par Calimaq

Comme l’indique Léna en introduction, ce type de création soulève des questions troublantes sur les frontières du droit d’auteur, dès lors qu’interviennent dans l’élaboration des oeuvres des processus automatiques. C’était déjà ce qui m’avait intéressé dans le cas du Photomaton, dont on peut se demander s’il ne constitue pas un « automatauteur ».

Ici, on peut effectivement se poser la question de savoir si le texte de cette chanson produit par le dispositif Perec, (pas la mélodie de Yesterday, que l’on entend dans la vidéo et qui est bien protégée par des droits), ne constitue pas un de ces objets qui échappent au droit d’auteur.

Du point de vue des juges français, peut-être que l’intervention de l’opérateur humain pour choisir certaines paroles parmi un ensemble de propositions, même si elle reste minimale, serait tout de même considérée comme exprimant une certaine forme « d’originalité », offrant prise au droit d’auteur. Mais comme le fait remarquer Léna, ce n’est pas certain.

A vrai dire, cette question des frontières du droit d’auteur s’est déjà posée à partir de la première moitié du 20ème siècle, à propos des expérimentations de la musique aléatoire. Ici, ce n’est cependant pas l’aléa qui est provoque l’incertitude juridique, mais le fait que la machine « élabore » le corps même de l’oeuvre, à partir d’un ensemble de contraintes prédéfinies.

Ces cas risquent à l’avenir de se multiplier, avec les progrès de l’intelligence artificielle et les robots, comme vous pouvez en voir un exemple ci-dessous avec ces robots-intruments, capables de composer et d’interpréter des morceaux tous seuls.

Depuis que j’ai écrit l’article sur le Photomaton, j’ai repéré de nouveaux « automatauteurs » potentiels, dont certains soulèvent des questions juridiques assez fascinantes.

Ainsi pendant les Jeux olympiques de Londres, les grandes agences (AFP, Reuters, Getty, etc) avaient déployé de nombreux robots-photographes dans les stades, afin de pouvoir prendre des clichés sous des angles inhabituels.

Il en résulte des clichés parfois très impressionnants sur le plan esthétique, mais qui ne satisfont pas au critère de l’originalité, si l’on en croit la jurisprudence existant déjà à propos des photos sportives prises en rafale. L’originalité ressurgit sans doute au niveau du choix des clichés publiés, dans lequel intervient sûrement des humains, mais le matériau brut échappe au droit d’auteur.

Un autre exemple intéressant est celui des images envoyées depuis la planète Mars par le robot Curiosity.

Layers at the Base of Mount Sharp. NASA/JPL-Caltech/MSSS

Sur Exponaute, Magali Lesauvage écrit ceci au sujet de ces photographies de la planète rouge, soulevant à nouveau la question de l’originalité :

Cette photo a été prise par un robot, sans recherche esthétique ni volonté de plaire, mais comme témoignage scientifique. C’est une photo de paysage objective, sans mise en scène ni ordre de composition. Comparable à des photographies de déserts terrestres, elle n’est pas sans beauté, mais n’a pas d’originalité, pas de punctum (cet élément surprenant évoqué par Roland Barthes dans La Chambre claire, et qui fait qu’une image marque l’esprit du spectateur). Point de petit bonhomme vert, d’extraordinaire cité futuriste, ni même d’accident géologique remarquable… Las, l’image est déceptive. Rien ici qui ne soit aussi visible en certains lieux terrestres : Mars ressemble désespérément à la Terre, malgré l’absence d’eau et de vie. Ce qu’elle nous montre, fondamentalement, c’est le vide, le rien.

Ce vide est aussi normalement juridique, car ces clichés pris par un robot ne devraient pas donner prise au copyright. La NASA autorise de toutes façons largement la réutilisation de ses images, comme si elles appartenaient à un quasi-domaine public.

Toujours dans le domaine de la photographie, j’étais tombé sur cet article, qui signalait une nouvelle pratique se développant parmi les joueurs de jeux vidéos : les In-Game Photographies. Elle consiste pour les joueurs à faire des captures d’écran au cours du jeu pour donner à voir des scènes remarquables. Certains (comme ici) en font même une sorte d’art à part entière, mais ces clichés se sont pas sans soulever des questions complexes de droit d’auteur :

While the photography is quite stunning it leaves me wondering… who is the artist? The photographer who froze and altered the shot or the game developers who created the entire scene in the first place? I have several friends who are game developers and are amazing artists that spend months to years developing a game. The photographers that I have seen practicing this have all been very respectful of game developers and credit them as much as possible. I wonder if copyright will ever become an issue for those into in-game photography. What are your thoughts ?

Difficile de répondre, bien que la question renvoie dans une certaine mesure au cas des machinimas, ces cinématiques tournées par des amateurs à partir des moteurs graphiques de jeux vidéo.

Le dernier cas d’automatauteurs que j’ai repéré rejoint les centres d’intérêt de Léna puisqu’il concerne les fameux bots qui contribuent à la mise en forme de Wikipédia. Ils interviennent automatiquement pour formater correctement les citations, pour classer les articles dans des catégories, pour repérer des injures ou des violations de droit d’auteur et bien d’autres choses encore ! La BBC leur a consacré un article récemment dans lequel elle finit par s’interroger sur la nature de la contribution de ces robots et sur le point de savoir s’ils ne pourraient pas remplacer les contributeurs humains :

Can bots replace human writers?

These days bots are typically forbidden from writing their own articles and from other writerly tasks like sub-editing. Here’s why:

  • Regional differences confound them: The BBC writes « flavour », for example, while the Associated Press uses the American « flavor »
  • English grammar is too nuanced to be automated.
  • Bots cannot do research, in the sense of seeking and synthesising information to support a thesis

Les journalistes de la BBC semblent donc considérer que les robots ne pourront jamais remplacer les rédacteurs humains, mais en est-on si sûr ? On apprenait récemment que certains articles boursiers du magazine Forbes étaient écrits par un robot appelé Narrative Science, à partir de données.

Merci encore à Léna pour sa contribution, qui permet de revenir dans S.I.Lex sur ce sujet passionnant !

Et si vous aussi vous connaissez des cas d’automatauteurs, n’hésitez pas à les signaler en commentaire.


