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[LECTURE] Przybylski, A. K. (2014). Electronic gaming and psychosocial adjustment

lundi 24 avril 2017 à 09:19

Dans le vaste débat sur le rôle joué par les jeux vidéo dans le bien-être psychologique et les comportements des enfants, l’étude de PRZYBYLSKI apporte d’importants éléments de discussion. Dans un premier temps, la recherche a surtout identifié les  problèmes liés aux jeux vidéo. Puis a partir des années 2000, le jeu vidéo a été associé à des éléments positifs. Mais les études abordent toujours le temps de jeu comme un ensemble compact. PRZYBYLSKI apporte une vision plus précise en différenciant des temps de jeu faible, modéré et important ce qui permet de faire apparaître des différences importantes en ce qui concerne l’adaptation psychosociale des joueurs.

Trois hypothèses sont testées : 1) un faible niveau de jeu est lié à un bon niveau d’adaptation (moins d’une heure de jeu par jour; moins d’un tiers du temps libre); 2)  un niveau modéré de jeu est lié a des effets positifs et négatifs (entre 1 et 3 heures de jeu; entre un tiers et la moitié du temps libre); un niveau important de jeu vidéo est lié des effets négatifs (plus de trois heures de jeu par jours)

L’analyse des résultats montre que le niveau d’adaptation psychosocial n’est pas affecté par un temps de jeu moyen (1-3 heures par jour). Les joueurs qui jouent peu (moins de une heure par jour)ont les plus hauts indices pour les conduites prosociales, la satisfaction de vie et de faibles niveaux d’internalisation des problèmes comparativement aux non-joueurs. Le jeu modéré n’est pas associé à des indicateurs psychosociaux  positifs ou négatif. Enfin, les joueurs fréquents (plus de trois heures par joueurs) sont une image inversée de ceux qui jouent peu. Ils ont de hauts niveaux d’internalisation des problèmes, de faibles niveaux de comportements prosociaux et de faibles niveaux de satisfaction. Autrement dit, ceux qui jouent beaucoup ont tendance à être anxieux, peu satisfaits de leur vie et peu capables d’être dans une relation positive avec les autres. Au contraire, les joueurs qui jouent peu sont satisfaits de leur vie, se décrivent comme peu anxieux

L’étude de PRZYBYLSKI apporte deux résultats importants. Le premier est de montrer que la quantité de temps dédiée au jeu vidéo est importante. Jusque là, les études se contentaient de montrer une relation entre le jeu vidéo et aspects positifs ou négatifs de la vie des enfants.

Les résultats de la recherche étaient alors peu concluants. Certains auteurs mettaient l’accent sur la relation entre le jeu vidéo et la tendance des joueurs à internaliser leurs problèmes – c’est à dire  montrer des signes de dépression, d’anxiété, de troubles somatiques et d’inhibition. Au contraire, pour d’autres auteurs, la pratique des jeux vidéo était liée a l’externalisation des problèmes. Le jeu vidéo était alors associé à des comportements agressifs, l’hyperactivité ou des attributions hostiles.

Du côté des éléments positifs, le jeu vidéo a été rapproché des formes traditionnelles du jeu et donc de ses éléments positifs. Les jeux vidéo apportent un ensemble de challenges cognitifs, affectifs et sociaux qui sont autant d’opportunité de développement parce qu’ils apportent en apportant aux joueurs la détente dont ils ont besoin, des modèles de comportement, un et un soutien à la créativité. Les jeux vidéo ont ainsi été associés aux fonctions exécutives, à la construction de compétences visuo-spatiales ou  les conduites prosociales,

PRZYBYLSKI  montre un effet de seuil. En effet, ce n’est qu’a partir d’une certaine quantité de temps passé à jouer aux jeux vidéo que des effets négatifs apparaissent. Une personne qui joue plus de trois heures par jour a plus de chance de développer des troubles psychosociaux. Peut on dire que c’est moins le jeu vidéo que le temps passé qui est ici déterminant ? Passer trois heures par jour à jouer aux jeux vidéo est ce la même chose que passe trois heures à jouer aux échecs ou au Rubik cube ?

