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Framabag, un nouveau service libre et gratuit

mercredi 5 février 2014 à 19:00

Une interview de Nicolas, son développeur.

Il ne vous a sûrement pas échappé que notre consommation de contenus du Web est terriblement chronophage et particulièrement frustrante tout à la fois : non seulement nous passons beaucoup (trop ?) de temps en ligne à explorer les mines aurifères de la toile, y détectant pépites et filons, mais nous sommes surtout constamment en manque. Même si nous ne sommes pas dans le zapping frénétique si facilement dénoncé par les doctes psychologues qui pontifient sur les dangers du numérique pour les jeunes cervelles, il nous vient souvent le goût amer de l’inachevé : pas le temps de tout lire (TL;DR est devenu le clin d’œil mi-figue mi-raisin d’une génération de lecteurs pressés), pas trop le temps de réfléchir non plus hélas, pas le temps de suivre la ribambelle de liens associés à un article…

Pour nous donner bonne conscience, nous rangeons scrupuleusement un marque-page de plus dans un sous-dossier qui en comporte déjà 256, nous notons un élément de plus dans la toujours ridiculement longue toudouliste, bref nous remettons à plus tard, c’est-à-dire le plus souvent aux introuvables calendes grecques, le soin de lire vraiment un article jugé intéressant, de regarder une vidéo signalée par les rézossocios, de lire un chapitre entier d’un ouvrage disponible en ligne…

Alors bien sûr, à défaut de nous donner tout le temps qui serait nécessaire, des solutions existent pour nous permettre de « lire plus tard » en sauvegardant le précieux pollen de nos butinages de site en site, et d’en faire ultérieurement votre miel ; c’est bel et bon mais les ruches sont un peu distantes, ça s’appelle le cloud (nos amis techies m’ont bien expliqué mais j’ai seulement compris que des trucs à moi sont sur des machines lointaines, ça ne me rassure pas trop) et elles sont souvent propriétaires, ne laissant entrer que les utilisateurs consommateurs payants et qui consentent à leurs conditions. Sans compter que de gros bourdons viennent profiter plus ou moins discrètement de toutes ces traces de nous-mêmes qui permettent de monétiser notre profil : si je collecte sur ces services (ne les nommons pas, justement) une série d’articles sur l’idée de Nature chez Diderot, je recevrai diverses sollicitations pour devenir client de la boutique Nature & Découverte du boulevard Diderot. Et si d’aventure les programmes de la NSA moulinent sur le service, je serai peut-être un jour dans une liste des militants naturistes indésirables sur les vols de la PanAm (je ne sais plus trop si je plaisante là, finalement…)

La bonne idée : « se constituer un réservoir de documents sélectionnés à parcourir plus tard » appelait donc une autre bonne idée, celle d’avoir le contrôle de ce réservoir, de notre collection personnelle. C’est Nicolas Lœuillet, ci-dessous interviewé, qui s’y est collé avec une belle application appelée euh… oui, appelée Wallabag.

Framasoft soutient d’autant plus son initiative qu’on lui a cherché des misères pour une histoire de nom et qu’il est possible d’installer soi-même une copie de Wallabag sur son propre site.

Le petit plus de Framasoft, réseau toujours désireux de vous proposer des alternatives libératrices, c’est de vous proposer (sur inscription préalable) un accès au Framabag, autrement dit votre Wallabag sur un serveur Frama* avec notre garantie de confidentialité. Comme pour le Framanews, nous vous accueillons volontiers dans la limite de nos capacités, en vous invitant à vous lancer dans votre auto-hébergement de Wallabag.
Cet article est trop long ? Mettez-le dans votre Framabag et hop.

Framablog : Salut Nicolas… Tu peux te présenter brièvement ?

