PROJET AUTOBLOG


Conspiracy Watch | L'Observatoire du conspirationnisme

Site original : Conspiracy Watch | L'Observatoire du conspirationnisme

⇐ retour index

Conspiracy News #05.2021

dimanche 31 janvier 2021 à 14:52

L’actu de la semaine décryptée par Conspiracy Watch (semaine du 25/01/2020 au 31/01/2021).

BLACKS AND JEWS. Publié en 1991 par la secte suprémaciste noire Nation of Islam, l’ouvrage The Secret Relationship between Blacks and Jews prétendait démontrer que les Juifs avaient joué un rôle primordial et disproportionné dans l’histoire des traites négrières et de l’esclavage. Les auteurs de cet opuscule n’avaient pas été jusqu’alors identifiés. Ils le sont désormais grâce au travail d’investigation du site Pratique de l’Histoire et Dévoiements Négationnistes (PHDN), qui retrace le fil de la résolution de ce mystère dans un excellent thread.

BUSINESS. Ils promeuvent des remèdes miracles tout en minimisant l’épidémie. Dans une enquête exclusive, L’Express lève le voile sur l’une des motivations les moins avouables des figures les plus influentes de la complosphère : l’argent. « Car derrière le discours ésotérique se cache un business lucratif. Beaucoup vendent livres, stages, conférences et autres formations en ligne – 400 euros pour savoir “comment tout guérir” avec Tal Schaller, 900 euros pour le cours complet de “l’Académie de la vie en mouvement” de Crèvecoeur… Un “business model” qu’ils ne sont pas les seuls à avoir adopté. Citons Jade Allègre, une naturopathe qui prône “l’usage médical des argiles pour renforcer l’immunité”, Yann Lipnick et ses stages de “rencontre avec le monde des elfes” (sic). Ou encore Luc Bodin, un médecin radié en 2014, également très présent sur YouTube, qui continue à organiser des cessions de soins énergétiques (1280 euros la semaine). Sur son site à l’esthétique léchée, où il se présente toujours comme “docteur”, il propose aussi des formations en ligne sur “la puissance de la pensée” (117 euros les 4 heures) ou, moins cher “l’homme énergétique” (67 euros)… Lui, bien sûr, a la solution pour prévenir le Covid : oligoéléments et homéopathie » (source : L’Express, 26 janvier 2021).

TOUS COMPLOTISTES ? C’est le titre d’un documentaire réalisé par le journaliste Martin Weill, parti avec son équipe à la rencontre des créateurs, des propagateurs, des victimes et des spécialistes du phénomène complotiste. « En essayant de décrypter cette mécanique, on tente d’expliquer pourquoi ça marche, pourquoi les conditions sont réunies pour que le complotisme émerge, quels en sont les dangers et les solutions potentielles », explique le journaliste dans Ouest France. Un film édifiant diffusé sur TMC le 26 janvier 2021 et à retrouver en replay pendant trente jours.

<script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8">

Parmi les personnalités rencontrées par Martin Weill, notons l’apparition de Léonard Sojli (animateur du site Les DéQodeurs) qui, dans un entretien avec le journaliste, revendique lui-même le qualificatif de « complotiste » et reconnaît croire à l’existence d’une élite « pédophile et sataniste » dans le droit fil des théories du complot QAnon.

<script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8">

RIPOSTE LAÏQUE. Menacé de mort par courriers anonymes émanant de Riposte laïque, un site d’extrême droite cofondé par Pierre Cassen, le Dr Jérôme Marty a annoncé des poursuites judiciaires contre ce média conspirationniste. Dans une vidéo postée sur Twitter, le médecin présente les articles du site reçus sous enveloppes, révélant les « menaces, propos homophobes et appels au meurtre » dont ils sont porteurs.

EXTRÊME DROITE. Flairant l’opportunité électorale, les partis d’extrême droite lorgnent les mouvements anti-vaccins dans toute l’Europe. Une manière pour eux d’exister, alors que la crise du Covid ne laisse que peu de place aux partis d’opposition. Tour d’horizon (source : Libération, 26 janvier 2021).

HENRION-CAUDE. Nouveaux vaccins capables de « s’intégrer au génome », près de 3% des vaccinés aux États-Unis « incapables de travailler », remèdes « extraordinaires » déjà existants contre le Covid-19… Dans une vidéo d’une heure partagée des dizaines milliers de fois depuis le 16 janvier 2021 sur Facebook, la généticienne Alexandra Henrion-Caude reprend à son compte plusieurs fausses informations sur la pandémie de coronavirus. Pour l’AFP Factuel, des scientifiques et médecins font le point sur les principales contre-vérités mises en avant par cette ex-chercheuse de l’Inserm aperçue samedi 23 janvier à la manifestation contre la « coronafolie » organisée par l’ancien numéro 2 du Front national, Florian Philippot, à Paris (sources : AFP, Libération, 26 janvier 2021).

CASASNOVAS. Il fait l’objet de nombreux signalements auprès de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) et ambitionne de créer une école hors contrat : vantant depuis presque dix ans les bienfaits pour la santé du crudivorisme, Thierry Casasnovas est devenu incontournable dans le monde des médecines et régimes alimentaires alternatifs. Il est aujourd’hui visé par une enquête judiciaire. Il lui est reproché des faits relevant de la « suspicion d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse d’une personne particulièrement vulnérable » et une potentielle mise en danger de la vie d’autrui. Portrait (source : L’Express, 26 janvier 2021).

