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L’Open Data de l’Elysée est sous licence fantôme…

mardi 17 septembre 2013 à 10:00

L’Elysée a annoncé hier par le biais de son fil Twitter qu’il "ouvrait ses données" dans une nouvelle rubrique de son site. Un premier ensemble de données, comme la frise chronologique des activités de la Présidence ou les statistiques de consultation du site Elysée.fr, sont disponibles au téléchargement, dans des formats adaptés (XML ou JSON).

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La réalisation est certes modeste, mais elle a sans doute une valeur symbolique de soutien apporté par l’Élysée à la politique d’ouverture des données publiques, portée par le Premier Ministre s’appuyant sur la mission Etalab. La feuille de route du Gouvernement publiée en février dernier contenait des dispositions ambitieuses en la matière. On se souvient aussi qu’aux Etats-Unis, l’implication du président Barack Obama a été déterminante, et l’est toujours, pour la mise en oeuvre de la politique d’Open Data.

Or si l’ouverture de cette section Données ouvertes (Open Data) sur le site Elysée.fr est essentiellement d’ordre symbolique, sans doute aurait-il fallu prendre garde aux aspects juridiques, qui constituent une dimension essentielle de l’ouverture des données publiques.

On remarque en effet qu’aucune licence ne figure en regard des jeux de données disponibles pour en indiquer les conditions de réutilisation. Évidemment, la possibilité technique de télécharger les données laisse sous-entendre que l’on en a le droit, mais l’Open Data n’est justement pas une question de sous-entendus. La démarche implique que les administrations mettent à disposition leurs données dans un cadre juridique clair et sécurisé, afin de donner des garanties aux réutilisateurs.

La fameuse échelle de Tim Berners-Lee sur la qualité des données publiées par les administrations. La première étoile mentionne que les données doivent être publiées en ligne sous une licence ouverte.

Ici, à défaut d’une licence adaptée, ce seront les conditions générales d’utilisation du site qui vont s’appliquer, or celles-ci ne sont pas particulièrement favorables à la réutilisation. Un "© 2012 – Présidence de la République" figure en pied de page, qui indique que tous les droits sont réservés. Mais il s’applique davantage aux contenus (textes, photos) qu’aux données proprement dites. En cliquant sur les mentions légales, on constate pareillement que la question spécifique du statut des informations n’est pas priss en compte. On trouve seulement dans la rubrique Droit d’auteur & Copyright cette indication :

Les informations utilisées ne doivent l’être qu’à des fins personnelles, associatives ou professionnelles; toute utilisation à des fins commerciales ou publicitaires est formellement interdite.

Or cette restriction n’est pas compatible avec les principes de l’Open Data, qui impliquent par définition que les données puissent être réutilisées à des fins commerciales.

Cette absence de cadre juridique clair sur Elysée.fr est surprenante, dans la mesure où la France s’est dotée ces dernières années d’instruments pour encadrer la démarche d’ouverture des données publiques. La Licence Ouverte/Open Licence a notamment été élaborée dans le cadre de la mission Etalab et elle sert pour les jeux de données figurant sur le portail data.gouv.fr. Équivalente à une licence CC-BY, elle permet la réutilisation de manière très large, y compris à des fins commerciales, à condition de mentionner la source des informations.

Logo de la Licence Ouverte / Open Licence

L’Open Data de l’Elysée est donc pour l’instant placé sous licence fantôme… et le fait que ces questions juridiques n’aient pas été prises en compte jette une ombre sur une initiative de la Présidence qui allait pourtant dans le bon sens. C’est typiquement le genre d’erreurs qui peut transformer un geste symbolique louable en coup de com’ raté. Cette omission rappelle aussi hélas que l’Elysée avait déjà choisi de ne pas publier les photos sur son site sous licence Creative Commons sous la pression de photographes professionnels soucieux de préserver leur situation.

Cette défaillance est cependant très simple à combler et on peut espérer que le site évolue rapidement pour préciser la licence. L’information la plus importante en matière d’Open Data n’est d’ailleurs sans doute pas ce changement d’Elysée.fr, mais il vient plutôt de Matignon. Une nouvelle circulaire a en effet été publiée par le Premier ministre pour rappeler aux Ministères l’importance accordée au chantier de l’ouverture des données et inciter les administrations encore à la traîne en la matière à publier les données. Le principe de gratuité dans la mise à disposition des données y est réaffirmé et un rapport est annoncé concernant les modèles de tarifications encore en vigueur dans certains secteurs (IGN, INSEE).

L’ironie veut que cette circulaire soit accompagnée d’un vade-mecum rappelant aux administrations le cadre juridique de l’ouverture des données. Peut-être aurait-il fallu le faire circuler aussi du côté de l’Elysée…

MAJ du 18/09/2013 :  Les services du Premier ministre ont effectivement publié un "Vade-mecum sur l’ouverture et le partage des données publiques". Il contient dans sa partie juridique un passage explicite concernant la Licence Ouverte :

Les données mises à disposition sur la plateforme data.gouv.fr sont sous « Licence Ouverte/ Open Licence » qui garantit la plus grande liberté de réutilisation tout en apportant la plus forte sécurité juridique aux producteurs et aux réutilisateurs des données publiques :

  • en promouvant la réutilisation la plus large et en autorisant la reproduction, la redistribution, l’adaptation et l’exploitation commerciale des données ;
  • en s’inscrivant dans un contexte international compatible avec les standards des licences Open Data développées à l’étranger et notamment celles du gouvernement britannique (Open Government Licence) ainsi que les autres standards internationaux (ODC-BY, CC-BY 2.0).

