source: Reflets.info
Non mais franchement… Qui pourrait s’étonner de la mise sur écoute de toute la planète par les services de renseignement ? Et après tout, n’est-ce pas là leur raison d’être ? Cela ne peut gêner que ceux qui ont quelque chose à se reprocher, c’est à dire une minorité de personnes. Les arguments ne manquent pas pour minimiser la portée des révélations reposant sur les documents d’Edward Snowden. Pourtant, elles s’inscrivent dans une série qu’il serait dangereux d’écarter. Mises bout à bout, elles permettent de se faire une idée de la mutation en cours du concept de démocratie.
Le 11 septembre a été un tournant. Peu après, les Etats-Unis mettent en place un réseau de prisons secrètes un peu partout dans le monde. Des trous noirs dans lesquels allaient être enfermés les ennemis de la démocratie américaine. Ces détenus d’un nouveau genre n’ont évidemment pas de statut juridique, ce qui interroge sur ce qu’est une démocratie qui enferme des gens sans perspective de procès équitable.
En parallèle, étaient mis en place des vols internationaux d’avions fantômes permettant de véhiculer les personnes enlevés en plusieurs points du globe. Certaines ont fini dans ces prisons illégales, d’autres ont été « déposées » dans des pays « alliés » pratiquant une réelle torture, histoire de les faire parler. Ces avions se sont posés un peu partout en Europe, avec la bénédiction des gouvernements des démocraties européennes.
Dans le même temps, les Etats-Unis mettaient en place un « cadre légal » pour l’usage de la torture. Dès janvier 2002, trois mémos du département de la justice étaient produits pour définir quel type de torture pouvait être utilisé pour faire parler les ennemis de la démocratie américaine. Le simple fait de faire plancher des juristes du ministère sur le sujet laisse perplexe.
Parallèlement, les soldats américains se sont laissés aller à des actes de torture physiques et psychologiques. Le scandale d’Abou Ghraib reste dans les mémoires. D’autant que les acteurs de ces tortures ont pris le soin de bien les documenter avec des photos très explicites.
La démocratie américaine a clairement « muté » après le 11 septembre.
Certains diront qu’il s’agit d’une mutation isolée, dans un pays traumatisé par l’un des pires attentats de l’Histoire.
Pourtant, la tendance de l’exécutif à s’affranchir du contrôle opéré par le pouvoir judiciaire est une tendance lourde que l’on retrouve plus près de chez nous. Il n’y a aucune réaction des populations. Ni aux Etats-Unis, ni en Europe.
En France, Nicolas Sarkozy a ouvert une voie avec son projet de disparition du juge d’instruction. Mais la gauche n’a pas manqué de prendre le relais notamment dans le cadre de la future loi de programmation militaire. Celle-ci donne -entre autres choses- un accès quasi illimité à certains services aux données de connexion des internautes.
Dans la série : « citoyen, renonce ce jour à toute possibilité d’anonymat, tu es considéré a priori comme un délinquant potentiel« , il est interdit en France de se promener avec une capuche dans une manifestation.
En Espagne l’exécutif passe des lois pour faire taire la protestation. Que la rue décide de se rebeller contre des décisions macro-économiques et voilà une loi pour faire rentrer tout le monde à la maison.
Comme l’on parle désormais dans les sphères du pouvoir de « vidéoprotection » et non plus de vidéosurveillance, la prochaine loi espagnole qui empêche clairement de manifester, s’appelle la « Loi de sécurité citoyenne« . Cherchez l’erreur. Ou l’Orwell.
Mieux, le gouvernement espagnol explique que certains délits pénaux deviendront de simples contraventions, ce qui permet de désengorger les tribunaux et dépénaliser certains délits. Oui, mais non. Les amendes (salées, jusqu’à 30.000 euros contre 10 à 30 jours de jours-amende jusqu’ici) vont pleuvoir. Sans possibilité de discuter devant un tribunal de la réalité des faits qui vous sont reprochés. Devant une tribunal administratif, c’est au citoyen de prouver qu »il est innocent. Devant un tribunal pénal, c’est à l’Etat de prouver que le citoyen est coupable. Ce n’est pas un détail. Quant aux amendes, c’est bon pour le déficit budgétaire et cela permet d’éviter les manifestations. Quelques 4000 à Madrid l’an dernier avec seulement une douzaines émaillées d’actes violents… Il était temps d’agir… Il sera désormais interdit de manifester près du Congrès et de filmer la police.
