PROJET AUTOBLOG


Conspiracy Watch | L'Observatoire du conspirationnisme

Site original : Conspiracy Watch | L'Observatoire du conspirationnisme

⇐ retour index

Judi Rever : une révisionniste du génocide des Tutsi chez Marianne

vendredi 12 février 2021 à 14:45

La journaliste canadienne, qui soutient que les Tutsi ont participé à leur propre génocide, a bénéficié en France d’une large publicité. Seul média mainstream à lui ouvrir ses colonnes : l’hebdomadaire Marianne.

Judi Rever (capture d’écran YouTube/TV Libertés, 05/10/2020).

Plus de vingt-cinq ans après le génocide des Tutsi au Rwanda, certaines voix tentent toujours de réécrire l’histoire. Il y eut autrefois Pierre Péan, qui fustigeait dans son brûlot Noires fureurs, blancs menteurs (Fayard, 2005) « la culture du mensonge et de la dissimulation » des Tutsi qui auraient fabriqué de toutes pièces le « récit officiel ». Il y a désormais la Canadienne Judi Rever, ex-correspondante en Afrique pour RFI puis l’AFP.

Elle est l’autrice d’un ouvrage intitulé L’éloge du sang paru chez Max Milo en septembre 2020. Une enquête que Fayard avait renoncé à publier en 2019. Sa thèse est relativement simple : le Front patriotique rwandais (FPR, parti politique de l’actuel président rwandais Paul Kagamé qui avait renversé le régime génocidaire) aurait lui-même participé au génocide des Tutsi afin de prendre le pouvoir, avant de commettre un deuxième génocide en massacrant cette fois-ci les réfugiés hutu au Congo.

« Ce que fait Judi Rever, à l’image de Pierre Péan avant elle, alimente un type de racisme spécifique qui se rapproche de l’antisémitisme moderne. Cela consiste à prêter au FPR, assimilé aux Tutsi en général, une puissance démesurée qui se traduit notamment par une capacité d’infiltration et de conspiration folle. Comme si Kagame était à la tête d’une sorte de Mossad ou de CIA alors qu’il dirige en fait un pays plutôt pauvre », explique Théo Englebert, journaliste indépendant spécialiste du génocide des Tutsi. « Judi Rever ne se contente pas de reprendre des poncifs éculés, conçus par les génocidaires eux-mêmes après le génocide. Elle va plus loin et tente de valider les accusations en miroir matraquées à la population rwandaise pendant les années qui ont précédé le génocide, accusations selon lesquelles le FPR était lui-même animé d’une volonté exterminatrice. »

Marianne contre « l’orthodoxie » de Kigali

À l’entendre, Judi Rever est détentrice d’une vérité que des forces obscures chercheraient à enterrer. Dans une interview donnée en novembre 2019 au Média – site « alternatif » proche de la France insoumise et déjà épinglé pour son confusionnisme sur la Syrie ou la Shoah –, elle assure que les éditions Fayard auraient ainsi subi une pression « des lobby-pro FPR en France » et de « lobbys israéliens » pour ne pas publier son livre.

Un mois plus tôt, Judi Rever déroulait le même récit à l’autre extrémité du spectre politique, sur le plateau de  la chaîne d’extrême-droite TV Libertés. Mais c’est bien un média « mainstream », l’hebdomadaire Marianne, qui lui aura offert, comme autrefois à Pierre Péan, le plus d’espace. Elle y a signé deux articles : « Attentat contre Habyarimana et génocide rwandais : déconstruction d’une conspiration », en avril 2019, puis « Rwanda : révélations sur les massacres de Bisesero », en décembre de la même année.

Dans un autre article paru en septembre 2020 sous la plume d’Alain Léauthier, « conseiller éditorial » de l’hebdomadaire, Marianne volait au secours de Judi Rever, dont la participation à un colloque au Sénat avait scandalisé ceux qu’Alain Léauthier qualifie « d’experts autoproclamés de la tragédie rwandaise […] gardiens d’une stricte orthodoxie élaborée à Kigali ». Toujours sous la plume d’Alain Léauthier, Judi Rever avait bénéficié d’un papier dithyrambique pour faire la promotion de son livre L’éloge du sang.

Sollicité par Conspiracy Watch, Alain Léauthier assume : « Marianne a effectivement ouvert ses colonnes à Judi Rever, soit sous forme de tribune (et donc avec ce statut), soit à l’occasion de la publication de l’édition française de son ouvrage “In Praise of Blood” (« L’éloge du sang » – ndlr). Si, selon votre formule, de “nombreux spécialistes l’ont accusé de présenter une version révisionniste du génocide”, beaucoup d’autres ne sont pas du tout de cet avis et ont au contraire salué son travail, fruit de nombreuses années d’enquête. » Pourtant, à y regarder de plus près, la fameuse enquête de Judi Rever repose bel et bien sur du sable.

Un rapport « top secret »

Dans un entretien accordé à RFI en juin 2018, la Canadienne affirme que « les commandos du FPR ont infiltré dans les mois avant le génocide les milices Interahamwe et d’autres milices et ont participé directement au massacre des Tutsis ». Pour le prouver, elle s’appuie sur un rapport confidentiel du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) qui lui aurait été fourni par des sources anonymes. Un document qu’elle ne reproduit pas dans l’édition anglaise de son livre, prétextant être sous le coup de menaces provenant de l’actuel régime rwandais.