Pour PRZYBYLSKI c’est au moins partiellement vrai. Le temps passé a jouer aux jeux vidéo est pris sur d’autres activités qui sont importantes dans le développement psycho-affectif des enfants. Mais cette théorie du remplacement n’explique pas tout. Il faut, souligner PRZYBYLSKI, prendre aussi en compte les caractéristiques des jeux vidéo pour expliquer leur relation à l’équilibre (ou au déséquilibre) psychosocial des joueurs

Le second élément important que PRZYBYLSKI apporte à la discussion est le suivant. Si de haut niveaux de jeu vidéo sont lié des des problèmes psychosociaux, leur poids est insignifiant au regard de facteurs classiquement associés au bien-être des enfants. Le fonctionnement familial, l’école, le confort matériel  sont les véritables juge de paix dans ce domaine.  Par exemple, PRZYBYLSKI estime que les effets des jeux non recommandés (par exemple jouer a un jeu PEGI 18 pour un enfant de 14 ans ) sur les pensées, émotions et comportements agressifs  sont significativement plus faibles que ceux observés  avec la télévision. De la même façon, il n’est pas possible de faire du jeu vidéo la solution aux challenges du développement des enfants et de la vie moderne.  PRZYBYLSKI  renvoie donc dos à dos les Cassandres et les Candides du numériques en les appelant à faire moins de généralisation abusive

 

En conclusion, PRZYBYLSKI montre que les effets positifs et négatifs des jeux vidéo sont fonction du temps passé a jouer, que les jeux vidéo ont une influence faible sur les bien-être psychosocial des enfants et que leur poids est toujours largement moins important que celui de la famille ou de l’école. Pour les parents qui s’appuient sur des repères temporels, cela signifie que les alarmes doivent commencer à sonner lorsque l’enfant passe plus de la moitié de son temps libre  ou plus de trois heures par jour à jouer aux jeux vidéo

[LECTURE] ROSSE (2012) La racontouze des avatars

mardi 11 avril 2017 à 10:20

 

Elisabeth ROSSE emprunte à George PEREC la notion de racontouze pour rendre compte du travail de construction de soi rendu possible par les avatars.

 

Le travail de construction de soi de l’adolescence est aujourd’hui rendu plus difficile par la disparition de cadres d’inscription, l’élongation de la période de l’adolescence, et la déliaison sociale. La dimension narrative de l’identité, la “racontouze”, est une alternative permettant à chacun d’accéder à une vision unifiée de soi

ROSSE examine cette dimension au travers des pratiques des joueurs de jeu de rôle en ligne en commençant par présenter le joueur excessif : comme pour les addictions, ces joueurs ont un dérèglement du biorythme, un isolement social et une délaissement du corps du chair au profit du corps de pixels. Pour ces joueurs, les outils relationnels sont un moyen d’échapper à la complexité des rapports humains et à leur imprévisibilité.

L’avatar permet au adolescents de pratiquer la racontouze, de se raconter dans ses petits gestes anodins. Dans les jeux vidéo, la racontouze s’effectue par l’acte numérique davantage que par la parole. l’histoire du personnage viendrait supplanter celle du joueur. Dans les jeux vidéo, le joueur est d’emblée acteur puisqu’il décide par ses actes du déroulement du récit.

Les joueurs de jeux vidéo construirent un autre Soi qui est a la fois eux-même et un Autre. Les mondes dans lesquels les avatars évoluent sont des nouveaux lieux d’expression des questionnements existentiels. Ce sont des théâtres dans lesquelles les adolescents établissent le contrôle des relations d’objets, des espaces transitionnels qui permettent de transposer et d’affronter sur un espace externalisé les transformations non contrôlées de la puberté. Dans ces espaces temps rien n’est irréversible. Les adolescents fabriquent les singularité du support à Soi et à d’autres. Cela les expose à l’addictivité d’un jeu dissolvant tous les “Je” virtuels ou réel et possible puisque tout est possible. Le jeu retarde ainsi leur entrée dans la maturité

Dans les premiers entretiens avec les joueurs excessifs, ROSSE propose d’écouter l’avatar afin de les aider se raconter.

La “racontouze des avatars” est une belle trouvaille d’Elisabeth ROSSE. On retrouve avec cette notion les description faites par Sherry TURKLE dans les années 1995. Pour cette fine observatrice des mondes numériques, les ordinateurs sont des objets transitionnels parce qu’ils apportent à leurs utilisateurs une fonction de soutien. Cette position a été critiquée notamment par Mickael CIVIN qui montre que le cyberespace peut être utilisé d’une manière créative ou perverse. L’important est donc moins les caractéristiques de l’internet que de l’habileté du joueur à en faire un espace de subjectivation ou de désubjectivation. En d’autres termes, le jeu vidéo n’est pas en soi un espace transitionnel lle jeu vidéo n’est pas un objet transitionnel, mais que ce qui se passe entre le fauteuil et l’écran peut être en lien avec les phénomènes transitionnels.

