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Conspiracy Watch | L'Observatoire du conspirationnisme

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[PODCAST] La guerre en Ukraine, entre propagande russe et complotisme

samedi 5 mars 2022 à 12:28

Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, de nombreuses théories conspirationnistes surgissent sur les réseaux sociaux. À cela s’ajoute la propagande de guerre du Kremlin qui souffle sur les braises de la désinformation.

Et si la guerre en Ukraine n’était qu’une vaste opération de nos dirigeants destinée à cacher un scandale mondial : celui des vaccins contre le Covid-19 ? C’est l’une des théories qui embrase les milieux complotistes depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, le 24 février. Quelques jours plus tôt, le 21 février, dans un discours prononcé aux médias russes, Vladimir Poutine a reconnu l’indépendance des zones séparatistes pro-russes, et a ordonné à son armée d’entrer en Ukraine dans ces territoires.

Le président russe, qualifié de « dictateur » par le président américain Joe Biden, se dit prêt à accepter un cessez-le-feu à plusieurs conditions : la reconnaissance de la Crimée en tant que territoire russe, la démilitarisation et « dénazification » de l’Ukraine, ainsi qu’un « statut neutre » pour le pays, reprenant les éléments de langage de l’époque stalinienne.

Cet épisode de Complorama revient sur l’usage du complotisme dans les médias tenus par le Kremlin. Il analyse aussi les diverses théories du complot présentes sur les réseaux sociaux, et les tentatives de l’Union européenne pour endiguer le phénomène.

« La guerre en Ukraine, entre propagande russe et complotisme », c’est le 24e épisode de Complorama, avec Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, et Tristan Mendès France, maître de conférence et membre de l’observatoire du conspirationnisme, spécialiste des cultures numériques. Un podcast à retrouver sur le site de franceinfo, l’application Radio France et plusieurs autres plateformes comme Apple podcastsPodcast AddictSpotify, ou Deezer.

 

Voir aussi :

[PODCAST] De Staline à Poutine, le complotisme en Russie

Le « complot contre la paix » de Vladimir Poutine

samedi 5 mars 2022 à 11:50

Les complotistes, en stigmatisant d’imaginaires conspirations pour expliquer ou même justifier l’invasion de l’Ukraine par la Russie, éludent un authentique « complot contre la paix » concocté par Vladimir Poutine et son régime. Une infraction internationale dont la qualification remonte au procès de Nuremberg.

Montage CW.

Le nazisme appelait une réplique judiciaire à la hauteur de la catastrophe à la fois mondiale et inédite que ses crimes ont entraîné. Le procès de Nuremberg, où furent convoqués la loi et le droit pour juger les dirigeants du Troisième Reich, constitua, sur ce plan, une réussite [1].

Les accusés nazis devaient y répondre de quatre chefs d’accusation : « plan concerté ou complot » en vue d’asservir l’Europe, « crimes contre la paix », « crimes de guerre », et « crimes contre l’humanité ». Cette dernière qualification était entièrement nouvelle, mais ne constituait pas la seule originalité d’un tel procès, dans la mesure où c’est bel et bien la notion de « complot » ou de « plan concerté » qui fut au cœur de l’accusation.

Le Ministère Public aurait certes pu se limiter à juxtaposer les agressions, invasions, massacres, exterminations, pillages et autres innombrables atrocités du régime nazi. Sur une proposition émise le 15 septembre 1944 par le lieutenant-colonel Murray C. Bernays [2], les Alliés allèrent toutefois plus loin, en posant, comme premier fondement des poursuites, la qualification de « conspiration ».

Méconnue, une telle infraction tire sa source du droit anglo-saxon. Comme le définit un procureur américain à Nuremberg, Telford Taylor, « le complot en tant que délit n’incrimine pas un seul individu. Le complot est l’infraction commise par deux personnes ou plus, procédant à des préparatifs ou agissant ensemble pour commettre un délit autre que le seul fait de s’associer dans ce but » [3]. En d’autres termes, le « complot » consiste en une entente de plusieurs individus en vue de commettre un délit ou un crime distinct, et s’avère punissable à ce titre.

Une qualification utile… mais restreinte par le Tribunal militaire international

Appliquée aux nazis, cette qualification pénale présentait plusieurs mérites. Tout d’abord, elle redonnait cohérence et logique à l’ensemble des crimes hitlériens, en les inscrivant dans une conspiration. Ensuite, elle permettait de poursuivre des responsables nazis sans qu’il soit besoin d’établir qu’ils aient commis l’ensemble des infractions auxquelles tendait ladite conspiration : adhérer à celle-ci revenait à assumer pénalement les actes produits par cette entente criminelle, lors même que l’accusé ne les aurait pas accomplis.