Salut ! Développeur PHP depuis quelques années maintenant (10 ans), j’ai voulu me remettre à niveau techniquement parlant (depuis 3 ans, j’ai pas mal lâché le clavier). Pour mes besoins persos, j’ai donc créé un petit projet pour remplacer une solution propriétaire existante. Sans aucune prétention, j’ai hébergé ce projet sur Github et comme c’est la seule solution open source de ce type, le nombre de personnes intéressées a augmenté …

Les utilisateurs de services Framasoft ne le savent pas forcément, mais tu as déjà pas mal participé à la FramaGalaxie, non ?

En effet. J’ai commencé un plugin pour Framanews, ttrss-purge-accounts, qui permet de nettoyer la base de données de comptes plus utilisés. Mais ce plugin a besoin d’être terminé à 100% pour être intégré au sein de Framanews (et donc de Tiny Tiny RSS), si quelqu’un souhaite m’aider, il n’y a aucun souci.
J’ai aussi fait 1 ou 2 apparitions dans des traductions pour Framablog. Rien d’extraordinaire, je ne suis pas bilingue, ça me permet de m’entraîner.

Parlons de suite de ce qui fâche : ton application Wallabag, elle s’appellait pas “Poche”, avant ? Tu nous racontes l’histoire ?

Euh en effet … Déjà, pourquoi poche ? Parce que l’un des trois « ténors » sur le marché s’appelle Pocket. Comme mon appli n’était destinée qu’à mon usage personnel au départ, je ne me suis pas torturé bien longtemps.

Cet été, on a failli changer de nom, quand il y a eu de plus en plus d’utilisateurs. Et puis on s’est dit que poche, c’était pas mal, ça sonnait bien français et puis avec les quelques dizaines d’utilisateurs, on ne gênerait personne.

C’est sans compter avec les sociétés américaines et leur fâcheuse manie de vouloir envoyer leurs avocats à tout bout de champ. Le 23 janvier, j’ai reçu un email de la part du cabinet d’avocats de Pocket me demandant de changer le nom, le logo, de ne plus utiliser le terme “read-it-later” (« lisez le plus tard ») et de ne plus dire que Pocket n’est pas gratuit (tout est parti d’un tweet où je qualifie Pocket de « non free » à savoir non libre). Bref, même si je semblais dans mon droit, j’ai quand même pris la décision de changer de nom et Wallabag est né, suite aux dizaines de propositions de nom reçues. C’est un mélange entre le wallaby (de la famille des kangourous, qui stockent dans leur poche ce qui leur est cher) et bag (les termes sac / sacoche / besace sont énormément revenus). Mais maintenant, on va de l’avant, plus de temps à perdre avec ça, on a du pain sur la planche.
wallaby avec bébé dans sa poche crédit photo William Warby qui autorise explicitement toute réutilisation.

Bon, alors explique-moi ce que je vais pouvoir faire avec Framabag…

Alors Framabag, ça te permet de te créer un compte gratuitement et librement pour pouvoir utiliser Wallabag. Seule ton adresse email est nécessaire, on se charge d’installer et de mettre à jour Wallabag pour toi. Tu peux d’ailleurs profiter d’autres services proposés par Framasoft ici.

À ce jour, il y a 834 comptes créés sur Framabag.

Vous avez vraiment conçu ce service afin qu’on puisse l’utiliser avec un maximum d’outils, non ?

Autour de l’application web, il existe déjà des applications pour smartphones (Android et Windows Phone), des extensions Firefox et Google Chrome.

Comme Wallabag possède des flux RSS, c’est facile de lire les articles sauvegardés sur sa liseuse (si celle-ci permet de lire des flux RSS). Calibre (« logiciel de lecture, de gestion de bibliothèques et de conversion de fichiers numériques de type ebook ou livre électronique »,nous dit ubuntu-fr.org) intègre depuis quelques semaines maintenant la possibilité de récupérer les articles non lus, pratique pour faire un fichier ePub !

D’autres applications web permettent l’intégration avec Wallabag (FreshRSS, Leed et Tiny Tiny RSS pour les agrégateurs de flux). L’API qui sera disponible dans la prochaine version de Wallabag permettra encore plus d’interactivité.