ROSSE s’inscrit dans la tradition qui fait des jeux vidéo des narrations. Par exemple, PYLER a rapproché les jeux vidéo du monomythe américain en montrant que les héros sont souvent des personnages désintéressés, qui arrivent de nulle part et repartent une fois que l’ordre à été rétabli.   Cette tradition “narratologiste” doit être complétée par une approche “ludologiste” qui met en avant que les jeux vidéo sont avant tout un système de règles avec lesquelles le joueur a plaisir à interagir. Cette dimension est malheureusment absente du texte de ROSSE qui met trop l’accent sur l’aspect narratologique des jeux vidéo

Qu’ils soient des histoires ou un ensemble de règles, les jeux vidéo sont des objets culturels qui offrent à des personnes la possibilité de jouer, c’est à dire d’entrer dans cet espace situé entre la réalité interne et la réalité externe. Avec les jeux vidéo, les joueurs retrouvent les grandes figures du mythe et du conte. Ils peuvent les accorder à leurs propres mythes personnelles. Jouer à un jeu vidéo, c’est trouver et retrouver des éléments de sa propre expérience subjective. Un joueur se reconnaîtra dans un personnage de jeu vidéo. En ce sens il “trouve” dans le jeu une image qui dit qui il est. D’un autre côté, le temps passé à jouer fait du jeu vidéo un espace de dépôt ou l’on peut “retrouver” des éléments de son expérience passée
Comme toujours avec les addictologues, Elisabeth ROSSE défend l’idée d’une addiction aux jeux vidéo. ELle passe du joueur excessif à la “relation addictive” en caractérisant l’addictivité du jeu vidéo au fait que tous les “je” posible y sont dissous. Mais c’est précisément la caractéristique de l’expérience transitionnelle que de dissoudre les limites du Self. Dans l’expérience transitionnelle, la question d’avoir trouvé ou créé l’objet ne se pose plus. Tout est y possible d’une manière fluide et harmonieuse. Au final, si l’on met de côté la tentative de verser le jeu vidéo excessif  dans la corbeille de l’addictologie, La racontouze des avatars d’Elisabeth ROSSE est un texte intéressant parce qu’il apporte une nouvelle notion pour comprendre l’expérience vidéo ludique des joueurs de MMORPG

[LECTURE] CHEN et al. 2016 Altered functional connectivity of the insula and nucleus accumbens in internet gaming disorder

lundi 10 avril 2017 à 13:36

En utilisant la technique de l’Imagerie par Résonnance Magnétique fonctionnel (IRMf), des chercheurs montrent que les personnes répondant aux critères du Trouble du jeu vidéo en ligne ont un niveau de fonctionnement élevé au niveau de l’insula inter-hémisphérique. Ce résultat est interprété comme le signe d’une plus grande impulsivité. Ce résultat pose des problèmes qui tiennent à la technique utilisée et aux critères du Trouble du jeu vidéo en ligne
L’équipe de CHEN et de ses collègues  a comparé 30 personnes répondant aux critères du Trouble du jeu vidéo en ligne à 30 autres personnes en utilisant un IRM. Les personnes étaient au repos, les yeux fermés avec pour consigne de penser à rien de particulier et de ne pas s’endormir

 

Les chercheurs trouvent un niveau de fonctionnement élevé au niveau de l’insula inter-hémisphérique. Cela est communément associé à l’impulsivité ce qui peut expliquer la présence de ce phénomène dans le Trouble de l’addiction au jeu en ligne. Par ailleurs, la baisse du fonctionnement au niveau frontostriatal suggère que l’émotion provoqué par le jeu et traversant le noyau accumbens ne peut pas être bien régulée par le lobe frontal.