Classé dans:Données publiques et Open Data Tagged: data.gouv.fr, Elysée, Etalab, informations publiques, licence ouverte, open data, ouverture des données

Photographie dans les musées : la Charte du Ministère passe sous silence le domaine public

dimanche 8 septembre 2013 à 13:11

Voilà déjà plusieurs années que la question de la photographie dans les musées soulève des débats et des tensions. Avec les smartphones et autres appareils mobiles, l’évolution technologique a mis la plupart des visiteurs en possession de moyens performants de copie des oeuvres. Certains musées se sont adaptés à cette évolution, mais d’autres ont au contraire réagi par des surcroîts d’interdiction, posant des questions juridiques complexes.

Souvenirs du Musée d’Orsay, par louvrepourtous. CC-BY-NC-ND. Source : Flickr.

Le Musée d’Orsay a focalisé l’attention à ce sujet, en imposant une politique d’interdiction générale de la photographie dans ses murs, alors même que la plupart des oeuvres qu’il contient sont dans le domaine public. Cette politique, assumée par le directeur de l’établissement Guy Cogeval, qui voit dans la photographie personnelle des oeuvres un "acte de barbarie", a entraîné de spectaculaires réactions de la part de certains visiteurs, comme le mouvement Orsay Commons.

Juridiquement, la question n’est pas simple à trancher, car plusieurs terrains différents s’enchevêtrent, même si les interdictions générales paraissent plus que fragiles. Pour essayer d’avancer, le Ministère de la Culture a donc choisi de rassembler en 2012 un groupe de travail, qui a produit une "Charte des bonnes pratiques photographiques dans les musées et autres monuments nationaux".

Il se trouve que quelqu’un a m’a signalé ce document sur Twitter, visiblement non encore publié, mais envoyé par le directeur général des patrimoines, Vincent Berjot, aux établissements culturels sous la tutelle du Ministère de la Culture (voir ci-dessous).

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Adoptant une approche "pédagogique", cette Charte soulève néanmoins des questions juridiques importantes. Sans doute a-t-elle le mérite d’inciter les établissements les plus fermés, comme le Musée d’Orsay, à réviser leur réglement pour faire une place à la photographie personnelle. Mais dans le même temps, cette Charte passe complètement sous silence des points juridiques essentiels, comme la notion de domaine public. Pire, elle contient des dispositions qui avalisent les pratiques de copyfraud (revendications abusives de droits), auxquelles se livrent une grande partie des musées en France.

Loin donc d’être un texte qui pourra faire réellement évoluer la situation, cette Charte démontre à mon sens au contraire l’importance de consacrer la notion de domaine public par le biais d’une définition positive dans la loi, afin justement qu’elle ne puisse plus être passée sous silence et foulée aux pieds par les établissements culturels.

Souvenirs du musée d’Orsay, par liuvrepourtous, CC-BY-NC-ND. Source : Flickr.

La Charte se divise en deux parties : des engagements du côté des visiteurs et des engagements du côté des établissements. Analyse juridique détaillée ci-dessous de quelques-unes de ces dispositions.

Pour les visiteurs :

Engagement n°2 : Les prises de vues sont réservées à un usage strictement privé, ainsi que leurs reproductions.

Ce point est compréhensible en ce qui concerne les photographies d’oeuvres toujours protégées par le droit d’auteur. En vertu de l’exception de copie privée, consacrée par le Code de Propriété Intellectuelle, un visiteur peut toujours réaliser une photo d’une oeuvre, même si elle protégée par un droit d’auteur, à condition qu’il fasse la photo avec son propre matériel et qu’il réserve le cliché à son usage personnel. L’accès aux oeuvres exposées dans un musée constitue bien "une source licite" au sens du CPI.

Mais cette même recommandation devient hautement problématique en ce qui concerne les oeuvres appartenant au domaine public. Rien ne s’oppose à ce qu’un visiteur non seulement prenne en photo une oeuvre du domaine public, mais aussi la rediffuse publiquement y compris sur Internet, ou en fasse un usage collectif (pédagogique par exemple), ou même commercial. Le domaine public au sens du droit de la propriété intellectuelle signifie justement que les reproductions et représentations de l’oeuvre deviennent libres, sans autorisation préalable, ni paiement, y compris pour les usages commerciaux.

On verra cependant plus l’engagement n°7 de cette même Charte paraît… logiquement incompatible avec cet engagement n°2 !

Engagement n°6 : Pour une prise de vue nécessitant l’apport de matériel supplémentaire (pied, éclairage), le visiteur fait une demande d’autorisation spécifique auprès de l’établissement et s’acquitte, le cas échéant, d’une taxe.

Ces dispositions font référence à une ancienne loi de 1921, qui permet en effet aux musées de conditionner au paiement d’une taxe le fait de venir photographier des oeuvres, à conditions que le musée puisse justifier d’un "service rendu". On peut y voir aussi l’écho de l’idée que le fait d’installer un pied ou un dispositif d’éclairage constitue une occupation temporaire du domaine public (salles du musée) et qu’à ce tire, une redevance peut être perçue, tout comme les cafetiers paient pour mettre leurs terrasses sur les trottoirs.