En Espagne, le Franquisme n’est pas un lointain souvenir et nombreuses sont les voix qui s’élèvent contre l’actuelle mutation de la démocratie. Et comme le fait remarquer Manuel Ballbé, professeur de Droit Administratif à l’université autonome de Barcelone, il n’y a pas matière à renforcer l’arsenal judiciaire. Dans un pays avec 50% de taux de chômage chez les jeunes, il faut noter que ceux-ci se comportent de manière incroyable, précise le professeur. Et pourtant…
Entre-t-on dans une phase historique où tous les dirigeants de pays démocratiques deviendraient anormalement paranoïaques ?
Cet article fait partie d’une trilogie. Lire la suite ici
Mais pourquoi revenir sans cesse sur les écoutes massives à l’échelle planétaire mises en place par des gouvernements « démocratiques » ? N’y a-t-il pas des choses plus importantes ? Le chômage, la faim dans le monde, la guerre ? Si, bien sûr. Pour autant, les écoutes massives décrites par les documents d’Edward Snowden ne doivent pas être négligées. Elles sont le reflet d’une problématique politique essentielle : la mise en place d’écoutes massives à l’échelle de la planète est le fruit du travail de personnes complètement paranoïaques qui voient en chaque citoyen un délinquant potentiel. Quel cheminement intellectuel peut amener un dirigeant politique à mettre en place un tel système ? A placer potentiellement sur écoute tous ses concitoyens ?
Toute personne à peu près équilibrée ressent un besoin impérieux de fuir une personne présentant des troubles cliniques de paranoïa.
Visiblement pas en politique.
Les électeurs délèguent leur pouvoir à des gens qui font preuve d’une dangereuse et inquiétante paranoïa. Et leur renouvèlent leur confiance, Encore, et encore.
A-t-on voté pour ces gens afin qu’ils se livrent à de telles activités ? Afin qu’ils nous remercient en nous mettant sur écoute ? Afin qu’ils fassent fi du droit fondamental à la confidentialité de la vie privée ?
Ce qui différencie deux êtres humains, ce qui nous caractérise les uns par rapport aux autres, ce n’est pas notre ADN, ce n’est pas la composition chimique de notre corps, c’est justement notre vie privée. Dans vie privée, il y a « privée« . Qu’est-ce qu’ils ne comprennent pas dans « privée » ? Comment la démocratie a-t-elle pu muter à ce point qu’il est interdit d’être anonyme une partie du temps ?
Le DPI est foncièrement politique. C’est un choix de monde dans lequel nous souhaitons vivre. Laisser se développer ces technologies, c’est hypothéquer l’avenir de nos enfants. Un renoncement aux droit de l’Homme, aux droits fondamentaux. C’est permettre à de futurs gouvernants de nous accuser de choses que nous n’avons pas faites.
L’évolution démocratique en France, pour ne prendre que cet exemple -il y en a d’autres en Europe moins hypothétiques, montre que les électeurs des partis « démocratiques » de l’oligarchie tendent vers l’abstention. En revanche, le Front National a toujours évolué dans une tranche de 15-20%. Pas d’abstention de ce côté de l’échiquier. La théorie des vases communicants laisse penser qu’un de ces quatre, ce parti pourrait, à la faveur d’une abstention massive, parvenir au pouvoir. Que ferait une Marine Le Pen d’un tel outil de surveillance massive ?
Nous allons encore l’entendre à l’Assemblée Nationale tant les projets de régulation du Net sont légion ces jours-ci, ce réseau est un Far West. Peut-être. Mais quel Far West ? Qui est le caïd de la cyber-prairie ?
Avant (mais ça c’était avant), le Net était un Far West où tout était possible : les forces de l’ordre étaient complètement dépassées par la technologie. Aujourd’hui, les forces de l’ordre et les services de renseignement ont créé LEUR Far West sur les réseaux. Elles peuvent y faire ce qu’elles veulent et s’affranchissent allègrement des lois qui s’appliquent à M. Michu (le mari de Mme Michu). On vous a autorisé l’usage de la cryptographie ? C’est exact. Grand bien vous fasse.