Pour les chercheurs, le fait que l’insula et l’insula inter-hémisphèrique  des joueurs ayant les caractéristiques d’un Trouble du jeu vidéo en ligne est intéressant parce que de hauts niveau de ces structures a été associé à l’utilisation de toxiques chez des patients psychiatriques. Cela suggère une base biologique commune entre les personnes des deux groupes. Pour les auteurs, le principal résultats de l’étude est que l’augmentation de la  connectivité inter-hémisphèrique de l’insula est associé a une plus grande impulsivité. Cela pourrait conduire à une plus grande vulnérabilité à la récompense immédiate

 

Les techniques d’imagerie cérébrales sont des méthodes puissantes qui permettent d’explorer la structure du cerveau. Les appareils se basent sur la résonance magnétique émise par les différents tissus du cerveau. Il est alors possible de visualiser une carte du cerveau en fonction sa densité. Cette méthode permet  des tumeurs ou des lésions ce qui est d’une très grande aide en médecine. Dans le domaine de la psychologie, l’imagerie cérébrale est utile car elle permet d’explorer  un cerveau en fonctionnement. En utilisant l’imagerie cérébrale, il a été possible de montrer l’extraordinaire plasticité du cerveau. Par exemple, des modifications de l’hippocampe, une structure fortement impliquée dans la mémoire, à été montrée chez les chauffeurs de taxi londoniens
L’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle (IRMf) utilisée par CHEN et ses collègues est une autre méthode d’exploration du cerveau. Dans ce cas, l’appareil n’explore pas la structure du cerveau comme avec l’IRM. L’Imagerie Cérébrale Fonctionnelle mesure la quantité d’oxygène présente dans le sang dans différentes parties du cerveau. L’imagerie fonctionnelle repose donc sur l’idée que le cerveau est comme un muscle qui fonctionne de l’oxygène quand il travaille. Cela signifie que moins il y a d’oxygène dans une partie du cerveau, plus celle ci est active. C’est la principale faiblesse de cette technique d’exploration .

En effet, le taux d’oxygène est une mesure indirecte de l’activité cérébrale. Il n’est pas certain que les zones dans lesquelles la quantité d’oxygène est la moins importante sont les plus actives. Par ailleurs, même si la zone est active, cela ne donne pas d’information sur son fonctionnement. A quoi sert l’oxygène consommé ? Est ce que la zone impliquée est en lien avec d’autres zones ? Son fonctionnement est il nécessaire ? Existe-t-il des paliers à partir desquels quelque chose se passe ? A ce stade de nos connaissance, la seule conclusion possible est “il se passe quelque chose mais nous ne savons pas quoi”

La seconde faiblesse de l’IRMf tient dans la manière dont les images sont rendues. En effet, leur beauté évidente cache une complexité mathématique. Il est possible que les analyses faites pour produire ces images suggèrent des relations qui n’existent pas de le cerveau. Des chercheurs ont par exemple montré une activité cérébrale dans le cerveau d’un poisson mort en utilisant les résultats d’une IRMf sous un certain angle.


Les limitations de la technique de l’IRMf n’est  pas le seul problème de l’étude de CHEN et de ses collègues. En effet, ils présentent le Trouble du jeu vidéo “sous-type “ de l’Addiction  l’Internet”. Il semblent ignorer que ni l’addiction a l’Internet ni le Trouble du jeu vidéo en ligne ne des troubles reconnus dans les classifications internationales. Le DSM-5 a placé le Trouble du jeu vidéo en ligne en annexe avec les troubles nécessitant davantage de recherche comme le Trouble liés à l’utilisation de caféïne. Volontairement ou non, les auteurs laissent  les problèmes posés par la définition du Trouble du jeu vidéo ligne. KUSS GRIFFITHS PONTES en font un bon résumé en montrant que chaque critère de ce trouble pose des problèmes. Dans une lettre ouverte, une vingtaine de chercheurs ont rappelé que la qualité de la recherche est faible, que la prévalence du trouble n’a pas été évalué et que son existence est discutée.

Enfin, le fait que auteurs concentrent leur raisonnement aux FPS et présentent que les jeux en ligne comme  une expérience hédoniste avec une hyperactivation physique pose deux problèmes. Le premier est que ce sont plutôt les joueurs de MMORPG qui ont été décrits comme pouvant avoir des conduites excessives et problématiques. Le second est que si le plaisir est au rendez-vous des parties de FPS, la frustration, la colère, l’anxiété ou la joie intense le sont tout autant. Il y a ans les jeux vidéo récompenses immédiates mais aucun joueur ne joue pour ces récompenses. Elles sont la pour guider le joueur en apportant un feedback immédiat à ses décisions. Un joueur joue pour débloquer de nouvelles armes dans un FPS ou pour obtenir un set d’armure dans un MMORPG. Pour ce faire, il devra passer par de longs  moments ennuyeux voire pénibles.  Penser qu’une partie de jeu vidéo consiste en une activation continue des systèmes de plaisir et de récompense ne correspond pas à la réalité

