PROJET AUTOBLOG


S.I.Lex

Site original : S.I.Lex

⇐ retour index

Un rapport de l’ONU pour repenser les liens entre droit d’auteur et droits de l’Homme

samedi 21 février 2015 à 14:34

Cette semaine, Farida Shaheed, sociologue pakistanaise et rapporteure spéciale à l’ONU pour les droits culturels, a remis un rapport au Conseil des Droits de l’Homme de l’organisation, intitulé « Politiques en matière de droit d’auteur et de droit à la science et à la culture« . Ce texte (disponible en français) est particulièrement intéressant par la manière dont il invite à repenser le lien entre le droit d’auteur et les droits de l’Homme. Il revêt même à mon sens une singulière importance, à un moment où un débat très vif a lieu au niveau du Parlement européen autour du rapport de l’eurodéputé Julia Reda sur la question du rééquilibrage du droit d’auteur.

Image par mpd01605. CC-BY-SA. Source : Wikimedia Commons

J’ai déjà écrit plusieurs fois sur ce blog pour interroger les liens entre le droit d’auteur et les droits de l’Homme (ici ou , par exemple), mais le rapport de Farida Shaheed constitue l’un des textes les plus remarquables qu’il m’ait été donné de lire en faveur de la consécration de droits culturels positifs au profit des individus. Il a de plus l’immense mérite de ne pas opposer les auteurs d’un côté et le public de l’autre, mais de démontrer qu’il est possible d’arriver à une synthèse vertueuse entre « la protection des intérêts moraux et matériels des auteurs » et le « droit du public de bénéficier de la créativité scientifique et culturelle« .

Une telle approche mérite d’être connue et diffusée largement, surtout en France, où les conceptions autour du droit d’auteur tendent de plus en plus à perdre de vue cet impératif majeur d’équilibre.

Quels rapports entre droit d’auteur, droit à la culture et droits de l’Homme ?

Le rapport commence par rappeler qu’en même temps que le droit d’auteur, les grands textes internationaux relatifs aux droits de l’Homme consacrent un droit à la culture et à la science. C’est le cas notamment de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, qui à son article 27, prévoit concomitamment le droit de toute personne :

1) « de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent » ;

2) « à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur ».

A partir de ce constat, le rapport prend par contre très rapidement ses distances par rapport au concept de « propriété intellectuelle« , même si celui-ci est reconnu au niveau international. Farida Shaheed introduit notamment une réserve quant à l’affirmation selon laquelle les droits de propriété intellectuelle seraient des droits de l’Homme, rappelant que seulement certaines des composantes de ce qui a été absorbé au fil du temps au sein du conglomérat « propriété intellectuelle » méritent cette dignité :

On affirme parfois que les droits de propriété intellectuelle sont des droits de l’homme […] Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a souligné que cette affirmation est fausse et induit en erreur. Certains éléments de la protection de la propriété intellectuelle sont effectivement nécessaires – ou, du moins, fortement encouragés – […] D’autres éléments de la législation contemporaine en matière de propriété intellectuelle vont au-delà de ce que le droit à la protection de la paternité de l’oeuvre exige, et peuvent même être incompatibles avec le droit à la science et à la culture.

Farida Shaheed pointe ici à juste titre les tensions qui naissent en termes de droits fondamentaux lorsque l’on appréhende la culture et la connaissance à travers le prisme de la propriété. Elle rappelle par exemple à propos de la production du savoir scientifique que les États « devraient s’abstenir de promouvoir la privatisation de la connaissance à un point qui prive les individus de participer à la vie culturelle et de bénéficier des fruits du progrès de la science« .

Distinguer les droits des auteurs de ceux des intermédiaires

Plus loin, elle rappelle également qu’une distinction très nette doit être faite entre la reconnaissance du droit d’auteur comme un droit de l’homme au bénéfice des individus et des droits dont peuvent bénéficier des intermédiaires comme les sociétés de gestion collective (type SACEM, SACD, etc.) ou les entités commerciales telles que les éditeurs ou les producteurs :

Une distinction importante doit être faite entre les auteurs humains et les sociétés titulaires de droits […] Leurs intérêts économiques ne sont pas couverts par le champ d’application des droits de l’homme. De ce point de vue, les politiques relatives au droit d’auteur et les pratiques des sociétés dans ce domaine doivent être jugées à la manière dont elles servent les intérêts des auteurs, et à l’aune de l’intérêt suscité chez le public pour participer à la vie culturelle.

Les sociétés titulaires de droits, disposant d’énormes ressources financières et de savoir-faire professionnel, sont généralement mieux placées pour influer sur l’élaboration de politiques dans le domaine des droits d’auteur, et peuvent même prétendre parler au nom des auteurs dans les débats en la matière. Malheureusement, les intérêts matériels des sociétés titulaires de droits ne correspondent pas toujours à ceux des auteurs.

Le rapport poursuit en rappelant l’importance de protéger les intérêts des auteurs dans leurs rapports avec ces intermédiaires, notamment pour leur permettre de conserver leur droit moral et pour éviter que « les entreprises tirent parti de leur position de force pour accaparer la plus grande part des profits générés par l’exploitation« .

4879506713_82436c84d4_z

Par Christopher Dombres. CC-BY-. Source : Flickr

Ces précisions sont particulièrement salutaires à rappeler. Elles ont le mérite de nous dire que oui, le droit d’auteur est bien un droit de l’Homme – et il est essentiel que ce soit le cas –  mais à condition de le comprendre comme la protection d' »intérêts moraux et matériels » appartenant des auteurs personnes physiques et de reconnaître un droit à la culture et à la science revêtu d’une égale dignité (dont les créateurs sont aussi les bénéficiaires, comme  le public).

Renforcer ou rééquilibrer la propriété intellectuelle pour le bénéfice des auteurs ?

Le rapport poursuit en critiquant l’idée selon laquelle le renforcement de la « propriété intellectuelle », constamment demandé par les sociétés de gestion de droits appuyées par les gouvernements, est forcément bénéfique aux auteurs :

La conception d’une loi sur la propriété intellectuelle visant à promouvoir les intérêts matériels des auteurs doit être nuancée. Le « renforcement » de la protection des droits d’auteur ne fera pas nécessairement progresser les intérêts matériels des créateurs. Les exceptions et les limitations contribuent souvent à promouvoir ces intérêts en offrant des possibilités de revenus grâce aux licences légales ou la possibilité de s’appuyer en partie sur le travail d’autres artistes pour réaliser une nouvelle œuvre ou une nouvelle interprétation. Il est essentiel de trouver un juste équilibre car les règles relatives au droit d’auteur représentent à la fois une aide et une contrainte.

Le rapport rappelle aussi très utilement que la protection des « intérêts matériels des auteurs » passe en réalité par un ensemble de facteurs bien plus larges que les seuls revenus tirés du droit d’auteur. Les politiques publiques doivent aussi agir sur d’autres leviers tout aussi importants pour garantir aux créateurs la possibilité de produire des œuvres dans de bonnes conditions :

Les sources de revenus des artistes peuvent être étoffés, par exemple par l’instauration d’un salaire minimum, par le renforcement de leur pouvoir de négociation collective, la mise en place de garanties en matière de sécurité sociale, un soutien budgétaire pour les arts et l’adoption de mesures concernant l’éducation artistique, les achats des bibliothèques et les politiques d’immigration et de visa, et des mesures visant à promouvoir le tourisme culturel. Il convient de considérer les législations sur le droit d’auteur comme entrant dans un ensemble plus vaste de politiques destinées à promouvoir la culture et le droit à la science et à la culture.

Sur la base de ce raisonnement, Farida Shaheed estime que l’urgence réside aujourd’hui dans la « promotion de la participation à la vie culturelle » du plus grand nombre, par le biais des « exceptions et limitations« .

