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[100 MOTS] Immersion

lundi 14 septembre 2020 à 15:12

L’immersion est communément définie comme le fait d’être immergé dans quelque chose. Au sens figuré, le mot est utilisé pour désigner l’implication profonde dans une activité. Le terme a commencé à être utilisé dans les jeux vidéo avec pour désigner le fait que les joueurs avaient le sentiment d’être transporté dans un autre espace. C’est donc au travers de la question de la téléprésence que l’immersion a commencé à être étudiée dans les jeux vidéo

LOMBARD et DITTON (1997) ont défini l’immersion à partir de la focalisation de joueur sur le monde virtuel et sa fermeture à l’environnement physique immédiat. Le challenge et les actions à effectuer dans les jeux ont par la suite été désignés comme des aspects importants de l’immersion. BROWN et CAIRNS (2004) montrent a partir de l’expérience des joueurs que l’immersion peut être liée a la difficulté du jeu. Elle est alors une fonction de l’effort et de l’attention dont le joueur doit faire preuve pour réussir sa partie. À l’opposé, les joueurs peuvent s’immerger dans des jeux sans difficulté apparente comme les CASUAL GAMES* 

L’immersion a été rapproché du flow décrit par le psychologue Mihaly CSIKSZENTMIHALYI (1991). Le flow est une “expérience optimale” qui se produit lorsque la personne est dans une zone ou ses compétences correspondent parfaitement à la tâche qu’il est en train de faire. La personne perd alors le sens du temps et de l’espace et se sent intensément gratifiée pour ce qu’elle est en train de faire. 

SWEETER et WYLETH (2005) ont développé un modèle à partir du flow de CSIKSZENTMIHALYI. Le “GameFlow” comprend huit éléments : la concentration, le challenge, les compétences, le contrôle, les buts clairs, le feedback, l’immersion, et l’interaction. Dans ce modèle l’immersion correspond a un investissement à la fois profond et sans effort du joueur, produisant une réduction de la perception du temps et de la personne. Le modèle GameFlow a par la suite (SWEETSER, WYETH, 2012) été présenté davantage comme un modèle du plaisir à jouer. Les notions d’immersion, de flow, et de jeu sont en fait très proches les unes des autres. Les joueurs, qu’ils jouent aux jeux vidéo ou à autre chose, sont pleinement immergés dans leur activité et vivent le jeu avec une intensité qui leur fait perdre le sens du temps, de l’espace et de leur personne. 

ERMI et MÄYRÄ (2005) ont divisé l’immersion en trois dimensions : l’immersion dans les challenges et l’action, l’immersion sensorielle et l’immersion dans l’imaginaire. Cette division permet de rapprocher les jeux vidéo d’autres activités. Si les challenges et l’action sont spécifiques aux jeux vidéo, l’immersion sensorielle se retrouve dans les arts visuels et l’immersion dans l’imaginaire est expérimentée avec tous les arts de la narration. 

Pour ARSENAULT et PICARD l(2008) la situation d’immersion est provoquée lorsque personne perd conscience de son environnement immédiat et se concentre uniquement sur un média. L’immersion est sensorielle lorsque les sens sont saturés par le média. Elle est systémique lorsqu’elle repose sur la connaissance et la maîtrise des règles et des procédures de jeu. Enfin, l’immersion fictionnelle est provoquée par l’identification ou l’attachement à un personnage.

LEROUX (2012) s’est appuyé sur cette typologie pour donner une interprétation psychanalytique du phénomène de l’immersion. L’immersion sensorielle est une symbolisation en corps qui sollicite les enveloppes sonores et visuelles tout en mettant à l’écart l’enveloppe tactile. L’immersion systématique est une symbolisation par le corps puisque le joueur exécute des actions qui provoquent des images qui à leur tour suscitent en lui des sensations, des images et des pensées. Enfin, l’immersion fictionnelle est une immersion pendant laquelle le joueur retrouve le plaisir de mêler ses propres éprouvés et représentations aux mots de l’autre. L’immersion n’est possible que parce que le joueur se laisse aller à la régression du jeu. C’est elle qui permet la perte de soi, du temps, et de l’espace notée dans le flow. Cette perte des limites est elle même liée a la négation de tout ce qui n’est pas le jeu et la focalisation sur un objet qui devient source et but de toute l’expérience du joueur.