En conclusion, la recherche de CHEN et ses collègues est plus intéressante par ce qu’elle n’apporte pas que par ce qu’elle apporte car le fait qu’une zone du cerveau de personnes répondant aux critères du Trouble du jeu en ligne fonctionne d’une manière différente des autres ne signifie pas qu’il s’agisse d’un fonctionnement pathologique.

 

SOURCES

Bennett, C. M., Miller, M. B., & Wolford, G. L. (2009). Neural correlates of interspecies perspective taking in the post-mortem Atlantic Salmon: an argument for multiple comparisons correction. Neuroimage, 47(Suppl 1), S125.

Maguire, E. A., Gadian, D. G., Johnsrude, I. S., Good, C. D., Ashburner, J., Frackowiak, R. S., & Frith, C. D. (2000). Navigation-related structural change in the hippocampi of taxi drivers. Proceedings of the National Academy of Sciences, 97(8), 4398-4403.

[LECTURE] VALLEUR ROSSE 2012 Le virtuel et ses avatars

jeudi 6 avril 2017 à 07:00

Le psychiatre Marc VALLEUR et la psychologue Elisabeth ROSSE s’appuient sur leur expérience commune au Centre Marmottan (PARIS) pour faire l’hypothèse d’une addiction aux jeux vidéo constituée par une perte de sens progressive. Cette hypothèse échoue trois fois à être prouvée. Les auteurs n’apportent pas des éléments cliniques convainquants. Il n’arrivent pas a articuler cette hypothèse à la théorie à laquelle ils se référent. Enfin, des preuves expérimentales vont dans le sens opposé de ce qu’ils affirment

Pour les auteurs, le processus spécifique de l’addiction aux jeux vidéo est constitué par le passage du jeu vidéo comme support à la rêverie ou à l’imagination au jeu vidéo comme support à la rêvasserie. Le jeu vidéo est alors utilisé pour faire le vide ou construire une bulle dans laquelle la personne s’isole du reste du monde. Cette fonction de refuge leur semble être caractéristique d’un type d’addiction particulier

Les auteurs opposent ces addictions refuges à des addictions ordaliques  dans lesquelles la personne risque réellement sa vie. Avec les jeux vidéo, cette dimension ordalique est absente. Les jeux vidéo sont utilisés par les personnes pour se protéger d’une situation compliquée en cherchant à à  satisfaire d’une manière cathartique  des fantasmes ou des désirs violents ou risqués. Après avoir utilsé le jeu vidéo comme un refuge, la personne peut dériver vers l’addiction. Le jeu ne joue alors plus sa fonction de substitution à des conflits ou à la réalisation de désirs

L’article est intéressant parce qu’il expose différentes situations cliniques. Il montre comment le jeu vidéo peut être utilisé comme point d’appuis à la subjectivation ou au contraire il peut être un moyen pour ne pas penser ou ne rien éprouver. L’appuis des auteurs sur Serge TISSERON est tout à fait bienvenu. Serge TISSERON a en effet montré que le monde des images peut être utilisé contre le monde. De la même manière qu’une mère peut être emportée dans ses rêveries par le plaisir des interactions passées avec son bébé ou utiliser ces mêmes ressources pour s’échapper de la relation, une personne peut utiliser le jeu vidéo comme un appuis à sa vie imaginaire et fantasmatique ou pour éviter d’y être confronté. Plutôt que de rêver ou d’imaginer, la personne rêvasse.

Pour Serge TISSERON, les caractéristiques de la rêvasserie correspond au jeu vidéo pathologique. Les deux activités absorbent de l’énergie sans participer à l’engagement au monde ou à la vie psychique du sujet; font perdre du temps; sont soutenus par un désir de toute puissance infantile; excite tout en mettant le corps dans un état d’immobilité motrice presque totale. Mais en aucun cas, Serge TISSERON ne fait du jeu pathologique une addiction.