Ce rapport, que Marianne avait publié dès 2018, est aussi reproduit en annexes de l’édition française du livre de Rever que Conspiracy Watch a pu consulter. Ce document classé « top secret », comme le sont de nombreux documents du TPIR pour des raisons de procédure, examine les allégations de crimes commis par le FPR en 1994, rapporte des témoignages et formule des hypothèses sans pour autant tirer de conclusions claires et définitives.

En-tête du Rapport général sur les enquêtes spéciales concernant les crimes commis par l’Armée patriotique rwandaise (APR) en 1994 (source : L’éloge du sang, Max Milo, 2020).

« Ici, la malhonnêteté intellectuelle consiste à isoler ce rapport de son contexte et du reste des enquêtes, en ignorant toute la documentation du TPIR, qui est vertigineuse. On parle de centaines de milliers de documents », nuance Théo Englebert. « La seule conclusion qu’on peut en tirer, c’est que les enquêteurs ont simplement envisagé la piste de possibles crimes commis par le FPR. Or, le procureur Hassan Boubacar Jallow s’était ensuite exprimé pour dire l’exact opposé de ce que dit Rever, à savoir qu’il ne disposait tout simplement pas d’éléments probants pour établir la réalité de ces supposés crimes du FPR. »

Judi Rever explique ensuite à RFI que « beaucoup de soldats et officiers […] m’ont dit qu’au moins 500 000 Hutus civils ont été massacrés par les forces de l’APR [la branche armée du FPR – ndlr] durant le génocide et les deux années après ». Des massacres qu’elle qualifie de « génocide ».

« Au Congo, il y a eu des crimes de guerre, des exécutions, voire des massacres, c’est indéniable », continue Théo Englebert. « Mais il n’y a jamais eu la moindre volonté génocidaire du côté du FPR. Cette idée d’un “double génocide” est une aberration absolue et elle est contredite par les faits. Il est important de rappeler que l’écrasante majorité des dizaines de milliers de victimes Hutus au Congo sont mortes de faim ou de maladies et qu’elles avaient les fusils des génocidaires pointés dans le dos. Ces derniers captaient l’essentiel de l’aide humanitaire, confisquaient la nourriture et se servaient de ces personnes comme boucliers humains. »

« Des salauds face à d’autres salauds »

La version alternative de Judi Rever fait étrangement écho au récit qu’avait livré sur France Inter Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne, en mars 2018 : « Il est nécessaire de regarder en face ce qui s’est passé à ce moment-là et qui n’a rien finalement d’une distinction entre des méchants et des gentils », avait lâché l’actuelle directrice de la rédaction de Marianne. « Malheureusement, on est typiquement dans le genre de cas où on avait des salauds face à d’autres salauds. »

<script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8">

Ces propos font l’objet d’une plainte déposée par l’association de rescapés du génocide Ibuka pour « contestation de l’existence de crime contre l’humanité ». Natacha Polony a automatiquement été renvoyée devant le  tribunal correctionnel de Paris et, selon nos informations, le procureur a requis le non-lieu (dans l’extrait concerné, elle convient, s’agissant du génocide, qu’« hélas, la France a sans doute participé à cela »). En septembre dernier, Ibuka avait dénoncé « l’obsession pour la réécriture et la falsification de l’histoire du génocide commis contre les Tutsi au Rwanda » de Marianne.

« Natacha Polony ne s’est aucunement livrée à une quelconque forme de “négationnisme” », assure Alain Léauthier. « Concernant le Rwanda, Marianne n’a pas de “ligne” ou plutôt une seule : restituer les faits, tenter de comprendre les multiples ressorts ayant abouti à une telle catastrophe, les mettre en perspective et ne pas se contenter des vérités de tel ou tel “camp”. »

« Certains habitués des polémiques sur le génocide rwandais relaient effectivement purement et simplement la propagande du régime de Kigali auquel ils sont liés d’une manière ou d’une autre », ajoute le « conseiller éditorial » de Marianne. « Mais contrairement à eux, Marianne ne se livre pas à une chasse aux sorcières à l’égard de ceux dont nous ne partageons pas les “engagements”. » Dans un article publié en septembre 2020, Marianne accusait néanmoins sans preuves Jean-François Dupaquier d’être un « journaliste-militant pro-FPR », suspect pour avoir « la double nationalité ». Le journaliste et ancien expert du TPIR n’a pourtant aucun mal à admettre, par exemple, que « certains opposants au régime de Kigali ont été assassinés. C’est une évidence ». Sûrement un simple accident de parcours de la part de Marianne, pas une « chasse aux sorcières ».

 

Voir aussi :

La pensée conspirationniste dans le génocide des Tutsi

L’article Judi Rever : une révisionniste du génocide des Tutsi chez Marianne est apparu en premier sur Conspiracy Watch | L'Observatoire du conspirationnisme.

Ashli Babbitt, « chat de Schrödinger » des complotistes pro-Trump

mardi 9 février 2021 à 15:03

Pour les uns, cette martyre de la cause trumpiste a été assassinée. Pour les autres – parfois les mêmes –, elle serait toujours vivante.

Ashli Babbitt (DR) / montage : Conspiracy Watch.

