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Conspiracy Watch | L'Observatoire du conspirationnisme

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Conspiracy News #08.2021

dimanche 21 février 2021 à 14:23

L’actu de la semaine décryptée par Conspiracy Watch (semaine du 15/02/2020 au 21/02/2021).

OUÏGHOURS. China Xinhua News, un média d’État chinois, a fait appel à Maxime Vivas, responsable français du site conspirationniste Le Grand Soir, pour contester la réalité de l’oppression des Ouïghours, dans la province du Xinjiang, par le régime au pouvoir à Pékin. D’inspiration anticapitaliste et anti-impérialiste, Le Grand Soir a notamment valorisé par le passé des contenus issus de sites tels que Réseau Voltaire, Mondialisation.ca ou encore ReOpen911.info. Après deux voyages au Xinjiang, l’un en 2016, l’autre en 2018, Vivas a fait paraître en décembre 2020 un ouvrage intitulé Ouïghours, pour en finir avec les fake news. Interviewé par China Xinhua News, il décrit un peuple épanoui, aidé par les autorités chinoises, respectueuses des traditions locales… (source : Tristan Mendès France/Twitter, 20 février 2021).

NUREMBERG. Injecter un vaccin contre le Covid-19 relèverait d’une « expérience médicale » interdite par le code de Nuremberg – une liste de dix critères contenue dans le jugement du procès des médecins à Nuremberg – et serait pénalement assimilable à un empoisonnement. Cette affirmation d’une « infirmière » est triplement trompeuse : les vaccins, homologués par les autorités sanitaires, ne sont plus au stade expérimental et ne peuvent pas être assimilés aux « substances nuisibles » encadrées par la loi. Le code de Nuremberg n’a en outre aucune valeur légale en France (source : AFP, 16 février 2021).

« CECI N’EST PAS UN COMPLOT ». Le film de 70 minutes de Bernard Crutzen, « Ceci n’est pas un complot », a fait l’objet de nombreuses critiques pour les thèses complotistes qu’il recycle allègrement, et qui ont été démontées à maintes reprises depuis le début de la crise sanitaire. On ne s’interdira pas moins la lecture d’un thread efficace qui lui est consacré sur Twitter.

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ANTISÉMITISME. Des prospectus antisémites ont été retrouvés dans un tramway à Cologne, en Allemagne, accusant les Juifs d’être à l’origine de la pandémie de coronavirus, rapporte le Jewish Telegraphic Agency. « Avons-nous vraiment un problème de coronavirus ? Ou avons-nous un problème juif ? » pouvait-on lire sur ces prospectus, avec une étoile de David en arrière-plan, à côté des noms de trois personnalités politiques allemandes non juives, dont la chancelière Angela Merkel (source : i24news, 11 février 2021).

PROTOCOLES. La chronique du vendredi de Tristan Mendès France sur France Inter était cette semaine consacrée au Protocoles des Sages de Sion, le plus célèbre faux antisémite de l’histoire. Notre collaborateur rappelle que ce document, qui se présente sous la forme d’un plan secret de conquête du monde par les Juifs et les franc-maçons, comporte un chapitre au sujet d’un prétendu projet juif de répandre des épidémies. À l’occasion de la pandémie, Les Protocoles ont de fait recommencé à circuler massivement dans les milieux complotistes, à l’échelle planétaire (source : France Inter, 19 février 2021).

POUTINE. L’ouvrage Poutine, la stratégie du désordre, d’Isabelle Mandraud et Julien Théron, montre comment l’ancien officier du KGB au pouvoir en Russie depuis vingt ans utilise l’arme de la désinformation. Conspiracy Watch a interviewé Julien Théron, politiste, enseignant en conflits et sécurité internationale à Sciences Po. Le chercheur souligne notamment « l’omniprésence de l’idée de complot dans la stratégie du Kremlin, et sur tous les sujets » : « Du MH17 dans l’est de l’Ukraine à la question des réfugiés en Allemagne, des manifestations pro-démocratie en Syrie à l’alliance avec la Chine afin de contrer les Occidentaux » (source : Conspiracy Watch, 16 février 2021).

DÉSINFORMATION D’ÉTAT. L’agence américaine Associated Press (AP) a retracé les contributions respectives de la Russie et de la Chine (officiels, médias d’État et leurs relais) à la propagation de la théorie selon laquelle le coronavirus aurait été « fabriqué » par l’armée américaine. De Pékin et Washington à Moscou et Téhéran, les dirigeants politiques et les médias alliés ont fonctionné comme des super-diffuseurs, utilisant leur stature pour amplifier des théories du complot politiquement opportunes, déjà en circulation. Mais c’est la Chine, et non la Russie, qui a pris les devants dans la diffusion de la désinformation étrangère sur les origines du Covid-19, en raison des attaques qui l’ont visée sur sa gestion de l’épidémie (source : AP News, 15 février 2021).

YouTube a annoncé la suppression de près de 3 000 chaînes, accusées d’être impliquées dans une opération d’influence coordonnée, émanant de l’État russe et de l’État chinois. Par-delà des contenus anodins, il s’agissait de diffuser des informations visant à discréditer la réponse américaine face à la crise sanitaire. Parallèlement, Google a pris des mesures contre des chaînes YouTube pro-russes, hébergées au Brésil, au Maroc, au Kirghizistan, en Égypte ou encore en Ukraine (source : Infosecurity, 17 février 2021).

LE DESSIN DE LA SEMAINE. Morgan Navarro a été inspiré par la série actuellement diffusée sur Arte, « En thérapie ».

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PÉRIL JAUNE. De la révolte des Boxers au personnage de Fu Manchu, la figure du « Chinois » terrifie la presse occidentale des débuts du XXe siècle. À grands renforts de clichés xénophobes, elle crée de toutes pièces un personnage cupide et mauvais, prêt à marcher sur un Ouest en déclin… Un dossier de l’historien William Blanc à retrouver sur le site Retronews.

LIMBAUGH. Le célèbre animateur de radio américain Rush Limbaugh, figure de la droite conservatrice sur les ondes pendant plus de quatre décennies et fidèle soutien de Donald Trump, est décédé à l’âge de 70 ans a annoncé sa famille sur sa page Facebook. Personnage controversé, l’homme s’est régulièrement vu reprocher de propager des fausses informations et des théories du complot (source : France 24, 17 février 2021).

