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Conspiracy Watch | L'Observatoire du conspirationnisme

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« Manifeste conspirationniste » : une ultragauche au Seuil de l’extrême droitisation

samedi 26 février 2022 à 13:38

Quand une fraction de l’ultragauche, autour du célèbre Julien Coupat de « l’affaire » dite « de Tarnac », et une grande maison d’édition, les éditions du Seuil et, aux avant-postes, son PDG de gauche Hugues Jallon, coopèrent en justifiant le conspirationnisme et des rapprochements avec l’extrême droite…

Montage CW.

Le nom de Julien Coupat a connu la visibilité médiatique avec  « l’affaire de Tarnac », ouverte par le sabotage de lignes TGV en novembre 2008. Coupat a alors été mis en examen et en détention provisoire avec d’autres camarades. La qualification de « terrorisme » est toutefois définitivement abandonnée par la Cour de cassation en janvier 2017. En avril 2018, Coupat est relaxé par le Tribunal correctionnel de Paris. Mais Coupat est aussi une figure du Comité invisible, galaxie qualifiée d’« appeliste » à cause d’un texte fondateur de ce groupe de 2003 (parfois indiqué par erreur de 2004) : L’Appel. Ce Comité invisible est l’auteur de trois livres publiés aux éditions de La Fabrique : L’insurrection qui vient (2007), À nos amis (2014) et Maintenant (2017). Il participe d’une mouvance plus large que l’on appelle « l’ultragauche » [1]. Il s’agit d’un espace militant composite issu de l’extrême-gauche soixante-huitarde mêlant plus ou moins des références conseillistes, situationnistes, anarchistes et autonomes, distinct des partis d’inspiration trotskyste ou maoïste et de l’anarchisme organisé comme de « la gauche radicale » émergeant dans les années 1990. Pour le Comité invisible, la filiation situationniste, et en particulier la figure de Guy Debord (1931-1994), est, entre autres, importante. C’est pourquoi il est fréquent de l’associer au « post-situationnisme ».

De l’ultra-systémisme au conspirationnisme

Sans mention de noms d’auteurs, les Éditions du Seuil ont publié le 21 janvier 2022 un Manifeste conspirationniste. Les enquêtes de Thomas Mahler sur le site de L’Express et d’Olivier Tesquet sur le site de Télérama font de Julien Coupat un des principaux auteurs de ce livre anonyme. Par contre, le Comité invisible s’est dissocié du livre dans un tweet du 20 janvier 2022. Vraisemblablement, le livre est principalement de la main de Julien Coupat, aidé par quelques autres militants d’ultragauche hors Comité invisible. C’est pourquoi dorénavant je parlerai de Coupat et al. pour désigner les auteurs.

Le Manifeste conspirationniste introduit une rupture par rapport aux trois ouvrages du Comité invisible. L’insurrection qui vient exprime un ultra-systémisme adossé à une arrogance post-adolescente où tout est impitoyablement sous l’emprise d’un « système » objectif et toute contestation est récupérée par « le système »… sauf l’appelisme. Ce qui tient d’une sorte de magie à caractère mystique. Déjà La Société du Spectacle (1967) de Guy Debord dessinait un ultra-systémisme objectif dont personne ne semblait pouvoir sortir et la perspective pourtant proposée d’une « auto-émancipation » via « les Conseils ouvriers révolutionnaires » [2] semblait relever de ce que dans les croyances religieuses on nomme un miracle. À nos amis s’est révélé plus intéressant, car l’arrogance commençait à se fendiller dans la confrontation avec les contradictions du réel. On y trouve toutefois quelques formulations à tonalité conspirationniste. Maintenant est, selon moi, le meilleur livre du Comité invisible, car il apporte à la pensée radicale, dans les chocs même de l’expérience, une lucidité créatrice portée par une sérénité mélancolique dans une langue poético-théorique rare.

Patatras avec le Manifeste conspirationniste ! À régression toute ! Les marges conspirationnistes d’À nos amis occupent le centre, un négationnisme larvé et une délégitimation de la critique de l’antisémitisme apportent leurs miasmes, des alliances à l’extrême droite deviennent possibles. L’arrogance refait son apparition dans ses modalités les plus ridicules. Coupat et al. se veulent héritiers de la grande tradition des pensées critiques mais, au bout du compte, ils sont à mille lieux d’atteindre les simples éclairs d’intelligence de la philosophie de l’humilité d’Eddy Mitchell – « La vie les a doublés » – et d’Alain Souchon – « Dérision de nous, dérisoires ».

L’ultra-systémisme objectif, mettant l’accent sur le poids de la domination de structures sociales impersonnelles, et le conspirationnisme, faisant de manipulations cachées la clé de l’explication, ne sont-ils pas antagoniques ? Oui, d’un point de vue logique, car le premier – bien qu’homogénéisant trop le réel et sous-estimant les possibilités émancipatrices, à la différence de Karl Marx lui-même dessinant une analyse du capitalisme en termes de contradictions et d’un jeu de tendances et de contre-tendances laissant ouvertes des brèches émancipatrices – relève de mécanismes inintentionnels et le second d’un intentionnalisme. Cependant le sociologue Pierre Bourdieu nous a appris que la logique des logiciens et les logiques pratiques relevaient de deux registres bien différents [3]. Déjà Debord était passé de l’ultra-systémisme de La Société du Spectacle à des allégations complotistes dans la préface à la quatrième édition italienne du livre en 1979 à propos du prétendu contrôle des Brigades rouges par les « services spéciaux » de l’État italien [4]. Plus près de nous, cela a été aussi le cas, d’une autre référence intellectuelle du Comité Invisible, le philosophe italien Giorgio Agamben au cours de l’épidémie actuelle de Covid-19, en hésitant entre ultra-systémisme et intentionnalisme complotiste échevelé, comme l’a montré le linguiste François Rastier dans Conspiracy Watch. Coupat et al. tentent à un moment une justification conceptuelle quelque peu bancale de ce type de passage en parlant, comme Agamben, de « conspirations objectives » (p. 52). Il y a toutefois un appui cognitif et rhétorique implicite commun entre les deux registres, qui n’est explicité ni par Debord, ni par Agamben, ni par Coupat et al. : la catégorie de totalité. Totalité objective dans le premier registre et totalité intentionnelle dans le second, mais avec dans les deux cas la prétention de tenir le « tout » dans sa main conceptuelle, sans trouées du réel, ni incertitude, ni aléas.

