PROJET AUTOBLOG


S.I.Lex

Site original : S.I.Lex

⇐ retour index

Mise à jour

Mise à jour de la base de données, veuillez patienter...

Oculus VR racheté par Facebook : quelles conditions juridiques pour un crowdfunding équitable ?

mercredi 2 avril 2014 à 07:59

La semaine dernière, l’annonce du rachat de la jeune entreprise Oculus VR par Facebook pour 2 milliards de dollars a provoqué l’effet d’une bombe et secoué pas mal d’illusions sur le développement du crowdfunding (financement participatif). Plus de 9500 personnes avaient contribué en 2012 à rassembler 2,4 millions de dollars sur Kickstar afin qu’Oculus puisse développer le Rift, son casque de réalité virtuelle. La communauté du jeu vidéo s’était fortement mobilisée et tout ceci joint aux 21 ans de Palmer Luckey, le jeune homme à la tête du projet, avait participé à écrire une belle histoire comme Internet en suscite parfois. Deux ans plus tard, beaucoup de ces soutiens se sentent trahis, à tel point que Palmer et ses employés reçoivent des menaces de mort depuis le début de la semaine… La vidéo ci-dessous exprime bien les craintes de dévoiement du projet maintenant qu’il est tombé dans l’escarcelle de Facebook :

Crowdfunding et équité

Sur PC Inpact, Nil Sanyas a écrit un éditorial dans lequel il s’interroge pour savoir si la forme du financement participatif qui a servi à lancer Oculus VR était bien équitable et si d’autres formules n’auraient pas donné plus de garanties aux donateurs. Il explique qu’il existe en réalité au moins quatre formes différentes de crowdfunding :

Le plus connu est celui de Kickstarter. Vous misez une somme et recevez des choses en retour (un CD, un produit, un film etc.). Mais il existe bien d’autres types de financements participatifs. Il y a les dons, où aucune contrepartie n’est demandée hormis le fait de voir le projet aboutir, il y a aussi les prêts (grands ou petits) et enfin, il y a le financement participatif en capital, dit « equity based crowdfunding ». Son concept est simple : lorsque vous misez sur votre cheval, vous détenez des parts, minimes si vous avez dépensé peu, importantes si vous avez pris des risques. Si le projet est un succès, vous recevez une part des gains. Un bon moyen d’être actionnaire de petites sociétés non cotées en somme.

Ce modèle de financement participatif "basé sur l’équité" revient à faire de chaque participant un "co-propriétaire" du projet soutenu à la manière de ce que l’on peut voir sur MyMajorCompany ou TousCoProd pour le financement d’oeuvres culturelles. Nil Sanyas imagine qu’avec ce scénario, les choses auraient pu être différentes, au moins parce qu’Oculus aurait été obligé de distribuer les 2 milliards de dollars entre tous ses actionnaires :

En imaginant que Facebook ait reversé 2 milliards de dollars aux actionnaires d’Oculus, la chanson aurait bien entendu été très différente. Aujourd’hui, de nombreux investisseurs de la start-up se plaignent sur la page Kickstarter, parfois sans prendre de gants. Certains s’en prennent même à la plateforme de financement participatif, l’affaire la décrédibilisant à leurs yeux. Des remarques qui n’auraient évidemment pas lieu d’être en cas de financement en capital.

Il est certain que le système de dons avec contreparties (souvent dérisoires : t-shirt, posters, nom cité quelque part…) de Kickstarter a permis ici un gigantesque transfert de valeur et une prise de contrôle d’une étoile naissante par un des plus grands Léviathans de l’économie numérique. Mais n’y a-t-il pas une autre manière d’envisager un crowdfunding équitable que le financement en capital ? Car à vrai dire, le problème ici réside dans le fait qu’Oculus VR se soit revendu. Beaucoup de backers expriment le ressentiment "d’avoir été vendus", là où le crowdfunding aurait dû au contraire donner à la société les moyens de son indépendance. Or par définition, une start up qui cherche à satisfaire ses actionnaires essaie de se revendre, ce qui constitue toujours la manière la plus rapide d’engranger une plus-value énorme. Le financement en capital aurait sans doute abouti au même résultat.

Par Sebastian Stabinger. CC-BY. Source : Wikimedia Commons

Lier crowdfunding et licences libres comme condition d’équité

La question que l’on peut se poser, c’est de savoir s’il n’y avait pas un moyen de rendre Oculus VR réellement invendable et de la protéger contre son aspiration par un géant comme Facebook, en créant une entité autonome et durable ? N’aurait-ce pas été cela la véritable "équité" en matière de crowdfunding ? Au début du mois de janvier, j’avais écrit un billet intitulé "Crowdfunding sans licences libres = piège à gogos ?" dans lequel j’essayais d’expliquer en quoi le financement participatif risquait de déboucher sur des dérives graves s’il restait inscrit dans une logique propriétaire. Le cas du rachat d’Oculus constitue à n’en pas douter un exemple éclatant des risques que je pointais…

J’avais écrit ce billet à propos du financement participatif d’oeuvres culturelles : livres, musiques, films, jeux vidéo, pour expliquer qu’en l’absence de licences libres employées pour diffuser l’oeuvre une fois la somme atteinte, le public qui avait été sollicité en amont se retrouvait floué en aval par le biais du copyright intégral appliqué sur l’oeuvre. Depuis ce billet, l’exemple du film Veronica Mars est venu largement apporter de l’eau à mon moulin : financé grâce à un crowdfunding, le film a ensuite été diffusé sous la forme de fichiers verrouillés par des DRM qui ont parfois empêché les personnes ayant contribué à son financement d’en bénéficier et transformé le reste des internautes en pirates ! Or la revendication intégrale de la propriété intellectuelle est étroitement liée au risque assumé par une entreprise créative pour la production d’une réalisation. Lorsque le public contribue en amont du projet, ce risque s’atténue voire disparaît complètement et il devrait être normal que les droits soient ensuite ouverts et mis en partage.

Ce raisonnement applicable aux oeuvres vaut sans doute encore plus pour les projets de développements de produits technologiques comme le casque de réalité virtuel d’Oculus. Il aurait été ici logique que le Rift soit développé en Open Source afin que la communauté ayant contribué à son essor puisse réellement contribuer au projet, avec la garantie de ne pas voir ses apports appropriés pour être revendus. L’usage de licences libres pour un tel projet l’aurait par définition protégé contre le risque de rachat. Pour un Facebook, un Apple ou un Sony, "racheter" un produit sous licence libre ou en Open Source n’a que peu d’intérêt dans la mesure où il n’est pas possible de s’en réserver ensuite l’exclusivité (le rachat porte alors essentiellement sur la marque). Ces grands géants du numérique se comportent de plus en plus comme des "aspirateurs à propriété intellectuelle", capables de racheter des entreprises uniquement pour s’approprier leurs portefeuilles de brevets, comme l’a fait par exemple Google avec Motorola ou Microsoft avec Nokia.

Les ambiguïtés d’Oculus VR sur la propriété intellectuelle

Or Oculus VR s’est visiblement comporté d’une manière extrêmement ambigüe vis-à-vis du placement de son projet en Open Source. Si l’on en croit cette discussion sur Reddit, Palmer Luckey avait laissé entendre lors de la campagne de crowdfunding que le projet Oculus Rift pourrait être placé en Open Source, avant finalement de se raviser une fois son objectif de financement atteint, en expliquant que l’usage de licences libres risquait de "tuer sa compagnie". Plus tard, la question du dépôt de brevets sur les technologies utilisées pour le casque de réalité virtuelle s’est manifestement elle aussi posée.