Mimi and Eunice. Par Nina Paley. Copyheart. Please Copy and Share.

Promouvoir la participation active à la vie culturelle et scientifique grâce aux exceptions

C’est là où l’on rentre dans la partie des préconisations concrètes du rapport et il est frappant de voir combien ces dernières sont proches de celles émises par Julia Reda dans le sien. Farida Shaheed commence par désamorcer l’idée selon laquelle les exceptions seraient en contradiction avec les intérêts des auteurs. Elle rappelle notamment que des exceptions comme la citation ou la parodie sont indispensables pour « promouvoir une créativité nouvelle« , en appelant à ce que les législations reconnaissent les pratiques « d’appropriation » et la possibilité de « s’inspirer de façon reconnue d’oeuvres artistiques existantes de façon à exprimer quelque chose de nouveau et de différent« , ce qui renvoie aux pratiques transformatives (mashup, remix, fanfictions, détournements, etc.).

Le rapport rappelle l’importance des exceptions au droit d’auteur dans des domaines comme l’éducation et la recherche, dans l’accès à la culture pour les handicapés ou pour la préservation du patrimoine à travers l’action des bibliothèques. Mais il constate aussi qu’actuellement au niveau du droit international, c’est surtout la protection de la « propriété intellectuelle » qui fait l’objet de l’action des États (même si l’OMPI a entamé des travaux sur les exceptions). Il appelle donc à rééquilibrer le processus dans le cadre de l’OMPI établissant « une liste de bases d’exceptions et limitations minimales nécessaires« . Fahida Shaheed demande également à ce que les États conservent un système souple qui n’empêche pas l’introduction de nouvelles exceptions et pour cela, elle recommande d’adopter une interprétation ouverte du fameux « test en trois étapes », actuellement utilisé comme un couperet pour verrouiller l’évolution du système.

Concernant le point de savoir si les exceptions et limitations doivent nécessairement faire l’objet d’une compensation financière, le rapport adopte une réponse nuancée. Il reconnaît que dans certaines situations, il est plus opportun pour promouvoir la participation à la vie culturelle d’instaurer des exceptions gratuites. Cette vision est importante, car elle rompt avec l’approche qui tend à considérer tout usage comme un préjudice causé à l’auteur et devant être réparé. Notamment, Fahida Shaheed précise que :

S’il est vrai que le droit à la protection de la paternité de l’oeuvre peut être interprété comme exigeant une rémunération équitable dans tous les cas, dans de nombreux contextes il est important et plus approprié de préserver l’utilisation non rémunérée des oeuvres protégées, notamment dans les pays en développement. On peut citer à titre d’exemple les exceptions prévues pour les bibliothèques gratuites, les représentations théâtrales gratuites dans les établissements scolaires, les activités et initiatives artistiques à but non lucratif destinées à favoriser l’accès des personnes à revenus limités aux oeuvres artistiques.

Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, le rapport insiste sur l’importance des licences libres dans la promotion de la participation à la vie culturelle. Il recommande que les Etats soutiennent la production d’œuvres sous licences libres en les subventionnant par le biais de « l’octroi de bourses pour la production d’oeuvres en accès libre » ou « la production de ressources éducatives ouvertes ». Pour faire progresser le « droit à la science », le rapport pointe la nécessité de développer le Libre Access (Open Accès) aux résultats de la recherche scientifique, en le liant étroitement avec le fait que ces contenus soient placées sous licence libre et rendus ainsi réutilisables le plus largement possible.

Sortir enfin du lavage de cerveaux en matière de droit d’auteur

Ce qui est frappant en lisant ce rapport, c’est de voir à quel point il tranche d’un côté avec le discours dominant en France sur le droit d’auteur, mais combien au contraire, il est proche des recommandations du rapport Reda sur l’évolution de la réglementation en Europe. Les propositions de l’eurodéputée ont suscité un véritable pilonnage en règle, à la fois de la part des représentants des sociétés d’auteurs françaises, mais aussi du gouvernement. On a accusé Julia Reda d’avoir produit un rapport « idéologique » cherchant à « détruire le droit d’auteur » et on a cherché constamment à instrumentaliser son appartenance au Parti Pirate pour la décrédibiliser.

Mais pourtant sur le fond, ce que préconise Julia Reda converge avec les recommandations de Farida Shaheed, rapporteure spéciale auprès du Comité des Droits de l’Homme de l’ONU, qui a consulté plus d’une quarantaine de spécialistes de la question avant de remettre son rapport. Difficile cette fois avec elle d’invoquer une affreuse Pirate, comme Fleur Pellerin s’est elle-même permise de le faire, à propos de Julia Reda ! La question du rééquilibrage du système, notamment par la consécration de droits culturels positifs au profit des individus est un sujet central et seuls les tenants d’un maximalisme insupportable de la propriété intellectuelle cherchent à étouffer ce débat.

La manière dont Farida Shaheed propose une relecture du droit d’auteur à travers le prisme des droits de l’Homme permet de se rendre compte à quel point nous subissons en France un véritable lavage de cerveaux sur ce sujet. Le discours maximaliste, martelé par les sociétés de gestion collective, a été entièrement repris par le gouvernement, comme il l’a montré dans sa propre réaction au rapport Reda. Il est aussi alimenté par tout un ensemble de professeurs de droit et de juristes, qui ont objectivement intérêt à la fermeture du système. Mais plus grave encore, ce discours est aussi intériorisé par la plupart des représentants des auteurs. On peut le voir cette semaine encore, avec la publication par le SELF (Syndicat des Auteurs de Langue Française) d’une lettre à Julia Reda dans laquelle le principe même des exceptions au droit d’auteur (y compris pédagogique) est remis en question, tout comme l’existence du domaine public !

S’opposant au rapport de Julia Reda, on trouve aussi au niveau européen quelqu’un comme l’eurodéputé français Jean-Marie Cavada, dont les positions reviennent grosso-modo à superposer constamment les intérêts des industries culturelles et des intermédiaires avec ceux des auteurs. Quel contraste là-aussi avec le rapport de Farida Shaheem qui nous invite au contraire à bien faire la distinction entre ce qui relève des droits de l’homme des créateurs et les intérêts de ces entités commerciales !

***

Évidemment, un rapport remis à l’ONU n’a en lui-même aucune force contraignante et les recommandations de Farida Shaheed ne suffiront pas à elles seules à renverser la balance des rapports de force. Mais il n’en demeure pas moins essentiel que de telles positions puissent s’exprimer, sachant par ailleurs qu’au niveau international, des forces contraires luttent sur la question du droit d’auteur. L’OMPI a engagé des travaux importants autour des exceptions au droit d’auteur, mais dans le même temps des accords internationaux comme (feu) l’ACTA, le TAFTA ou encore le TPP s’efforcent de verrouiller le système en imposant une vision maximaliste.

C’est au niveau du débat d’idées qu’un rapport comme celui de Farida Shaheed peut jouer un rôle important, en montrant qu’il existe une autre façon de penser les relations entre le droit d’auteur et les droits de l’Homme, par rapport à la pensée unique que l’on nous sert constamment sur le sujet. Il appartient à présent à chacun de nous de faire connaître ces idées et de les faire vivre dans le débat public !