Classé dans:Penser le droit d'auteur autrement ... Tagged: Beatles, Bob Dylan, copyright, droit d'auteur, intelligence artificielle, musique, originalité, robots

Pourquoi la presse devrait soutenir la légalisation du partage non-marchand

vendredi 7 septembre 2012 à 09:26

On a appris la semaine dernière qu’une loi est en cours d’adoption en Allemagne destinée à taxer les moteurs de recherche et les agrégateurs de contenus qui indexent les articles de la presse en ligne et pointent par des liens vers leurs sites. Ce texte a été surnommé Lex Google, car c’est principalement la firme de Mountain View qui est visée, à travers son service Google Actualités. Cette loi va contribuer à modifier en profondeur l’équilibre du web tel que nous le connaissons, en faisant payer pour de simples liens hypertextes, pour des titres et pour de courts extraits.

Le bateau presse prend l’eau et souffle à l’oreille du législateur des projets de lois inquiétants (Newspaper Boat. Par R. Mahmood.CC-BY-NC-SA. Source : Flickr)

Aussitôt, le Syndicat de la Presse Quotidienne Nationale (SPQN) a interpellé les pouvoirs  publics français afin qu’un dispositif similaire soit instauré dans notre pays. Les éditeurs de presse proposent deux solutions juridiques pour atteindre cet objectif : soit la création d’un nouveau type de droits voisins à leur profit, à l’image de ce qui existe depuis 1985 pour les producteurs de phonogrammes et les artistes-interprètes, soit la mise en place d’une taxe sur les appareils connectés (ordinateurs, smartphones, tablettes). La Ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, a déjà répondu favorablement à cette sollicitation, en se prononçant en faveur d’une « taxe Google ».

Des solutions alternatives existent pour la presse en ligne

Il est très inquiétant de voir que sous couvert de financer la presse, on s’apprête à porter atteinte à des éléments fondamentaux de la liberté d’expression et d’information en ligne : le droit de faire des liens hypertexte, y compris à des fins commerciales ; le droit de citation ; le droit de référencer. Ces constituants essentiels de l’architecture du web seront les dommages collatéraux de cette évolution législative, avec des conséquences importantes pour la capacité à innover.

A condition d’abandonner les œillères idéologiques dont les producteurs de contenus ne veulent (peuvent?) se départir, il est pourtant possible d’envisager des solutions alternatives, qui ouvriraient de réelles pistes de financement pour la presse, sans porter atteinte aux libertés numériques. Il faut pour cela se porter du côté de propositions comme la contribution créative et de la légalisation du partage non-marchand, défendues par Philippe Aigrain dans ses ouvrages et intégrées aux « Eléments pour une réforme du droit d’auteur » portés par la Quadrature du Net.

Pierre Lescure, à la tête de la mission sur l’acte II de l’exception culturelle, a semblé faire un pas récemment dans cette direction, en déclarant qu’ « il y aura forcément une partie de la réponse qui comportera la légalisation des échanges non-marchands« . Mais cette solution ne paraît pour l’instant envisagée que dans le domaine du cinéma et pour des oeuvres anciennes.

Sa lettre de mission, publiée hier, est pourtant rédigée de manière suffisamment large pour que la question de la presse en ligne puisse être abordée. Mais c’est surtout méconnaître que le système de la contribution créative, tel qu’il est formulé par Philippe Aigrain, n’a pas vocation à rester cantonné aux films ou à la musique, ni à se limiter aux téléchargements.

Il a vocation à s’appliquer aux articles de presse et on peut même dire qu’il est particulièrement bien adapté pour englober l’ensemble de l’écosystème de l’information en ligne : sites de presse, blogosphère et les intermédiaires comme les moteurs de recherche et les agrégateurs de contenus. Si les éditeurs de presse veulent vraiment sortir du casse-tête du modèle économique avec lequel ils se débattent depuis des années, ils devraient soutenir la légalisation du partage non-marchand.

Contribution créative et presse en ligne

C’est un aspect souvent mal connu, mais les propositions de Philippe Aigrain ont vocation à s’appliquer à “toute oeuvre qui a donné lieu à une diffusion numérique au public général quelle que soit sa nature (gratuite ou payante)“. Cette définition large couvre donc bien les pages des site de presse auxquelles les internautes peuvent accéder en ligne.

Dans le système de la contribution créative, les internautes se voient reconnaître un droit au partage non-marchand des oeuvres, qui serait pleinement applicable aux articles de presse. En contrepartie, les éditeurs de presse obtiendraient le droit de toucher une rémunération, prélevée sur le montant des redevances versées par les internautes, sous la forme d’un surcoût à leur abonnement internet. Le montant de cette rémunération pourrait être être calculé  sur la base d’une évaluation de l’usage des contenus (pour les articles de presse, on peut imaginer qu’il s’agirait de la fréquentation des sites et des références, du type rétroliens et partages sur les réseaux sociaux).

On voit donc que les liens hypertextes pourraient servir à dégager un financement pour la presse, sans qu’il soit besoin de porter atteinte à la liberté de lier. Les « Éléments pour une réforme du droit d’auteur » comportent d’ailleurs un point spécifique sur cette question, qui insiste sur la nécessité de reconnaître la légitimité de la référence :

Internet se caractérise avant tout par la possibilité de rendre accessible à travers un lien tout contenu publié lorsqu’on connaît son URL. Cette possibilité est l’équivalent contemporain de la possibilité de référencer un contenu publié. Le fait de référencer à travers des liens des contenus accessibles est une condition primordiale de la liberté d’expression et de communication. Ainsi, les prétentions de certains sites d’empêcher les usagers du Web de créer des liens profonds pointant directement sur un contenu qui est accessible lorsqu’on connaît son URL, constituent des atteintes inacceptables au droit de référence et à la liberté d’expression. Il est inquiétant que certains aient prétendu légitimer cette interdiction par la perte de revenus publicitaires qui résulterait de tels liens.

Le casse-tête du modèle économique de la presse en ligne peut paraître insoluble, mais il existe pourtant des solutions (Par Planeta. CC-BY)

Reconnaître de nouveaux droits au profit des internautes

La contribution créative présente par ailleurs l’avantage de ne pas opérer de distinction selon que les contenus sont produits par des professionnels ou des amateurs. Cet aspect est fondamental dans le domaine de l’information en ligne, où la blogosphère et les échanges des internautes par le biais des réseaux sociaux jouent un rôle important, à côté des productions des journalistes professionnels, avec des interpénétrations croissantes. J’ai déjà eu d’ailleurs l’occasion de montrer comment la contribution créative pouvait permettre de dégager une rémunération pour les blogueurs, dans des conditions plus équitables que celles proposées actuellement par les sites de presse pour s’associer leurs services.