Mais Oculus n’a pas pu déposer de brevets, sans doute parce qu’il avait amélioré des dispositifs trop proches de technologies déjà brevetées (ce qui le plaçait d’ailleurs à la merci d’un Patent Troll…). Pendant ce temps, des firmes comme Sony, Apple ou Microsoft se sont de leur côté empressées de déposer des brevets sur des lunettes ou des casques de réalité virtuelle, commençant à resserrer l’étau de la propriété intellectuelle autour d’Oculus. Finalement, on a appris que la semaine dernière Oculus avait obtenu un brevet, mais qui ne couvre que l’apparence du casque (design patent), ce qui prouve bien que l’entreprise a cherché comme elle a pu à verrouiller son produit avant de se revendre.

Image du brevet déposé par Oculus VR sur le design du Rift.

Les choses auraient sans doute été bien différentes si dès l’origine Oculus avait annoncé sans ambiguïté que son projet serait placé en Open Source et en Open Hardware, sans dépôt de brevet. La communauté appelée à la soutenir aurait ainsi eu l’assurance de participer à la constitution d’un bien commun non-appropriable et ouvert. Sans attention aux conditions juridiques dans lesquelles les projets financés en crowdfunding se développent, il n’y a pas de garantie qu’ils ne finissent pas engloutis par le véritable trou noir financier que sont devenus les Géants du Net comme Facebook.

Une prise de conscience nécessaire en faveur d’une "économie des Communs"

Cette vision des choses peut paraître utopique et l’on se dit que jamais des projets relativement gros comme l’Oculus Rift ne pourront être viables s’ils sont placés sous licence libre. L’été dernier pourtant, le projet de financement lancé par Ubuntu pour le développement du smartphone Open Source "Edge" est parvenu à lever presque 13 millions de dollars sur Indiegogo. Si elle n’a pas atteint son objectif, cette tentative a montré qu’un potentiel existait pour financer des projets d’ampleur placés sous le signe de l’ouverture juridique, comme le faisait remarquer Camille Gévaudan sur Écrans.

Ce qui manque sans doute, c’est une prise de conscience de la part des internautes des conditions de l’équité en matière de crowdfunding et une meilleure compréhension de l’évolution de l’environnement numérique. Internet a gravement dérivé par rapport aux intentions d’origine en se recentralisant au profit de grandes plateformes – les capitalistes nétarchiques comme les appellent Michel Bauwens – qui ont su capter la valeur créée sur les réseaux. Les Léviathans que sont les Facebook, Google, Apple et Cie fonctionnent comme de véritables "gouffres à propriété intellectuelle" qui ont largement les moyens de se payer n’importe quelle innovation. Dans ce contexte, faire éclore de nouvelles pousses numériques par crowdfunding sans garantie sur leur devenir revient ni plus ni moins à alimenter la bête. Pour contrer cette tendance, nous avons besoin de construire des biens communs informationnelles inappropriables. C’est ce que disait admirablement Olivier Ertzscheid dans ce billet :

Voilà pourquoi les "communs informationnels" sont aujourd’hui essentiels. Parce que sur eux seuls nous avons encore réellement la main. Parce que d’eux seuls, de leur dissémination, du maintien des garanties de leur appropriation possible peuvent naître de nouvelles topologies du réseau. Parce qu’ils sont porteurs d’un usage coutumier du droit qui peut obliger les écosystèmes dominants à infléchir leurs logiques pour ne pas perdre notre attention.

Il existe déjà des plateformes de crowdfunding entièrement dédiées au financement de biens communs, comme Goteo en Espagne ou spécialisées dans l’Économie Sociale et Solidaire comme Arizuka. C’est notre responsabilité citoyenne de ne pas tomber dans le miroir aux alouettes du crowdfunding propriétaire, mais de soutenir des formes de financement réellement équitables, afin de contribuer à l’émergence d’une "économie des Communs".

 


Classé dans:Modèles économiques/Modèles juridiques Tagged: crowdfunding, Facebook, financement participatif, licences libres, Oculus Rift, Oculus VR, Open Source

Le Royaume Uni sanctuarise les pratiques de data mining par une exception au droit d’auteur

mardi 1 avril 2014 à 08:53

Le gouvernement britannique est actuellement en train de mettre en oeuvre une réforme du droit d’auteur, en agissant sur les exceptions permettant de réaliser certains usages d’œuvres protégées en conformité avec la loi. Le Royaume Uni, par certains côtés, rattrape un retard qu’il pouvait accuser par rapport à certains autres pays d’Europe. La loi anglaise ne comportait pas par exemple d’exceptions en faveur des citations, des copies privées ou des parodies, alors que ce sont des mécanismes que l’on retrouve dans la plupart des pays de l’Union. Sur ces points, le gouvernement anglais va donc aller dans le sens d’une harmonisation avec le reste des pays européens. Mais cette réforme comporte aussi des éléments réellement innovants, comme l’introduction d’une exception en faveur du text et data mining.

data

Dans la nuit des images. Par Dalbera. CC-BY. Source : Flickr.

Le text et data mining au coeur des débats 

Les pratiques de recherche que constitue la fouille de texte et de données sont actuellement au coeur de discussions au niveau européen. Le processus initié par la Commission, "Licences for Europe", avait en vain tenté l’an dernier de trouver un compromis entre éditeurs scientifiques et représentants des utilisateurs sur une base contractuelle. Depuis, la Commission européenne a abordé à nouveau ce sujet dans la consultation publique sur la réforme du droit d’auteur lancée à la fin de l’année dernière et dont elle doit à présent faire la synthèse sous la forme d’un livre blanc.

Beaucoup de représentants des chercheurs et des bibliothèques militent pour l’introduction d’une exception au droit d’auteur qui viendrait sécuriser ces pratiques innovantes de recherche, comme une extension du "droit de lire". Mais dans le même temps, les éditeurs scientifiques ont bien compris qu’une partie de l’avenir de la recherche passait par les possibilités offertes par le text et data mining. Ils tentent d’imposer des formules contractuelles pour faire en sorte que ces pratiques restent bien soumises au droit d’auteur et puissent faire l’objet d’une tarification et d’un contrôle. C’est le cas par exemple d’Elsevier qui fait figurer dans les licences des bases de données scientifiques qu’il vend aux bibliothèques et instituts de recherche des clauses concernant le data mining.

En France, la question du data mining est en ce moment examinée par le CSPLA (Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique) qui doit prochainement remettre un rapport sur la question, dont l’enjeu principal sera sans doute de savoir si une nouvelle exception doit être introduite ou si des solutions contractuelles sont suffisantes. Le collectif SavoirsCom1 a été auditionné par cette mission et nous nous sommes résolument prononcés en faveur d’une exception législative et d’un rattachement du data mining au "domaine public de l’information". Depuis, on a appris qu’Elsevier avait réussi à imposer au sein de la licence nationale conclue récemment avec le consortium Couperin pour la France des clauses relatives au data mining. Ce choix a soulevé des critiques sévères, car cela revient à accepter le principe même que les pratiques de data mining relèvent des droits exclusifs des éditeurs, alors que c’est précisément le point en discussion dans ce débat.