Classé dans:Libertés numériques & Droits fondamentaux, Penser le droit d'auteur autrement ... Tagged: auteurs, droit d'auteur, droits de l'Homme, Julia Reda, ONU

Numérisation en bibliothèque : quelles marges de manoeuvre aux États-Unis et en France ?

mercredi 18 février 2015 à 11:11

Cette semaine a été définitivement adoptée une loi « modifiant la propriété littéraire et artistique » qui contient notamment des dispositions importantes à propos des oeuvres orphelines introduites dans le droit français pour transposer une directive européenne de 2012. Même si de sérieuses restrictions ont été fixées par le texte, les bibliothèques, musées et archives en France vont se voir ouvrir de nouvelles possibilités – attendues depuis longtemps – de numériser et mettre en ligne des œuvres orphelines. L’adoption de cette loi constitue un jalon important et il est intéressant à ce stade d’essayer de dresser un parallèle entre deux pays comme la France et les États-Unis pour évaluer les marges de manœuvre laissées aux bibliothèques afin de numériser les segments de leurs collections couverts par le droit d’auteur.

Interlock MCLS Digitization Tour

Image par Brian Boucheron. CC-BY. Source : Flickr.

Côté français, l’adoption de cette loi sur les œuvres orphelines intervient en effet après une décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne rendue en septembre 2014, qui a clarifié les limites de l’exception « Bibliothèques » figurant dans la directive de 2001. Du côté des États-Unis, des événements importants ont également eu lieu récemment, avec notamment début janvier un tournant lors d’un procès décisif opposant le consortium de bibliothèques HathiTrust et la Guilde des Auteurs (Author’s Guild) à propos de l’utilisation du fair use (usage équitable) dans le cadre de la numérisation. Les auteurs ont finalement choisi de jeter l’éponge dans cette affaire et l’issue de ce procès, qui confirme certains aspects de la décision Google Books de 2013, s’ajoute à une série de décisions plutôt favorables aux bibliothèques rendues aux Etats-Unis en 2014.

Depuis plus de 10 ans à présent, avec le lancement du projet Google Books et ses nombreux rebondissements, la numérisation de masse en bibliothèque aura fait couler beaucoup d’encre, en soulevant des enjeux comme celui des exceptions au droit d’auteur, des oeuvres orphelines, des œuvres épuisées ou plus récemment du Text et Data Mining. Au terme de plusieurs décisions de justice et adaptations législatives, où en est-on à présent aujourd’hui ? Les possibilités de numérisation et de diffusion de leurs collections par les bibliothèques sont-elles plus larges en Europe ou aux États-Unis ?

Vous allez voir que la réponse à cette question n’est pas simple à apporter, la situation étant encore relativement contrastée : de part et d’autre de l’Atlantique, des marges de manœuvre non négligeables ont été consacrées au bénéfice des bibliothèques, mais des blocages subsistent également, qui ne sont pas exactement les mêmes. Je vais tenter de synthétiser les différents facettes du sujet, en passant successivement en revue la question de la numérisation pour conservation, de la diffusion des copies numériques, du Text et Data Mining, de la numérisation des oeuvres orphelines et enfin de celles des oeuvres épuisées.

Numérisation pour conservation, de larges possibilités consacrées

La décision HathiTrust rendue en appel en juin dernier aux États-Unis a consacré une large possibilité pour les bibliothèques américaines de numériser leurs collections dans l’intention d’assurer la préservation numérique des oeuvres. Le juriste Jonathan Band a écrit un article de synthèse (What Does The HathiTrust Decision Mean For Libraries) qui détaille les apports de ce jugement.  Les bibliothèques regroupées dans le consortium HathiTrust étaient à l’origine les partenaires de Google dans le programme Google Books et HathiTrust est un entrepôt numérique commun grâce auquel ces établissements conservent les copies remises par le moteur de recherche à l’issue de la numérisation de leurs collections. Les juges américains ont admis que la numérisation de masse des collections, y compris celles protégées par le copyright, était bien couverte par le fair use (usage équitable), dès lors que « le stockage des copies numériques assure la préservation des oeuvres pour les générations à venir et garantie qu’elles continueront à exister après l’expiration de la durée du droit d’auteur« . Les bibliothèques américaines peuvent donc numériser n’importe quelle oeuvre figurant dans leurs collections à des fins de préservation (mais nous verrons qu’elles restent par contre assez limitées dans la diffusion du résultat).

La situation est relativement identique en Europe et en France, même si le fondement juridique est différent. La Cour de Justice de l’Union Européenne a en effet consacré en septembre dernier la possibilité d’utiliser une exception spécifique, prévue dans la directive européenne de 2001, pour numériser les oeuvres figurant dans leurs collections. Cette faculté est à vrai dire très large, car la Cour admet qu’elle reste ouverte même lorsque les éditeurs de contenus proposent des versions numériques des mêmes oeuvres aux établissements. Cela signifie par exemple que même lorsque des eBooks commerciaux existent, les bibliothèques peuvent produire par elles-mêmes des versions numériques des ouvrages  inclus dans leurs collections. Chaque État a ensuite la faculté de limitér le périmètre de l’exception et en France, elle a été transposée en la restreignant à des copies réalisées « à des fins de à des fins de conservation ou destinée à préserver les conditions de sa consultation sur place« . Néanmoins, tant que les reproductions s’inscrivent bien dans cette finalité de préservation, les possibilités ouvertes sont quasiment aussi larges qu’aux États-Unis et on va voir que les bibliothèques françaises ont même davantage de marge de manœuvre ensuite pour la diffusion.

Diffusion des copies numériques, un avantage certain à la France

Aux États-Unis, le procès HathiTrust a essentiellement consacré deux types d’usages des copies numériques sur la base du fair use. D’une part, les juges ont admis que les reproductions puissent être diffusées dans leur intégralité à des publics handicapés. D’autre part, le texte numérisé peut être indexé pour proposer une fonctionnalité de recherche en plein texte dans les ouvrages, indiquant en fonction d’une requête la présence de termes recherchés dans un livre et leur localisation. La Cour d’appel a en effet considéré que cette usage était « transformatif » et que dans la logique du fair use, il ne fait pas de concurrence aux titulaires de droits. Mais en dehors de cela, les bibliothèques américaines ne peuvent pas faire grand chose d’autres des oeuvres protégées qu’elles numérisent ou du moins, elles sont pas assurées d’être dans la légalité si elles vont au-delà. Jonathan Band estime qu’elles pourraient sans doute aussi montrer de courts extraits (snippets), en se basant sur les conclusions de la justice dans l’affaire Google Books qui a admis cet usage, mais le juge ne s’est pas explicitement prononcé sur cet aspect dans la décision HathiTrust et cette bibliothèque numérique ne pratique pas l’affichage d’extraits par précaution.

hathitrust

Un exemple de recherche du terme « France » dans un ouvrage protégé figurant dans la bibliothèque numérique HathiTrust, où l’on voit bien l’indication des occurrences repérées, mais pas d’affichage d’extraits.

La situation est différente en Europe et en France où l’exception permet non seulement de numériser des oeuvres dans leur intégralité, mais aussi de les offrir à la consultation « dans les emprises des établissements » (c’est-à-dire sur place) par le biais de « terminaux dédiés« , à des lecteurs venant effectuer des « recherches ou études privées« . Ces éléments ont été explicitement confirmés par la CJUE dans sa décision de septembre, qui a même admis, lorsqu’une exception pour copie privée est prévue dans la législation nationale (comme c’est le cas en France), que les usagers puissent télécharger les oeuvres à partir des terminaux et les emporter sur des clés USB. La limite par contre porte sur la diffusion à distance, qui reste impossible que ce soit sur Internet, mais aussi par le biais de réseaux sécurisés (intranet ou extranet). Cette restriction découle directement d’un considérant (n° 40) de la directive européenne prévoyant que les exceptions établies au bénéfice des bibliothèques ne s’appliquent pas à la « fourniture en ligne d’oeuvres protégées« .