Cette solution est par ailleurs beaucoup plus équitable pour les internautes que la taxe sur les appareils connectés proposée par les éditeurs de presse. J’ai déjà dénoncé à plusieurs reprises ces formules, dans lesquelles on fait supporter toujours plus de charges aux individus, sans leur reconnaître en contrepartie de nouveaux droits. Ces taxes unilatérales constituent de véritables gabelles numériques et il faut les rejeter comme iniques !

Au cours des dernières semaines, des déclarations choquantes se sont succédées, proférées à l’encontre d’ « Internet qui ne produit rien » (Laurent Joffrin) ou d’ »Internet où rien n’est éditorialisé » (Aurélie Filippetti). Ces propos ignorent un aspect essentiel de la révolution numérique : les internautes ne peuvent plus être considérés comme des consommateurs passifs de l’information ; ils en sont aussi devenus les acteurs et toute réforme qui négligerait cette dimension serait vouée à l’échec !

Taxer Google (et d’autres), mais pour de bonnes raisons

Tout ceci signifie-t-il qu’il faut renoncer à mettre à contribution Google ? Certainement pas ! C’est un enjeu absolument essentiel pour la régulation de ce que Yann Moulier-Boutang appelle le « capitalisme cognitif » de faire en sorte que les géants du web soient soumis à des prélèvements fiscaux proportionnés au rôle majeur qu’ils jouent. Mais encore convient-il de ne pas se tromper de fondement pour le faire, sous peine de graves errements.

Le problème majeur que posent les Google ou les Facebook ne réside pas dans le fait qu’ils reprennent des titres et des extraits, ni dans l’établissement de liens hypertexte. Il résulte de la manière dont ces firmes détournent à leur profit les mécanismes de ce que l’on appelle l’économie de l’attention, en se rendant incontournables pour les internautes. Ce faisant, ils mettent en place ce que Silvère Mercier appelle des « enclosures informationnelles », empêchant que l’information qui circule en ligne puisse être constituée en bien commun partageable.

Un système dans lequel le partage est légalisé a besoin pour ne pas dériver que l’économie de l’attention ne soit pas instrumentalisée ainsi par des acteurs marchands. Mais pour corriger cette tendance lourde, il faut frapper directement sur le levier qui permet à ces firmes de monétiser l’attention, à savoir la publicité en ligne. C’est la raison pour laquelle les « Eléments pour une réforme du droit d’auteur » de La Quadrature comporte un point essentiel consacré à la maîtrise de la pollution publicitaire :

Des mécanismes de taxation spécifique de la publicité peuvent être envisagés, à conditions qu’ils portent sur toutes les régies indépendamment de leur nationalité ou de leur technologie.

Il ne s’agit pas de taxer seulement Google, mais d’instaurer par le biais d’une taxe de la publicité en ligne un mécanisme régulateur général. Aussi bien les éditeurs de presse que les internautes ont intérêt à ce qu’une telle régulation se mette en place. De la même façon, en ce qui concerne les appareils connectés, ce qui importe est moins de les taxer à grands coups de gabelles numériques, que de faire en sorte de favoriser au maximum leur ouverture et l’interopérabilité des contenus. Car c’est en rendant captifs leurs usagers des univers de leurs constructeurs que ces machines installent de redoutables « enclosures attentionnelles ».

Accepter un monstre juridique pour sauver la presse ? (Newspaper Origami Dragon Monster. Par epSos.de. CC-BY)

Eviter d’ouvrir la boîte de Pandore 

La contribution créative et les mesures qui l’accompagnent constituent donc bien des moyens pour dégager des financements pour la presse, sans attenter aux grandes libertés numériques et en prenant en compte toutes les dimensions de l’écosystème de l’information en ligne.

Parmi les solutions proposées par le SPQN, la plus dangereuse serait celle qui consisterait à créer un nouveau droit voisin au profit des éditeurs de presse. Il s’agirait même d’une catastrophe juridique d’une ampleur considérable. Car on a bien vu les effets que la création des droits voisins au profit des producteurs ont pu occasionner sur l’évolution de la propriété intellectuelle. Cette réforme a encapsulé la connaissance dans une nouvelle couche de droits exclusifs, qui ont renforcé la position d’intermédiaires par rapport à celles des auteurs. Pire encore, le lobby des industries culturelles a pu utiliser les droits voisins comme un levier pour allonger  la durée de protection, empêchant les oeuvres de rejoindre le domaine public.

La presse comporte des auteurs, qui sont les journalistes, mais leurs droits ont déjà été passablement écornés par la loi Hadopi, qui a entraîné une cession automatique de leurs droits à leur employeurs, en dérogeant à tous les principes du droit d’auteur français. Consacrer un droit voisin pour les éditeurs de presse viendrait parachever ce glissement et Franck Macrez fait d’ailleurs remarquer sur Twitter que le dernier article de la Lex Google allemande prévoit seulement « une juste rémunération » au profit des auteurs…

Si un droit voisin était reconnu aux éditeurs de presse, nul doute que le monde du livre ne tarderait pas à réclamer lui-aussi l’instauration de telles prérogatives à son profit. Or l’édition de livres n’a jamais fonctionné ainsi : les éditeurs ne sont pas titulaires de droits propres, mais ils les obtiennent par cession auprès des auteurs, par le biais des contrats d’édition. Reconnaître un droit voisin aux éditeurs, c’est bouleverser profondément les rapports qu’ils entretiennent avec les auteurs, à un moment où les tensions sont intenses autour des droits numériques.

Dans un article consacré aux droits numériques publié par RSLN à l’occasion de la rentrée littéraire, on pouvait pourtant lire  ces déclarations de Marie Sellier, co-présidente du Conseil Permanent des Ecrivains (CPE) :

Les musiciens vivent désormais surtout de leurs concerts. Les auteurs ne vivront pas de lectures publiques… Toutes les pistes doivent être envisagées, comme taxer les appareils ou nous reporter une part des revenus publicitaires des sites.

