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Erignac : la mort d’Yvan Colonna marque le retour de la thèse du « complot d’État »

mardi 29 mars 2022 à 15:22

L’agression mortelle dont a été victime Yvan Colonna, jugé coupable trois fois de suite de l’assassinat du préfet Erignac, a réactivé la thèse d’un complot de l’État républicain contre la Corse.

Yvan Colonna (DR).

Ajaccio, le 6 février 1998. Claude Erignac, préfet de Corse, tombe sous les balles d’un commando d’assassins. Avant de prendre la fuite, le tireur prend soin de laisser en évidence, à côté de la dépouille, un pistolet Beretta 1992 F, comme pour signer le crime. L’émotion est à son comble : pour la première fois en France, un préfet a été assassiné dans l’exercice de ses fonctions. « Une véritable déclaration de guerre », titrera Libération le lendemain.

Et pour cause. L’attentat constitue le point d’orgue d’un quart de siècle de violences causées par le nationalisme corse, depuis la mort de deux gendarmes mobiles à Aléria le 22 août 1975 (le « tournant d’Aléria »), immédiatement suivie d’émeutes à Bastia. Violences dirigées contre l’État sous couvert de « guerre contre le colonisateur », tout d’abord, mais aussi règlements de comptes entre indépendantistes. Car l’unité du nationalisme n’a pas résisté au temps, éclatant en multiples « canaux », chapelles et autres groupuscules radicaux aux dérives parfois mafieuses.

Le 9 février 1998, le meurtre du préfet Erignac est revendiqué par un mystérieux groupe anonyme, qui authentifie sa culpabilité en révélant le numéro de série du Beretta. En lutte contre « l’État colonial », ce quarteron souhaitait exacerber les tensions entre la Corse et la métropole. Il confirme avoir volé l’arme à feu lors de l’attaque d’une gendarmerie, et revendique deux autres attentats, l’un contre un hôtel de Vichy le 11 novembre 1997, l’autre contre l’E.N.A. à Strasbourg le 4 septembre de la même année. Bref, le crime est politique : derrière l’homme Erignac, on a cherché à abattre un symbole – celui du « colonialisme ».

L’enquête va-t-elle se conclure ? Hélas non. Rivalités interservices et fausses pistes entravent les investigations, qui conduisent à plusieurs milliers d’interpellations, plusieurs dizaines de mises en examen, et plusieurs mises en détention provisoire – d’abord en pure perte. L’image des enquêteurs – et donc de l’État républicain – en ressort écornée, d’autant que le successeur de Claude Erignac, Bernard Bonnet, fait illégalement incendier par des gendarmes une paillotte en avril 1999, à l’origine d’un retentissant scandale politico-judiciaire. Ce discrédit de l’appareil administratif français pose le décor des futures théories du complot autour de l’assassinat du préfet Erignac.

Et pourtant ! Après plus d’une année de tâtonnements, les membres du commando (baptisés « les Anonymes » par les enquêteurs) sont finalement interpellés en mai 1999, confondus par l’exploitation de leur trafic téléphonique. Placés en garde à vue, de même que leurs compagnes, ils avouent avoir commis l’attentat – et incriminent un des leurs, Yvan Colonna, qui, selon eux, a tiré sur le préfet. Malheureusement, l’intéressé prend la fuite avant d’être interpellé, non sans donner préalablement… une conférence de presse. Sa « cavale » durera quatre ans.

La stratégie « complotiste » d’Yvan Colonna

Berger de son état, Yvan Colonna, fils du député socialiste Jean-Hugues Colonna, est aussi un « moine-soldat du nationalisme » corse selon l’expression d’Ariane Chemin. Et quoique planqué dans le maquis, il élabore sa stratégie de défense. Le 19 décembre 2000, il écrit au journal indépendantiste U Ribombu une lettre en langue corse dans laquelle il proclame son innocence et s’affirme victime d’une « justice d’exception au service de l’éradication du mouvement national ». L’initiative vise à lui assurer la sympathie de l’opinion publique – surtout corse – et à imposer sa version des faits. Réussite totale : après la publication de la missive, ses complices, qui l’accusaient en garde à vue puis lors de l’instruction, se rétractent et nient – certes laconiquement – sa culpabilité.