Dernier apport, et non des moindres, l’inculpation revenait à élargir le spectre des poursuites : à se limiter, en effet, aux autres infractions, n’étaient punissables que les crimes commis en temps de guerre ; or, l’infraction de complot englobait des actes perpétrés avant la guerre (prise du pouvoir, écrasement des oppositions, persécutions raciales, réarmement, premières expansions territoriales en Autriche et Tchécoslovaquie), puisque, précisément, de tels agissements constituaient chacune des mailles de l’entente criminelle [4]

L’imputation de « complot » ou de « plan concerté » n’en souleva pas moins, avant et pendant le procès, des objections, liées notamment à son caractère inédit en droit international [5]. Au demeurant, l’article 6 du statut du Tribunal de Nuremberg, fixé par les accords de Londres du 8 août 1945, s’arrêtait à la poursuite des crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, et ne mentionnait le « complot » qu’à titre accessoire, sans en faire un crime spécifique – sauf s’agissant des crimes contre la paix.

En définitive, le Tribunal fit preuve de circonspection. Considérant que « le statut [de cette juridiction] ne définit pas le complot », il borna l’incrimination à la préparation des guerres d’agression [6], sachant que le magistrat français, Donnedieu de Vabres, avait proposé d’écarter totalement cette qualification [7]. Ce qui amena les juges à admettre « l’existence de plans concertés et successifs plutôt que celle d’un complot les englobant tous » [8]. Ne furent condamnés pour complot contre la paix que huit accusés sur vingt-quatre [9].

Le legs de Nuremberg : du « complot contre la paix » au « crime d’agression » de Vladimir Poutine

L’accusation de complot en vue de préparer des guerres d’agression ne fut pas oubliée en droit international. D’abord parce qu’elle nourrit l’accusation portée contre les criminels de guerre japonais lors du procès de Tôkyô, qui se tint de 1946 à 1948. Ensuite parce que les « Principes de Nuremberg » établis en 1950 par la Commission du droit international, sur demande de l’Assemblée générale des Nations unies qualifièrent de « crime international » le fait de « projeter, préparer, déclencher ou poursuivre une guerre d’agression ou une guerre faite en violation de traités, accords et engagements internationaux » ou de « participer à un plan concerté ou à un complot pour l’accomplissement de l’un quelconque des actes mentionnés à l’alinéa [précédent] ».

Il est vrai que, de tels Principes, non ratifiés par les États, n’avaient pas en eux-mêmes de caractère juridiquement contraignant. Cependant, l’article 8 bis du Statut de la Cour pénale internationale sanctionne au titre du « crime d’agression » les agissements suivants : « la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies », ce qui inclut « l’invasion ou l’attaque par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État ou l’occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion ou d’une telle attaque, ou l’annexion par la force de la totalité ou d’une partie du territoire d’un autre État » ainsi que « le bombardement par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État, ou l’utilisation d’une arme quelconque par un État contre le territoire d’un autre État ».

Ainsi, la planification, la préparation d’une invasion d’un autre État, caractéristiques d’un « complot contre la paix » tel que jugé à Nuremberg, constituent des crimes internationaux, passibles de poursuites devant la Cour pénale internationale.

A l’évidence, l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine qualifie le « crime d’agression ». De même, les préparatifs de l’invasion traduisent un « complot contre la paix » qui constitue, lui-aussi, le « crime d’agression » : le regroupement de forces armées russes autour des frontières ukrainiennes, l’usage de forces aériennes, navales, et terrestres pour envahir ce territoire en collusion avec le Bélarus, la recherche même de prétextes pour justifier une telle guerre (false flags), ne résultent pas de décisions prises du jour au lendemain, en réaction à une imaginaire agression ukrainienne, mais découlent manifestement d’une « planification », d’une « préparation », en d’autres termes d’un « complot contre la paix » organisé par le maître du Kremlin avec l’aide de son gouvernement, de son appareil de renseignement et de ses responsables militaires.