Néanmoins le régime applicable en France ne découple pas complètement la numérisation et la diffusion, même s’il la restreint à de la diffusion sur place (ce qui annule l’essentiel des bénéfices du numérique). Aux États-Unis en revanche, la situation est plus fermée et les bibliothécaires en sont réduits à supputer sur les limites du fair use, à la lumière des décisions récentes. Jonathan Band estime par exemple qu’une marge de manoeuvre existe pour la diffusion sur la base de « l’usage transformatif » consacré par la décision HathiTrust. Il imagine en effet que les bibliothèques pourraient repérer parmi leurs collections physiques les ouvrages à faible rotation, qui ne sont plus qu’exceptionnellement empruntés. Pour ces ouvrages peu utilisés, formant la « longue traîne » des collections, donner accès en version numérique n’aurait pas selon lui un effet de substitution par rapport à la consultation des ouvrages papier. L’usage serait différent, car il concernait des chercheurs intéressés par l’histoire d’une matière et non les lecteurs primaires auxquels ces oeuvres étaient destinées à l’origine. De telles oeuvres pourraient dès lors être diffusées en intégralité aux usagers d’une bibliothèque, à condition de s’assurer que leurs motivations portent bien sur la recherche. Cette interprétation est intéressante, notamment parce qu’elle envisage d’une autre manière la notion « d »oeuvre épuisée » (définie ici non pas par l’indisponibilité commerciale, mais par le faible usage d’une oeuvre constaté par le biais des statistiques de la bibliothèque). Mais elle n’a pas été explicitement consacrée par le juge dans la décision HathiTrust et elle sera sans doute assez difficile à manier en pratique, notamment pour déterminer les frontières de cette « longue traîne des collections ».

Pour donner accès à des oeuvres numérisées, les bibliothécaires américains peuvent aussi d’appuyer sur une autre décision rendue en 2014, qui s’est appuyée sur le fair use. Dans l’affaire Cambridge University vs Patton, l’université de Georgia State s’est vue reconnaître la possibilité de numériser des extraits d’ouvrages pour constituer des réserves électroniques, destinées ensuite à l’enseignement et la recherche. Une telle latitude pourrait être articulée à la numérisation des collections des bibliothèques, mais d’après les commentaires, ce jugement reste délicat à appliquer à large échelle, car les juges ont estimé que le caractère équitable de l’usage doit être apprécié oeuvre par oeuvre, ce qui laisse la porte ouverte à beaucoup d’incertitudes.

Text et Data Mining, le retard se creuse au détriment de la France et de l’Europe

Si donc les bibliothèques françaises ont un avantage en matière de diffusion des oeuvres protégées qu’elles numérisent par rapport aux États-Unis, elles accusent par contre un retard patent dans la possibilité de déployer des technologies de fouille de données (Text et Data Mining) sur les contenus numérisés ou d’offrir à des chercheurs la possibilité de le faire. Tel n’est pas le cas aux USA où la décision Google Books a consacré au contraire que le Text et Data Mining relevait bien des « usages transfomatifs » couverts par le fair use. Étant donné que cette latitude a été reconnu pour l’acteur commercial que constitue Google, on peut en déduire a fortiori que les usages de recherche sont bien compris dans le périmètre de l’usage équitable. Par ailleurs, en insistant sur le fait que la mise en place d’une recherche en plein texte était bien permise pour HathiTrust sur la base également de « l’usage transformatif », les juges américains ont confirmé que le Text et Data Mining disposait à présent d’une base juridique solide aux États-Unis.

Les choses sont bien différentes en France et plus largement en Europe, où le statut du Text et Data Mining n’a pas fait l’examen d’un examen par une juridiction supérieure. Un débat féroce a lieu en ce moment pour savoir si ces opérations d’exploration de données à partir de contenus protégés tombent ou non sous le coup des prérogatives des titulaires de droits. Les bibliothèques européennes de recherche, réunie dans l’association LIBER, viennent de réaffirmer la semaine dernière par le biais de la Déclaration de la Haye que l’exploration de données devait être considérée comme un droit associé au « droit de lire », sur lequel les titulaires de droits ne devraient pas avoir de contrôle, y compris dans le cas où ces opérations sont effectuées dans un cadre commercial.

Cette interprétation est battue en brèche par les grands éditeurs scientifiques qui ont mis en place des systèmes de licences pour affirmer au contraire leur droit à contrôler et à monétiser ces nouveaux usages ouverts par le numérique. Entre les deux, on trouve une approche visant à sécuriser le Text et Data Mining par le biais d’une nouvelle exception au droit d’auteur. C’est la voie choisie par exemple par l’Angleterre, qui a décidé en septembre dernier de modifier sa loi sur le droit d’auteur pour introduire une telle exception, et c’est aussi un des points actuellement en débat au niveau du parlement européen, avec le rapport de l’eurodéputée Julia Reda sur la réforme du droit d’auteur, qui aborde la question du Text et Data Mining.

Oeuvres orphelines, sécurité légale en France contre fair use aux États-Unis

En matière de Text et Data Mining, l’avantage est donc clairement du côté des États-Unis, mais ce n’est pas nécessairement le cas en ce qui concerne la numérisation des oeuvres orphelines. Avec la loi adoptée cette semaine pour transposer la directive de 2012, la France s’est dotée d’un mécanisme qui va permettre aux bibliothèques, musées et archives de numériser des oeuvres orphelines (c’est-à-dire pour lesquelles il est impossible d’identifier ou de contacter le ou les titulaires de droits) et de les mettre en ligne pour consultation. Le dispositif reste cependant relativement complexe et restrictif, puisque les établissements vont devoir conduire des « recherches diligentes », oeuvre par oeuvre, pour établir qu’elles sont bien orphelines. Au cas où des titulaires de droits viendraient à se manifester après la numérisation et la mise en ligne, ils garderaient la possibilité de demander une compensation financière aux établissements, à négocier au cas par cas. Enfin, certaines catégories d’oeuvres, comme les images fixes, restent exclues de ce système et ne pourront pas être numérisées.

orphan

Image par opensource.com. CC-BY-SA. Source : Flickr

Il y a donc des risques non négligeables que ce nouveau mécanisme reste utilisé seulement à la marge par les bibliothèques en France, mais il offre tout de même l’intérêt d’exister et d’offrir une certaine sécurité juridique aux établissements qui l’emploieront. Aux États-Unis en revanche, le Congrès n’a jamais réussi à aboutir à une loi sur les œuvres orphelines, alors qu’elles se sont longtemps trouvées au centre de l’affaire Google Books. A l’origine, HathiTrust avait un programme pour la numérisation et la diffusion des oeuvres orphelines, et c’est même ce qui a déclenché le procès avec l’Author’s Guild. Mais suite aux poursuites et à des dysfonctionnements, HathiTrust a préféré renoncer à ce projet en 2011 et la décision de justice rendue en juin n’aborde pas cette question, pas plus d’ailleurs que le jugement de 2013  rendu dans l’affaire Google Books.

Les bibliothécaires américains restent donc dans une grande incertitude quant à leurs possibilités de numériser et de diffuser des œuvres orphelines. Ils estiment cependant que le fair use peut leur donner une base pour le faire et en décembre 2014, un rapport important a été publié par plusieurs organisations, intitulé « Statement of Best Practices in Fair Use of Orphan Works in Librairies and Archives« . Ce texte s’efforce de fixer une méthodologie pour traiter les œuvres orphelines dans le cadre de programme de numérisation de masse, en s’appuyant autant que faire se peut sur les décisions de justice existantes. Mais en l’absence de jurisprudence explicite, il ne peut s’agir que de directives générales qui pourraient être contestées en justice par les titulaires de droits et qui n’offrent pas le même degré de sécurité que la directive européenne et les lois nationales qui vont en découler, comme c’est le cas en France.