QANON. CNN a recueilli les témoignages de deux femmes qui décrivent la rupture de leurs liens avec des proches devenues de ferventes adeptes de la théorie QAnon. Dans leur cas, la défaite de Trump n’a rien changé à l’attitude de leurs proches qui croyaient dur comme fer à la chute de l’« État profond » à l’occasion des élections. « Je ne reconnais pas les personnes auprès desquelles j’ai grandi », rapporte Lily au sujet de ses parents. Glaçant (source : CNN, 12 février 2021).

ITALIE. Directeur du think tank Volta, basé à Milan, Giuliano da Empoli est l’auteur de Les Ingénieurs du chaos (JC Lattès, 2019), un essai sur la montée des populismes en Europe. Il revient pour Conspiracy Watch sur le rapport de la société italienne au complotisme, dans un contexte marqué par la pandémie de Covid-19. « Se pose donc aujourd’hui la question de la cohésion de la société civile américaine et de celles des autres démocraties : il va falloir trouver des façons de faire coexister des gens qui croient en la réalité de façon foncièrement différente », estime notamment cet ancien conseiller de Matteo Renzi, qui a accepté de répondre aux questions de notre rédaction (source : Conspiracy Watch, 18 février 2021).

PHILIPPOT. Depuis un an, Florian Philippot, ancien numéro 2 du Front national et désormais chef du parti Les Patriotes, flatte l’électorat complotiste en se montrant particulièrement actif dans sa campagne contre la « coronafolie ». Comme les plus grandes figures complotistes, Internet est devenu son terrain de jeu, au risque de l’enfermer dans un rôle de simple Youtubeur… (source : Décideurs Magazine, 17 février 2021).

STONE. Oliver Stone a annoncé à Spike Lee son intention de sortir un documentaire baptisé JFK: Destiny Betrayed, dont l’avant-première sera diffusée à l’édition 2021 du festival de Cannes. Ce projet, qui s’inscrit dans la suite de son film conspirationniste JFK (1991), a été refusé par les plateformes et diffuseurs tels Netflix et National Geographic, suite à une « vérification des faits non approuvés » (source : Le Figaro, 20 février 2021).

À LIRE. Interrogé par l’hebdomadaire Le Un, Samuel Laurent explique comment les réseaux sociaux et plateformes numériques ont évolué au cours des dix dernières années. « Ce qu’on a pu vivre comme une libération du discours sur un libre marché des idées, on s’aperçoit dix ans après que c’était une grosse erreur de départ. Ou plutôt un choix de business délibéré », estime le journaliste, qui souligne notamment l’ampleur qu’a prise la question de la modération : « Si Facebook voulait modérer manuellement les contenus postés sur ses plateformes dans le monde, il lui faudrait 300 000 ou 400 000 modérateurs… Le modèle économique n’y résisterait pas » (source : Le Un, 17 février 2021). On ne ratera pas dans ce même numéro l’interview de Tristan Mendès France, évoquant l’impact du « militantisme de clavier » sur le réel, et rappelant par ailleurs que 70% des vidéos consommées sur YouTube le sont du fait d’une recommandation algorithmique.

À ÉCOUTER. Sur le média Loopsider, le youtubeur Sylvain Cavalier témoigne de son parcours personnel qui l’a amené, après avoir succombé aux thèses complotistes, à les démonter et à créer la chaîne « DeBunKer des Etoiles ». Dans cet extrait, il évoque notamment l’illusion de la rigueur technique, sur laquelle prétendent s’appuyer les complotistes. Il décrit aussi l’attitude commune face à l’information : « Quand on est face à une information qui nous dérange, on aura beaucoup plus de facilités à vérifier l’information, alors qu’en fait, tant que l’information va dans le sens de nos opinions pré-établies, on ne vérifie pas » (source : Loopsider/Twitter, 16 février 2021).

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Complotiste en thérapie

vendredi 19 février 2021 à 09:26

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Giuliano da Empoli : « il va falloir trouver un moyen de faire coexister des gens qui croient en des réalités différentes »

jeudi 18 février 2021 à 12:14

Directeur du think tank Volta, basé à Milan, Giuliano da Empoli est l’auteur de Les Ingénieurs du chaos (JC Lattès, 2019), un essai sur la montée des populismes en Europe. Il revient ici sur le rapport de la société italienne au complotisme dans un contexte marqué par la pandémie de Covid-19. Entretien.

Giuliano da Empoli (crédits : Brigitte Baudesson ; montage : Conspiracy Watch).

Conspiracy Watch : 2020 a-t-elle été selon vous une année charnière en matière de complotisme ?

Giuliano da Empoli : Oui, dans une certaine mesure. Quand la pandémie est apparue, beaucoup ont dit, en Italie et ailleurs, que c’était une sorte de retour à la réalité, que l’on faisait face à un phénomène indéniable, à des faits objectifs et que la parole scientifique allait donc s’imposer. Aujourd’hui, avec un an de recul, on peut voir que c’est en fait le contraire qui s’est produit : cette nouvelle réalité s’est immédiatement difractée dans une grande quantité de « réalités » parallèles, hermétiques les unes par rapport aux autres. Les théories du complot et les fake news se sont multipliées, en partie en aggravant des fractures qui existaient déjà, en partie en en créant de nouvelles. L’idée naïve que ces faits indéniables n’étaient pas susceptibles de subir une interprétation politique a été battue en brèche par l’attitude face à la pandémie de gens comme Trump ou Bolsonaro par exemple.

CW : L’hydroxychloroquine (la molécule promue par le Pr Didier Raoult pour traiter le Covid-19) a-t-elle suscité le même intérêt en Italie qu’en France ?

GdE : On en a beaucoup moins parlé. Bien sûr, on est attentif à ce qui se passe en France et aux États-Unis et la question de l’hydroxychloroquine s’est infiltrée dans le débat italien. Mais il n’y a pas eu de véritable champion italien de l’hydroxychloroquine, ni des grands médecins ni des hommes politiques. Personne n’en a vraiment fait son cheval de bataille. Il y a eu par contre énormément de théories du complot autour de l’apparition du virus et de polémiques sur les différents traitements. Il y a en Italie une forte communauté d’antivaxx qui a pris des proportions assez importantes en Italie au cours des dix dernières années, et qui s’est transformée avec la pandémie en une communauté d’anti-masques, d’anti-confinement, de réfractaires aux mesures sanitaires, notamment à l’application de traçage, etc.