La taxe sur les appareils ne constitue nullement une solution durable et elle finira par devenir écrasante pour le consommateur si toutes les catégories de titulaires de droits obtiennent de lui faire payer un écot. Le report d’une part des revenus publicitaires peut constituer une partie de la solution, mais uniquement s’il est adossé à la contribution créative et conçu comme une régulation des dérives de l’économie de l’attention.

Espérons à présent que la mission Lescure s’emparera bien de la question de la presse en ligne et qu’elle saura entendre les propositions alternatives. Espérons aussi qu’elle n’ouvrira pas une boîte de Pandore aussi redoutable que celle de cette Lex Google ! Les libertés numériques en sortiraient en lambeaux, mais également le droit d’auteur, dans son acception la plus forte…


Classé dans:Modèles économiques/Modèles juridiques Tagged: allemagne, Biens Communs, contribution créative, droit d'auteur, droits voisins, enclosures, Google, information, la Quadrature du Net, modèles économiques, moteur de recherche, Philippe aigrain, presse, taxe

Copyright Madness du 25 au 31 août : Mauvaise semaine pour le domaine public

dimanche 2 septembre 2012 à 18:03

Cette semaine encore, Calimaq m’a prêté les clés du Copyright Madness. Accrochez-vous, la semaine a été rude.

Thomas Fourmeux 

@fourmeux

[Bibliotourisme]

Biblioveilleur

Domaine public, mon amour :

Il serait peut-être bon d’expliquer à Youtube ce qu’est le domaine public. En effet, la plateforme de vidéos a retiré une chanson appartenant au domaine public.  La victime de ce Copyright Madness a osé poster une vidéo, réalisée par ses petits soins, d’une chanson datant de 144 ans. L’auteur est mort il y a plus de 70 ans. La chanson est donc bel et bien dans le domaine public.

Public domaine par dimic CC-BY-NC-ND Flickr

Toutefois, des ayants droits ont réclamé à Youtube de retirer la chanson prétextant qu’elle appartenait à des majors. L’internaute étant dans les sentiers de la légalité, pourquoi Youtube a-t-il retiré cette vidéo ? C’est probablement parce que notre chanteur a monétisé sa vidéo. Les ayants droit n’ont pas du tolérer l’idée que quelqu’un puisse gagner de l’argent grâce à cette chanson. Cependant, il faudrait leur rappeler que quiconque est libre de commercialiser une œuvre du domaine public !

Youtube censored par dannysullivan CC-BY Flickr

Malheureusement, c’est une anecdote qu’on risque de voir se multiplier de plus en plus.

En effet, Google a récemment annoncé qu’il allait rétrograder les sites faisant l’objet de plainte de la part des ayants droit. Mais le problème repose sur la façon dont la procédure se déroule. C’est un algorithme très puissant qui est chargé de repérer le contenu illicite. Evidemment cela pose quelques problèmes. La technologie employée par Google ne fait pas la différence entre ce qui est sous droit et ce qui est libre de droit. A cet épisode fâcheux, il faut ajouter les attaques régulières contre le domaine public. Les ayants droit tentent régulièrement de prolonger la durée des droits afin de se constituer des rentes quasi éternelles. (Ici et )

Le domaine public est bien commun, défendons le !

 Le procès qui valait un milliard !

Vous l’aurez peut-être remarqué mais depuis quelques années, on ne parle qu’en milliards. Les Etats ont contracté des dettes de plusieurs milliards. Les capitalisations boursières des entreprises du Nasdaq ou du CAC40 s’élèvent à plusieurs centaines de milliards. Les entreprises s’achètent au minimum un milliard de dollars. Eh bien aujourd’hui, même les procès se soldent par des amendes qui atteignent le milliard.

Money par 401(k) 2012 CC-BY-SA Flickr

 En effet, on a appris l’issue du procès qui opposait les deux fabricants Apple et Samsung. Les deux s’accusent mutuellement de violation de brevet. Le verdict est tombé : Samsung est condamné à verser un milliard de dollars à la marque à la pomme. A charge de revanche.

Mise à part le caractère infantile de cette affaire (« non c’est pas moi, c’est toi »), il est intéressant de voir la place centrale qu’occupe le brevet dans les stratégies commerciales des entreprises et dans la constitution de leurs profits. Des sociétés proches de la banqueroute tentent même de sauver les meubles en vendant leurs brevets.

Worm and apple par andylangager CC-BY-NC Flickr

Désormais, la commercialisation de nouveaux  produits (smartphones, tablettes, ordinateurs…) est nécessairement assortie d’accessoires et… de procès.  Cependant, il est assez remarquable de voir comment la copie a représenté une source d’innovation pour la firme de Cupertino. L’imitation de ses produits a contraint Apple à innover. La copie constitue véritablement un facteur d’émulation.

 « I have a dream »

Une incroyable découverte a été faite récemment. Un enregistrement sonore inédit de Martin Luther King a été retrouvé. Mais puisque nous sommes dans la chronique du Copyright Madness, vous imaginez que cela cache quelque chose. Vous avez raison.

La bande sonore devrait faire l’objet d’une transaction commerciale. Un certain Keya Morgan, spécialiste en artefacts, souhaite vendre la bobine à un musée. Après tout, M.L King est mort en 1968 et la personne qui l’a interviewé est encore en vivante. Par conséquent, l’enregistrement n’est pas libre de droit. Pourquoi se priver d’une petite plus-value ?

En y regardant de plus près, M.L.King fait l’objet de dérives assez incroyables. En effet, vous ne pouvez pas réciter trop de phrases du célèbre discours  I have a dream.

Ce discours a été prononcé en public dans un contexte qui a marqué l’histoire politique et sociale des Etats-Unis. Bien que les discours publics puissent s’apparenter à une exception au droit d’auteur, celui de M.L.King n’appartient pas au domaine public. Le discours ayant été diffusé à la TV par CBS, et M.L.King ayant revendiqué son droit en tant qu’auteur, il est donc soumis au droit d’auteur. De ce fait, les héritiers peuvent réclamer une redevance pour la diffusion et la reproduction sonore ou vidéo du discours.

Rendez-vous donc en 2038 dans le domaine public !