Y a-t-il un mode de lecture hors ligne ou est-ce que c’est prévu pour les prochaines versions ?

Il y a un pseudo mode hors ligne, disponible avec l’application Android. On peut récupérer (via un flux RSS) les articles non lus que l’on a sauvegardés. Une fois déconnecté, on peut continuer à lire sur son smartphone ou sa tablette les articles. Par contre, il manque des fonctionnalités : quand tu marques un article comme lu, ce n’est pas synchronisé avec la version web de Wallabag. J’espère que je suis presque clair dans mes explications.

Pour la v2, qui est déjà en cours de développement, où je suis bien aidé par Vincent Jousse, on aura la possibilité d’avoir un vrai mode hors ligne.

Alors si on veut aider / participer / trifouiller le code / vous envoyer des retours, on fait comment ?

On peut aider de plusieurs façons :

Le mot de la fin…?

Merci à Framasoft d’accueillir et de soutenir Wallabag !

La route est encore bien longue pour ne plus utiliser de solutions propriétaires, mais on devrait y arriver, non ?

framasoft plein les poches
hackez Gégé !

No Es Una Crisis : un web-documentaire (enfin) libre !

mardi 4 février 2014 à 18:23

Le 21 novembre dernier, nous annoncions sur le Framablog une « opération de libération » du web-documentaire « No Es Una Crisis ». En effet, les ressources de ce documentaire produit par ‘‘La Société des Apaches” sont libres (CC BY-SA), malheureusement sa réalisation utilisant la technologie Flash empêchait sa visualisation sur bon nombre de supports (smartphones, tablettes, systèmes d’exploitation libres, anciennes versions de Windows, etc.).

L’objectif était d’arriver, en un week-end, à produire collectivement et bénévolement, une version HTML5 du webdoc permettant sa visualisation sur tous les supports disposant d’un navigateur web récent.

Pierre-Yves Gosset était, avec Fabien Bourgeois, le co-organisateur de ce « marathon de libération ».


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Bonjour Pierre-Yves. La première question qui me vient à l’esprit est « Alors, l’objectif a-t-il été atteint ? »

La réponse est : malheureusement non, puisque nous n’avons pas été en mesure de publier la version HTML5 le 15 au soir.

Heureusement, « la route est longue, mais la voie est libre ». Et ne pas avoir atteint l’objectif fixé le dimanche soir ne signifiait pas pour autant la mise au placard du travail effectué le week-end.
Ce qui me permet aujourd’hui d’annoncer qu’une version – non-finalisée, mais fonctionnelle – est en ligne.

Que s’est-il passé ?

Il faut d’abord préciser quelques éléments de contexte.

Nous nous sommes réunis les 14 et 15 décembre 2013, à Lyon, à Locaux Motiv (qui héberge le local de Framasoft).
Suite à l’appel lancé via le Framablog, nous étions 7 le samedi : Adrien, Fabien, Sheetal, tonton, JosephK, Luc, pyg (+ Julien et Frib pour l’équipe du webdoc). Nous avons eu deux désistements de dernière minute. Le dimanche, nous étions 5 : Fabien, tonton, Luc, JosephK et pyg.
Pour la plupart, ces personnes n’avaient jamais travaillé ensemble et ne se connaissaient pas.

Concernant le déroulé, après un présentation du projet de webdoc par les Apaches, nous avons réparti les participants en différentes équipes : vidéos (JosephK et Adrien), panneaux interactifs (Fabien et Luc), panneau « portraits » (tonton, avec l’aide ponctuelle de Luc et Fabien), et « petites mains » (Sheetal et pyg).

