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« Information will be mine ! » : vers un droit de propriété sur les données en Europe ?

mercredi 3 mai 2017 à 07:50

Le Conseil National du Numérique a rendu, il y a quelques jours, un avis à propos d’une consultation lancée en janvier dernier par la Commission européenne sur la question de la « libre de circulation des données en Europe ». Cela fait un moment que la Commission veut lancer une initiative en faveur du « Free Flow of Data » – la « fluidification des données » – dans l’optique de créer de nouvelles opportunités économiques au sein du Marché unique.

Image Pixabay. CC0.

L’avis du CNNum est particulièrement intéressant et en voici un résumé :

Pour encourager la libre circulation des données, la Commission européenne a annoncé étudier un certain nombre de pistes, législatives ou non. Parmi celles-ci figure la création d’un droit de propriété sur les données non personnelles. Or la création de valeur se fait lorsque les données sont mises en contexte et croisées afin d’en tirer des informations nouvelles. Il ne s’agit donc pas de consacrer une propriété des données, mais bien au contraire, de penser des régimes d’accès et d’échanges de données pour encourager cette création de valeur. En effet contrairement à l’idée répandue, la propriété ne facilite pas nécessairement les échanges mais peut au contraire les limiter. De manière générale, la libre circulation des données doit s’envisager entre les plateformes et pas uniquement entre les territoires. Ce sont ces nouvelles formes de partage qui sont la condition essentielle au développement d’une économie européenne de la donnée.

On lit donc que la Commission envisage l’instauration d’un nouveau « droit de propriété sur les données non-personnelles ». Ce n’est absolument pas anodin et on peut même dire qu’il est assez inquiétant de voir la Commission avancer ce genre de propositions. Car une telle réforme pourrait constituer un véritable renversement de paradigme dans la manière dont le droit appréhende les données et les informations. 

Un nouveau de droit de propriété sur les données « captées » ?

Dans le questionnaire de la Commission sur l’économie européenne des données, on peut lire ceci :

Would you agree with the following statement: More data would become available for re-use if the companies active in the production and market commercialisation of sensor-equipped machines, tools or devices were awarded an exclusive right to license the use of the data collected by the sensors embedded in such machines, tools and/or devices (a sort of sui generis intellectual property right).

Etes-vous d’accord avec la proposition suivante ? : Davantage de données seraient rendues disponibles pour être réutilisées si les entreprises qui produisent et commercialisent des machines, des outils ou des appareils équipés de senseurs se voyaient attribuées un droit exclusif d’autoriser par voie contractuelle l’usage des données collectées par les senseurs intégrés dans ces machines, outils et ou appareils (une forme de droit de propriété intellectuelle sui generis).

Et plus loin :

Would you agree with the following statement: More data would become available for re-use if the persons or entities that operate sensor-equipped machines, tools or devices at their own economic risk (« data producer ») were awarded an exclusive right to license the use of the data collected by these machines, tools or devices (a sort of sui generis intellectual property right) to any party it wishes (subject to legitimate data usage exceptions for e.g. manufacturers of the machines, tools or devices).

Etes-vous d’accord avec la proposition suivante ? : Davantage de données seraient rendues disponibles pour réutilisation si les personnes ou entités qui opèrent des machines, outils ou appareils équipés de senseurs en assumant le risque économique lié (« producteurs de données) se voyaient attribuées un droit exclusif d’autoriser par voie contractuelle l’usage de ces données collectées par ces machines outils ou appareils (une forme de droit de propriété intellectuelle sui generis) à toutes les parties souhaitées (avec des exceptions prévues pour certains usages légitimes, comme ceux des fabricants de ces machines, outils ou appareils).

On est donc dans le champ de ce que l’on appelle les « Objets Connectés » ou « Internet des Objets« . La question est de savoir s’il serait opportun de créer un nouveau droit de propriété intellectuelle, spécialement conçu pour ces activités (droit dit sui generis) et on voit que la Commission oscille entre deux options : soit ce nouveau droit exclusif serait attribué aux fabricants des objets connectés, soit à ceux qui utilisent des objets connectés pour capter des données. Imaginons une société de transports qui s’équipe d’une flotte de véhicules connectés : soit les données collectées par le biais des senseurs installés dans les voitures appartiendraient au constructeur (Tesla ou Google par exemple), soit les données appartiendraient à la société propriétaire de ces véhicules. Cela fait une certaine différence…

Le CNNum pointe d’ailleurs à raison dans son avis ce flottement, comme source d’incertitudes juridiques redoutables si ce nouveau droit venait à être instauré par la législation de l’Union :

il serait très difficile de déterminer les régimes de propriété et leurs bénéficiaires : qui possède une donnée ? Celui qui possède le capteur ? Celui qui possède l’immeuble dans lequel se situe le capteur ? Celui qui fait l’objet de la mesure par le capteur ? Contrairement à l’objectif affiché de clarification du cadre légal, une telle mesure multiplierait dès lors les risques de contentieux autour des contrats encadrant de tels échanges. L’insécurité juridique pourrait être ainsi considérablement accrue.

Au-delà du droit des bases de données

Ce qui fait la nouveauté dans la proposition de la Commission, c’est qu’elle envisage la création d’un nouveau droit qui porterait directement sur les données, alors que jusqu’à présent, la propriété intellectuelle ne s’est jamais saisie des informations en tant que telles.

Il existe en effet un droit des bases de données, créé en 1996 par le biais d’une directive européenne, qui a mis en place un système de double protection juridique. Le producteur qui réalise des investissements substantiels pour créer une base de données possède un droit spécial (dit sui generis) lui permettant pendant 15 ans – renouvelables à chaque nouvel investissement – de s’opposer à ce que des tiers procèdent à des extractions substantielles de données. Par ailleurs, si la structure de la base présente une originalité, elle est protégée par le droit d’auteur en tant qu’oeuvre de l’esprit, et il est alors interdit de copier cette structure pour réaliser une autre base similaire.

Ces deux droits peuvent se cumuler ou exister indépendamment l’un de l’autre. Mais ce qui est certain, c’est que le droit des bases de données n’est pas conçu comme un droit de propriété qui porterait sur les données en elles-mêmes. Il y a pu y avoir à ce sujet une ambiguïté dans les premières années d’application de ce régime, mais elle a été dissipée par la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). De nombreux litiges sont en effet survenus pour savoir à partir de quel seuil un investissement devenait suffisamment « substantiel » pour faire naître le droit sui generis. A cette question, la Cour a répondu en 2004 de la manière suivante :

la notion d’investissement lié à l’obtention du contenu d’une base de données […] doit s’entendre comme désignant les moyens consacrés à la recherche d’éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base. Elle ne comprend pas les moyens mis en oeuvre pour la création des éléments constitutifs du contenu d’une base de données.

Le droit est donc bien attaché à la base comme « enveloppe » contenant les données, mais pas aux données en tant que telles, dont les coûts de production ne rentrent pas dans le calcul de l’investissement substantiel donnant droit à la protection. Le contenu n’est saisi que de manière indirecte, par le biais de l’interdiction de procéder à des extractions substantielles des données, mais chaque information considérée en elle-même, n’est pas appropriée. Cette distinction peut paraître subtile, mais elle est essentielle, car c’est ce qui permet qu’existe encore un « domaine public de l’information ».

Vers une nouvelle enclosure du domaine public de l’information ?

En 2011, l’UNESCO a adopté une déclaration reconnaissant l’existence d’un « domaine public informationnel » ou « indivis mondial de l’information » :

L’UNESCO soutient fortement l’accès au domaine public informationnel ou « indivis mondial de l’information ». Ce domaine public informationnel est constitué par l’information publiquement accessible, dont l’utilisation ne porte atteinte à aucun droit légal, ne viole aucun autre droit communautaire (par exemple les droits des populations autochtones) ou n’enfreint aucune obligation de confidentialité.

Le domaine public informationnel englobe donc l’ensemble des oeuvres ou objets de droits apparentés qui peuvent être exploités par quiconque sans autorisation […]

Même si l’introduction d’un droit des bases de données a constitué une première manière de saisir juridiquement les informations, ce régime constituait quand même un compromis qui laissait persister un domaine public informationnel demeurant dans la sphère de l’inappropriable. Les faits, informations, les idées, les données constituent ainsi un bien commun, au sens de l’article 714 du Code Civil (« choses n’appartenant à personne et dont l’usage est commun à tous« ). Ce que la Commission laisse entendre, c’est que l’Union européenne pourrait créer un nouveau type de droit de propriété portant directement sur les données, lorsqu’elles sont captées par des senseurs. On aboutirait alors à une nouvelle forme d’enclosure informationnelle, mais bien plus profonde que les précédentes qui ne saisissaient les informations que de manière indirecte.

Ce qui est surprenant, c’est que la Commission envisage cette solution, alors même qu’elle s’est déjà montrée très sceptique sur l’efficacité du droit des bases de données. Celui-ci n’existe en effet qu’au sein de l’Union européenne et aucune étude n’a jamais réussi à établir de manière certaine que ce surcroît de protection avait donné un avantage significatif aux entreprises européennes, notamment par rapport à leurs homologues américaines. En 2016, le Parlement européen a même adressée une recommandation à la Commission lui suggérant de supprimer purement et simplement ce droit des bases de données :

Le parlement Européen note que l’évaluation par la Commission Européenne de la directive sur le droit des bases de données conclut que ce dispositif nuit au développement d’une économie de la donnée (« data-driven ») européenne ; il appelle la commission à en tirer les conséquences qui s’impose en supprimant la directive 96/9/EC.