CW : Aucun traitement prétendument « miracle » n’a été mis en avant en Italie ?

GdE : Il y a eu quelques sorties, ici ou là, d’universitaires périphériques ou de médecins marginaux. Mais ça n’a jamais atteint un seuil critique, c’est resté beaucoup plus limité qu’en France.

CW : Y a-t-il une spécificité italienne en matière de complotisme ?

GdE : Je dirais que la mouvance complotiste, en particulier la mouvance antivaxx, a trouvé en Italie un débouché politique avec le Mouvement Cinq étoiles (M5S) qui est aujourd’hui au pouvoir. Son fondateur, Beppe Grillo, a bien sûr lui-même alimenté ces théories du complot au cours des années, par exemple sur « Big Pharma » ou sur les vaccins…

CW : L’exercice du pouvoir a-t-il conduit le M5S à revoir ses positions sur ces questions ?

GdE : Oui. Ils ont effectué un revirement assez spectaculaire et ont dû rapidement abandonner certaines de leurs thèses conspirationnistes, qui étaient encore très présentes au M5S en 2018, quand ils sont entrés au gouvernement pour la première fois au côté de la Ligue de Matteo Salvini. Plusieurs membres du M5S qui flirtaient en permanence avec ce magma complotiste et antivaxx ont accédé aux responsabilités, comme la ministre de la santé, qui refusait par exemple d’imposer la vaccination aux élèves dans les écoles. Le Secrétaire d’État aux Affaires européennes défendait sur les questions européennes des positions complotistes. Le Secrétaire d’État à l’Intérieur ne croyait pas que les Américains avaient marché sur la Lune. Un autre membre du gouvernement avait également défendu la théorie des chemtrails… Ce n’était pas anecdotique, c’était quelque chose de très profondément ancré dans la culture du M5S.

Aujourd’hui, la majorité gouvernementale est différente, il ne s’agit plus de cette alliance purement nationale-populiste avec la Ligue, mais d’une coalition du M5S et du Parti démocrate [centre-gauche – ndlr]. La pandémie a conduit le M5S et ses représentants au gouvernement à renier de façon assez radicale toutes ces théories du complot. Cela ne s’est d’ailleurs pas fait sans accroc : des gens ont quitté le M5S, à l’image de la député Sarah Cunial, qui en mai dernier a fait un discours au Parlement qui était une sorte de « best of » de toutes ces grandes théories du complot qui, à peine quelques mois auparavant, circulaient dans les rangs du M5S. Donc on peut dire que, plus que les autres, elle s’inscrivait tout simplement dans la prolongation du projet originel du mouvement. Cela n’a pas été indolore en termes électoraux non plus, le M5S est passé dans les sondages de 33% à 15%, car il s’est coupé d’une partie de sa base, tous ses électeurs n’étant évidemment pas tous des conspirationnistes ou des antivaxx.

CW : Donc le M5S a amorcé un virage pragmatique qu’il paie électoralement ?

GdE : Oui, mais il ne paie pas que ça. D’abord, c’est un mouvement anti-pouvoir et anti-establishment qui est arrivé au pouvoir et s’est retrouvé à devoir former un gouvernement. C’est aussi un mouvement qui a changé radicalement de direction politique au cours des deux dernières années, passant d’un pacte avec les souverainistes de la Ligue à une alliance avec l’establishment centre-gauche du Parti démocrate. Et maintenant, ils soutiennent un gouvernement technocratique, appuyé notamment par Forza Italia, le parti de Berlusconi, qui a toujours été leur grand ennemi. Ils paient aussi ces multiples revirements.

CW : Est-ce que Beppe Grillo, le leader du M5S, s’est exprimé sur toutes ces questions ?

GdE : Il est resté très longtemps silencieux, puis est brièvement réapparu, au moment du départ de Salvini, pour s’en féliciter et saluer le changement d’alliance du M5S, avant de disparaître à nouveau. Il est finalement réapparu une nouvelle fois ces derniers jours pour faciliter la transition vers le nouveau gouvernement Draghi. Le grand paradoxe de Beppe Grillo c’est justement d’être passé d’instigateur de toutes les subversions et provocations à un facteur de stabilisation et de normalisation du système. C’est une métamorphose assez intéressante.

CW : Il y a eu en Italie un mouvement des Gilets oranges, mené par un certain Antonio Pappalardo. Que pèse ce mouvement en Italie ?

GdE : C’est surtout un mouvement qui émane des milieux d’extrême-droite. Il puise son inspiration dans différents courants politiques, dont celui des Gilets jaunes français, qui leur a d’ailleurs inspiré leur nom et leur accoutrement. C’est en fait resté un groupuscule qui s’apparente à mon avis à ce qu’on a pu voir par exemple en Allemagne avec l’assaut du Reichstag, fin août 2020, par quelques milliers de personnes. Très peu de gens sont sortis manifester avec les Gilets oranges en Italie, mais je pense qu’ils représentent en fait la partie émergée de l’iceberg d’un groupe beaucoup plus important de gens, en rupture avec le récit « officiel » – souvent des gens dans des situations économiques difficiles, très présents par exemple dans le sud de l’Italie. Si le mouvement des Gilets oranges est resté beaucoup plus faible que celui des Gilets jaunes, il y a en-dessous tout un monde qui finalement a probablement une ampleur assez comparable.

CW : Il existe des mouvements groupusculaires comme le CNT d’Éric Fiorile en France, les Reichsbürger en Allemagne ou les Sovereign citizens aux États-Unis qui considèrent leurs propres institutions démocratiques comme illégitimes. Existe-t-il ce genre de groupes en Italie ?