IMG_20131214_150819__1_.jpg

Le rendez-vous était donné à 10h, mais je pense que nous n’avons commencé à prendre nos marques que vers 14h, après les traditionnelles pizzas-bières.
Le choix était fait dès le départ de combiner le libérathon avec une soirée « détente » : l’anniversaire de l’association Locaux Motiv (qui nous accueillait). Donc, à 21H, nous avons troqué nos claviers contre des pintes de bière (ou de jus de fruits) au bar De l’Autre Côté du Pont.
La soirée s’est transformée en nuit, puisque certains participants (dont votre serviteur) n’ont retrouvé leur lit que vers 5H du matin.
Cela ne nous a pas empêché de reprendre vaillamment le travail le dimanche vers 10 h 30.
Seulement, à 15 h, il fallait se rendre à l’évidence, nous n’aurions pas le temps d’atteindre notre objectif avec les choix techniques retenus (pourtant pertinents, mais la montre jouait contre nous).

Nous avons donc fait le choix stratégique de changer d’option technologique : l’agencement CSS des éléments des panneaux nous aurait pris trop de temps pour « boucler » à l’heure, et nous sommes donc partis sur une piste « dégradée » (une image par panneau, avec une imagemap, pas de vidéo/son de fond, etc.).

Ce choix s’est avéré payant, puisqu’à 21h, nous avions bien les 4 panneaux interactifs « fonctionnels », mais dans un mode relativement dégradé : peu d’interactivité, pas de titres de séquences, et plein de « petits détails » simples à régler mais dont le nombre ne permettait pas d’envisager une publication le soir même.

Cependant, il restait quelques points bloquants (la transition « accueil > vidéo intro > instructions » non fonctionnelle, certains fichiers json mal encodés empêchant le lancement de certaines vidéos, etc.).

Bref, il manquait peut-être 4 à 6h de travail pour avoir un rendu « publiable », mais l’équipe était épuisée (et affamée !).

NO_ES_UNA_CRISIS_-_Mozilla_Firefox_055.png

Quels sont les obstacles que vous avez rencontrés ?

Notre incapacité à publier le dimanche soir résulte d’une double cause.

D’abord, nous avons sous-estimé la phase de préparation. En effet, un webdoc de 3 heures, ce sont beaucoup de ressources diverses (des pictos, des logos, des images, des vidéos, des sons, etc.). Sans compter qu’il s’agit d’un webdoc multilingue (FR/ES/EN), ce qui complexifie encore les choses. Or, si nous avions bien accès aux sources, une partie de ces dernières étaient intégrées dans les fichiers .psd et .fla (Adobe Photoshop et Flash). Il a donc parfois fallu extraire des ressources de ces fichiers parfois très lourds et complexes (j’en profite pour remercier Sheetal et la société Mobiped pour leur aide précieuse et la mise à disposition d’une machine disposant de ces logiciels propriétaires, car Gimp refusait évidemment d’ouvrir des .psd de 2 Gio avec plus de 200 calques).
Pourtant, Fabien et moi avions passé plusieurs heures en amont à préparer ce libérathon (identifier les ressources, réfléchir à l’organisation, faire la mise en place, etc.).
Cependant, sans connaitre le nombre exact de participants (nous nous attendions à des défections) et leurs compétences, difficile d’être plus prêts.

Ensuite, nous manquions d’un expert CSS3. Alors évidemment, le web est plein de ressources, d’informations, de bibliothèques préexistantes, etc. Mais même si la courbe d’apprentissage est rapide et relativement sans douleur, on ne peut échapper à quelques tâtonnements. Et ces tâtonnements nous auront fait perdre bien du temps le samedi. Un expert CSS3 nous aurait permis de gagner plusieurs heures, très précieuses dans le cadre d’un « sprint » comme celui-ci.

Ajoutez à cela que nous étions tous bénévoles, et que l’ambiance et la bière étaient bonnes, et vous comprendrez bien qu’un des objectifs était aussi d’apprendre en s’amusant. Nous nous étions lancé un défi, mais nous ne voulions pas non plus nous mettre trop la pression. Il fallait quand même que cela reste un moment de partage et de plaisir !