Oeuvres épuisées, un enjeu toujours décisif

Au-delà des œuvres orphelines, l’enjeu majeur de la numérisation de masse des collections des bibliothèques porte en réalité sur les oeuvres épuisées (c’est-à-dire celles qui ne sont plus disponibles à la vente). Ces dernières étaient d’ailleurs au coeur de l’affaire Google Books et elles ont fait l’objet de longues discussions en France, jusqu’à ce qu’intervienne la loi sur la numérisation des livres indisponibles du 20ème siècle en mars 2012.

Cette loi, largement contestée, a eu pour effet de geler complètement la situation en France, car elle instaure un système permettant aux éditeurs de sécuriser leurs droits sur ces ouvrages et favorise uniquement la recommercialisation de ces titres en version numérique. La Bibliothèque nationale de France est associée à ce système par le biais du registre ReLIRE, permettant aux auteurs et éditeurs d’exercer un retrait et parce que la numérisation s’effectuera à partir de ses collections. Mais aucun accès public n’est prévu dans ce système, si ce n’est un accès sur place dans les seules emprises de la BnF. On sait cependant à présent que ce système organisé pour les livres indisponibles ne fera pas obstacle à l’application par les autres bibliothèques des dispositions prévues pour la numérisation des oeuvres orphelines, alors que c’est longtemps un point resté incertain. Mais les livres orphelins parmi les indisponibles devraient sans doute rester peu nombreux.

Aux États-Unis, les livres épuisés ont aussi fait l’objet d’une grande attention, avec la mise en place de projets alternatifs de numérisation visant l’objectif de donner un accès public et gratuit à ces œuvres. C’est le cas par exemple de la DPLA (Digital Public Library of America) lancée par Robert Darnton, qui pensait pouvoir s’appuyer sur le fair use ou des solutions négociées pour donner accès à une partie des oeuvres épuisées. En avril 2014, l’Author’s Guild elle-même a interpellé le Congrès américain pour lancer un grand programme de numérisation des oeuvres épuisées, visant à mettre en place une National Digital Library avec un accès pour tous aux contenus des livres, sans que l’on sache exactement quelles contreparties seraient exigées.

Mais le mouvement le plus intéressant de ces dernières semaines aux Etats-Unis vient d’un programme de numérisation de livres de sciences humaines indisponibles, lancé par la fondation Mellon et le National Endowement for Humanities, qui va débloquer 2 millions de dollars pour numériser des milliers de livres épuisés et les publier sous licence libre gratuitement sur Internet. La démarche passe nécessairement par des accords avec les auteurs et les éditeurs, mais elle a le mérite de continuer à explorer une voie pour permettre un accès public aux œuvres épuisées en ligne.

***

Au terme de ce tour d’horizon, j’ai l’impression qu’un avantage se dessine en faveur de la France et de l’Union européenne par rapport aux États-Unis en matière de numérisation des collections des bibliothèques. Ce constat paraît à première vue contre-intuitif, car on a l’habitude de dire que le fair use offre des marges de manœuvre plus grandes que les exceptions au droit d’auteur du système européen. Mais les différents régimes issus du droit européen garantissent pour l’instant tout de même plus de sécurité juridique et des opportunités plus larges en termes de diffusion. Les bibliothécaires américains ont dû de leur côté se battre âprement en justice (et c’est tout à leur honneur) pour sécuriser leurs possibilités d’action sur la base du fair use. Mais le résultat, s’il est globalement positif, reste à mon sens en-deçà de ce que l’on trouve aujourd’hui en Europe (sauf en matière de Text et Data Mining).

Les choses sont néanmoins susceptibles de bouger car aussi bien aux États-Unis qu’au niveau de l’Union européenne, des réformes importantes du droit d’auteur sont annoncées et dans les deux cas, la question de la numérisation en bibliothèque fera partie des questions abordées.


Classé dans:Bibliothèques, musées et autres établissemerents culturels Tagged: Bibliothèques, Bibliothèques numériques, droit d'auteur, exception conservation, fair use, livres indisponibles, Numérisation, oeuvres épuisées, oeuvres orphelines, text et data mining

Droit d’auteur : pourquoi les Youtubeurs devraient soutenir le rapport Reda

dimanche 8 février 2015 à 16:33

Depuis sa présentation le 20 janvier dernier, le rapport de l’eurodéputée Julia Reda relatif à l’harmonisation du droit d’auteur au sein de l’Union déchaîne une contre-offensive massive de la part des représentants des industries culturelles, soutenue par le gouvernement français qui est en train de mettre tout son poids dans la balance pour éviter qu’un vrai débat ait lieu sur la révision du droit d’auteur.

Certains créateurs (comme Neil Jomunsi, par exemple) se sont pourtant déjà prononcés en faveur du rapport Reda, mais il y a une catégorie parmi eux qui aurait à mon sens réellement intérêt à lui apporter son soutien : ce sont les Youtubeurs. Julia Reda propose en effet d’aménager plusieurs exceptions au droit d’auteur, comme la citation ou la parodie, pour sécuriser les pratiques de réutilisation créative d’oeuvres préexistantes, qu’il s’agisse de montrer des extraits d’un film ou d’un jeu dans une vidéo ou de mélanger des contenus entre eux pour produire des remix ou des mashup.

Qu’est-ce que cela changerait concrètement pour les Youtubeurs, si les préconisations du rapport Reda étaient suivies ? Un élément de l’actualité de ces derniers jours va me permettre de l’illustrer. L’éditeur Nintendo a effet annoncé depuis une semaine le lancement de son « Creator’s Program » : un système d’affiliation avec lequel, pour pouvoir réutiliser des séquences des jeux de Nintendo, les Youtubeurs vont devoir s’enregistrer sur une plateforme et reverser 40% de leurs revenus publicitaires à la société japonaise. En 2013, Nintendo avait déjà essayé de s’approprier 100% des revenus publicitaires engendrés par les vidéos réutilisant ses contenus, mais la firme avait été obligée de reculer face au tollé suscité par cette politique.

Une démonstration par l’absurde de l’impasse des solutions contractuelles

A première vue, le Creator’s Program peut paraître comme une avancée positive, puisque Nintendo accepte finalement la réutilisation de ses contenus, en échange d’un partage des revenus. Mais si l’on prend un peu de recul, on comprend facilement que ce type de solutions contractuelles est complètement inadapté pour faire face à l’ampleur des usages transformatifs aujourd’hui. En effet, le Creator’s Program nécessite déjà un enregistrement volontaire sur cette plateforme et une acception par Nintendo. Au bout d’une semaine, les premiers dysfonctionnements apparaissent : Nintendo admet qu’il n’arrive pas à respecter le délai de 3 jours ouvrables annoncés pour traiter les enregistrements devant l’afflux des demandes. Par ailleurs, le Creator’s Program ne concerne pas l’ensemble des jeux de Nintendo, puisque pour certains comme Pokemon ou Smash Bros, Nintendo veut garder l’intégralité des revenus, et l’affiliation n’est valable que pour certains pays (Japon et États-Unis).

Le discours des titulaires de droits qui rejettent le rapport Reda consiste à dire que le droit d’auteur n’a pas besoin d’être réformé, qu’il est parfaitement adapté aux usages numériques et notamment que des solutions contractuelles peuvent être mises en place pour le faire fonctionner. Mais imaginons un moment que tous les titulaires mettent en place chacun un Creator’s Program chacun dans son coin. A chaque fois qu’un Youtubeur voudrait réutiliser un contenu, il faudrait qu’il aille s’enregistrer sur une plateforme, en se soumettant à des conditions toutes différentes, avec des catalogues incomplets, des restrictions géographiques, l’obligation de partager ses revenus et de patienter pendant un délai variable pour que sa demande soit traitée. Si dans une vidéo, vous voulez réutiliser des séquences de 10 jeux de 10 éditeurs différents, cela signifierait 10 procédures auxquelles se soumettre, mais aussi l’obligation de partager ses revenus 10 fois, pour garder quoi au final ?

