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Conspiracy Watch | L'Observatoire du conspirationnisme

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Les errances de la critique de l’anticomplotisme : Natacha Polony parmi d’autres

lundi 18 octobre 2021 à 10:40

Délégitimer la critique du conspirationnisme constitue une façon indirecte de justifier la dynamique conspirationniste actuelle, entre extrême droitisation et discours confusionnistes.

J’ai montré, dans mon livre La grande confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées (éditions Textuel, 2021), que le conspirationnisme, en tant que trame narrative mettant l’accent sur des manipulations cachées dans l’explication d’un événement particulier ou des processus historiques en général, constitue un des tuyaux rhétoriques principaux de l’actuelle dynamique idéologique d’un ultraconservatisme xénophobe, sexiste, homophobe et nationaliste vectrice d’extrême droitisation, dont Alain Soral, pour l’antisémitisme, et Éric Zemmour, pour l’islamophobie et la négrophobie, constituent deux des bricoleurs principaux. Il faut ici bien distinguer les complots, manipulations cachées qui existent bien dans l’histoire humaine, et les théories du complot, qui font d’un complot la clé d’explication d’une situation, à l’inverse des explications pluri-factorielles des sciences sociales soulignant les interactions entre une pluralité de facteurs.

Hypercriticisme conspirationniste et bricolages confusionnistes

Or, un hypercriticisme complotiste à tonalités ultraconservatrices est en train de mettre la main sur un terrain privilégié de la gauche en le déformant : la critique sociale. Dans ce cadre ultraconservateur, la critique n’est plus structurelle, vis-à-vis d’inégalités, de dominations et de discriminations, mais devient superficielle, en mettant en cause des personnes et le prétendu « politiquement correct ». Et cette critique n’est plus associée à un horizon d’émancipation sociale, à la fois individuel et collectif, comme historiquement à gauche, mais va justifier des discriminations, à travers notamment la dénonciation des supposés « lobby antiraciste », « lobby féministe » ou « lobby gay », comme chez Alain Soral, Renaud Camus ou Éric Zemmour.

Le confusionnisme, entendu comme un espace idéologique développant des interférences entre des postures et des thèmes d’extrême droite, de droite, du centre, de gauche modérée dite « républicaine » et de gauche radicale, dans un contexte de recul du clivage gauche/droite et de crise de la notion même de « gauche », apporte, dans ce contexte, un appui non voulu à l’extrême droitisation. Soit quand des locuteurs (comme, à plusieurs reprises, Michel Onfray [1], Jean-Claude Michéa [2] ou Jean-Luc Mélenchon [3]) recourent, par exemple, à des schémas conspirationnistes, soit, plus indirectement, quand ils s’en prennent à la critique du complotisme.

C’est en particulier le cas de l’économiste et philosophe de la gauche radicale Frédéric Lordon [4]. Ainsi dans un billet de blog, daté du 24 août 2012 et intitulé « Conspirationnisme : la paille et la poutre », il ironise, au nom du « Peuple », sur les critiques du conspirationnisme (or, la plupart des locuteurs publics complotistes analysés dans La grande confusion font partie des « élites » politiques et intellectuelles) et relativise le complotisme. Dans un article publié dans Le Monde diplomatique d’octobre 2017, et intitulé « Le complot des anticomplotistes » (retitré sur le site du mensuel par « Le complotisme de l’anticomplotisme »), Lordon prolonge la délégitimation de la critique du conspirationnisme en faisant principalement de « la croisade anticomplotiste » une arme de « disqualification » de « toute critique radicale » de « l’ordre social ». Dans le même texte, il délégitime, dangereusement et de manière analogue, la critique de l’antisémitisme [5].

Natacha Polony : une figure confusionniste contre la critique des théories du complot

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne, s’est inscrite récemment dans un sillage confusionniste analogue dans sa chronique En toute subjectivité du 4 octobre 2021 sur France Inter, intitulée « Une nouvelle commission anti fake news ».

Polony intervient ce matin-là à propos de l’installation le 29 septembre 2021 par Emmanuel Macron d’une commission sur « Les Lumières à l’ère numérique » présidée par le sociologue Gérald Bronner, nommée couramment « commission Bronner ». Á propos des membres de cette commission, elle avance : « certains d’entre eux justement ont la fâcheuse habitude d’utiliser le terme de ʺcomplotismeʺ ben comme un anathème contre quiconque pense mal ». Qui ? Quand ? Quelles références précises ?… Il ne faut pas demander à l’éditorialiste mondain un travail documenté et référencé, même quand il se prétend critique vis-à-vis des médias dans lesquels il trône. « L’imprécision possède un pouvoir d’agrandissement et d’ennoblissement », écrit l’écrivain Robert Musil dans son grand roman philosophique L’homme sans qualités.

La critique du complotisme serait donc un moyen de stigmatiser les chevaliers et les amazones du « politiquement incorrect », tels que… Natacha Polony elle-même ! On sent là toute la radicalité d’un hypercriticisme qui met en scène de manière narcissique le supposé courage de la locutrice, par ailleurs confortablement installée dans un studio d’une des radios françaises les plus prestigieuses. Face à la prétendue menace anticomplotiste, Polony se présente en quelque sorte comme un héraut et une héroïne du refus de « la bien-pensance ».

Plus, contrairement aux critiques troubles du conspirationnisme, Polony a trouvé l’explication unique à « pourquoi ça marche le complotisme » : « parce qu’il y a une défiance majeure vis-à-vis des institutions, et j’inclus les médias dans ce terme, et parce que les citoyens se sentent dépossédés de la démocratie ». Il n’y aurait pas d’autres facteurs explicatifs, comme les dérèglements idéologiques en cours de la critique sociale, les pathologies sociales de la reconnaissance facilitant l’expression du ressentiment, l’accroissement des incertitudes face aux complications d’un monde globalisé ou d’autres ? Et les succès du complotisme ne sont-ils pas aussi une des causes de la défiance vis-à-vis des institutions, et pas seulement un de leurs effets ?

Á la fin de son intervention, Polony a oublié la cause unique de la « défiance », en mettant l’accent, de manière davantage pluraliste cette fois mais encore partielle, sur deux autres causes :  1) le secteur privé des GAFAM, qui a la main sur l’espace public d’Internet et des réseaux sociaux et qui empêche que la transparence démocratique s’impose, et 2) « nos sociétés de consommation sont des armes de destruction massive contre la rationalité », en favorisant « la pulsion contre la raison ». Conclusion : « C’est notre système économique et politique qui déraille ». Cependant elle poursuit et termine sa chronique en réactivant la suspicion vis-à-vis de la critique du complotisme : « Mais j’suis pas sûr que la commission en question ne trouve pas cette phrase un p’tit peu complotiste ». L’anticomplotisme réapparaît comme une disqualification de la critique de l’ordre économique et politique, à la manière de Lordon. Mais comme elle parle de « système » et non de manipulations cachées, on ne voit pas pourquoi la « commission Bronner » la prendrait pour cible. L’activité future de cette commission est par avance invalidée à partir d’un exemple fictif hors de propos.

La perspicacité surplombante de Polony lui permet également de distinguer nettement « le doute raisonnable et les délires ». Ce n’est pas comme les fameux anticomplotistes qui se contenteraient de « tout mettre dans le même sac ». Un exemple des supposés dérèglements anticonspirationnistes ? « Pendant des mois, on a été prié de croire que le coronavirus, c’était de la faute d’un pangolin. Quiconque évoquait une possible fuite du laboratoire de Wuhan étant immédiatement traité de complotiste. Et les médias ont totalement suivi cela. » Qui ? Quels discours ? Dans quels médias ?…. On ne le saura pas. Pourtant, Rudy Reichstadt, un des chefs de file des anticomplotistes et membre de la « commission Bronner », envisageait, dans un entretien paru sur le site de L’Express le 3 mai 2020, comme hypothèse crédible, et non pas conspirationniste, « que ce virus, d’origine naturelle, aurait été étudié dans un laboratoire et que, du fait d’une défaillance de sécurité, il aurait contaminé un laborantin ». On vous offre l’Intelligence et vous voulez en plus les faits qui vont avec ?