Les jeux vidéo et le monomythe

jeudi 10 septembre 2020 à 08:06

Le goût des hommes pour les histoires bien construites se traduit par la production de contes de fées, légendes,  livres, films, séries, comics et aujourd’hui dans la production de jeu vidéo. Ces histoires sont importantes parce qu’elles contribuent a la construction du lien social et de la personne en transmettant des valeurs, des normes, et des guides de comportement. De nombreuses études montrent que les jeux vidéo fonctionnent comme les contes, les mythes et les légendes. Comme tous les récits fantastiques, les jeux vidéo sont des portails qui nous permettent de nous connecter à des espaces et des lieux anciens. Ils sont aussi une expérience ou le fantastique peut être expérimenté et ou les enseignements des générations passées peuvent être transmis. Cependant, le parallèle n’est pas complet. Souvent les jeux vidéo ne prennent que quelques aspects de la structure des contes et des mythes. Certains auteurs doutent même que la comparaison entre des récits façonnés sur des centaines de siècles et les jeux vidéo puisse être valides. Il reste que les jeux vidéo sont des récits qui illustrent les conflits et impasses de la postmodernité tout en étant connectés aux récits plus anciens que sont les contes, les mythes et les légendes. 

Gabelica, M. (2017, January). Videogames–New Forms of Fairy Tale?. In Film and Media 2016-The Fifth Annual London Film and Media Conference-Questions of cultural value.

Gabelica (2017) rapproche les jeux vidéo et les conte de fées avec une grille de lecture inspirée de la psychanalyse. L’espace du jeu vidéo est un analogue de l’espace interne. Les personnages de jeu et les quêtes sont des représentants des archétypes et des conflits qui doivent être résolus En apportant des récits fantastiques, les jeux vidéo jouent pour les générations actuelles le rôle que les contes de fées a jouée pendant des siècles pour les générations précédentes

Ip, B. (2011). Narrative structures in computer and video games: Part 1: Context, definitions, and initial findings. Games and Culture, 6(2), 103-134.

L’analyse détaillée d’une dizaine de jeux de role faite par Ip (2011) permet d’examiner comment les histoires sont apportées au joueur. Ip considère que celles ci sont présentes dans les background des jeux vidéo c’est à dire dans les manuels et les jaquettes de jeu qui décrivent les personnages et leur environnement On les trouve aussi dans les cut scènes qui sont de courtes séquences vidéo qui suspendent l’action du jeu pour apporter un contenu narratif au joueur. Les émotions sont aussi une manière de construire une histoire. Enfin, les histoires suivent les structures classiques comme le monomythe du héros et ou les trois actes dramatiques d’Aristote. 

Ip note que certaines portions du monomythe sont présentes dans le background qui met l’accent sur l’appel à l’aventure, la vengeance, le meurtre, l’héroïsme, le sauvetage, le Héros et l’Ombre. Si , dans les jeux étudiés la manière la plus commune d’apporter une histoire s’appuie sur le background, les cut scenes et les structures narratives linéaire, l’auteur considère que la composante narrative ne constitue qu’un quart de l’expérience de jeu.

Galanina, E., & Vetushinskiy, A. Monomyth and hero’s image transformation in videogames.

Pour Galainna et Vetushinskiy, le héros vidéoludique nécessite la présence d’un personnage anthropomorphe et une histoire héroïque. La rencontre de ces deux condition permet au monomythe du héros de fonctionner. Les jeux vidéo mêlent alors les construction de la modernité aux images du passé archétypique en reprenant les différentes étapes du monomythe du héros : le départ, l’initiation et le retour. Les héros vidéoludiques ont peu a peu pris leur indépendance de leur modèle cinématographique. Il ont évolué vers la figure du héros  post moderne 

Connell, M., & Dunlap, K. (2020). Y. In Video Games and Well-being (pp. 125-140). Palgrave Pivot, Cham.