Bien avant le Manifeste conspirationniste, des dérèglements complotistes ont travaillé l’ultragauche avec la constitution d’un pôle négationniste en son sein à la croisée des années 1970 et des années 1980 [5]. Par exemple, Jean-Gabriel Cohn-Bendit (1936-2021), le frère ainé de Dany, a pu soutenir une partie des thèses de Robert Faurisson sur les chambres à gaz nazies en tant « Juif libertaire » [6]

Les traits d’une rhétorique conspirationniste

La revendication du conspirationnisme, dans le titre même du livre, relève bien sûr chez Coupat et al. de la provocation, technique courante dans les milieux situationnistes et post-situationnistes. Mais cela ne peut pas être réduit à de la provocation. Tout d’abord, le livre emboîte le pas à la disqualification de la critique du complotisme, maintenant assez balisée dans les discours ultraconservateurs et confusionnistes, d’Éric Zemmour à Frédéric Lordon, en passant par Michel Onfray et Natacha Polony : « la fulmination de tous les pouvoirs contre les conspirationnistes » (p. 9), « la meute des chiens de garde » (p. 26) ou « une supposée « épidémie de conspirationnisme » » (p. 185). Plus, la critique du conspirationnisme serait elle-même partie prenante du complot : « la rhétorique anticonspirationniste sert, en fait, depuis sa naissance à couvrir une intense activité conspirative » (p. 36).

Toutefois, Coupat et al. ne se contentent pas de mettre en cause la critique du complotisme, mais ils pratiquent à longueur de pages la rhétorique conspirationniste. On part alors d’un prétendu mensonge, un ÉNHAURME mensonge : « la mise en scène d’une meurtrière pandémie mondiale […] était bien une mise en scène » (p. 8), « la divine surprise d’un nouveau coronavirus » (pp. 91-92), « toute cette entreprise d’effroi planétaire planifié autour du Covid » (p. 103), « le coup de mars 2020 » (p. 155)… Mensonge qui s’appuierait sur une « propagande régnante » qui « durcit sa férule » (pp. 9-10). Dans cette contre-narration d’un épidémie-illusion, les morts du Covid-19 sont oubliés, comme l’a noté le philosophe Mathieu Potte-Bonneville, « parce que compte moins au fond la vie et la mort des figurants de cette mise en scène (on songe aux brésiliens, aux tunisiens, aux 120000 disparus d’ici) que leur aptitude à servir de marchepied pour pérorer à leur place ». Et, pour nos doctes anti-médecins, « les « vaccins » sont plus néfastes que le virus pour la plupart des gens » (p. 167).

Cette propagande titanesque couvrirait un « plan » et « il y a des étapes dans le plan » (p. 68). Dans ce cadre, « un enchaînement somme toute logique est prévu, dont au moins la première moitié a été amplement répétée » (ibid.). Ici, Thomas Mahler montre sur le site de L’Express que Coupat et al. recourent, à propos de la préparation du dit « plan », à des pseudo-« sources » similaires à celles promues par le récit complotiste d’une des jointures présentes entre la droite radicalisée et l’extrême droite : Philippe de Villiers.

Le complot pandémique serait une réponse à une série de crises menaçant la stabilité du « système » au cours de l’année 2019 (Hong Kong, Liban, Algérie, Catalogne, Chili, Irak, Colombie…) : « quiconque se met dans la peau de l’une quelconque des puissances organisées qui ont intérêt au maintien de l’ordre mondial en conviendra : en cet automne 2019, il est temps de siffler la fin de la récréation » (p. 89).

Pourtant, les origines de ce grand complot seraient plus lointaines : « Toute l’histoire commence à la veille de la Seconde Guerre mondiale, aux États-Unis » (p. 144). Et le grand complot se déploie alors sans entraves d’hier à aujourd’hui :

« C’était en 1951.
Mission accomplished ! » (p. 150)

Car il y aurait une « constellation de points tous liés entre eux malgré leur éclatement apparent » (p. 183). Tout se tient et ils se tiennent tous ! Dans la quête des supposées origines, on est conduit à revenir toujours plus loin : « on peut faire remonter cette façon spéciale d’exercer le pouvoir à la naissance de l’économie politique au XVIIIe siècle » (p. 192) Et d’ailleurs, il n’y a pas de hasard : « Le fondateur de la « secte des économistes », François Quesnay, n’était pas pour rien chirurgien du roi » (p. 251). Tout se tient, ils se tiennent tous et il n’y a pas de hasard… pour la rhétorique conspirationniste.

Coupat et al. participent ainsi de « l’idole des origines » si bien diagnostiquée par l’historien Marc Bloch [7]. Pour Bloch, cette véritable « hantise des origines » méconnaît que « pour la plupart des réalités historiques, la notion même de ce point initial demeure singulièrement fuyante » [8]. Le Manifeste conspirationniste ne cache guère cette manie explicative :

« L’engigneor, l’ingénieur, était déjà au XIIe siècle celui qui conçoit pour les princes fortifications et machines en vue d’assiéger.
Il n’en a pas fini avec cette origine, qui doit le poursuivre toujours, comme toute origine véritable. » (p. 123)

Affaiblissement conspirationniste de la critique sociale structurelle

Dans cette logorrhée verbale, on ne trouve guère d’outils pour clarifier conceptuellement le problème du conspirationnisme. Mais, en creux, par ses manques même, ses confusions et ses amalgames, le livre nous invite à des distinctions heuristiques. En premier lieu, on a déjà souligné ailleurs l’importance de distinguer les complots et les théories du complot, ce que ne font pas Coupat et al. Parler de complots renvoie à des manipulations cachées dans l’histoire humaine. Or, il y a bien eu et il y a des manipulations cachées dans notre histoire. Cependant un complot ne constitue au plus, pour les sciences sociales contemporaines, qu’un facteur en interaction avec d’autres facteurs dans la fabrication d’un événement, à l’intérieur d’une explication plurifactorielle. Les théories du complot se présentent, par contre, comme des récits mettant en leur cœur explicatif un complot. Le complot serait le principal facteur explicatif, comme si une manipulation cachée pouvait rentrer dans la chair des rapports sociaux comme dans du beurre, sans rencontrer ni d’autres facteurs, ni d’autres logiques, ni des résistances. C’est pourquoi, du point de vue des sciences sociales, ces théories sont erronées.