GdE : En Italie, les gens qui ont été porteurs de ce type de discours ont plutôt une base régionale : il s’agit de gens qui, traditionnellement, rejettent l’autorité de l’État italien au profit d’un hypothétique État régional du nord. Avec le virage national pris par Salvini, tout ça s’est retrouvé condamné à une marginalité totale. Le vrai phénomène politique de cette année, c’est probablement l’émergence du mouvement Fratelli d’Italia, héritier direct du MSI, l’ancien parti fasciste italien, aujourd’hui crédité de 16 % dans les sondages. Sa dirigeante, Giorgia Meloni, qui pourrait bien être le prochain leader de la droite, a au contraire adopté une posture d’apaisement, d’union nationale et d’acceptation de la situation d’urgence. Pour une fois en Italie, il n’y a donc pas eu véritablement d’entrepreneur politique pour surfer sur toutes ces théories conspirationnistes : les défenseurs traditionnels de cette ligne, le M5S d’un côté, Salvini et l’extrême droite de l’autre, n’ont pas véritablement misé sur tout cela pendant crise sanitaire.

CW : Mais ils ont tout de même joué avec ce type de discours…

GdE : Oui, Matteo Salvini a par exemple pas mal insisté sur le thème du « complot chinois » autour du Covid, reprenant ainsi la rhétorique de Trump et ses amis. Il a aussi évidemment essayé de lier tout cela aux immigrés, qu’il accusait d’être porteurs du virus : il y a eu une polémique en Italie, qui a beaucoup circulé sur Internet, qui prétendait que « comme par hasard » les immigrés ne tombaient pas malades du Covid-19. En réalité, c’était surtout lié à leur jeune âge. En revanche, les théories du complot mettant en scène Bill Gates et les « élites mondialistes », avec l’idée de vaccins destinés à contrôler la population mondiale au moyen de micro-puces, etc., tout cela a vraiment plutôt été diffusé par des sympathisants du M5S. En Italie, il y a deux bulles complotistes : celle d’extrême droite et celle de la zone politique du M5S. On a encore bien vu ces deux bulles, mais une sorte de court-circuit les a empêchées de trouver un débouché politique.

Sara Cunial à la Chambre des députés italienne (capture d’écran  YouTube, 14/05/2020).

CW : Y a-t-il eu l’émergence d’un mouvement QAnon en Italie ?

GdE : J’ai l’impression que c’est resté très marginal. Une étude américaine a montré qu’il y avait aussi en Italie des comptes Facebook et Twitter de la mouvance QAnon. Le plus suivi d’entre eux avait je crois autour de 3 000 abonnés. A mon avis, ça ne représente pas grand-chose…

CW : Une théorie du complot a accusé Barack Obama et Matteo Renzi d’être derrière la prétendue « fraude électorale » ayant conduit à la victoire de Joe Biden aux États-Unis. Vous qui avez été le conseiller de Renzi, qu’en pensez-vous ?

GdE : Il y a un aspect des théories du complot qui est favorable aux gens qu’elles visent, dans le sens où, comme le disait le cardinal de Retz, en politique, tout ce qui fait croire à la force l’augmente ! D’une certaine manière, c’est très flatteur pour Renzi que quelqu’un imagine qu’il a pu avoir une part dans les élections américaines, même si, évidemment, c’est grotesque. Ce qui est vrai par contre, et là on sort des théories du complot, c’est que l’Italie est traditionnellement un pays dont les dynamiques politiques sont très sensibles au contexte international, et américain en particulier. La première grosse conséquence politique en Europe de l’arrivée au pouvoir de Joe Biden a été un changement de gouvernement en Italie. Les deux choses sont liées et c’est du pain béni pour les complotistes, qui peuvent très bien imaginer toutes sortes de choses derrière cela. En réalité, c’est un phénomène beaucoup plus naturellement politique : la chute de Trump a évidemment affaibli la position de quelqu’un comme le premier ministre Giuseppe Conte, qui avait donné énormément de gages à Trump au cours des deux dernières années. Ce facteur-là, bien qu’il ne soit pas le plus important, a donc quand même contribué à la chute du gouvernement Conte. Si Biden n’avait pas gagné, il n’y aurait pas à mon avis aujourd’hui de gouvernement Draghi en Italie.

CW : Que vous ont inspiré, en tant que démocrate, les événements du Capitole ? 

GdE : Je pense d’abord, comme je le dis dans mon livre Les ingénieurs du chaos, qu’il existe une composante carnavalesque très importante dans le succès des mouvements nationaux-populistes. Elle est souvent oubliée parce qu’on parle toujours en termes très sombres de ces mouvements qui jouent sur la peur et sur la colère – qui sont évidemment des énergies qui leur sont fondamentales. Mais il y a aussi ce côté transgressif, presque jouissif, qu’on voit bien chez Trump, Bolsonaro, ou Grillo, chez leurs partisans et dans leurs manifestations. Donc la première chose qui frappe d’un point de vue simplement visuel avec les images de l’assaut du Capitole, ce sont ces déguisements absurdes.

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Il y a un côté festif qui masque une violence réelle mais qui est inséparable de la nature de ce mouvement. Évidemment, derrière ça, si les gens qui ont participé à l’assaut du Capitole n’étaient que quelques milliers, on sait grâce aux enquêtes d’opinion qu’il y a aux États-Unis entre 20 et 30 millions d’électeurs qui considèrent l’élection de Biden frauduleuse et partagent les idées de ceux qui ont attaqué le Capitole. Se pose donc aujourd’hui la question de la cohésion de la société civile américaine et de celles des autres démocraties : il va falloir trouver des façons de faire coexister des gens qui croient en la réalité de façon foncièrement différente. Réintégrer toutes ces personnes au jeu démocratique classique va être très difficile parce qu’il ne suffit pas de continuer à marteler nos vérités, nos statistiques et nos données. C’est un processus beaucoup plus compliqué.

CW : A l’exemple de ce qu’on a pu voir au Capitole, le complotisme débouche-t-il toujours sur la violence ?