Ce n’est pas la première fois que Polony prend des libertés avec la connaissance rugueuse des faits : s’adressant aux « Français musulmans » pour les convertir à la laïcité dans un éditorial de Marianne de novembre 2019, elle avait oublié que la première phase de l’article 1 de la loi de 1905 faisait de « la liberté de conscience » son fondement. La laïcité, au nom de laquelle elle donnait des leçons, s’en trouvait extrêmement déformée.

L’itinéraire politique et professionnel de Polony la prédispose aux bricolages idéologiques confusionnistes de ce type. En 2001, elle est secrétaire nationale du Mouvement des citoyens initié par Jean-Pierre Chevènement à gauche, puis est engagée dans la campagne présidentielle de 2002 de Chevènement. En 2002-2009, elle est journaliste dans l’hebdomadaire de centre gauche « républicain » Marianne, cofondé en 1997 par Jean-François Kahn, promoteur à l’époque d’un « centrisme révolutionnaire ». En 2009-2011, elle travaille dans le quotidien de droite Le Figaro. En 2018, elle devient directrice de la rédaction de Marianne. En interaction avec ce parcours, les discours de Polony tendent à formuler des hybridations confusionnistes entre des postures conservatrices et des critiques issues de la gauche, des référents « républicains » contribuant à lier les deux pôles. Depuis elle a élargi son champ d’action journalistique : elle devient en 2017 chroniqueuse sur France Inter où elle participe aussi à un débat hebdomadaire, et depuis août 2021 elle a son émission sur BFMTV, Polonews. Sans la xénophobie et le sexisme débridés d’Éric Zemmour, elle y exprime souvent un hypercriticisme « politiquement incorrect », conservateur et manichéen, qui a des ressemblances, mais dans un style plus modéré, avec celui de son confrère du Figaro et de CNews. Comme si les espaces médiatiques non directement zemmourisés avaient besoin, dans une logique concurrentielle, d’incorporer un peu de zemmourisation extra light, dans une sorte d’aimantation non consciemment maîtrisée…

Tweet d’Eric Zemmour sur le complotisme (20/07/2021).

D’autres disqualifications de la critique du conspirationnisme

La chronique de Polony n’est pas la seule à avoir jeté le trouble sur la critique du complotisme à l’occasion de l’installation de la  « commission Bronner ». Dans une orientation politique et intellectuelle très différente, le journaliste culturel de Mediapart Joseph Confavreux, habituellement plus rigoureux, s’y est mis aussi dans un article daté du 5 octobre 2021. Il cible tout particulièrement Gérald Bronner en procédant à des amalgames le discréditant globalement. La critique argumentée de certains de ses positionnements sociologiques est légitime, et j’y ai contribuée, comme celle des risques de dévaluation du principe de précaution. Mais pourquoi faire un portrait uniformément dévalorisant de ses écrits comme de sa personne ne tenant pas compte de la vigilance pionnière qu’il a, par contre, manifestée face aux théories du complot ? Pourquoi entacher la critique du complotisme en la rabattant sur des choses qui n’ont pas à voir avec elle, et dont on ne montre pas qu’elles sont en rapport ? Dans la construction du papier de Confavreux, cela prend notamment appui sur un automatisme anti-macronien bien puéril.

Avec la création de la « commission Bronner », la délégitimation de la critique du conspirationnisme a aussi revêtu des tonalités savantes. Ainsi Julien Giry, docteur en science politique, relativise la place du complotisme aujourd’hui dans des propos rapportés sur le site de Marianne le 3 octobre 2021. Le même Giry a coordonné le numéro d’une revue de sciences sociales tout à fait sérieuse et intéressante, Quaderni, intitulé « Les théories du complot à l’heure du numérique » à l’automne 2017. Dans l’introduction à ce dossier, « Étudier les théories du complot en sciences sociales : enjeux et usages », il fait de l’utilisation des théories du complot « comme un anathème facile et disqualifiant » un des axes de l’étude par les sciences sociales des théories du complot. C’est un des questionnements légitimes, mais sous condition de bien localiser ce type d’usage afin d’éviter un dénigrement global des critiques du conspirationnisme. Il y a un détail inquiétant de ce point de vue dans le texte de Giry : il prétend puiser dans un article de 2010 du politiste Emmanuel Taïeb, proposant une critique stimulante du complotisme du point de vue de la science politique, l’idée des théories du complot comme « labellisation infamante ». Or, Taïeb ne dit pas tout à fait cela : il parle d’une « labellisation exogène jugée infamante » par les locuteurs de discours conspirationnistes. Via le « jugée infamante », le chercheur ne reprend pas à son compte le discours des locuteurs complotistes. Ce que fait, par contre, Giry en parlant de « labellisation infamante ».

Dans le même numéro coordonné par Giry, un article joue de façon ambiguë avec la discréditation de la critique des théories du complot : « En un combat douteux. Militantisme en ligne, ʺcomplotismeʺ et disqualification médiatique » : le cas de l’association ReOpen911 », par Pierre France et Alessio Motta, tous deux alors doctorants en science politique. Le texte s’appuie sur une enquête consacrée à l’association complotiste française concernant le 11 septembre 2001 : ReOpen911. Notons que dès le titre « complotisme » est mis entre guillemets, en introduisant une suspicion sur la dénomination. Et les premiers mots de l’article renforcent cette impression : « Bien que le ʺcomplotismeʺ soit devenu un marronnier journalistique ». En conclusion, une formulation peu cohérente épistémologiquement, puisqu’elle s’adosse à une démarche compréhensive vis-à-vis des militants de ReOpen911 et à une démarche critique vis-à-vis des journalistes, consolide les ambiguïtés de départ : « La relative inexpérience politique des mili­tants de ReOpen911, le choix d’une organisation ʺouverteʺ dans un espace de contestation où l’on croise rapidement des acteurs d’extrême droite et/ou antisémites, et enfin et surtout leur stratégie d’échange avec les journalistes ont joué un rôle déterminant dans la construction et l’entretien du stigmate ʺcomplotisteʺ. » Sans que les éléments d’observation mobilisés dans l’article ne soient clairement probants quant à la thèse proposée, le complotisme est avant tout appréhendé comme un « stigmate » relevant tout particulièrement de « la mise en œuvre de stratégies de la part des journalistes ». Par ailleurs, la conclusion passe trop rapidement du constat du « flou sur l’audience des thèses complotistes », qui peut être avéré dans le cas étudié, à la généralisation hâtive et abusive, non étayée, de « la surévaluation du complotisme » à un niveau global. Alessio Motta, devenu docteur en science politique, va généraliser et radicaliser les thèses de l’article de 2017 dans un texte publié dans la rubrique « Opinion » du site culturel AOC le 14 juillet 2021 au titre explicite : « La ʺdéferlante complotisteʺ ou la validation journalistique d’un cliché ».

Le faible investissement du milieu académique français dans le domaine des études autour du conspirationnisme donne une visibilité plus grande à ces quelques analyses contestables. Or, ces réflexions savantes ne semblent guère se préoccuper de la façon dont elles pourraient scier la branche sur laquelle elles sont assises, en légitimant indirectement l’hypercriticisme conspirationniste qui tend à prendre une place plus importante au sein des espaces publics au détriment des critiques pluri-factorielles et structurelles largement portées par les sciences sociales, mais avec une apparence de proximité vis-à-vis de la critique sociologique. D’autant plus que l’hyperspécialisation en cours des sciences sociales détourne involontairement l’attention des chercheurs quant aux dérèglements globaux de la critique aujourd’hui et à leurs effets sur la situation publique de la critique sociologique.

La diversité dans les positionnements professionnels, intellectuels et politiques des cas traités met en évidence une modalité souvent mal perçue de la banalisation des discours conspirationnistes : la disqualification, d’intensité variable, des critiques du complotisme et sa minoration. Leur participation aux brouillages idéologiques actuels n’apparaît pas volontaire et consciente. Cependant, dans une large inconscience, un style commun semble les travailler : la mise en scène d’une rebellitude dans des espaces sociaux diversifiés.