Face à ce risque de bureaucratisation à la Brazil, on peut comprendre que PewDiePie, l’un des plus célèbres Youtubeurs au monde, ait accueilli très fraîchement le Creator’s Program de Nintendo en déclarant que c’était comme prendre une « claque dans la gueule » (et d’autres choses beaucoup moins polies…) :

Nintendo est en fait en train d’apporter la preuve par l’absurde que l’imposition de l’autorisation préalable, qui est le propre du droit d’auteur, est juste impossible à maintenir en place dans un environnement où les réutilisateurs de contenus à des fins créatives sont devenus légion. Or lorsque les mécanismes du droit d’auteur ne peuvent plus fonctionner correctement le système prévoit que des exceptions prennent le relai et c’est exactement ce que propose le rapport Reda.

Élargir les exceptions au droit d’auteur

Actuellement, les Youtubeurs peuvent déjà s’appuyer dans une certaine mesure sur des exceptions au droit d’auteur, comme vous l’apprendrez en visionnant ci-dessous ce numéro de l’excellente série Pair-à-Pair, produite par Dany Caligula avec Pouhiou :

Le problème, c’est que les exceptions traditionnelles prévues actuellement par la loi sont assez largement inadaptées aux usages numériques. Le droit de citation par exemple est conçu de manière très restrictive par les juges français, qui le cantonne grosso modo au domaine de l’écrit. Il n’est pas possible de « citer » valablement à l’heure actuelle des extraits de films, d’émissions ou de jeux, y compris pour en faire un commentaire critique, comme le font par exemple de nombreux Youtubeurs spécialisés dans le cinéma.

Pour desserrer ce carcan, Julia Reda propose plusieurs points dans son rapport qui offriraient de nouvelles marges de manoeuvre aux Youtubeurs :

Pouvoir disposer d’un droit de « citation audiovisuelle » offrirait aux Youtubeurs une vraie respiration pour illustrer leurs vidéos en montrant concrètement de quoi ils sont en train de parler. En ce qui concerne l’exception de parodie, Julia Reda propose de manière très intéressante de l’élargir au-delà des seules fins humoristiques. Cela permettrait notamment de sécuriser des pratiques de mashup ou de remix purement créatives, ne cherchant pas à se moquer d’une oeuvre ou à l’utiliser pour se moquer d’autre chose.

Mais le point le plus intéressant dans ces propositions, c’est que les exceptions de citation et de parodie font partie de celles qui peuvent être utilisées dans un contexte commercial. Si l’on prend la citation par exemple, il est admis que l’auteur d’un livre peut citer des passages d’autres ouvrages dans le sien et commercialiser celui-ci sans avoir rien à reverser aux titulaires de droits. Et pareillement, les juges admettent que l’on puissent commercialiser librement des parodies.

Sécuriser aussi l’usage commercial

Pour revenir à l’exemple du Creator’s Program de Nintendo, on peut dire que si les préconisations du rapport Reda devenaient réalité, cet éditeur ne serait plus fondé à exiger cet enregistrement et le partage des revenus publicitaires. Les Youtubeurs pourraient revendiquer le bénéfice d’une citation audiovisuelle ou d’une parodie élargies, qui viendraient légitimer leurs pratiques.

Aux États-Unis, les Youtubeurs peuvent déjà s’appuyer sur le fair use (usage équitable), pour résister à certaines revendications abusives des titulaires de droits. On peut par exemple citer le cas fameux du mashup « Buffy vs Edward », dans lequel l’héroïne de Buffy contre les vampires rencontre le héros de la saga Twillight. Diffusé à l’origine par son auteur volontairement sans monétisation, ce mashup a fait l’objet d’une demande de retrait par Lionsgate, titulaire des droits sur les films Twillight, pour le forcer à accepter l’insertion de publicités avec reversement de l’intégralité des bénéfices au studio. Mais l’auteur du mashup a choisi de résister en invoquant le fair use et il a fini par obtenir gain de cause.

Actuellement du point de vue du droit français, un Youtubeur n’aurait pas pu résister de la même manière, car la citation n’est pas invocable pour des vidéos et ce mashup n’était pas une parodie à visée humoristique (son propos est en effet critique et féministe). Mais les choses seraient différentes si le rapport Reda servait de base pour réviser la directive européenne.

***

Certains Youtubeurs ont déjà saisi qu’il se passait quelque chose d’important autour du rapport de Julia Reda. C’est le cas par exemple de l’auteur de (l’excellente) série historique Nota Bene, qui en parle dans la vidéo ci-dessous (voir à partir de 5.28) :

Il est clair que face au pilonnage d’artillerie lourde que subit actuellement Julia Reda, elle a besoin de soutiens et ces soutiens auront d’autant plus de poids s’ils émanent de créateurs. Les Youtubeurs français avaient su se mobiliser en 2012 contre l’ACTA, mais ce qui se passe actuellement au niveau du parlement européen autour du rapport Reda n’est pas moins crucial. Car si ce que propose Julia Reda est balayé, comme en rêvent les industries culturelles et des États lobbifiés comme la France, nous risquons de subir une nouvelle directive européenne négative, qui verrouillera les choses par le haut pour les 10 années à venir et ouvrira le champ libre à un nouveau tour de vis répressif.


Classé dans:Penser le droit d'auteur autrement ... Tagged: citation, droit d'auteur, exceptions, Julia Reda, mashup, nintendo, parodie, rapport Reda, remix, youtube, youtubeurs

FabLabs, Hackerspaces : quel régime de propriété pour les lieux d’innovation partagée ?

jeudi 5 février 2015 à 09:03

La semaine dernière dans le cadre du 1er Festival du Domaine public, a eu lieu à la Paillasse une très intéressante discussion sur le « Domaine public et le vivant », dont j’ai eu le privilège d’être le modérateur. L’un des points du débat a porté sur la question du régime de propriété applicable aux créations produites dans des lieux d’innovation partagée, comme la Paillasse. « Laboratoire de biologie participative« , La Paillasse constitue l’équivalent d’un Hackerspace dans le champ de la biologie, proposant des espaces et du matériel à une communauté pour innover de manière collaborative.

Microlife. Par Teknad. CC-BY-SA. Source : Wikimedia Commons

Les FabLabs et les Hackerspaces ont des liens très forts avec l’Open Source et la philosophie du logiciel libre, dont ils ont étendu la logique à la sphère de la fabrication d’objets physiques. Dans cet article sur Rue89 consacré à la « Fabrique d’Objets Libres », un FabLab situé à Lyon, le lien est fait entre les licences libres comme si c’était quelque chose d’entièrement naturel :

[…] dans tous les ateliers du « FabLab » de Lyon, le travail collectif est imposé. Ici, au phénomène à la mode du « Do It Yourself », on ajoute le « Do It With Others ». Même si cela n’est pas toujours facile à comprendre pour tous les adhérents. Certains avouent être plus des « solitaires ».

Les bénévoles de l’association sont conscients de cette difficulté. Mais ils cherchent à faire évoluer les mentalités. Sur ça et sur le fait que l’association impose le partage des procédés de création d’un objet. Dans un « FabLab », toute production se fait sous licence libre et est diffusée sur le web.

Imposer l’usage des licences libres ? 