GdE : Non, pas forcément. Franchement je pense que le complotisme naît souvent d’un besoin d’explication, d’un besoin de comprendre les choses et de donner une cohérence à une réalité qu’on ne comprend pas. Cela procède aussi parfois d’un besoin d’appartenance, de faire partie d’un groupe qui a ses croyances propres et à l’intérieur duquel on peut se reconnaître. Ces besoins-là, premièrement, ne sont pas en eux-mêmes condamnables, parce que ce sont des besoins naturels que nous avons tous. Deuxièmement, ils ne débouchent pas nécessairement sur la violence. Après, on sait que le choix d’un ennemi, le besoin de désigner un coupable, est souvent un moyen pour unir les gens et donner une consistance à des visions de ce type, ce qui pose inévitablement problème. Mais je pense que le phénomène complotiste est devenu trop structurel et fondamental pour qu’on puisse l’approcher simplement dans une logique de condamnation et de répression. Il va donc falloir trouver d’autres façons de l’appréhender.

CW : Comment selon vous va-t-on pouvoir réintégrer tous ces gens à la culture démocratique et au partage d’une réalité commune ?

GdE : Ce que je crois, c’est qu’il ne suffit certainement pas de démentir une théorie complotiste, de prouver qu’elle est fausse ou d’avoir une attitude purement pédagogique. Je pense qu’il y a deux chantiers culturels très importants à mener. Le premier, c’est que l’on sait que la seule chose qui marche est de trouver des relais, des personnes ou des instruments en qui ces gens aient confiance. Ils ont en effet leurs propres réseaux, leurs propres autorités, même si ce sont surtout des autorités horizontales, des gens du même milieu. Ceux-là sont quand même généralement dans une logique de recherche et de discussion, même si c’est au sein de leur bulle. Il faut donc essayer de pénétrer de façon un peu homéopathique et organique ces bulles, même si c’est très difficile et que ça prend du temps.

La deuxième chose, à mon avis, c’est un chantier plus politique : il faudrait arriver à leur proposer une vision positive dans laquelle ils peuvent se reconnaître et croire. Si vous regardez par exemple les discours de leaders nationaux-populistes qui utilisent des arguments complotistes, souvent, beaucoup de faits sont faux, mais la vision d’ensemble qu’ils proposent résonne comme « vraie » aux oreilles des gens. Elle correspond à la « réalité » telle qu’ils la vivent dans leur vie. Alors que les forces politiques plus classiques, à l’inverse, ont tendance peut-être à accumuler des faits, des statistiques et des données qui sont vraies, mais qui toutes ensemble produisent une vision de la société, de la réalité et du futur qui sonne faux pour ceux auxquels elle s’adresse. Il y a là un vrai paradoxe qu’il faudrait essayer de combler. Évidemment, aucune de ces solutions n’est applicable facilement. On raisonne là sur le long terme. Mais je crois qu’il est indispensable de proposer une narration positive qui réenchante la démocratie.

 

Voir aussi :

Italie : l’alliance « jaune et vert » annonce d’emblée la couleur

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Julien Théron : « L’idée de “complot occidental” est utilisée partout par le Kremlin »

mardi 16 février 2021 à 08:59

Poutine, la stratégie du désordre*, d’Isabelle Mandraud et Julien Théron, montre comment l’ancien officier du KGB au pouvoir en Russie depuis vingt ans utilise l’arme de la désinformation. Entretien avec Julien Théron, politiste, enseignant en conflits et sécurité internationale à Sciences Po.

Poutine, la stratégie du désordre, d’Isabelle Mandraud et Julien Théron (Tallandier, 2021).

Conspiracy Watch : Dans votre livre, vous montrez que la « guerre de désinformation » est assumée au plus haut niveau de l’Etat russe, qu’elle est même théorisée. En quoi consiste-t-elle ?

Julien Théron : Le principe est simple : remplacer les faits par une version plus flatteuse afin de conforter le pouvoir. La désinformation diffère toutefois de la communication politique car elle prend des libertés importantes avec la vérité, qu’il s’agisse d’événements contemporains ou historiques. Le pouvoir actuel au Kremlin n’est en fait pas fondamentalement novateur en la matière : l’Union soviétique a pratiqué la dezinformatsiya à haute dose pendant des décennies – y compris à l’Ouest – qu’il s’agisse de réalités économiques, de liberté politique ou d’objectifs stratégiques. Le poids actuel des siloviki (les membres des structures de force sécuritaire et militaire) reste fondamental. Ils utilisent toujours ce qui a été conceptualisé au KGB en tant qu’aktivnye meropriyatiya ou « mesures actives », afin notamment de contrôler la scène informationnelle. Le principe était de prévenir toute critique par une propagande intense sur les principes fondamentaux du communisme soviétique.

Ce qui a changé depuis, c’est d’abord le contenu. Au canevas hyper-idéologique de la désinformation soviétique a été substitué quelque chose de bien plus élastique qui colle parfaitement à notre époque. On diffuse un vaste panel de ce que nous appelons dans le livre des « fragments idéologiques », qui ne sont pas constitués en système, voire sont même parfois passablement antagoniques. Qu’il s’agisse par exemple de l’anti-impérialisme d’extrême gauche ou de l’anti-atlantisme d’extrême droite, qu’importe, les médias affiliés au Kremlin mettent en exergue tout élément de critique anti-occidentale.

Par exemple, si tel pouvoir (en Géorgie, en Ukraine, en Biélorussie) est favorable aux intérêts de Moscou, c’est la fraternité qui est mise en avant. S’il diverge, il s’agit de traitrise à la solde des Occidentaux. C’est assez simpliste et manichéen, mais ça marche. La simplicité du message et l’antagonisation permanente collent bien à notre époque. Parfois, des théories fantasques apparaissent, mais ce n’est pas grave, c’est toujours une alternative de plus aux faits. C’est même une technique particulière : inonder de désinformation les réseaux sociaux afin de diluer les faits dans un raz-de-marée désinformationnel.

Ce qui a changé également, ce sont les méthodes. Les principes originels restent les mêmes, mais des vecteurs nouveaux sont apparus, avec leurs spécificités. Les médias dits de « réinformation » sont mobilisés pleinement. Les trolls, dans les commentaires, et les bots, automatisés, tournent à plein régime, et ça marche assez bien. Dans notre monde de contestation, l’amplification stratégique des divergences est aisée, et permet de saper par la conflictualisation la stabilité d’un pouvoir politique qui ne serait pas aligné sur les intérêts du Kremlin. Une agence spécialisée, nommée Agence de recherche sur Internet (IRA), a conduit par exemple des campagnes ciblées qui touchent des dizaines de millions de personnes sur les réseaux sociaux. Les médias affiliés au Kremlin relaient quant à eux les messages avec un vernis plus normalisé, moins alternatif, et ça fonctionne très bien.