Souvent, dans ce type de projet, les gens restent coder pendant la nuit. Ce ne fut pas notre cas. Si nous avions préféré rester enfermés plutôt que de sortir, nous aurions sans doute fini dans les temps, mais il n’y a pas que le code dans la vie !

Mozilla_Firefox_056.png

Et aujourd’hui, où en est le webdoc ?

Il est en place !

Il nous aura fallu un peu de temps, car les vacances et les fêtes de fin d’année sont passées par là. Ainsi que l’assemblée générale de Framasoft. Le temps de pouvoir remettre les doigts dans le code, nous étions déjà fin janvier.

Le webdoc est donc accessible sur http://noesunacrisis.com. Ou directement sur http://noesunacrisis.framasoft.org/html5 (si vous avez Flash d’installé et que vous voulez accéder à la version HTML5)

Attention ! Je sens les critiques pleuvoir en commentaires :

Alors, croyez bien que nous sommes tout à fait conscient des (très grands) défauts de cette version. Mais il faut bien comprendre ce que je disais plus haut : nous avons dû faire un choix. Soit nous publiions une version « dégradée » mais fonctionnelle. Soit nous ne publiions pas du tout ! Tout simplement parce qu’aucune des personnes présentes à ce libérathon n’avait de temps à y consacrer après le week-end.

Donc, nous voyons bien tout ce qu’il aurait été possible de faire. Mais disons qu’on a privilégié le « release early » plutôt que de faire une version techniquement nickel en terme de code, de technologies employées, etc… Mais qui n’aurait probablement jamais été finalisée.

Par ailleurs, nous avons publié notre code (hors vidéos) sur notre compte Github : https://github.com/framasoft/noesunacrisis Vous pouvez donc signaler des bugs mais surtout proposer des améliorations du code (car on ne vous cache pas qu’il est assez peu probable qu’on ait beaucoup de temps à y consacrer).

Enfin, il y a des “effets de bord” positifs à ne plus utiliser Flash, en dehors du fait que cela évite d’utiliser un plugin propriétaire. Comme par exemple le fait de pouvoir pointer directement vers une vidéo ou un panneau. Ainsi, plutôt que de dire « Je te conseille de regarder la vidéo sur la comparaison entre la crise immobilière et la situation des clubs de football espagnols. Va sur http://noesunacrisis.com, puis clique sur “No Futur” (en bas), puis le dessin du stade de foot (à droite) », on peut se contenter de donner le lien
http://noesunacrisis.framasoft.org/html5/video.html#foot
(et on peut même changer les sous-titres en live, ce que ne permettait pas la version Flash).

Un dernier mot pour la fin ?

Comme il s’agit d’une œuvre culturelle, j’aimerais faire comme aux Oscars/Grammy/Césars et remercier tout plein de gens :

Cela aura vraiment été une expérience enrichissante !

IMG_20131214_150802__1_.jpg

Rappel des principaux liens :

Le pommier magique, par le libre conteur Ploum

lundi 3 février 2014 à 10:59

Une parabole de notre temps, joliment narrée ici par notre ami Ploum (qui signe de temps à autres sur le Framablog).

On évite de peu la dystopie à la fin ;)


Rovanto - CC by-nc-sa


Le pommier magique

URL d’origine du document

Au fond de mon jardin, après une petite clôture rouillée, s’étend un grand verger rempli de pommiers. Au printemps, les oiseaux gazouillent et, en été, de délicieuses pommes dorées reflètent les multiples rayons du soleil.

Marcel, mon voisin, vend sa récolte à un industriel venu de la ville. Après la récolte, de bruyants camions chromés viennent chercher les pommes pour en faire de la compote.

Tout au fond du verger, à la limite de mon jardin, se tient un très vieux pommier dont le tronc noueux dessine de noires arabesques. Comme le visage d’un vieil homme sage, il semble à la fois flétri et durci par le temps. Une longue branche s’étend au dessus de la maigre barrière et apporte une ombre bienfaisante sur mon petit carré d’herbe violette.