Arrêté le 4 juillet 2003, Yvan Colonna persiste – et persistera toujours – dans ses dénégations. Avec ses avocats, il pratique une « défense de rupture », niant tout, y compris la légitimité de la Cour d’Assises spéciale chargée de le juger. D’incidents d’audience en déclarations tonitruantes, d’appel en cassation, cette équipe ne dévie pas de sa ligne.

Ainsi, selon la défense, les investigations ont été partiales, voire brutales, car il fallait trouver des coupables au lieu d’établir la vérité ; les aveux ont été extorqués, ou résultent de règlements de comptes ; l’instruction a été conduite exclusivement à charge ; le procès est truqué, car la Justice craint de démentir Nicolas Sarkozy, président de la République de 2007 à 2012 et qui, lors de l’interpellation de Colonna, avait annoncé, en sa qualité de ministre de l’intérieur mais au mépris de la présomption d’innocence, que « la police française vient d’arrêter Yvan Colonna, l’assassin du préfet Érignac »

Il est vrai que les arguments ne manquent pas : aucune preuve matérielle n’accable Colonna, ni empreintes digitales, ni résidu d’ADN ; les témoins ayant assisté au meurtre du préfet Erignac ne l’ont pas identifié comme étant l’assassin ; sans parler des autres membres du commando qui ont modifié leur version des faits ; d’autant que la Cour d’Assises rejette les premières demandes de reconstitution !

De quoi, effectivement, susciter des interrogations, au point qu’un certain Karl Zéro commet deux documentaires des plus complaisants envers la défense, en 2009 puis de nouveau en 2013.

Mais Colonna est reconnu coupable de l’assassinat à l’issue de trois procès successifs devant la Cour d’Assises spéciale (premier verdict en 2007, confirmé en appel en mars 2009, et de nouveau en juin 2011 sur renvoi après cassation) et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.

Le 11 juillet 2012, la Cour de Cassation rejette le dernier pourvoi du berger corse. Le 15 novembre 2016, la Cour européenne des Droits de l’Homme rejette la requête d’Yvan Colonna tendant à faire établir qu’il aurait été victime d’une atteinte à la présomption d’innocence et d’irrégularités de procédure l’ayant empêché de bénéficier d’un procès équitable. Rappelons que, le 11 juillet 2003, la Cour d’Assises spéciale avait déjà déclaré les complices de Colonna coupables de l’attentat.

Colonna est-il pour autant coupable ? Ou bien victime, selon ses dires, non pas seulement d’une erreur judiciaire, mais d’un véritable complot d’État ?

Contre Yvan Colonna, un faisceau de lourdes présomptions

Plus de onze mille pièces sur cinquante mille pages, ainsi que plusieurs dizaines de journées d’audience ont convaincu la Justice, à trois reprises, de la culpabilité d’Yvan Colonna dans le meurtre du préfet Erignac. Point de preuve absolue, en l’espèce, mais un large faisceau de présomptions, qui permettent de dresser un tableau cohérent et logique du crime, sachant que l’implication des autres « Anonymes » n’est nullement discutée.

Comme le relève la Cour d’Assises spéciale dans son arrêt motivé du 20 juin 2011, de nombreux éléments, précis et concordants, accusent Colonna : son adhésion, idéologique, amicale et matérielle, au commando des « Anonymes » est établie, d’autant que, dans sa lettre précitée du 19 décembre 2000, il exprimait son adhésion aux actions violentes de ce groupe ; sa participation à la préparation de l’attentat, et à l’attentat lui-même (dont le meurtre du préfet) est attestée par les « Anonymes » et leurs compagnes ; leurs rétractations sont intervenues de manière imprécise, tardivement, de surcroît postérieurement à la publication de la lettre de Colonna du 19 décembre 2000, ce qui leur ôte toute crédibilité.