Le Conseil d ‘Etat a d’ailleurs eu l’occasion en 2012 de considérer que les prises de vues de collections publiques exposées dans des musées, effectuées à des fins commerciales, pouvaient être assimilées à des "utilisations priatives du domaine public mobilier" et pour cette raison pouvaient être soumises au paiement d’une redevance.

Cette décision est très contestable, dans la mesure où elle pourrait donner une base légale à un certaine forme de copyfraud des musées, nonobstant le fait qu’une partie de leurs collections appartient au domaine public au sens du droit de la propriété intellectuelle.

Sur cet aspect complexe, la Charte s’en tient à la question de l’utilisation des espaces des musées (installation de pieds ou d’éclairage) et c’est sans doute mieux ainsi. Mais cela laisse entiers les problèmes posés par l’application des règles de la domanialité publique.

Engagement n°7 : Si le visiteur diffuse et partage ses photos et films à l’extérieur de l’établissement, et notamment sur Internet, il respecte le droit d’auteur et la vie privées des personnes, selon la législation en vigueur.

La première chose qui saute aux yeux, c’est que cet engagement n°7 est… logiquement incompatible avec l’engagement n°2 ! En effet, d’un côté le visiteur doit s’engager à faire un usage strictement privé de ses photos, mais de l’autre, on évoque à l’engagement n°7 le fait qu’il puisse diffuser, partager et même poster sur Internet ses clichés…

Or par définition, le fait de partager des photos correspond à un usage collectif et les poster sur Internet revient à les rendre publiques. Il en découle que selon cette Charte des "bonnes pratiques", certaines actions sont à la fois interdites et permises, ce qui n’a aucun sens… Bon courage aux visiteurs et aux établissements qui devront appliquer de telles recommandations !

Si l’on met de côté la dimension ubuesque de la chose, cette recommandation n°7 est tout de même positive, puisqu’elle ouvre la possibilité aux visiteurs de partager leurs photos sur Internet, à condition de "respecter le droit d’auteur". Il faut sans doute ici comprendre qu’ils peuvent le faire si les oeuvres prises en photos sont dans le domaine public, mais vous noterez que la Charte prend bien le soin d’éviter d’employer ce terme (et c’est à mon sens tout à fait délibéré).

Ce qu’elle aurait dû dire, c’est que les établissements n’ont en réalité PAS LE DROIT d’empêcher les visiteurs ni de prendre en photo des oeuvres du domaine public, ni de partager ensuite les clichés…

Du côté de l’établissement patrimonial

Engagement n°1 Une information claire concernant les dispositions réglementaires liées à la pratique photographique pour un usage non-commercial dans l’enceinte de l’établissement sera mise à la disposition de tout visiteur.

Si des oeuvres sont soumises à une interdiction de prises de ves, les motifs seront clairement exposés et communiqués.

Point positif de cet engagement n°1 : il paraît s’opposer aux pratiques d’interdiction générale de la photographie mises en place par des établissements comme le Musée d’Orsay (bien que la Charte ne dise pas cela explicitement, ce qui aurait été largement préférable à ces périphrases compliquées).

Mais dans le même temps, cette recommandation avalise l’idée que la pratique photographique dans les musées doit se limiter à un usage non-commercial. Or comme nous l’avons déjà dit, cela ne devrait pas être le cas lorsque les oeuvres photographiées appartiennent au domaine public au sens de la propriété intellectuelle.

La Charte en la matière consacre en réalité les pratiques de copyfraud auxquelles se livrent allègrement une grande partie des musées en France et elle va aussi dans le sens d’une application très contestable des règles de la domanialité publique, qui risque à terme de "neutraliser" complètement l’existence du domaine public.

Engagement n°4 : Reproductions en version numérique disponible sur le site Internet

L’établissement met à disposition sur son site Internet gratuitement des reproductions numériques de ses collections si possible d’une haute résolution avec mention claire des conditions de réutilisation pour l’usage privé du public et à des fins d’enseignement.

Ici encore la Charte, sous couvert de consacrer des usages, ne fait que donner du crédit aux pratiques de copyfraud en vigueur dans les musées français et à la RMN. Lorsque les reproductions numériques diffusées sur les sites des musées correspondent à des oeuvres du domaine public, il n’y a pas de raison que la réutilisation soit limitée à des fins privées seulement, ni même à ce que la réutilisation commerciale soit interdite.

Les musées et la RMN s’abritent derrière l’idée que leurs photographes disposeraient d’un droit d’auteur sur les photos de tableaux, mais l’évolution de la jurisprudence en matière d’originalité condamne de plus en plus nettement cette interprétation. Les reproductions d’oeuvres en deux dimensions du domaine public (et même sans doute la plupart des photos d’oeuvres en 3 dimensions) appartiennent elles aussi au domaine public. C’est d’ailleurs une condition sine qua non pour que le domaine public continue à avoir un sens réel dans l’environnement numérique.

Sur ce point, cette Charte n’a à mon sens pas de valeur et elle encourage même les musées à continuer à se livrer à des pratiques illégales.