En échange, de nombreuses lois ont donné aux autorités la possibilité d’obtenir les clefs pour déchiffrer en cas d’enquête, d’installer des chevaux de Troie sur vos ordinateurs, etc.
L’ancien président Nicolas Sarkozy parlait déjà de Far West en 2007 lors de la signature des Accords de l’Élysée, d’où naquit Hadopi, comme le rappelle PCINpact: « Il faut dire que pour l’ex-chef de l’État, cet univers un peu étrange est proche d’un film de John Wayne, assimilant Internet à un « Far West » high-tech, « une zone de non-droit où des « hors-la-loi » peuvent piller sans réserve les créations, voire pire, en faire commerce sur le dos des artistes » ».
Le même Nicolas Sarkozy est à l’origine de la montée en puissance de deux sociétés spécialisées dans le DPI et l’écoute massive à l’échelle d’un pays : Amesys et Qosmos. Il est à l’origine du contrat d’Amesys en Libye…
Qui a parlé de Far West ?
Dans ce cas précis, on délocalise les écoutes massives, pour s’affranchir du droit français…
L’idée même d’un Far West est une mauvaise idée, quel que soit le caïd de la plaine…
Le Far West d’avant, c’était aussi un monde où chacun qui était responsable de lui-même et faisait en sorte de ne pas impacter négativement les autres. Chacun gérait son bout de tuyau pour que tout continue de fonctionner (un tuyau tout seul ne sert à rien). Ce n’est plus le cas. Demain, chacun tentera de tuer l’autre à coups de DPI.
Oui, le DPI, c’est politique. En le laissant s’installer, proliférer, les citoyens choisissent de vivre dans un monde où un agent des renseignement habite sous leurs lits. Il n’y a plus ni respect de la vie privée, ni contrôle des écoutes par des juges. Encore moins de droit à l’anonymat.
Si l’on peut comprendre que Mme Michu ne soit pas alertée sur ces problématiques, on comprend moins que les journalistes ne jouent pas leur rôle de contre pouvoir. Mais, il est vrai, il y a Nabila, les petites phrases des politiques, l’immigration, la France raciste, …
Mais… Oh, wait… Les journalistes sont parmi les premiers visés par ces technologies…
Fort heureusement, les volontaires se pressent pour les former à la cryptographie, leur assurant ainsi un faux sentiment de sécurité qui génèrera peut être plus d’ennuis que de choses positives.
Le DPI est également une question éminemment juridique. Si le législateur (coucou @jjurvoas) continue de plébisciter ces technologies comme il a plébiscité la vidéosurveillance, l’avenir est franchement sombre. S’il se saisit de ces problématiques, il deviendra peut être plus difficile de laisser le Far West des services de renseignement s’installer et perdurer.
Le DPI est une question éminemment culturelle et économique. Car demain, avec le DPI, ne passeront sur nos réseaux que les paquets « purs ». Chacun est libre de défendre son bout de gras, mais pas au prix de la neutralité du Net, là aussi, une histoire très politiques (au bon sens du terme).
Il va être temps de se réveiller si vous tenez à pouvoir continuer de consulter des images de lolcats terroristo-pédo-nazis.
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Reprenons… Aux Etats-Unis, le patron de la NSA a été convoqué pour témoigner devant le Congrès. Quelques représentants un peu moins serviles que les autres ont même proposé d’encadrer les dérives de l’agence. En Grande Bretagne, les patrons des services de renseignements sont également venus s’expliquer devant des représentants du peuple pas trop agressifs. En Espagne aussi, le chef des services de renseignements doit s’exprimer devant les députés. En Allemagne, le tollé est assez fort dans la population, époque Stasi oblige. Et Angela Merkel a du faire semblant de taper du poing sur la table. A Bruxelles… Pas grand chose. Mais au moins, une petite indignation de façade. Au Brésil, la présidente a envoyé paitre Barack Obama. En Belgique, la presse s’est indignée. Mais en France ?