Mais les témoins oculaires qui n’ont pas formellement reconnu Colonna lors de l’assassinat du préfet ? L’argument, à n’en pas douter, pesait lourd. La Cour les écarte « au regard du grimage des auteurs [qui portaient, effectivement, des perruques et des gants], de la rapidité du déroulement des faits, de leur ancienneté, de la position de ces témoins par rapport à la scène et de la qualité de l’éclairage urbain ». Du reste, à supposer même, pour les besoins du raisonnement, que ces témoins ne se soient pas trompés, il demeure que la participation de Colonna à l’opération ne fait aucun doute, d’autant qu’il ne possède pas d’alibi sérieux. Et sa cavale, quatre années durant, l’incrimine – car pourquoi fuir la Justice si l’on est innocent, surtout quand son propre père l’appelait à se rendre ?

Les arguments au soutien d’un complot manquent de sérieux.

Aveux extorqués ? Rien ne le corrobore, d’autant que les déclarations des mis en cause sont précises et se rejoignent.

Le refus de procéder à une reconstitution ? La Cour d’Assises spéciale avait déjà procédé à un transport sur les lieux du crime le 9 décembre 2007 mais en l’absence des membres du commando, qui avaient refusé d’y participer ! Une nouvelle reconstitution est intervenue lors du troisième procès, de laquelle il est ressorti, selon la Cour, que Colonna pouvait bien être le tireur…

La défense elle-même s’est empêtrée dans ses propres contradictions. Elle a multiplié les fausses pistes, les effets de manche, les incidents de procédure, sans parvenir à établir une version des faits crédible pour son client. Sinon en proférant une vaste théorie du complot, ridiculisée par le Ministère public lors du dernier procès d’assises (sans que ce dernier passe sous silence les erreurs des enquêteurs).

Emballements conspirationnistes

Car il n’est pas contestable que la stratégie de défense d’Yvan Colonna, au prétexte d’opposer le bénéfice du doute, a reposé sur des allégations mensongères de sa part, auxquelles se mêlait une rhétorique mâtinée de conspirationnisme et d’idéologie indépendantiste. Plus précisément, Colonna s’est posé en patriote corse nimbé de romantisme, en butte à une métropole colonisatrice acharnée à le perdre. Ou comment s’attaquer à un « État profond » avant la lettre, décrivant un appareil policier et judiciaire si hostile à la Corse qu’il en aurait façonné une pseudo-erreur judiciaire, torturant des révolutionnaires et manipulant les preuves pour accuser un innocent ayant le malheur d’être insulaire !

Les allégations habilement semées par Colonna ne pouvaient que germer dans le terreau indépendantiste corse. Et sans surprise, maints nationalistes ont pris sa défense, à commencer par Edmond Simeoni (1934-2008), « père du nationalisme corse » : « [Yvan Colonna] est aujourd’hui l’otage d’un jeu qui le dépasse, écrivait-il en 2009. Pour l’État, admettre son innocence serait reconnaître que l’assassinat du préfet Erignac, décrété « cause sacrée », n’est pas élucidé. Que la police et la justice anti-terroristes sont dangereux pour la démocratie. Que ceux qui, comme l’actuel président de la République, l’ont publiquement affirmé coupable, se sont trompés. Voilà pourquoi il n’est pas excessif de dire que Colonna est aujourd’hui prisonnier de la raison d’État. »

Un autre leader nationaliste bien connu, François Santoni (lui-même assassiné en 2001), prétendait que le préfet Erignac aurait été éliminé par une conjuration réunissant milieux d’affaires et agents du ministère de l’intérieur, dans le but de déstabiliser la Corse [1]. Les indépendantistes ont parfois été rejoints par des écrivains plus éloignés de leurs préoccupations, tels Jean-Pierre Larminier, berger et auteur de polars stigmatisant des complots d’État [2].