Il faudrait ajouter une troisième catégorie à celles de complots et de théories du complot : celle d’humeur conspirationniste, que Rudy Reichstadt qualifie de « soupçonnite » [9]. Il s’agit d’une tendance socio-psychologique consistant à aller spontanément chercher du côté de complots un fil explicatif par rapport à des événements qui surviennent. Coupat et al. cumulent humeur conspirationniste et théorie du complot.

Les auteurs du Manifeste conspirationniste s’affichent « profonds ». « Nous vaincrons parce que nous sommes plus profonds » : ce titre du dernier chapitre du livre (pp. 325-379) est reproduit en quatrième de couverture. Ils s’avèrent en fait superficiels, ou plus précisément ils se présentent comme des acteurs d’un dérèglement superficiel de la critique sociale structurelle portée historiquement par la gauche et la pensée critique, c’est-à-dire la critique de mécanismes impersonnels qui contraignent nos vie (capitalisme, étatisme, rapports de classes, de genres, raciaux…). Deux des auteurs qu’ils mobilisent pourtant au service de leurs dérives complotistes se situent aux antipodes de leur simplisme : Karl Marx (1818-1883) et Franz Kafka (1883-1924).

Dans la préface à la première édition du livre I du Capital en 1867, Marx nous enjoints de considérer le capitalisme comme une machinerie impersonnelle, qui n’est contrôlée par personne :

« Je n’ai pas peint en rose le capitaliste et le propriétaire foncier. Mais il ne s’agit ici des personnes, qu’autant qu’elles sont la personnification de catégories économiques, les supports d’intérêts et de rapports de classes déterminés. Mon point de vue […] peut moins que tout autre rendre l’individu responsable de rapports dont il reste socialement la créature, quoi qu’il puisse faire pour s’en dégager. » [10]

On est loin du Manifeste conspirationniste si obsédé par la CIA, comme dans un blockbuster hollywoodien !

En 1921, Kafka critique de manière éclairante une caricature représentant le capital comme un gros homme assis sur l’argent des pauvres, car selon lui l’image est « fausse et juste à la fois » :

« Juste dans une direction seulement. […] Le gros homme en haut-de-forme vit sur le dos des pauvres qu’il écrase, c’est juste. Mais que le gros homme soit le capitalisme, ce n’est plus tout à fait juste. Le gros homme domine le pauvre dans le cadre d’un système déterminé, mais il n’est pas le système lui-même. Au contraire, il porte lui aussi des chaînes, qui ne sont pas représentées sur ce dessin. […] Le capitalisme est un système de dépendances qui vont […] de haut en bas et de bas en haut. » [11]

Pour Kafka, le capitalisme est un entrecroisement de rapports de dépendances, enchaînant les capitalistes eux-mêmes, même s’ils en profitent au détriment des prolétaires, mais pas une manipulation du monde par les capitalistes.

Dans ce cadre superficiel, en remplaçant souvent l’enquête par des anecdotes et les concepts par des mots mis en italique, Coupat et al. affadissent un peu plus la critique sociale.

Les éditions du Seuil et Hugues Jallon : du coup éditorial à l’embourbement confusionniste

S’il ne s’était agi que d’une figure marginale comme Julien Coupat au sein de la galaxie elle-même très minoritaire de l’ultragauche, cela n’aurait pas constitué un événement idéologique inquiétant. Cela n’aurait été qu’une petite contribution aux interférences confusionnistes entre discours d’extrême droite, de droite et de gauche analysées dans mon livre La grande confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées (éditions Textuel, mars 2021) ; ces interférences confusionnistes favorisant l’extrême droitisation des débats publics depuis le milieu de années 2000 et le conspirationnisme en constituant une des tuyauteries cognitives et rhétoriques principales.

L’inquiétude vient surtout de la légitimité intellectuelle donnée à la démarche du livre par son éditeur, une des grandes maisons d’édition dotée historiquement d’un prestige intellectuel : les éditions du Seuil. Ces effets légitimants peuvent être lus comme un effet collatéral d’un coup éditorial valorisant la provocation politique d’une célébrité médiatique en contexte épidémique, en pariant sur les effets commerciaux du « politiquement incorrect », si prisé aujourd’hui dans les cercles ultraconservateurs et confusionnistes. Le risque est alors qu’il devienne radical chic dans certains milieux mondains parisiens de s’afficher « conspirationniste », en se sentant autorisé par cette publication au Seuil.

Il n’y a cependant pas que cela, car la direction des éditions du Seuil aurait pu en faire un livre comme un autre. Or, le PDG du Seuil, Hugues Jallon, a pris directement la défense du livre, comme il le fait rarement pour des livres qu’il publie. Les déclarations de Jallon à Olivier Tesquet de Télérama sont même sidérantes par rapport à la médiocrité intellectuelle du livre : « c’est un livre qui va  faire date, tout simplement parce qu’il propose d’autres perspectives pour penser ce qui nous arrive » Et il ajoute : « une proposition politique originale, passionnante, intellectuellement structurée, même [si je suis] en désaccord avec certaines analyses ». Le titre de l’ouvrage serait même « une provocation à l’intelligence ». Mazette !

Légitimation intellectuelle renforcée donc du Manifeste conspirationniste ! Également légitimation politique de gauche, Jallon étant une personnalité de la gauche radicale : ancien PDG des éditions La Découverte (2014-2018) et, dans ce cadre, cofondateur en 2015 de la Revue du crieur, coéditée par La Découverte et Mediapart. Cette double légitimation intellectuelle et politique a déjà fait une première victime : Hervé Kempf, ancien journaliste du Monde, fondateur et rédacteur en chef du site écologiste anticapitaliste Reporterre.net, par ailleurs auteur du Seuil. Il a été enthousiasmé par l’ouvrage de Coupat et al. :

« Il faut voir le livre, à côté de son armature générale très convaincante, comme un tourbillon remuant l’air intellectuel tétanisé depuis deux ans par l’injonction du Covid. Tout conspire à ce que ce tourbillon et d’autres à venir balaient les miasmes qui stagnent dans nos esprits confinés. »

Le double parrainage par le Seuil et Jallon n’est pas seulement préoccupant à cause la contribution indirecte du conspirationnisme à l’extrême droitisation en cours des espaces publics. Le livre de Coupat et al. va plus loin, avec un négationnisme larvé, une disqualification de la critique de l’antisémitisme, voire une certaine justification de ce dernier, ainsi que des rapprochements plus directs avec l’extrême droite.