Poursuivre Vladimir Poutine pour « crime d’agression » : un parcours d’obstacles juridiques

Si les agissements de Vladimir Poutine et de son régime révèlent un « complot contre la paix », peuvent-ils faire l’objet de poursuites devant la Cour pénale internationale ? Le statut de Rome, qui fonde ladite juridiction, est entré en vigueur le 1er juillet 2002 après sa ratification par soixante Etats. S’agissant du « crime d’agression », la Cour a obtenu compétence pour agir à compter du 17 juillet 2018.

Toutefois, la poursuite d’un tel crime n’est pas sans susciter d’abondantes difficultés, ne serait-ce qu’au regard de la compétence du Conseil de Sécurité de l’ONU pour sanctionner tout emploi de la force contraire à la Charte des Nations unies. De surcroît, la Cour ne peut agir contre des États, uniquement contre des individus. Et encore ne peut-elle poursuivre des ressortissants d’États qui ont ratifié l’amendement instaurant cette infraction. Or, la Russie, qui avait signé le statut de Rome le 13 septembre 2000, s’en est retirée en 2016. L’Ukraine n’a pas davantage ratifié l’accord, mais, en 2015, a reconnu la compétence de la Cour pour les crimes commis sur son territoire depuis le 20 février 2014.

Il semble en découler que la Cour pénale internationale ne peut poursuivre Vladimir Poutine et ses séides pour « crime d’agression ». C’est, au demeurant, ce qu’a considéré le Procureur de cette juridiction.

Ce qui ne signifie nullement que le Droit est désarmé : l’avocat et historien Philippe Sands recommande notamment la création d’un Tribunal spécial par les Nations unies, une recommandation qui n’a rien d’impossible sur le plan juridique. Et en toute hypothèse, la Cour pénale internationale s’est déclarée compétente pour enquêter sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité de l’agresseur russe sur le territoire ukrainien. A tout le moins la Justice internationale s’intéressera-t-elle aux effets du « complot contre la paix »…

 

Notes :
[1] Voir sur ce point, les travaux, en français de François Delpla, Nuremberg face à l’Histoire, Paris, L’Archipel, 2006 ; Annette Wieviorka, Le procès de Nuremberg, Paris, Liana Levi, 2017 et (dir.), Les procès de Nuremberg et de Tokyo, Bruxelles, Complexe, 1996 ; François de Fontenette, Le procès de Nuremberg, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1996 ; Jean-Marc Varaut, Le procès de Nuremberg, Paris, Perrin, 1992 et Hachette/Pluriel, 1993.
[2] « Memorandum. Subject: Trial of European War Criminals (by Colonel Murray C. Bernays, G-1), September 15, 1944 », in Bradley F. Smith, The American Road to Nuremberg. The Documentary Record 1944-1945, Stanford, Hoover Institution Press, 1982, p. 33-37.
[3] Telford Taylor, Procureur à Nuremberg, Paris, Seuil, 1995, p. 567 (trad. de l’anglais).
[4] A défaut, la poursuite de tels actes ne pouvait relever que de la justice allemande, mais cette dernière, en 1945, n’avait évidemment ni les moyens, ni même la légitimité à cette fin… Le ratage exemplaire du procès de criminels de guerre allemands à Leipzig peu après la Première Guerre mondiale avait constitué, sur ce point, un fâcheux précédent – voir Jean-Jacques Becker, « Les procès de Leipzig », in Wieviorka (dir.), Les procès de Nuremberg et de Tokyo, op. cit., p. 51-60
[5] Voir la synthèse de J.J. Lador-Lederer, « The Nuremberg Judgment Revisited: The Bernays Postulate », Netherlands International Law Review, 1983, vol. 30, n°3, décembre 1983, p. 360-373 ainsi que Lachezar Yanev, « A Janus-Faced concept: Nuremberg’s law on conspiracy vis-à-vis the notion of joint criminal enterprise », Criminal Law Forum, vol. 26, 2015, p. 419–456.
[6] Tribunal militaire international, Procès des grands criminels de guerre devant le tribunal militaire international ; Nuremberg, 24 novembre 1945 – 1er octobre 1946, vol. XXII, Nuremberg, 1949, p. 497-499.
[7] Taylor, Procureur à Nuremberg, op. cit., p. 567-568. Voir également Ann-Sophie Schöpfel, « La voix des juges français dans les procès de Nuremberg et de Tokyo. Défense d’une idée de justice universelle », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2013/1, n°249, p. 101-114.
[8] Procès des grands criminels de guerre, vol. XXII, op. cit., p. 498.
[9] A savoir Hermann Göring, Rudolf Hess, les généraux Wilhelm Keitel et Alfred Jodl, le Grand-Amiral Erich Raeder, l’ex-Ministre des Affaires étrangères Konstantin von Neurath, son successeur Joachim von Ribbentrop, ainsi que l’idéologue nazi Alfred Rosenberg.