FRANCESOIR. Avec l’épidémie de Covid-19, l’ancien titre du quotidien de Pierre Lazareff est devenu un puissant relais des théories conspirationnistes. Son propriétaire Xavier Azalbert, riche entrepreneur de 56 ans, cultive l’art du secret et des affaires rondement menées. Zoom du Parisien sur un média qui, de 2 millions de vues par mois, en juillet 2020, est passé à 6 millions, en décembre. À noter que la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a déclaré sur Twitter avoir demandé le réexamen du certificat Information politique et générale (IPG), délivré à ce site, « afin de vérifier dès maintenant que ses conditions d’octroi sont bien toujours respectées ». Interviewé dans le documentaire de Martin Weill, la réaction de Xavier Azalbert a suscité les moqueries sur les réseaux sociaux.

<script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8">

GIULIANI. La société Dominion Voting Systems a déposé, lundi 25 janvier, une plainte en diffamation contre Rudy Giuliani, l’avocat personnel de Donald Trump, qui a cherché à faire annuler les résultats de la présidentielle 2020. Selon cette plainte intentée devant la justice fédérale, le fabricant de logiciels et de machines de vote électronique accuse l’ancien maire de New York d’avoir mené « une campagne de désinformation virale contre Dominion », constituée d’allégations « manifestement fausses » (source : New York Times via Courrier International, 25 janvier 2021). À noter que YouTube a désactivé pour au moins trente jours les revenus publicitaires de Giuliani pour avoir diffusé de la désinformation (source : NBCNews, 26 janvier 2021).

MARJORIE TAYLOR GREENE. Un examen approfondi de l’historique des pages sur les réseaux sociaux de la nouvelle membre du Congrès et adepte de QAnon Marjorie Taylor Greene révèle des messages à teneur complotiste et antisémite. Dans un message sur Facebook, elle a par exemple suggéré que « Rothschild Inc » était derrière les incendies de forêt qui ont ravagé la Californie à l’été puis en novembre 2018, des feux qui auraient selon elle été provoqués par des rayons laser depuis l’espace. Elle a également fait « la promotion d’une fausse affirmation à propos de Clinton et d’une assistante, Huma Abedin, se livrant supposément à un rituel satanique de meurtre et à la mutilation d’un enfant » (source : Courrier International, 28 janvier 2021) et suggéré que les fusillades meurtrières survenues dans les écoles de Sandy Hook en 2012 (26 morts) et à Parkland en 2018 (17 morts) étaient « des mises en scène de la part d’activistes favorables au contrôle des armes à feu », comme l’a fait remarquer le Seattle Times. Elle a aussi émis des doutes sur les attentats du 11 septembre 2001 et dénoncé les « suprémacistes sionistes » et George Soros (source : The Times of Israël, 29 janvier 2021). En 2018 et 2019 elle a, « de façon répétée, annoncé son soutien à l’exécution de personnalités démocrates », dont Barack Obama et Hillary Clinton. Marjorie Taylor Greene fait aujourd’hui l’objet de vives attaques des Démocrates au sein du Congrès, auxquelles elle répond en affirmant qu’elle ne s’excusera jamais. Elle a révélé le 30 janvier avoir reçu le « plein soutien » de Donald Trump après lui avoir parlé au téléphone (source : The Independent, 30 janvier 2021).

QANON. QAnon n’est pas une théorie du complot statique. Depuis son apparition en 2017, elle n’a cessé d’évoluer en adoptant des éléments d’autres théories du complot. Cette élasticité a été la clé de son succès. L’investiture du président américain Joe Biden a plongé les fidèles de QAnon dans le désarroi. Il n’est pourtant pas certain que le mouvement soit sur le point de s’effondrer. Les prophéties ratées n’affectent pas toujours les théories élaborées. Pour mieux comprendre ce phénomène, le site Bellingcat a analysé un ensemble de données contenant 4 952 « Q drops », les messages cryptiques au cœur de la théorie du complot QAnon (source : Bellingcat, 29 janvier 2021).

FAUCI. Il a été le conseiller scientifique et médical de six présidents américains avant Joe Biden. Ses quatre années auprès de Donald Trump n’ont été qu’un long cauchemar, surtout avec le déferlement du Covid-19 aux États-Unis. Le Dr Anthony Fauci, 80 ans, a raconté au New York Times les délires d’un président prônant les UV et le détergent pour combattre la pandémie, les articles l’accusant d’avoir inventé le virus et les menaces de mort dont lui et sa famille ont fait l’objet. Un récit effrayant (source : Ouest-France, 27 janvier 2021).

CAPITOLE. Le grand meeting de Donald Trump qui a précédé l’assaut contre le Capitole a été financé à hauteur de 300 000 dollars (pour un coût total de 500 000 dollars) par l’une de ses plus importantes donatrices, Julie Jenkins Fancelli, héritière de la chaîne de grande districution Publix Super Markets Inc. C’est Alex Jones, le patron du site InfoWars et l’un des plus influents leaders complotistes américains, lui-même donateur à hauteur de 50 000 dollars, qui a intercédé auprès de la philanthrope pour permettre le financement du rassemblement pro-Trump (source : Wall Street Journal, 30 janvier 2021).

STOPMENSONGES. Laurent Gouyneau, alias Laurent « Freeman », figure du conspirationnisme, avait diffusé sur son site stopmensonges.com des milliers de documents confidentiels appartenant à des loges maçonniques et issus d’un piratage. Ce site foisonne par ailleurs d’infox et de théories du complot, des civilisations englouties aux extraterrestres, en passant par les attentats sous faux drapeau et le négationnisme. Inquiet de l’influence de la franc-maçonnerie sur son procès, l’homme a comparu le 27 janvier, sans avocat, devant le tribunal de Paris. Il a été condamné à douze mois de prison dont huit avec sursis, sans mandat de dépôt, et au versement de 7 000 euros de dédommagement au Grand Orient de France (source : Marianne, 28 janvier 2021).