La phrase « l’association impose le partage des procédés de création d’un objet » est particulièrement intéressante, car la discussion de la semaine dernière à la Paillasse a montré qu’un FabLab ou un Hackerspace n’a en réalité quasiment aucune possibilité légale d’imposer la mise en partage de la propriété intellectuelle à ses membres. C’est ce qu’a montré notamment Jonathan Keller, l’un des membres de la Paillasse, dans une présentation où il a commencé par rappeler qu’en droit français, les droits de propriété intellectuelle appartiennent en principe aux personnes physiques à l’origine d’une création. Les exceptions à ce principe sont rares : oeuvres dites « collective », statut particulier des journalistes ou des agents publics, bases de données, logiciels ou « inventions de mission » créés par des salariés. Dans ces hypothèses délimitées, qui renvoient à une création en situation de subordination, le titre de propriété, droit d’auteur ou brevet, va pouvoir appartenir à l’employeur d’un salarié.

Mais les membres d’un FabLab, d’un Hackerspace ou d’un laboratoire de biologie participative comme la Paillasse ne sont pas justement dans une telle situation de subordination, quand bien même ils utilisent les moyens mis à leur disposition (gratuitement ou non). Dès lors, les droits sur les créations produites dans un lieu d’innovation restent aux individus qui les fréquentent et l’ouverture sous licence libre ne peut être que le fait d’un choix volontaire. Un tel lieu qui voudrait « imposer », comme dit plus haut, à ses membres de recourir aux licences libres aurait bien du mal à le faire valablement.

A défaut d’imposer cette ouverture avec la force du droit, on peut bien sûr se tourner vers des règles éthiques, qui occupent une place importante parmi les communautés fréquentant les lieux de fabrication numérique et d’innovation partagée. La fameuse « Charte des Fab Labs« , élaborée par le MIT, est emblématique de cet état d’esprit. Mais lorsqu’on regarde attentivement ce qu’elle dit à propos des questions de propriété intellectuelle, on est assez surpris du flou qui caractérise les principes qu’elle énonce (extraits) :

Education : la formation dans le fab lab s’appuie sur des projets et l’apprentissage par les pairs ; vous devez prendre part à la capitalisation des connaissances à et à l’instruction des autres utilisateurs.

Secret : les concepts et les processus développés dans les fab labs doivent demeurer utilisables à titre individuel. En revanche, vous pouvez les protéger de la manière que vous choisirez.

Business : des activités commerciales peuvent être incubées dans les fab labs, mais elles ne doivent pas faire obstacle à l’accès ouvert. Elles doivent se développer au-delà du lab plutôt qu’en son sein et de bénéficier à leur tour aux inventeurs, aux labs et aux réseaux qui ont contribué à leur succès.

Conçu par Geoffroy Chaix, réalisé par Romain Marchado pour GoTronic Licence libre CC-BY

On constate en lisant ces lignes que l’éthique des Fab Labs repose sur le partage des connaissances, mais avec une portée finalement assez limitée, puisque cela concerne essentiellement la communauté fréquentant le lieu. Les « concepts et processus développés dans les fab labs » ne doivent pas être tenus secrets, mais rester disponibles pour les autres membres à des fins d’étude individuelle. Mais cette obligation minimale de mise en partage n’empêche pas que ces créations puissent ensuite être « protégées de la manière que vous choisirez« . Il n’y a donc au final aucune obligation d’opter pour des licences libres, lesquelles ne sont nullement citées dans la Charte, et le recours aux brevets ou à la réservation des droits par le biais du droit d’auteur n’est pas formellement déconseillé.

Le même flou entoure la question des activités commerciales, puisque en accord celles-ci ne sont pas découragées (point commun avec la philosophie de l’Open Source et du logiciel libre), mais la Charte énonce une recommandation assez nébuleuse de réciprocité, quand elle dit que les activités commerciales incubées dans des Fab Labs « devrait bénéficier à leur tour aux inventeurs, aux labs et aux réseaux qui ont contribué à leur succès« . Le meilleur moyen d’arriver à un tel résultat serait de recommander l’usage de licences libres comportant une clause de partage à l’identique (Copyleft), mais la Charte du MIT ne va pas aussi loin.

La propriété industrielle, incompatible avec la Culture libre ? 

Imaginons néanmoins qu’un lieu d’innovation partagée se dote d’une Charte allant plus loin que celle du MIT en matière de propriété intellectuelle et recommandant la mise en partage de la propriété intellectuelle par le biais de licences libres. Un autre problème surviendrait alors qui tient au fait que les licences libres s’appliquent de manière différente aux divers champs de la création. Pour ce qui est des oeuvres de l’esprit (créations relevant de la propriété littéraire et artistique), ainsi que pour les logiciels, les licences libres ou Open Source ont déjà largement fait leur preuve et leur usage ne pose guère de difficultsé. Mais dans les lieux de fabrication numérique et d’innovation partagée, ce sont aussi des questions de propriété industrielle qui peuvent se poser, à propos des inventions développées en leur sein.

Or comme j’ai déjà eu l’occasion d’en parler dans un billet récent à propos de la mise en partage des brevets, il n’existe pas encore de cadre juridique vraiment solide pour appliquer la logique des licences libres à des inventions brevetables. On voit certaines industries, comme les sociétés Tesla ou Toyota, qui s’engagent progressivement à renoncer à opposer leurs brevets à des personnes souhaitant utiliser certaines de leurs technologies, mais quand bien même certains parlent à ce sujet « d’Open Source » appliqué à des brevets, cette mise en partage s’opèrent dans un grand flou artistique et sans recours à des licences formalisées qui garantiraient les droits des réutilisateurs.

patent

Par Mike Liksvayer. CC-BY. Source : Flickr.

A Nantes, l’association PiNG a réfléchi à ces questions dans le cadre de la CEPI (Cellule d’Expérimentation sur les Propriétés Immatérielles) et leurs travaux ont abouti à la conclusion qu’il existe aujourd’hui une certaine incompatibilité entre la logique de la propriété industrielle et celle de la culture libre :

À la différence de la propriété littéraire et artistique, la propriété industrielle suppose une formalité de dépôt pour obtenir des droits sur une production. Le cas le plus connu est celui du brevet auquel moult entreprises ont recours pour faire valoir leur droit de propriété sur telle ou telle « invention », afin d’en posséder les droits d’exploitations exclusifs. Le dépôt de brevet est coûteux mais ne pas déposer de brevet peut également faire perdre beaucoup d’investissement à celui ou celle qui a passé du temps sur le développement d’un nouveau dispositif. C’est pourquoi, le champ de la propriété industrielle est peu compatible en l’état, avec la Culture Libre. Il existe cependant une solution des plus altruiste : publier son invention, ce qui la fait entrer dans le domaine public. Cette publication empêche quiconque de déposer un brevet mais ne permet pas à l’inventeur de « contrôler » l’exploitation qui sera faite de son invention.

Afin de garder ce « contrôle », une solution alternative peut être envisagée, en l’état actuel des choses. Elle consiste à payer pour le dépôt d’un brevet, d’en devenir ainsi propriétaire et exploitant. De là, le propriétaire peut imaginer toutes les modalités d’utilisation qu’il veut. Il peut décider que son invention ne peut-être utilisée que dans un cadre non commercial. En quelque sorte, il se libère de ce dont il est propriétaire… difficile d’imaginer une telle vague d’altruisme de la part des entreprises qui dominent le marché. D’autant plus qu’une invention brevetée est forcément une connaissance partagée par tous, même si non exploitable/utilisable par tous, du fait que le brevet une fois validé, se formalise sous une documentation accessible par tout le monde.

Au cours de cette année d’expérimentation avec la CEPI, nous avons donc buté sur cette notion qui donne lieu à cette conclusion temporaire : Aucun dispositif actuel ne permet la libération de la propriété industrielle avec un contrôle a posteriori.

En ce sens, il peut être intéressant d’aller plus loin dans nos investigations sur ce sujet afin de trouver des solutions, ou d’en imaginer, pour rendre possible une création industrielle qui soit en adéquation avec les valeurs de la Culture Libre.