Négationnisme larvé ? Le nazisme et la Shoah en particulier, les expériences totalitaires en général, sont implicitement relativisés par des outrances rhétoriques concernant notre présent : « terreur » (p. 17), « une machine d’extermination éthique » (p. 143), « les maîtres de ce monde veulent se débarrasser de nous » (p. 221), « une tentative d’anéantissement » (p. 275), « des vocations de collabos » (p. 357), la comparaison avec la Résistance « à Paris en juillet 1940 » (p. 360), « torture blanche » (p. 365)…

Source : Égalité & Réconciliation, 24/01/2022 (capture d’écran).

Disqualification de la critique de l’antisémitisme ? La critique de l’antisémitisme est assimilée à une « ficelle fatiguée contre Nuit Debout puis les Gilets jaunes » utilisée par « les médias », une « manœuvre » visant « toute opposition tranchée à l’ordre existant » (p. 269). Cette délégitimation de la critique de l’antisémitisme a fait florès ces derniers temps chez l’économiste Frédéric Lordon, le philosophe Michel Onfray ou l’avocat « gilet jaune » François Boulo [12]. Elle participe à la minoration confusionniste de l’antisémitisme dans des secteurs de la gauche. Mais Coupat et al. poussent le bouchon plus avant vers une justification honteuse de l’antisémitisme. Car, selon eux, « cette manœuvre » conduirait à « acculer » à l’antisémitisme « ceux qui n’en peuvent plus » (p. 269). Ce sont les critiques de l’antisémitisme qui pousseraient les contestataires de l’ordre établi vers un antisémitisme avec lequel ils n’avaient rien à voir au départ. CQFD.

Rapprochement plus direct avec l’extrême droite ? « Il n’y a pas à craindre le contact » avec les « fascistes » au sein de manifestations communes (p. 377). Contact qui peut se faire  « à coups de poing », mais aussi dans quelque chose qui pourrait ressembler à une alliance nouvelle, dans le plaisir « de se découvrir des frères et des sœurs là même où l’on s’y attendait le moins » (ibid.). Tiens donc ! Cela suppose de récuser « les prêches de pureté » (ibid.). Cela n’apparaît pas très cohérent dans un Manifeste où toute « gauche » est irrémédiablement condamnée comme impure par essence (pp. 49-51 et 331-332). Un terrain d’entente possible avec ces nouveaux « frères » et « sœurs » ? La primauté donnée à « la vengeance » (pp. 365-368), comme carburant socio-affectif, et donc au ressentiment. Du côté de l’extrême droite, certains ont bien entendu le message. Dès le 24 janvier 2022, le site nationaliste et antisémite créé par Alain Soral, Égalité & Réconciliation, met en ligne un texte intitulé « Quand l’extrême gauche comprend que le conspirationnisme est la nouvelle intelligence politique ». Il y avance notamment :

« On peut donc écrire que le complotisme intelligent de la droite nationale, ou même d’E&R, a contaminé la partie la plus sérieuse, celle qui réfléchit sans œillères, de l’extrême gauche, et elle est compatible, sur cette base d’accord, avec le populisme intellectuellement avancé, dont nous sommes. Naturellement, la bande à Coupat n’adhérera pas à E&R, mais des programmes communs se profilent ».

Le Manifeste conspirationniste échappe toutefois par moments à la gluance confusionniste. On y trouve, par exemple, quelques feuilles stimulantes sur les composantes spirituelles de l’émancipation sociale (pp. 348-353), à rebours du desséchement spirituel actuel des gauches. Mais, sises au milieu d’un fatras nauséabond, on ne peut guère en faire quelque chose.

 

Notes :
[1] Voir Audric Vitiello, « « Ultra-gauche » : esquisse de généalogie d’un courant politique radical », Fondation Jean-Jaurès, 15 mars 2019.
[2] Guy Debord, La Société du Spectacle [1e éd. : 1967], Paris, Gallimard, collection « Folio », 1996, &116-124, pp. 116-121, et &221, p. 209.
[3] Voir Pierre Bourdieu, Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980.
[4] Guy Debord, Préface à la quatrième édition italienne de « La Société du Spectacle » [1e éd. : 1979], dans Commentaires sur la société du spectacle, Paris, Gallimard, collection « Folio », 1996, pp. 119-147.
[5] Voir Valérie Igounet Histoire du négationnisme en France, Paris, Seuil, 2000.
[6] Voir Philippe Corcuff, « Négationnisme d’ultra-gauche et pathologies intellectuelles de la gauche. À propos d’un texte de Jean-Gabriel Cohn-Bendit de 1981 », dans Philippe Mesnard (éd.), Consciences de la Shoah. Critique des discours et des représentations, Paris, Éditions Kimé, 2000, pp. 260-273, repris sur le site PHDN (Pratique de l’Histoire et Dévoiements Négationnistes), 20 décembre 2021.
[7] Dans Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien [manuscrit inachevé écrit en 1940-1943], Paris, Armand Colin, 1974, pp. 25-29.
[8] Ibid., p. 25.
[9] Dans Rudy Reichstadt, L’Opium des imbéciles. Essai sur la question complotiste, Paris, Grasset, 2019, p. 155.
[10] Karl Marx, Le Capital, préface à la 1e édition du livre I [1867], repris dans Philippe Corcuff (éd.), Marx XXIe siècle. Textes commentés, Paris, Textuel, 2012, pp. 17-18.
[11] Franz Kafka, 1921, cité par Michael Löwy, Franz Kafka rêveur insoumis, Paris, Stock, 2004, p. 27.
[12] Voir Philippe Corcuff, La grande confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées, Paris, Textuel, 2021, pp. 425-427.

Les Déconspirateurs – l’émission : hors-série avec Yascha Mounk

mardi 22 février 2022 à 18:49

Cette semaine, Les Déconspirateurs vous proposent en guise de hors-série une interview du politologue germano-américain Yascha Mounk par Rudy Reichstadt.

Yascha Mounk est professeur de politique internationale à l’université Johns Hopkins, senior fellow au Council on Foreign Relations, collaborateur de la revue The Atlantic et fondateur du site Persuasion. Il est l’auteur de l’essai Le Peuple contre la démocratie (éd. de L’Observatoire, 2018) et vient de publier La Grande expérience (éd. de L’Observatoire, 2022).