« GAMIFICATION ». Les théories du complot se multiplient aujourd’hui mais, aussi, les tentatives de les expliquer : crise de confiance dans les institutions, attraction religieuse ou sectaire, explosion des réseaux sociaux, etc. Une hypothèse n’a pourtant pas encore été envisagée : celle de la « gamification » du complotisme. Les analogies avec les nouveaux jeux en réalité alternée (ARG) et autres jeux pervasifs – des jeux envahissant la vie quotidienne, sans limites clairement définies entre l’espace du jeu et la vie réelle –, sont pourtant frappantes. Exploration de cette hypothèse vertigineuse avec le concepteur de jeux en réalité alternée Éric Viennot et le philosophe Mathieu Triclot (source : Philosophie Magazine, 29 janvier 2021).

CRÉDULITÉ. Ceux qui croient tout ce qu’on leur raconte sont-ils stupides ? Le chercheur en neurosciences Sebastian Dieguez s’est appuyé sur une nouvelle de l’écrivain américano-polonais Isaac Bashevis Singer (1902-1991) – et sur des recherches en psychologie – pour montrer que la crédulité résulte moins d’un manque d’intelligence que d’une vulnérabilité sociale. Il montre que dans son livre, Not Born Yesterday, Hugo Mercier, psychologue au CNRS, constate « que les gens sont beaucoup moins crédules – au sens fort – qu’on ne l’imagine. En fait, ils tendent à accepter ce qu’ils croient déjà, ce qui leur paraît intuitif, ce qui n’a que peu d’importance pour leur vie ou ce qui arrange leurs intérêts personnels […]. Les manipulateurs, démagogues et charlatans seraient alors, non pas des maîtres de l’influence, mais plutôt des individus sachant s’adapter à ce que leurs “victimes” sont de toute façon déjà prêtes à entendre et à accepter » (source : Cerveau & Psycho, 3 décembre 2020).

VACCIN. « Je suis inquiet de toutes ces fake news. Les gens pensent que le vaccin n’est pas là pour les aider, que c’est véritablement un outil néfaste », a expliqué Bill Gates, le fondateur de Microsoft, interviewé par France TV Info.

<script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8">

Le vaccin serait-il plus dangereux que protecteur ? En Israël, alors que plus d’un quart de la population a déjà reçu une injection, les courbes des contaminations et des décès ne semblent pas fléchir… C’est à ce constat trompeur que la séquence Désintox (Arte) a cherché à répondre après que le site complotiste FranceSoir s’est demandé si « le vaccin Pfizer [n’augmenterait pas] le risque de contamination et de mort par Covid-19 ? » (source : Arte, 28 janvier 2021).

LALANNE. Après s’être illustré par ses propos polémiques tenus au micro de Richard Boutry sur le média conspirationniste FranceSoir, Francis Lalanne a déclaré le 26 janvier sur le plateau de l’émission « Touche Pas à Mon Poste » (C8) : « Je connais des médecins et je sais, aujourd’hui, qu’on a empêché les Français d’avoir accès à des traitements précoces » contre le Covid-19. Le chanteur a attaqué la gestion de la crise sanitaire et affirmé que l’on pouvait « guérir très rapidement » du virus, « dès les premiers symptômes avec des médicaments » tels que l’hydroxychloroquine, l’azithromycine ou l’ivermectine, « qui ont été proposés par les plus grands virologues au monde, comme les professeurs Raoult et Perrone. » Des affirmations fausses et imprudentes, comme le démontre un article du Parisien (30 janvier 2021).

HARARI. L’historien israélien et auteur à succès Yuval Noah Harari décrypte la place des théories complots dans une tribune publiée par le New York Times et reprises par Le Point. Il y explique que les théories du complot « offrent une explication simple et directe à d’innombrables processus compliqués » et qu’à travers l’histoire leur « structure de base reste identique : un groupe contrôle presque tout ce qui arrive, tout en dissimulant son pouvoir » (source : Le Point, 24 janvier 2021).

DÉSOBÉISSANCE SANITAIRE. Le 27 janvier, un restaurant de Nice a bravé l’interdiction d’ouverture décidée dans le cadre de la lutte contre la Covid-19. L’action a été dénoncée par l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie Nice-Côte-d’Azur (source : 20 Minutes, 29 janvier 2021). L’exploration des pages Facebook du propriétaire, Christophe Wilson, a révélé une nette inclination pour les théories du complot de type QAnon comme l’a révélé le journaliste Raphaël Grably.

<script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8">

À noter que l’initiative du restaurateur a rencontré un curieux écho chez une partie de la complosphère qui, à l’instar du youtubeur Silvano Trotta, en a donné une interprétation complotiste

<script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8">

GREAT RESET. Dans sa chronique hebdomadaire sur France Inter, Tristan Mendès France s’est penché sur l’expression « Great Reset » (« grande réinitialisation »), employée au forum économique annuel de Davos dans le but de réfléchir au monde de l’après-Covid. L’expression est devenue la cible d’une grande partie des complotistes de la planète qui y voit un plan secret d’asservissement de l’humanité (source : France Inter, 29 janvier 2021). À visionner également, la mise au point effectuée par l’équipe de Vrai ou Fake au sujet de cette métaphore vague devenue objet de fantasmes.