 

Notes :
[1] Voir P. Corcuff, La grand confusion, op. cit., pp. 281-286 et p. 327.
[2] Ibid., pp. pp. 326-327 et 363-364.
[3] Ibid., pp. 286-288, et P. Corcuff, « Macron-Enthoven/Mélenchon-Bégaudeau : troubles confusionnistes avec l’extrême droite », blog Mediapart, 15 juin 2021.
[4] Voir P. Corcuff, La grande confusion, op. cit., pp. 302-303.
[5] Ibid., pp. 425-426.

 

Voir aussi :

Philippe Corcuff : « Légitimer le conspirationnisme, c’est renforcer l’ultraconservatisme »

Mon droit de réponse au magazine Marianne

17 octobre 1961 : quand Bernard Lugan nie le massacre des Algériens

dimanche 17 octobre 2021 à 15:19

Le 17 octobre 1961, la police française réprimait brutalement une manifestation d’Algériens organisée par le F.L.N. à Paris. Soixante ans plus tard, l’événement n’a pas épuisé la controverse. Au point de faire encore l’objet d’une négation pure et simple dans un récent article d’un universitaire pour le moins controversé.

La photo emblématique prise par Jean Texier pour L’Humanité après la répression sanglante de la manifestation du FLN du 17 octobre 1961 à Paris.

Plusieurs dizaines d’Algériens ont été tués, plusieurs centaines blessés, lors de la répression par la police française, sur plusieurs jours, d’une manifestation pacifique que le Front de Libération Nationale algérien a orchestrée à Paris le 17 octobre 1961. Le fait a été amplement établi par des travaux d’historiens, par des missions gouvernementales à la fin des années 1990, de même que par la Justice [1]. Le 17 octobre 2012, le président François Hollande est allé jusqu’à le reconnaître officiellement. Hier, son successeur Emmanuel Macron lui a emboîté le pas, dénonçant lors d’une cérémonie commémorant le soixantième anniversaire du massacre des « crimes inexcusables pour la République. »

Ces conclusions, ces hommages (tardifs), un universitaire, Bernard Lugan les balaie d’un revers de la main dans un article publié sur son blog le 12 octobre 2021, complaisamment relayé par le site complotiste et négationniste Égalité & Réconciliation. Pour lui, pas de doute : ce « massacre » ne mérite que des guillemets, car il serait « imaginaire ». En effet, assène Lugan, aucun Algérien n’aurait perdu la vie lors de la manifestation elle-même ; seul un Français y aurait été tué ; tout au plus deux à trois Algériens auraient succombé à leurs blessures.

Il est vrai que Bernard Lugan n’en est pas à son coup d’essai. Maître de conférences à l’Université Lyon III de 1984 à 2009 après avoir enseigné au Rwanda, l’homme, se revendiquant monarchiste, a collaboré à maints périodiques d’extrême droite, tels que Minute, Présent, Identité. Chantre de la colonisation, il a été accusé par l’historien Alain Ruscio de professer la thèse « de l’infériorité naturelle des habitants » de l’Afrique. Selon lui, le colonialisme aurait eu le défaut d’être… humanitaire : « Par dizaines de milliers, nous avons envoyé les meilleurs des nôtres mourir des fièvres sur le continent noir afin d’y soigner les populations. Erreur colossale. La démentielle surpopulation africaine qui achève de détruire le continent est une conséquence directe de la colonisation. » Ce qui l’a amené à militer pour le retrait de « certaines O.N.G. d’Afrique, car leur action parfois admirable dans la réalité a des effets terriblement pervers. Soulageant la misère, elles prolongent d’autant les guerres car elles permettent à ceux qui en définitive seront vaincus de résister plus longtemps. » [2]

Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que Lugan s’attaque au massacre d’octobre 1961. Quitte à s’asseoir négligemment sur les faits et l’historiographie. Un retour aux faits s’impose, avant de nous intéresser à la « thèse » de l’intéressé, et surtout sa méthodologie.

Un contexte violent : la guerre d’Algérie en métropole

1961. La guerre d’Algérie s’éternise depuis bientôt sept ans. Le gouvernement français cherche une porte de sortie. Il a ouvert des négociations avec le Front de Libération Nationale (F.L.N.), le mouvement insurrectionnel algérien qui est parvenu, à force de propagande et de violence, à incarner la lutte pour l’indépendance.

La guerre, cependant, ne se limite pas au territoire algérien. Elle s’est invitée en métropole, où vit une importante communauté algérienne, dont près de 180 000 personnes en région parisienne. Ces émigrés sont des ressortissants de seconde zone : malgré l’égalité civique proclamée avec les Français, ils perçoivent les salaires les plus bas, et résident dans des habitats précaires, voire des bidonvilles en banlieue parisienne [3].

Le F.L.N., de longue date, s’est acharné à prendre le contrôle de cette population. Il est parvenu à éliminer d’autres organismes politiques rivaux, et surtout le Mouvement National Algérien (M.N.A.), au terme de sanglants règlements de comptes : d’après des estimations officielles publiées par Le Monde le 20 mars 1962, 4 300 personnes auraient perdu la vie dans des attentats en métropole, neuf mille autres auraient été blessées ; l’écrasante majorité des victimes (4 055 morts) sont algériennes [4]. De la sorte, le F.L.N. a organisé un vaste appareil de contrôle et de mobilisation, allant jusqu’à instaurer son propre système judiciaire (fondé sur la charia, la loi islamique) [5]. Il s’agissait pour lui de monopoliser la résistance algérienne, et de peser lourd dans les négociations à conduire avec la France en vue de l’indépendance.

De même, après avoir hésité à franchir le pas, le F.L.N. s’est finalement résolu, au cours de l’été 1958, à s’attaquer à des cibles françaises, notamment policières : alors que trois agents seulement ont été blessés en 1957, on recensera, de 1958 à 1961, 47 morts et 137 blessés chez les policiers [6].

Ces assassinats ont exaspéré, on s’en doute, les forces de l’ordre. Sous l’égide de Maurice Papon (qui avait, sous l’Occupation, organisé des rafles et déportations de Juifs), la Préfecture de Police a opposé des méthodes s’inspirant fortement de la « guerre contre-insurrectionnelle » conduite dans les colonies : systématisation des contrôles d’identité sur les Algériens, interpellations et détentions arbitraires, violations de domicile, « raids » sur des cafés et hôtels, menaces, humiliations, coups et blessures, voire tortures. Pour ce faire, les policiers français ont abondamment employé des supplétifs algériens, les harkis, regroupés dans une Force de Police Auxiliaire (F.P.A.) : connaissant la langue et les lieux, ces derniers se sont révélés des plus efficaces… et des plus brutaux.

L’engrenage de la violence s’emballe au cours de l’année 1961. Après avoir interrompu ses assauts au cours de l’été, le F.L.N., à l’initiative de ses responsables à Paris (qui agissent à l’encontre des dirigeants de la Fédération de France du F.L.N.), relance sa campagne d’attentats dans la seconde quinzaine d’août.

A ce retour de flamme, la police répond par un surcroît de terreur. Le 5 septembre, Papon émet la directive suivante, en parfaite violation des lois applicables : « Les membres des groupes de choc [du F.L.N. – ndlr] surpris en flagrant crime doivent être abattus sur place par les forces de l’ordre. » [7] Les assassinats d’Algériens par la police se multiplient : d’après les archives judiciaires, alors que le nombre d’Algériens victimes de « mort violente » était, en moyenne, d’une douzaine par mois au cours de l’année 1961, il bondit à 37 en septembre [8]. De nombreux cadavres sont repêchés dans la Seine, la Marne et les canaux de Paris, et leur imputation aux forces de l’ordre ne fait pas de doute pour les autorités [9]. Le 2 octobre, lors des obsèques d’un policier victime d’un attentat, Papon enfonce pourtant le clou : « Pour un coup reçu, nous en porterons dix. » [10]

Une manifestation pacifique écrasée par la terreur d’État

Trois jours plus tard, un nouveau cap est franchi dans la répression lorsqu’un couvre-feu est instauré pour les travailleurs algériens [11] : réclamée par des policiers [12], la mesure est manifestement discriminatoire, motivée par le racisme sous couvert de maintien de l’ordre. Bref, chez la police, tout Algérien est un ennemi en puissance. En réaction, le F.L.N. prévoit une action en trois temps : d’abord une manifestation massive, mais pacifique, suivie d’une manifestation de femmes et d’enfants devant la Préfecture de Police, puis une grève générale de vingt-quatre heures (ainsi qu’une grève de la faim dans les lieux de détention) [13]. L’objectif est de rappeler à tous qu’il maîtrise la communauté algérienne en métropole, de manière à renforcer sa légitimité et sa puissance dans l’éventualité de négociations avec le gouvernement français.