(Entretien réalisé à Paris le 19 janvier 2022)

« Qui a trahi Anne Frank ? » : une thèse flirtant ouvertement avec le complotisme

lundi 21 février 2022 à 07:33

Le livre Qui a trahi Anne Frank ? de Rosemary Sullivan soutient une thèse critiquable, mâtinée de complotisme.

Vincent Pankoke interviewé dans « 60 Minutes Overtime » sur CBS News (capture d’écran YouTube, 17/01/2022).

« Que serait-elle devenue, la merveilleuse enfant qui, sans le savoir, a écrit cette manière de chef d’œuvre, s’interrogeait l’historien Daniel-Rops dans sa préface à la première édition française du Journal d’Anne Frank parue en 1950. On ne pense pas sans déchirement à tout ce que cette sensibilité et cette intelligence si bien harmonisées eussent pu donner si l’affreuse machine aux masques nombreux qui est en train de broyer notre civilisation entière ne les avait, il y a cinq ans, dévorées, anéanties. » [1]

L’un de ces « masques nombreux » n’est toutefois jamais tombé. Aujourd’hui encore, impossible de poser un nom et un visage sur la personne qui, un beau jour de l’été 1944, a révélé aux nazis que les familles Frank et Van Pels se cachaient dans l’annexe secrète d’un immeuble d’Amsterdam. Bien des suspects ont défilé devant les enquêteurs de la police néerlandaise, puis les historiens : un magasinier malhonnête, Willem Van Maaren ; l’épouse d’un autre magasinier, Lena Hartog-Van Bladeren ; un « collabo » hollandais, Tonny Ahlers ; et ainsi de suite, mais sans jamais autre chose que de fragiles présomptions en guise de preuve – et de fermes dénégations à défaut d’aveu des principaux intéressés [2].

Une enquête récente va jusqu’à suggérer l’hypothèse que l’arrestation des Frank et des Van Pels serait le fruit du hasard, les nazis ayant fouillé l’immeuble alors qu’ils conduisaient une enquête sur un trafic de tickets de rationnement – mais l’affirmation peine à convaincre entièrement [3].

Il est vrai que, selon l’historien Jacob Presser, plusieurs milliers de Juifs des Pays-Bas « perdirent la vie à cause de dénonciations, anonymes ou autres, commises parfois par ceux qui les recueillaient », sachant que les listes de Juifs en fuite étaient diffusées par la police hollandaise, et que chaque Juif dénoncé rapportait une petite prime au délateur [4]. Si des « chasseurs de Juifs » ont pu être retrouvés et appréhendés, il n’en est hélas pas de même du menu fretin.

Au fur et à mesure que le Journal gagnait en notoriété, jusqu’à faire de cette jeune diariste l’une des figures les plus célèbres de la Shoah, le mystère entourant son dénonciateur n’a pas manqué d’intriguer le grand public. Evoquant Karl Silberbauer, le S.S. qui avait arrêté Anne Frank, Simon Wiesenthal, célèbre « chasseur de nazis », écrivait que cet homme, « cela va de soi, n’a pas la moindre importance. Comparé à bien d’autres noms de mes dossiers, il n’est personne, un vrai zéro. Mais la silhouette qui se profile devant ce zéro est celle d’Anne Frank. » [5] Même constat s’agissant du délateur, à tel point que son identité est devenue une véritable énigme historique, lourde de dérives. La dernière théorie en date en est une regrettable illustration.

Un Judas moderne

Ladite théorie, de prime abord, présente tous les appas du travail sérieux. Ayant fait l’objet d’un plan de communication redoutable, traduite en 23 langues, et exposée par la plume alerte de la journaliste canadienne Rosemary Sullivan, elle résulte d’une enquête conduite par toute une équipe de chercheurs (« l’équipe »), de surcroît dirigés par un agent du FBI à la retraite, Vincent Pankoke. Recherches archivistiques, recoupements de documents et de témoignages, expertises scientifiques ultra-modernes, rien ne semble avoir été épargné pour identifier le traître [6].

Lequel ne serait autre qu’un notaire juif, Arnold van den Bergh (1886-1950), également membre du Conseil juif d’Amsterdam – instance mise en place par les nazis pour encadrer la communauté juive locale, à l’instar de ce qui était pratiqué dans les autres pays occupés. Le suspect aurait certes cherché à sauver sa propre famille, ce qui n’aurait rien d’inédit, et son geste, à le supposer établi, relèverait surtout de la « collaboration de la corde et du pendu » [7].

L’accusation n’en demeure pas moins des plus troublantes. Elle fait de ce défunt notaire un avatar contemporain de Judas, ouvrant la voie à des insinuations antisémites selon lesquelles les Juifs, en dénonçant les Juifs, seraient aussi responsables de la Shoah. Le plus grave, toutefois, est ailleurs : l’accusation, en effet, n’a aucun fondement, et révèle même des « tics » conspirationnistes.

Une enquête sérieuse, digne des Experts, NCIS et autres héros de Cold Case, faisant appel à des expertises ADN et autres « intelligences artificielles » ? La lecture de l’ouvrage de Rosemary Sullivan témoigne surtout d’une relecture de documents et de témoignages connus, comme l’a observé le New York Times : « En définitive, les outils de haute technologie ont joué un rôle minime dans leurs découvertes, lesquelles découlent surtout du fait que les enquêteurs ont rouvert de vieilles pistes. » Ainsi, Van den Bergh avait été déjà soupçonné par un spécialiste du dossier, l’historien David Barnouw, qui avait fini par écarter ce suspect.

Et pour cause : ainsi que le fait remarquer Barnouw, de même que Natasha Gerson, aucune preuve ne l’incrimine, hormis une note anonyme adressée après la guerre à Otto Frank, le père d’Anne, unique survivant de sa famille déportée. Laquelle note pourrait bien avoir été rédigée par un ennemi personnel de Van den Bergh, un notaire pro-nazi du nom de Schepers [8] ! Rien de bien sérieux, donc, d’autant que le reste ne repose que sur des interprétations gratuites, des déductions boiteuses, voire totalement inexactes.

Notamment, « l’équipe » d’enquêteurs prétend que Van den Bergh aurait possédé, en tant que membre du Conseil juif, une liste des Juifs entrés dans la clandestinité. Une allégation qui s’est heurtée au scepticisme d’historiens spécialistes de la Shoah aux Pays-Bas, tels que Laurien Vastenhout, Erik Somers ou encore Bart van der Boom, professeur adjoint à l’Université de Leiden. D’autant que notre « équipe » n’est pas parvenue à retrouver cette fameuse liste…

Surtout, expliquent d’autres historiens hollandais, tels que Johannes Houwink ten Cate et Raymond Schutz, Van den Bergh pouvait difficilement dénoncer la famille Frank au cours de l’été 1944… puisque lui-même se cachait dans Amsterdam à la même époque.