Pour Connell et Dunlap (2020) les jeux vidéo de rôle reprennent la structure du monomythe. Les premiers niveaux correspondent au départ du héro. Le joueur fait la connaissance de son avatar et du monde dans lequel il évolue. Le second temps est celui de l’initiation. Le joueur passe par des épreuves de plus en plus difficiles. Le temps du retour est celui de la réflexion. Le joueur prend alors conscience de ce qui a été accompli.  Les auteurs font l’hypothèse que parce que le joueur est identité a son personnage, ce type de jeu vidéo permet d’explorer le monomythe comme un espace de transformation et de croissance

Ensslin, A., & Goorimoorthee, T. (2018). Transmediating Bildung: Video Games as Life Formation Narratives. Games and Culture, 1555412018796948.

Ensslin et Goorimoorthee contestent l’idée que le monomythe  de Campbell puisse être utilisé de manière intéressante pour comprendre les jeux vidéo. Ils y voient un outil mal adapté pour comprendre le développement des personnages. Le voyage des héros des jeux vidéo moderne a peu de points communs avec le monotype. Par exemple le Capitaine Martin Walker de Spec Ops : The line connaît une lente descente dans les enfers de la névrose de guerre qui peut difficilement être comparée a la maturation psychologiques du héros du monomythe de Campbell. 

Généralement, dans les jeux vidéo, les progrès et les réussites du protagonistes  dépendent de la capacité du joueur à collecter des points d’expérience et a augmenter les compétences nécessaires au jeu. Les niveaux croissant de difficulté du jeu correspondent à des monstres de plus en plus puissantes (le chemin des épreuves) jusqu’au combat final avec le boss de fin (accordage avec le Père). Pour Ensslin et Goorimoorthee, il s’agit d’une simplification qui ne prend pas en compte des éléments importants du monomythe comme le retour du héros. Le monomythe ne prend pas non plus les différents embranchements d’une histoire, les protagonistes queer ou les anti-héros

Jouer à un casual game est associé a des effets positifs sur l’anxiété, la dépression et le stress

jeudi 3 septembre 2020 à 08:00


Les joueurs de jeux vidéo rapportent souvent qu’ils utilisent les jeux vidéo lorsqu’ils sont contrariés, déprimés ou stressés pour se soulager. Cependant ces témoignages sont anecdotiques c’est-à-dire qu’ils ont pour les psychologues un niveau de preuve faible. Il est par exemple possible que les joueurs attribuent faussement le soulagement aux jeux vidéo. Quel est l’effet de ces jeux vidéo sur l’humeur des joueurs ?

Pour répondre à cette question, Pine et ses collègues ont examiné la littérature publiée sur l’effet des casual games (CG) sur différents critères de santé mentale comme l’anxiété, la dépression ou le stress. Treize études ont finalement été retenues en utilisant la méthode PRISMA

Les 13 études considérées regroupent des participants très différents. Certaine portent sur des personnes qui ont de niveaux d’anxiété ou de dépression importants et d’autres sur des personnes qui présentent aucun trouble. La plupart des études utilisent des essais contrôlés randomisés ce qui leur donne un bon niveau de preuve. Les chercheurs utilisent aussi des instruments connus et comme la STAI ou le PHQ-9. Les études examens différentes conditions : sept sont centrées sur les symptômes anxieux, quatre sur la réduction du stress et l’humeur négative, et deux sur les symptômes dépressifs. 

Toutes les études rapportent une amélioration des facteurs étudiés comparativement au groupe contrôle. Autrement dit, jouer à un casual game a davantage d’effets positifs sur la dépression et l’anxiété que d’être mis sur une liste d’attente. La seule étude qui ne trouve pas d’effet porte sur un serious game designé spécifiquement pour traiter l’anxiété. Certaines améliorations sont rapides puisque des études rapportent un changement positif après une seule session de jeu de 30 minutes !