<script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8">

SODA INFECTÉ. C’est une tentative ratée pour prouver que les tests contre le Covid-19 seraient inutiles. Dans une vidéo, partagée plus de 1 000 fois en quelques heures sur Facebook, un pharmacien français réalise un test antigénique avec quelques gouttes de soda qui débouche sur résultat positif. Un résultat trompeur : c’est le PH très acide de la boisson qui provoque en fait la réaction chimique (source : France Info, 26 janvier 2021).

DÉSINFORMATION. Twitter a révélé le 25 janvier la mise en place d’une fonctionnalité pour renforcer la lutte contre la désinformation, en s’appuyant sur les utilisateurs pour signaler les tweets potentiellement litigieux. Ce système, intitulé « Birdwatch », permet aux utilisateurs d’échanger et de documenter les tweets qui posent problème. Il est pour l’instant expérimenté aux États-Unis, disponible pour un petit nombre d’utilisateurs qui auront, au préalable, communiqué un numéro de téléphone ou un email valides (source : NBCNews, 25 janvier 2021).

[PODCAST] États-Unis : les complotistes et l’après Donald Trump

lundi 25 janvier 2021 à 13:00

Marina Cabiten, Rudy Reichstadt et Tristan Mendès France décryptent les phénomènes complotistes dans un podcast inédit : « Complorama ». Le premier épisode est consacré à l’ère Trump.

Conspiracy News #04.2021

dimanche 24 janvier 2021 à 20:13

L’actu de la semaine décryptée par Conspiracy Watch (semaine du 18/01/2020 au 24/01/2021).

KELLER. Tandis que le mouvement QAnon et la théorie du Pizzagate ont connu des répercussions dans le monde réel, d’autres théories passent inaperçues, du moins chez les plus de 25 ans. Sur TikTok, certains adolescents remettent ainsi en question l’existence ou les accomplissements d’Helen Keller. Cette Américaine a été la première personne sourde et aveugle à décrocher un diplôme universitaire. Une théorie du complot qui en dit long sur le regard que nous jetons, toutes générations confondues, sur le handicap (source : Courrier international, 17 janvier 2021).

QANON. Certains adeptes de QAnon ont cru jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à l’investiture du nouveau président américain Joe Biden, à un renversement final de la situation. C’est notamment le cas de Léonard Sojli (« DéQodeurs », site pro-QAnon à ne pas confondre avec le service des Décodeurs du Monde), qui a commenté l’investiture dans un live suivi par plusieurs dizaines de milliers d’internautes en imaginant les conjectures les plus improbables (source : Conspiracy Watch, 20 janvier 2021).

<script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8">

William Audureau (Le Monde) a suivi durant vingt-quatre heures la retransmission de la cérémonie sur la chaîne des DéQodeurs. A la fin du live, « le rendez-vous avec le réel a été ajourné, mais leur mythologie est intacte et leur foi renforcée » (source : Le Monde, 21 janvier 2021). L’échec d’une prophétie qui a inspiré notre collaborateur Morgan Navarro.

À retenir toutefois, ce passage du discours d’investiture de Joe Biden : « Les derniers mois nous ont appris une leçon douloureuse. Il y a la vérité et il y a les mensonges, des mensonges racontés pour le pouvoir et pour le profit. Chacun d’entre nous a le devoir et la responsabilité de défendre la vérité et de vaincre les mensonges » (source : Twitter).

SORTIR DU COMPLOTISME (OU PAS). Le journaliste William Audureau a fait paraître dans Le Monde une série de trois articles sous le titre « Sortir du complotisme ». Le premier volet pose la question de la séduction opérée par les thèses complotistes et la difficulté de s’en éloigner. Le second rapporte les témoignages de ceux qui, parfois sur la base d’un simple détail, y sont parvenus, dans un processus toutefois lent et incertain. Le troisième volet évoque le moment qui suit l’écroulement de la croyance, une « période longue et douloureuse [qui] requiert de la bienveillance de la part des proches ».

La même thématique a été abordée sur France Inter par la psychothérapeute Hélène Romano, le sociologue Gérald Bronner et le psychosociologue Sylvain Delouvée, qui ont débattu des moyens de rompre avec le complotisme (source : France Inter, 21 janvier 2021).

« Q ». Qui est finalement « Q » ? L’énigme a encore pris de l’importance avec l’intrusion violente de militants pro-Trump dans le Capitole le 6 janvier dernier. Pour certains, le prophète de la mouvance QAnon pourrait être un proche de Donald Trump, voire Donald Trump en personne. Pour d’autres, Q serait plutôt l’œuvre des administrateurs du forum où il s’est développé, 8chan (aujourd’hui 8kun), contrôlé par l’homme d’affaires américain Jim Watkins. Une enquête de Bellingcat révèle que celui-ci a fréquemment échangé avec des membres importants de la mouvance QAnon… (source : Conspiracy Watch, 18 janvier 2021). À noter que Ron Watkins, le fils de Jim, a demandé le 21 janvier aux adeptes de QAnon de laisser faire et de passer à autre chose. Le soir même, 8kun supprimait tous les posts dans la section du site dédiée à QAnon (source : Twitter (Jeff Yates), 21 janvier 2021).

TRUMP. Le bilan de la présidence de Donald Trump, c’est aussi 30 573 fausses informations ou allégations trompeuse, comme le souligne un article du Washington Post (source : The Washington Post, 20 janvier 2021).

Nombre d’allégations fausses ou trompeuses diffusées par Donald Trump pendant la durée de son mandat.