Une théorie complotiste

L’accusation contre Van den Bergh n’a donc rien de solide. Elle sombre même dans le ridicule quand « l’équipe » se met à élaborer une théorie du complot pour tenter de combler les failles béantes de son argumentation.

Qu’on en juge : dès l’immédiat après-guerre, Otto Frank aurait instauré une conspiration du silence, mentant à des témoins, survivants et enquêteurs aux fins de dissimuler la pseudo-culpabilité de Van den Bergh. Le Fonds Anne Frank, organisation caritative créée par Otto Frank et détenant les droits d’auteur d’Anne Frank, aurait perpétué cette loi du silence. La preuve, ledit Fonds, qui posséderait « la clé du mystère » aurait mystérieusement refusé d’appuyer l’enquête de « l’équipe » [9] !

Comme tant d’autres divagations conspirationnistes, celle-ci se fonde certes sur un fait authentique : Otto Frank a effectivement tenté, plusieurs années durant, de dissimuler l’identité du policier nazi qui avait arrêté sa famille, Karl Silberbauer, allant jusqu’à faire croire qu’il s’appelait Silberthaler pour égarer les recherches. Peu soucieux de vengeance (« cela ne me rendra pas ma femme et mes filles » [10]), Otto Frank s’était montré des plus indulgents envers Silberbauer, en qui il ne voyait qu’un agent discipliné, mais point fanatique, de l’appareil de répression allemand [11]. Mais il ne s’agissait nullement de protéger Van den Bergh, contrairement à ce que suppose « l’équipe ».

Discréditée par l’ensemble des historiens sérieux, la thèse incriminant Van den Bergh ne repose effectivement que sur des effets de manche, une publicité bien rodée et une trame complotiste. A la suite des nombreuses critiques portées contre le livre de Rosemary Sullivan, son impression a été suspendue aux Pays-Bas. De quoi dégonfler définitivement cette baudruche médiatique ?

 

Notes :
[1] Journal de Anne Frank, Paris, Calmann-Lévy, 1950 (trad. du néerlandais), préface de Daniel-Rops, p. VII.
[2] Sur les tentatives d’identification du délateur inconnu, lire, en français, Carol Ann Lee, Anne Frank. Les secrets d’une vie, Paris, Robert Laffont, 1999, et J’ai Lu, 2001, p. 313-340 (trad. de l’anglais) ainsi que, du même auteur, Otto, père d’Anne Frank, Paris, Ramsay, 2006, p. 329-337 (trad. de l’anglais) et l’excellente synthèse de Harry Paape, « La dénonciation », Institut national néerlandais pour la documentation de guerre, Les Journaux d’Anne Frank, Paris, Calmann-Lévy, 1989, p. 41-62 (trad. du néerlandais), de même que les soupçons de Melissa Müller, La vie d’Anne Frank, Paris, Perrin, 1998, p. 288-289 et 296-297 (trad. de l’allemand). En anglais, voir l’enquête de David Barnouw et Gerrold van der Stroom, « Who betrayed Anne Frank? », Institut national néerlandais pour la documentation de guerre, 2003.
[3] Voir la mise au point de Gertjan Broek, « An Investigative Report on the Betrayal and Arrest of the Inhabitants of the Secret Annex », Anne Frank House, 2016.
[4] Jacob Presser, Ashes in the Wind. The Destruction of Dutch Jewry, Londres, Souvenir Press, 2010, p. 392 (trad. du néerlandais, 1ère édition hollandaise : 1965).
[5] Simon Wiesenthal, Les assassins sont parmi nous, Paris, Stock, 1967, p. 206 (trad. de l’anglais).
[6] Rosemary Sullivan, Qui a trahi Anne Frank ?, Paris, Harper Collins, 2022 (trad. de l’anglais).
[7] Selon l’expression de Pierre Vidal-Naquet, « Thèses sur le révisionnisme », Les assassins de la mémoire. « Un Eichmann de papier » et autres essais sur le révisionnisme, Paris, La Découverte, 1987 et 2005, p. 128.
[8] Du reste, l’équipe de chercheurs dont les conclusions sont résumées par Rosemary Sullivan fournit de nombreux éléments susceptibles d’établir que Schepers pourrait bien être l’auteur de cette note (Sullivan, Qui a trahi Anne Frank ?, op. cit., chap. 36 et 39 – sur liseuse)…
[9] Sullivan, Qui a trahi Anne Frank ?, op. cit., chap. 4 – sur liseuse
[10] Cité dans Lee, Anne Frank. Les secrets d’une vie, op. cit., p. 340.
[11] Lee, Otto, père d’Anne Frank, op. cit., p. 297. En conséquence, le premier récit sur la vie d’Anne Frank, rédigé par Ernst Schnabel, désignait Silberbauer sous le nom de Silberthaler (Ernst Schnabel, Sur les traces d’Anne Frank, Paris, Albin Michel, 1958 – trad. de l’allemand).

 

Voir aussi :

Pourquoi le livre « Qui a trahi Anne Frank ? » pose problème

Conspiracy News #08.2022

dimanche 20 février 2022 à 13:18

L’actu de la semaine décryptée par Conspiracy Watch (semaine du 14/02/2022 au 20/02/2022). 

LE DESSIN DE LA SEMAINE. L’œil de Morgan Navarro pour Conspiracy Watch.

CONVOI DE LA LIBERTÉ. Pour avoir raillé les partisans du Convoi de la liberté dans l’une de ses chroniques sur France Inter, l’humoriste Sophia Aram a été la cible d’un déluge d’insultes et de messages à caractère haineux, incluant des menaces de mort caractérisées.

Dans Franc-Tireur, Rudy Reichstadt concède que « rien n’indique que l’adhésion aux théories du complot est indexée sur le niveau d’intelligence », soulignant toutefois que « l’explication [du complotisme] par la bêtise […] est bien souvent négligée » (source : Franc-Tireur, 16 février 2022).

LES DÉCONSPIRATEURS. Rudy Reichstadt et David Medioni ont reçu l’historien Pascal Ory, de l’Académie française, autour de son livre De la haine du juif. Essai historique (Bouquins, 2021).