L’agression mortelle dont a été victime Yvan Colonna en détention le 2 mars dernier a donné un second souffle à ces imputations complotistes. Ces dernières, en effet, s’inscrivent dans un concert d’hommages, en Corse – des nationalistes, mais pas seulement – à la mémoire du militant indépendantiste. Innocent, forcément innocent, du meurtre du préfet Erignac, Colonna, dans cette logique, endosse définitivement son statut de martyr de la « raison d’État ».

Alors que les premiers éléments de l’enquête suggèrent fortement que son meurtrier, le détenu Franck Elong Abé, a agi soit en terroriste, soit en déséquilibré – voire les deux –, il n’en faut pas plus que se réactive la mécanique du « complot d’État » : le 4 mars 2022, le frère de Colonna prétend que « l’État est l’instigateur, le commanditaire de la tentative d’assassinat » ; une semaine plus tard, Gilles Simeoni, président du  conseil exécutif de Corse (mais aussi fils d’Edmond Simeoni et ancien avocat de Colonna), s’interroge « pour savoir s’il n’y a pas des officines parallèles qui ont pu avoir un rôle » dans le sort de Colonna ; le 17 mars, Karl  Zéro, interviewé par Eric Morillot dans « Les Incorrectibles », fait part de son étonnement sur les circonstances de l’agression ; cinq jours plus tard, Le Figaro dresse, avec peu de distance critique, les arguments en faveur de l’innocence de Colonna.

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Ces emballements conspirationnistes, qui ne prospèrent plus seulement dans les cercles nationalistes, traduisent un succès posthume d’Yvan Colonna : condamné par la Justice, il n’en a pas moins gagné, pour l’heure, la bataille de la mémoire. Ses stratagèmes complotistes, sans être démasqués comme tels, en ont fait un héros. Il s’est éteint le 21 mars 2022 à l’âge de 61 ans. Il aura vécu un an de plus que le préfet Erignac.

 

Notes :
[1] François Santoni, Contre-enquête sur trois assassinats. Erignac, Rossi, Fratacci, Denoël, 2001 et Gallimard, 2002.
[2] Jean-Pierre Larminier, Claude Erignac et Yvan Colonna. Deux victimes pour une « affaire d’Etat », Jeanne d’Arc, 2008. « C’est la mort d’un innocent », proclamera l’auteur en apprenant la disparition de Colonna.

 

Voir aussi :

« L’affaire O.J. Simpson » : crime, théorie du complot et acquittement

Les Déconspirateurs – l’émission #15

lundi 28 mars 2022 à 22:38

Tristan Mendès France et Rudy Reichstadt décryptent l’actualité du complotisme, de la désinformation et de la haine en ligne avec David Medioni.

Au sommaire des Déconspirateurs : le complotisme électoral ; complotisme, radicalisation politique et populisme ; les résultats de l’enquête d’opinion Ifop/Fondation Reboot sur le complotisme ; les contenus sponsorisés pro-Poutine sur Facebook ; autour des travaux de Christophe Bourseiller sur le complotisme.

Invité : Christophe Bourseiller, historien, écrivain, journaliste et auteur d’une quarantaine d’ouvrages, dont Le Complotisme. Anatomie d’une religion (éd. du Cerf, 2021).

(Emission enregistrée lundi 28 mars 2022)

Sondage : le grand basculement des complotistes

dimanche 27 mars 2022 à 10:37

Selon une enquête Ifop pour la Fondation Reboot*, un tiers des Français déclarent « croire » aux théories du complot. Ils sont surreprésentés chez les sympathisants de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon.

Source : Ifop/Fondation Reboot, mars 2022.