Ashli Babbitt est cette fervente partisane de Donald Trump qui a trouvé la mort le 6 janvier dernier lors de l’assaut du Capitole. Les images d’Ashli Babbitt mise en joue par un policier du Capitole à travers une vitre brisée, alors qu’elle escalade un amas de chaises pour forcer le passage, puis s’effondrant, mortellement blessée, ont fait le tour du monde.

Un mois après la prise du Capitole, on peut retracer les logiques à l’œuvre dans la production des schémas interprétatifs complotistes, leurs contradictions et les procédés mobilisés pour résoudre ces contradictions. Plusieurs récits coexistent au sein de la trumposphère quant au sens qu’il faut donner à cet épisode : une exécution pour les uns, une « opération sous faux drapeau » pour les autres.

Martyre de la cause trumpiste

Vétéran de l’US Air Force où elle a servi quatorze années durant sur des théâtres d’opération tels que l’Irak, l’Afghanistan, le Koweït ou encore le Qatar, Ashli Babbitt a été immédiatement érigée en martyre de la cause trumpiste. Selon le story-telling en vigueur chez les partisans de l’ex-président américain, cette Californienne de 35 ans aurait été « exécutée froidement », sans possibilité de se défendre. Afin d’assoir son statut de martyre, des vidéos ont été retravaillées pour suggérer que le policier du Capitole la vise, prend son temps et l’abat délibérément.

Observons au passage que les trois autres manifestants qui ont perdu la vie le 6 janvier ne bénéficient pas du même traitement. Notamment, Rosanne Boyland, 34 ans, une jeune femme venue d’une petite ville de Géorgie et morte piétinée par la foule des séditieux qui se précipitaient vers le bâtiment.

Dès le lendemain, des trumpistes improvisent un mémorial en hommage à Ashli Babbitt à l’extérieur du Capitole.

Sur les réseaux sociaux MeWe, Minds, Rumble et Telegram, des milliers de messages la saluent comme une « combattante de la liberté », la « première victime de la seconde Civil War » [la Guerre de Sécession], « une jeune fille innocente qui  ne voulait rien d’autre que des élections libres et équitables ». On lit des messages tels que « Ton sang ne sera pas vain » ou « Nous te vengerons ».

Une thématique sacrificielle relayée par le site de Ron Unz [archive] et reprise, en France, par LeSakerFrancophone.fr :

« Vous voulez voir à quoi ressemble un meurtre planifié ? Regardez les images du meurtre d’Ashli ​​Babbitt par une sorte de fonctionnaire armé. C’est un vrai meurtre, et il a été commis par un officiel armé. Alors, quel côté est le plus coupable d’avoir enfreint les lois et règlements ? »

Dans la deuxième quinzaine de janvier, la tonalité des hommages à Ashli Babbitt mute vers une demande de vérité et de justice. Le hashtag #JusticeForAshliBabbit fleurit sur les réseaux sociaux. Les messages postés prétendent vouloir la vérité sur l’identité de celui qui a tué cette « jeune femme désarmée ». Buzz Patterson, candidat républicain au Congrès de Californie, demande sur Twitter « Dites son nom », détournant ainsi le slogan (et le hashtag) « Say her name », popularisés par le  mouvement Black Lives Matter pour attirer l’attention sur les violences policières contre les femmes noires.

<script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8">

Symbole de résistance…

Dans l’Alt-Right, cette canonisation d’Ashli Babbitt donne lieu à une iconographie qui la célèbre comme un symbole de la résistance à la tyrannie. Le visage d’Ashli Babbitt est associé au drapeau américain pour commémorer l’insurrection du Capitole. Apparaît aussi cette image, repérée sur Telegram par l’Anti-Defamation League, qui montre une femme devant le dôme du Capitole avec une goutte de sang au niveau du cou (Ashli Babbitt a été blessée mortellement à la gorge). Le dôme est en flammes, il est surmonté d’une étoile de David : un clin d’œil à la théorie du complot antisémite, très répandue chez les suprémacistes blancs, selon laquelle l’État fédéral est contrôlé par les Juifs. Le thème principal de ce visuel qui appelle à la vengeance est flanqué de deux étoiles de chaque côté, qui symbolisent les quatre manifestants pro-Trump qui ont trouvé la mort le 6 janvier dans l’envahissement du Capitole (aucune étoile ne symbolise la cinquième victime, le policier du Capitole de 42 ans blessé mortellement par la foule à coups d’extincteurs).

Source : Telegram, janvier 2021.

… et icône des suprémacistes blancs

Parmi les hommages à Ashli Babbitt, on voit ainsi émerger rapidement une thématique raciale. Sur les forums pro-Trump, on compare le traitement médiatique de celle qui est présentée comme une victime blanche innocente avec celui des « criminels noirs » tués par la police. Sa mort, se demande-t-on, aurait-elle suscité plus d’émotion si elle avait été noire ? Pourquoi le meurtre d’une jeune femme qui a combattu en Irak et en Syrie, qui défendait la démocratie, suscite-t-il moins d’indignation que celle d’un « voyou » comme George Floyd ? Sur les forums de discussion de l’Alt-Right, l’idée que le policier qui a tué Babbitt était probablement noir commence à émerger.

L’Anti-Defamation League a repéré ce message sur Telegram : « Elle était blanche. Elle avait plusieurs enfants et une maison. Elle s’est fait tirer dessus par des porcs, les mêmes porcs, qui ne voulaient pas tirer sur BLM [Black Live Matters] ou Antifa. Une femme blanche qui ne rentrera pas à la maison ce soir à cause de ces porcs ».