Canard Réfractaire : un youtubeur insoumis en roue libre sur l’Ukraine

mardi 1 mars 2022 à 18:09

La chaîne YouTube « Canard Réfractaire », fondée par le sympathisant mélenchoniste Yohan Pavec, fait le buzz avec une vidéo accusant les médias de mentir sur l’Ukraine. Une réécriture de l’histoire qui empile les contre-vérités, les amalgames… et les éléments de langage du Kremlin.

Yohan Pavec (capture d’écran YouTube, février 2022).

La vidéo dure plus de 40 minutes et donne le ton dès les premières secondes. « Si t’écoutes les médias, t’as l’impression que la Russie c’est les méchants qui ont envahit l’Ukraine huit fois ces quinze derniers jours ! ». Elle a été publiée le 18 février par la chaîne YouTube « Canard Réfractaire », qui se présente comme « média indépendant des Côtes d’Armor », six jours avant que Vladimir Poutine n’envoie finalement son armée à l’assaut de l’Ukraine.

Sobrement intitulée « les médias vous mentent sur l’Ukraine », la vidéo a été massivement partagée sur les réseaux sociaux ces derniers jours et comptabilise à l’heure où sont écrites ces lignes plus de 840 000 vues. Un score qui continue de monter et que même RT France – la branche francophone de la chaîne du Kremlin menacée de fermeture – n’atteint que rarement sur YouTube.

Son animateur et fondateur Yohan Panec va dérouler – à coup de boutades et avec une chapka vissée sur la tête – tout l’argumentaire révisionniste utilisé par le Kremlin pour justifier son agression de l’Ukraine.

« Tout ce qu’on va dire va être basé sur l’incroyable travail d’Olivier Berruyer »

« Aujourd’hui on va parler de l’Ukraine et, contrairement aux autres médias, on va en parler bien », annonce Yohan Pavec, qui ajoute, modeste : « on a travaillé à trois pendant trois jours dont deux personnes à mi-temps et on a réussi à faire en aussi peu de temps mieux que 95 % des journalistes. » Exemple ? L’Ukraine n’aurait jamais existé avant 1991, date à laquelle plus de 90 % des Ukrainiens ont voté pour l’indépendance de leur pays. Un balayage très rapide de l’Histoire qui omet, entre autres, l’indépendance de la République populaire d’Ukraine (1917-1920) ou la naissance d’un sentiment nationaliste ukrainien dès les années 1930 pendant l’Holodomor infligé par l’URSS.

Une histoire complexe néanmoins résumée de manière accessible et en 5 minutes par l’émission « Le Dessous des cartes » sur Arte. Mais cette histoire n’intéresse qu’assez peu « Canard Réfractaire » : l’Ukraine, au fond, ne serait pas vraiment un pays, comme le disait Vladimir Poutine lui-même le 21 février pour justifier la reconnaissance unilatérale des républiques séparatistes de Donetsk et Louhansk.

À peu près tous les poncifs du Kremlin sont ici repris sans aucun recul. On y affirme ainsi que, dans les années 90, un « accord tacite se fait entre les Russes et les États-uniens » qui auraient trahi leur promesse de ne pas étendre l’OTAN à l’Est suite à la chute du mur de Berlin. Une fable que Vladimir Poutine raconte depuis 2007 et qui est régulièrement reprise dans des médias comme Le Monde diplomatique. L’histoire a pourtant été démontée ici, ici, ou encore là, et démentie par nul autre que Mikhaïl Gorbatchev en personne.

Mais « Canard Réfractaire » s’abreuve à d’autres étangs : « tout ce qu’on va dire va être basé sur l’incroyable travail d’Olivier Berruyer », explique Yohan Pavec, renvoyant au blog russophile Les-Crises, qui s’est sentié obligé de préciser, le 26 février dernier, qu’il ne soutenait « aucun gouvernement, et encore moins des grandes puissances belliqueuses comme la Russie ».