La restauration, c’est un métier :

Vous avez peut-être entendu parler de l’Ecce Homo (ici ou ). Mais si, vous savez cette toile peinte par Elias Garcia Martinez au tournant du XIXème et du XXème siècle. Brièvement, il s’agit d’une œuvre du domaine public qui a été restaurée récemment par Cecilia Giménez, une femme aux compétences de restauration douteuses. On vous laisse juger du résultat :

Cet épisode a d’ailleurs donné lieu à un certain nombre de détournements et une page Pinterest a même été créée. Mais ce qui est intéressant dans cette histoire, et c’est ce que pointe le blog PI scope, c’est de savoir si cette restauration porte atteinte au droit d’auteur. Cette affaire constitue un bon cas d’école en matière de propriété intellectuelle. En effet, même si l’œuvre relève désormais du domaine public, elle ne peut s’affranchir du droit moral qui est inaliénable, imprescriptible et perpétuel. Par conséquent, il faut veiller à respecter l’intégrité de l’œuvre. Or, la restauration de notre artiste porte un sacré coup à l’intégrité de l’œuvre. Cela dit ce n’est pas l’auteur, mort depuis 1934, qui s’en plaindra… En partant du principe qu’il y a une distinction entre le support (régi par le droit des biens) et la perception d’une œuvre (régie par le droit d’auteur), Cecilia n’a porté que partiellement atteinte à l’intégrité de l’œuvre. En effet, elle n’a « finalement appliqué qu’une couche de peinture sur une autre. Elle n’a pas porté atteinte à l’œuvre mais à son support matériel ».

Le PI scope va même plus loin en s’interrogeant sur la paternité de la nouvelle œuvre renommée Ecce Mono (Voici le singe). Cecilia Giménez a d’une certaine façon créé une nouvelle œuvre. Dès lors, est-il encore juste d’attribuer cette toile à Elias Garcia Martinez ?

Enfin, la question qui est maintenant sur toutes les lèvres, l’œuvre pourra-t-elle être restaurée ?

Et maintenant, à vous de tester vos talents en restauration d’œuvres d’art !

Le Parrain…mount Pictures :

On poursuit avec un Copyright Madness pour cinéphile (mais aussi bibliophile). Il s’agit d’un conflit entre les héritiers de Mario Puzo, auteur de la série The Godfather, et le studio Paramount Pictures.

La Paramount a acquis les droits du roman Le Parrain en 1969 et s’oppose à la publication d’un nouvel opus de la série qui porterait atteinte à la trilogie. L’entreprise estime avoir une obligation de protéger  ses « copyright et les intérêts de [sa] marque ». Autrement dit, ils veulent se protéger… des ayants droit, c’est-à-dire de la famille Puzo. Un procès entre les deux parties a démarré en 2008. Elles étaient ensuite parvenues à un accord à l’amiable l’année suivante. Mais l’affaire s’est envenimée en ce début d’année 2012, les ayants droit exigent 10 millions de dollars et souhaitent mettre un terme au contrat qui les lie à la Paramount.

Paramount Pictures par pxl:pshr CC-BY-NC-SA Flickr

Dans le Milieu, cela se serait réglé plus rapidement…

  »I’m gonna make an offer He can’t refuse »…

Big Brother :

Un pas vient d’être franchi par Apple et Microsoft. La firme de Cupertino vient d’obtenir un brevet déposé en 2008 rendant possible la désactivation à distance de certaines fonctionnalités des téléphones.  Comme le rappelle Numerama, Microsoft avait déjà obtenu un brevet du même type en 2008. Curieusement personne ne crie à la violation de brevet.

MG_5371 par Cyril Cavalié CC-BY-NC-ND Flickr

Autrement dit, les autorités publiques (ou peut-être même des entreprises privées) pourront délibérément nous empêcher d’utiliser nos appareils. Cela constitue un danger pour les libertés individuelles et la copie privée. Imaginez-vous dans un musée, vous souhaitez photographier un tableau avec votre propre appareil ou encore vous faire une Copy Party en bibliothèque ! Eh bien si les brevets d’Apple et de Microsoft sont effectifs, vous risqueriez de voir votre téléphone hors d’état de fonctionner. Pourtant, le Code de la Propriété Intellectuelle autorise à réaliser des copies privées (CPI, art. L122-5.).

 Mais cette affaire aux allures de science-fiction peut représenter également un danger pour les libertés politiques collectives. Cela ne serait pas la première fois que les technologies font l’objet d’une censure . Mais le danger vient du fait que la frontière entre l’Etat et des entreprises privées est ténue. Les pouvoirs régaliens risquent de glisser peu à peu dans les mains d’acteurs privés. Cela a un arrière goût de cyberpunk.

Big Brother is watching you! par Akber Sim CC-BY-NC-ND Flickr


Classé dans:CopyrightMadness : les délires du copyright

Les Copyright Madness de la semaine : les dérives ne prennent pas de vacances

dimanche 26 août 2012 à 15:00

Pour cette semaine, ce n’est pas Calimaq qui est parti à la chasse du Copyright Madness mais  Thomas Fourmeux aka Biblio-veilleur. Une fois de plus, la pêche a été bonne !

Retrouvez Thomas sur Twitter : @fourmeux

Participez à l’aventure collective [Bibliotourisme] : le tour du monde des bibliothèques.

 Prendre son mal en patience :

Si vous pensiez que les JO et son lot de Copyright Madness étaient terminés, vous vous trompiez ! Le CIO a encore frappé… Mickael Phelps, 6 fois médaillé, risque de se voir retirer ses titres.

 

Médailles à la poubelle – Biblioveilleur

Il n’est pourtant pas suspecté de dopage ou d’une quelconque affaire de fraude. Le super nageur a commis l’erreur de se faire prendre en photo portant des vêtements Louis Vuitton. La marque de luxe ne fait pas partie des sponsors officiels du CIO. On se souvient du régime drastique auquel ont été soumis les athlètes en ce qui concerne les sponsors.

On mesure particulièrement le degré de folie du Comité quand on analyse cette histoire à l’aide d’un… calendrier.

Le risque pris par notre malheureux champion ne serait pas arrivé s’il avait attendu quelques jours! En effet, les athlètes étaient liés au CIO et aux sponsors officiels jusqu’au 15 août. Autrement dit, ils ne pouvaient pas faire les panneaux publicitaires pour d’autres marques jusqu’à cette date. Le délit a été commis le 13 (en fait il s’agit de la date de publication des clichés sur les réseaux sociaux). Or, la cérémonie de clôture des Jeux étaient programmés le 12 août ! Les sportifs étaient donc liés contractuellement au CIO alors que les JO étaient terminés.  Pourquoi continuer à soumettre les athlètes à ces conditions aberrantes au-delà des Jeux ?