Position de SavoirsCom1 sur le data et text mining.

Comme on le voit, la question du statut juridique du data mining est complexe, et elle constitue un enjeu considérable pour l’avenir des pratiques de recherche, au sein desquelles les données prennent de plus en plus d’importance à mesure que les technologies offrent de nouveaux champs d’investigation.

Une nouvelle exception sur la base de l’utilisation équitable (fair dealing)

C’est donc dans ce contexte que l’Angleterre annonce la mise en place d’une exception au droit d’auteur en faveur du text et du data mining, faisant suite aux recommandations du rapport Hargreaves remis en 2011. La nécessité d’assouplir le droit d’auteur avait alors été mise en avant, afin de permettre davantage d’innovation.

Couverture du rapport Hargreaves.

La formulation de l’exception anglaise est intéressante. Elle repose sur le mécanisme du fair dealing (utilisation équitable), qui est une variante du fair use américain (usage équitable). Ce système, caractéristique de la plupart des pays du Commonwealth (Canada, Australie, Nouvelle Zélande, etc) reprend l’idée d’usage proportionné qui est au coeur du fair use, mais limite son champ d’application à des cas listés par la loi. Ici donc, la loi anglaise a ajouté un cas spécifique de fair dealing pour le data mining, conçu comme une extension de l’exception existant déjà en faveur des pratiques de recherche et d’enseignement. Voici ce qu’elle dit (je traduis) :

29 A – Copies effectuées à des fins de text et data mining dans le cadre de recherches non-commerciale

(1) La réalisation d’une copie d’une oeuvre par une personne ayant eu un accès à celle-ci en conformité avec la loi ne constitue pas une infraction au droit d’auteur, dans la mesure où :

(a) Cette copie de l’oeuvre est réalisée dans le but qu’une personne ayant eu accès à celle-ci en conformité avec la loi puisse effectuer une analyse computationnelle de tout élément figurant dans cette oeuvre dans le seul but de conduire une recherche non-commerciale.

(b) La copie s’accompagne de crédits suffisants (à moins que cela ne soit impossible pour des raisons pratiques ou autres).

(2) Lorsque qu’une copie de l’oeuvre a été effectuée en vertu de cette section, le droit d’auteur est enfreint si :

(a) La copie est transférée à une autre personne, à moins que ce transfert soit autorisé par le titulaire de droits, ou

(b) La copie est utilisée dans un autre but que celui qui figure à  la sous-section (1)(a), à moins que cet usage ne soit autorisé par le titulaire de droit.

Une consécration du "droit de lire"

Cette formulation est remarquable dans la mesure où elle cible bien la nature des opérations de text et data mining. En soi, l’extraction d’informations n’est pas saisie par le droit d’auteur, qui ne porte que sur l’usage des oeuvres originales et mises en forme. Vous pouvez par exemple relever à la main les occurrences de noms de personnes ou de lieux figurant dans un texte et vous aurez alors effectué une opération de text mining de manière purement mentale. Cet usage a toujours été complètement libre, sans interférence du droit d’auteur. Mais si vous voulez effectuer les mêmes opérations en étant assisté par une machine, alors vous devrez nécessairement réaliser une copie de l’oeuvre pour que des algorithmes puissent intervenir. Et c’est là que le droit d’auteur (copy-right) est susceptible de se déclencher.

L’exception anglaise consacre donc l’idée que les copies techniques nécessaires aux opérations de text et data mining n’entraînent pas l’application du droit d’auteur. Il s’agit donc bien d’une consécration du "droit de lire", réclamé par plusieurs représentants des usagers : l’extraction de données ou d’information est indissociable de l’acte de lecture et sa nature ne doit pas changer selon que cette lecture est effectuée par un humain ou par une machine.

data2

Server room of BalticServers. Par Fleshas. Licence CC-BY-SA. Source : Wikimedia Commons.

L’exception anglaise est néanmoins bornée dans la mesure où la copie réalisée doit être entièrement dédiée à l’opération de text ou data mining. Il ne s’agit pas de montrer, d’afficher ou de transmettre cette copie à des tiers ; ni de l’utiliser dans un autre but, à moins de pouvoir recueillir l’accord du titulaire de droit. Cet accord n’est cependant pas nécessaire pour les opérations de recherche effectuées dans un cadre non-commercial, ce qui paraît essentiel pour éviter de tomber dans le travers d’une "science autorisée", tributaire de l’approbation préalable d’acteurs comme les éditeurs scientifiques. L’approche par les licences ressurgis pour des opérations de text et data mining effectuées dans un cadre commercial (analyses marketing par exemple).

Au niveau du champ d’application, la loi précise bien que cette exception est valable pour le texte, mais aussi pour toutes autres formes d’oeuvres comme les images, les enregistrements sonores ou les contenus audiovisuels. Par ailleurs, comme il est indiqué que l’utilisateur doit avoir accédé à l’oeuvre "en conformité avec la loi", l’exception porte non seulement sur des contenus acquis, mais aussi à mon sens sur des oeuvres fournies par des bibliothèques ou même sur des contenus figurant en libre accès sur Internet (sources licites).

Enfin, et c’est un point essentiel, cette exception est gratuite. Elle n’entraîne pas de compensation au bénéfice des titulaires de droits. Les études d’impact réalisées par le gouvernement anglais considèrent que les bénéfices pour la société sont supérieurs au "préjudice" que pourraient encourir les titulaires de droits du fait de ces usages.

Quels enseignements pour la France ? 

Au final, l’Angleterre se dote d’une exception législative solide en faveur des pratiques innovantes de recherche. Elle rejoint par une autre voie les États-Unis où la jurisprudence récente a peu à peu étendu le fair use au text et data mining (voir la décision Google Books notamment). Un des aspects les plus intéressants de la démarche du Royaume Uni réside dans le fait que ce pays a décidé d’avancer dans son droit national, sans attendre que la législation européenne évolue. Normalement, les États européens ne peuvent pas introduire de leur propre chef de nouvelles exceptions au droit d’auteur. Ils doivent s’en tenir à une liste fermée figurant dans la directive de 2001, qui n’aborde pas explicitement la question du data mining. Ici on peut penser que le gouvernement anglais a considéré que l’exception déjà prévue en faveur de la recherche et de l’enseignement dans la directive pouvait être étendue aux pratiques de fouille de textes et de données. Par ailleurs, il a aussi estimé que le test en trois étapes (un mécanisme limitant la portée des exceptions au droit d’auteur) ne s’opposait pas à la mise en place d’une exception gratuite.

God Save The Fair Dealing ! ;-)

Ces éléments sont importants pour la France, et notamment pour les recommandations que doit rendre bientôt le CSPLA. On voit ici qu’il existe une opportunité pour introduire des exceptions en faveur du data et text mining au niveau national en Europe. Quoi qu’on y fasse, l’approche par les licences restera forcément bancale et lacunaire. Elle laissera une main mise trop importante des éditeurs scientifiques sur les pratiques de recherche, tout en étant inadaptée pour les usages en ligne, où il n’est généralement pas possible de recueillir des autorisations. En limitant son exception au cadre de la recherche non-commerciale, l’Angleterre montre qu’un équilibre satisfaisant peut être trouvé. La France peut-elle vraiment à présent rester en retrait, au risque d’hypothéquer l’avenir de sa recherche ?