Oui, chère France… Qu’as-tu mis en place ? Quelle infrastructure d’écoute massive as-tu développée ? Sur ordre de qui ? Avec quelles garanties démocratiques ? Et vous, chers représentants du peuple, que faites-vous pour nous représenter ? Pour demander des comptes à l’Executif ?
Quel est cet accord Lustre dont, c’est un comble, parlent seulement des journaux allemands ou britanniques ? Quel est cet opérateur spécialisé dans les protocoles qui collabore avec tant de zèle avec la DGSE et le GCHQ ? S’agit-il de Qosmos, comme le suggère un ancien salarié de cette entreprise ? Qosmos dont le Fonds Stratégique d’Investissement (et donc l’Etat) est entré au capital…
Quelle est la portée de ces écoutes qui permettent visiblement d’engranger des dizaines de millions de communications en un seul mois ?
Quelle infrastructure technique as-tu mis en place ? Avec qui ?
Toutes ces questions restent sans réponses. D’une part parce que l’Exécutif (de droite ou de gauche d’ailleurs) refuse de répondre, d’autre part parce que les autres pouvoir (députés et sénateurs, Judiciaire, presse) ne se précipitent pas au portillon pour l’interroger et surtout, le forcer à répondre.
Et c’est fort dommage. Un peu de transparence et de dialogue, ça a du bon dans une démocratie. Mais lorsque ces deux composantes sont absentes, c’est que la démocratie a muté. Elle est devenue autre chose.
Chère France, tu as vraiment un souci avec les questions que te posent tes citoyens. Tiens… Prends exemple sur les Etats-Unis. Un condensé de délire paranoïaques et de surveillance massive. Et pourtant…, Reflets a demandé à la NSA quels étaient ses contrats avec la société Narus. La NSA nous a répondu en moins de quatre semaines. Et toi ?
Si nous te demandons quels sont tes contrats avec, au pif, Alcatel Submarine Networks, Orange Marine, Amesys, Qosmos, EADS dans le domaine de l’interception massive, tu nous répondras ?
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C’est une véritable petite bombe qui vient d’être lâchée par un ancien employé de Qosmos sur son blog. Une note de blog qui confirme toutes nos hypothèses, toutes nos suspicions d’une collaboration étroite des services de renseignement extérieurs français et anglais…
Channel 4, le Guardian et Mediapart avaient pointé du doigt une accumulation de preuves sur ce genre de collaboration en évoquant un (pas si mystérieux que ça) acteur privé partenaire de la DGSE, maîtrisant une brique technologique indispensable pour la réalisation d’interceptions de masse… la détection protocolaire dont nous aurons surement prochainement l’occasion de vous reparler plus amplement.
En attendant, les révélations de James Dune sont fracassantes et se passent de commentaire :
Ces informations révélées par The Guardian/Ed Snowden corroborent l’annonce faite en interne, devant l’ensemble du département R&D de l’entreprise Qosmos, spécialiste française du développement protocolaire, par son Vice-Président Communication Erik Larsson, au mois de mars 2012 : »Nous sommes en train de négocier auctuellement un contrat avec le gouvernement Britannique. »
Le partenaire privé de la DGSE - »the DGSE’s main industry partner » selon les documents révélés - est l’entreprise française Qosmos, entreprise au statut Confidentiel Défense spécialisée dans le domaine du développement protocolaire, et qui à ce titre a reçu €10 millions du Fond Stratégique d’Investissement (FSI) en août 2011.
En tant que Responsable de la Documentation Technique au sein du département R&D de l’entreprise Qosmos, j’ai assisté personnellement à cette réunion de mars 2012, et suis prêt à la raconter dans ses détails à la justice française.
Oui, la France, par l’entremise de la DGSE et d’entreprise(s) française(s) participerait activement au programme de surveillance mondial orchestré par les services américains ;
Oui comme nous le claironnons depuis des mois, la France serait donc parfaitement au courant, elle est en fait complice ;
Oui… il va être temps de s’en expliquer devant les citoyens français et européens.
Ça risque d’être compliqué de nous expliquer que le gouvernement travaille de concert avec la CNIL sur ce dossier.
Le 25 novembre 2011, Reflets titrait « Et si nous étions tous libyens« . Deux années ont passé, les révélations s’enchainent sur les programmes de surveillance « décentralisés » et massifs, répondant à une logique légale qui échappe totalement au citoyen qui se retrouve placé sous un régime exceptionnel, extension à l’ensemble de la population de mesures antiterroristes.