Une manchette contre les moteurs de recherche :

Ce sont les éditeurs de journaux allemands qui sont à l’origine de ce Copyright Madness. Après plusieurs vaines tentatives, un nouveau projet de loi allemand vise à faire payer les moteurs de recherche qui reproduisent les titres et les résumés des articles. En effet, les éditeurs considèrent cela comme une violation du droit d’auteur.

Péage, Nice. Par Fraise. CC-BY-NC-ND. Flickr

 Dans les faits, les éditeurs souhaitent que les moteurs de recherche obtiennent d’une licence afin de pouvoir relier les internautes à l’information. Cette affaire rappelle étrangement celle de Google News contre Copiepresse. Il s’agit d’une association d’éditeurs de presse qui accusait la firme de Mountain View de violation du droit d’auteur.

Aujourd’hui comme hier, Google se défend en disant que ce n’est pas illégal et que cela encourage les internautes à lire la suite des articles sur les sites des éditeurs. Le moteur avance un argument, un peu facile mais qui est juste, à savoir que les sites ont la possibilité d’empêcher l’indexation par la présence d’un fichier robots.txt.

A travers cet épisode teinté d’opposition aux firmes américaines, les éditeurs allemands remettent en cause le droit de citation. Google n’incite pourtant pas l’internaute à acheter l’article ou ne cherche pas à réaliser une plus-value sur le travail de l’auteur.

Télécharger et partager, tu t’interdiras :

Un américain, Joël Tenenbaum, est condamné à verser une amende de 675 000 $ pour avoir télécharger 30 chansons. Si mes calculs sont exacts, la chanson revient à 22 500 $ (je vous passe la conversion en euros à laquelle il faut rajouter une dévaluation de la monnaie de la zone euro liée à la crise de la dette…). A 22 500 $ le titre, j’espère qu’il y avait un disque d’or dans le lot…

Dollars. Par 401(K) 2012. CC-BY-SA. Flickr

Blague à part, cette condamnation est assez révoltante. Le RIAA (l’association qui défend les intérêts des maisons de disques aux Etats-Unis) est en train de faire de Joël Tenenbaum un symbole de l’absurdité de la chasse au téléchargement illégal. Cette affaire acquiert de plus en plus un caractère politique. Les SPRD et les politiques ne veulent pas reconnaitre le partage non marchand des œuvres sur internet. Ils préfèrent considérer chaque internaute comme un délinquant potentiel qui agirait pour le compte d’organisations alimentant une économie parallèle.

Et puis, on a vraiment le sentiment que le RIAA ne lâchera RIEN parce qu’il est dans une situation financière délicate. Il perd de l’argent depuis deux ans. Les frais de justice occasionnés par les procès contre le téléchargement illégal lui coûtent beaucoup d’argent… En parallèle,  heureusement qu’il existe des artistes comme Gotye qui remercient leurs fans ou Radiohead qui a déjà pris partie pour un internaute accusé de téléchargement illégal !

Les bibliothèques sont des vaches à lait :

Le prêt de livres en bibliothèques ne  permettrait pas de rémunérer suffisamment les auteurs selon des sociétés de perception belges. Elles veulent changer les montants des cotisations annuelles forfaitaires. Pour se faire, elles se cachent derrière un arrêt de la Cour de justice européenne.

Actuellement, les bibliothèques doivent payer 1 euro par adulte et 50 centimes par mineur au titre du droit de prêt.

 

Euro, par mammal. CC-BY-NC-SA. Flickr

Les SPD considèrent donc que ce n’est pas assez. Le droit de prêt en bibliothèque lèse les auteurs, on le sait tous. Les bibliothèques vampirisent les ventes et tutti quanti

Le nouveau texte vise donc à augmenter le montant à payer par usager. (Pour l’heure, nous ne savons pas définitivement si ce sont les bibliothèques ou les usagers qui paieront l’addition). Malheureusement, la folie ne s’arrête pas là. En effet, la révision de l’arrêt royal de 2004 introduit l’obligation de rémunérer les auteurs en fonction  du nombre de livres  proposés et du nombre de prêt réalisé. Et ce coup de massue qui s’abat sur les bibliothèques pourrait être rétroactif et remonter jusqu’à 2004 voire plus. Dans un contexte de crise économique et de réduction budgétaire, l’avenir de certaines bibliothèques pourrait être menacé. Ils ont beau jeu, après ça, de parler d’égalité et de la culture pour tous !

 

Ruines d’un édifice religieux près de Coblence (Rhénanie-Palatinat). Trutat Eugène. Domaine public. Flickr.

S’approprier un mot du langage commun:

Décidemment, les athlètes sont des adeptes du Copyright Madness ! Le nageur Ryan Lochte s’est fait connaitre pour ses performances aquatiques mais aussi par l’utilisation du mot « Jeah ».

Lochte a déposé le terme et veut même vendre des objets estampillés « Jeah ». Mais ce n’est pas pour plaire à celui qui prétend être à l’origine de ce mot et qui se sent spolier.

 

Jeah par Dreamsjung. CC-BY-SA. Flickr

Le terme serait issu du mot « Cheah » dont la paternité serait attribuée au rappeur Young Jeezy. Mais peut-on parler de violation du droit d’auteur si le rappeur n’a pas déposé un terme générique en tant que marque ? Plus encore, et c’est le fond de la question, Ryan Lochte peut-il déposer le terme « Jeah ». En France, il n’est pas permis de déposer un terme générique, à quelques exceptions près. En effet, on ne peut s’approprier un terme du langage courant car il appartient au domaine public et doit être accessible à tous. Mais « Jeah » rentre-il dans la catégorie du langage commun ?! A quand le dépôt de « saperlipopette » ?

 Le stade suprême du DRM sur DVD :

Imaginez-vous que vous venez d’acheter la dernière saison de votre série préférée. Vous êtes installé confortablement sur votre canapé. Vous vous apprêtez à regarder les épisodes. Vous avez préparé le popcorn.