Dès lors qu’une exception est envisageable, on ne peut que déplorer l’acceptation des clauses de data mining dans la licence nationale Elsevier qui a été conclue récemment entre cette éditeur et le consortium Couperin. Comme le dit fort justement Pier-Carl Langlais, Elsevier par ce système de licences a réussi à "faire sa loi" et ces clauses sont assimilables à une forme de copyfraud posé sur le "domaine public de l’information", alors qu’une exception législative aurait pu sécuriser une sphère d’usages libres et gratuits pour les chercheurs. Il faut espérer que cette soumission à l’approche contractuelle ne compromette pas à présent l’avenir. L’association LIBER, qui regroupe les bibliothèques de recherche en Europe, vient de publier une déclaration très critique vis-à-vis de ces licences proposées par Elsevier, qui ont pourtant été acceptées en France…

La loi anglaise va d’ailleurs sagement prévoir que des licences ne peuvent prévaloir sur l’exception pour restreindre les possibilités de faire du data mining. C’est peut-être d’ailleurs le passage le plus important du texte (je traduis) :

Dans la mesure où les clauses d’un contrat prétendraient empêcher ou restreindre la réalisation de copies qui, en vertu de cette section n’enfreindraient pas le droit d’auteur, ces clauses seraient réputées sans effet.

Les pratiques de data mining sont donc bien sanctuarisées au Royaume Uni et l’exception entrera en vigueur en juin prochain. Messieurs les anglais ont tiré les premiers et ils ont fait mouche ! Bravo à eux !

***

PS : d’autres aspects de cette réforme anglaise sont vraiment dignes d’intérêt. L’exception pour copie privée par exemple est elle aussi gratuite, y  compris pour les usages dans le cloud, et c’est aussi le cas pour l’exception pédagogique et de recherche (à l’inverse de ce qui existe en France où ces deux exceptions sont payantes). On peut globalement dire que le Royaume Uni commence à sortir du paradigme réducteur en vertu duquel toute forme d’usage d’une oeuvre constitue un préjudice devant être compensé. A méditer !


Classé dans:Regards d'ailleurs, regards ailleurs (droit comparé et actualités internationales) Tagged: Angleterre, CSPLA, data ming, droit d'auteur, exception copyright, fair dealing, fouille de données, recherche, Royaume Uni, text mining

Tintin au pays des usages transformatifs : la citation des images en question

dimanche 30 mars 2014 à 17:08

Cette semaine, la Société Moulinsart, détentrice des droits sur l’oeuvre d’Hergé, a une nouvelle fois fait montre de la conception jusqu’au-boutiste du droit d’auteur qui la caractérise, en exigeant de la plateforme Tumblr le retrait de vignettes issues des albums de Tintin, que le microblog "Le petit XXIème" publiait chaque jour pour commenter l’actualité avec beaucoup d’inventivité (heureusement toujours visibles sur Twitter). Si l’on peut considérer qu’il s’agit d’un nouvel exemple de dérapage du droit d’auteur, la Société Moulinsart n’en reste pas moins dans son droit et l’usage des images que réalisait "Le Petit XXIème" était bien constitutif d’une contrefaçon, selon les termes de la loi française. Mais c’est précisément cela qui est intéressant dans cette affaire : comment un tel usage, créatif et inventif, s’inscrivant dans un cadre purement non-commercial et assimilable à un hommage, peut-il tomber aujourd’hui sous le coup de la loi sur la base d’un délit passible potentiellement de 3 ans de prison et 300 000 euros d’amendes ?

Les réprobations dans la presse ont été nombreuses devant cet usage disproportionné du droit d’auteur par les ayants droit d’Hergé, mais cette réprobation ne doit pas s’arrêter aux agissements des héritiers : elle doit déboucher sur une critique de la loi française qui permet de tels comportements. Peut-on essayer de penser autrement l’articulation du droit d’auteur pour que de telles pratiques créatives soient sécurisées ? Vous allez voir que oui.

tintin

Triste spectacle du Tumblr "le Petit XXIème", privé des images issues des albums de Tintin qui l’illustraient. Un nouvel exemple de l’inadaptation du droit français en matière de citation des images.

Remix d’images, pas si simple…

La manière dont "Le Petit XXIème" réutilisait les vignettes des albums de Tintin est extrêmement intéressante. Commenter ainsi l’actualité à partir des dessins d’Hergé avait pour but de montrer la modernité des albums de Tintin, en jouant sur les similitudes et les décalages avec la période actuelle. A proprement parler, on n’est pas ici dans le cadre des "parodies, pastiches et caricatures", qui relèvent d’une exception au droit d’auteur en France, bien que les posts du Petit XXIème prêtaient souvent à sourire. On est ici typiquement dans une de ces formes de remix hybrides que le numérique favorise et qui ont bien du mal à rentrer dans les catégories figées du droit d’auteur.

Remix, mashups et détournements font pourtant l’objet d’une attention grandissante en France, notamment depuis que le rapport Lescure l’an dernier avait suggéré d’aménager la loi française pour sécuriser les "oeuvres transformatives". Une mission initiée par le Ministère de la Culture est actuellement en cours au Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) et l’on attend le rapport que doit remettre sous peu à ce sujet la juriste Valérie Laure Benabou. L’approche du rapport Lescure consistait à envisager une extension de l’exception de courte citation pour la faire corespondre à ce type de pratiques :

Expertiser, sous l’égide du CSPLA, une extension de l’exception de citation, en ajoutant une finalité  « créative ou transformative », dans un cadre non commercial.

Plusieurs formes d’oeuvres "transformatives"

Ici,  on peut néanmoins se demander si l’on est bien avec "Le Petit XXIème" dans le cadre d’une "oeuvre transformative", dans la mesure où les vignettes des albums sont reprises dans leur intégralité et sans modification. C’est seulement le texte d’accompagnement qui produit un décalage avec l’oeuvre d’origine, sous la forme d’une recontextualisation. On pourrait penser que le remix ou le mashup impliquent au contraire une modification des oeuvres, en vue de produire ce que notre droit appelle une "oeuvre dérivée".

Un mashup de plusieurs images (le Cri de Munch, une photo de Marylin, une image du film "300" et une autre du film "Maman, j’ai raté l’avion"). Ici, il y a bien production d’une oeuvre dérivée, par modification substantielle des oeuvres). Mais ce n’est pas la seule façon de produire une oeuvre transformative à partir d’images.

Mais il existe en vérité plusieurs sortes de transformations possibles. La production d’une oeuvre dérivée implique normalement une forme d’adaptation des oeuvres, impliquant une modification "matérielle". Mais on peut aussi transformer une oeuvre d’une autre façon, en l’utilisant dans un autre but que celui pour lequel elle a été créée initialement. On aboutit alors à une modification "téléologique" et non plus "matérielle".

L’approche téléologique du droit américain

Cette approche est celle notamment du droit américain, et plus précisément de la notion de fair use (usage équitable), qui permet à certains types de réutilisation d’oeuvres de ne pas enfreindre le droit d’auteur. Le concept même "d’oeuvres transformatives" est emprunté au droit américain : il s’agit d’un des quatre critères que le juge manie pour apprécier au cas par cas si l’usage est bien équitable ou non.