GRAND REMPLACEMENT. Une notion souvent associée au complotisme fait parler d’elle dans la campagne présidentielle : le Grand Remplacement. Dans le podcast Complorama, diffusé par Radio France, Marina Cabiten, Tristan Mendès France et Rudy Reichstadt font le point sur les origines, les usages et les implications de ce concept moins « innocent » qu’en dit son inventeur Renaud Camus (source : France Info, 18 février 2022).

ZEMMOUR. Exclu du Rassemblement national au cours de la semaine, Nicolas Bay a déclaré qu’il s’engageait « pleinement » dans la campagne présidentielle d’Éric Zemmour. Candidat du MNR (mégrétiste) aux élections législatives de 2002 avec René Schleiter, beau-frère du négationniste Robert Faurisson, Bay considérait en 2015 la loi Gayssot comme une loi « attentatoire » à la liberté d’expression.

PRÉSIDENTIELLE. La lutte contre le complotisme serait-elle la grande absente de la campagne présidentielle ? En meeting ou en interview, aucun candidat n’a fait de proposition forte pour lutter contre la désinformation qui s’est pourtant accentuée avec la crise sanitaire. La publication, début janvier, du rapport de la commission Bronner, chargée de faire des propositions dans les champs notamment de l’éducation, de la régulation et de la lutte contre les diffuseurs de haine, n’a semble-t-il pas débouché sur un grand débat public sur le sujet (source : Yahoo Actualités, 16 février 2022).

UKRAINE. En Ukraine, les chefs des « républiques » sécessionnistes pro-russes de Donetsk et Lougansk ont publié vendredi des vidéos sur lesquelles ils demandent l’évacuation d’une partie de la population. Ils motivent leur décision par des provocations qui seraient perpétrées depuis 24 heures par la partie ukrainienne. Mais les métadonnées de ces vidéos montrent qu’elles ont été enregistrées le 16, soit avant le début des prétendues provocations ukrainiennes (source : RFI, 19 février 2022).
L’économiste et prêtre jésuite Gaël Giraud a provoqué la consternation en suggérant sur Twitter, le 15 février, que la crise russo-ukrainienne relevait d’« un piège tendu par la CIA » visant à « rompre le lien millénaire Moscou-Kiev. »

REINE DU CANADA. Romana Didulo refait parler d’elle. L’auto-proclamée « reine du Canada » (mais vraie activiste QAnon) a diffusé un message vidéo qu’elle destine à Vladimir Poutine pour lui signifier qu’elle s’opposait à ce que l’Ukraine rejoigne l’OTAN.

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JUAN BRANCO. Invité par l’ancien animateur de Sud Radio Eric Morillot sur sa chaîne YouTube très orientée fachosphère et complosphère « covido-sceptique », l’avocat Juan Branco a déroulé un discours très conspirationniste sur la pandémie de Covid-19. Un entretien visionné près de 400 000 fois en deux semaines (source : Libération, 15 février 2022).

MÉDIAS. Comment alerter sur les entraves à la liberté d’informer sans alimenter l’idée dangereuse que « la vérité est ailleurs » et que les médias nous mentent ? C’est la question posée par Sonia Devillers dans son émission du 14 février, où elle reçoit Valentine Oberti (Médiapart) et Luc Hermann (Premières lignes), auteurs du documentaire « Media Crash », qui dénonce la mainmise de milliardaires français sur les médias privés et recense des cas d’entraves à la liberté de la presse.

RUMEUR. La médium Amandine Roy et une prétendue journaliste proche de l’extrême droite Natacha Rey ont été assignées devant la 17e chambre du tribunal de Paris pour atteinte au droit à l’image et à la vie privée. Elles affirmaient que Brigitte Macron était un homme transgenre du nom de Jean-Michel Trogneux et qu’elle n’était pas la mère de ses enfants (source : France Info, 18 février 2022).

BRUNEL. L’ancien agent de mannequins Jean-Luc Brunel, accusé de viols, agressions sexuelles ou harcèlement par au moins dix femmes, a été retrouvé pendu dans sa cellule de la prison de la Santé dans la nuit du 18 au 19 février. Il n’était pas placé sous surveillance vidéo. Âgé de 75 ans, il était soupçonné d’avoir joué le rôle de rabatteur pour le compte de l’homme d’affaires américain Jeffrey Epstein, également retrouvé mort dans sa cellule en août 2019. Plusieurs compagnons de route de la complosphère, comme Idriss Aberkane, Karl Zéro ou Bruno Gaccio, ironisent sur le sujet, contestant la possibilité d’un suicide. Florian Philippot et Thierry Mariani se sont illustrés par des commentaires comparables.

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LELANDAIS. Commentant le verdict condamnant cette semaine Nordahl Lelandais pour l’assassinat de la petite Maëlys, l’ancien animateur Karl Zéro a soutenu que l’homme avait été condamné à 22 ans de prison après avoir déjà pris 20 ans pour le meurtre du caporal Arthur Noyer. Ce qui lui permet d’écrire : « Donc, en vrai, 2 ans de plus pour Maëlys. Tout sonne faux jusqu’au bout dans cette affaire ». En réalité, Lelandais a été condamné à une peine de prison à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 22 ans. Sur les réseaux sociaux et dans son journal L’Envers des affaires, Karl Zéro flatte la thèse selon laquelle Lelandais n’aurait pas eu de penchants pédophiles et qu’il n’aurait été que l’exécuteur des basses oeuvres de mystérieux réseaux pédo-criminels. Une thèse jamais corroborée comme le rappelle Thibaut Solano dans Marianne.

SAEZ. Dans un récent morceau mis en ligne après trois ans de silence, le chanteur Damien Saez clame son refus du passe sanitaire et suggère que les vaccins anti-Covid contiennent de la 5G… Rédacteur en chef des pages « Société » de L’Express, Étienne Girard signe une enquête sur ces personnalités de gauche qui basculent dans le conspirationnisme (source : L’Express, 17 février 2022).

RÉMI MONDE. Le journaliste Julien Pain (« Vrai ou Fake » sur France Info) a interviewé longuement l’un des principaux meneurs du Convoi de la liberté, Rémi Bagur, alias Rémi Monde. Ce dernier y soutient notamment, à rebours des connaissances scientifiques, que l’hydroxychloroquine est efficace comme traitement contre le Covid-19. Il affirme également que les vaccins anti-Covid tuent tandis que le Covid-19 ne tuerait pas les jeunes personnes.