***

Au final, cette Charte apporte peut-être un petit progrès, dans la mesure où elle remet en cause implicitement les politiques générales d’interdiction de la photographie qui ont cours dans certains musées. Néanmoins, elle n’a aucune valeur obligatoire et elle n’est pas même juridiquement opposable aux établissements par les usagers des musées. Il faudra voir à l’usage si un texte aussi "mou" suffira par exemple à ce qu’un doctrinaire comme Guy Cogeval à Orsay revienne sur son règlement. Cela me paraît douteux…

Par ailleurs, ce petit bénéfice est plus qu’annulé par le fait que cette Charte avalise en de nombreux points les pratiques de copyfraud des musées français et prône comme une "bonne pratique" le fait de poser des restrictions illégitimes à la réutilisation du domaine public.

Les termes mêmes de "domaine public" sont consciencieusement évités par le texte de la Charte, certainement afin d’éviter toute forme de reconnaissance de cette notion. C’est précisément la raison pour laquelle j’estime essentiel que la loi elle-même consacre par le biais d’une définition positive la notion de domaine public. Le rapport Lescure a repris cette proposition et c’est maintenant qu’il faudrait pousser pour qu’elle soit examinée par le gouvernement.

Si le Code de Propriété Intellectuelle comportait des mentions claires de la notion de domaine public, ainsi que des mécanismes de protection, le Ministère de la Culture et les établissements culturels ne POURRAIENT PLUS passer de la sorte sous silence le domaine public comme s’il n’existait pas.

Cette Charte devrait montrer aux défenseurs du domaine public, dont une partie des représentants ont participé au groupe de travail du Ministère, que ce type d’approches "molles" par les chartes, la discussion, les recommandations, ne fonctionnent pas. Le gain pour le domaine public est nul et seul le copyfraud et la confiscation de nos biens communs en sortent renforcés.

Espérons que les défenseurs du domaine public sauront tirer, en terme de stratégie à conduire, les leçons de cet épisode pour la suite des combats à mener…


Classé dans:Bibliothèques, musées et autres établissemerents culturels Tagged: copie privée, Domaine public, guy cogeval, interdiction, musées, orsay, photographies

Une loi orwellienne de contrôle du langage, déjà votée au Brésil en vue des JO 2016

mercredi 4 septembre 2013 à 07:06

La tenue des Jeux Olympiques d’Hiver à Sotchi en Russie alimente la polémique depuis plusieurs mois, que ce soit en raison des actes de censure du pouvoir en place ou des menaces que fait planer la loi "anti-propagande homosexuelle" sur les spectateurs et les athlètes.

Mais les prochains Jeux d’été, qui auront lieu en 2016 à Rio de Janeiro au Brésil, méritent eux aussi que l’on s’y attarde, notamment à cause des dérapages liés à la défense de la propriété intellectuelle qu’ils risquent de provoquer.

Les Jeux Olympiques de Rio en 2016 passeront-ils du côté obscur, comme ceux de Londres avant eux ? (Par Stephan. CC-BY-NC-SA).

Les Jeux Olympiques de Rio en 2016 passeront-ils du côté obscur, comme ceux de Londres avant eux ? (Photo par Stephan. CC-BY-NC-SA).


J’avais déjà écrit l’an dernier un billet pour décrire et analyser la situation proprement orwellienne dans laquelle avait été plongée la ville de Londres pendant la durée des JO. Afin de défendre leurs marques et leurs copyright, ainsi que ceux de leurs sponsors, les autorités olympiques avaient déployé un dispositif massif de surveillance et de répression, responsable de nombreux dérapages. Une police spéciale des marques s’en était pris à de nombreux commerçants ; certains médias préféraient employer l’expression "Jeux d’été" à la place de Jeux olympiques pour éviter d’être pris en défaut ; des opposants aux jeux avaient été victimes de censure parce qu’ils avaient détourné des symboles olympiques et le CIO avait même un moment essayé de réglementer la manière dont les spectateurs devaient s’habiller pour pouvoir entrer dans les stades !

Un des nombreux détournements qui ont fleuri en 2012 pour dénoncer la censure exercée à Londres au nom du droit des marques.

Or toutes ces dérives prenaient leur origine dans le vote en 2006 d’un Olympics Game Act par le Parlement anglais, qui avait octroyé au CIO une protection renforcée sur les symboles olympiques ou sur les termes servant à désigner les jeux.

A la fin de l’année 2009, après que Rio ait été sélectionnée comme ville d’accueil des jeux en 2016, le Brésil a lui aussi voté un Olympic Act, comportant toute une partie dédiée à la propriété intellectuelle. Une protection particulière a notamment été accordée à toute une gamme très large de termes et de symboles :

• all graphically distinctive signs, flags, mottos, emblems and anthems used by the International Olympic Committee (IOC);
• the names “Olympic Games,” “Paralympic Games,” “Rio 2016 Olympic Games,” “Rio 2016 Paralympic Games,” “XXXI Olympic Games,” “Rio 2016,” “Rio Olympics,” “Rio 2016 Olympics,” “Rio Paralympics,” “Rio 2016 Paralympics” and other abbreviations and variations, and also those equally relevant that may be created for the same purposes, in any language, including those in connection with websites;
• the name, emblem, flag, anthem, motto and trademarks and other symbols of the Rio 2016 Organizing Committee; and
• the mascots, trademarks, torches and other symbols in connection with the XXXI Olympic Games, Rio 2016 Olympic Games and Rio 2016 Paralympic Games.