Le juge américain va notamment se demander si le produit de la réutilisation est substituable ou non à l’oeuvre originale. Si seulement une portion de l’oeuvre a été rémployée, il y a de fortes chances si cet emprunt soit jugé comme équitable, car il n’y a pas "concurrence" avec l’oeuvre originale, ni atteinte à son exploitation commerciale normale. Mais les juges américains admettent aussi que les oeuvres soient parfois réutilisées en entier, dans la mesure où elles le sont dans un but différent.

Dans la récente décision rendue à propos de l’affaire Google Books, les livres avaient bien par exemple été numérisés en entier par la firme de Mountain View, mais dans la mesure où le but était de les signaler ou de favoriser des pratiques de recherche de type text mining, le juge Denis Chyn a considéré que cet usage restait bien équitable. En matière de réutilisation d’images, le fair use admet également que des images soient réutilisées dans leur intégralité. Sur Wikipedia par exemple, on trouve de nombreuses couvertures de Comics américains, alors que vous ne verrez pas de couverture de bandes dessinées européennes. La raison tient à l’application du fair use, comme l’indique la notice de l’encyclopédie collaborative.

Fair use in Marvel Comics

Though this image is subject to copyright, its use is covered by the U.S. fair use laws because:

1. It illustrates an educational article about Marvel Comics, the successor to the publisher of the comic book, Timely Comics, from which the cover illustration was taken, and which places the image within a historical, informational context.

2. The image is used as the primary means of visual identification within the article of Marvel Comics #1.

3. The image is from the cover of the debut issue of Marvel Comics, the first issue published by Timely, and therefore a highly significant image and comic book issue within its history that is discussed at length within the article.

4. The use of the cover will not affect the value of the original work or limit the copyright holder’s rights or ability to distribute the original. In particular, copies could not be used to make illegal copies of the book.

5. It is a low resolution image.

6. The image is only a small portion of the commercial product.

7. The comic book is copyrighted, and so the image is not replaceable with an uncopyrighted or freely copyrighted image of comparable educational value.

Une couverture de Comics Marvel, figurant sur Wikimedia Commons grâce au fair use.

On le voit, le but poursuivi joue ici un rôle important, tout comme le critère de la "non-substituabilité" avec l’oeuvre originale. C’est vrai lorsque l’usage est pédagogique ou informatif, comme c’est le cas sur Wikipedia, mais les juges américains tendent aussi à appliquer de plus en plus largement le fair use en matière de réutilisation créative, en accordant de l’importance à la dimension "transformative" de l’usage (voir cette affaire Richard Prince).

Si l’on revient au Petit XXIème, on voit donc que l’usage des vignettes des albums de Tintin peut être qualifié de transformatif, même si les images ne sont pas matériellement modifiées. Il y a bien transformation, parce que la recontextualisation opérée donne un nouveau but aux vignettes : produire un commentaire décalé de l’actualité. Si l’on prend le Tumblr dans son intégralité, il s’agit bien d’une "oeuvre transformative" et si l’on était aux États-Unis, un tel usage serait sans doute conforme à la loi.

Hostilité à la citation graphique en France 

Mais en France, les choses sont beaucoup plus complexes, car à défaut de pouvoir mobiliser l’exception de parodie, il faut recourir à l’exception de courte citation. Or la Cour de Cassation a pour l’instant toujours écarté que l’on puisse "citer" des images. Pour la Cour, la loi indique que la citation doit être courte, or réaliser une "citation graphique" revient à montrer l’image dans son intégralité, même si elle est reproduite en petit format ou en faible résolution. Une décision de justice a d’ailleurs déjà condamné la reprise de vignettes des albums de Tintin dans un livre consacré à l’étude des oeuvres d’Hergé. Certains juges français ont essayé de faire bouger les lignes en commençant à admettre la reproduction d’images sous forme de vignettes, mais pour l’instant la Cour de Cassation reste inflexible, ce qui a pour effet de neutraliser la citation en matière graphique, alors qu’elle est possible pour les textes.

Pour autant, une réutilisation comme celle effectuée par "Le Petit XXIème" constitue bien un usage citationnel des images. Et beaucoup de remix ou de mashup s’analysent également comme des "citations" d’oeuvres préexistantes. André Gunthert, spécialiste de l’usage de l’image à l’heure du numérique, mobilise la notion de citation à la fois en ce qui concerne les usages à des fins de recherche, mais aussi les usages créatifs, de type remix ou mashup. Et dans ces circonstances, il explique très bien que l’usage des images dans leur intégralité doit être admis :

Est-il acceptable de convoquer l’œuvre entière dans le cadre des pratiques citationnelles? C’est la seule possibilité envisageable dans le cas des œuvres brèves. La réponse des usages, qui n’ont pas attendu l’autorisation de la loi, montre que cette mobilisation est bien tolérée, à condition que soient respectées les critères de la citation – identification de la source et utilité de la mobilisation – dans un contexte non-marchand.

Mission impossible pour citer l’image de Tintin dans le cadre du droit français actuel…

Déverrouiller l’exception française

Arrivé à ce point, on se rend compte que l’approche retenue par le rapport Lescure était la bonne et que c’est bien en agissant sur la formulation de l’exception de courte citation que l’on peut espérer sécuriser des réutilisations du type de celles effectuées par le Petit XXIème. Dans un billet précédent, j‘avais essayé d’explorer les marges de manoeuvre existant pour faire évoluer la loi française, notamment vis-à-vis du droit européen. Or quand on regarde la directive européenne sur le droit d’auteur, on se rend compte qu’elle est bien moins restrictive que le droit français. Voici ce que dit le texte :

3. Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus aux articles 2 et 3 dans les cas suivants:

d) lorsqu’il s’agit de citations faites, par exemple, à des fins de critique ou de revue, pour autant qu’elles concernent une oeuvre ou un autre objet protégé ayant déjà été licitement mis à la disposition du public, que, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur, soit indiquée et qu’elles soient faites conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi;

Vous noterez donc que rien ne dit que la citation doit nécessairement être courte et que la directive européenne admet tout à fait l’approche téléologique – par le but – que j’ai développée plus haut. Il en résulte que le législateur français pourrait très bien modifier l’exception actuelle pour faire en sorte qu’un usage tel que celui du Petit XXIème devienne légal. La Cour de Cassation pourrait également sans attendre renverser sa jurisprudence pour admettre la citation graphique.

***

On espère à présent que le rapport qui sera remis bientôt au CSPLA ne constituera pas une régression par rapport aux recommandations de la mission Lescure. Un exemple comme celui du "Petit XXIème" montre l’ardente nécessité de faire évoluer un droit français dépassé par les usages. C’est dans l’intérêt de la liberté d’expression et de création, mais aussi dans celui des oeuvres elles-mêmes. Dans le cas de Tintin, Quentin Girard, un des deux journalistes de Libération qui géraient ce Tumblr, soulignait à raison qu’empêcher les réutilisations créatives, c’est finalement couper les oeuvres de leur temps et précipiter leur déclin dans la mémoire collective :

 Tintin [...] pourrait être [...] un étendard et un bien culturel commun. Un signe de fierté à promouvoir pour montrer la capacité de notre culture à éclairer et interpréter les enjeux du monde actuel. Au contraire, les éditions Moulinsart ont choisi de mettre le petit personnage sous cloche, dans un musée d’où il n’a pas le droit de sortir. Il prend doucement la poussière. Face à la concurrence des héros de comics et de mangas, accessibles partout et tout le temps, Tintin est invisible. Les jeunes, petit à petit, ne se tourneront plus vers lui. Ils vont l’oublier. Au-delà d’une simple ligne de bénéfices en bas du bilan comptable des éditions Moulinsart, de toute évidence, Tintin se meurt.