A l’heure où la guerre de l’information fait rage entre l’Union Européenne et la Russie, combien de Français ont adopté les éléments de langage du Kremlin sur les origines de la guerre en Ukraine ? Observe-t-on une porosité entre les Français en phase avec le récit poutinien sur l’Ukraine et les « covido-sceptiques » sensibles aux discours complotistes sur les vaccins contre le Covid-19 ? Les électeurs les plus imprégnés de ces narratifs complotistes et autres discours irrationnels (ex : spiritisme) sont-ils particulièrement sensibles aux sirènes des candidats populistes ?

A l’occasion de la « Semaine de la presse et des médias dans l’École » qui vise notamment à former au jugement critique, la Fondation Reboot publie une enquête de l’Ifop sur l’impact que la propagande russe et les diverses thèses complotistes (ex : vaccins, 5G..) peuvent avoir dans l’opinion publique à un mois de l’élection présidentielle. Réalisée auprès d’un échantillon de 2 007 Français, cette enquête montre qu’en dépit des alertes des médias ou des autorités, les Français sont loin d’être imperméables à la désinformation ou aux discours complotistes. Engagement politique, âge, mode d’information… Les variables qui jouent en la matière sont nombreuses et interrogent sur la capacité des Français à faire preuve d’esprit critique.

LES CHIFFRES CLÉS
Des Français loin d’être imperméables au récit poutinien sur les origines de la guerre en Ukraine

1. Plus d’un Français sur deux (52%) croient a au moins une des thèses russes sur les origines de la guerre en Ukraine comme, par exemple, l’affirmation selon laquelle son gouvernement serait une « junte infiltrée par des mouvements néonazis » (10%), l’idée selon laquelle l’intervention militaire russe y serait « justifiée » au nom de la sécurité de la Russie (22%) ou encore la thèse selon laquelle son action y serait soutenue par des russophones victimes de « discriminations et d’agressions de la part des autorités ukrainiennes » (23%).
2. La récente décision d’interdire en France des médias russes comme Spoutnik ou RT au nom du fait qu’ils servaient aux actions de propagande russe est loin de susciter l’unanimité : plus d’un Français sur trois (34%) la désapprouvent, les plus ardents opposants à cette interdiction étant surreprésentés dans les rangs des électeurs des candidats – comme ceux d’Eric Zemmour (53%) et de Jean-Luc Mélenchon (47%) – qui ont longtemps relativisé la responsabilité russe dans cette crise tout en rejetant la faute de ces tensions sur l’OTAN.

La guerre de l’information menée par le Kremlin bénéficie d’un contexte de brouillard informationnel « post-covid » des plus propices à l’essor des théories complotistes

3. De manière générale, plus d’un Français sur trois (35%) admet aujourd’hui « croire aux théories du complot ». Ce chiffre d’ensemble masque toutefois de fortes différences en fonction du niveau socio-culturel, des affinités politiques ou des modes d’information des individus. Ainsi, les « complotistes » sont majoritaires chez les électeurs de Marine Le Pen (51%) et les Français s’informant principalement via les réseaux sociaux (53%) ou les sites de vidéos en ligne (57%) tout en étant particulièrement nombreux chez les ouvriers (49%) et les non diplômés (47%).
4. Ce nombre élevé tient au succès rencontré ces derniers mois par les thèses « anti-vax » si l’on en juge par la proportion de Français (33%) qui croient à une des théories actuellement en vogue contre les vaccins comme, par exemple, l’affirmation selon laquelle ces vaccins ont causé des dizaines de milliers de morts (19%), des maladies dégénératives (19%) ou des formes d’infertilité (16%). Un Français sur dix croit aussi que ces vaccins « empêchent les vaccinés de faire un don de leur sang » (12%) ou « contiennent des nanopuces électroniques » permettant de les pister grâce à la 5G (9%).