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Dans une vidéo du 14 février, l’influenceur complotiste Richard Boutry a lui accusé Rémi Monde, d’avoir été « placé là » par le Gouvernement, tout en dénonçant l’infiltration de francs-maçons dans le mouvement…

JANDROK. L’auteur complotiste antivax Philippe Jandrok considère que le vaccin anti-Covid contient des aliens à huit bras…

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LOUIS FOUCHÉ. Depuis la mi-décembre 2021, la sénatrice du Bas-Rhin Laurence Muller-Bronn (apparentée Les Républicains) a convié ses collègues à un cycle de réunions sur la crise sanitaire ayant notamment fait intervenir l’épidémiologiste Laurent Toubiana le 18 janvier 2022, dans un hôtel du VIe arrondissement de Paris, ou encore les controversés Louis Fouché (anesthésiste) et Éric Ménat (homéopathe) le 1er février.

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CHOUARD. Énième dérapage du blogueur Étienne Chouard qui, le 15 février, a suscité l’indignation après avoir posté un tweet faisant un rapprochement entre les crimes contre l’humanité nazis et la vaccination. Après avoir commencé par essayer de se justifier, il a finalement effacé sa publication.

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En juin 2019, invité à dissiper toute ambiguité concernant ses positions sur la question de la réalité des chambres à gaz nazies, Chouard avait botté en touche, répondant qu’il n’y connaissait rien.

REINER FUELLMICH. Dans une vidéo particulièrement virale portant sur un prétendu « tribunal populaire de l’opinion publique » et diffusée le 5 février dernier, l’avocat allemand Reiner Fuellmich a énoncé une série de théories conspirationnistes sur le Covid-19. Selon lui, les « accusés » auraient planifié et imposé au monde une « fausse pandémie » (source : AFP Factuel, 16 février 2022).

CASASNOVAS. Le pape du crudivorisme Thierry Casasnovas a été perquisitionné dans le cadre d’une enquête des chefs « d’exercice illégal de la profession de médecin », « abus de faiblesse » et « pratiques commerciales trompeuses ». Sur le Web, ses conseils santé, jugés dangereux par les autorités, cumulent des millions de vues (source : Le Parisien, 16 février 2022).

JUSTICE. Hervé Ryssen et Olivier Rioult ont été condamnés le 8 février dernier à des amendes pour injures et incitation à la violence envers les Juifs. Les deux hommes étaient jugés pour une vidéo publiée sur YouTube le 21 août 2019, dans laquelle ils échangeaient sur le peuple juif, le qualifiant d’« insupportable », d’« abominable » ou encore comparant les Juifs à des « serpents ». Ils les y décrivaient comme « un problème dont la solution passe par le combat continuel et l’extermination ».

ANTISÉMITISME. L’activiste complotiste britannique Tahra Ahmed, 51 ans, a été reconnue coupable d’avoir attisé la haine raciale après l’incendie de la tour Grenfell qui a fait 72 morts en juin 2017. Elle avait qualifié l’incendie de « sacrifice juif » (source : The Times of Israel, 13 février 2022). Elle s’est illustrée ces dernières années par de nombreux propos complotistes et négationnistes.

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GARE DU NORD. Lundi 14 février matin, des policiers qui patrouillaient gare du Nord à Paris ont ouvert le feu sur un homme de 31 ans qui les menaçait avec un couteauUn compte Twitter au nom de ce dernier avait publié d’inquiétants messages au début du mois de janvier. L’un d’eux faisait référence à un professeur d’économie de l’université de Perpignan ainsi qu’au négationniste Robert Faurisson. La biographie du compte faisait également une référence à MK Ultra, un programme secret de la CIA destiné à développer des techniques de contrôle mental et rendu public dans les années 1970 (ainsi qu’un thème très abondamment traité dans la littérature complotiste).

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LECTURE. Le journaliste Antoine Bayet publie un livre fouillé sur l’immense toile de la désinfosphère francophone, Voyage au pays de la dark information (Robert Laffont). Il y décortique les rouages de l’autre épidémie que nous vivons actuellement, celle de ces fausses informations qui touchent des millions de Français et sapent notre société (source : Libération, 16 février 2022).

[PODCAST] Le « Grand Remplacement », de Renaud Camus à Valérie Pécresse en passant par Éric Zemmour

vendredi 18 février 2022 à 17:45

La théorie du grand remplacement, dont l’usage par Valérie Pécresse lors d’un meeting de la candidate LR à la présidentielle a fait beaucoup de bruit, a une origine et un parcours à forte imprégnation complotiste.

Une notion souvent associée au complotisme fait parler d’elle dans la campagne présidentielle : la théorie du grand remplacement. Valérie Pécresse, la candidate Les Républicains à la présidentielle, l’a utilisée lors de son premier grand meeting de campagne dimanche 13 février au Zénith de Paris. Et elle s’est ainsi attiré une pluie de reproches. Dans son camp, Xavier Bertrand et Jean-François Copé ont appelé la candidate à se repositionner suite à ces propos. Et parmi les nombreuses réactions scandalisées de l’opposition, le patron du Parti socialiste, Olivier Faure, a déclaré sur franceinfo : « Nous avions déjà deux candidats d’extrême droite, nous n’avions pas besoin d’une troisième. »

Valérie Pécresse s’est depuis défendue : “Justement, je ne me résigne pas aux théories de l’extrême droite”, insiste la candidate LR. Mais il n’est pas anodin de choisir cette expression et pas une autre pour évoquer l’immigration.

Ce nouvel épisode de « Complorama » décortique l’ADN de la théorie du grand remplacement nommée ainsi par Renaud Camus, tout de suite récupérée par les milieux complotistes, et sortie du lexique radical pour devenir presque « mainstream » ensuite, notamment en France par le biais d’Éric Zemmour, qui la défend depuis plusieurs années et en a finalement fait un pivot de sa candidature à la présidentielle.

« Grand remplacement : de Renaud Camus à Valérie Pécresse en passant par Éric Zemmour, itinéraire d’une théorie complotiste », c’est le 23e épisode de Complorama, avec Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, et Tristan Mendès France, maître de conférence et membre de l’observatoire du conspirationnisme, spécialiste des cultures numériques.

 

Voir aussi :

Le « Grand Remplacement » est-il un concept complotiste ?