Une « putain d’ingérence » avec des « putains de nazis »

D’après Yohan Pavec, le mouvement révolutionnaire d’Euromaidan en 2014 aurait en fait été manipulé « par les diplomates occidentaux ». La preuve ? Une photo de Victoria Nuland, secrétaire d’État adjointe des États-Unis en charge de l’Europe, sur la place Maidan en février 2014 distribuant des « cookies » (en réalité, des sandwichs, mais nous ne sommes plus à ça près) aux manifestants. « Bizarre », pour Pavec, qui y voit rien de moins qu’une « putain d’ingérence » avant d’ajouter « on peut un petit peu douter du fait que les États-Unis n’ont pas apporté que des cookies aux manifestants ». Cette fois évidemment sans photo à l’appui, alors qu’il existe en revanche des images où l’ont peut voir la même Victoria Nuland distribuer des sandwichs aux forces de l’ordre. Bref, Maidan serait un coup de l’OTAN. Un argument là encore de Vladimir Poutine pour qui les « révolutions de couleurs » dans l’ex-espace soviétique ont toujours été fomentées par l’Occident.

Qu’ils mangent des cookies ou des sandwichs, les révolutionnaires de 2014 seraient de toute façon des « nazis ». L’implication de mouvements d’extrême droite dans la révolte de Maidan n’a en fait jamais été « cachée par les médias », y compris par des journaux honnis par « Canard Réfractaire », comme le Washington Post. Des figures de l’extrême droite ont effectivement tenu les ministères de la Défense (et non de l’Intérieur comme prétendu dans la vidéo) et de l’Écologie comme le dit Yohan Pavec… qui oublie néanmoins un léger détail : ils perdront chacun leur poste en 2014.

Surtout, lors des élections de 2014 qui ont suivi la révolution, l’extrême droite n’a pas dépassé les 2 % des voix à la présidentielle et les 5 % aux législatives. Lors de la dernière élection présidentielle, en 2019, le parti d’extrême droite Svoboda n’a obtenu qu’1,62 % des suffrages. Si des scores aussi faibles suffisaient à justifier la « dénazification » de l’Ukraine – pour reprendre à nouveau les mots du président russe –, la plupart des pays d’Europe auraient probablement du souci à se faire.

Tout en délégitimant l’élection d’un gouvernement démocratique en 2014, Pavec en profite pour prétendre que le référendum de rattachement de la Crimée à la Russie en 2014 serait « un move à peu près légal sur le plan du droit international ». Ce référendum n’est en fait reconnu que par une infime minorité de la communauté internationale et s’est tenu sous la menace des forces russes présentes illégalement sur le territoire de l’Ukraine. Une « putain d’ingérence », en somme, mais qui serait justifiée par « le précédent du Kosovo ». Un argument fallacieux et émanant, là encore, de la propagande russe.

De Mélenchon à Poutine en passant par les Gilets jaunes

« J’exagère pas, c’est pas genre moi qui voit des nazis partout ! », assure le vidéaste. Il les voit en effet surtout là où ça l’arrange. Yohan Pavec aurait par exemple pu mentionner la présence de militants néo-nazis côté pro-russe, et qu’un certain Victor Lenta, ancien para de Carcassone parti combattre avec le groupe ultra-nationaliste Unité continentale, avait assuré le service d’ordre des Gilets jaunes lors de « l’acte IX », en 2019.

« Bizarre » ? Non : Yohan Pavec ne parle pas de nulle part. Il a lui-même milité avec les Gilets jaunes et monté son média dans la foulée, média que l’on retrouvera sans surprise aux côtés d’Étienne Chouard, qui lui aussi a tout faux sur l’Ukraine – un peu comme sur les chambres à gaz. Avant même d’enfiler une chasuble, Pavec était surtout militant de la France Insoumise au pays de Vannes, un parti politique actuellement sous le feu des critiques pour son ambiguïté vis-à-vis de Vladimir Poutine. Une sympathie qui serait toujours d’actualité à en croire une blague du compte Twitter de « Canard Réfractaire » montrant un chien assis sur le fauteuil de la chaîne YouTube Thinkerview avec un exemplaire du programme de l’Union populaire (la plateforme de soutien à la candidature présidentielle de Jean-Luc Mélenchon) glissé dans son collier.

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Dans une revue de presse « indépendante » sur l’Ukraine publiée le 28 février – qui cite le parti d’extrême gauche Révolution permanente, Les Crises, le site Investig’action de Michel Collon, ou encore Le Grand Soir de Maxime Vivas – Yohan Pavec lâche : « en tant que média, la guerre ça fait exploser tous les chiffres que vous pouviez imaginer du coup c’est une bonne raison pour vous de se méfier ». Un conseil avisé pour ses abonnés qui lui permettent actuellement de collecter plus de 1600 euros par mois sur Tipeee.