Cette démonstration de force – pacifique, rappelons-le – ne tarde pas. Dans la soirée du 17 octobre, à Paris, vingt à trente mille Algériens, hommes, femmes, enfants, se rassemblent pour protester contre le couvre-feu. Rigoureusement encadrés par le F.L.N., les manifestants ne sont pas tous des marionnettes terrorisées par les indépendantistes, loin s’en faut : ayant pour la plupart revêtu leurs habits du dimanche, ils revendiquent surtout leur fierté nationale, en se réappropriant certains lieux emblématiques de la capitale parisienne [14].

Interdite par la police, la manifestation est impitoyablement écrasée : les Algériens sont arrêtés en masse, soit à la sortie des stations de métro, soit en plein défilé ; tabassés, voire victimes de coups de feu ; emmenés de force dans certains centres de détention (Préfecture de Police, Palais des Sports, stade Coubertin, stade Beaujon, etc.). Plusieurs témoins relateront ces sévices, décriront parfois des cadavres empilés, des corps jetés dans la Seine [15].

La répression ne s’interrompt point. Le lendemain, 18 octobre, la police brise la grève générale décrétée par le F.L.N., quitte à perpétrer de nouvelles « ratonnades ». Au total, du 17 au 19 octobre, près de quatorze mille Algériens sont enfermés [16]. Entassés par milliers, souvent privés de soins alors qu’ils ont été roués de coups par les policiers, les détenus sont, sur place, victimes d’une débauche de violence [17]. Par ailleurs, d’autres meurtres interviennent, perpétrés par des « escadrons de la mort » [18].

Contrairement à une légende tenace, ces atrocités ne passent pas inaperçues. Dès le lendemain, la presse signale des heurts et même des morts [19]. Le soir même de la manifestation, la Préfecture de Police diffuse version une totalement aseptisée, mensongère même, des événements : le F.L.N. aurait contraint des Algériens à manifester ; des coups de feu auraient été tirés sur la police, qui aurait répliqué ; deux Algériens auraient été tués, plusieurs autres blessés, ainsi qu’une dizaine de policiers hospitalisés [20]. L’opposition dénonce vigoureusement ces fariboles [21].

Toutefois, le gouvernement tient bon et couvre la police car il a besoin d’elle contre le F.L.N. et l’O.A.S. (pour ne citer que lui, Papon occupera ses fonctions jusqu’en 1967). Une demande de constitution de commission d’enquête est écartée. Les investigations conduites par la Justice traitent les homicides comme autant d’affaires individuelles, sans les inscrire dans le cadre d’une répression étatique [22].

Une mémoire sous haute tension

Le mensonge d’État se met en place, pour des décennies. Dans un premier temps, il est nourri par l’attitude même du F.L.N., qui ne souhaite pas exploiter le bain de sang pour éviter d’enrayer les négociations qu’il entend mener avec Paris en position de force [23]. Les protestations, dans les milieux politiques français, interviennent en ordre dispersé. Bientôt le souvenir du 17 octobre est éclipsé par celui d’une autre explosion de violence policière, à savoir le meurtre de neuf manifestants – français, ceux-là – dans la station de métro Charonne le 8 février 1962.

En Algérie, le souvenir de la tragédie est finalement cultivé à la fin des années soixante. La dictature militaire au pouvoir instrumentalise l’épisode pour raffermir ses liens avec la diaspora algérienne. En 1968, le 17 octobre devient Journée nationale de l’émigration. Chez les immigrés algériens résidant en France, le traumatisme, refoulé par les autorités, reste vivace.

En France, il faut attendre les années 1980 pour que les premiers travaux paraissent sur le sujet, d’abord sous la plume de Michel Levine [24], puis grâce aux recherches de Jean-Luc Einaudi, qui se heurte au refus gouvernemental d’accéder aux archives [25]. La décennie suivante révèle un « retour du refoulé », lorsque mémoire de la Shoah et souvenir du 17 octobre se rencontrent au procès de Maurice Papon (1997-1998), au cours duquel Einaudi est cité comme témoin à charge contre l’ancien Préfet de Vichy et ancien Préfet de Police du général de Gaulle. Papon, d’ailleurs, assignera Einaudi en diffamation – et perdra. Deux commissions gouvernementales, l’une présidée par Dieudonné Mandelkern, l’autre par Jean Géronimi (avocat général à la Cour de Cassation), sont mises sur pied pour enquêter sur l’événement. En 1999, Jean-Paul Brunet, un universitaire habilité à explorer les fonds d’archives de la Préfecture de Police et de l’appareil judiciaire, publie le premier ouvrage scientifique sur le sujet [26].

Une polémique prend alors forme. Elle intéresse le bilan mortuaire de la répression d’octobre 1961. Le déterminer supposerait notamment d’avoir accès à l’intégralité des archives. Or, tel n’est pas le cas, car la documentation, quand elle est accessible, demeure fragmentaire et dispersée. Jean-Luc Einaudi conclut à plusieurs centaines de morts, à quoi Brunet rétorque que ce calcul est lourdement erroné, et qu’en réalité la répression a tué de trente à cinquante personnes [27]. Le rapport Mandelkern, sans faire état de conclusions précises, estime que des « dizaines » de manifestants ont péri, « ce qui est considérable, mais très inférieur aux quelques centaines de victimes dont il a parfois été question » [28]. Le rapport Géronimi, lui, conclut à 48 Algériens tués lors des journées des 17 et 18 octobre 1961, précisant que 105 Algériens ont été victimes de mort violente en octobre 1961 [29]. Les historiens britanniques Jim House et Neil MacMaster, pour leur part, estiment que « bien plus de 120 Algériens furent assassinés par la police en région parisienne » en septembre et octobre 1961 [30].

Quel que soit l’ordre de grandeur, il reste colossal. Ces divergences, après tout explicables compte tenu des lacunes archivistiques, elles-mêmes produit d’un mensonge d’État, n’en nourrissent pas moins la controverse. On l’a vu, ce n’est que le 17 octobre 2012 que l’État français, par la voix du Président François Hollande, réintègre le massacre dans la mémoire officielle.

La négation du massacre par Bernard Lugan

Malgré ces divergences, malgré des zones d’ombre sur le rôle du gouvernement français lui-même, l’historiographie a tout de même dégagé des certitudes : la manifestation du 17 octobre 1961 s’inscrivait dans une lutte sanglante entre le F.L.N. et la police française en métropole mais se voulait pacifique ; s’étendant sur plusieurs jours, la répression a été brutale, causant au moins plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés ; elle faisait d’ailleurs suite à une aggravation de la terreur d’État ciblant les immigrés algériens, laquelle avait conduit à une hausse des meurtres d’Algériens par la police au cours de l’automne.

Bernard Lugan, pour sa part, s’inscrit rageusement en faux contre ces acquis, dans une pseudo-démonstration où la multiplication des points d’exclamation fait office d’argument. Non sans recourir à une méthodologie aux antipodes de ce qu’on est en droit d’attendre d’un historien.

Bernard Lugan (capture d’écran YouTube/Sunrise, 7 octobre 2021).

Tout d’abord, l’intéressé s’emploie à rappeler les prolégomènes de la manifestation, mais de manière singulièrement orientée. Si Lugan rappelle complaisamment la violence exercée par le F.L.N. en métropole, c’est pour mieux passer sous silence la brutalité raciste de la réaction policière. Le couvre-feu du 5 octobre 1961 est réduit à une décision rationnelle tendant à « gêner les communications des réseaux du F.L.N. et l’acheminement des armes vers les dépôts clandestins ». La circonstance qu’une telle mesure soit discriminatoire, raciste, et manifestement contraire à la législation applicable (à commencer par la Constitution), ce qui lui avait valu des réactions outragées dès cette époque, semble échapper à Lugan. L’ancien commissaire Jean Dides, qu’on ne classera pas à gauche de l’échiquier politique, avait lui-même vitupéré ces mesures « parce qu’elle se fondent, qu’on le veuille ou non, sur un principe de discrimination raciale et confessionnelle et qu’elles constituent, qu’on le veuille ou non, une manifestation de racisme contraire à toutes nos traditions » [31].