Alors que Serge TISSERON s’est appuyé sur la différence entre rêver/imaginer et rêvasser pour faire la différence entre le jeu vidéo normal et le jeu vidéo pathologique, Marc VALLEUR et Elisabeth ROSSE font un pas de plus en tentant de spécifier cette pathologie en une addiction. Mais les éléments de preuve qu’ils apportent sont peu convainquants.

Il est possible que la désymbolisation et la désubjectivation accompagnent les addictions. Mais cela ne signifie par pour autant que toute désymbolisation ou désubjectivation soit le signe d’une processus addictif. Par exemple, les grands traumatismes provoquent une forte désubjectivation. La personne se sent comme jeté hors du monde au moment de l’événement traumatique. Dans un second temps, elle vit le moment traumatique dans des flashs ou elle est comme suspendue dans le temps. Il est pourtant difficile de dire que cette personne a une addiction au traumatisme.

Malheureusement c’est dans cette voie que les auteurs s’engagent lorsqu’ils parlent des enfants violés qui deviennent par la suite “addicts” à la prostitution. Il y a beaucoup de voies qui mènent a la prostitution, et parmis les prostitués il y a une proportion de personnes qui ont été agressées sexuellements. Mais parler d’addiction à la prostitution c’est confondre la répétition et l’addiction. Il y a de la répétition dans l’addiction, mais toutes les répétitions ne sont pas des addictions ! La répétition est une des voies d’aménagement des traumatismes parce qu’elle permet à la personne ; ce retournement est recherché parce qu’il est subjectivant. Là ou la personne était “objet de  quelque chose” elle devient “sujet de quelque chose”

Le second point faible de l’argument des auteurs est qu’il repose sur la “trop grande efficacité de la fonction cathartique du jeu [vidéo] a l’intérieur duquel s’épuise un potentiel d’agressivité”. Cette fonction cathartique a largement été débattue . ANDERSON trouve que les jeux vidéo violents ont tendance à augmenter les comportements violents. L’augmentation est d’autan plus importante que la personne a des traits agressifs. Il montre aussi que les jeux vidéo violents ont tendance à augmenter les pensées violentes. Il n’y a donc pas pour ANDERSON d’effet carthartique des jeux vidéo. L’idée de Marc VALLEUR et Elisabeth ROSSE selon laquelle les jeux vidéo violents seraient une “bulle” dans laquelle les personnes déchargeraient leur agressivité n’est donc pas fondée expérimentalement.

Par ailleurs, l’hypothèse de la bulle cathartique des jeux vidéo a l’inconvénient de trop centrer la dynamique du jeu sur la violence et l’agressivité. Pour Brandon, le cas présenté comme exemple d’une addiction au jeu vidéo,  le fait que le cadre de l’action corresponde  à son histoire familiale qui nourrit bien plus l’intérêt du joueur que la violence ou l’agressivité.

En conclusion, Marc VALLEUR et Elisabeth ROSSE apportent a la discussion des éléments intéressants qui montrent que des personnes peuvent utiliser les jeu vidéo à des fins de subjectivation ou de désubjectivation. Ils n’apportent pas de preuve que cette désubjectivation soit une addiction parce que les éléments cliniques qu’ils apportent ne sont pas spécifiques de l’addiction, qu’ils n’articulent pas leur conception de l’addiction à la théorie à laquelle ils se réfèrent et parce que des preuves expérimentales vont dans le sens opposé de ce qu’ils affirment

SOURCE

Anderson, C. A., & Dill, K. E. (2000). Video games and aggressive thoughts, feelings, and behavior in the laboratory and in life. Journal of personality and social psychology, 78(4), 772.

Des spécialistes s’opposent à l’addiction aux jeux vidéo

mardi 4 avril 2017 à 08:15

Depuis son invention dans les années 1990, l’addiction aux jeux vidéo et à l’Internet suscite de vifs débats. Pour les uns, il est nécessaire de créer un nouveau trouble pour rendre compte de l’utilisation passionnelle de certains des ces “nouveaux” médias. Pour les autres, il s’agit au mieux de nouvelles expressions de la souffrance psychique mais pas d’une nouvelle pathologie. Une vingtaine d’années d’études n’a pas permis de former un consensus sur la définition du trouble, sa fréquence, ou encore les manières de le mesurer. C’est pourquoi les éditeurs du DSM-5 ont inscrit le Trouble du jeu vidéo sur Internet dans les affections nécessitant des études plus poussées. De son côté, l’Organisation Mondiale de la Santé se prépare à publier la 11e version de sa Classification Internationale des Maladies Mentales. Les “pro-addiction” poussent a une reconnaissance d’un trouble addictif lié aux jeux vidéo parce que cela permettrait aux personnes bénéficiant d’un traitement d’être remboursé. Dans un pays comme les USA ou la seule clinique spécialisée dans le traitement de ces addictions facture 15.000 dollars les 45 jours de prise en charge et où la séance de thérapie en libéral est à 150 dollars, on comprend que cette reconnaissance est importante. Pourtant, l’addiction aux jeux vidéo et à l’Internet pose plus de problèmes qu’elle n’apporte de solutions.