La réponse de Yohan Pavec

Joint par téléphone, Yohan Pavec nous répond que, pour réaliser sa vidéo, lui et ses collègues ont « globalement potassé le Diplo [Le Monde Diplomatique – ndlr] » et qu’il considère les écrits du blogueur Olivier Berruyer comme « un travail plutôt honnête », balayant les critiques qui lui ont été faites comme relevant de « l’anticomplotisme bourgeois ».

À propos de l’histoire de l’Ukraine, il explique : « on n’a pas fait gaffe en publiant la vidéo, notamment parce que l’article du Monde diplomatique lui-même n’allait pas plus loin sur l’histoire de l’Ukraine ». Il précise aussi avoir publié un « erratum » en commentaires de la vidéo. Le voici : « Askip l’Ukraine c’est bien plus vieux que 1991, on aurait dû dire « la dernière indépendance de l’Ukraine date de 1991 ». Paix et prospérité. »

Sur la supposée promesse de l’OTAN à l’URSS en 1990, il répond : « il y a des témoignages contradictoires là-dessus, Jean-Luc Mélenchon tiens la même position, d’ailleurs » (sic). Il assure qu’il ne « distribue pas des tracts » pour la France insoumise tout en admettant en être un « sympathisant ». « Avec 100 fois moins de moyens, on fait des choses qui sont plus intéressantes. Elles sont aussi plus militantes, et je trouve que c’est le meilleur moyen de faire de l’information, de transpirer notre idéologie et que l’on ne fasse pas croire que l’on est impartial comme on peut le voir aujourd’hui avec l’Ukraine », conclut-il.

 

Voir aussi :

Washington a-t-il vraiment dépensé 5 milliards de dollars pour financer un « coup d’Etat » en Ukraine ?

Le malheur des uns…

lundi 28 février 2022 à 16:00

Conspiracy News #09.2022

dimanche 27 février 2022 à 12:48

L’actu de la semaine décryptée par Conspiracy Watch (semaine du 21/02/2022 au 27/02/2022). 

VLADIMIR POUTINE. « Une autre dimension », « délire paranoïaque », « réalité parallèle », « absurdités historiques »… les réactions critiques de spécialistes du monde russe n’ont pas manqué à la suite de l’allocution prononcée le 21 février 2022 par le président de la Fédération de Russie, portant sur la reconnaissance des autoproclamées « républiques populaires » de Donetsk et de Lougansk (source : Conspiracy Watch/Twitter, 21 février 2022).

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UKRAINE.  L’agression de l’Ukraine par la Russie le 24 février a rapidement donné naissance à des théories du complot, provenant pour la plupart de groupuscules ou d’individus déjà connus pour avoir eu une imagination débordante lors de la crise sanitaire liée à la Covid-19. Tour d’horizon des théories apparues sur le Net (source : Fact & Furious, 25 février 2022).

À en croire la complosphère française, la Russie, qui a pourtant déclenché l’invasion de l’Ukraine, serait du bon côté de l’Histoire. Pire, la « peur » du Covid s’essoufflant, les dirigeants occidentaux se serviraient de cette actualité pour continuer à asservir leur population. Des discours diffusés à des centaines de milliers voire des millions d’internautes français (source : Libération, 25 février 2022).

Des figures de proue de la complosphère française se sont ainsi empressées de partager leur lecture complotiste des événements sur les réseaux sociaux comme Richard Boutry ou Silvano Trotta.

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Le journaliste du Monde William Audureau a repéré des messages du même acabit, provenant cette fois d’anonymes sur des groupes de discussions Telegram de la mouvance complotiste.

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Parmi les théories les plus farfelues en circulation, celle d’un Vladimir Poutine héroïque pourfendeur de « l’État profond » qui aurait lancé ses troupes à la conquête de l’Ukraine pour détruire un réseau de « biolabs américains ».

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RÉVOLUTION DE MAÏDAN. Dans sa chronique « Antidote » du 25 février sur France Inter, Tristan Mendès France est revenu sur la « Révolution de Maïdan » de 2014 en Ukraine, qui avait entraîné la fuite du président pro-russe Viktor Ianoukovytch. La lecture complotiste de cet événement, selon laquelle cette « révolution de couleur » ne serait rien d’autre qu’un « complot de l’étranger », contribue encore aujourd’hui à la justification rhétorique de l’intervention russe en Ukraine (source : France Inter, 25 février 2022).