Le texte ajoute que l’usage de ces éléments est interdit, que ce soit pour un usage commercial ou non. Cette précision, qui va au-delà de ce que le droit des marques défend en temps normal (usage dans la "vie des affaires") constitue une brèche par laquelle beaucoup de dérives peuvent s’infiltrer.

Le site Rio 2016 comporte de son côté toute une section dédiée à la politique de marques de l’évènement (The use of Rio 2016 Brand). On peut y constater que le CIO semble une nouvelle fois bien décidé à défendre avec agressivité ses droits de propriété intellectuelle, alors que les excès des jeux de Londres avaient suscité beaucoup de débats.

Les nombreux symboles des jeux protégés comme marques.

On apprend notamment sur cette page que les usages dans un contexte pédagogique des marques liées aux jeux sont encouragés, mais qu’ils devront tout de même faire l’objet d’une approbation préalable par les autorités olympiques…

Is it possible to use the brands for educational purposes?

Rio 2016™ supports the use of brands, symbols and expressions in the education institutions for learning purposes, as this is a way to involve youths in the Olympic and Paralympic Movements.

Nevertheless, if the brands are used in any educational project whose aim is to obtain sponsorship or support, the use may be submitted to the approval of Rio 2016™.

A vrai dire, le dossier de candidature remis par la ville de Rio au CIO montrait déjà l’importance accordée à cette question de la défense de la propriété intellectuelle. Les mots brand et branding y sont répétés constamment et toute une section (p. 69 et s.) détaille les moyens qui seront mis en oeuvre par le pays d’accueil pour garantir le respect des marques et des droits d’auteur.

On peut d’ailleurs remarquer (p.69) qu’une "police spéciale des marques" sera, comme cela avait déjà été le cas à Londres, mise en place pour s’assurer qu’aucun produit contrefait ne sera illégalement distribué durant la durée des jeux :

Local law enforcement officers will vigorously enforce the brand protection measures, and additional officers will be assigned to properly control counterfeit goods. In conjunction with Rio 2016, Brand Protection Units will be established within the Federal, State and each relevant City Government to combat the distribution and sale of counterfeit goods in the lead up to and during the Games.

Tous les ingrédients semblent donc réunis pour que les mêmes débordements que l’on avait pu déplorer lors des Jeux de Londres se produisent à nouveau, avec un large pouvoir de contrôle délégué par l’Etat à des puissances privées.

A vrai dire, il semble que les premiers effets négatifs de cette brand policy se fassent déjà sentir. Cet article sur un blog juridique brésilien mentionne le cas d’un développeur d’application sommé de retirer la sienne parce qu’elle mentionnait simplement les termes "Olympics 2016", alors qu’il la diffusait gratuitement. Le juriste auteur du billet ne manque de faire un lien avec la formulation beaucoup trop large de l’Olympic Act adopté par le Brésil :

This law, which is much more rigid than any other Brazilian laws relating to intellectual property, does not recognize the so-called "innocent use" or "fair use" [...]

The law gives the same treatment for both commercial and non-commercial use of Olympics related symbols.
This can lead to nonsense situations, where initiatives aimed at informing the public about the Olympics end up being considered as unlawful acts,  simply because of the use of the words "Olympics 2016".

Les jeux d’Hiver de Sotchi seront peut-être déjà eux aussi le théâtre de tels accès de Copyright Madness, en plus des débordements homophobes. Mais il faudra surtout bien se souvenir du risque introduit par ces lois orwelliennes imposées par le CIO si un jour Paris ou une autre ville française viennent à être retenues pour accueillir les Jeux Olympiques…


Classé dans:CopyrightMadness : les délires du copyright Tagged: 2016, Brésil, censure, Jeux Olympiques, JO, Londres, marques, Propriété intellectuelle, Rio

Les Mystérieuses Cités de Plomb (ou quand le public se fait défenseur du droit moral sur l’oeuvre)

samedi 31 août 2013 à 15:53

Je ne pensais pas avoir un jour l’occasion de parler des Mystérieuses Cités d’Or sur un blog juridique, mais voilà que la diffusion par TF1 d’une suite de cette mythique série des années 80 m’en donne l’opportunité. Et qui plus est à propos d’une question qui me tient particulièrement à coeur : celle du droit moral et des rapports entre les créateurs et leur public.

cités

Esteban, Zia, Tao… toute une époque !

Le droit moral constitue une prérogative très forte reconnue au bénéfice des auteurs, notamment dans le droit français, qui leur confère notamment la possibilité de s’opposer à des modifications portant atteinte à l’intégrité de leurs oeuvres. Les juges français sont particulièrement attentifs au respect de ce droit, conçu comme un prolongement de la personnalité de l’auteur à travers son oeuvre.

Voilà pour les grands principes, mais il arrive que la réalité s’avère beaucoup plus complexe, et notamment que ce soit le public qui s’élève contre un créateur pour défendre l’intégrité de l’oeuvre. Et c’est précisément ce qui est en train de se passer à propos de la saison 2 des Mystérieuses Cités d’Or, comme l’indique ce billet du Huffington Post.