On retrouve l’écho de cette indignation, en France, sur le site conspirationniste antimusulman Riposte laïque [archive]. « Si elle avait été noire ou au moins de gauche, la presse entière serait scandalisée et demanderait la peau de l’agent de sécurité qui l’a tuée. Comme elle est blanche et pro-Trump, nos belles âmes des médias s’en moquent ». Et dans ce commentaire, toujours sur Riposte laïque [archive] :

« N’est pas George Floyd qui veut ! La malchance d’Ashli Babbitt est de ne pas être noire, hein, Michelle Obama ! Elle ne peut donc pas être une icône et une martyre. La militante californienne pro-Trump aurait dû se badigeonner le visage avec du cirage, elle serait aujourd’hui vivante, la pauvre ! »

Seyward Darby, auteur de Sisters in Hate: American Women on the Front Lines of White Nationalism (2020, non traduit), rappelle dans le New York Times que la violence des Noirs à l’encontre des femmes blanches est un thème récurrent des suprémacistes blancs, du Klu Klux Klan aux « milices patriotiques » des années 1990. Le Klan accusait les Noirs de violences sexuelles contre les femmes blanches pour justifier leur lynchage. En 2016 comme en 2020, Donald Trump avait réactivé ce thème quand, s’adressant aux femmes blanches des banlieues pavillonnaires, il associait construction de logements sociaux dans les banlieues, invasion des minorités et insécurité pour les femmes. « Une femme blanche blessée ou tuée est un puissant ressort de mobilisation » explique Seyward Darby, qui relève cette formule qui a les faveurs de l’ultra-droite raciste blanche : « Es-tu un patriote ? Es-tu un homme ? Alors, venge sa mort ». Masculinisme, misogynie et suprématisme blanc vont de pair. Il y a chez eux, pointe l’auteur, « l’idée que les femmes incarnent la nation : gardienne de la maison, elles sont aussi l’avenir de la race. »

Sur le site du Global Network on Extremism and Technology, Marc-André Argentino et Adnan Raja rappellent l’importance des martyrs pour l’extrême-droite. Ils soulignent la contribution des Proud Boys et des Boogaloo Bois (ce mouvement américain d’ultra-droite qui se prépare ouvertement à la guerre civile) à l’instrumentalisation de la mort d’Ashli Babbitt pour le recrutement de nouveaux membres. Et de citer le message d’un internaute de cette mouvance : « Elle s’appelait Ashli ​​Babbitt, et l’erreur que les patriotes du Capitole ont commise est qu’ils ne sont pas allés assez loin. »

La canonisation d’Ashli Babbitt ne fait pas l’unanimité dans la trumposphère. Une partie reste attachée religieusement au « récit officiel » des fidèles de Trump (et des QAnon) selon lequel l’invasion du Capitole est le fait d’antifas opérant sous « faux drapeau ». Un récit relayé par des élus Républicains au Congrès, comme Mo Brooks et Louie Gohmert.

Mais comment concilier alors la ferveur trumpiste d’Ashli Babbitt (ses 8 700 tweets en témoignent, comme son ralliement à QAnon : en septembre, elle portait fièrement lors d’un défilé organisé en soutien au président Trump un tee-shirt « We are Q ») et sa présence aux côtés de prétendus « antifas » et autres militants Black Lives Matter déguisés en trumpistes ?

Très vite, The Epoch Times (un média pro-Trump lié à la secte chinoise Falun Gong) entreprend de démontrer, vidéos à l’appui, que la mort d’Ashli Babbitt résulte d’une opération coordonnée entre militants antifas et police du Capitole. The Epoch Times assure avoir repéré sur ces vidéos des détails troublants, comme ces soi-disant antifas qui brisent une vitre dans laquelle Babbitt va s’engouffrer avant d’être abattue. Une fois Babbitt éliminée, les antifas changeraient de vêtements avant de quitter les lieux sous le regard complice des policiers…

Ashli Babbitt toujours vivante

C’est sur le réseau social Parler, à partir d’un compte dénommé « QAnon Patriots », qu’émerge, selon SFGate, une nouvelle théorie : celle du simulacre. On y lit qu’« Ashli ​​Babbit est vivante [et que] seule une petite partie de sa famille immédiate le sait, les autres [devant] croire qu’elle est morte pour entretenir l’illusion. »

Les mêmes vidéos, les mêmes effets de ralentis, les mêmes anomalies et détails « troublants » déjà mobilisés pour tenter de démontrer qu’Ashli Babbitt a été exécutée froidement, sont réinterprétés cette fois-ci pour démontrer le contraire : si le policier pointe bien son arme sur la jeune femme, il détournerait le tir au dernier moment ; car si elle avait été tuée à bout portant au moyen d’un calibre 45, elle n’aurait pas dû chuter comme elle le fait ; et si elle avait été atteinte à la gorge, le sang aurait dû couler plus abondamment.