CW : Vous écrivez que des représentants de mouvements d’extrême droite et des essayistes complotistes « ont table ouverte » sur des sites comme RT ou Sputnik. Est-ce une raison suffisante pour interdire ce type de média comme l’a fait la Lettonie avec RT ? Les démocraties sont-elles condamnées à restreindre la liberté d’expression pour défendre leurs libertés ? Pourquoi la Russie n’aurait-elle pas le droit de faire valoir son propre point de vue sur le monde ?

J. T. : C’est aux responsables politiques d’en décider, mais la question est extrêmement importante et doit être posée. S’agit-il vraiment de liberté d’expression ? La propagande ne se satisfait pas des faits, et les réinvente dans un sens partial et intéressé. On ne peut donc pas parler d’information. C’est une question compliquée car la limite entre la propagande complètement hors sol, pratiquée par la Corée du Nord et les orientations politiques de certains médias dans les démocraties, il y a un large éventail de situations. Mais c’est précisément la responsabilité du politique de tracer une limite entre ce qui est acceptable pour une démocratie et ce qui ne l’est pas. Certains éléments comme l’affichage ouvert d’une orientation politique ou a contrario une stratégie de déstabilisation liée à un pouvoir étranger peuvent permettre toutefois de tracer assez clairement cette limite. La question elle-même est instrumentalisée par différents pouvoirs autocratiques pour prétendre que les démocraties n’en sont pas et que leurs pays sont bien plus ouverts. Il faut donc être très clairs et pédagogues sur les raisons et la nécessité de restreindre non la liberté d’expression, mais les organes de propagande subversive.

CW : Dans la complosphère pro-Kremlin s’est imposée l’idée que les accusations d’ingérence électorale visant la Russie relevaient d’un « complotisme autorisé » et d’une inavouable « russophobie ». On prétend notamment que le rapport Mueller n’apporterait aucune preuve de la moindre entreprise de ce genre…

J. T. : Au-delà du rapport Mueller, ceux qui s’intéressent à la question de l’ingérence russe auprès de l’équipe de Donald Trump peuvent se pencher sur le très fourni rapport du Comité sur le renseignement du Sénat américain qui établit clairement le soutien russe au candidat républicain.

De manière plus générale, l’idée de « complot occidental » est utilisée partout par le Kremlin, de l’Ukraine à la Syrie en passant par l’Afrique. Nous exposons dans notre livre avec Isabelle Mandraud l’omniprésence de l’idée de complot dans la stratégie du Kremlin, et sur tous les sujets. Du MH17 dans l’Est de l’Ukraine à la question des réfugiés en Allemagne, des manifestations pro-démocratie en Syrie à l’alliance avec la Chine afin de contrer les Occidentaux.

Par ailleurs, ceux dont le métier est d’établir les faits, comme les journalistes, les chercheurs, mais aussi les juridictions ou organisations internationales ou certaines associations, sont brocardés comme politisés et « russophobes », en effet. C’est le bouclier ultime contre toute critique, qui reprend le principe de la culture Woke. Sur le fond, si la Russie est à n’en pas douter un grand pays qui a pleinement sa place dans les affaires du monde et qui a construit une culture d’une richesse considérable, cela n’offre en rien au Kremlin la latitude d’user de méthodes qui sèment le désordre par l’ingérence afin de produire une transformation autocratique de l’ordre international, ce qu’il préfère nommer « stabilité ».

CW : Vous rappelez la cyberattaque russe sur l’Estonie en 2007 qui a paralysé tout le pays pendant plusieurs semaines. Comment expliquez-vous que cette manœuvre hostile, pourtant annonciatrice d’autres attaques du même type, a comme disparu de notre mémoire collective ?

J. T. : C’est malheureusement un des travers de notre époque. L’accélération de l’information rejette l’actualité passée dans les méandres de l’histoire qui, même contemporaine, n’intéresse plus guère de monde. La récente cyberattaque aux États-Unis, peu traitée au regard de l’actualité post-électorale, est passée presque inaperçue. Et pourtant les exemples ne manquent pas. Le Kremlin capitalise sur ce passage permanent à des situations nouvelles, afin de faire avancer ses intérêts. Mais quand on se penche sur la dynamique d’ensemble, comme nous avons essayé de le faire dans notre ouvrage, on s’aperçoit aisément d’une stratégie offensive et discrétionnaire, qui porte un grand risque pour les démocraties.

Les cyberattaques constituent un moyen extrêmement efficace de provoquer des disruptions stratégiques, qu’il s’agisse du fonctionnement informatique des institutions publiques ou des entreprises majeures, mais aussi éventuellement de causer des dommages dans le monde physique. Elles présentent un avantage extraordinaire : la possibilité d’attaquer ses adversaires sans que cela ne déclenche de guerre au sens traditionnel, et pouvoir nier sa responsabilité. Le Kremlin est régulièrement pointé du doigt par les experts informatiques et les services de renseignement pour ses capacités en ce domaine.

CW : L’Église orthodoxe russe considère que le massacre de la famille impériale en 1918 par les bolchéviks s’inscrit dans le cadre d’un « crime rituel », une thèse ouvertement antisémite. Or, l’Église semble occuper une place centrale dans l’architecture du pouvoir poutinien. Comment Poutine arrive-t-il à composer avec cet antisémitisme complotiste tout en vilipendant, comme il l’a fait dans son discours prononcé pour la cérémonie consacrée à l’annexion de la Crimée, les « nationalistes, les néonazis, et les antisémites » ukrainiens ?

J. T. : Un terreau fertile de la stratégie du Kremlin depuis quelques temps est en effet la scène mémorielle. La fracture entre Russes rouges et blancs, par exemple, est effacée. La mémoire du tsarisme est réconciliée avec celle du soviétisme. On dés-antagonise la mémoire afin de produire une vision, certes floue et incomplète, mais qui permette de justifier les actions contemporaines du pouvoir. La méthode est celle de l’exégèse : on relit l’histoire afin de glorifier la nation sur des points précis, comme la justification historique de l’annexion de la Crimée, par exemple. Bien sûr, si tous les pays faisaient de même, et arguaient de possessions territoriales antérieures pour justifier des conquêtes actuelles, le monde serait une joyeuse pagaille et un conflit sans fin.