Classé dans:Penser le droit d'auteur autrement ... Tagged: bande dessinée, courte citation, droit d'auteur, exception, fair use, Hergé, images, Moulinsart, Tintin, usage équitable

Jean Zay et la possibilité d’un retour aux origines du domaine public

vendredi 21 mars 2014 à 17:06

Il y  a un mois, on annonçait que les cendres de Jean Zay seraient transférées en 2015 au Panthéon, avec celles de trois autres figures de la Résistance. La trajectoire fulgurante du Ministre de l’Éducation nationale et des Beaux Arts du Front populaire est bien connue, ainsi que sa fin tragique en 1944, assassiné par la Milice . Mais on sait moins que Jean Zay fut aussi le promoteur d’une réforme ambitieuse du droit d’auteur, qui donna lieu au dépôt d’une loi le 13 août 1936. L’objectif essentiel de ce texte consistait à mieux protéger les auteurs dans leurs relations avec les éditeurs, par le biais notamment d’une cession des droits limitée à 10 ans dans les contrats d’édition, qui fait beaucoup penser aux débats actuels sur les contrats d’édition numérique.

Mais le projet de loi de Jean Zay comportait également des dispositions relatives au domaine public, qui restent encore aujourd’hui particulièrement intéressantes à observer, notamment parce qu’elles tentaient de trouver un compromis entre la protection des droits et la liberté d’utilisation des oeuvres.

Un domaine public anticipé

Longtemps, je suis resté assez mitigé quant à ces propositions, car on associe souvent Jean Zay à l’idée du "domaine public payant". Cette conception, que l’on trouve par exemple chez Victor Hugo, et qui revient périodiquement en France, voudrait que même une fois l’oeuvre entrée dans le domaine public, une redevance soit établie sur son usage commercial, dont le produit serait affecté soit aux auteurs vivants, soit à l’accomplissement de missions d’intérêt général. Certains pays, comme l’Argentine par exemple, ont choisi de mettre en place un tel système et encore pendant les auditions conduites par la Mission Lescure, des représentants des titulaires de droit ont proposé son introduction en France.

La figure ambigüe de Victor Hugo, capable de grandes envolées sur le domaine public, mais aussi de défendre le domaine public payant… (Victor Hugo. Par Nadar. Domaine public. Source : Wikimedia Commons).

Jean Zay lui-même emploie l’expression "domaine public payant" dans son ouvrage "Souvenirs et Solitude" écrit en captivité, dans lequel il consacre un passage à sa réforme avortée du droit d’auteur. Mais en réalité lorsque l’on se reporte au texte du projet de loi du 13 août 1936, on se rend compte que ce que Jean Zay envisageait n’avait rien à voir avec ce que l’on appelle aujourd’hui "le domaine public payant". Il s’agissait au contraire d’une forme de domaine public "anticipé", élargissant les usages possibles des oeuvres avant le terme normalement prévu des droits patrimoniaux, fixés à l’époque à 50 ans après la mort de l’auteur.

Voici ce qu’en dit Anne Latournerie dans son article "Petite histoire des batailles du droit d’auteur", paru en 2001 dans la revue Multitudes :

Jean Zay ouvre ainsi à nouveau la vaste question de l’articulation des intérêts privés et des intérêts publics dans le double dessein de concilier les intérêts de « la famille et de la Nation » et de créer enfin le domaine public payant. Il se situe volontairement dans la lignée des penseurs du XIXe siècle, en particulier Vigny, Renouard et Proudhon. Il invoque « l’intérêt spirituel de la collectivité » et rappelle que c’est en son nom également – à côté de l’intérêt propre des auteurs – que doit être construit le nouveau droit français de la protection littéraire. Il propose avec hardiesse de réformer la durée et les conditions d’exercice du droit pécuniaire, afin de favoriser la diffusion des chefs-d’œuvre de la littérature et de l’art. Ainsi, l’article 21 de son projet prévoit que le délai de protection post mortem de 50 ans est divisé en deux périodes : la première de 10 ans et la seconde de 40 ans qui institue une sorte de licence légale, en supprimant l’exclusivité d’exploitation des droits d’auteur au profit d’un seul éditeur.

Élargissement des droits d’usage des oeuvres

Aujourd’hui lorsque l’auteur décède, les droits patrimoniaux se transmettent à ses héritiers et subsistent pendant 70 ans, leur conférant un droit exclusif d’autoriser ou d’interdire l’usage de l’oeuvre. Et si l’auteur de son vivant a cédé ses droits à un éditeur pour toute la durée de la propriété intellectuelle (ce qui a longtemps été la règle et l’est encore largement aujourd’hui), c’est alors ce dernier qui exerce à titre exclusif ces prérogatives pour toute cette durée. Jean Zay proposait de maintenir ce système d’exclusivité pendant 10 ans seulement après la mort de l’auteur, mais de permettre ensuite pendant les 40 années avant l’entrée dans le domaine public à n’importe quel acteur de faire une exploitation de l’oeuvre, à condition de reverser aux ayants droit un pourcentage des revenus.

Schéma par SketchLex. CC-BY-NC-ND.

Voici  ce que dit exactement l’article 21 de la loi :

Après la mort de l’auteur, et durant un délai de dix ans, la jouis­sance et l’exercice du droit pécu­niaire sont pro­lon­gés au pro­fit des per­sonnes dési­gnées par l’auteur comme titu­laires de ce droit [...] A l’expiration du délai de dix ans ci-dessus spé­ci­fié, et jusqu’à l’expiration d’une durée de cin­quante ans cal­cu­lée à dater de la mort de l’auteur [...], l’exploitation des œuvres de l’auteur est libre, à charge pour l’exploitation de payer une rede­vance équi­table aux per­sonnes à qui appar­te­nait la jouis­sance du droit pécu­niaire de l’auteur avant qu’eût pris fin ledit délai de dix ans. Cette rede­vance ne pourra, en aucun cas, être infé­rieure à 10 p. 100 du pro­duit brut de l’exploitation.

L’exploitation devient donc libre avant le terme des droits patrimoniaux, mais elle reste payante, d’où l’expression de "domaine public payant" qui est bien ici cependant une forme d’anticipation d’une partie des effets du domaine public pendant la durée de protection. La loi ne vise ici explicitement que les exploitations commerciales des oeuvres, peut-être parce qu’à l’époque de Jean Zay les usages non-marchands restaient limités et que le public n’accédait généralement aux oeuvres qu’à travers la médiation d’un acteur commercial. Mais avec Internet, les usages non-marchands des oeuvres sont beaucoup plus répandus. Si l’on suit l’esprit de cette loi, la redevance à verser pour un usage non-marchand devrait être alors égale à zéro et l’usage complètement libre.

Un retour à la conception révolutionnaire du droit d’auteur

 La période de 10 ans après la mort de l’auteur n’a pas été choisie au hasard. C’est une référence explicite aux premières lois révolutionnaires sur le droit d’auteur votées en 1791 et en 1793, qui reconnaissaient un droit exclusif aux auteurs sur la reproduction et la représentation de leurs œuvres durant toute leur vie et 10 ans après leur mort. La vulgate de l’enseignement du droit a fait de ces textes des consécrations emblématiques du "droit d’auteur à la française". Mais la réalité est beaucoup plus subtile que cela, car ces lois sont tout autant des consécrations du domaine public. Sous l’Ancien Régime, la tentation avait en effet été forte à plusieurs moments d’instaurer une propriété perpétuelle sur les oeuvres de l’esprit. Les révolutionnaires n’ont pas repris cette idée et n’ont accordé aux oeuvres qu’une protection limitée dans le temps, afin que le public puisse ensuite s’en emparer et le cycle de la création recommencer.