Ces omissions de Lugan lui permettent de décrire la manifestation du 17 octobre non pas comme ce qu’elle était – une manifestation pacifique – mais comme un déferlement cauchemardesque contre l’infortuné appareil policier, réduit à 1 658 hommes « assaillis de toutes parts ». Rappelons tout de même que pas un seul agent des forces de l’ordre n’a perdu la vie lors de la manifestation, et que selon la Préfecture de Police elle-même, à peine une dizaine de ses hommes ont été hospitalisés. Mais au moins le procédé de Lugan l’amène-t-il à inverser les rôles de bourreaux et de victimes, méthode classique de rejet de culpabilité.

La suite de l’exposé révèle une présentation frauduleuse de l’état historiographique. « Pour les historiens de métier, les prétendus « massacres » du 17 octobre 1961 constituent donc un exemple extrême de manipulation de l’histoire », affirme Lugan, alors que, précisément, les travaux d’historiens – mais aussi ceux de missions gouvernementales – ont établi la réalité desdits massacres. Même les estimations les plus basses concluent que la répression a au moins conduit à plusieurs dizaines de victimes.

Lugan prétend, de surcroît, que le rapport Mandelkern, publié en 1999, aurait fait « litière de la légende du prétendu « massacre » du 17 octobre 1961 ». Ce faisant, l’auteur passe totalement sous silence les autres travaux d’historiens (notamment Jean-Luc Einaudi, Jim House et Neil MacMaster, Emmanuel Blanchard), se limitant à évoquer dans une note infrapaginale, non pas les livres de Jean-Paul Brunet, mais un simple article de ce dernier paru dans Atlantico. La commission Géronimi passe également à la trappe – il est vrai que ses conclusions cadrent mal avec les allégations de Lugan. Il y a décidément beaucoup de choses que Lugan n’évoque pas.

Une instrumentalisation plus que douteuse du rapport Mandelkern

L’utilisation du rapport Mandelkern par Lugan s’avère elle-même critiquable. S’appuyant sur ce seul rapport, l’auteur tente de réduire au maximum le nombre de morts, acceptant certaines affirmations et écartant celles qui ne lui conviennent pas. Jamais Lugan n’indique au lecteur que, selon ce rapport, maints documents ont été perdus ou détruits, notamment les archives de la brigade fluviale (« la mission a ainsi été privée d’un précieux moyen de recoupement ») ; que le rapport n’en indique pas moins que des « dizaines » de manifestants ont péri, que « les conditions de séjour [des Algériens arrêtés] dans les centres ont été éprouvantes », que « le bilan réel des blessés est sans doute très largement supérieur au chiffre de 136 donné le 31 octobre 1961 par le ministre de l’intérieur » (après tout, indique benoîtement Lugan, « mon analyse ne porte que sur les morts »).

Ayant soigneusement sélectionné certains passages du rapport pour étayer son propos, Lugan n’en persiste pas moins dans l’ineptie. Tout d’abord, il proclame triomphalement que « le paragraphe 2.3.5 du rapport intitulé « Les victimes des manifestations » est particulièrement éloquent car il parle de sept morts, tout en précisant qu’il n’y eut qu’un mort dans le périmètre de la manifestation, les six autres victimes n’ayant aucun lien avec cet événement, ou ayant perdu la vie postérieurement à la dite manifestation dans des circonstances parfaitement détaillées dans le rapport. »

Il n’en est rien. Lugan, tout d’abord, se garde d’informer le lecteur que ledit paragraphe ne correspond pas à une conclusion du rapport, mais reprend en fait « un document contenu dans les archives du Préfet de Police », faisant état de « sept morts et cent trente-six blessés ». En d’autres termes, le rapport Mandelkern ne conclut pas à « sept morts », mais cite un document retrouvé lors de ses investigations. Le rapport ne se limitait nullement à cette source, mais recommandait, en l’état de la documentation lacunaire accessible, de s’appuyer sur le registre de l’institut médico-légal pour trouver « trace d’autres victimes éventuelles ». Lugan, au demeurant, ne dit mot des blessés, pourtant nombreux quand on les compare à ceux des forces de l’ordre…

Lugan n’est pas plus crédible quand il fait observer que seul un mort de la liste des sept a été retrouvé dans le périmètre de la manifestation, à savoir un Français, Guy Chevalier, ce qui prouverait qu’aucun Algérien n’a été tué lors de la manifestation elle-même. C’est « oublier » que, selon le rapport Mandelkern, le document lui-même déclare ces sept morts imputables à la répression des 17-20 octobre, si bien qu’il est particulièrement ridicule de lui faire déduire qu’il innocenterait les policiers français ; que l’un des autres membres de cette liste a été tué le 20 octobre au stade Coubertin, lieu de détention des manifestants ; que quatre autres sont morts en banlieue (Puteaux, Colombes), lors du reflux ou de la dispersion des manifestations des 17 et 18 octobre.

De fait, Lugan « oublie » que la tragédie ne se limite pas à la soirée et à la nuit du 17 octobre, qu’elle s’est prolongée les jours suivants, et que bien des manifestants ont été violemment empêchés de se rendre dans Paris, ce qui explique que des cadavres soient retrouvés en banlieue. Ainsi, contrairement à ce qu’indique Lugan, le rapport rattache bel et bien ces morts aux événements du 17 octobre et des jours qui suivent. Mais, par principe, Lugan exclut tout bonnement les cadavres de banlieue et ceux postérieurs au 17 octobre pour réduire autant que faire se peut le bilan mortuaire de la répression ! Ce qui constitue une faillite méthodologique de première grandeur.

Quand Lugan attribue les morts… au F.L.N.

Lugan cite un autre passage du rapport Mandelkern, à savoir son annexe III, qui recense vingt-cinq cas d’Algériens retrouvés morts et « pour lesquels les informations disponibles sur la date de la mort ou ses circonstances ne permettent pas d’exclure tout rapport avec les manifestations des 17-20 octobre ». Plusieurs cadavres de cette liste, en effet, ont été immergés dans la Seine et autres cours de région parisienne. Pour Lugan, pas d’équivoque : « 17 de ces 25 défunts ont été tués par le FLN, la strangulation-égorgement, l’emploi d’armes blanches etc., n’étant pas d’usage dans la police française… »

Une déduction automatique qui ne résiste pas à un examen critique. Car il est, là encore, établi que de telles méthodes ont été mises en pratique par des policiers français et leurs supplétifs algériens – ne serait-ce que parce que quelques rares victimes ont pu survivre à leurs blessures et raconter le modus operandi des tueurs. Le fait de jeter les corps à l’eau rendait également difficile leur identification, et ne correspondait pas aux manières du F.L.N., qui souhaitait exposer les cadavres de ses rivaux [32].

Du reste, les autorités judiciaires françaises n’étaient pas dupes, comme l’atteste, entre autres documents, une note du directeur de cabinet du Garde des Sceaux de l’époque, en date du 27 octobre 1961 : « Du Parquet de la Seine et du Parquet général de Paris me parviennent des échos qui m’alarment. Depuis un certain temps, le nombre de cadavres de nord-africains découverts dans la Seine et même la Seine-et-Oise se multiplie : du 1er au 24 octobre, une soixantaine au moins dans la Seine et une quarantaine dans le seul arrondissement de Versailles. Il en est de même des « disparitions » signalées. Sans autoriser une certitude absolue, le plus souvent certains indices permettent de craindre qu’il peut s’agir « d’actions policières ». » [33]

On pourrait recenser d’autres oublis et inexactitudes chez Lugan : il ne mentionne pas les conditions de détention des milliers de manifestants arrêtés ; il ne tient pas compte du fait que bien des Algériens blessés ont cherché à éviter l’hôpital de peur d’y être appréhendés, que des cadavres et des blessés ont été récupérés par leurs compatriotes sans passer par les autorités [34]. De ces complexités, et des carences de la documentation, Lugan n’a cure, ne préférant retenir que ce qui l’intéresse d’un seul document, à savoir le rapport Mandelkern, dont les conclusions – très prudentes – contredisent sa propre « thèse ».