Dans une lettre ouverte plus d’une vingtaine de chercheurs qui travaillent sur les média sociaux, l’Internet et les jeux vidéo attirent l’attention de l’Organisation Mondiale de la Santé sur les problèmes posés par la proposition d’inscrire un Trouble du Jeu Vidéo dans la prochaine Classification Internationale des Maladies Mentales. Les données de la recherche ne permettent pas d’arriver à une conclusion claire. Par ailleurs, le trouble tel qu’il est décrit apporte plus de problèmes que d’éclaircissement

Leurs arguments sont les suivants :

  1. La qualité de la recherche est faible. Dans une revue de la littérature, GRIFFITHS et ses collègues montrent les confusions et les controverses qui existent autour de l’idée d’un trouble du jeu vidéo. Par ailleurs, la recherche n’a pas réussi à évaluer la prévalence du trouble. Enfin, la disparité des recherches rend difficile de rassembler des preuves de l’existence du trouble
  2. Le trouble est décrit a partir des critères du jeu d’argent et de hasard et de l’addiction aux produits. Or, il existe des différence entre les comportements problématiques avec ou sans substance comme la question du manque et celles de la tolérance. La comparaison a pour effet de pathologiser des comportements qui pourraient être normaux , comme penser souvent à son jeu vidéo. Cela peut conduire à de faux positifs (diagnostiquer un trouble là où il n’y en a pas)
  3. Il n’y a pas de consensus sur la symptomatologie et l’évaluation du jeu vidéo problématique. Les affirmations sur les symptômes où les prédicteurs du jeu vidéo pathologique sont souvent basés sur des interprétations erronées de réponses à des questionnaires ou des applications statistiques erronées. Un examen clinique est nécessaire pour distinguer des comportements pathologiques des comportements normaux. Il n’est pas prouvé que le jeu vidéo pathologique n’est pas un mécanisme de coping associés à d’autres problèmes (KARDEFLT-WINTHER, 2014)


Créer un Trouble du Jeu Vidéo aurait les conséquences négatives suivantes

  1. Les paniques morales autour des problèmes posés par les jeux vidéo va conduire a un sur-diagnostic du trouble et au traitement de faux positifs. En dépit des résultats ambigus de la recherche, les médecins seront tentés de diagnostiquer le trouble et donc de pathologiser des conduites normales.
  2. La recherche s’enfermera dans une démarche confirmatoire. La proposition du Trouble de l’Addiction au Jeu Vidéo en Ligne dans le DSM-5 est perçue a tort comme une preuve de son existence. La recherche risque de chercher a créer des instruments de mesure plutôt que de comprendre le phénomène du jeu vidéo dans tous ses aspects
  3. Les joueurs de jeu vidéo seront stigmatisés. L’inclusion d’un Trouble du Jeu Vidéo dans la CIM-11 va stigmatiser des millions  d’enfants pour qui le jeu vidéo est un aspect normal de leurs vies. Le diagnostic pourra être utilisé pour contrôler et limiter le jeu des enfants dans des régions du monde ou des enfants sont “traités” dans des “camps jeu vidéo” qui tiennent plus du camp militaire que du lieu de soin

En conclusion, l’inclusion de ce diagnostic dans la CIM-11 causerait plus de problèmes que de bien.Du fait de l’insuffisance de la recherche, il aurait des conséquences négatives sur des millions de personnes ne présentant pas de problème tout en ne permettant pas de détecter les cas réellement problématiques.

SOURCE  :Aarseth, E., Bean, A. M., Boonen, H., Colder Carras, M., Coulson, M., Das, D., … & Haagsma, M. C. (2016). Scholars’ open debate paper on the World Health Organization ICD-11 Gaming Disorder proposal. Journal of Behavioral Addictions, (0), 1-4.