La revue de la littérature de Pine et al. (2020) est intéressante par ses résultats et les questions qu’elle suscite. Tout d’abord, elle confirme le ressenti des joueurs : jouer à un casual game améliore l’humeur. Mais il faut aussi replacer ces effets dans leurs contextes : faire des mots croisés a aussi un effet positif sur l’humeur. Pourtant, on ne voit pas de start-up de cruciverbistes tenter de vendre des grilles de mots croisés ! Il est aussi important de mieux comprendre ce qui est en jeu. Bejeweled et Candy Crush Saga sont tous les deux des casual games, mais ils sont très différents de Hearthstone et Clash Royale. Ces deux derniers jeu sont en commun d’avoir une composante compétition qui n’existe dans dans Bejeweled et Candy Crush Saga. Quels sont leurs effets sur l’anxiété et la dépression ? Qu’est ce qui est efficace dans ces jeux dans la réduction des symptômes dépressifs et anxieux ?

Pour les auteurs de cette revue de la littérature, le flow est l’élément décisif. Le mécanisme serait le suivant : l’attention nécessaire aux parties empêche l’expérience de l’anxiété. Cette explication est intéressante mais elle mériterait d’être développée, car elle ne permet pas de comprendre pourquoi l’effet positif se prolonge après la partie. La seconde explication donnée – les casual games adaptent la difficulté aux compétences du joueur – rejoint l’hypothèse du flow puisque cet état ne se retrouve que dans les situations ou les compétences de la personne et les exigences de la tâche correspondent parfaitement.

Au final, la revue de la revue de la littérature de Pine et al. (2020) met en évidence que les casual games ont un effet positifs sur l’humeur ce qui en fait de bon candidats comme traitements de troubles de la santé mentale. Pour les psychothérapeutes, il y a un dernier enseignement à retenir : devant une personne qui passe beaucoup de temps à jouer à un jeu vidéo, qu’il s’agit d’un casual game ou non, il vaut mieux se demander si elle ne tente pas de traiter des effets d’un stress important, des troubles anxieux ou dépressifs plutôt que d’en appeler à la notion controversée d’une addiction aux jeux vidéo.

SOURCE Pine, R., Fleming, T., McCallum, S., & Sutcliffe, K. (2020). The effects of casual videogames on anxiety, depression, stress, and low mood: A systematic review. Games for Health Journal.

Si vous êtes déprimé(e), pensez à jouer à Plants vs Zombies

mardi 1 septembre 2020 à 07:34

Les jeux vidéo peuvent être une option efficace dans le traitement de la dépression. Des chercheurs des Universités de Caroline du Nord et de Caroline de l’Est sont arrivés  à cette conclusion en comparant les effet de plusieurs heures de jeu de Plants vs Zombie a un traitement antidépresseur classique. Ce résultat est d’autant plus intéressant qu’il est obtenu sur des personnes dont les symptômes dépressifs ont résisté à une première approche médicamenteuse

L’étude a porté sur 49 personnes pour qui un anti-dépresseur a eu des effets insuffisant après  8 semaines de traitement. Le traitement “jeu vidéo” a consisté à jouer 3-4 fois par semaine à des sessions de 30-45 minutes de Plants vs Zombies (PvZ). Un second antidépresseur (sAD) a été donné aux personnes qui ne souhaitaient pas participer à l’étude. 

Le jeu PvZ est un casual games de type “tower defense” dans lequel le joueur doit empêcher des zombies d’atteindre son camp en posant sur leur chemin des plantes qui ont des fonctions différentes. La lente courbe d’apprentissage du jeu donne au joueur une sensation de maîtrise et de compétence qui contribue au plaisir du jeu. Cette maîtrise est aussi guidée par les nombreux feedback visuels et sonores qui accompagnent les actions du joueur C’est aussi une manière de faciliter l’accès à la “zone” 

Dans le détail, les résultats montrent que l’état des personnes qui ont joué à PvZ est améliorés significativement par rapport au groupe contrôle et par rapport au groupe sAD. Le fait de jouer 30 minutes à PvZ est plus efficace dans la réduction des symptômes de la dépression que de recevoir une information sur la dépression sur le site de la NIHM. A la fin de l’expérience, 16 personnes du groupe PvZ n’avaient plus de symptôme de dépression contre 4 pour le groupe sAD

Plusieurs éléments retiennent l’attention des chercheurs : 

  1. Le traitement PvZ est efficace. Il est même plus efficace que le traitement médicamenteux
  2. L’efficacité apparaît rapidement puisque les effets positifs apparaissent en quelques semaines. 
  3. Il reste à définir la “dose” efficace : quelle est la durée, l’intensité ou la fréquence de jeu qui donnent les meilleurs résultats ?