« INÉVITABLE ». Selon le média conspirationniste Le Grand Soir, la guerre en Ukraine aurait pu être évitée si l’administration américaine avait reconnu « les préoccupations légitimes de la Russie ». Une thèse émanant du Kremlin, reprise par l’extrême droite et que l’on retrouve développée dans Jacobin, magazine de la gauche radicale américaine (source : Rudy Reichstadt/Twitter, 24 février 2022).

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OTAN. Les menaces russes sur la sécurité et le devenir de l’Ukraine ont à nouveau mis la question de l’OTAN sur le devant de la scène. Les dirigeants de la Russie traitent cette alliance à la manière d’une entité démoniaque animée de néfastes intentions à l’encontre de la Russie. Le géopolitiste Jean-Sylvestre Mongrenier revient sur la légende moscovite de la « trahison », selon laquelle l’« expansion de l’OTAN », depuis la fin de la guerre froide, aurait été opérée en dépit des promesses faites par les dirigeants américains à l’époque. Selon lui, « la thèse d’une OTAN se précipitant dès la fin de la guerre froide pour s’étendre à l’Europe centrale et orientale ne correspond pas aux faits historiques » (source : Desk Russie, 25 février 2022).

RT FRANCE. Frédéric Taddeï a annoncé qu’il cessait d’animer son émission « Interdit d’interdire » sur la chaîne gouvernementale russe RT France, sur fond de conflit en Ukraine et « par loyauté envers la France » (source : Europe 1, 23 février 2022). Le journaliste avait rejoint ce média gouvernemental à l’été 2018, justifiant son choix en ces termes : « Dans un paysage télévisuel sinistré […] c’est la seule chaîne de télévision qui m’ait donné carte blanche pour faire ce que je faisais dans « Ce soir ou jamais » » (source : Conspiracy Watch, 16 juillet 2018).

STYLOMÉTRIE. Deux nouvelles études en stylométrie semblent confirmer la théorie selon laquelle les deux individus derrière « Q » (de QAnon) seraient Paul Furber et Ron Watkins, comme cela avait été suggéré par le documentaire Q: Into the Storm (2021). Furber, un maniaque des conspirations, aurait créé Q en 2017 et Watkins aurait volé le compte peu après la migration vers la plateforme 8chan, qu’il contrôlait. Le changement de style de Q refléterait cette évolution (source : New York Times, 19 février 2022).

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QANON. La congressiste américaine Marjorie Taylor Greene, qui avait justifié son soutien à Donald Trump en y voyant « une occasion unique de sortir cette cabale mondiale de pédophiles adorateurs de Satan » (sic), est intervenue vendredi 25 février lors de la 3ème America First Political Action Conference à Orlando, un événement annuel organisé par l’activiste suprémaciste blanc Nick Fuentes. Ce dernier a apporté lors du même événement son soutien à l’invasion de l’Ukraine par la Russie (sources : Corentin Sellin/Twitter, 26 février 2022 ; HuffPost, 25 février 2022).

HOLD OUT. Pierre Barnérias, le réalisateur des documentaires complotistes sur le coronavirus Hold Up et Hold On, continue d’exploiter le filon conspirationniste avec un nouveau documentaire, Hold Out, qui sera cette fois consacré à la théorie du complot des chemtrails. D’après cette théorie, apparue vers 1996, les traînées blanches créées dans le ciel par les avions seraient composées d’agents chimiques répandus par des agences gouvernementales sur les populations, à des fins secrètes (source : Debunker des Étoiles/Twitter, 20 février 2022).

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ANNE FRANK. Au fur et à mesure que le Journal d’Anne Frank gagnait en notoriété, jusqu’à faire de cette jeune diariste l’une des figures les plus célèbres de la Shoah, le mystère entourant son dénonciateur n’a pas manqué d’intriguer le grand public. L’identité du délateur est devenue une véritable énigme historique, lourde de dérives. Pour Conspiracy Watch, Nicolas Bernard s’est intéressé à la dernière théorie en date, développée par la journaliste canadienne Rosemary Sullivan et résultant d’une enquête conduite par une équipe de chercheurs dirigés par un agent du FBI à la retraite (source : Conspiracy Watch, 21 février 2022).