CAPITOLE. Dans un entretien au Monde, l’historien et sociologue Pierre Birnbaum, spécialiste de l’histoire des Juifs de France, revient sur l’attaque du Capitole, à Washington, le 6 janvier, par des sympathisants du président Donald Trump. « On a sous-estimé l’élément antisémite de cette mobilisation, constate-t-il notamment. Nombre de personnes arboraient des pancartes antisémites, brandissaient The Turner Diaries, la “bible” de l’alt-right américaine qui prévoit la destruction de Washington, l’enfermement des Juifs et des Noirs dans de gigantesques camps de concentration » (source : Le Monde, 19 janvier 2021).

COMPLOTISME, ENNEMI N°1. Le phénomène, pris au sérieux par le gouvernement depuis le début du quinquennat, est désormais considéré comme « un enjeu majeur » au sommet de l’État. À l’approche de l’élection présidentielle de 2022, le président et ses partisans appellent à redoubler d’efforts pour contrer l’influence croissante des adeptes de la désinformation. « Il faut se réveiller ! Nous devons réarmer nos démocraties pour lutter contre ceux qui veulent la faire tomber », alerte le délégué général de La République en marche (LREM), Stanislas Guerini (source : Le Monde, 18 janvier 2021).

MAURICETTE. L’information selon laquelle Mauricette, la première femme vaccinée, est « décédée d’une crise cardiaque » a abondamment circulé sur les réseaux sociaux. L’Assistance publique – Hôpitaux de Pais (APHP) a démenti officiellement l’infox et l’auteur du tweet a reconnu avoir menti avant de supprimer son compte twitter (source : Twitter/Antoine Krempf, 17 janvier 2021).

TWITTER. Cité dans la théorie du complot du Pizzagate, Frank Giustra, un milliardaire canadien proche de Bill Clinton, a obtenu de la Cour suprême de la Colombie Britannique le droit de poursuivre le réseau social Twitter. Le réseau social héberge en effet de nombreux messages faisant la promotion de cette invraisemblable théorie qui dresse un lien entre un réseau de pédophilie et le Parti démocrate aux États-Unis (source : Le Journal de Québec, 16 janvier 2021).

FALSE FLAG. Selon la complotiste californienne DeAnna Lorraine, « l’État profond hystérique » envisage d’assassiner le président américain Joe Biden dans une opération « sous faux drapeaux » (false flag) pour en faire porter ensuite la responsabilité à un partisan de Donald Trump. Dans un thread, la rédaction de Conspiracy Watch revient sur quelques interventions remarquables de l’ex-collaboratrice d’Alex Jones.

<script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8">

ANTIVAXX.  Le 9 janvier dernier, quelques heures avant l’entrée en vigueur du couvre-feu au Québec, un homme de 45 ans a été accusé de menaces envers des membres de sa famille, de possession d’explosifs et d’un chargeur d’arme à feu prohibé. Adepte de différentes théories du complot et du survivalisme, vraisemblablement bipolaire, il affirmait notamment que la Covid « était un génocide appuyé par le vaccin » (source : Le Journal de Montréal, 22 janvier 2021).

Aux États-Unis, le 13 janvier, un enfant a été tué dans ce qui ressemble à un meurtre suivi d’un suicide, commis par son père. L’homme, vraisemblablement atteint de troubles psychologiques, était en guerre contre la mère du garçonnet, dont il avait divorcé cinq ans auparavant. Parmi les points de désaccord les plus importants, la question de la vaccination de l’enfant, alors que le père était devenu profondément anti-vaccins depuis qu’il avait rejoint une groupe « new age » de la région de San Francisco (source : Paris Match, 19 janvier 2021).

QANON. Des survivants du massacre de l’école de Parkland (14 février 2018, 17 victimes) demandent la démission de l’élue Marjorie Greene, une adepte de QAnon qui avait mis en doute la réalité du drame en parlant de false flag (opération sous « faux drapeau »). « Si vous répandez des théories du complot sur des fusillades de masse, il ne devrait y avoir aucune place pour vous au congrès », a déclaré David Hogg, cofondateur de March for Our Lives (source : Buzzfeed, 19 janvier 2021).

ANTISÉMITISME STALINIEN. Pour Brigitte Stora et Robert Hirsch, la dernière sortie d’Houria Bouteldja (« on ne peut pas être Israélien innocemment ») et les soutiens qui lui ont été témoignés depuis lors, doivent être réinscrits dans un héritage précis : celui de l’antisémitisme stalinien. Parmi ses fidèles se trouve en effet l’Union juive française pour la paix (UJFP) dont les militants ne s’expriment que pour dénoncer le nom juif, rappelant ces procès qui « consist[èrent] à utiliser et associer des Juifs dans la dénonciation d’autres Juifs, mettant en scène les seuls Juifs “innocents”, ceux qui précisément participent de leur auto-abolition… » (source : Conspiracy Watch, 22 janvier 2021).

HENRION-CAUDE. À la douzième manifestation contre la « coronafolie » organisée le 23 janvier par Florian Philippot devant le ministère de la Santé, la généticienne Alexandra Henrion-Caude était présente, « à titre privé ». Cette ancienne directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qu’elle a quitté pour des raisons de convenance personnelle en février 2018, développe aujourd’hui des thèses complotistes sur la vaccination, après s’être insurgée contre le confinement et le port du masque.

COMPLORAMA. Les complotistes et l’après-Trump : c’est le premier épisode de « Complorama », un nouveau podcast de France Info animé par Marina Cabiten, avec Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, et Tristan Mendès France, maître de conférence spécialiste des cultures numériques. Ce podcast sera diffusé à un rythme bimensuel.