On comprend mal du coup comment la Commission peut à présent envisager de créer encore une nouvelle couche de droits sur les données, alors que la précédente s’est avérée, de son propre aveu, au mieux inutile et au pire néfaste pour l’économie européenne.

Le retour du risque de patrimonialisation des données personnelles

Le CNNum pointe un autre problème lié à cette idée de création d’un nouveau droit de propriété portant directement sur les données. La Commission précise bien que ce régime ne s’appliquerait qu’aux données « non-personnelles ». Mais comment distinguer ce qui relève des données à caractère personnel de celles qui ne le seraient pas, surtout dans un domaine aussi sensible que celui des objets connectés ?

De plus, la frontière entre données personnelles et données non-personnelles est très fine compte tenu des risques réels de réidentification. En effet, les limites de l’anonymisation et de la pseudonymisation ayant été maintes fois démontrées, il n’existe pas, à ce jour, de garanties techniques à l’exclusion des données personnelles d’un tel droit patrimonial. Ce changement de paradigme risque par conséquent de créer un effet domino et de concerner à terme l’ensemble des données. Or l’introduction d’un système patrimonial pour les données à caractère personnel est une proposition dangereuse à plusieurs titres. Elle remettrait en cause la nature même de cette protection pour les individus et la collectivité dans une société démocratique, puisque la logique de marchandisation s’oppose à celle d’un droit de la personnalité placé sur le terrain de la dignité humaine.

Cette objection est d’autant plus justifiée que l’idée de créer un droit de propriété privée sur les données personnelles revient périodiquement, poussée par des intérêts puissants. En 2014, le CNNum avait déjà eu l’occasion de critiquer cette conception dans un rapport consacré à la neutralité des plateformes. Quelques mois plus tard, alors que commençaient les travaux préparatoires de la loi République numérique, c’est le Conseil d’Etat qui avait lui aussi rejeté l’idée d’instaurer un droit de propriété sur les données personnelles dans son rapport sur le numérique et les droits fondamentaux :

Le rééquilibrage de la relation entre les éditeurs de services numériques et les internautes, qui découlerait de la reconnaissance d’un tel droit de propriété, apparaît largement illusoire. Sauf pour des personnalités d’une particulière richesse ou notoriété, la valeur des données d’un seul individu est très limitée, de l’ordre de quelques centimes ou dizaines de centimes […] Le rapport de force entre l’individu, consommateur isolé et l’entreprise, resterait marqué par un déséquilibre structurel.

Par définition, un droit de propriété est cessible à des tiers. Reconnaître aux individus un droit patrimonial sur leurs données, c’est donc courir le risque qu’ils se dépouillent eux-mêmes de leurs droits par le biais de cession contractuelle, et ce d’autant plus que l’on voit déjà apparaître des places de marchés proposant aux individus de commercialiser leurs propres données.

C’est ce type de risques que le CNNum pointe à nouveau dans son avis et il estime que ce droit de propriété sur les données non-personnelles pourrait très bien à terme constituer un « cheval de Troie » pour réintroduire l’idée d’une patrimonialisation des données personnelles. Or ce n’est pas la direction prise par la législation européenne, qui a préféré rester fidèle à la conception « personnaliste » des données personnelles avec le Règlement Général de Protection des Données adopté en 2016, qui garantit les droits fondamentaux des individus distincts de la propriété.

Toujours plus loin dans l’idéologie propriétaire…

On a vraiment l’impression que les institutions européennes s’enfoncent toujours plus loin dans le paradigme propriétaire, avec des dommages collatéraux considérables sur le domaine public informationnel. Tout se passe comme si la Commission restait bloquée sur les vieilles conceptions de la « Tragédie des Communs« , véhiculées notamment par Garret Hardin à la fin des années 60. Dans cette vision, on ne peut aboutir à une gestion efficace des ressources qu’à la condition de distribuer des droits de propriété sur tout ce qui est susceptible d’avoir une valeur, de manière à les faire régenter par les mécanismes du marché. C’est cette approche qui a conduit historiquement à l’enclosure progressive des Communs fonciers et on voit le même processus se répéter avec les Communs informationnels.

Cette nouvelle offensive de la Commission européenne fait écho à d’autres évolutions inquiétantes. Depuis quelques années, la Cour de Justice de l’Union Européenne développe ainsi une jurisprudence qui tend à soumettre les liens hypertexte à l’emprise du droit d’auteur, par le biais d’un usage extrêmement contestable du concept de « communication au public ». Là où l’établissement de liens hypertexte est resté pendant longtemps un acte libre et un constituant essentiel de la liberté d’information, des restrictions de plus en plus fortes apparaissent qui peuvent à terme fragiliser les liens hypertexte et littéralement finir par « casser Internet ». Une autre discussion est actuellement en cours au niveau du Parlement européen pour créer un nouveau droit voisin au profit des éditeurs de presse de manière à pouvoir contrôler l’indexation de leurs contenus par les moteurs de recherche. Ce serait encore un nouveau recul dans la liberté de traiter et de diffuser l’information.

On le voit, un étau juridique de plus en plus dense se resserre autour des données. On se souvient de la phrase « Information wants to be free » (l’information veut être libre) prononcée par Stewart Brand en 1984, qui est longtemps restée un des mots d’ordre de la révolution numérique. Mais les temps ont changé et aujourd’hui, on sent que la tendance est plutôt à « Information will be mine ! » (l’information sera à moi !), parce que de nombreux acteurs font pression pour que la propriété intellectuelle s’étende toujours plus loin, jusqu’à leur permettre de se saisir des données en elles-mêmes.

Dystopie en marche…

Il est assez significatif que ce soit l’Internet des Objets – surnommé par certains The Internet of Shit – qui provoque cette tentation d’une appropriation des informations. Il n’est en effet quasiment pas une semaine sans qu’un bidule connecté (poupée, brosse à dents, assistant personnel, montre, préservatif, tout y passe !) n’apporte un nouveau scandale, généralement à base de fuite de données personnelles et d’atteintes gravissimes à la vie privée…

Imaginez à présent que l’on fasse miroiter aux acteurs économiques du secteur la possibilité de bénéficier d’un droit de propriété sur les données directement captées par les senseurs incorporés dans ces objets qui s’accumulent autour de nous, sans même avoir à faire les investissements pour les rassembler dans une base de données. Nul doute que l’on trouvera beaucoup d’entreprises pour défendre une telle idée…

Mais comme le fait très justement remarquer le CNNum, en quoi ce nouveau droit de propriété constituera-t-il un atout pour faire mieux circuler les données en Europe ? C’est tout l’inverse qui risque de se produire au contraire. Ce droit sui generis sera une nouvelle barrière et un instrument très utile pour conforter les monopoles de fait qui pourraient naître dans le secteur des objets connectés. Pour parer à ce genre de risques, le CNNum propose au contraire d’imposer aux plateformes des « obligations de mise à disposition de base de donnée sous licence non-discriminatoire » dans les secteurs où les données peuvent être considérées comme des « infrastructures essentielles« .

C’est par exemple ce que l’Etat de Californie a fait dès 2014 en réquisitionnant les données de trafic collectées par les véhicules d’Uber, considérant qu’elles avaient une valeur trop importante pour les laisser entre les mains d’un seul acteur. Mais on aboutit alors à une idée exactement inverse de celle de créer une nouvelle couche de droits pour les données. Ce qui importe au contraire, c’est de maximiser leur valeur  à d’usage et d’éviter que des acteurs à tendance monopolistique n’emmagasinent à titre exclusif des masses de données sans les partager avec leur écosystème. Dès lors, on retombe sur la notion de « données d’intérêt général », un temps explorée par la Loi République numérique, mais finalement réduite à peu de choses dans le texte final.

***

Espérons à présent que la Commission ne cédera pas à ces nouvelles sirènes en venant poser de nouveaux verrous sur les données et l’information. C’est aussi pour parer à ce genre de dérives qu’il aurait été fondamental que la loi République numérique consacre la notion de domaine commun informationnel, en protégeant les données, les faits, les idées et les informations contre les risques d’accaparement. On mesure aujourd’hui combien il est dommageable que le gouvernement ait cédé aux lobbies et reculé sur ce point.

 


Classé dans:Domaine public, patrimoine commun Tagged: CNNum, Commission européenne, données, données personnelles, droit de propriété, droit des bases de données, informations, Union européenne

Liberté d’expression : le web européen subira-t-il la « malédiction du Titanic » ?

dimanche 30 avril 2017 à 09:19

Cette semaine, le vidéaste Mozinor a posté sur YouTube une vidéo intitulée « Titanic Strike » qui nous montre ce qui pourrait arriver au web en Europe, si la réforme du droit d’auteur en cours de discussion au Parlement européen tournait mal.