L’écoute massive des communications, l’interception de données sur des câbles sous-marins, l’implication des services extérieurs de grandes démocraties… Tout ça ne fait aujourd’hui que peu de doute. Souvenez vous également de ce que nous vous expliquions au mois de mai dernier :
Voici comment je m’y prendrais si je voulais écouter massivement, à moindre coût, et surtout discrètement.
J’appuierais, au plus haut niveau de l’Etat, une société privée (un fusible comme on dit dans le jargon), spécialisée dans l’interception de masse, pour que cette dernière exporte ses jouets sur le territoire national des gens que je souhaite écouter. Je leur vendrai le bébé comme une arme de guerre électronique, à part que cette dernière n’est pas répertoriée légalement en tant que telle, et donc, non soumise à un contrôle strict des exportations.
J’en profiterais pour surdimensionner un peu le système en prévision d’une utilisation non documentée (un backdoor).
J’enverrais ensuite, au nom d’une « fraternelle coopération » des officiers du renseignement militaire pour former les équipes du « client » (comprenez le dindon de la farce). Cette opération de « formation » permettrait en outre de paramétrer le jouet vendu afin que ce dernier soit accessible à distance par les services du renseignement extérieur, avec un accès complet aux interceptions réalisées par le « client »… évidemment à son insu.
Ce qu’il y a de bien avec TCIP/IP et BGP, c’est que l’on peut router du trafic à peu près où on le désire. En clair, nul besoin de disposer d’outils sur le territoire français pour écouter les communications des ressortissants français.
UPDATE : Lire cette étude de Renesys (EN) et cet article de Stéphane Bortzmeyer… notre théorie semblait la bonne.
Si je multiplie cette « opération commerciale » avec des « partenaires » géographiquement bien choisis, je m’offre une sorte de cloud de l’interception, financé par des puissances étrangères. Peu importe si elles ne sont pas franchement reconnues comme les plus grandes démocraties. Peu importe si leurs dirigeants sont connus comme des terroristes ou des fous furieux. L’éthique ce n’est pas franchement le fond du problème.
En cas de pépin, pas de souci; l’Etat pourrait ainsi se défausser de toute responsabilité. Notre entreprise privée est le fusible, c’est à elle de sauter. Mais évidemment, comme elle demeure « stratégique », je lui offre une porte de sortie en bidonnant une cession d’activité à une société tierce, créée par elle même. Elle pourrait ainsi, par exemple sous drapeau Qatari, continuer à vendre ses petits jouets et la collaboration entre les services extérieurs et cette « nouvelle société » qui ne renaît que des cendres de la première, pourrait ainsi continuer de plus belle et s’attaquer tranquillement à d’autres « marchés ».
Si une bande de cyber-beatniks venait à poser des questions au Gouvernement sur la présence avérée d’officiers du renseignement, il suffirait de brandir la menace terroriste et d’expliquer que ces « armes » n’en sont pas, qu’elles sont en fait du matériel grand public.
C’est une année particulièrement chargée en termes de mauvaises nouvelles pour nos libertés. La plupart étaient décrites ici-même depuis 3 ans et une part d’entre elles restaient à l’état d’analyses théoriques. Les théories abracadabrantesques de Reflets. Aujourd’hui, tout est sur la table : la surveillance globale est en place depuis plusieurs années, Snowden en amené les preuves incontestables. Mais arrive sous peu, ce que l’on pourrait appeler la cerise sur le gâteau : les accords TPP et TTIP. ACTA, SOPA et INDECT réunis face à TPP et TTIP sont l’équivalent d’un velosolex qui voudrait gratter un gros cube aux 24 heures du Mans.
Il y a de la littérature sur le sujet et de la bonne, de la précise, comme ce long article du Monde Diplomatique hébergé par La Quadrature Du Net. Pour simplifier et résumer, TPP est l’acronyme de Trans-Pacific Partnership et TTIP Transatlantic Trade and Investment Partnership. Ce sont des accords commerciaux de libre-échange entre nos amis américain et une zone de pays asiatiques pour le premier (TPP), et toujours nos amis américains avec une grande partie de l’UE dans le cas de TTIP.