Cette théorie de « psyop » relayée par la chaîne Qanon Official (et en France par le site complotiste Qactus) rebondit sur un fil Reddit : « On ne voit pas le sang. Dans quel hôpital a-t-elle été emmenée ? Quand auront lieu ses funérailles ? La foule ne réagit pas comme on s’y attendrait si elle était vraiment morte. Que fait l’équipe SWAT près d’elle ? » Certains croient voir, dans les images de la chaîne MSNBC, les infirmiers simuler un effort de réanimation sur la dépouille supposée d’Ashli ​​Babbit. L’incontournable théoricien du complot Alex Jones relaie cette théorie de la « réanimation simulée » sur InfoWars – ce qui ne l’empêche nullement, en même temps, d’exalter le sacrifice d’Ashli Babbitt.

C’est l’avocat trumpiste Lin Wood qui donne, sur Twitter, sa plus grande visibilité à la théorie selon laquelle Ashli Babbitt est toujours vivante et son exécution une « opération sous faux drapeau » :

« Alors vous vous êtes fait avoir, berner, jouer. L’État profond fait cela depuis des années… Les moutons croiront toujours ce qu’on leur dit. Regardez cette vidéo avec vos propres yeux ».

Cette théorie d’une « psyop » et d’une Ashli Babbitt toujours vivante soulève à son tour une question : qui est-elle vraiment et que faisait-elle à l’intérieur du Capitole ? Il ne reste dès lors qu’une ultime carte narrative à abattre pour boucler cet écheveau de théories : Ashli n’était pas au Capitole pour contester l’élection, comme le prétendent la police et les médias, mais en mission spéciale pour Donald Trump ! Avec d’autres agents de la CIA (ou des forces spéciales), elle aurait pénétré dans le Capitole pour fouiller le contenu des disques durs des ordinateurs de parlementaires démocrates. Si elle était en mission, elle était forcément protégée. Dès lors, sa mort ne peut qu’être une mise en scène. Imparable !

Ce schéma interprétatif est cependant coûteux. Il implique en effet d’admettre que deux opérations « sous faux drapeau » se sont entremêlées ce jour-là : celle des antifas grimés en trumpistes pour faire dégénérer et discréditer la manifestation et celle des agents de Trump, eux aussi déguisés, mais pour récupérer des dossiers compromettants. Ce récit, qu’on pourrait qualifier d’hypercomplotiste était toutefois trop complexe, trop tortueux pour prospérer. Même auprès des QAnon les plus convaincus.

 

Sources : The New York Times, 8 janvier 2021 ; Time, 10 janvier 2021 ; SFGate.com, 11 janvier 2021 ; Global Network on Extremism & Technology, 13 janvier 2021 ; Anti-Defamation League, 15 janvier 2021 ; meaww.com, 28 janvier 2021.

 

Voir aussi :

Décapitation de James Foley : à qui profite la théorie du complot ?

L’article Ashli Babbitt, « chat de Schrödinger » des complotistes pro-Trump est apparu en premier sur Conspiracy Watch | L'Observatoire du conspirationnisme.

Conspiracy News #06.2021

dimanche 7 février 2021 à 19:53

L’actu de la semaine décryptée par Conspiracy Watch (semaine du 01/02/2020 au 07/02/2021).

TURQUIE. Depuis le début du mois de janvier, étudiants et enseignants de l’Université de Boğaziçi (Istanbul), mais également d’autres établissements, manifestent sans relâche contre la nomination par Erdogan d’un de ses proches comme recteur de l’université. Le président tente de discréditer le mouvement de protestation en propageant d’absurdes accusations, celle notamment selon laquelle le mouvement émanerait de jeunes athées, agressifs envers l’islam (source : L’Orient Le Jour, 3 février 2021).

VOILE. Il y a quelques semaines, certains (dont une ministre pakistanaise) affirmaient à tort que le projet de loi « confortant le respect des principes de la République » prévoyait d’attribuer des numéros d’identification aux enfants musulmans. Vendredi 5 février 2021, la rumeur trompeuse selon laquelle ce même projet de loi prévoyait une amende de 1500 € en cas de port du voile dans l’espace public a été largement relayée sur les réseaux sociaux, au point de susciter un démenti officiel de la part du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) et du ministère de l’intérieur.

<script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8">

CAPITOLE. Le Wall Street Journal a révélé que le meeting de Donald Trump qui avait précédé l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021 a été financé par Julie Jenkins Fancelli, l’une des grandes donatrices de l’ex-Président, à hauteur de 300.000 dollars. Ce soutien aurait été facilité par l’entremise d’Alex Jones, l’animateur du site complotiste InfoWars. À lire sur BuzzFeed, un article qui explique comment certains enseignants pro-Trump, sensibles aux théories du complot, les relaient auprès de leurs élèves et étudiants.

GIULIANI. Rudy Giuliani, avocat personnel de Donald Trump, a affirmé que la vaste conspiration criminelle qui aurait fomenté la défaite électorale de l’ex-président des États-Unis était « facilement prouvable ». Pourtant, Giuliani n’a jamais produit le début d’une preuve dans ses accusations à l’encontre de Dominion Voting Systems, le fabricant de matériel de vote électronique mis en cause. L’entreprise a intenté une action en diffamation contre l’avocat qui encourt une amende de 1,3 milliard de dollars (source : Radio-Canada, 25 janvier 2021). Ainsi, comme le souligne le journaliste scientifique Michael Shermer, l’une des manières de stopper une hystérie complotiste est d’appliquer la loi ou d’intenter une action en justice… (source : Reason.com, 25 janvier 2021).