Dans un contexte favorable à la montée des croyances irrationnelles, une part de l’opinion bascule d’un complotisme sanitaire à la défense de la ligne Poutine sur la crise ukrainienne

5. Symptomatique du basculement d’un complotisme sanitaire vers la propagande du Kremlin observé chez certains influenceurs (ex : Booba), un quart des Français (25%) croit à la fois à au moins une des théories antivaccins et à au moins un des arguments justifiant l’invasion russe en Ukraine. Cette porosité entre les deux univers transparait aussi dans un autre chiffre : 71% des « anti-vax » croient au récit poutinien sur l’Ukraine alors que l’adhésion à la propagande russe est beaucoup plus faible (43%) chez les Français ne croyant à aucune de ces théories contre les vaccins.
6. Enfin, l’enquête confirme un fait déjà observé dans de précédentes enquêtes (ex : Ifop/Conspiracy Watch), à savoir que les croyances irrationnelles comme le spiritisme et le paranormal font le lit des idées complotisme. Alors qu’une majorité de Français (59%) croient aujourd’hui à au moins une forme de superstition – dont 27% à la sorcellerie, 29% à la voyance ou 33% au mauvais œil –, le nombre de complotistes s’avère en effet trois fois plus élevé parmi les adeptes de ces croyances irrationnelles (49%) que chez les Français ne croyant à aucune formes de spiritisme/paranormal (13%).

 

Lire les principaux enseignements de l’enquête sur le site de la Fondation Reboot.

 

* Étude Ifop pour la Fondation Reboot réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 4 au 8 mars 2022 auprès de 2 007 personnes représentatif de la population âgées de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine.

Conspiracy News #13.2022

dimanche 27 mars 2022 à 10:25

L’actu de la semaine décryptée par Conspiracy Watch (semaine du 21/03/2022 au 27/03/2022).

SONDAGE. A l’occasion de la « Semaine de la presse et des médias dans l’École » qui vise notamment à former au jugement critique, la Fondation Reboot publie une enquête de l’Ifop sur l’impact que la propagande russe et les diverses thèses complotistes (ex : vaccins, 5G…) peuvent avoir dans l’opinion publique à un mois de l’élection présidentielle. Réalisée auprès d’un échantillon de 2 007 Français, cette enquête montre qu’en dépit des alertes des médias ou des autorités, les Français sont loin d’être imperméables à la désinformation ou aux discours complotistes. Ainsi, 35% d’entre eux déclarent « croire » aux théories du complot (ils sont surreprésentés chez les sympathisants de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon). Engagement politique, âge, mode d’information : les variables qui jouent en la matière sont nombreuses et interrogent sur la capacité des Français à faire preuve d’esprit critique. Les principaux enseignements de l’enquête sont à découvrir sur le site de la Fondation Reboot.

Source : Ifop/Fondation Reboot, mars 2022.

ISABELLE FERREIRA. Isabelle Ferreira, proche des milieux des Gilets jaunes, a été retrouvée morte, noyée, à Saint-Malo le 6 mars dernier. Depuis, des membres de la mouvance complotiste évoquent un décès suspect, assurant que la victime allait faire des révélations compromettantes sur Brigitte Macron, l’épouse du président de la République. Sauf que rien, dans les premiers éléments de l’enquête, ne permet d’accréditer cette thèse (source : France Bleu, 25 mars 2022).

DRAME DE MONTREUX. Jeudi 24 mars, une famille composée d’un homme, de son épouse, de la sœur jumelle de celle-ci et de leur fillette de 8 ans, a chuté du balcon de l’immeuble où elle habitait à Montreux (Suisse). Seul rescapé, un adolescent de 15 ans, grièvement blessé. Ce dernier était scolarisé à domicile tandis que la fillette de 8 ans n’avait aucune existence administrative. Plusieurs hypothèses ont été évoquées dans l’affaire pour tenter de comprendre ce qui a vraisemblablement conduit ces personnes à se défenestrer. La police aurait ainsi investigué puis exclu la piste sectaire, avant de s’orienter vers une dimension complotiste, voire apocalyptique, sur fond de survivalisme (source : Le Temps, 25 mars 2022).