L’exposé des motifs de la loi de Jean Zay fait explicitement référence à la période de la Révolution, si bien que l’on peut dire que ce texte manifeste la volonté de retourner, mutadis mutandis, aux origines de la conception du domaine public en France.

L’érosion progressive du domaine public en France. Schéma par Numérama.

La proposition de domaine public "anticipé" de Jean Zay me paraît très intéressante à reconsidérer pour notre période actuelle. Certes on pourra dire qu’elle n’équivaut pas à une réduction de la durée des droits d’auteur, alors que beaucoup estiment que cette durée s’est déraisonnablement allongée au fil du temps, au point de desservir la diffusion des oeuvres. C’est le cas par exemple de l’avocat Emmanuel Pierrat, dans cette interview sur le site Romaine Lubrique, qui estime que l’esprit originel des lois sur le droit d’auteur a été perdu à cause de l’extension continue de la durée :

Une piste intéressante dans un contexte juridique hostile au domaine public

Néanmoins, obtenir aujourd’hui une réduction de la durée des droits constitue un défi considérable, à la fois sur un plan juridique et politique. Au sein de l’Union européenne, la durée des droits a été fixée à 70 ans après la mort de l’auteur par une directive. Et au niveau mondial, le plancher est de 50 ans après la mort du fait de la Convention de Berne. Même si la Commission européenne, dans sa dernière consultation sur le droit d’auteur, pose la question de savoir si la durée des droits est adaptée, il est évident que les titulaires de droits actuels s’opposeront farouchement à une telle réduction, essentiellement pour des raisons symboliques. Juridiquement et politiquement, des verrous puissants sont en place, qui hypothèquent grandement ce type de réformes positives.

D’où l’idée qu’il faudra sans doute agir par des moyens détournés pour obtenir un élargissement des droits d’usage sur les oeuvres. Certains, comme Lawrence Lessig,  pensent que des formes obligatoires d’enregistrement des oeuvres pour conserver les droits constitueraient un moyen efficace d’obtenir leur entrée plus rapide dans le domaine public (et la Commission pose aussi cette question dans son questionnaire). C’est en effet une piste à considérer sérieusement. Mais la proposition de Jean Zay d’un "domaine public anticipé" pourrait être aussi un moyen intéressant d’aller dans le sens d’un meilleur équilibre.

Droit d’auteur et propriété

Pour finir, il est très intéressant de noter ce qui, philosophiquement, avait permis à Jean Zay de formuler une proposition aussi audacieuse. L’ambition profonde de son projet de loi était de détacher la notion de droit d’auteur de celle de la propriété. C’est très clair dans l’exposé des motifs de la loi, avec encore une fois la volonté de rétablir la vérité historique par rapport à la période révolutionnaire :

Le thème essen­tiel sur lequel est en quelque sorte bâti notre texte, c’est cette concep­tion juri­dique qui attri­bue, ou plu­tôt qui res­ti­tue, au droit d’auteur son carac­tère véri­table : celui d’un droit d’une nature spé­ciale, por­tant sur les créa­tions intel­lec­tuelles, et pro­fon­dé­ment dif­fé­rent du droit de pro­priété, qui porte sur les biens mobi­liers et immo­bi­liers ; celui d’un droit inhé­rent à la per­son­na­lité de l’auteur, inalié­nable, ne pou­vant être exercé que par l’auteur lui-même, à l’exclusion de ses créan­ciers, parce que telle est la très ancienne règle juri­dique rap­pe­lée par les rédac­teurs du code civil, dans l’article 1166, visant les droits « exclu­si­ve­ment atta­chés à la personne ».

Ce carac­tère par­ti­cu­lier, tels auteurs, tels juristes voués à la défense des inté­rêts des « ces­sion­naires », plu­tôt qu’à la pro­tec­tion de ceux des hommes de lettres et des artistes, l’ont méconnu au cours des cent der­nières années. L’expression de « pro­priété lit­té­raire et artis­tique », inexacte et impropre, s’est peu à peu intro­duite dans le voca­bu­laire des hommes de loi et dans le lan­gage usuel. Le fait que, dans les lois de l’époque révo­lu­tion­naire, dans les rap­ports de Cha­pe­lier et Laka­nal, le mot de pro­priété avait été employé, fut lar­ge­ment exploité.

Et pour­tant Cha­pe­lier décla­rait, dans son rap­port de jan­vier 1791 (1– Voir Annexe II.), qu’il s’agissait de la plus per­son­nelle de toutes les pro­prié­tés, que c’était une pro­priété dif­fé­rente des autres propriétés.

En réa­lité ce que Cha­pe­lier deman­dait, pour l’auteur ayant livré son ouvrage au public, c’était la rému­né­ra­tion du tra­vail. Le vocable de « pro­priété » ne vient sous sa plume, au len­de­main de l’abolition du régime féo­dal, que pour dési­gner ce droit nou­veau, autre­ment que par le mot de « pri­vi­lège », auquel se relient les sou­ve­nirs de l’ancien régime.

FireShot Screen Capture #034 - 'Google Ngram Viewer' - books_google_com_ngrams_graph_content=Intellectual+Property,intellectual+property&year_start=1800&year_end=2000&corpus=15&smoothing=3&direct_url=t1%3B%2CIntell

Google NGram Viewer (dispositif qui recense les occurrences des mots dans les livres) montre bien à quel point la notion de propriété intellectuelle est récente. L’explosion de son emploi remonte aux débuts des années 80 seulement.

Pour Jean Zay, détacher le droit d’auteur de la notion de propriété avait d’abord pour but de protéger les auteurs eux-mêmes, car par le jeu des contrats d’édition, les éditeurs constituent en réalité les grands bénéficiaires de cette "propriété" transférable à leur profit. C’est d’ailleurs du fait de l’opposition d’une alliance d’éditeurs et de juristes que le projet de Jean Zay a été retardé et n’a pu être voté avant l’arrivée de la guerre. La vision de Jean Zay a ensuite été écartée en 1957 avec le vote d’une loi sur la "propriété littéraire et artistique", préparée par ceux-là même qui avaient combattu le Ministre du Front populaire. Ce point nous renvoie ici encore à des débats très actuels, comme par exemple la décision rendue récemment par le Conseil Constitutionnel à propos du dispositif ReLIRE et de la loi sur les livres indisponibles du 20ème siècle, dans laquelle l’invocation de la propriété par les auteurs s’est retournée contre eux.

Mais détacher le droit d’auteur de la notion de propriété, c’est aussi ouvrir la porte à un meilleur équilibre entre la protection des droits et les usages, comme le prouve ce "domaine public anticipé" chez Jean Zay. Le système a tant dérivé qu’un retour aux origines du droit d’auteur et du domaine public est sans doute une chose difficile à obtenir, mais elle n’est pas complètement impossible.

***

PS : Merci à Hervé Le Crosnier, auteur d’un mail sur la liste de discussion de SavoirsCom1 à propos de Jean Zay qui est à l’origine de la volonté d’écrire ce billet.