QANON. Dans l’émission « Inside the QAnon Conspiracy » diffusée sur la chaîne américaine CNN le 30 janvier, le journaliste Anderson Cooper s’est entretenu avec un ex-membre de ce mouvement complotiste. L’ex-QAnon Jitarth Jadeja a tenu ce langage à son interlocuteur : « Je m’excuse d’avoir pensé que vous mangiez des bébés. Mais oui, je le pensais à 100%. » Jadeja a également avoué avoir été persuadé que le même Cooper était… un robot (source : CNews, 2 février 2021).

TAYLOR GREENE. Mitch McConnell, le chef de file des Républicains au Sénat américain, a décidé de croiser le fer avec les nouveaux élus complotistes et extrémistes du camp conservateur, incarnés notamment par Marjorie Taylor Greene, une adepte de plusieurs théories du complot, notamment du mouvement QAnon (source : Courrier international, 2 février 2021). Faisant acte de contrition, Taylor Greene a déclaré : « J’ai pu croire à des choses qui n’étaient pas vraies […] et je le regrette », ajoutant qu’elle avait « cessé de croire » aux théories du complot avant d’être candidate pour le parti républicain. Jeudi 4 février, l’élue a été sanctionnée par la Chambre des représentants qui l’a évincée de certaines commissions à 230 voix contre 190 (source : France 24, 5 février 2021).

DÉPLATEFORMISATION. À peine l’ex-président des États-Unis a-t-il été évincé de Twitter, Facebook ou YouTube que des études ont noté une baisse de la désinformation en ligne. « La suspension des comptes de Donald Trump sur les réseaux sociaux est un vrai soulagement même si elle ne règle rien », explique une correspondante du Monde. Ni la question de fond (la haine et la polarisation grandissantes aggravées par les réseaux sociaux qui y trouvent depuis des années un intérêt financier), ni celle des limites de la liberté d’expression (source : Le Monde, 2 février 2021).

DIEUDONNÉ. Condamné de multiples fois pour ses propos racistes et antisémites, Dieudonné M’Bala M’Bala sera jugé en mars prochain pour fraude fiscale. Annoncé dans « 100 villes en France en 2020 », il n’a pourtant pas toujours assuré les représentations. Se gardant d’informer ses fans des annulations, il ne rembourse pas non plus ceux qui achètent des billets, toujours en vente actuellement… (source : Le Parisien, 1er février 2021).

NÉMÉSIS. Le 31 janvier 2021, des membres du collectif d’extrême droite identitaire Némésis se sont réunies sur le Parvis des Libertés et des Droits de l’Homme, au Trocadéro, pour une action « anti voile intégral ». L’occasion pour les militantes de prôner la thèse du Grand Remplacement. La cheffe du groupe, Alice, a été arrêtée (source : Pierre Plottu/Twitter, 31 janvier 2021).

<script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8">

CHARLATANS. Le 9 janvier 2021, un « conseil scientifique indépendant » composé de sept médecins s’est réuni dans le but de « réinformer les Français » dans le cadre de la crise sanitaire. Parmi eux, le rhumatologue Gérard Guillaume, la gynécologue Violaine Guérin et la députée anti-masques Martine Wonner – toutes deux intervenantes dans le film complotiste « Hold-up ». « Que nous explique ce “conseil scientifique” sauvage ? Que des vitamines et du zinc nous prémunissent des contaminations. Que des remèdes miracles (l’hydroxychloroquine, l’ivermectine…) soignent du Covid-19. Que ce coronavirus n’est pas pire qu’une grippe, que rien ne justifie l’urgence sanitaire et surtout pas un troisième confinement. S’ils prennent soin de préciser qu’ils ne sont pas “anti-vaccins”, ces praticiens multiplient pourtant les critiques contre la “folie vaccinale” » lit-on dans L’Express qui a consacré une enquête à ce qu’il appelle « les charlatans du Covid-19 » (source : L’Express, 26 janvier 2021).

ICKE. Le complotiste David Icke annonce une tournée européenne en septembre prochain. La promotion est lancée sur Facebook, dont il est pourtant suspendu. Rappelons que l’homme, qui a activement contribué à la désinformation sur le Covid-19, est connu pour avoir réactualisé, à partir des années 1990, de vieilles théories du complot antisémites et pour avoir popularisé mondialement le mythe des reptiliens. À écouter également au sujet de cette figure clé de la complosphère la chronique de notre collaborateur Tristan Mendès France sur France Inter.

ANTIVAXX. Convaincu de la dangerosité du vaccin contre le coronavirus, un pharmacien du centre médical Aurora à Gratfon (Wisconsin) avait détruit des centaines de doses de vaccin. L’homme a reconnu être complotiste, estimant que la Terre est plate et que le ciel est un « bouclier dressé par le gouvernement pour empêcher les individus de voir Dieu » (source : The Daily Beast, 31 janvier 2021).

<script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8">

HEALTHGUARD. Le media Newsguard, qui lutte contre la désinformation, vient de lancer HealthGuard, un outil gratuit à télécharger sur ordinateur, pour distinguer, dans le contexte de la crise sanitaire, les sites fiables de ceux diffusant des infox.