En exil pour un strike…

Il y a quelques semaines, Mozinor a essayé de remettre en ligne sur sa chaîne YouTube la vidéo « Titanic Park« , dans laquelle il détourne des images du film de James Cameron pour donner l’impression que les personnages évoluent dans un parc d’attractions. Postée à l’origine il y a dix ans, cette vidéo avait connu un beau succès, passant même à la télé chez Ardisson. Mais l’histoire ne s’est pas très bien terminée, étant donné qu’elle a valu à Mozinor la suppression pure et simple de sa chaîne YouTube suite à une réclamation de la Paramount pour violation du droit d’auteur. Cette plainte était pourtant manifestement abusive, puisque cette vidéo constitue une parodie et était donc protégée à ce titre par une exception du droit d’auteur reconnue par le Code de propriété intellectuelle. Mozinor explique sur son site comment il a réagi :

Plus de compte youtube, détruit en 2007 suite a une réclamation de la Paramount pour Titanic Park […] par des bots (sorte de Robots destructeurs identiques a ceux que l’on aperçoit dans Matrix) incapables a l’époque de faire la distinction entre parodie et images piratées […] Des heures de travail parties en fumée. Youtube, cette monstrueuse usine à gaz déshumanisée étant injoignable, j’ai abandonné l’idée de m’y refaire un vrai compte durant de nombreuses années.

Ironie de l’histoire, toutes mes vidéos sont quand même présentes sur youtube (alors que l’auteur en est lui-même banni) ré-uploadées anarchiquement en plus de 3000 exemplaires sur leurs comptes par des indélicats en mal de nombre de vues faciles dans des formats et qualités aléatoires, oubliant bien souvent de citer l’auteur […]

Rageux, j’ai alors méprisé Youtube, et me suis rabattu vers un site alors naissant, Dailymotion, contribuant ainsi a son essor (je suis l’un des premiers inscrits), jeune hébergeur où les administrateurs français étaient plus facilement joignables, ce fut une belle epoque (80 millions de vues sur Dailymotion, avec Remy Gaillard, on a été les boss du web fr vers 2006/2009), mais j’ai pas vu arriver la génération montante.

En octobre 2012 j’ai cessé de m’obstiner et realisé un peu tard qu’il valait mieux, même symboliquement, occuper le terrain youtube, plutôt que de laisser des squatteurs s’accaparer mon boulot voir même pour certains l’ identité de mon personnage.

J’ai donc décidé de réactiver ce vieux compte youtube a l’abandon http://www.youtube.com/user/supermozinor et de faire le ménage en faisant supprimer méthodiquement ces centaines de pages parasites. Trop tard: mes millions de vues avaient été dispersées sur des centaines de comptes, que j’ai depuis réussi in extremis à faire supprimer sans pour autant les récupérer.

Sans ça et avec un peu plus de calcul et d’ambition, j’aurai peut être 200 à 300 millions de vues sur youtube, (estimation plausible vu que j’atteins les 80 millions sur Dailymotion ) mais bon c’est pas grave, l’important c’est de participer comme disait ce fdp de coubertin.

Seconde tentative, dix ans plus tard

L’histoire serait déjà significative si elle s’arrêtait là, mais il y a une suite. Il y a quelques semaines, Mozinor remarque qu’un autre YouTubeur français – Amixem (dont la chaîne compte plus deux millions et demi d’abonnés) – a posté une vidéo où il détourne lui-aussi des images du film Titanic, en les doublant avec des dialogues loufoques.

Cette vidéo n’a pas été inquietée et elle a pu atteindre un nombre considérable de vues (plus de deux millions). Mozinor a alors décidé de reposter la sienne, en espérant que cette fois, le robocopyright serait plus clément. Tout s’est bien déroulé bien au début,  jusqu’à ce que la vidéo reçoive à nouveau un strike… exactement comme il y a 10 ans ! Mais cette fois, Mozinor n’a pas voulu en rester là. Il a décidé de faire une contre-notification par le biais du système d’appel mis en place par YouTube. C’est la raison pour laquelle il m’a contacté afin que je l’aide à rédiger l’argumentation juridique, ce que j’ai fait en lui proposant le texte suivant :

La vidéo « Titanic Park » a été bloquée à tort, car elle réutilisait des extraits dans le respect de la législation en vigueur, aussi bien aux Etats-Unis qu’au sein de l’Union européenne.

En France, l’article L.122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle comporte une exception au droit d’auteur pour la réalisation de « parodies, pastiches ou caricatures » compte tenu des lois du genre.

La vidéo bloquée constitue une parodie qui respecte les critères de la législation française et qui correspond à la définition posée par la Cour de Justice de l’Union européenne dans sa jurisprudence « Deckmyn v. Vandersteen« , à savoir : 1) Présenter des différences perceptibles par rapport à une oeuvre pré-existante ; 2) Constituer une manifestation d’humour ou de raillerie ».

Par ailleurs, la vidéo respecte aussi les critères de l’usage équitable (fair use) applicable aux Etats-Unis, notamment 1) un usage transformatif de l’oeuvre réutilisée, 2) une réutilisation correspondant à une portion limitée de l’oeuvre, 3) une absence de répercussions sur le marché potentiel de l’oeuvre.

Dans ces conditions, le blocage de cette vidéo a été effectuée à tort et je demande à ce qu’elle soit rétablie dans les meilleurs délais.

Et là, l’improbable s’est produit : la vidéo a étéremise en ligne… mais seulement pour une heure ! C’est le temps qu’il a fallu pour que la Fox, qui détient les droits sur le film, confirme la réclamation, ce qui entraîne automatiquement la suppression de la vidéo…

Game over ?

Dans le même temps pourtant, la vidéo d’Amixem restait en ligne sans être inquiétée, ce qui paraît à première vue assez incompréhensible. Mais ces situations sont en réalité assez fréquentes. On remarque en effet que certaines chaînes paraissent pouvoir réutiliser assez facilement des contenus protégés, pendant que d’autres subissent les foudres du Robocopyright. Une des explications possibles, c’est que les chaînes peuvent être affiliées à des Networks (des intermédiaires qui aident les YouTubeurs à promouvoir leurs vidéos et à gérer les aspects publicitaires). Or, même si cela reste très opaque, il semblerait que l’affiliation à un gros Network puisse servir de protection et éviter des strikes. Amixem s’en défend pourtant, puisqu’il a répondu ceci suite à la vidéo de Mozinor :

Difficile de savoir qu’en penser, étant donné que le propre de la « justice privée » qui s’exerce sur YouTube est de s’exercer sans transparence et sans moyens de vérifier quelles règles sont effectivement appliquées.

Quel recours reste-t-il donc à présent à Mozinor ? Pour obtenir que sa vidéo reste en ligne, il serait à présent obligé d’intenter un procès à la Fox. Dans l’absolu, il existe des chances raisonnables de penser qu’il pourrait l’emporter, mais cela signifie accepter des années de procédure, avec des frais conséquents à avancer et toujours le risque de perdre à l’arrivée, car il est certain que la Fox dépêcherait ses meilleurs avocats pour ne pas se laisser faire. Dans ces conditions, Mozinor a décidé de ne pas tenter le diable et qu’il essaierait à nouveau de poster sa vidéo… dans 10 ans en 2027 !

Vers un filtrage généralisé en Europe

Hélas, vu ce qui se prépare au niveau européen, il est possible que la situation se soit encore dégradée dans une décennie. La Commission européenne souhaite en effet imposer à toutes les plateformes la mise en place de mesures de filtrage automatisée afin d’assurer la protection du droit d’auteur. Mais contrairement à ce qui se passe à présent sur YouTube, ce filtrage devrait opérer au chargement de contenus sur les sites, ce qui signifie que cela créerait en Europe une sorte de « bulle de filtre » empêchant certaines créations d’aller en ligne. Or comme le montre l’histoire de Mozinor, les algorithmes sont incapables d’apprécier s’ils sont en présence d’un contenu illégal ou d’une parodie légitime.

Une campagne « Save The Mème » a été lancée par l’association Bits of Freedom, soutenue par plusieurs parlementaires européens, afin de bloquer cette mesure dénoncée comme une véritable « machine à censurer » (Censorship Machine) qui pourrait singulièrement brider la créativité en Europe. Il n’est pas trop tard d’ailleurs pour écrire ou appeler des eurodéputés afin de les convaincre de faire barrage et c’est même urgent de le faire, car les différentes commissions du parlement européen vont bientôt voter sur le projet de directive, ce qui conditionnera grandement la suite.

Vous me direz que les robots-censeurs sont déjà déployés sur YouTube et comme le montre le cas de Mozinor, il est très difficile pour un vidéaste de ne pas recourir aujourd’hui au service de cette plateforme centralisée. Mais si le filtrage est imposé à tous les hébergeurs, cela signifie qu’il n’y aura vraiment plus aucun moyen d’échapper à cette censure algorithmique. Aujourd’hui, quelques plateformes (comme Twitter ou Flickr, par exemple) résistent encore à l’introduction d’un Robocopyright. Si la directive impose le filtrage automatique, cela veut dire que même Wikipédia serait obligée de s’incliner. Et inutile de croire que l’on pourra par exemple aller se réfugier sur un réseau libre et décentralisé comme Mastodon. Car le terme « décentralisé » est employé à tort à propos de ce réseau social. Les différentes instances Mastodon sur lesquelles nous ouvrons des comptes seront considérées comme des plateformes aux yeux de la directive européenne et il faudra elles aussi qu’elles installent des algorithmes de reconnaissance des contenus ! Ce qui se trame au niveau européen est donc redoutable et si cela devait arriver, la « malédiction du Titanic » subie par Mozinor risquerait de frapper l’ensemble du web en Europe. Est-ce vraiment cela que nous voulons pour la liberté d’expression et de création ?