L’étude de Russoniello et ses collègues est intéressante parce qu’elle croise des observations faites par les psychothérapeutes. En effet, il est fréquent d’entendre de la part des joueurs qu’ils utilisent leurs parties de jeux vidéo pour se mettre à l’abri de l’anxiété. Les joueurs sont très conscients que le mécanisme n’est pas efficace à long terme et qu’il peut même contribuer à aggraver leur situation. Mais du fait de l’urgence dans laquelle ils se trouvent, ils apprécient le fait que les jeux vidéo contribuent à apaiser immédiatement leur anxiété. 

Les résultat impressionnants de cette étude doivent aussi être considérés au vu de l’effet Hawthorne. Depuis l’expérience de Hawthorne sur la motivation des ouvrières, les psychologues savent qu’avoir conscience de participer à une étude peut avoir des effets positifs sur l’humeur. Il est possible que l’amélioration de l’état des personnes qui ont participé à l’étude de Russoniello soit due en partie ou en totalité a cet effet Hawthorne

Enfin, jouer est en soi un anti-dépresseur. Pour cette raison, le jeu fait partie de la boîte à outils de psychothérapeutes qui utilisent des références théoriques différentes. Il serait intéressant de mieux comprendre la part du jeu de l’amélioration du groupe PvZ en le comparant avec les effets d’un jeu non numérique.

Source :

Russoniello, C. V., Fish, M. T., & O’Brien, K. (2019). The efficacy of playing videogames compared with antidepressants in reducing treatment-resistant symptoms of depression. Games for health journal, 8(5), 332-338.

Comment COVID-19 aide à comprendre l’invention de l’addiction aux jeux vidéo

mercredi 15 juillet 2020 à 08:00

Au début de l’épidémie de COVID-19 j’ai observé avec intérêt et étonnement les recherches menées par les psychologues chinois. Rapidement, le nombre de publications est devenu psi important que je n’ai plus pu lire tous les articles que me rapportait presque quotidiennement mon fil de veille. Je suis retourné à mes lectures habituelles sur les jeux vidéo et je n’y ai plus pensé. 

Un billet de Tom Chivers m’a ramené au COVID-19. Il rappelle combien il est important d’avoir des études de bonne qualité en psychologie parce qu’elles ont un impact dans la vie quotidienne des personnes. Chivers le montre à partir d’une étude menée au Bangdladesh qui a construit un instrument de mesure de la peur du COVID-19. L’échelle a été jugée suffisamment valide pour être utilisée dans d’autres études. La validité d’un instrument psychométrique mesure la manière dont il correspond au phénomène utilisé. Si une échelle mesure le risque suicidaire, les personnes qui ont un score important à cette échelle devront être celles qui présentent le plus grand risque suicidaire. La validité de cette échelle est importante parce qu’elle peut être utilisée dans des tests pour mesurer l’efficacité d’un antidépresseur et être utilisée pour construire des politiques de santé publique. Si l’échelle n’est pas valide, elle va contribuer à consommer des ressources inutilement et mener la recherche dans des impasses

La hâte avec laquelle des psychologues ont conduit et publié des recherches sur le COVID-19 est compréhensible. Le contexte sanitaire nécessitait une évaluation de la situation et des réponses rapides. Sakib et ses collègues ont été les premiers à proposer une échelle de mesure de la peur du COVID-19. Cette rapidité était nécessaire parce que face au COVID-19, des personnes souffrent de “d’anxiété importante, de colère, de symptômes post-traumatiques”, auquel il faut ajouter parfois de la “tristesse, du sentiment d’impuissance, de solitude”. Dans les cas extrêmes, préviennent les auteurs, cette peur peut conduire à des pensées suicidaires et des tentatives effectives de suicides. 