Ces réflexions sont particulièrement intéressantes, car elles illustrent bien une difficulté à laquelle nous nous sommes aussi heurtés lors de la discussion de la semaine dernière à la Paillasse. Les créateurs d’inventions sont placés face à une alternative peu satisfaisante : soit ils déposent des brevets, mais la logique de ce système de protection des droits est aux antipodes de la philosophie du Libre ; soit ils laissent leurs inventions dans le domaine public, mais ils doivent alors renoncer à tous leurs droits, y compris l’attribution ou le partage à l’identique que favorisent une licence comme la GNU-GPL pour les logiciels. Par ailleurs se pose aussi la question des modèles économiques que ces porteurs de projets pourront développer, qui peuvent nécessiter une part de réservation des droits.

Quelque part, il manque dans le champ de la propriété industrielle quelque chose qui ressemblerait à la viralité des licences libres. Un programmeur qui publie un logiciel sous licence libre a la certitude que sa création ira alimenter un « pot commun » dans lequel nul ne pourra venir puiser sans devoir y contribuer en retour. Avec les inventions, une telle viralité est difficile à penser et cette faiblesse rejaillit par ricochet sur les lieux d’innovation partagée : leur utilisation ne garantit pas que les principes de partage qu’ils entendent en principe promouvoir s’appliquent réellement à leurs membres.

Esquisses de solutions juridiques 

Existe-t-il des solutions juridiques pour surmonter ces difficultés ? Dans un billet précédent, j’avais évoqué le lancement l’an dernier d’une licence intitulée la Defensive Patent Licence, qui permet la mise en partage de brevets au sein d’un cercle de personnes renonçant à exercer leurs droits entre elles, mais pas à l’égard de tiers hostiles. La logique de cette licence consiste à créer peu à peu un « réseau de brevets partagés » et on se dit que les communautés des lieux d’innovation partagée pourraient assez naturellement alimenter un tel réseau, à condition quand même d’accepter entrer dans la logique du dépôt de brevets…

Par ailleurs, comme je l’ai dit plus haut, on perçoit en filigrane lorsqu’on lit la Charte des Fab Labs, l’idée qu’un principe de réciprocité devrait guider les relations entre les membres de la communauté qui fréquentent les lieux d’innovation partagée. Ceux qui bénéficient de la mise à disposition de matériels et du partage de connaissances et de savoir-faire devraient à leur tour rendre à la communauté qui les a aidés. Or on retrouve le même esprit dans les licences à réciprocité dont j’ai eu plusieurs fois l’occasion de parler dans S.I.Lex : la Peer Production Licence ou la Reciprocity Commons Licence. L’idée de ces nouvelles licences en gestation consiste à autoriser les usages non-commerciaux, mais à réserver la possibilité de faire un usage commercial d’une ressource soit aux entités structurées en coopératives, soit à celles qui « contribuent aux Communs« , d’une manière ou d’une autre.

Le problème, c’est que pour l’instant ces licences à réciprocité ont été pensées comme des adaptations des licences Creative Commons et ne sont donc applicables qu’aux oeuvres de l’esprit et pas aux inventions protégées par la propriété industrielle. C’est d’ailleurs sans doute une des faiblesses de la démarche, car il me semble que le potentiel des licences à réciprocité serait peut-être plus fort pour les inventions que pour les oeuvres.

Une dernière idée est peut-être à explorer si l’on veut qu’au-delà de vagues recommandations, les lieux d’innovation partagée soit davantage en mesure d’imposer à leurs membres le recours aux licences libres. Pour l’instant, la plupart de ces lieux sont soit rattachés à une institution, soit structurés en associations, avec des conditions d’utilisation très ouvertes qui constituent d’ailleurs une de leurs caractéristiques. Mais il me semble qu’une réflexion sur les statuts de ces lieux devrait être approfondie. Le spécialiste des Communs et des pratiques de Peer-to-Peer Michel Bauwens par exemple évoque souvent l’idée que le passage vers une économie de la connaissance ouverte nécessite que se structure une nouvelle sphère de coopératives, s’inspirant à la fois des principes de l’Economie Sociale et Solidaire et de la Culture libre (fusion appelée « Coopérativisme ouvert »). Sans aller jusqu’à établir un lien de subordination avec leurs membres, ce qui serait contraire à leur philosophie, les lieux d’innovation partagée pourraient adopter le statut de coopératives, impliquant pour leurs membres le respect d’un principe de réciprocité, y compris dans le partage de la propriété intellectuelle. Ils deviendraient alors au sens propre des « coopératives de savoirs partagés ».

***

Il me semble qu’il s’agit d’une piste intéressante à creuser et il deviendra sans doute urgent de le faire si l’on veut éviter que l’esprit originel des Fab Labs, Hackerspaces et autres lieux d’innovation partagée ne finissent par se diluer et se corrompre comme on a pu le voir dans d’autres secteurs de « l’économie du partage ».


Classé dans:A propos des biens communs, Alternatives : Copyleft et Culture Libre Tagged: économie du partage, brevets, culture libre, fablabs, hackerspaces, Licences à réciprocité, licences libres, paillasse, propriété industrielle

Copyfraud Awards ! Votez pour désigner les pires réappropriations abusives du domaine public !

samedi 31 janvier 2015 à 10:36

Depuis plusieurs années maintenant que Thomas Fourmeux et moi observons avec le Copyright Madness les dérives de la propriété intellectuelle, nous avons constamment été surpris par les trésors d’imagination déployés pour porter atteinte au domaine public. Qu’il s’agisse d’entreprises privées, d’institutions publiques, d’héritiers d’auteurs, de sociétés de gestion collective et parfois même de législateurs : ils rivalisent d’ingéniosité pour prolonger les droits par tous les moyens et faire en sorte que les oeuvres du domaine public qui appartiennent normalement à tous restent un peu plus longtemps leur précieuuuux !

Un terme désigne ces pratiques louches : celui de copyfraud, qui n’est rien de moins qu’une forme de piratage inversé, encore trop souvent ignoré.

resizeIl était temps de récompenser cette débauche de créativité et de mauvaise foi en tout genre et c’est aujourd’hui ce que nous faisons en créant les Copyfraud Awards dans le cadre du 1er Festival du Domaine public, organisé par Alexis Kauffman Véronique Boukali de Romaine lubrique.

Ces prix récompenseront les plus gros trolls du copyfraud et nous avons besoin de vous pour les départager, tant le choix s’avère difficile. Nous avons sélectionné pour vous une trentaine de cas, répartis en 5 catégories : Copyfraud bien de chez nous / Personnages / International / Religion / What The Fuck + une catégorie Hors Concours. Découvrez avec la présentation ci-dessous ces cas tous plus carabinés les uns que les autres !

Pour voter dans les différentes catégories, utilisez les liens suivants :

Le 1er Festival du domaine public se terminera samedi 31 janvier par une cérémonie de remise des Copyfraud Awards à la REcyclerie (83 boulevard Ornano, 75018 Paris) de 22h à 23h30. Venez nombreux ! Ambiance festive (et un brin moqueuse) garantie …

PS : vous pouvez aussi soutenir sur Ulule les organisateurs du Festival du domaine public, qui ont abattu un travail impressionnant depuis 15 jours et qui ont besoin de ce soutien pour organiser une deuxième édition l’an prochain. Ils le méritent très largement et c’est déjà fait de mon côté !

PPS : Pour découvrir qui sont les grands « gagnants » ayant remporté ces Copyfraud Awards dans chaque catégorie, allez lire ce billet sur le site de Romaine Lubrique !

 

 


Classé dans:Domaine public, patrimoine commun Tagged: copyfraud, Domaine public, festival