En prison pour une parodie ?

Cette semaine, je suis tombé sur un autre cas qui montre que cette censure rampante ne se limite pas à l’Europe, mais concerne aussi l’Asie. AmoGood, un Youtubeur taïwanais spécialisé lui aussi dans les détournements et les parodies, fait l’objet de poursuites en justice intentées par un studio mécontent que ses images aient été réutilisées. Il risque même jusqu’à cinq ans de prison selon les barèmes fixés par la loi locale ! (voir ci-dessous une de ses réalisations)

Cependant, la situation est assez différente, car non seulement YouTube a visiblement refusé d’obtempérer aux demandes de retraits qui lui ont été adressées par les ayants droit, mais plus encore, la société va prêter assistance au YouTubeur afin qu’il puisse faire valoir son droit à l’usage équitable (fair use). Il est vrai que YouTube avait annoncé en 2015 qu’il lançait une action pour protéger les créateurs des demandes de retrait abusives en s’engageant à leur fournir une aide juridique et à couvrir leurs frais de justice… jusqu’à un million de dollars !

C’est sans doute de cette aide dont va bénéficier AmoGood, mais on se demande alors pourquoi YouTube ne fait pas de même pour Mozinor, car ce qu’il subit depuis 10 ans constitue un exemple éclatant des dérives qui ternissent cette plateforme. Certes, le fair use n’existe pas en France, mais on aurait besoin qu’une telle affaire soit portée devant les tribunaux pour faire évoluer la jurisprudence sur l’exception de citation et vérifier que la parodie couvre bien ce type de détournements.

***

A bon entendeur ! Et si YouTube ne bouge pas, faites-le de votre côté en écrivant aux députés pour éviter que la situation ne se dégrade encore en Europe !

 


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L’Open Data culturel est possible (et les bibliothèques le prouvent !)

jeudi 13 avril 2017 à 20:33

C’est sans doute dans le champ de la culture que le développement de l’Open Data s’est jusqu’à présent avéré le plus difficile. Mais il s’est produit cette semaine un événement important qui prouve que la démarche est possible, à condition que la volonté politique soit au rendez-vous. C’est la bibliothèque de l’INHA (Institut National d’Histoire de l’Art) qui en a apporté la preuve, en choisissant de faire passer l’essentiel des contenus de sa bibliothèque numérique sous Licence Ouverte (voir les nouvelles conditions d’utilisation). Cela signifie que la réutilisation des images d’oeuvres numérisées appartenant au domaine public sera dorénavant libre, y compris pour un usage commercial, à la seule condition de citer la source du document.

La page d’accueil de la bibliothèque numérique de l’INHA.

Cette évolution est loin d’être anodine, et pour plusieurs raisons. La bibliothèque numérique de l’INHA est déjà l’une des plus importantes de France par son contenu. Elle contient plus de 650 000 images numérisées qui reflètent les très riches collections l’établissement, avec des sources précieuses pour la recherche et des trésors que tous les amateurs d’art peuvent apprécier. C’est aussi à présent un réservoir dans lequel les créatifs – graphistes, designers, éditeurs, couturiers, artistes en tous genre ! – pourront aller puiser pour leurs propres réalisations. Pour les chercheurs, le passage à la Licence Ouverte constitue un vrai changement, car ils pourront à présent illustrer leurs articles avec des images issues de l’INHA, y compris dans des revues commerciales, sans avoir rien à négocier et à payer.

Deux oiseaux du domaine public qui vont désormais pouvoir prendre leur libre envol. [Ornement typographique composé d’oiseaux. Bibliothèque numérique de l’INHA – collections Jacques Doucet. Licence Ouverte].
La décision de passer à une libre diffusion du domaine public numérisé n’a cependant pas dû être simple à prendre, car l’INHA était en partenariat avec la RMN (Réunion des Musées Nationaux) pour la numérisation de ses collections. C’est le cas de la plupart des musées en France, mais cela reste assez rare pour les bibliothèques. Or cet établissement, pour des raisons liées à son auto-financement, applique une politique très restrictive de diffusion du domaine public numérisé, en revandiquant (sans doute illégalement – copyfraud) un droit d’auteur sur les prises de vue que ses opérateurs réalisent pour le compte des établissements lui confiant ses collections. Ces derniers se retrouvent alors liés par la politique de la RMN et il n’est pas si simple d’en sortir, quand bien même ils le voudraient. L’exemple de l’INHA montre que cela reste toutefois possible, même si on constate que les seules collections dans sa bibliothèque numérique qui ne sont pas passées sous Licence Ouverte sont celles sur lesquelles la RMN continue visiblement à revendiquer des droits.

Ce qui est particulièrement encourageant, c’est de constater que l’INHA n’est pas le seul établissement à avoir fait ce choix de l’ouverture. On peut même dire qu’il existe à présent du côté des bibliothèques françaises une véritable tendance de fond en faveur de la libre diffusion. C’est particulièrement significatif du côté des grandes bibliothèques patrimoniales de l’Enseignement Supérieur. La Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg (BNUS – voir Numistral) a été la pionnière en 2012 à opter pour la Licence Ouverte, rejointe ensuite en 2013 dans ce choix par la Bibliothèque InterUniversitaire de Santé (BIUS – voir Medic@), puis par la Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine (BDIC) en 2014 (voir l’Argonnaute). La tendance existe aussi du côté des bibliothèques territoriales et j’avais notamment eu l’opportunité de saluer l’an dernier la décision de la Bibliothèque municipale de Lyon (2ème établissement français par l’importance de ses collections) de passer à la Licence Ouverte.

Cette évolution a été documentée de manière précise, grâce à un mémoire publié en janvier dernier par Laura Le Coz, élève conservatrice à l’ENSSIB. Intitulé « Patrimoine numérisé et Open Content : quelle place pour le domaine public dans les bibliothèques numériques patrimoniales ?« , ce travail contient notamment une étude comparative des conditions d’utilisation de 126 bibliothèques numériques françaises. Or il se trouve que j’avais réalisé de mon côté en 2009 une enquête similaire, qui à l’époque, mettait en lumière une politique globalement très restrictive de diffusion du domaine public numérisé (88% des établissements ne permettaient aucune réutilisation des fichiers).

Huit ans plus tard, Laura Le Coz identifie une nette évolution vers davantage d’ouverture chez les bibliothèques françaises (la proportion des établissements interdisant toute réutilisation est tombée à 43%). Le tableau ci-dessous montre également la progression significative de la reconnaissance du domaine public dans les conditions d’utilisation (passage de 4 à 49%).

Le mémoire de Laura Le Coz ne se cantonne pas à cette simple étude statistique. Il contient aussi une enquête fouillée, réalisée à partir de l’envoi d’un questionnaire et d’entretiens conduits avec des bibliothécaires, des motivations qui peuvent pousser les établissements à restreindre ou à ouvrir la réutilisation de leurs collections numérisées. Le document s’achève sur une analyse rigoureuse du cadre juridique en vigueur, qui a beaucoup évolué depuis l’entrée en vigueur des lois Valter et Lemaire.

C’est d’ailleurs en rappelant ce contexte que je voudrais terminer, car cela permet de mettre en relief la portée d’un geste comme celui que vient d’effectuer l’INHA. Comme je l’ai écrit plusieurs fois sur ce blog, le secteur culturel est le seul qui va dorénavant échapper à l’obligation d’Open Data par défaut mise en place par la loi République numérique. On doit à la loi Valter d’avoir hélas maintenu un régime dérogatoire pour les bibliothèques, archives et musées qui vont pouvoir continuer à lever des redevances sur la réutilisation des oeuvres numérisées, y compris lorsqu’elles appartiennent au domaine public.

Cela revient à consacrer une forme de « copyfraud institutionnalisé » qui renie l’existence même du domaine public, pour des motifs purement financiers. Mais ce qui se passe dans les bibliothèques montre qu’il ne s’agit pas d’une fatalité. Car chaque établissement est désormais placé devant un choix à effectuer : appliquer des redevances ou choisir un moyen approprié de diffuser librement le domaine public numérisé (à noter d’ailleurs que la Licence Ouverte n’est pas la seule à pouvoir être utilisée à cette fin). C’est de cette manière que l’Open Data culturel – et même au-delà l’Open Content – pourra désormais progresser en France, par le biais d’une politique volontariste des établissements. Ce sera bien sûr plus long et plus complexe que si les établissements culturels avaient été soumis d’emblée au principe d’Open Data par défaut, mais cela ouvre quand même un horizon positif pouvant encore être atteint.

Un des points importants à l’avenir sera donc de rassembler des arguments en faveur de l’ouverture des contenus, à même de convaincre les établissements. Or il existe sans doute à présent suffisamment de contenus librement réutilisables mis en ligne par les bibliothèques françaises pour que l’on puisse étudier les effets concrets du choix de l’ouverture, à la fois sur les publics et les établissements. Mais on manque encore cruellement de données et d’observations à ce sujet, alors qu’il s’agit à mon sens d’un enjeu crucial dans le débat. A mon échelle, je signale que j’ai essayé de contribuer à une meilleure connaissance de la diffusion en ligne du patrimoine numérisé lors de mon passage à la BDIC, lorsque l’établissement a choisi de passer à la Licence Ouverte. J’ai pu en effet participer à un projet du Labex « Les passés dans le présent », qui a permis de suivre pendant près d’un an la diffusion et les réutilisations d’un important de corpus de photographies portant sur la Première Guerre mondiale, dans le contexte de la commémoration du centenaire de 14-18. Les résultats bruts sont en ligne en Open Access sur HAL dans ce rapport de recherche et une publication détaillée suivra dans un ouvrage consacré au projet.