FRANCIS LALANE. Le blog FranceSoir a publié un texte de Francis Lalanne appelant l’armée à renverser Emmanuel Macron. On peut notamment y lire l’affirmation selon laquelle « le gouvernement est en train de commettre insidieusement un coup d’État au nom de la Covid ; et s’apprête à instituer la tyrannie comme un avatar de la République, à l’insu du peuple français ». Quant au site FranceSoir, il a fait l’objet d’une pétition de la part d’anciens salariés du feu quotidien France Soir et du Syndicat national des journalistes (SNJ). Elle débute en ces termes : « Nous, anciens journalistes de France-Soir, consœurs et confrères, amis et soutiens de ces journalistes, jugeons inadmissible que cette publication via Internet puisse répandre en toute impunité de fausses informations et des thèses complotistes dangereuses pour la société » (source : CheckNews (Libération), 23 janvier 2021).

À noter qu’après François Asselineau et Florian Philippot, c’est Jean-Frédéric Poisson, ancien député et président de VIA, La Voie du Peuple (anciennement Parti chrétien-démocrate), qui a répondu à l’invitation du média pour une interview menée par Richard Boutry (source : Twitter/Raphael Grably, 21 janvier 2021).

LACAPELLE. « On a eu zéro mort [de la Covid] de moins de 44 ans. Zéro mort. Ce sont des chiffres scientifiques et factuels que je vous donne », a déclaré sur la chaîne CNews Jean-Lin Lacapelle, député européen du Rassemblement national. L’affirmation est fausse. Il suffit de se reporter à un article de CheckNews (Libération) publié il y a déjà presque sept mois…

HYDROXYCHLOROQUINE. Une récente étude réalisée à l’échelle mondiale le confirme de nouveau : l’hydroxychloroquine ne marche pas. Ce constat était déjà celui d’une équipe de chercheurs suisses et français, qui ont synthétisé l’été dernier les résultats d’une trentaine d’études : « L’hydroxychloroquine seule n’a pas permis de réduire la mortalité des patients hospitalisés pour Covid-19. Au contraire, l’hydroxychloroquine avec de l’azytrhomycine a augmenté significativement la mortalité. » (source : Twitter/Julien Pain (France Info), 22 janvier 2021).

SCHWARZENEGGER. Arnold Schwarzenegger s’engage contre la défiance anti-vaccinale. L’acteur américain et ancien gouverneur de Californie s’est fait « drive-vacciner » sous les caméras il y a quelques jours. Une action qui lui a valu de très nombreux commentaires sur les réseaux sociaux auxquels il a pris le temps de répondre. Aux vaccino-sceptiques, la star d’Hollywood rappelle quelques conseils de bon sens dont celui-ci : « C’est simple : si votre maison est en feu, vous n’allez pas sur YouTube, vous appelez les pompiers » (source : Conspiracy Watch, 23 janvier 2021).

Arnold Schwarzenegger : « Il faut de la force pour admettre que vous ne savez pas tout »

samedi 23 janvier 2021 à 11:00

Aux vaccino-sceptiques, la star d’Hollywood rappelle quelques conseils de bon sens. « C’est simple : si votre maison est en feu, vous n’allez pas sur YouTube, vous appelez les pompiers », écrit-il.

Source : compte Facebook d’Arnold Schwarzenegger (capture d’écran, 20/01/2021).

Arnold Schwarzenegger s’engage contre la défiance anti-vaccinale. L’acteur américain et ancien gouverneur de Californie s’est fait drive-vacciner sous les caméras il y a trois jours. Une action qui lui a valu de très nombreux commentaires sur les réseaux sociaux auxquels il a pris le temps de répondre.

L’une de ses réponses a recueilli plus de 22 000 likes à ce jour. La star hollywoodienne y défend le primat de l’expertise contre ceux qui remettent en cause les recommandations de la communauté scientifique en matière de vaccination :

« Je l’ai dit à quelqu’un dans les commentaires, mais je pense que beaucoup d’entre vous ont besoin de l’entendre.

Je dis toujours que vous devez connaître vos points forts et écouter les experts. Si vous voulez en savoir plus sur la construction des biceps, écoutez-moi, parce que j’ai passé ma vie à étudier comment obtenir le “pic” parfait et qu’on m’a appelé le plus grand culturiste de tous les temps. Nous avons tous des spécialités différentes.

Le Dr Fauci [directeur de l’Institut national de l’allergie et des maladies infectieuses des États-Unis – ndlr] et tous les virologues, les épidémiologistes et les médecins ont étudié les maladies et les vaccins pendant toute leur vie, alors je les écoute et je vous invite à faire de même. Aucun d’entre nous ne va en apprendre plus qu’eux en regardant quelques heures de vidéos. C’est simple : si votre maison est en feu, vous n’allez pas sur YouTube, vous appelez les pompiers. Si vous avez une crise cardiaque, vous ne demandez pas conseil sur Facebook, vous appelez une ambulance. Si neuf médecins vous disent que vous avez un cancer et que vous devez le traiter sous peine d’en mourir, et qu’un seul médecin vous dit que le cancer va disparaître, vous devez toujours vous ranger du côté des neuf autres. Aujourd’hui, pratiquement tous les vrais experts du monde entier nous disent que le vaccin est sûr et en face, certaines personnes sur Facebook disent le contraire.