Il n’y a en réalité rien de surprenant à ce que des éléments antagoniques soient mobilisés par Moscou. Au contraire, on fait feu de tout bois pour s’attirer un maximum de soutiens. Le support de mouvements d’extrême droite en Europe peut ainsi aller de pair avec la condamnation franche de l’antisémitisme. On tire de chaque élément son utilité, tout en n’insistant jamais sur les divergences ; en ne les mobilisant pas trop dans leur profondeur sémantique on limite l’apparition de la dissonance. La contradiction n’inquiète pas le pouvoir russe. Chacun voit ce qu’il a envie de voir. C’est un autre travers de notre époque sur lequel sait très bien jouer le Kremlin.

 

* Isabelle Mandraud & Julien Théron, Poutine, la stratégie du désordre, Tallandier, 2021, 317 pages.

 

Voir aussi :

Que faire contre la désinformation russe ?

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Conspiracy News #07.2021

dimanche 14 février 2021 à 19:24

L’actu de la semaine décryptée par Conspiracy Watch (semaine du 08/02/2020 au 14/02/2021).

GÉNOCIDE DES TUTSI. Plus de vingt-cinq ans après le génocide des Tutsi au Rwanda, certaines voix tentent toujours de réécrire l’histoire. Il y eut autrefois Pierre Péan, qui fustigeait dans son brûlot Noires fureurs, blancs menteurs (Fayard, 2005) « la culture du mensonge et de la dissimulation » des Tutsi qui auraient fabriqué de toutes pièces le « récit officiel ». Il y a désormais la Canadienne Judi Rever, ex-correspondante en Afrique pour RFI puis l’AFP. La journaliste, qui soutient que les Tutsi ont participé à leur propre génocide, a bénéficié en France d’une large publicité. Seul média mainstream à lui ouvrir ses colonnes : l’hebdomadaire Marianne (source : Conspiracy Watch, 12 février 2021). 

CAPITOLE. Ashli Babbitt est cette fervente partisane de Donald Trump qui a trouvé la mort le 6 janvier dernier lors de l’assaut du Capitole. Un mois après les événements, on peut retracer les logiques à l’œuvre dans la production des schémas interprétatifs complotistes, leurs contradictions et les procédés mobilisés pour résoudre ces contradictions. Plusieurs récits coexistent au sein de la trumposphère quant au sens qu’il faut donner à cet épisode : une exécution pour les uns, une « opération sous faux drapeau » pour les autres (source : Conspiracy Watch, 9 février 2021).

TRUMP. A voir en replay le documentaire de France 2 consacré à la chute de Donald Trump. Ou comment le mensonge complotiste a inexorablement conduit à la violence meurtrière de l’assaut du Capitole.

4 MARS. À l’approche du 4 mars prochain, date annoncée de nouvelles manifestations des fidèles de l’ex-président dans la capitale américaine, le Trump International Hotel a décidé de quasiment tripler le prix de ses chambres. Cette date est à l’agenda des conspirationnistes américains, dont les adeptes du mouvement QAnon, depuis un mois et l’intronisation de Joe Biden. Selon eux, elle va marquer le retour au pouvoir et l’assermentation de Donald Trump comme nouveau président des États-Unis… (source : Le Devoir, 10 février 2021).

QANON. Harcèlement en ligne et conversations difficiles… les journalistes américains qui couvrent la théorie QAnon sont mis à rude épreuve. C’est ce que montre une enquête de Poynter qui rapporte les expériences de nombreux journalistes devant notamment faire face à un défi : informer sans amplifier la source.

QAnon essaime aussi au Japon comme l’ont montré certaines réactions après le tremblement de terre à Fukushima survenu le 13 février. Ses adeptes y voient un coup de Biden et de « l’État profond », alors que Donald Trump « protégeait le Japon ». On parle aussi de « séisme artificiel »… (source : William Audureau/Twitter, 13 février 2021).

À voir également, le témoignage d’une citoyenne américaine expliquant que ses parents, adeptes de la théorie QAnon, ont dépensé ses frais de scolarité dans des munitions et trois ans de stock de nourriture… (source : Twitter).

LIBERTÉ D’EXPRESSION ? « Oser parler sexualité avec mon enfant », tel était le thème d’une visioconférence organisée le 4 février par la ville de Vincennes avec le réseau École des parents et des éducateurs d’Île-de-France (EPE-IDF), pour aider les parents à aborder ce sujet délicat avec la bonne distance et prévenir les problèmes qui s’y rattachent. Un torrent de messages hostiles s’en est suivi sur Twitter, et s’est poursuivi avec le collage d’affiches dans la ville. Un site relayant les thèses complotistes et proches de QAnon a également repris le sujet. Des menaces ont aussi été proférées et l’affaire a pris de telles proportions que la réunion a dû être annulée (source : 94.citoyens.com, 7 février 2021).

ANTISÉMITISME. Le Plan Kalergi de génocide des peuples blancs européens par les Juifs, un mythe qui circule dans les franges les plus radicalisées de l’extrême droite depuis plusieurs années, est mis à l’honneur dans un live sur YouTube (à 1:44:05), en présence de Jean-Jacques Crèvecoeur, Christian Tal Schaller et Chloé Frammery. Le lien entre ce plan présumé et les origines juives du PDF de Pfizer, Albert Bourla, a vite été établi… (source : Tristan Mendès France/Twitter, 12 février 2021).

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IRAN. L’antisémitisme, la haine et des théories conspirationnistes sont enseignés aux écoliers iraniens dans leurs manuels scolaires, selon une étude approfondie publiée jeudi par l’Anti-Defamation League (ADL), organisation antiraciste américaine. Il est notamment inculqué aux élèves que les médias occidentaux ont exagéré la pandémie de Covid-19 pour contrecarrer une participation à grande échelle aux célébrations de la révolution iranienne l’année dernière (source : The Times of Israël, 11 février 2021).