De ce qui précède, il ressort que, loin d’avoir fait œuvre d’historien, l’auteur a entrepris de nier, purement et simplement, la réalité d’un massacre à l’aide d’une argumentation frelatée. Bref, l’article de Lugan ne tient nullement de l’Histoire, mais relève de la propagande – et signe son incompétence.

 

Notes :
[1] Lors du procès en diffamation intenté par l’ancien Préfet de Police de l’époque, Maurice Papon, contre le chercheur Jean-Luc Einaudi, et qui conduira au rejet de la plainte. Jugement du T.G.I. de Paris n° 9822300700 du 26 mars 1999, Papon c. Einaudi : https://www.mrap.fr/mediawiki/images/f/fe/Jugement_1.pdf
[2] Voir la notice d’Alain Ruscio, « Un africaniste ami de l’Apartheid », in Sébastien Jahan & Alain Ruscio (dir.), Histoire de la colonisation. Réhabilitations, falsifications et instrumentalisations, Paris, Les Indes Savantes, 2007, p. 180-183.
[3] Jim House & Neil MacMaster, Paris 1961. Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire, Paris, Tallandier, 2008, p. 91-92 (trad. de l’anglais).
[4] Tentative de bilan par Charles-Robert Ageron, « Les Français devant la guerre civile algérienne », in Jean-Pierre Rioux (dir.), La Guerre d’Algérie et les Français, Paris, Fayard, 1990, p. 54-55. Dans son billet, Bernard Lugan reprend certaines de ces statistiques, sans citer ses sources.
[5] House & MacMaster, Paris 1961, op. cit., p. 92-96.
[6] House & MacMaster, Paris 1961, op. cit., p. 123 ainsi que Jean-Paul Brunet, Police contre F.L.N. Le drame d’octobre 1961, Paris, Flammarion, 1999, p. 334.
[7] Cité dans Jean-Luc Einaudi, Octobre 1961. Un massacre à Paris, Paris, Fayard, Pluriel, 2010, p. 139.
[8] Rapport de mission : Recensement des archives judiciaires relatives à la manifestation organisée par le F.L.N. le 17 octobre 1961 et, plus généralement, aux faits commis à Paris à l’encontre des Français musulmans d’Algérie durant l’année 1961 (ci-après désigné : Rapport Géronimi), 1998, p. 19. En ligne : https://www.mrap.fr/mediawiki/images/7/75/Rapport_Geronimi.pdf. Jim House et Neil MacMaster démontrent de manière rigoureuse que la police française est sans doute à l’origine de la majorité des décès (Paris 1961, op. cit., p. 142-148).
[9] House & MacMaster, Paris 1961, op. cit., p. 144.
[10] Einaudi, Octobre 1961, op. cit., p. 179. House & MacMaster, Paris 1961, op. cit., p. 140. Brunet, Police contre F.L.N., op. cit., p. 87-88. Jugement du T.G.I. de Paris n° 9822300700 du 26 mars 1999, Papon c. Einaudi, p. 22 : https://www.mrap.fr/mediawiki/images/f/fe/Jugement_1.pdf
[11] Le 17 octobre 1961 à Paris par les textes de l’époque, Paris, Les Petits Matins, association « Sortir du colonialisme », 2011, p. 35-41.
[12] Brunet, Police contre F.L.N., op. cit., p. 83-85.
[13] Circulaire du comité fédéral de la Fédération de France du F.L.N. du 10 octobre 1961, Le 17 octobre 1961 à Paris par les textes de l’époque, op. cit., p. 42-45.
[14] Emmanuel Blanchard, « Derrière le massacre d’État : ancrages politiques, sociaux et territoriaux de la « démonstration de masse » du 17 octobre 1961 à Paris », French Politics, Culture & Society, vol. 34, n°2, été 2016, p. 101-122, notamment p. 103-113.
[15] Sur ce point, voir Einaudi, Octobre 1961, op. cit.. Jean-Paul Brunet, pour sa part, n’a pas interrogé de témoins algériens, ce qui lui a valu plusieurs critiques, notamment de Pierre Vidal-Naquet (Préface à Paulette Péju, Ratonnades à Paris, Paris, La Découverte, 2000, p. 17).
[16] House & MacMaster, Paris 1961, op. cit., p. 161-165.
[17] House & MacMaster, Paris 1961, op. cit., p. 165-171.
[18] House & MacMaster, Paris 1961, op. cit., p. 170-171.
[19] Voir le dossier de presse constitué par le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples : https://www.mrap.fr/mediawiki/index.php/Dossiers_th%C3%A9matiques_-_Massacre_d%27alg%C3%A9riens_le_17_octobre_1961
[20] Communiqué de la Préfecture de Police – 17 octobre 1961 à minuit, Le 17 octobre 1961 par les textes de l’époque, op. cit., p. 49-51.
[21] House & MacMaster, Paris 1961, op. cit., p. 174-178 et 182-185.
[22] Emmanuel Blanchard, « 17 octobre 1961. Un massacre colonial à Paris », L’Histoire, n°488, octobre 2021, p. 18-19.
[23] House & MacMaster, Paris 1961, op. cit., p. 294.
[24] Michel Levine, Les ratonnades d’octobre. Un meurtre collectif à Paris, Paris, Ramsay, 1985. Rééd. : Paris, Jean-Claude Gawsewitch, 2011.
[25] Jean-Luc Einaudi, La Bataille de Paris. 17 octobre 1961, Paris, Seuil, 1991.
[26] Brunet, Police contre F.L.N., op. cit.
[27] Einaudi, Octobre 1961, op. cit., p. 549-602 et Brunet, Police contre F.L.N., op. cit., p. 315-331 ainsi que Charonne. Lumières sur une tragédie, Paris, Flammarion, 2003, p. 17-40.
[28] Rapport sur les archives de la Préfecture de Police relatives à la manifestation organisée par le F.L.N. le 17 octobre 1961 (ci-après : Rapport Mandelkern), p. 18. https://www.vie-publique.fr/rapport/26127-rapport-sur-les-archives-de-la-prefecture-de-police-relatives-la-manif.
[29] Rapport Géronimi, op. cit., p. 19.
[30] House & MacMaster, Paris 1961, op. cit., p. 203-211.
[31] Cité dans Brunet, Police contre F.L.N., op. cit., p. 165.
[32] House & MacMaster, Paris 1961, op. cit., p. 142-148.
[33] Document intégralement reproduit dans Rapport Géronimi, p. 15.
[34] House & MacMaster, Paris 1961, op. cit., p. 207.

 

Voir aussi :

Rwanda : pourquoi les génocidaires s’acharnent à nier le rôle de l’Akazu

Conspiracy News #42.2021

dimanche 17 octobre 2021 à 15:13

L’actu de la semaine décryptée par Conspiracy Watch (semaine du 11/10/2021 au 17/10/2021).

ALGÉRIE. Les récents communiqués de la présidence algérienne à l’encontre de propos tenus par Emmanuel Macron sur le « système politico-militaire » de l’Algérie et sur l’entretien par le pouvoir d’une « rente mémorielle », illustrent la résurgence d’un « récit national » concocté par le régime au sortir de la guerre d’indépendance, et qui nourrit des accusations complotistes contre la France : celle-ci se voit accuser, sous couvert de néo-colonialisme, de miner l’identité nationale algérienne. Une mythologie qui ne répond plus aux aspirations de la population, mais qui continue de porter bien des effets pervers (source : Conspiracy Watch, 11 octobre 2021).