SORTIR DU COMPLOTISME. Sarah Heylen, architecte d’intérieur, s’est laissée entraîner dans la propagande antivax et la pensée conspirationniste. Comment se retrouve-t-on happé par les théories du complot et comment en sortir ? « Les coronasceptiques disent beaucoup de choses qui semblent plausibles, explique-t-elle. Puis vous gobez le reste ». Témoignage d’une ancienne adepte des théories du complot (source : Le Vif, 20 février 2022).

Une lecture à compléter par les utiles éclairages apportés par Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences à l’Université de Fribourg, sur le complotisme dans un podcast proposé par la Radio Télévision suisse (RTS). Une plongée dans l’histoire, la psychologie et la sociologie (source : RTS, 19 février 2022).

DÉCONSPIRATEURS. Le politiste germano-américain Yascha Mounk, auteur de l’essai Le Peuple contre la démocratie (éd. de l’Observatoire, 2018) et de La Grande expérience (éd. de l’Observatoire, 2022), avait répondu en janvier dernier aux questions de Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch. Cet entretien fait l’objet, en guise de hors-série, du rendez-vous hebdomadaire des « Déconspirateurs ». Au programme, le passage en revue de la question des faits alternatifs, du complotisme et notamment des théories de « grand remplacement » et d’ « État profond ». On y parle aussi d’« assimilation culturelle » et de « patriotisme inclusif »… (source : Conspiracy Watch/YouTube, 22 février 2022).

ASSELINEAU. Fin de parti(e) pour François Asselineau ? Le leader de l’UPR, très fragilisé par une fronde interne en 2020 et les accusations qui pèsent sur lui, pourrait ne pas obtenir les 500 parrainages lui permettant de briguer l’Elysée. Rudy Reichstadt propose un portrait exclusif de ce VRP du souverainisme (source : Franc-Tireur, 23 février 2022).

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CINÉMA. François Desagnat signe une adaptation réussie de Zaï Zaï Zaï Zaï, la bande dessinée absurde de Fabcaro. Tout comme la BD, « le film livre une satire savoureuse de l’infobésité, de la vacuité des chaînes d’infos en continu, de leurs soi-disant experts qui brassent du vent, du buzz ou de la propension contemporaine aux théories du complot », analyse Alain Lorfèvre dans sa critique parue dans La Libre Belgique (source : La Libre, 23 février 2022).

CIVITAS. Mathieu Goyer était convié mercredi 23 février sur le plateau de l’émission de Cyril Hanouna « TPMP » après un rassemblement d’extrême droite contre le jeune homme qui s’était filmé dansant dans un édifice religieux. Si ce représentant parisien de Civitas se défend de tout antisémitisme, ses faits et gestes prouvent le contraire (source : Libération, 25 février 2022).

LE SEUIL. Sans mention de noms d’auteurs, les Éditions du Seuil ont fait paraître le 21 janvier 2022 un Manifeste conspirationniste. Un livre né de la rencontre entre Julien Coupat, l’homme de « l’affaire de Tarnac », et une grande maison d’édition, les éditions du Seuil et, aux avant-postes, son PDG Hugues Jallon. Une justification en règle du conspirationnisme et des rapprochements avec l’extrême droite analysée pour Conspiracy Watch par Philippe Corcuff (source : Conspiracy Watch, 26 février 2022).

DARK INFORMATION. Des mois durant, Antoine Bayet s’est attelé à enquêter et décortiquer le phénomène de la « Dark Information » qui circule en parallèle des médias traditionnels tout en parvenant de temps à autre à faire irruption dans ces mêmes médias pour brouiller davantage la perception de l’opinion publique. Journaliste et directeur éditorial de l’Institut national audiovisuel (INA), Bayet a rencontré et interrogé quelques faussaires de l’information pour en saisir les objectifs et les mécanismes à l’œuvre (source : Le Blog du communicant, 23 février 2022).

FACEBOOK. La Securities and Exchange Commission (SEC), gendarme de la Bourse américaine, a adressé deux nouvelles plaintes à Facebook avec l’aide de l’association Whistleblower Aid, qui représente la lanceuse d’alerte Frances Haugen. Elles accusent Facebook (désormais Meta) d’avoir menti à ses actionnaires au sujet des efforts menés pour lutter contre la désinformation sur le changement climatique et la Covid-19 : les promesses publiques et réitérées à l’occasion de plusieurs assemblées générales d’actionnaires de la plateforme ne sont pas tenues en pratique (source : Les Numériques, 21 février 2022).