 

DVD, par Samantha Celera. CC-BY-ND. Flickr

Vous insérez la galette dans votre lecteur DVD Blu-Ray et évidemment vous êtes impatient. Le DVD charge et vous découvrez… des pubs contre le piratage, pour une chaîne de TV et un spoil du dernier épisode de la saison dont vous venez de faire l’acquisition !

Il semble qu’on atteint la lie du Copyright Madness. La victime qui raconte cette anecdote a tout de même payé pour obtenir la série. D’une part, on tente de l’impressionner en lui disant que le piratage c’est mal alors qu’il a acquis légalement son bien. D’autre part, il est sanctionné pour une pratique dont il n’est pas adepte. Imaginez un peu si à la caisse d’une librairie ou à la banque de prêt d’une bibliothèque, le personnel vous dévoilait la chute d’un livre…

 

 


Classé dans:CopyrightMadness : les délires du copyright, Uncategorized Tagged: Belgique, Bibliothèques, DRM, droit de prêt, droit des marques, Google, Jeux Olympiques, JO, moteur de recherche, piratage, presse

Libérer ses photos sur Instagram en les plaçant sous licence Creative Commons. Vraiment ?

samedi 25 août 2012 à 10:11

Comme le signalait Numerama hier, une solution vient d’être mise en place pour permettre aux utilisateurs du service de partage de photographie Instagram de placer leurs clichés sous licence Creative Commons, alors que la plateforme ne permet pas nativement cette possibilité.

Sachant que ce sont 5 millions de photos qui sont envoyées quotidiennement sur Instagram, cette annonce constitue à n’en pas douter une bonne nouvelle, car ce dispositif permettra le développement de contenus sous licence de libre diffusion. Des tiers pourront ainsi venir puiser dans ces contenus, à condition d’en respecter la licence.

Jusqu’à présent, les photos étaient “enfermées” juridiquement dans Instagram, mais l’application i-am-cc.org va peut-être permettre de les libérer (#bars #jail. Par Eric_Dorsey. CC-BY-NC-ND)

Néanmoins, il convient de bien dissocier deux choses différentes : l’effet de la licence Creative Commons sur les réutilisateurs potentiels et celui de la licence sur la plateforme Instagram elle-même. Dans le premier cas, les Creative Commons joueront un rôle bénéfique de libération des contenus, mais dans le second, j’ai bien peur qu’ils n’aient tout simplement pas d’effet, dans la mesure où ils ne permettront pas de contrecarrer l’effet appropriateur des Conditions Générales d’Utilisation (CGU) de la plateforme.

Démonstration…

Fini de ruser pour placer ses photos Instagram sous licence Creative Commons !

Plusieurs grandes plateformes de médias sociaux offraient déjà la possibilité à leurs utilisateurs de placer leurs contenus sous licence Creative Commons. C’est le cas par exemple de Flickr, qui compte à ce jour plus de 235 millions de photographies mises en partage. Youtube, suivant l’exemple de son concurrent Viméo, avait ouvert cette même possibilité en juin 2011. Un an plus tard, cette décision a rencontré un véritable succès, puisqu’on annonçait récemment que plus de 4 millions de fichiers avaient été placés sous licence Creative Commons par des utilisateurs de Youtube.

Jusqu’à présent cette possibilité n’était pas ouverte sur Instagram, la plateforme n’offrant techniquement aucun système pour adopter une licence. Or dans ce cas, en vertu des règles instaurées par la convention de Berne et reprises partout dans le monde (dont en France), c’est le droit d’auteur classique (Copyright. Tous droits réservés), qui s’applique automatiquement.

Ce choix d’Instagram (qui montre bien, comme le dit Lawrence Lessig, que sur Internet Code is law) est contestable, car il “écrase” la volonté de ses utilisateurs qui voudraient mettre en partage leurs photographies. A titre personnel, j’avais choisi de ruser en ajoutant sous chacun de mes clichés un commentaire indiquant “Moi Calimaq, je place cette oeuvre sous licence Creative Commons BY“. Cette solution était fastidieuse et un peu fragile juridiquement, sans doute, mais c’était un moyen de contourner l’embargo imposé ipso facto par Instagram.

D’autres utilisateurs ont choisi de ruser autrement. Ils sont nombreux en effet, comme vous pouvez le constater ici, à avoir synchronisé leur compte Instagram avec celui dont il dispose sur Flickr (on peut le faire très simplement avec un service comme IFTTT, à l’aide de cette “recette“). Les photos ne sont pas libérées dans Instagram, mais il y a au moins ainsi un endroit sur le web où elles peuvent l’être.

Forcer la main à Instagram pour lui faire adopter les Creative Commons

Ce qui est intéressant avec le système signalé par Numerama, c’est qu’il ne s’agit pas comme pour Flickr ou Youtube d’une fonctionnalité ouverte par la plateforme. Instagram ne permet toujours pas d’opter pour les licences Creative Commons.

Il s’agit en réalité d’une application tierce, appelée I am Creative Commons, ouverte par des militants de la Culture libre, qui utilise l’API d’Instagram pour permettre de placer ses photos sous licence Creative Commons.

Le procédé est ingénieux et voici comment ses développeurs expliquent leur intention  (je traduis) :

Manifeste

Flickr contient quelque chose comme 200 millions d’images sous Creative Commons, ce qui en fait le plus grand entrepôt de d’oeuvres sous CC dans le monde. Ces oeuvres partagées en CC sont régulièrement utilisées sur Wikipédia, par des magazines, dans des ouvrages, par des bloggeurs, tout le monde ! C’est vraiment fantastique !

Instagram reçoit chaque jour plus de 5 millions de photos. Si seulement nous pouvons faire en sorte qu’une petite fraction des utilisateurs adoptent les Creative Commons pour leurs photos, cela pourrait avoir un fort impact sur le mouvement de la Culture libre.

A vrai dire, ce n’est pas la première fois qu’une application extérieure à une plateforme est développée pour permettre à des utilisateurs d’employer les Creative Commons. On pouvait par exemple déjà citer l’exemple pour Twitter de TweetCC, qui offrait la possibilité de signaler que l’on adoptait une licence Creative Commons pour ses tweets.

Quelle portée des licences Creative Commons sur Instagram lui-même ? 

Il est clair que la solution proposée par I am Creative Commons est intéressante et je me suis fait une joie de placer par son biais mes photographies sous licence CC-BY. Je vous invite d’ailleurs grandement à le faire, si vous souhaitez que vos images puissent être réutilisées.