ONU. Chaque année depuis 2005, la Russie fait voter par l’Assemblée générale des Nations unies une résolution condamnant le nazisme, instrumentalisant sans vergogne une thématique grave afin de détourner l’attention vers l’Occident et, depuis 2014, l’Ukraine. Nicolas Bernard revient sur cette banale opération de propagande poutinienne (source : Conspiracy Watch, 22 mars 2022).

« DÉNAZIFICATION ». Le 24 mars, le porte-parole de l’ambassade de Russie en France explique sur le plateau de BFM TV que l’armée russe ne vise pas les civils en Ukraine mais « les bataillons nazis ». Alexander Makogonov affirme que « ce sont les Ukrainiens qui utilisent les civils en tant que boucliers humains » (source : Tristan Mendès France/Twitter, 24 mars 2022).

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COMPLORAMA. Aujourd’hui, une frange minoritaire du rap tombe parfois dans le complotisme. Le rappeur Booba aux 20 ans de carrière, qui compte plus de 5 millions d’abonnés rien que sur Twitter, a embrassé la cause de Vladimir Poutine et est devenu une nouvelle figure de proue du complotisme sur les réseaux sociaux.  « Le complotisme dans le rap », c’est le 25e épisode de Complorama avec Rudy Reichstadt et Tristan Mendès France. Un podcast à retrouver sur le site de Franceinfo, l’application Radio France et plusieurs autres plateformes comme Apple podcasts, Podcast Addict, Spotify, ou Deezer.

ÉLECTION « VOLÉE ». Le 22 mars, Valérie Pécresse affichait sa présence au Dôme de Paris pour participer à la grande soirée politique du magazine Valeurs actuelles, organe des droites radicales. De nouveau, elle entonnait le refrain de l’« élection volée » en affirmant revivre « le scénario de 2017 » (source : Libération, 23 mars 2022). La candidate LR faisait ici allusion à l’élimination de François Fillon au premier tour de l’élection présidentielle de 2017. Confronté à une succession d’affaires judiciaires, celui qui était alors candidat Les Républicains expliquait tenir la preuve éclatante de la « machination » organisée contre lui par les socialistes. Nicolas Dupont-Aignan, pour sa part, assure que l’élection présidentielle est « une élection truquée, une élection d’une oligarchie, une élection qui vise à faire taire des gens qui pensent différenmment ».

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Une « petite musique qu’on entend de plus en plus à l’approche de l’élection présidentielle » comme l’explique Rudy Reichstadt dans sa dernière chronique parue dans Franc-Tireur consacrée à « ceux qui crient déjà au vol ! » (source : Franc-Tireur, 23 mars 2022).

AFFAIRE DAILLET. Cinq hommes et deux femmes parmi lesquels la figure antivax Virginie de Araujo-Recchia et le Gilet jaune Sylvain Baron ont été placés en garde à vue le 23 mars par les enquêteurs de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) sur commission rogatoire des juges antiterroristes chargés du dossier sur l’influenceur complotiste Rémy Daillet, impliqué dans des projets de coup d’État et d’actions violentes (source : Le Parisien, 23 mars 2022). Proche des « Gilets jaunes constituants », Sylvain Baron a désigné l’avocat Juan Branco pour défendre ses intérêts. Quant à Me de Araujou-Recchia, elle est aussi l’un des avocats de Rémy Daillet.

NÉONAZISME. Le 18 mars, des gendarmes de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH) ont interpellé Mathieu B. de retour d’Ukraine. Mis en examen et placé sous contrôle judiciaire le 20 mars 2022 pour « injures à caractère raciale et provocation à la haine par voie électronique », le militant néo-nazi, qui se fait aussi appeler « Le Grand Monarque », développe depuis plusieurs années des thèses associant un virulent antisémitisme aux théories du complot les plus farfelues (source : Le Monde, 24 mars 2022).