Rapport de recherche sur la réutilisation d’un corpus de photographies numérisées placées sous Licence Ouverte.

Je voudrais finir en faisant remarquer que cette question du domaine public numérisé ne concerne pas uniquement les établissements patrimoniaux. Une fois les conditions d’utilisation ouvertes, il reste encore à faire connaître et à mettre en valeur les collections numérisées pour que la liberté de réutilisation ne reste pas vaine. Ce n’est pas parce qu’une bibliothèque libère ses collections en ligne que le public les réutilisera effectivement. Cela demande un travail complexe de médiation et de curation, afin que le public prenne connaissance de l’existence de ces ressources et s’en empare (c’est d’ailleurs l’une des conclusions auxquelles aboutit le rapport de recherche cité plus haut).

De ce point de vue, je voudrais signaler l’excellente initiative de la bibliothèque Georges Brassens du 14ème arrondissement de Paris, sur laquelle je suis tombée récemment. L’établissement a en effet ouvert un blog spécialement dédié à la mise en valeur des « trésors du domaine public et des licences libres ». On y suit les aventures de Georgette, le « double numérique de la bibliothèques Georges Brassens », exploratrice du web à la recherche de contenus libres qui partage avec nous ses découvertes.

Outre l’aspect ludique et accessible, le travail de cette bibliothèque s’appuie sur un repérage précis des sources où l’on peut trouver sur Internet des contenus du domaine public réutilisables, ainsi que sur un travail d’éditorialisation destiné à attirer l’attention du public sur des oeuvres remarquables, en fonction de l’actualité.

Voilà des tâches extrêmement précieuses, qui font actuellement trop souvent défaut aux contenus libres, et pour lesquels les bibliothécaires en général (et pas seulement ceux spécialisés dans la conservation du patrimoine) peuvent jouer un rôle actif, infiniment plus utile et riche de sens que la levée besogneuse et aride de redevances de réutilisation…

 

 

 

 

 

 


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Devoir de réserve et devoir de résistance en bibliothèque

dimanche 9 avril 2017 à 09:29

Comme beaucoup de bibliothécaires cette semaine, j’ai été profondément choqué par les propos aux relents xénophobes tenus sur son profil Facebook par Anne-Sophie Chazaud, la rédactrice en chef du Bulletin des Bibliothèques de France (BBF). La polémique qui a suivi a été particulièrement âpre et elle va sans doute laisser des traces profondes dans la profession. Cet épisode pose la question des limites à la liberté d’expression qui s’imposent aux bibliothécaires, soumis comme tous les agents publics à un  devoir de réserve et à une obligation de discrétion.

Un des badges « Libraries are for everyone » produit par le mouvement « Libraries Resist » aux Etats-Unis, lancé après l’élection de Donald Trump. On notera en particulier l’image de la femme voilée, sujet au centre d’un des posts Facebook les plus outranciers d’Anne-Sophie Chazaud.

Un flou considérable entoure ces notions et je ne compte plus les fois ces dernières années où j’ai reçu des mails de collègues qui se demandaient, en général avec anxiété, où se situe la frontière juridique de la violation du devoir de réserve. Or si les grands principes sont à peu près clairs, leur application concrète peut s’avérer très délicate et les agents publics sont souvent renvoyés au quotidien à une incertitude problématique à gérer. Dans le contexte houleux de la semaine dernière, Yves Alix – directeur de l’ENSSIB – a publié une note de mise au point sur le devoir de réserve, qui s’avère fort précieuse. Elle rappelle notamment l’enjeu de la distinction entre sphère publique et sphère privée, de plus en plus complexe à opérer à l’heure d’internet et des réseaux sociaux comme Facebook (voir aussi à ce sujet la réaction à cette affaire d’Olivier Ertzscheid) :

Il importe de veiller non seulement à faire preuve de modération dans l’expression, comme l’impose le devoir de réserve, mais aussi à éviter toute espèce de confusion entre privé et public, dans la mesure où « l’obligation de réserve s’applique pendant et hors du temps de service ».

Je vous invite donc, avec la plus grande fermeté, à veiller, en toutes circonstances et quels que soient les sujets et les situations, à n’exprimer publiquement aucune opinion, en particulier sur des questions de nature politique ou religieuse, qui puisse être interprétée comme un point de vue engageant peu ou prou l’établissement, son personnel, ses élèves et étudiants, ou la communauté professionnelle de ses utilisateurs.

Cette prudence doit, je tiens à le souligner, être d’autant plus partagée par tous qu’elle est précisément une des vertus cardinales que l’on peut attendre des professionnels de l’information et de la documentation formés par l’école. Pour dire les choses plus simplement encore, nous nous devons toutes et tous, sur de telles questions, d’être irréprochables.

Cela exige un effort constant. Je suis certain que chacun(e) de nous, agent public et citoyen à la fois, peut y consentir.

Je ne peux qu’approuver ces propos et tous les professionnels devraient constamment garder  en tête de tels repères, rappelés ici avec beaucoup de clarté. Pour autant, je n’ai pu m’empêcher de ressentir un malaise en lisant ces lignes et il m’a fallu plusieurs jours pour élucider l’origine de cette gêne. Nombreux ont été ceux qui ont reproché à Anne-Sophie Chazaud d’avoir enfreint son devoir de réserve en s’exprimant comme elle l’a fait par des posts publics sur Facebook, alors qu’elle affichait clairement ses fonctions de rédactrice en chef du BBF sur son profil. Il est certain que son cas soulève une telle question, mais même si je désapprouve complètement le fond de ses propos, je me sens complètement illégitime pour lui faire ce type de reproches.

Depuis 10 ans que je suis entré dans le métier de conservateur de bibliothèque, je ne me suis en effet jamais senti véritablement lié par le devoir de réserve. L’exercice de cette profession a toujours été pour moi indissociable d’un engagement au nom de valeurs, qui s’expriment en partie par une action militante à l’extérieur de mes fonctions, mais que je ne sépare pas pour autant de mes activités quotidiennes. Ce que j’écris sur ce blog, ainsi que les actions que j’ai pu mener au sein de SavoirsCom1 ou de la Quadrature du Net, m’ont de nombreuses fois amené à dépasser objectivement les limites du devoir de réserve. Il m’est arrivé de critiquer publiquement des décisions prises par un établissement qui m’employait ; de combattre les orientations politiques de mon Ministère de tutelle ou du gouvernement ; d’utiliser des informations obtenues dans le cadre de mes fonctions à des fins militantes ; et même d’enfreindre la loi et d’appeler publiquement à l’enfreindre, parce que je pensais qu’il était juste de le faire. J’en passe…

Si le devoir de réserve est une des « vertus cardinales » que l’on attend d’un conservateur de bibliothèques, alors je suis loin d’être irréprochable de ce point de vue. Je ne conteste pas en soi la légitimité du devoir de réserve, mais il me semble que la notion doit néanmoins être interrogée. Elle renvoie en effet à la question de la neutralité des agents publics et à travers elle, à celle de la neutralité du service public des bibliothèques.

Or c’est peut-être cet aspect qui me pose le plus de problème, car la bibliothèque en temps que projet ne peut pas à mon sens être considérée comme « politiquement neutre ». La bibliothèque est un champ d’affrontement symbolique entre de nombreuses conceptions politiques contradictoires. Les choix que nous faisons en tant que professionnels, même ceux qui paraissent en apparence les plus techniques, ont tous une portée politique. Aussi, il me paraît illusoire de penser que parce qu’on se garderait de critiquer sa tutelle ou qu’on ferait un usage modéré de sa liberté d’expression, que ce soit pendant ou en dehors de ses fonctions, on serait pour autant un agent « neutre » officiant dans un service « neutre ». Les choses sont beaucoup plus complexes que cela.

Les bibliothécaires américains ont déjà exploré ce genre de questions, de manière bien plus approfondie que nous ne l’avons fait en France. Ils ont été contraints de se demander notamment jusqu’à quel point ils pouvaient – voire même devaient – s’opposer à la politique gouvernementale dans l’exercice de leurs fonctions. L’adoption du Patriot Act après les attentats du 11 septembre a marqué un tournant, car il a imposé une surveillance policière des usagers des bibliothèques, considérée comme inacceptable par beaucoup de bibliothécaires américains qui se sont organisés pour réagir. Ce moment fut crucial dans la construction de l’identité professionnelle des bibliothécaires américains, mais depuis l’élection de Donald Trump, ce débat a été relancé avec encore plus d’acuité encore. De nombreux bibliothécaires refusent en effet la stigmatisation des minorités, les politiques discriminatoires, le discours montant autour de la « post-vérité » et les tentatives du gouvernement Trump de faire disparaître certaines données scientifiques lorsqu’elles contredisent sa vision du monde.

Un véritable mouvement de résistance est en train de s’organiser parmi les bibliothécaires américains et dans les textes qu’ils publient, il est frappant de constater qu’ils contestent justement que la bibliothèque puisse être considérée comme un espace « neutre ». Symétriquement, ils appellent leurs collègues à sortir de leur réserve pour réaffirmer des valeurs dans le cadre de leurs fonctions. Très clairement, ils opposent un devoir de résistance au traditionnel devoir de réserve, dont ils considèrent que l’observation stricte risque rapidement de devenir synonyme de compromission.