Classé dans:Domaine public, patrimoine commun Tagged: Domaine public, domaine public payant, droit d'auteur, durée des droits, Jean zay, panthéon, propriété, révolution

Pour les YouTubeurs, fin de l’âge d’or ou possibilité d’un nouveau départ ?

mardi 11 mars 2014 à 07:12

La semaine dernière est paru sur Rue89 un article détaillé sur les conséquences du changement de politique de droit d’auteur survenu sur YouTube en décembre 2013 et auquel j’avais consacré un billet. Pour rappel, YouTube avait subitement changé les règles du jeu sur sa plate-forme en modifiant le comportement du système de filtrage ContentID, qui repère les oeuvres protégées à partir d’une base d’empreintes fournies par les titulaires de droits. La sensibilité du robot a été augmentée, ce qui fait que des vidéos reprenant même de courts extraits de films ou de musique protégés ont subi des signalements. YouTube a aussi fait perdre leur "immunité" aux chaînes qui étaient affiliées à des "Networks", des intermédiaires faisant tampons avec les titulaires de droits et gérant la monétisation des vidéos.

YoutubeCopyright_600

Ce changement de politique a eu l’effet d’un tremblement de terre sur YouTube, et certains utilisateurs en ont plus souffert que les autres. C’est en particulier le cas des YouTubeurs, ces internautes à mi-chemin entre les amateurs et les professionnels, produisant des contenus généralement en réutilisant des oeuvres protégées, pour faire des tutoriels, des parties commentées de jeux vidéo, des critiques de films, des sketchs, etc. Depuis le mois de janvier, la "vraie" sanction est tombée sur YouTube pour ces utilisateurs et comme l’explique l’article de Rue89, elle concerne la monétisation des vidéos :

A partir de janvier 2014, « le vrai changement » entre en vigueur. Il concerne une question épineuse : la monétisation. En vertu du programme partenaire, l’utilisateur peut monétiser sa vidéo en lui associant des annonces publicitaires. Chaque clic de l’internaute qui regarde la vidéo rapporte donc de l’argent. Mais désormais, si Content ID détecte du contenu contrefait, les revenus générés par la vidéo iront aux ayants droit, et non plus aux vidéocasteurs. Il y aura donc moins de vidéos « monétisables ».

Les YouTubeurs risquent donc de perdre tout ou partie des revenus qu’ils tiraient de la publicité insérée sur les vidéos. Pour la plupart d’entre eux, ces revenus étaient faibles, mais il pouvait jouer un rôle d’appoint non négligeable. Du coup, c’est tout un pan d’une économie fragile de production de contenus qui est bouleversé. Des réactions ont été tentées pour faire revenir en arrière YouTube, en lançant des pétitions ou en menaçant la plateforme de boycott.

"Touche pas à ma chaîne" : pétition lancée sur Avaaz pour protester contre le changement de politique de YouTube.

Mais visiblement, le mouvement n’a pas été suffisant et il y a peu de chances pour que le fonctionnement de ContentID soit modifié. J’avais parlé de mon côté d’un processus de "télévisionnisation de YouTube" et Rue89 conclut son article en des propos un brin pessimistes de Fabrice Culié :

«C’est complexe aujourd’hui de devenir un “gros” vidéocasteur. Ça m’étonnerait beaucoup qu’on voit de nouvelles têtes émerger. L’âge d’or des “YouTubeurs”, c’est fini. »

Les choses pourraient en rester là, mais il existe des exemples de YouTubeurs qui sont en train de réagir d’une manière que je trouve encourageante pour l’avenir. Plutôt que de se résigner à la fin d’un "âge d’or" (qui en réalité profitait réellement à un tout petit nombre de vidéocasteurs mis en vedette), on voit des utilisateurs qui essaient d’agir pour limiter leur dépendance à la plateforme YouTube et trouver d’autres moyens de financement de leur activité en faisant appel à la communauté.

C’est le cas notamment d’un vidéocasteur cinéphile que je suis depuis un moment, à travers la chaîne "Le Cinéma de Durendal". Durendal réalise des critiques de films ou des vidéos thématiques sur le cinéma, dans lesquels il réutilise parfois des extraits de films pour illustrer ses propos en montrant directement les images. Or au milieu du mois de février, la chaîne a subi des sanctions de la part de YouTube pour violations répétées du droit d’auteur. Durendal ne pourra plus réaliser des vidéos de plus de 15 minutes, ni les accompagner de vignettes, ni les monétiser par le biais de publicités, ce qui le prive d’un revenu dont il avait besoin pour pouvoir continuer.

Ces sanctions ne sont visiblement pas directement liées au changement de politique de droit d’auteur de YouTube, car la chaîne avait accumulé au fil du temps 50 "strikes" (avertissements) pour reprises de contenus protégés (chose que je ne pensais pas possible…). Du coup, la pénalité est plus lourde, car Durendal ne peut plus monétiser aucune de ses vidéos, même si elles ne contiennent que du contenu propre, pendant une durée de 6 mois.

Pour essayer de rebondir après ce coup dur, Durendal envisage deux types de solutions, qui sont intéressantes, parce qu’elles paraissent de nature à diminuer la dépendance à la plateforme Youtube. La première consiste à ouvrir un site pour héberger les vidéos de manière à être en mesure de "résister" aux sanctions et de sauvegarder les archives ainsi que le lien avec la communauté des quelques 50 000 fans de la chaîne, au cas où celle-ci viendrait à être fermée par YouTube. Avoir un site propre permettra aussi à Durendal de continuer à monétiser par de la publicité ses vidéos, sans passer par la régie de YouTube.

Par ailleurs, pour diminuer sa dépendance financière vis-à-vis de la publicité, Durendal a lancé également sur le site Tipeee ! une page afin de permettre à ses fans de lui faire des dons.

Tipeee est une plateforme de financement participatif, qui décline d’une manière particulière le principe du crowdfunding : l’internaute qui veut aider un artiste définit un "tip" (pourboire) qu’il versera sous la forme d’un montant fixe d’argent de son choix à chaque nouveau contenu posté par le créateur qu’il a choisi de soutenir. Lancé récemment, le site s’affiche clairement en page d’accueil comme une alternative à la nouvelle politique de ContentID. Outre Durendal, il a d’ailleurs réussi à séduire d’autres YouTubeurs comme DanyCaligula, le Fossoyeur de films ou Kriss.

En combinant ces deux types de solutions, il me semble que les YouTubeurs peuvent se créer l’opportunité de prendre un nouveau départ. Et du point de vue de l’écosystème numérique tout entier, de tels principes me paraissent plus "sains" que l’ancienne dépendance complète à YouTube. La diffusion des vidéos sur un site propre va dans le sens de la décentralisation d’internet et de la reprise de contrôle sur ses propres données par le biais de l’auto-hébergement. Le recours a une plateforme comme Tipeee peut atténuer la dépendance aux revenus publicitaires, en passant par une relation directe entre le créateur et son public.

Néanmoins, il me semble que la réflexion pourrait être poussée un peu plus loin encore à court et à long terme.


Classé dans:Modèles économiques/Modèles juridiques Tagged: contentid, contribution créative, copyright, Creative Commons, crowdfunding, droit d'auteur, monétisation, publicité, strikes, usages transformatifs, vidéo, youtube