PUCES ÉLECTRONIQUES. Sur la base de propos falsifiés et de la lecture biaisée d’un article du Jerusalem Post du 8 mai 2020, plusieurs sites complotistes prétendent trompeusement que le Premier ministre israélien souhaite implanter des puces électroniques dans le corps des enfants. Conspiracy Watch a retracé l’itinéraire de cette infox (source : Conspiracy Watch, 3 février 2021).

COVID-19. Une vidéo problématique sur les « survivants du Covid », postée sur son compte Instagram par Laurent Ruquier, circule sur TikTok, répandant l’idée, notamment auprès des plus jeunes, de la faible létalité du Covid-19. Julien Pain, animateur de « Vrai ou Fake » (France Info), explique dans un thread ce qui pose effectivement problème (source : Julien Pain/Twitter, 2 février 2021).

Pour réduire la circulation de la désinformation sur sa plateforme, TikTok a d’ailleurs décidé d’agir auprès de ses utilisateurs. Les vidéos aux contenus trompeurs, expertisées avec l’aide d’un service de vérification, seront signalées comme telles avec une bannière. Si les fact-checkers estiment qu’un contenu est faux, il sera tout simplement supprimé (source : axios.com, 3 février 2021).

SCHALLER. À voir (pour le croire), une séquence de Quotidien dans laquelle Paul Gasnier interroge Christian Tal Schaller, complotiste anti-vaccination. D’après ce dernier, pour être en bonne santé, il faut arrêter de manger et boire sa propre urine. Une séquence remède contre le charlatanisme ? Rien n’est moins sûr à écouter les recommandations du Dr Louis Fouché, proche de la complosphère…

<script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8">

PARLER. Le PDG de l’application « Parler » a indiqué que pour connaître le succès, elle devait cesser d’héberger les terroristes et les extrémistes tels que QAnon. Le responsable a été renvoyé sur le champ par le milliardaire Robert Mercer, financeur de l’application et soutien de Trump (source : Sleeping Giants/Twitter, 4 février 2021).

CORBYN. Piers Corbyn, le frère de l’ancien dirigeant travailliste britannique Jeremy Corbyn, a été arrêté pour avoir diffusé un tract qui compare la campagne de vaccination du pays contre le COVID-19 au camp de la mort d’Auschwitz, selon les médias britanniques. Militant anti-vaccination et adepte des théories du complot, Corbyn était à l’origine de la conception du tract qui a été diffusé en ligne et distribué au porte-à-porte dans les boîtes aux lettres de Londres (source : The Times of Israël, 4 février 2021).

ASSELINEAU. L’ancien candidat à l’élection présidentielle François Asselineau a été placé en garde à vue le mercredi 3 février 2021, dans le cadre d’une enquête ouverte pour harcèlement sexuel. Des investigations avaient été lancées le 15 mai dernier par le parquet de Paris. L’enquête repose sur des accusations lancées par plusieurs de ses anciens collaborateurs ; deux plaintes ont été déposées par deux victimes présumées, anciens salariés de l’Union populaire républicaine (UPR) (source : Le Parisien, 3 février 2021). Confronté aux deux plaignants, Asselineau a avoué être l’auteur de lettres qu’il avait préécrites pour ses victimes, dans lesquelles ces dernières revenaient sur leurs accusations (source : Libération, 5 février 2021).

À LIRE. L’interview de Gérald Bronner dans Télérama à l’occasion de la sortie de son dernier livre Apocalypse cognitive (PUF, 2021) dans laquelle le sociologue évoque l’augmentation du temps de cerveau disponible et la dérégulation parallèle du marché des idées : « Dans cet océan d’informations et de représentations, horizontalisées, mises à égalité, chacun est invité à déverser sa vision du monde, ce qui fait naître une concurrence effrénée entre des modèles prétendant décrire le réel, des plus frustes aux plus sophistiqués » (source : Télérama, 1er février 2021).

À ÉCOUTER. Les complotistes et le business du Covid-19 : c’est le deuxième épisode de « Complorama », le podcast bimensuel de France Info animé par Marina Cabiten, avec Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, et Tristan Mendès France, maître de conférence spécialiste des cultures numériques.

Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, était par ailleurs l’invité de « L’Atelier des médias » sur RFI. Au programme, une analyse des dynamiques actuelle du complotisme et une réflexion sur la responsabilité des médias et des grandes plateformes dans la diffusion des théories complotistes (source : RFI, 6 février 2021).

L’article Conspiracy News #06.2021 est apparu en premier sur Conspiracy Watch | L'Observatoire du conspirationnisme.

[PODCAST] Les complotistes et le business du Covid-19

samedi 6 février 2021 à 12:52

Marina Cabiten, Rudy Reichstadt et Tristan Mendès France décryptent les phénomènes complotistes dans « Complorama ». Le deuxième épisode est consacré au business du Covid-19.

 

Voir aussi :

[PODCAST] États-Unis : les complotistes et l’après Donald Trump

L’article [PODCAST] Les complotistes et le business du Covid-19 est apparu en premier sur Conspiracy Watch | L'Observatoire du conspirationnisme.

Netanyahou et le « puçage » des enfants : itinéraire d’une fake news

mercredi 3 février 2021 à 11:32

Sur la base de propos falsifiés, plusieurs sites complotistes prétendent trompeusement que le Premier ministre israélien souhaite implanter des puces électroniques dans le corps des enfants.

Conférence de presse de Benyamin Netanyahou le 4 mai 2020 (capture d’écran Ynet, 06/05/2020).