Peut-être pourrait-on estimer que cette pente est dangereuse, mais elle est aussi le reflet de l’époque troublée dans laquelle nous nous enfonçons peu à peu. Ce qui arrive en ce moment aux Etats-Unis pourrait très bien nous frapper bientôt, tant sont fortes les incertitudes politiques qui pèsent sur notre pays. C’est même déjà le cas, quand on voit par exemple les pressions que subissent les professionnels en bibliothèque autour des livres abordant la question du genre (voir l’affaire des « Deux papas »). D’une certaine façon, le devoir de réserve auquel est astreint le fonctionnaire est aussi la contrepartie d’une protection, car si l’agent public ne peut s’exprimer comme il l’entend, les autorités de tutelle sont limitées de leur côté par le principe de neutralité du service public qui ne leur permet pas, du moins en théorie, de soumettre les bibliothèques à n’importe quelle orientation politique. Remettre en cause la « neutralité » des bibliothèques, c’est courir le risque de rompre ces digues et d’en faire ouvertement un champ de bataille idéologique. Mais dans le même temps, ce conflit a déjà commencé – il a même toujours existé – et la neutralité joue aussi comme un voile trompeur qui masque trop souvent des partis pris déjà à l’oeuvre.

L’affaire Anne-Sophie Chazaud dépasse donc à mon sens largement son simple cas personnel. Elle constitue un nouveau signe annonciateur pour les bibliothécaires français d’une période sombre où nous risquons d’être confrontés à des choix extrêmement compliqués à opérer entre respect du devoir de réserve et impératif moral d’un devoir de résistance. Au vu des divisions idéologiques que cette affaire a révélées, nous risquons de devoir nous affronter non seulement à nos tutelles, mais aussi à une partie de nos collègues. Et il ne suffira sans doute plus de nous montrer « réservés et discrets » pour être considéré comme un professionnel « irréprochable » ; peut-être même que chercher à le rester nous fera justement basculer dans l’inacceptable.

Je voudrais terminer en proposant ci-dessous la traduction en français d’un billet de blog, écrit en décembre dernier par le bibliothécaire américain Jason Griffey au lendemain de l’élection de Donald Trump. Ce texte m’avait beaucoup frappé à l’époque et je trouve qu’il interpelle encore plus après cette affaire qui a déchiré la profession des bibliothécaires en France. Il pose avec force certaines des questions que j’ai essayé d’esquisser ci-dessus et il en aborde d’autres que nous devrions reprendre et travailler collectivement, sans attendre d’avoir basculé dans le pire…

Levez-vous. Battez-vous. Entrez en résistance.

(Traduction en français par Lionel Maurel du texte « Stand. Fight. Resist » publié le 16 décembre 2016 par Jason Griffey et placé initialement sous licence CC-BY).

L’idée que les bibliothèques constituent des espaces neutres a été largement déconstruite au cours des dernières années. Depuis les services que nous offrons jusqu’aux collections dont nous nous occupons, les décisions que prennent les bibliothèques et les bibliothécaires sont politiques et reflètent des valeurs. Parfois, ces valeurs sont celles d’établissements, parfois ce sont celles d’individus et parfois ce sont les valeurs des communautés que la bibliothèque sert. Ces valeurs s’inscrivent dans nos technologies, dans nos ontologies et dans nos systèmes d’indexation. Ceux qui essaient de soutenir que la « neutralité » d’accès à l’information est encore un idéal à atteindre auront de plus en plus de mal à rester sur une telle ligne, alors qu’un nombre croissant de bibliothécaires questionnent et déconstruisent notre profession. Je voudrais suggérer quelque chose de plus fort encore : même s’il était possible pour les bibliothèques d’être des espaces neutres, créer de tels espaces poserait encore question d’un point de vue moral et pourrait même s’avérer éthiquement condamnable.

Je dis cela en tant que personne qui croit fermement à la maxime selon laquelle on doit combattre les mauvaises idées par plus de débat d’idées. Je ne suis pas ici pour défendre le contrôle ou les restrictions dans la liberté d’expression. Mais il n’entre pas dans la mission de toutes les bibliothèques de collecter et de donner accès à des littératures de haine ou de mensonge. Certaines bibliothèques seulement doivent tout collecter, le bon comme le mauvais, à des fins d’archivage ou d’étude historique, mais elles sont clairement identifiées et la majeure partie des bibliothèques peuvent et doivent choisir par le biais de leurs actions, de leurs programmes, de leurs politiques et de leurs collections d’être du côté de la justice et de la science. 

La neutralité favorise les puissants et marginalise encore davantage ceux qui sont marginalisés. Dans le climat politique actuel, alors que les opinions sont utilisées comme des gourdins et que la désinformation est devenue une arme de prédilection pour manipuler et exercer une coercition intellectuelle, il est temps pour ceux qui accordent encore de la valeur aux faits et ont le souci des plus faibles de se lever et d’affirmer qu’on ne saurait se comporter autrement.

Pour les bibliothèques et les bibliothécaires, cela signifie :

Tous ces points sont vitaux et essentiels. Particulièrement en ce moment. 

Il s’est écoulé seulement un mois depuis la Nuit de l’Election de 2016 et la banalisation des positions du président élu est déjà très largement en cours. Les principaux médias rendent compte de ses actions, mais le plus souvent sans questionner ses déclarations ou réfuter ses affirmations. Quand l’une de ses porte-paroles, Scottie Neil Hughes, affirme que les faits ne constituent plus désormais la réalité, nous qui vivons encore dans le monde réel ne devons tout simplement pas accepter ce type de déclarations. 

Nous arrivons à un moment de l’histoire qui n’est plus fait pour la neutralité. Ce n’est plus le temps où les bibliothèques pouvaient servir paisiblement leurs communautés. Quand je dis que les quatre années qui viennent seront peut-être les plus importantes dans l’histoire de notre pays, je ne fais pas une simple métaphore ou une hyperbole. Je crois sincèrement que le sort de la République est peut-être en jeu et que la menace du fascisme est réelle et imminente. Face à une telle éventualité, la bibliothèque est à la fois un refuge et une cible, un bastion contre la désinformation et dans le même temps, elle risque d’être écrasée sous la botte de l’anti-intellectualisme. 

La neutralité doit être abandonnée et nous devons nous dresser positivement contre la menace de la remise en cause des droits des citoyens, tout comme des non-citoyens. Nous devons éviter de présenter comme équivalentes deux explications contradictoires quand l’une est basée sur des preuves et l’autre ne l’est pas. Nous devons continuer à défendre un monde établi sur des faits, enraciné dans la méthode scientifique et dans une conception de la vérité scientifique comme réfutable. Nous devons construire des collections qui reflètent le consensus académique sur notre monde et ne pas nous laisser entraîner dans la rhétorique de « l’équilibre des opinions ». Il n’y a plus d’opinions qui tiennent lorsqu’elles visent à s’en prendre à des groupes de personnes ou quand elles entrent en opposition avec des faits scientifiquement établis. Nous devons être les défenseurs des faits et de la raison. 

Maya Angelou a dit : « Quand quelqu’un vous montre qui il est, prenez-le au sérieux ». Notre Président Elu nous a montré qui il était : un homme superficiel et ignare qui s’est entouré de tous ceux qui recherchent le pouvoir aux dépends des plus faibles et qui en feront usage systématiquement pour diaboliser afin de déshumaniser ceux qu’ils voudront écraser. Notre gouvernement sera bientôt composé par ceux qui veulent nuire aux communautés LGBTQ, par ceux qui veulent pourchasser et persécuter les gens à cause de leur religion, par ceux qui comprennent si mal la Constitution et la Déclaration des Droits qu’ils sont prêts à revenir sur des libertés acquises de longue lutte pour accroître leur confort et leur pouvoir. Or s’il y a une chose que nous a enseigné l’histoire, c’est qu’il vaut mieux pour une société que le pouvoir soit toujours gardé sous contrôle et que ceux qui l’exercent ne se sentent pas trop confortables. 

La bibliothèque doit rester un endroit pour tous et chacun, mais surtout pour ceux qui courent le plus de risques. Elle doit renforcer notre compréhension du monde et notre compassion pour les personnes qui l’habitent. La neutralité et l’équilibre ne sont plus des voies à suivre. Nous devons entrer en résistance contre les forces qui cherchent à banaliser la ségrégation, l’agression et l’ignorance. 

Les bibliothèques constituent de puissantes forces positives. Il est maintenant temps de rassembler nos forces, de nous dresser courageusement face à ceux qui cherchent à limiter et à réduire nos droits et notre compréhension du monde. Jetons le faux voile de la neutralité et travaillons pour embrasser et soutenir un monde de justice sociale, d’équité pour tous et de compréhension scientifique. Ce pays, et les gens qui l’habitent, mérite un monde meilleur que celui qu’on les force à accepter. Utilisez votre pouvoir comme autant de piliers pour vos communautés, comme gardiens du savoir et dispensateurs de secours, utilisez votre pouvoir pour résister à la banalisation du fascisme et de l’obscurantisme, de la haine, de la peur et de l’avidité. Levez-vous pour la vérité et la connaissance, la justice et l’équité pour tous. Levez-vous pour défendre les faits et ceux qui sont les plus fragiles. Dressez-vous contre ce spectacle d’horreurs qui se révèlent peu à peu à nous et battez-vous avec ceux qui sont déterminés à maintenir l’équité sociale, la justice face aux injustices et l’amour au-delà de la haine. 