DIEUDONNÉ. Cryptomonnaie, spectacles annulés, plate-forme de vidéos payantes, produits dérivés… La journaliste Christel Brigaudeau a signé un long papier sur le business de l’humoriste. Elle revient sur cette enquête au micro de « Code source », le podcast d’actualité du Parisien (source : Le Parisien, 9 février 2021).

GREAT RESET. Le « Great Reset » (la « Grande Réinitialisation » en français) est une expression forgée par l’économiste allemand Klaus Schwab, fondateur du Forum économique mondial de Davos, dans le contexte de la pandémie de coronavirus. Elle est à l’origine de nombreux fantasmes complotistes qui l’interprètent comme une étape d’un plan diabolique mondialiste visant à faire adopter des mesures liberticides. William Audureau, des Décodeurs du Monde, a lu l’ouvrage de Schwab qui donne son nom à cette théorie, mais qui ne dit pas du tout ce que certains lui font dire… (source : Le Monde, 10 février 2021).

CHEMTRAILS. La chronique hebdomadaire sur France Inter de Tristan Mendès France était consacrée cette semaine aux chemtrails, terme forgé à partir des mots « chemical » (« chimique ») et « trails » (« trainées »). On sait depuis longtemps que les trainées blanches laissées par les avions dans le ciel sont le résultat d’un phénomène de condensation. Mais il en va autrement pour les complotistes, qui y voient un projet de contrôle des populations par l’épandage de produits chimiques, depuis la publication en 1996 d’une étude universitaire réalisée à la demande de l’US Air Force. Depuis, la théorie a connu un succès grandissant, y compris en France, où elle rencontre une certaine audience. « Cette croyance est persistante et l’on n’a pas fini d’en entendre parler », conclut Tristan Mendès France (source : France Inter, 12 février 2021).

FOURTILLAN. Mis en examen pour avoir pratiqué des essais thérapeutiques sauvages, le professeur Jean-Bernard Fourtillan a continué à communiquer avec ses patients et leur a demandé de l’argent, en dépit de l’interdiction prononcée par l’Agence du médicament et de son contrôle judiciaire. Des révélations de la cellule d’investigation de Radio France (source : France Culture, 12 février 2021).

COVID-19. En mission à Wuhan (Chine), l’OMS tente de comprendre les origines de la pandémie de Covid-19. L’hypothèse la plus probable est celle d’une transmission du virus entre deux espèces animales, avant une contamination à l’humain. La théorie d’une fuite du virus d’un laboratoire est en revanche jugée « hautement improbable » (source : Allo Docteurs, 9 février 2021).

ROYAL. Invité de France Info, le 10 février 2021, Ségolène Royal a contesté les mesures anti-Covid-19. « Pourquoi le gouvernement fait ça ? Pour justifier les mesures de restriction », a-t-elle notamment asséné au micro de l’émission « Votre instant politique » (source : Quotidien, 11 février 2021).

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VÉRAN. La vaccination d’Olivier Véran n’est pas passée inaperçue. D’abord parce qu’à des fins de transparence, le ministre de la Santé avait choisi de se faire vacciner en direct. Ensuite parce qu’il n’a pas échappé à certains internautes que le vaccin provenait du groupe pharmaceutique AstraZaneca, autrement dit un vaccin qui ne repose pas sur la technique de l’ARN messager, celle-là même qui suscite des fantasmes complotistes. Sur Twitter, le journaliste Raphaël Grably pouvait noter en fin de journée que la deuxième publication Facebook la plus populaire de la journée, associée au mot « vaccin », était précisément un commentaire complotiste relatif à la vaccination du ministre (source : Raphaël Grably/Twitter, 8 février 2021).

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CRUTZEN. « Ceci n’est pas un complot » est le titre d’une vidéo conspirationniste belge diffusée sur YouTube et Viméo en accès libre à partir du 6 février 2021. Réalisé par Bernard Crutzen et vu plus d’un demi-million de fois en 48 heures, ce film de 70 minutes a été critiqué pour ses « sous-entendus malsains ». Le quotidien belge Le Soir a ouvert ses tribunes à des experts qui le considèrent pour leur part comme « très ambigu ». On y trouve notamment interviewées deux figures de la complosphère covido-sceptiques.

FACEBOOK. Facebook supprimera désormais toute une série d’affirmations mensongères sur le Covid-19 et la vaccination, a annoncé le 8 février l’entreprise dans un communiqué, en complément d’une série de mesures visant à promouvoir les politiques de vaccination. Le réseau social supprimera les messages affirmant que le coronavirus « est produit en usine ou fabriqué par l’homme », ou que le port du masque n’est pas efficace pour empêcher la contamination. Facebook (tout comme Instagram, qui appliquera les mêmes règles) effacera également les messages affirmant que « les vaccins sont toxiques, dangereux, ou provoquent l’autisme » – ce dernier point faisant référence à la théorie, certes discréditée mais encore très populaire en ligne, de l’ancien médecin Andrew Wakefield (source : Le Monde, 8 février 2021).

ANTIVAXX. Un groupe Facebook antivaccin israélien baptisé « Non au passeport vert » et qui comptait des milliers de membres a été supprimé ce 8 février. Il comportait notamment des incitations à jeter les vaccins à la poubelle (source : I24 News/Twitter, 8 février 2021). Un rabbin ultraorthodoxe, Youval Hacohen Asherov est au cœur d’un scandale médiatique et sanitaire dans l’État hébreu. En cause, ses dernières vidéos postées sur YouTube où il soutient que le vaccin anti-Covid entraîne la stérilité, porte atteinte au système immunitaire et provoque de très fortes allergies qui peuvent être fatales. Le nom de son site : « Dans le secret des choses » (source : Le Point, 10 février 2021). Au Sénégal également, la désinformation est la grande ennemie de la campagne de vaccination (source : AFP/Twitter, 4 février).

RAPPORT. The Global Network on Extremism and Technology (GNET) – structure de recherche universitaire du Forum mondial de l’Internet contre le terrorisme (GIFCT) – a publié (en langue anglaise) un rapport de Daniel Allington d’une cinquantaine de pages, intitulé Conspiracy Theories, Radicalisation and Digital Media. Les grandes plateformes s’y voient reprocher de favoriser la diffusion des thèses extrémistes et de proposer des réponses inadéquates.

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