Alors que près d’un tiers de la population israélienne a déjà reçu une première injection du vaccin anti-Covid de Pfizer, l’État hébreu devrait atteindre l’immunité collective d’ici la fin du mois de mars 2021. À ce stade, les enfants ne sont pas concernés par la vaccination.

Pourtant, une étrange rumeur circule depuis plusieurs mois sur les réseaux sociaux : le Premier ministre israélien aurait envisagé de doter les écoliers du pays de puces électroniques « sous-cutanées ». C’est évidemment faux.

L’origine de l’intox provient de la lecture biaisée d’un article du Jerusalem Post en date du 8 mai 2020. Le journal israélien rapporte les propos tenus par Benyamin Netanyahou quelques jours plus tôt, le lundi 4 mai 2020, lors d’une conférence de presse :

« J’ai parlé avec nos experts en technologie afin d’identifier des mesures relevant de domaines dans lesquels Israël est bon, comme les capteurs [sensors en anglais – ndlr]. Par exemple, chaque personne, chaque enfant – je veux que ce soit pour les enfants d’abord – aurait un capteur qui déclencherait une alarme lorsque vous vous trouvez à proximité, comme ceux des voitures. »

Le Premier ministre israélien faisait allusion à des « micro-puces » (microchips en anglais) comparables à celles de nos cartes de crédit ou des cartes SIM de nos téléphones portables. Il n’est jamais question d’implants, c’est-à-dire de puces électroniques insérées sous la peau ou injectées dans le corps.

Peu après la publication de l’article du Jerusalem Post, le site belge Businessam.be publie un article trompeusement intitulé « Netanyahu : “Des puces sous-cutanées pour maintenir les enfants à distance” », donnant le coup d’envoi à une campagne d’intox dont on peut encore aujourd’hui retrouver les traces sans difficulté.

Le texte essaime le 11 mai 2020 sur les sites conspirationnistes Fawkes News [archive] et Wikistrike (qui modifie le titre du texte en : « Netanyahu voulait implanter des puces sous-cutanées pour maintenir les enfants à distance, projet refusé »), le lendemain sur brujitafr.fr puis, le 23 juillet 2020 encore, sur le site de Laurent Gouyneau, Lumière sur Gaia (ex-Stop Mensonges) [archive].

Le 9 mai 2020, le site conspirationniste Le Courrier du Soir (qui, d’après l’agence de notation des médias NewsGuard, « enfreint gravement les principes journalistiques de base » et a déjà « publié des allégations fausses et sans fondement, notamment sur le Covid-19 » ) publie son propre texte intitulé « Covid-19 en Israël : Netanyahou veut que des puces soient implantées dans le corps des enfants ». Il est repris moins de 24 heures plus tard sur le site de l’ancien collaborateur d’Alain Soral, Vincent Lapierre, Le Média pour tous, ainsi que sur le forum « Actualités » de jeuxvideo.com.

L’intox rebondit le 26 juin 2020, date de publication sur YouTube d’une vidéo de 56 secondes intitulée « Netanyahou veut implanter des puces aux enfants ». Elle prête au chef du gouvernement israélien la volonté d’implanter des « puces sous-cutanées » sur chaque enfant. La vidéo, reprise dès le lendemain par le site communautaire musulman Alnas.fr, émane de la chaîne La Tribune des Pirates, un site conspirationniste de tendance islamiste qui cumule 455 000 abonnés sur Facebook et s’est illustré par le passé en publiant des contenus à caractère négationniste. Elle consiste en un court extrait d’un discours en hébreu du Premier ministre d’Israël, sous-titré en français. L’extrait n’est ni daté ni accompagné du moindre élément de contexte.

Conspiracy Watch a fait expertiser la vidéo. Résultat : il s’agit bien de la conférence de presse de Benyamin Netanyahou du 4 mai 2020 à laquelle la presse israélienne avait fait référence (un autre extrait du discours peut d’ailleurs être retrouvé sur Ynet) mais la traduction qu’en propose La Tribune des Pirates est tout simplement fausse. À aucun moment en effet le chef du gouvernement israélien ne prononce les mots « puces sous-cutanées » ni même rien d’approchant.

Un article du site israélien hm-news.co.il du 1er juin 2020 rapporte que lors d’une réunion de son parti, le Likoud, qui s’est tenue vraisemblablement à la fin du mois de mai 2020, Benyamin Netanyahou a tenu à dissiper les rumeurs autour de sa proposition d’utiliser des micro-puces connectées afin de lutter contre la circulation du virus de la Covid-19. Il répète avoir parlé de capteurs qui pourraient être intégrés à un jouet ou à un bracelet que les Israéliens porteraient de manière volontaire, écartant explicitement toute idée de rendre une telle mesure obligatoire. « Il n’y aura pas d’implant, pour personne. Tout le monde peut se détendre » a-t-il conclu.

À ce jour, la seule technologie de tracking effective en Israël est une application pour téléphone portable similaire à l’application #TousAntiCovid développée en France. Pas plus qu’en France elle n’a été rendue obligatoire.

Le mythe du puçage électronique des enfants est un serpent de mer qui circule depuis plusieurs années comme le rappellent 20Minutes.fr et France Info. Trouvant son origine aux États-Unis, cette intox réapparaît fréquemment.