Mais outre vous et les réutilisateurs potentiels, il y a un autre acteur dans l’équation qu’il ne faut pas négliger : Instagram lui-même. Les médias sociaux entretiennent en effet avec leurs utilisateurs des rapports juridiques complexes, sur la base de leurs Conditions Générales d’Utilisation (CGU). Ces dernières, qui sont des contrats que nous acceptons lors de notre inscription à la plateforme emporte généralement comme conséquence d’octroyer des droits d’utilisations très larges à ces sites sur les contenus produits par leurs utilisateurs. J’ai déjà eu à de nombreuses reprises l’occasion sur S.I.Lex d’étudier et de dénoncer parfois la “magie noire” de ces CGU.

Dans un billet précédent, j’avais essayé d’expliquer exactement comment procédaient les CGU pour se faire concéder des droits :

Les CGU des médias sociaux aboutissent à ce paradoxe que les mêmes contenus semblent faire l’objet de deux droits de propriété superposés : celui de l’utilisateur et celui de la plateforme. C’est assez troublant à première vue, car nous sommes habitués à penser le droit d’auteur à partir du paradigme de l’univers physique et il est assez rare que ce qui nous appartient appartienne aussi à notre voisin ! Mais avec les biens immatériels, la propriété peut se démembrer à l’infini, par le biais du mécanisme particulier des cessions non exclusives. [...] Avec les CGU des plateformes, les droits ne sont pas transférés, mais en quelque sorte “répliqués” : l’utilisateur conserve les droits patrimoniaux attachés aux contenus qu’il a produit, mais la plateforme dispose de droits identiques sur les mêmes objets.

Plus tard, j’ai complété l’analyse de ces mécanismes contractuels en indiquant que les mentions légales des médias sociaux créaient une sorte de “propriété-fantôme” ou de “propriété-parallèle” sur les contenus de leurs usagers.

Avec les Creative Commons sur Instagram, que va-t-il se passer ? Comme j’avais déjà eu l’occasion de l’étudier, les CGU de ce service comportent des clauses relatives à la propriété des contenus qui provoquent l’octroi d’une licence très large au bénéfice de la firme :

By displaying or publishing (“posting”) any Content on or through the Instagram Services, you hereby grant to Instagram a non-exclusive, fully paid and royalty-free, worldwide, limited license to use, modify, delete from, add to, publicly perform, publicly display, reproduce and translate such Content, including without limitation distributing part or all of the Site in any media formats through any media channels, except Content not shared publicly (“private”) will not be distributed outside the Instagram Services.

Cette licence s’active automatiquement lorsque l’on partage des photographiques en utilisant la plateforme et on accepte les CGU en s’inscrivant au service.

A mon sens, en utilisant I-am-cc.org pour mettre ses photos sous licence Creative Commons, on produit un effet sur les tiers qui voudraient réutiliser les photographies. Mais   je ne vois pas comment la licence Creative Commons pourrait prendre le pas sur les CGU d’Instagram et s’imposer à lui. Par exemple, en choisissant une licence comportant une clause NC, on interdit normalement les réutilisations à des fins commerciales. Mais la licence octroyée par le biais des CGU du service n’empêche pas Instagram d’exploiter les contenus commercialement, bien au contraire ! Rappelons-nous que le service vient d’être racheté pour un milliard de dollars par Facebook !

Deux régimes parallèles de propriété vont en fait co-exister pour les mêmes contenus : une mise en partage par le biais de la licence Creative Commons vis-à-vis des tiers et une relation déséquilibrée encadrée par les CGU du site entre l’usager et Instagram, qui aboutit à une appropriation des contenus à son profit.

A vrai dire, le même problème se produisait déjà sur Flickr ou YouTube. Ces services ont eu aussi des CGU qui fonctionnent de manière similaires à celles d’Instagram et entraînent l’octroi de droits d’usages étendus pour ces plateformes. Les Creative Commons, dans ce cas également également, jouent vis-à-vis des tiers uniquement.

C’est la raison pour laquelle je pense qu’un outil comme i-am-cc.org est intéressant pour favoriser la réutilisation, mais il ne résout pas un des problèmes les plus importants des médias sociaux aujourd’hui, à savoir le respect des droits des usagers qui produisent les contenus.

Les licences libres pour éviter que les médias nous consomment ? Pas suffisant !

Dans cette conférence éblouissante prononcée par le juriste Eben Moglen en mars dernier à Berlin, il nous met en garde contre le danger qu’après avoir été des consommateurs de médias, l’évolution du web ne conduise à ce que nous nous fassions consommer par les médias à présent, avec des conséquences importantes pour nos libertés.

C’est une question fondamentale et l’échec relatif de i-am-cc.org doit nous inciter à interroger la capacité des licences libres à protéger les droits des utilisateurs. Car comme je l’ai déjà indiqué également dans des billets précédents, les licences libres, contrairement à la caricature que l’on en fait trop souvent, peuvent constituer des moyens de protection, en empêchant la réappropriation des contenus. L’exemple emblématique en la matière est celui de Wikipédia, dont la licence Creative Commons BY-SA, autorise la réutilisation largement, y compris à des fins commerciales, tout en empêchant la réappropriation exclusive des contenus produits par les internautes pour alimenter l’encyclopédie.

Mais il y a une différence sensible entre Wikipédia ou Wikimedia Commons et i-am-cc.org. En partageant une photographie sur Wikimedia Commons par exemple, on n’est pas contraint d’accepter des CGU emportant un effet appropriatif. La plateforme joue un rôle neutre d’hébergeur et la licence Creative Commons s’applique uniformément à tous les utilisateurs et réutilisateurs. C’est ce qui a permis à Wikipédia et Wikimedia Commons de se constituer en véritables biens communs informationnels.

Pour échapper à l’appétit féroce des médias sociaux, le recours aux licences libres n’est pas suffisant et il faut déployer des stratégies plus complexes. L’application Privly par exemple offre la possibilité d’utiliser les services web, sans leur confier à proprement parler nos contenus (voir ci-dessous).

De telles formules techniques ouvrent des pistes pour apporter des solutions à la question majeure de la maîtrise de leurs contenus par les internautes.


Classé dans:Quel Droit pour le Web 2.0 ? Tagged: Creative Commons, Facebook, Instagram, médias sociaux, photographies, propriété, wikipédia