17 OCTOBRE 1961. Pour Conspiracy Watch, Nicolas Bernard livre une critique en règle d’une récente note de blog de l’historien Bernard Lugan reprise notamment dans le site complotiste et négationniste Égalité & Réconciliation au sujet de la répression sanglante de la manifestation organisée par le FLN à Paris le 17 octobre 1961, qualifiée hier par Emmanuel Macron de « crimes inexcusables pour la République. » Selon Lugan en effet, ce « massacre » ne mérite que des guillemets, car il serait « imaginaire » et aucun Algérien n’aurait perdu la vie à cette occasion (source : Conspiracy Watch, 17 octobre 2021).

DROGUE. La rencontre organisée à Paris le 4 octobre 2021 entre Éric Zemmour et Michel Onfray par la revue de ce dernier, Front Populaire, a attiré 3 700 personnes au Palais des Congrès. À l’issue de deux heures de discussion, force est de constater que les désaccords entre les deux hommes pèsent peu en regard de tout ce qui les rapproche. C’est ainsi que les deux bateleurs se sont parfaitement accordés pour estimer que la lutte contre le trafic de drogue n’était qu’un simulacre, orchestré notamment par les États-Unis, et que la diffusion des drogues dans la population française permettait de la gouverner plus facilement… (source : Conspiracy Watch, 15 octobre 2021).

GRAPHÈNE. Quelques atomes de carbone sous la forme de graphène, un nanomatériau récent et prometteur, ont suffi à alimenter les théories complotistes les plus folles s’agissant du vaccin. D’après celles-ci, des gouvernements ou des personnalités chercheraient à contrôler à distance les personnes grâce à des matériaux injectés par le biais de vaccins contre le Covid-19 ou à suivre leurs déplacements par GPS. Ces rumeurs ont surgi au printemps 2021 après que le Canada a retiré du marché des masques médicaux contenant du graphène en raison de possibles risques pour la santé (source : Le Dauphiné libéré, 8 octobre 2021).

LOUIS FOUCHÉ. Dans l’ouvrage Tous résistants dans l’âme, éclairons le monde de demain, qui vient de paraître, l’anesthésiste réanimateur anti-IVG et fondateur du blog Réinfo Covid, s’attaque aux « médias alarmistes, politiques dictatoriaux, scientifiques corrompus ou dogmatiques ». Louis Fouché y évoque son malaise et sa perte de repères dans un monde dont il souligne l’injustice et la trop grande complexité. Sa réponse ? Un discours antiscience, qui l’amène, par exemple, à minimiser la crise du Covid-19. D’après lui, la vérité scientifique serait « majoritairement établie par l’industrie pharmaceutique » ; quant aux services hospitaliers, ils auraient eu intérêt à valider la thèse de la crise afin d’obtenir plus de matériel, de postes et d’argent (source : L’Express, 16 octobre 2021).

À lire également, au sujet de Réinfo Covid, l’enquête de William Audureau, qui décrit une mouvance dans laquelle se sont engouffrés des homéopathes, des naturopathes, des acupuncteurs, des adeptes de la pensée New Age, des fans de Donald Trump et des adeptes de QAnon… (source : Le Monde, 16 octobre 2021).

MIGUEL BARTHELERY. L’homme qui prescrivait purges et jeûnes à ses patients gravement malades a été condamné le 15 octobre à deux ans de prison avec sursis et interdiction d’exercer le métier de naturopathe, de magnétiseur et de radiesthésiste. Quatre familles estiment qu’il a causé la mort de leurs proches. Miguel Barthelery a fait appel de cette décision (source : Le Parisien, 15 octobre 2021). Rappelons qu’il avait également été l’un des intervenants, en 2020, du documentaire complotiste « Hold-up ». À écouter, « Code source », le podcast d’actualité du Parisien, qui a consacré un épisode à cette affaire.

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INFOX SATIRIQUES. Bill Gates arrêté pour trafic d’enfants et pendu à Guantanamo, Tom Hanks exécuté par l’armée américaine, le pape François interdisant l’absolution pour les catholiques non-vaccinés contre le Covid-19… Ces articles – tous bidons – ont été publiés sur des sites s’identifiant comme satiriques. Le problème, c’est que beaucoup d’internautes partagent ces canulars qui inondent les réseaux sociaux, générant des polémiques mais aussi des revenus pour ceux qui les disséminent (source : 20 Minutes, 10 octobre 2021).

TELEGRAM. En quelques mois, Telegram a atteint le nombre de 550 millions d’utilisateurs actifs par mois (juillet 2021), devenant ainsi la cinquième application de messagerie la plus utilisée au monde. L’application a été félicitée pour sa résistance à la censure et son rôle dans l’aide aux manifestants de Biélorussie et du Myanmar. L’éthique libertaire de Telegram a toutefois un côté plus sombre, selon l’organisation antiraciste Hope Not Hate : l’application serait devenue l’un des pires viviers d’antisémitisme sur Internet. Un problème qui s’aggrave de jour en jour (source : Wired, 13 octobre 2021).

JEAN-JACQUES CRÈVECOEUR. « Ces gens reçoivent des millions d’euros, des millions de dollars », affirme le complotiste antivaccination Jean-Jacques Crèvecoeur, fidèle en cela à sa démarche de désinformation et de manipulation, au sujet de celles et ceux qui, comme Conspiracy Watch, analysent et dénoncent les infox et discours complotistes qu’il diffuse sur les réseaux sociaux (source : L’Extracteur/Twitter, 11 octobre 2021).

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DAVE HAYES. Fidèle aux prophéties de QAnon, Dave Hayes (alias « The Praying Medic »), figure de la complosphère américaine et ex-représentant au Congrès du Parti républicain, de 2013 à 2019, prédit la fin du Système : « la Tempête arrive, assure-t-il, et personne ne fera quoi que ce soit pour l’arrêter » (source : Right Wing Watch/Twitter, 12 octobre 2021).

HACKER X. Sur le site Ars Technica, Hache Sharma publie une enquête au sujet de Willis, alias « Hacker X », un Américain qui a, pendant plusieurs années, activement inondé le débat public américain de fake news pro-Trump par la voie d’un site de réinformation pour lequel il travaillait, dont il a cependant refusé de révéler l’identité. L’article revient sur la personnalité et le parcours de ce « hacker », aujourd’hui repenti, qui a décidé de s’engager contre la désinformation. « La nouvelle guerre consiste à réveiller ceux qui ont été manipulés, tout en éliminant activement les campagnes de fake news », explique Willis. Le point de départ de ce retournement ? Une prise de conscience du danger de cette désinformation, lorsque son propre père, influencé par les théories qu’il diffusait, s’est opposé aux mesures sanitaires et à la vaccination anti-Covid-19 (source : Ars Technica, 14 octobre 2021).

BARKHANE. Sur les réseaux sociaux, dans un contexte de tensions franco-maliennes, de graves accusations sont proférées à l’encontre de la force française Barkhane déployée au Sahel. Ces accusations gratuites visent à alimenter le sentiment anti-français. On peut ainsi lire sur le compte Twitter d’une activiste anti-française, Nathalie Yamb (168 000 abonnés), que la France équiperait les djihadistes en armes et véhicules… De fausses accusations à caractère conspirationniste qui s’insèrent dans un narratif pro-russe (source : RFI, 8 octobre 2021). Pour lutter contre ce type d’infox, Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, a signé à Montpellier un accord d’objectif avec France Médias Monde (France 24, RFI et Monte Carlo Doualiya) et CFI. Le but : combattre le risque de manipulation de l’information, notamment en Afrique, dans le monde arabe et en Asie du Sud-Est (source : France 24, 13 octobre 2021).

ENQUÊTE COMPLOTISME. 83% des Français jugent que les fake news et le complotisme sont des phénomènes très répandus sur les réseaux sociaux. Dans le même temps, 69% d’entre eux estiment que le gouvernement n’est pas suffisamment engagé pour lutter contre et 73% attendent également un engagement plus important des plateformes. C’est ce qui ressort d’une enquête Odoxa publiée le 14 octobre 2021.

Source : Odoxa, octobre 2021.