En général, je pense que si le cercle des personnes en qui vous avez confiance devient de plus en plus petit et que vous vous retrouvez de plus en plus isolé, cela devrait être un signe avant-coureur de la désinformation. Certaines personnes disent qu’écouter les experts, c’est être faible. C’est faux. Il faut de la force pour admettre que vous ne savez pas tout. La faiblesse, c’est de penser que vous n’avez pas besoin de l’avis d’un expert et de n’écouter que les sources qui confirment ce que vous voulez croire. »

 

Voir aussi :

<script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8">

La caution juive des antisémites

vendredi 22 janvier 2021 à 13:32

Pour Brigitte Stora et Robert Hirsch, la dernière sortie d’Houria Bouteldja (« on ne peut pas être Israélien innocemment ») et les soutiens qui lui ont été témoignés depuis lors, doivent être réinscrits dans un héritage précis : celui de l’antisémitisme stalinien.

Texte de soutien à Houria Bouteldja sur le site acta.zone (capture d’écran, 17/01/2021).

Les tribunes se multiplient pour soutenir Houria Bouteldja et son texte déprogrammé de Mediapart dans lequel l’ex-patronne des Indigènes de la République tentait à nouveau d’absoudre la haine antisémite, dirigée cette fois contre la candidate de Miss France, April Benyaoum, Miss Provence. Sans justifier des termes tels que « Tonton Hitler, t’as oublié d’exterminer Miss Provence », Bouteldja a expliqué qu’« on ne peut pas être Israélien innocemment ». Sachant qu’il ne s’agit pas pour elle d’incriminer Arabes et Druzes d’Israël, on aura traduit : « on n’est pas juif impunément ».

Dans ce texte, Bouteldja propose un néologisme, « l’antijuivisme », qui serait une sorte d’« antisionisme des imbéciles » porté par les « antisémites édentés » de banlieue. On appréciera le mépris de ces auto-entrepreneurs de la haine, vis-à-vis de ceux qu’ils prétendent représenter.

Depuis des années Bouteldja exprime cette haine qui n’a d’antisioniste que le nom. Et depuis des années, des intellectuels, des institutions, des médias continuent de la soutenir et de la justifier. Parmi ses fidèles se trouve l’UJFP (Union juive française pour la paix).

Fort de quelques dizaines de membres, ce groupe occupe depuis plus de 25 ans une place de choix dans les médias. Fidèles des Indigènes de la république, soutiens infaillibles de Tariq Ramadan, pétitionnant pour soutenir Dieudonné, régulièrement cités par Soral, cette mouvance a su jouer de l’obscénité de l’air du temps, mêlant scandale et narcissisme. Leur profession de foi est un antisionisme obsessionnel, qui trouve plus de vertus au Hamas et au Hezbollah qu’à l’État d’Israël. Pour démontrer que les Juifs n’ont rien à voir avec Israël, ces gens passent leur existence à écrire sur le sujet ; on a connu dénégation plus convaincante.

En dépit de son sigle, délicieusement médiatique, jamais l’UJFP n’a mené la moindre action pour la paix, ni en Israël ni en France ; quant au nom juif il semble n’avoir qu’une fonction : la dénonciation. Ainsi, chaque fois que l’antisémitisme a frappé, ce groupe l’a, soit nié, soit relativisé, refusant fièrement de défiler pour la mémoire d’Ilan Halimi et organisant au moment d’une manifestation contre l’antisémitisme en février 2019 une contre-manifestation contre… son « instrumentalisation ».

Un narcissisme obscène

Leur texte de 2012 après les assassinats perpétrés par Merah est un modèle du genre, s’émouvant, à juste titre, de « la situation des banlieues et leur délaissement par les pouvoirs publics », de « l’inquiétude de nos concitoyens d’origine musulmane », mais ne disant rien de l’angoisse des Juifs de France après l’assassinat d’enfants juifs pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale. En revanche, le texte proteste contre… le rapatriement des corps en Israël et conclut en expliquant que la politique israélienne « met en danger la paix et la cohésion de toutes les sociétés, de la nôtre en particulier ». On est tout près de l’explication du monde par le « complot sioniste » – juif – mondial.

Les militants juifs de l’antisionisme ont popularisé l’idée, devenue doxa au sein de certains secteurs de la gauche, que la haine des musulmans, bien réelle, aurait remplacé celle des Juifs. De pétitions en tribunes, de colloques en manifestations comme celle du 10 novembre 2019 contre l’islamophobie, ils n’ont cessé de marteler ce mot d’ordre « Juifs hier, musulmans aujourd’hui », dont la traduction n’est autre que : « pour les Juifs, de nos jours, il n’y a plus rien à craindre ». D’où l’abstention dans la lutte contre l’antisémitisme de ces Juifs du déni. D’où aussi cette stupéfiante lettre des 38 « personnalités juives » du 25 novembre dernier dans L’Obs. Partant d’une juste préoccupation, celle de protester contre les gardes à vue abusives d’élèves, parfois âgés de 11 ans, coupables de réflexions négatives lors des hommages à Samuel Paty, les 38 expliquaient :

« Si l’histoire doit participer de notre boussole politique pour le présent, alors il nous est impossible de ne pas évoquer l’expérience de milliers d’enfants juifs, français ou étrangers, dépouillés de leur enfance et de leur dignité par l’agenda politique vichyste et sa suspicion antisémite. »

Ces réflexions sont dangereuses car elles peuvent alimenter la propagande islamiste. D’autre part, ce narcissisme obscène dessert les « enfants musulmans », car il s’agit encore une fois de parler de soi en instrumentalisant les autres. Enfin, comparer la répression gouvernementale au pétainisme allié des nazis est une faute grave à l’heure où l’extrême droite, la véritable héritière de Vichy, menace. Ces raccourcis historiques désarment dans la lutte contre l’antisémitisme, mais aussi contre l’islamisme et pour le combat antiraciste.