Sakib et ses collègues ouvrent un nouveau domaine de recherche : la peur du COVID-19. Ils ont une responsabilité imminence la validité d’une part importante de ce champ de recherche repose sur la validité de leur instrument de mesure. Cette responsabilité n’est pas uniquement académique, car comme le souligne Chivers, il est possible que des mesures de santé publique soient prises au regard des résultats de cette échelle.

Faire de la bonne bonne science prend du temps : il faut formuler les questions de recherche, récolter les données, les analyser et tout ce processus dans une publication. Il est très probable que la célérité de Sakib et ses collègues se soit faite au détriment de la validité de leur instrument de mesure comme le montre le fait qu’ils ne partagent pas les données qui ont permis la construction de leur instrument de mesure alors qu’ils s’étaient engagés à le faire.

Pourquoi parler de tout cela ici ? Tout simplement parce que les psychologues se sont conduit de la même façon avec les jeux vidéo. Cela peut se comprendre, car d’une certaine façon, nous avons connu une épidémie de jeux vidéo. Des années 1970 à aujourd’hui, les jeux vidéo n’ont pas cessé de se transformer et de conquérir de nouveaux publics. Mark Griffihs et Kimberley Young ont rapidement bricolé des instruments de mesure pour évaluer ce nouveau phénomène, donnant naissance a un nouveau champ : l’addiction aux jeux vidéo. Cette addiction a été décrite de manière aussi sensationnaliste que la peur du COVID-19 : les jeux vidéo provoquent de l’anxiété, un isolement social, des difficultés scolaires ou professionnelles, de la dépression et des suicide. L’ampleur du trouble a été mesurée avec des échelles dont la solidité dépend en grande partie de la première échelle de Kimbeley Young. Des mesures de santé publique sont prises pour en fonction d’affirmations reposant sur un instrument dont on peut questionner la validité psychométrique.

La situation est peut-être pire que celle de la Bangal Fear od COVID-19 scale. Les personnes concernées se comptent par millions, les instruments de mesure de cette “addiction” sont pléthoriques, et au nom de la santé publique, certains se préparent à créer un gaming disorder dont l’existence reste à ce jour infondée. Chaque vague numérique a apporté ses instruments de mesure. Les réseaux sociaux ont amenée le développement d’une Facebook Addiction Scale et d’une Instagram Addiction Scale… Les smartphones ont leur Smartphone Addiction Scale. Chaque échelle est traduite dans différentes langues, avec parfois une version longue et une version courte pour les cliniciens pressés. Bien évidemment, quand FOMO a été inventée, des échelles correspondantes ont été construites.

Les études sur les jeux vidéo et les applications numériques sont nécessaires. Elles nous aident à comprendre comment nous produisons une technologie qui nous transforme. Mais nous avons besoin d’études sérieuses et solides méthodologiquement pour que ce champ de recherche ne repose pas sur une tête d’épingle et que des positions moralisatrices ne se cachent pas sous des impératifs de santé. Nous avons besoins d’arrêter de pathologiser chaque nouvelle vague numérique.

Références

Abel, J. P., Buff, C. L., & Burr, S. A. (2016). Social media and the fear of missing out: Scale development and assessment. Journal of Business & Economics Research (JBER), 14(1), 33-44.

Sakib, N., Bhuiyan, A. I., Hossain, S., Al Mamun, F., Hosen, I., Abdullah, A. H., … & Sikder, M. T. (2020). Psychometric validation of the Bangla Fear of COVID-19 Scale: Confirmatory factor analysis and Rasch analysis. International Journal of Mental Health and Addiction.

Weinstein, N., & Nguyen, T. V. (2020). Motivation and Preference in Isolation: A test of their different influences on responses to self-isolation during the COVID-19 outbreak. Royal Society Open Science, 7(5), 200458.