Levez-vous. Battez-vous. Entrez en résistance. 

***

Il faut bien avoir conscience que d’après les standards du droit français, ce texte de Jason Griffey pourrait être considéré comme une violation de son devoir de réserve.

 


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Décret Chambord : le patrimoine livré à l’arbitraire

lundi 3 avril 2017 à 11:27

La semaine dernière est paru un des décrets d’application de la loi CAP (liberté de Création, Architecture et Patrimoine), qui était attendu au tournant. Le texte contient en effet une disposition ayant trait à un des aspects les plus controversés de cette loi : la création d’un nouveau droit à l’image sur les bâtiments des domaines nationaux (à savoir plusieurs monuments historiques tels que le palais du Louvre, le château de Versailles, les domaines de Chambord, de Fontainebleau, de Marly-le-Roy, etc.).

Une superbe photographie du château de Chambord présente actuellement sur Wikimedia Commons, mais qui pourrait bien ne pas y rester longtemps… (Par Arnaud Sherer. CC-BY-SA).

L’adoption de cette disposition a été très fortement critiquée par les défenseurs de la Culture libre, à commencer par Wikimedia France, qui a dénoncé une nouvelle forme de privatisation du domaine public. Je souscris entièrement à l’analyse de cette dérive législative et on peut dire que le décret d’application de la loi ne fait que confirmer les craintes que nous pouvions avoir à l’endroit de ce dispositif. Le texte reste en effet très vague quant aux conditions d’application de ce nouveau droit à l’image et il va laisser dans les faits un pouvoir d’appréciation extrêmement large aux responsables de ces établissements pour décider quels seront désormais les usages légitimes ou non du patrimoine.

Répercussions de l’affaire Chambord/Kronenbourg

Pour bien mesurer la portée de ce décret, il est important de revenir rapidement sur sa généalogie. Tout est parti d’un litige survenu entre le domaine de Chambord et la société Kronenbourg, à propos de l’usage de l’image du château dans une campagne publicitaire pour la bière 1664 (voir ci-dessous).

Le domaine de Chambord a souhaité soumettre l’usage de l’image du bâtiment à une redevance (de l’ordre de 250 000 euros…) que Kronenbourg a refusé de payer. L’affaire est partie devant les tribunaux administratifs qui, après quelques hésitations, ont fini par rejeter les prétentions des responsables du domaine. Ils ont notamment rappelé si les bâtiments du domaine de Chambord constituent bien une propriété publique protégée, ce n’est pas le cas de leur image qui échappe au régime de la domanialité publique. Ils ont également constaté que, contrairement à ce que soutenaient les responsables, les opérateurs photo envoyés sur place par Kronenbourg n’avaient causé aucun désordre anormal en réalisant les prises de vues. Il n’a pas été nécessaire de fermer aux visiteurs habituels l’entrée du domaine, qui a bien pu rester affecté à l’usage de tous.

Dans ces conditions, et même si les juges ne le disent pas explicitement dans leurs décisions, cela revenait à considérer que l’image de ces bâtiments appartient bien au domaine public au sens de la propriété intellectuelle, ce qui confère à tout un chacun une liberté de réutilisation y compris à des fins commerciales. Les juges administratifs ont bien fait la distinction entre la propriété matérielle du bâtiment et la propriété incorporelle sur son image. En cela, ils rejoignaient la Cour de Cassation, qui a refusé de son côté de reconnaître un droit à l’image des biens au profit des propriétaires privés (plus exactement, l’utilisation de l’image d’un bien est libre, du moment qu’elle ne cause pas de « trouble anormal » au propriétaire).

Revanche législative avec l’amendement Chambord

L’affaire aurait pu en rester là, mais ce qu’une jurisprudence peut faire, la loi peut venir le défaire. Une intense opération de lobbying administratif menée par des responsables de domaines nationaux a convaincu députés et sénateurs de créer une nouvelle disposition spécialement conçue pour permettre aux établissements de contrôler l’usage de l’image des bâtiments :

L’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux, sur tout support, est soumise à l’autorisation préalable du gestionnaire de la partie concernée du domaine national. Cette autorisation peut prendre la forme d’un acte unilatéral ou d’un contrat, assorti ou non de conditions financières.

La redevance tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation.

L’autorisation mentionnée au premier alinéa n’est pas requise lorsque l’image est utilisée dans le cadre de l’exercice de missions de service public ou à des fins culturelles, artistiques, pédagogiques, d’enseignement, de recherche, d’information et d’illustration de l’actualité.

Plus qu’un droit à l’image, le dispositif mis en place par cet article ressemble à un véritable « crypto-droit » de propriété intellectuelle. Il consiste bien en un droit exclusif d’autoriser ou d’interdire, assorti de la possibilité de soumettre l’usage au paiement d’une redevance.

Les parlementaires ont néanmoins cru faire preuve d’équilibre en prévoyant une série d’exceptions pour des usages considérés comme légitimes (culture, pédagogie, recherche, information). Mais la distinction usage commercial/usage non-commercial va rendre dans les faits ces pseudo-exceptions inopérantes (ou extrêmement hasardeuses dans leur application). La plupart des usages culturels impliquent en effet une dimension commerciale (un peintre qui vend une toile ou un photographe professionnel qui vend un cliché). Idem pour les usages pédagogiques ou de recherche : une illustration dans un manuel scolaire correspond à un usage commercial, de même qu’une photo accompagnant l’article d’un chercheur publié dans une revue scientifique commercialisée. Et c’est la même chose pour l’illustration de l’actualité et l’information, dans la mesure où les organes de presse sont dans la majorité des cas des entités commerciales.

On attendait le décret pour savoir exactement ce qu’il en serait de la mise en oeuvre de cette disposition. Mais c’est peu dire que le texte reste extrêmement laconique sur ces questions :

Les conditions financières de l’utilisation commerciale de l’image d’éléments des domaines nationaux appartenant à l’Etat et confiés à un établissement public sont fixées par l’autorité compétente de l’établissement.
Dans les autres cas, le préfet fixe les conditions financières des actes unilatéraux ou contrats relatifs à l’utilisation à des fins commerciales de l’image des biens appartenant à l’Etat qui sont inclus dans le périmètre d’un domaine national.

En gros, les autorités administratives compétentes (responsables des domaines ou préfets) disposent à présent d’un pouvoir discrétionnaire pour autoriser ou interdire un usage commercial, sachant que la définition de ce caractère commercial est absente dans la loi. Par ailleurs, ces autorités sont aussi complètement libres de fixer comme elles l’entendent le niveau des redevances qu’elles voudront imposer en contrepartie des usages. La loi leur accorde un véritable « chèque en blanc », ce qui soulève toute une série de problèmes. 

La consécration d’un arbitraire patrimonial

On a pu déplorer ces dernières années une multiplication des dérives législatives qui ont peu à peu « légalisé le copyfraud » dans notre pays, c’est-à-dire l’atteinte aux libertés offertes normalement par le domaine public (au sens de la propriété intellectuelle). Mais ces dispositions « Chambord » me paraissent les plus graves qui aient été introduites jusqu’à présent et je vais essayer d’expliquer pourquoi.

On peut prendre à titre de comparaison la loi relative à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public (dite loi Valter), qui a mis en place une autre forme d’atteinte au domaine public. Ce texte permet en effet aux bibliothèques, musées et archives de lever des redevances sur l’usage des reproductions numériques d’oeuvres appartenant au domaine public, en les assimilant à des « données publiques ». Il s’agit en soi d’une forme de régression, car les copies fidèles (donc non-originales) d’oeuvres du domaine public devraient demeurer librement réutilisables. Mais aussi contestable qu’elle soit, la loi Valter n’a pas osé aller aussi loin que la loi Création.

Le texte maintient notamment un véritable droit à la réutilisation et les bibliothèques, musées et archives n’ont pas la faculté de refuser discrétionnairement de faire droit à une demande de réutilisation des images, même à caractère commercial (y compris d’ailleurs s’il s’agit d’une publicité). On dit en droit administratif que ces services ne disposent que d’une compétence liée et ils doivent automatiquement accorder une autorisation aux demandeurs. De surcroît, les institutions culturelles n’ont pas non plus la liberté de fixer comme elles l’entendent le niveau des redevances exigées en contrepartie des usages. La loi et son décret d’application encadrent étroitement le calcul des redevances pour garantir que l’administration ne cherchera qu’à amortir ses coûts de production des informations, et pas à dégager un retour sur investissement.

La loi Valter reste critiquable, mais on ne peut pas dire qu’elle va créer un « arbitraire administratif sur le patrimoine », car la marge d’appréciation des administrations reste limitée. Il n’en est hélas pas de même pour la loi Création qui consacre un véritable pouvoir discrétionnaire aux mains de quelques responsables d’établissements. Les directions des domaines nationaux auront désormais toute latitude pour décider au nom de critères purement subjectifs quels seront les usages légitimes du patrimoine et c’est là une régression extraordinaire.