L’or changé en plomb…

Lancée à grands renforts de promotion comme une suite fidèle à l’esprit de la série culte des années 80, les Cités d’Or 2 ont visiblement fort déçu les fans de la première heure, dont une partie hurle même à la trahison. Remaniée afin de séduire un public plus jeune, la série aurait été infantilisée et aseptisée à l’extrême :

[...] les droits des musiques d’origine (jugées démodées) n’ont pas été rachetés. Les scénaristes japonais et les voix d’origine, comme celle de Jackie Berger (Esteban), ont été mis au placard. Le graphisme a été changé et les personnages, passés à la moulinette 3D, ont maintenant des visages froids, déformés et cireux.

Le caractère de certains héros a été modifié. Zia, réservée et douce, est désormais une fille libérée. Tao, habitué à cacher ses sentiments, pleure dès le premier épisode. La mise en scène a été changée. Américanisée, elle accumule maintenant les clichés hollywoodiens vus et revus : Mendoza saute comme Tom Cruise dans Mission Impossible, les ralentis à la Matrix fusent, le méchant ressemble à Dark Vador…

TF1 et le studio Blue Spirit, en charge de la production de cette suite, ont donc manifestement réussi, par un tour de force alchimique à l’envers, à transformer l’or en plomb en massacrant sur l’autel du formatage un classique du petit écran.

Devant cette dénaturation de l’esprit original de l’oeuvre, les fans se sont mobilisés, déjà pendant la production, par le biais d’une pétition pour que les voix des personnages principaux ne soient pas modifiées, comme le souhaitait TF1. Mais les choses vont à présent plus loin, car une nouvelle pétition a été lancée en juillet sur Facebook pour demander aux créateurs japonais de la série (Mitsuru Kaneko, Mitsuru Majima et Soji Yoshikawa) de reprendre purement et simplement leurs droits, afin de mettre fin au saccage.

cités

Appel aux créateurs japonais de la série.

Si on traduit en termes juridiques ce qui est en train de se produire, on a bien là un public qui demande à des auteurs de faire usage de leur droit moral sur l’oeuvre pour mettre fin à une dénaturation, ce qui bouleverse quelque peu le schéma habituel.

Car en effet, le droit postule que l’auteur est toujours le mieux placé pour défendre sa création. Les juges accordent même en France à l’auteur une sorte de "droit absolu" à juger ce qui constitue ou non une atteinte à son oeuvre, sans avoir à prouver un quelconque préjudice. Or, on voit ici que les choses sont plus complexes et qu’une communauté active de fans peut s’avérer un gardien plus intègre et plus sûrde l’esprit d’une oeuvre…

Le public contre l’auteur, au nom de l’intégrité de l’oeuvre

Cet exemple des Mystérieuses Cités d’Or n’est pas isolé et on peut citer d’autres cas célèbres où des créateurs se sont retrouvés pris à partie par leurs fans, les accusant d’avoir dénaturé leur oeuvre.

L’exemple le plus fameux est celui du conflit qui oppose depuis de nombreuses années Georges Lucas à la communauté des fans de Star Wars. Que ce soit à propos des modifications introduites par le réalisateur dans les rééditions en BlueRay de la première Trilogie ou carrément à propos de l’esprit tout entier de la nouvelle Trilogie, les fans se sont mobilisés contre ce qu’ils estiment être une trahison mercantile de l’oeuvre originale. Le reportage The People vs Georges Lucas paru en 2010 retrace les manifestations de ce véritable phénomène social, qui marque une étape dans l’émergence d’une culture participative caractéristique des mutations introduites par Internet.

Alexis Hyaumet, dans un article excellent ("Georges Lucas vs Star Wars") publié sur la plateforme Culture Visuelle, allait même jusqu’à se demander à qui finalement appartenait aujourd’hui Star Wars en tant qu’oeuvre, et il est certain que le récent rachat de la franchise par Disney ne fera qu’exacerber ces crispations :

À qui appartient Star Wars ? Qui en est aujourd’hui légitime après que son maître ait été désavoué par ses disciples les plus fidèles. [...] Du fait de son histoire particulière et de son impact culturel mondial qui n’est plus à démontrer, Star Wars est un objet cinématographique hors normes et hors du commun. Victime de son succès, il appartient désormais au plus grand nombre, “il appartient au public” car il fait partie de son histoire culturelle, comme le soulignait Lucas face au Congrès en 1988. Le possessif créateur doit répondre à la demande du peuple qui réclame son œuvre avec une ferveur et un amour sans pareil. Preuve de cela, la quantité incroyable de fan films, de parodies et de montages alternatifs rebelles qui font dissidence, pour montrer à l’inflexible George Lucas d’aujourd’hui que son empire implacable a perdu toute légitimité sur l’univers Star Wars. Il serait temps pour le roi George de reconnaître, d’écouter et de respecter à leur juste valeur tous ses sujets, qui ont entretenu toutes ces années cette mythologie contemporaine, en répondant favorablement à leurs requêtes les plus essentielles. Quoi qu’il en soit, les fans se mobiliseront encore et toujours pour sauver ce qu’était Star Wars à l’origine, afin d’éviter que son propre créateur n’en devienne un jour son fossoyeur.