Chaque fois que ces militants s’expriment, le nom juif n’est avancé que pour le dénoncer, offrant une caution juive à l’entreprise antijuive tout en gratifiant ses membres d’une visibilité inespérée, et même d’un certain prestige à gauche. Il est peut-être temps de s’interroger sur la place disproportionnée qu’une telle parole a réussi à prendre.

Dans une société où le narcissisme se combine avec le vide des idées, on aime à exhiber des artefacts avec un goût à peine voilé de la trahison et du retournement ; la parole des femmes antiféministes, des Maghrébins vomissant l’islam et des Juifs qui se haïssent est une parole prisée, tendance. Elle souligne la jubilation face à la destruction de toute solidarité, adoubant les parcours de celles et ceux qui combinent un pur individualisme libéral avec un narcissisme débridé. Ces paroles, ô combien « vendeuses », viennent conforter les propos misogynes, racistes et antisémites offrant à ceux qui les promeuvent la couverture nécessaire, la permission qui leur manquaient.

Pendant toutes les années 2000, la voix des Juifs antisionistes professionnels, la seule autorisée pour l’extrême gauche, se répandit de tribunes en plateaux télés ; des Juifs qui trouvaient une légitimité à ne brandir leur nom qu’à la condition explicite de le dénoncer furent considérés comme la version légitime et enfin innocente de se revendiquer comme Juifs. Nous avons eu droit ad nauseam à ces postures rebelles qui jouèrent un rôle dans la sous-estimation de l’antisémitisme, celui qui poussait des milliers de familles juives modestes vers le départ, celui qui régulièrement a continué de tuer des Juifs dans un silence assourdissant.

Les combats antiracistes et décoloniaux ont alerté sur la persistance d’imaginaires qui ont validé et reconduit l’oppression. Il n’aura échappé à personne, à part aux racistes, que le dessin d’une députée noire les fers aux pieds ne saurait relever de l’innocence, du hasard, voire de la liberté artistique… L’esclavage et le colonialisme font encore partie des regrets de certains. De la même manière, il est difficile d’oublier que l’Occident chrétien s’est largement fondé sur la mort d’un Juif nommé Jésus. Il faut peut-être rappeler que cette place orgueilleusement revendiquée, celle du Juif martyr sacrifié sur la croix, mort en messie pour sauver l’humanité au prix de sa propre disparition, est quelque chose d’un peu antérieur à l’existence de ces agitateurs.

Porter témoignage contre leur nom

La saga de ces Juifs qui ne cessent de se dénoncer relève essentiellement du stalinisme. L’innovation de l’antisémitisme stalinien consista à utiliser et associer des Juifs dans la dénonciation d’autres Juifs, mettant en scène les seuls Juifs « innocents », ceux qui précisément participent de leur auto-abolition… « Engagés », dans les deux sens du mot, sans état d’âme, dans la chasse aux trotskistes et dans les campagnes antisionistes jusqu’à la dénonciation des « médecins empoisonneurs », ces Juifs n’eurent qu’une fonction : porter témoignage contre leur nom. Dans un jeu de miroir, l’antisémitisme à la fois virulent et honteux du pouvoir soviétique convoqua la judéité de certains juifs staliniens, une judéité de contrebande, dont ils se délestèrent comme on se délivre d’une mauvaise marchandise. Et ce geste, comme un aveu, une communion ou une nouvelle profession de foi, se devait d’être publique. On leur demanda donc de « témoigner » contre eux-mêmes en signant des pétitions, des tribunes destinées à valider l’entreprise antijuive.

Ainsi, en pleine affaire des blouses blanches, ils vont signer une lettre demandant la condamnation des « médecins empoisonneurs »… les accusant d’avoir « créé les conditions d’un renouveau de l’antisémitisme » en se mettant au service des « milliardaires américains et anglais, assoiffés de sang du peuple, au nom du profit ». Elle se termine par un vibrant appel aux travailleurs juifs afin d’unir leurs forces contre « l’aventurisme des millionnaires juifs, contre les dirigeants d’Israël et le sionisme international ». Les partis communistes du monde entier relaieront ces campagnes et L’Humanité publiera dans ses colonnes l’équivalent de ce texte, signé par des médecins juifs français*…

Ces méthodes et ce vocabulaire ont eu une grande postérité. Elles sont toujours monnaie courante dans la mouvance antisioniste et jouèrent un rôle dans le naufrage négationniste d’une partie de l’ultra-gauche. Là se trouve sans doute l’une des signatures, trop souvent méconnues, de l’héritage stalinien.

La dernière sortie de Bouteldja n’a rien de nouveau, tout comme son vocabulaire hérité directement du Goulag où elle souhaite, comme un aveu, envoyer les « sionistes ». Les justifications de ceux qui la saluent et n’ont cessé d’égarer la gauche, la jeunesse et la pensée ne sont pas neuves non plus. Ce qui doit nous interpeller collectivement, c’est ce goût persistant d’une certaine tradition occidentale pour les Juifs morts et pour ceux qui viennent proclamer leur abolition, ce qu’il est temps d’interroger c’est la mansuétude que leur accorde une partie de la gauche : il est temps qu’elle cesse.

 

* A l’initiative d’Annie Kriegel, une lettre fut publiée dans le journal L’Humanité du 27 janvier 1953 avec dix signatures de médecins, Juifs pour la plupart.

 

Voir aussi :

L’antisionisme soviétique et l’antisémitisme de gauche aujourd’hui

 

[Texte initialement publié le 19 janvier 2021 sur le blog de Brigitte Stora. Merci à ses auteurs de nous avoir autorisé à le reproduire ici.]