Une « privatisation » inutile du bien commun

Loin de constituer une protection du bien public, la loi Création va faire déraper encore davantage la gestion des domaines nationaux vers une forme de « privatisation ». C’était déjà d’ailleurs une réalité rampante pour un domaine comme celui de Chambord, qui a pris depuis 2005 la forme d’un établissement public à caractère industriel et commercial.

Disposant désormais d’un droit exclusif très semblable à celui d’un propriétaire privé, les responsables des domaines nationaux, de plus en plus soumis à l’impératif de dégager des « ressources propres » pour s’auto-financer, vont sans doute exercer ce pouvoir d’interdire et d’autoriser en fonction de calculs purement financiers. On est donc aux antipodes d’un dispositif qui protégerait l’intégrité des biens culturels, mais bien dans un engrenage qui ne peut conduire qu’à leur dénaturation.

« L’amendement Chambord » a donc aussi une véritable portée idéologique et symbolique. Les domaines nationaux vont à présent cesser d’être des biens communs appartenant à tous, pour devenir des biens soumis à la décision arbitraire de quelques uns, ce qui est l’exact opposé de la garantie publique que devrait exercer l’Etat sur le patrimoine. 

On notera aussi que même d’un strict point de vue juridique, ce dispositif était inutile, car les responsables des domaines nationaux disposaient déjà de tout un arsenal efficace pour lutter contre les utilisations problématiques. Dans leurs décisions successives sur l’affaire Chambord, les juridictions administratives ont bien rappelé par exemple que si un opérateur privé vient occuper les espaces d’un domaine national d’une manière qui perturberait l’accès régulier du public, alors l’administration est fondée à exercer un pouvoir d’appréciation et à tarifer cette occupation privative. On peut penser par exemple au tournage d’un film qui nécessiterait de fermer temporairement l’accès des bâtiments au public.

Par ailleurs, même pour les réutilisations publicitaires, il existe des limites pouvant résulter de la protection dont bénéficient au titre du droit des marques les noms et logos associés aux domaines nationaux. Ainsi l’an dernier, la mairie de Versailles a pu contester l’usage par McDonald du nom de la ville pour la promotion d’un « menu Versailles », avec une campagne d’affichage qui reprenait l’image du château.

Je suis loin d’approuver complètement cette transformation du nom des monuments historiques en « marques de commerce » et ce type d’usage de la propriété intellectuelle peut aussi occasionner des dérives. Mais disons que c’est sans doute un moyen plus adéquat de protéger les intérêts liés à le renommée d’un lieu. Notons d’ailleurs que Kronenbourg en avait tout à fait conscience, car ils se sont bien gardés d’utiliser le nom « Chambord » dans leur campagne « Le goût à la française », sachant qu’ils auraient pu être mis en cause pour violation du droit des marques.

Procès en légitimité des usages commerciaux

Encore une fois, toute cette affaire nous ramène à la difficulté d’appréhender la légitimité des usages commerciaux de la culture et du patrimoine. On se heurte à ce problème depuis des années en France, sans arriver à trouver d’issue satisfaisante.

Un des dommages collatéraux de l’amendement Chambord va par exemple frapper la possibilité de partager des images sous licence libre des bâtiments des domaines nationaux et c’est d’ailleurs une des raisons qui ont conduit Wikimedia France à s’opposer à ce texte. Les images qui figurent dans Wikimedia Commons sont en effet toutes placées sous des licences libres qui, par définition, autorisent la réutilisation commerciale. Or à présent, la loi française va compromettre la validité de ces licences, y compris contre la volonté de leurs auteurs. Dans l’absolu, les responsables du domaine pourraient même demander le retrait en bloc des images sous licence libre figurant sur Wikimedia Commons, mais ils ne le feront sans doute pas pour s’éviter un terrible bad buzz. La loi Création va cependant quand même faire peser une véritable épée de Damoclès sur les réutilisateurs qui voudraient aller puiser dans Commons pour un usage commercial. Ils n’auront désormais plus la garantie de pouvoir effectuer ces usages paisiblement, car les responsables des domaines nationaux pourront s’appuyer sur la loi française pour venir interdire ou soumettre à redevance les usages commerciaux de ces images sous licence libre.

Pourtant, les usages commerciaux constituent un vecteur à part entière du rayonnement du patrimoine culturel. C’est à travers les réutilisations effectuées par des éditeurs, des réalisateurs, des photographes – et pourquoi pas même des publicitaires ! – que le patrimoine revient à l’attention du public et demeure vivant dans la mémoire collective. Comme l’a fait très justement remarquer Rémi Mathis sur Twitter, ce qui était hier usage publicitaire sera peut-être considéré demain comme un usage artistique à part entière, en prenant pour exemple cette superbe affiche d’une compagnie de train reprenant l’image du château de Chambord.

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Certes, on peut considérer que la publicité réalisée par Kronenbourg n’était ni très esthétique, ni de très bon goût. Vous avez parfaitement le droit de penser que la 1664 n’est peut-être pas la meilleure bière à associer avec le « goût à la française ». Mais ce sont des appréciations que nous devons rester tout un chacun libre de faire et nous gardons ensuite tous la possibilité de sanctionner la marque en n’allant pas acheter son produit, si vraiment nous sommes en désaccord avec son propos. Mais ce n’est certainement pas à quelques gestionnaires administratifs de décider seuls dans leur coin ce qu’on a le droit de faire ou non avec l’image du patrimoine, car nous n’avons absolument aucune garantie qu’ils en seront des gardiens avisés.

Pendant ce temps, aux Pays-Bas…

Alors que paraissait la semaine dernière ce décret Chambord, un autre événement avait lieu en parallèle aux Pays-Bas, qui traduit une conception complètement différente de l’articulation entre les usages commerciaux et la valorisation du patrimoine. Le Rijksmuseum d’Amsterdam s’est en effet fait connaître ces dernières années pour diffuser des milliers de reproductions d’oeuvres qu’ils abritent dans ses collections en haute-définition et sous la licence CC0, qui autorise toutes les formes de réutilisations sans aucune restriction.

Mais ce musée ne se contente pas de mettre à disposition ces contenus en ligne. Il a choisi de pousser explicitement à la réutilisation commerciale et il organise à cette fin chaque année un concours ouvert aux designers et aux créatifs, en leur donnant carte blanche pour aller puiser dans ses chefs-d’oeuvre numérisés. S’appuyant sur cette liberté accordée, les participants au concours ont fait preuve cette année d’une imagination particulièrement débridée en proposant des robes, des livres pop up, des bonnets, des lampes, une performance de danse contemporaine, des lentilles de contact et même… des préservatifs !

Eden Condoms, par Esther Pi et Timo Waag.

On entend déjà les réprobations qui se seraient élevées en France si un tel concours avait eu lieu. Comment ? Des oeuvres patrimoniales sur des préservatifs ! Mais quelle horreur ! Que font donc les conservateurs du musée ? A quoi sert donc le Ministère de la Culture, si de telles choses peuvent avoir lieu ? Mais la proposition faite par les designers Esther Pi et Timo Waag mérite d’aller y regarder de plus près, avant de jeter les hauts cris. Leurs « Eden Condoms » font figurer sur des pochettes de préservatifs des dessins et gravures anciennes représentant Adam et Eve au Jardin d’Eden. Personnellement, je trouve le résultat plutôt réussi sur un plan esthétique et le propos par lequel il justifie le choix de ces illustrations me paraît tout à fait pertinent :

Eden Condoms

Esther Pi & Timo Waag

The condom is a practical and natural solution to develop and enjoy our sexuality. It provides a carefree way to a more conscious experience of temptation and pleasure.

The glimpses of paradise on the condoms recall the bliss of Eden; the equality between the sexes and the unity between man, nature and God. To be able to live our sexuality on those terms, without a sense of shame, guilt or fear, is according to Eden Condoms the way to paradise.

Vous n’êtes pas convaincu ? Vous trouvez cette réutilisation déplacée ? C’est entièrement votre droit et le musée s’en remet justement au vote du public pour désigner les gagnants du concours, qui obtiendront la possibilité de voir leurs objets vendus par la boutique du musée. Mais même s’ils perdent, Esther Pi et Timo Waag pourront commercialiser leurs préservatifs et c’est encore une fois le public qui aura le dernier mot, en décidant d’acheter ou pas leurs réalisations.

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Voilà donc une excellente illustration des différences de philosophie dans l’approche de la diffusion du patrimoine. Avec le décret Chambord, nous sommes dans l’arbitraire administratif pur et simple, qui peut très bien laisser la porte ouverte à des dérives commerciales tout en empêchant un grand nombre d’usages légitimes. Au Rijksmuseum, on a au contraire évolué vers une politique patrimoniale qui ne préjuge pas de la légitimité des usages et laisse au final le dernier mot au public, sans empêcher des réalisations de toutes sortes de voir le jour.

Ce qui est le plus inquiétant est le précédent juridique introduit par ce décret Chambord.Il suffirait que ce système du droit à l’image s’étende un jour des bâtiments patrimoniaux aux oeuvres qu’ils contiennent et ce sera tout simplement la mort du domaine public en tant que support des libertés créatives. Et on mesure à quel point il est ironique que ce soit une loi sur la « liberté de Création » qui ait planté ce nouveau clou dans le cercueil du domaine public. Si la liberté de création existe, elle ne saurait dépendre du bon plaisir de quelques responsables administratifs érigés en gardien des bonnes mœurs culturelles…

 

 

 

 

 

 

 

 


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