Un autre exemple significatif, sans doute moins connu que celui de Star Wars, concerne la série anime japonaise Neon Genesis Evangelion. Mettant en scène des combats de robots géants contre des monstres extraterrestres sur un fond d’intrigues mystiques particulièrement complexes, cette série souleva un violent mouvement de protestation chez ses fans, lorsque le réalisateur Hideaki Anno choisit de la faire se terminer en queue de poisson par un épisode complètement en porte-à-faux avec le reste, n’apportant pas les réponses auxquels le public s’attendait. Sous la pression des fans (qui alla jusqu’à des menaces de mort…), le studio Gainax obligea le réalisateur à produire une nouvelle fin sous la forme d’un film d’animation intitulé "The End of Evangelion". Mais ce dernier est encore profondément imprégné du conflit entre le public et le créateur, car Hideaki Anno s’y livre à un véritable jeu de massacre de ses personnages et des lieux de l’action de la série, comme une sorte de vengeance s’exprimant dans une débauche de violence rageuse…

Plus proche de nous, on peut dire que le fameux épisode 9 de la saison 3 de Game Of Thrones a aussi failli tourner à l’affrontement sanglant entre le créateur, Georges R.R. Martin, et ses fans. En faisant mourir trois des personnages principaux de la saga de manière particulièrement brutale, l’auteur a causé un véritable choc à une partie des spectateurs (alors que l’histoire était pourtant identique dans les romans dont est tirée la série).

Georges R.R. Martin assume entièrement ce choix, qui relève selon lui pleinement de sa liberté de créateur. Mais on a vu des articles fleurir des articles sur la Toile se demandant si l’auteur avait le droit de faire mourir ainsi les personnages… Quelque chose est graduellement en train de changer et Internet n’est pas étranger à cette évolution.

Il existe déjà une théorie de l’abus de droit moral que les juges peuvent opposer à des descendants d’auteurs, mais c’est comme si la conscience collective considérait que cette doctrine pouvait être appliquée aux créateurs eux-mêmes aujourd’hui.

Nombreux sont les montages qui se moquent de la tendance de Georges R.R. Martin à faire mourir les personnages auquel son public tient le plus (cliquez sur l’image pour en découvrir d’autres).

Ce retour du public est un retour aux sources du droit d’auteur

Ces exemples montrent que la question du droit moral sur l’oeuvre est aujourd’hui  bouleversée et que ce fleuron du droit d’auteur à la française ne peut sans doute plus être pensé de la même manière aujourd’hui qu’au siècle dernier.

Il est certain que le numérique et Internet, en mettant le public en situation d’interagir de manière de plus en plus active avec l’oeuvre et son créateur, ont contribué à redéfinir l’équilibre. La formation de communautés de fans en ligne leur donne un sentiment de légitimité dans la défense de l’intégrité de l’oeuvre, y compris parfois contre les titulaires de droits eux-mêmes.

Avec des phénomènes comme le crowdfunding, où le public est directement sollicité pour participer au financement de la création, nul doute que ce sentiment d’"avoir des droits" sur l’oeuvre ne pourra que se renforcer et qu’il deviendra de plus en plus difficile d’y résister. Sachant par ailleurs que le public a aussi la possibilité par le remix, le mashup ou les fanfictions, de se réapproprier les oeuvres, fût-ce dans l’illégalité, pour les "forker" contre la volonté de leurs auteurs…

Mais en fin de compte, est-ce que ce sentiment de propriété du public sur les oeuvres constitue vraiment une "anomalie" ? Ou n’est-ce pas plutôt la conception romantique d’un auteur tout-puissant, bénéficiant d’un droit absolu sur son oeuvre, qui n’était qu’une parenthèse historique en train de se refermer ? Voyez ce que disait Lechapelier en 1791, auteur de la première loi en France sur le droit d’auteur :

La plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable, et, si je puis parler ainsi, la plus personnelle de toutes les propriétés, est l’ouvrage fruit de la pensée d’un écrivain ; c’est une propriété d’un genre tout différent des autres propriétés. Lorsqu’un auteur fait imprimer un ouvrage ou représenter une pièce, il les livre au public, qui s’en empare quand ils sont bons, qui les lit, qui les apprend, qui les répète, qui s’en pénètre et qui en fait sa propriété.

On répète toujours la première partie de cette citation, en oubliant la seconde, mais il est évident qu’Internet a donné au public les moyens de faire des oeuvres sa propriété. Et lorsque l’on regarde concrètement la manière dont les choses se passent, cette dialectique est une bonne chose, car le public s’avère parfois un meilleur défenseur du droit moral sur les oeuvres que les titulaires de droits eux-mêmes.

PS : si vous connaissez d’autres cas emblématiques de conflits entre des créateurs et leur public à propos de l’intégrité de l’oeuvre, merci d’avance de les indiquer en commentaire ! Cela m’intéresse beaucoup !


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Cachez ce mashup que je ne saurais voir…

mercredi 28 août 2013 à 19:24

A la fin de l’année dernière, j’avais été invité à une conférence organisée à la BPI sur le thème du mashup. Intitulé "Visionner, annoter, monter : les nouvelles pratiques du mashup", cet évènement présentait le grand intérêt de réunir des artistes du mashup, des bibliothécaires et documentalistes, un sociologue consacrant ses recherches à ces pratiques et j’étais chargé de faire le juriste de service pour expliquer l’arrière-plan légal.

Cette conférence a été filmée et enregistrée et il se trouve qu’elle a été diffusée par la suite sur le site de France Culture Plus à destination des étudiants, ce qui me paraît une excellente chose en soi, étant donné la place qu’occupent aujourd’hui ces pratiques.

mashup

Conférence sur le mashup sur le site de France Culture Plus

Or à la fin du texte de présentation, on peut lire ceci qui n’a pas manqué de m’interpeller :

mashup1Cela signifie qu’en raison des problèmes juridiques que posent les pratiques transformatives qui faisaient l’objet de cette conférence, seul l’enregistrement sonore peut être consulté et non les images et vidéos qui avaient été présentées par les participants pour illustrer leurs propos.