« NOUVEL ORDRE MONDIAL ». Dans sa chronique « Antidote » du 25 mars sur France Inter, Tristan Mendès France est revenu sur une discours du président américain Biden qui a évoqué un « nouvel ordre mondial ». Ce qui pourrait être une expression assez banale, a eu un écho spectaculaire dans la complosphère mondiale. Une viralité accentuée par de nombreux influenceurs complotistes qui n’ont pas manqué de faire le buzz sur l’intervention de Biden (source : France Inter, 11 mars 2022). À noter que parmi eux figurait Florian Philippot (source : Rudy Reichstadt/Twitter, 22 mars 2022).

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LUCIEN CERISE. Récemment, ce conférencier conspirationniste évoluant dans la mouvance soralienne a fait sienne la théorie du complot sur de prétendus « réseaux paramilitaires et terroristes de l’OTAN ». Le 12 mars, il écrivait sur le site Strategika : « Avec l’intervention militaire russe, le Gladio néo-nazi ukrainien et le Gladio B djihadiste risquent de se répandre en Europe en se mêlant aux « réfugiés de guerre », avec le soutien financier des réseaux mondialistes de l’ONU ou de George Soros, afin d’organiser dans les capitales occidentales des attentats sous faux drapeau qui seront attribués à la Russie. » Lire la notice que Conspiracy Watch vient de consacrer à Lucien Cerise.

DÉSINFORMATION. Dans La Dépêche, Nicolas Hénin revient sur le dispositif de communication stratégique mis en place par les Russes en Occident qui a explosé à l’occasion de la guerre en Ukraine, avec la suspension des médias du Kremlin et l’exposition d’un certain nombre d’acteurs compromis. Il insiste également sur les narratifs antisystèmes poussés par le Kremlin, les réflexes consistant à se méfier viscéralement des institutions, des médias, à chercher partout des vérités alternatives dans une logique de complotisme qui ont été considérablement renforcés. Le journaliste revient ainsi sur les communications sur les réseaux sociaux de l’avocat Fabrice Di Vizio qui sont passées quasiment du jour au lendemain à un soutien sans faille aux thèses colportées par le Kremlin sur le conflit en Ukraine. À ce titre, conclut-il, la stratégie russe a fait en France des dégâts qui demeurent visibles et profonds (source : La Dépêche, 23 mars 2022).

Revoir aussi l’édito de Patrick Cohen sur le même sujet :

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LES DÉCONSPIRATEURS. Cette semaine, Tristan Mendès France, Rudy Reichstadt et David Medioni ont reçu Chine Labbé, journaliste et responsable de NewsGuard pour l’Europe et le Canada. Au sommaire des Déconspirateurs : quand Joe Biden parle de « nouvel ordre mondial » ; le complotisme dans le rap ; la désinformation autour du conflit en Ukraine ; un « vol » de l’élection présidentielle ? ; NewsGuard, un outil de lutte contre la désinformation (source : Conspiracy Watch, 24 mars 2022).

Les Déconspirateurs – l’émission #14

jeudi 24 mars 2022 à 06:35

Tristan Mendès France et Rudy Reichstadt décryptent l’actualité du complotisme, de la désinformation et de la haine en ligne avec David Medioni.

Au sommaire des Déconspirateurs : quand Joe Biden parle de « nouvel ordre mondial » ; le complotisme dans le rap ; la désinformation autour du conflit en Ukraine ; un « vol » de l’élection présidentielle ? ; NewsGuard, un outil de lutte contre la désinformation.

Invitée : Chine Labbé, journaliste, responsable de NewsGuard pour l’Europe et le Canada.

(Emission enregistrée mercredi 23 mars 2022)