Le libre échange, mais c’est très très bien ça, non ? Ca va ramener de la croissance, des nouveaux marchés pour nos braves entreprises en crise, et tout et tout, alors pourquoi donc crier au scandale ? Parce que c’est du libéralisme et que les journalistes gauchistes ne savent rien faire d’autre que de critiquer le libéralisme ? Non. Rien de tout ça. Exactement l’inverse, en réalité.
Tous les documents préparatoires de ces fameux accords qui s’établissent sans aucune consultation des populations, indiquent que la démocratie telle que nous la connaissons, c’est terminé. Wikileaks en met une partie à disposition. Pour ceux qui ont un peu de mémoire, les accords dits « AMI » (Accords Mondiaux sur l’Investissement), instigués en 1995 et annulés en 1998 tentaient exactement la même chose : permettre aux entreprises d’attaquer en justice les Etats auprès d’une cour de justice adéquate, afin de permettre à ces mêmes entreprises de se développer et d’investir « en toute liberté ». Si, par exemple, la France vote une loi de protection sur la santé des salariés, ou une augmentation du salaire minimum, et bien les entreprises ayant investi en France ou voulant y investir peuvent attaquer le France en justice. Parce qu’elles estiment que ces lois freinent leur investissement. A l’époque, ça avait créé une levée de boucliers via le net, des manifs dans la rue, et au final, l’AMI était passé à la trappe.
Le TTIP et le TPP remettent le même couvert. Ils vont même plus loin. Il y aura un tribunal arbitral avec trois juges, des avocats d’affaire en réalité, qui trancheront entre les multinationales et les Etats attaqués en justice, comme pour l’AMI, mais la liste des réjouissances est cette fois-ci encore plus large.
Un exemple ou deux : la norme internationale sur la viande ne pourra être mise en cause par un Etat importateur. Ton poulet est passé à la javel, tu dois l’importer, même si il ne correspond pas à tes normes. OGM, même combat. Et tu passes à la caisse par la case tribunal du TPP si tu ne joues pas le jeu. Pareil pour tes normes environnementales. Comme tes services publics, qui eux aussi seront concernés par les accords. Ton moratoire sur les gaz de schiste : à la poubelle, c’est contraire au libre échange, tu empêches l’investissement des pétroliers. Ces cas ne sont même pas imaginaires ou futurs, puisqu’ils ont déjà été appliqués au Canada dans le cadre de l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain ). Le tribunal arbitral a donné raison aux pétroliers quand le Québec a établi un moratoire sur les gaz de schiste pour cause de pollution massive…
Il semble que l’Electronic Frontier Foundation soit inquiète de voir renaître SOPA en pire via ces accords. l’ACLU aussi (Union Américaine pour les Libertés Civiles), dès 2012. Il y aurait donc dans ces accords plein de dispositions sur les brevets numériques, avec des obligations faites aux FAI de faire disparaître des contenus du réseau, couplée à la surveillance légale des utilisateurs pour ce faire, tout ça au nom de la lutte contre la contrefaçon, la protection des entreprises et de leurs investissements. Une forme de grande Union Soviétique néo-libérale où le mot « prolétariat » serait remplacé par « investissements des entreprises ».
Le mieux, pour se rendre compte de toutes les implications que ces accords font peser sur nos libertés, et au final de la notion même d’Etat, donc de citoyenneté, est d’aller s’informer sur http://www.flushthetpp.org. Avec en tête que nous sommes là, avec ces accords, devant la fin de bribe de démocratie qu’il restait. Puisque demain, les lois votées par les représentants du peuple pourront être contestées par des entreprises dirigées par des personnes anonymes non-élues, et des dédommagements colossaux (plusieurs milliards d’euros) demandés aux Etats, et donc aux citoyens, par ces mêmes personnes anonymes à la tête de ces entreprises géantes. Si ces accords passent, le concept même de citoyenneté sera aboli. Comme celui de liberté individuelle ou de pacte social. Mais qui en parle vraiment encore par chez nous ? Ou qui en a encore quelque chose à faire…? Les geeks pro-snowden qui font la pub d’Amazon ou du dernier smartphone à la mode ?