COMPLORAMA. À l’occasion de la mise en place par Emmanuel Macron de la commission sur le complotisme supervisée par le sociologue Gérald Bronner, le 15e épisode de Complorama, podcast de France Info, était consacré aux moyens de la lutte contre l’essor du complotisme. Cette émission, animée par la journaliste Marina Cabiten, Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, et Tristan Mendès France, maître de conférence et collaborateur de l’Observatoire du conspirationnisme, est à retrouver sur le site de France Info, l’application Radio France et plusieurs autres plateformes comme Apple podcastsPodcast AddictSpotify, ou Deezer.

LECTURES. À l’heure où les débats sur la pandémie, le pass sanitaire ou les vaccins conduisent à une profusion de fake news sur les réseaux sociaux, l’Inserm fait le pari de la science et de la pédagogie. Réalisé sous la direction de Laurianne Geffroy et Léa Surugue, l’ouvrage Fake news santé (Le Cherche-Midi) rassemble les contributions de plusieurs dizaines de chercheurs, épidémiologistes, immunologistes, cancérologues et toxicologues qui s’attaquent aux idées reçues sur la science et la médecine, parfois vraies, souvent fausses, mais largement implantées dans l’esprit du public (source : Le Point, 9 octobre 2021).

INSIDE JOB. Netflix diffusera à partir du 22 octobre une nouvelle série animée pour adultes, créée par Shion Takeuchi. « Inside Job » met en scène la jeune et talentueuse Reagan Ridley au sein de Cognito Inc., une compagnie secrète qui gère tous les complots du monde et se charge d’empêcher que la population ne découvre la véritable identité de ceux qui tirent les ficelles dans l’ombre… « État profond », reptiliens et hommes-mites sont au rendez-vous. Une série satirique qui joue avec les codes du complotisme (source : Conspiracy Watch, 12 octobre 2021).

ÉMISSION. « Les Déconspirateurs » : c’est le nom d’une nouvelle émission régulière proposée par Conspiracy Watch. Dans ce rendez-vous filmé, animé par David Medioni, Tristan Mendès France et Rudy Reichstadt commentent et analysent l’actualité du conspirationnisme, au croisement des questions de radicalisation et de haine en ligne. Au sommaire de ce premier numéro : quelques mots sur la Commission Bronner, le déplateformage de RT Deutsch et de Médias-Presse.info, la question de l’infotainment, les violences commises dans le sillage du mouvement antivaxx et la suppression de la cagnotte d’Alice Pazalmar par HelloAsso. À visionner, le teaser de l’émission.

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[PODCAST] Commission Bronner, régulation des réseaux sociaux, éducation aux médias : comment lutter contre l’essor du complotisme ?

samedi 16 octobre 2021 à 16:56

Par quels moyens endiguer la propagation des théories du complot ? À l’occasion du lancement de la commission Bronner, zoom sur les questions et obstacles rencontrés dans cette lutte.

Une commission sur le complotisme vient d’être lancée par Emmanuel Macron, la commission Bronner, du nom du sociologue Gérald Bronner qui la dirige.

L’occasion pour Complorama de poser cette question, dans ce 15e épisode : comment endiguer la propagation des théories du complot ? Les institutions sont-elles une solution ? Faut-il encadrer les réseaux sociaux ou est-ce de la censure ?

Nous parlons aussi du nerf de cette guerre : l’argent. Certains complotistes en ont beaucoup pour promouvoir leurs idées grâce aux revenus publicitaires, quand l’éducation aux médias en France en manque cruellement.

« Comment lutter contre l’essor du complotisme », c’est le 15e épisode de Complorama, avec Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, et Tristan Mendès France, maître de conférence et membre de l’observatoire du conspirationnisme, spécialiste des cultures numériques. Un podcast à retrouver sur le site de franceinfo, l’application Radio France et plusieurs autres plateformes comme Apple podcastsPodcast AddictSpotify, ou Deezer.

Drogue : ces propos « stupéfiants » entendus lors de la rencontre Zemmour-Onfray

vendredi 15 octobre 2021 à 18:48

Les deux bateleurs s’accordent pour estimer que la lutte contre le trafic de drogue est un simulacre.

Éric Zemmour et Michel Onfray (capture d’écran YouTube/Front Populaire, 04/10/2021).

L’opération de communication – et de séduction – organisée par la revue Front Populaire a été un succès : 3700 places vendues en quelques jours pour assister, à Paris, au débat « Accords & Désaccords » réunissant Éric Zemmour et Michel Onfray. Les deux hommes ne cachent pas l’estime qu’ils se portent mutuellement. À l’issue de ces deux heures sur la scène du Palais des Congrès, force est de constater que leurs désaccords pèsent peu en regard de tout ce qui les rapproche.

C’est notamment vrai lorsqu’arrive pour Michel Onfray le moment d’aborder la question de la sécurité, de la violence et du trafic de drogue dans les banlieues. Pour le philosophe, les coupables sont à chercher ailleurs car « la banlieue, c’est un petit rouage dans une grosse machine. » Extrait :

« Il y a des pays qui fabriquent cette drogue : le Maroc, l’Afghanistan, un certain nombre de pays d’Amérique du Sud. Nous avons de bonnes relations avec ces pays-là, il n’y a pas de problème […]. Depuis qu’il y a Maastricht, il n’y a plus d’État. Le but, c’est ça : c’est quand même de détruire l’État. Donc, d’une certaine manière, c’est de permettre aux banlieues d’être ce qu’elles sont et de fonctionner comme elles fonctionnent […]. Mais il y a d’abord les pays qui fabriquent de la drogue et qui peuvent, sans difficulté, la faire circuler. Ça, il n’y a aucun problème quand ce sont les États qui gèrent ces choses-là […]. L’argent de la drogue, c’est l’argent de la mafia, c’est donc l’argent de la politique planétaire, c’est clair, c’est très clair. »

Éric Zemmour écoute attentivement l’analyse de Michel Onfray qui poursuit sa diatribe contre la « grande mafia planétaire » du trafic de drogue en ces termes :

« Comme par hasard, nous ne sommes pas fâchés avec ces producteurs… Comme par hasard, ces pays producteurs peuvent exporter. Et comme par hasard, la chasse, elle commence quand on a des petits dealers, même les gros dealers nationaux sont des petits dealers par rapport à la planète. »

Onfray évoque ensuite les États-Unis, qu’il désigne comme le grand orchestrateur de ce trafic : « Le trafiquant en chef, on voit bien qui c’est. » Des affirmations pour le moins étonnantes quand on sait notamment que les États-Unis ont dépensé, depuis les années 1960, plusieurs centaines de milliards de dollars justement pour mener une guerre à la drogue (War on Drugs) à l’échelle planétaire.

On comprend clairement alors où le philosophe veut en venir : selon lui, les États laisseraient opportunément prospérer le trafic de drogue pour mieux dominer la population. Ses propos laissent d’ailleurs peu de place à l’équivoque :

« Qu’est-ce qui fait que la France est le pays où l’on boit le plus, où l’on consomme le plus d’anti-dépresseurs, d’anxiolytiques, de somnifères, de drogues ? […] C’est tellement facile de diriger un peuple d’alcooliques, un peuple de gens qui se droguent, un peuple de gens qui sont en permanence avec des pétards, en estimant que ça fait partie de leur quotidien. »

Et le modérateur Stéphane Simon d’abonder, au sujet des consommateurs de crack à Paris : « On les maintient sous addiction avec des salles de shoot. »

Éric Zemmour ne se distancie nullement des propos de Michel Onfray. Au contraire. Évoquant l’Afghanistan, il prétend que « le seul moment où l’Afghanistan n’a plus produit de drogue, c’est lorsque les talibans gouvernaient dans les années 90. Comme par hasard… »

Le problème, c’est que cette assertion, à laquelle acquiesce Michel Onfray, est inexacte. De nombreuses sources décrivent en effet avec précision l’essor de la production d’opium à l’époque du règne taliban (1996-2001), par exemple une note publiée en 2001 par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) qui dresse ce constat : « Pendant les années 90, l’Afghanistan est devenu le premier producteur mondial d’opium illicite. En 1999, il a produit 79% du total mondial et, en 2000, cette proportion, bien que moindre, n’en était pas moins de 70%. »

 

Voir aussi :

Michel Onfray : « Macron est le chef de l’État profond »

« Front populaire » et l’« État profond »… : Taguieff répond à nos questions