Or c’est particulièrement dommage, car ces sélections étaient de très grande qualité. Guillaume Delapierre (alias Giovanni Sample) nous avait présenté des échantillons de sa pratique du sample de vidéos. Jean-Yves de Lépinay, directeur des programmes au Forum des images, avait montré une sélection très riche des différents types de mashups et le sociologue Micheal Bourgatte nous avait ouvert une partie de sa propre collection qu’il utilise dans le cadre de ses recherches (ont peut heureusement la retrouver ici sur Youtube). Les bibliothécaires de la BPI avaient terminé la conférence en nous montrant des productions réalisées avec des usagers de la bibliothèque et les équipes de l’IRI lors d’ateliers de mashups.

Tous ces petits bijoux de créativité contemporaine, nous ne pourrons donc pas les voir pour des raisons juridiques et il me semble que cet état de fait illustre à merveille l’ambiguïté de la situation actuelle.  D’un côté des conférences comme celles qui a eu lieu à la BPI attestent que les pratiques transformatives comme le mashup et le remix commencent à gagner en légitimité, et l’organisation depuis 3 ans du Mashup Film Festival au Forum des Images le prouve également. D’un autre côté, la rigidité des règles du droit d’auteur empêche un site comme celui de France Culture de montrer les images d’une conférence… Quelle meilleure confirmation de l’état de schizophrénie culturelle dans lequel nous nous trouvons et de la situation de prohibition qui frappe encore les pratiques transformatives !

Néanmoins, les choses pourraient changer, car suite aux recommandations du rapport Lescure, le Ministère de la Culture a demandé au Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) de se saisir de la question du statut des usages transformatifs, avec pour objectif de "sécuriser" ces nouvelles pratiques. J’ai pu noter qu’Aurélie Filippetti a fait mention de cette mission sur le mashup et le remix pendant la plénière Culture de l’Université d’été du Parti Socialiste :

Il fallait pouvoir s’attaquer à la grande transition du numérique, qui a bouleversé l’économie de la culture, mais aussi les pratiques. Et aussi les pratiques des jeunes, les pratiques de diffusion, les pratiques de création elles-mêmes. Les jeunes ne sont pas simplement des consommateurs de culture, ils sont aussi des praticiens, des créateurs, des acteurs de leurs propres pratiques culturelles à travers et grâce au numérique. Mais il faut qu’il y ait un cadre juridique sécurisé en la matière, que ces nouvelles pratiques qui se développent, le mashup, le remix, qu’on puisse les accompagner et leur donner toute la sécurité juridique qui est nécessaire.

Nous entrons dans une séquence où l’on peut espérer qu’une modification législative intervienne pour rendre ces pratiques créatives compatibles avec le droit d’auteur en France. Et j’avais essayé de montrer au mois de juin dernier qu’une marge de manoeuvre réelle existe au niveau de la loi française pour changer les choses en profondeur. Trois pistes me paraissent exploitables (le détail des propositions ici) :

1) Élargir l’exception de courte citation

2) Limiter la portée du droit moral

3) Permettre le contournement des DRM pour la création d’oeuvres transformatives

Il faudra suivre de près les travaux au CSPLA et plus encore les débats législatifs qui s’ensuivront, si l’on ne veut pas laisser passer cette chance historique, afin que les nouveaux créateurs ne soient plus obligés de se cacher et qu’on puisse librement montrer les fruits de leurs travail.

Il est croustillant que dans le même temps, Canal+ à l’occasion de la première de la nouvelle mouture du Grand Journal ait plagié sans vergogne le créateur d’une vidéo sur Youtube et cherche à présent à se justifier en disant que c’est juste de "l’inspiration". On est d’un côté avec la répression et la stigmatisation de pratiques amateurs créatives et de l’autre avec la morgue d’industries culturelles dépassées, soutenant la fermeture du système alors qu’elles ne sont même plus capables d’inventer par elles-mêmes

Si c’est la créativité qui est vraiment importante, il FAUT que le système change !

***

Je vous laisse avec plusieurs vidéos en lien avec ce sujet. Tout d’abord une conférence sur la Culture libre donnée par Lawrence Lessig au printemps dernier. Elle permet de constater la place centrale qu’occupe dans la pensée du créateur des Creative Commons la question de la légalisation du remix. Il introduit notamment une distinction intéressante entre Mix et Re-Mix (à partir de 12 minutes).

Par ailleurs, je vous recommande de visionner les vidéos de la conférence-manifeste "Demain l’art sera libre et généreux", organisée en juin dernier par le Forum des Images dans le cadre du Mashup Festival Film, à laquelle j’avais eu le grand honneur de participer.

Animée avec brio par Xavier de la Porte, cette conférence fleuve de plus de 4 heures est l’occasion de découvrir l’incroyable diversité des pratiques transformatives, ainsi que de prendre connaissance des débats qu’elles suscitent.

PS : merci @BlankTextField, qui m’a signalé à la fois l’article sur la conférence sur France Culture Plus et la vidéo de Lessig.


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