Je n’y aurais jamais prêté réellement attention si, ce matin là, je n’avais vu une superbe pomme dorée et brillante se balançant au-dessus de moi. Elle paraissait croquante et juteuse, gorgée de soleil, de parfums et de cris d’oiseaux. Je n’hésitai qu’un instant. Après tout, la pomme n’était-elle pas sur mon terrain ? Et puis, des pommes, Marcel en avait tant !

Je la cueillis et la croquai avec délectation. Quelle ne fut pas ma surprise de constater, quelques instants plus tard, que la même pomme se tenait toujours sur sa branche. Pourtant, le trognon dénudé que je tenais en main prouvait que je n’avais pas rêvé. Étonné, je cueillis cette seconde pomme pour la porter à ma compagne. À mon retour, je découvris une troisième pomme. Ne voulant laisser passer une telle aubaine, je remplis un seau entier de magnifiques pommes dorées. Mais, sur sa branche, la pomme me narguait encore et toujours.

Enfourchant ma bicyclette, je me rendis chez Marcel afin de le prévenir. Il constata, comme moi, le mystérieux phénomène.
« Tu pourrais augmenter ta production de pommes ! lui dis-je.
— Oui mais cueillir cette pomme demande du travail. Dans mon verger, ce sont des automates parfaitement calibrés qui s’occupent de tout. Et puis, je vis bien avec ce que m’achète l’industriel.
— Alors, ne pouvons-nous pas en faire profiter les plus démunis ? dis-je.
— C’est vrai, me répondit Marcel. Tu as ma bénédiction. »

Je passai donc l’après-midi à cueillir des seaux de pommes que je portai au centre de redistribution volontaire des ressources. Interpellé par ma démarche, je discutai avec le Maire qui me suggéra d’apporter des pommes dans toutes les écoles. Cela serait également une excellente opportunité de promouvoir les bons produits du terroir face au règne tout-puissant des barres sucrées sous plastique aseptisé. Enthousiaste, je me mis au travail. Tous les jours, je m’astreignais à cueillir une dizaine de seaux pour les écoles de la région. Chaque soir, mes muscles grinçaient sous les courbatures mais j’étais heureux, satisfait. Je m’endormais avec un large sourire aux lèvres.

Un matin, ma compagne vint me trouver dans le jardin avec un étrange appareillage.
« Cela fait plusieurs jours que je te regarde, dit-elle. Alors j’ai adapté un de nos bras robotisés et je l’ai reprogrammé. Il va désormais cueillir des seaux entiers sans effort et de manière beaucoup plus efficace. En ajoutant un câble transporteur, les seaux seront directement amenés devant la maison. Ceux qui le souhaitent n’auront qu’à se servir. Tu demanderas aux écoles de venir chercher les pommes elles-mêmes. »

Aussitôt dit, aussitôt fait. Après quelques jours, les camionnettes venaient de la région entière pour charger des caisses de pommes gratuites. Tout semblait allait pour le mieux lorsque je fus réveillé un matin par des coups tapés à ma porte. Enfilant rapidement un peignoir, j’ouvris la porte, ébouriffé. Devant moi se tenait Marcel, l’industriel et un agent de la garde galactique.

« Monsieur, commença l’industriel, nous sommes venu régler l’affaire de ce vol permanent que vous perpétrez aux dépens de monsieur Marcel.
— De vol ? fis-je d’une voix ensommeillée.
— Oui, intervint le garde. Vous êtes accusé de vol de pommes dans la propriété de monsieur Marcel.
— Mais c’est ridicule, balbutiais-je.
— Permettez ? C’est à moi d’en juger. Pouvez-vous me montrer l’endroit du délit ? »

Nous nous rendîmes tous les quatre, moi en pantoufles et peignoir, vers le fond du jardin où je montrai la branche sur laquelle luisait une belle, magnifique, succulente pomme dorée.

« Voyez ! dis-je. Je n’ai pas volé de pommes. Elle est sur sa branche !
— Regardez monsieur le garde, intervint l’industriel, tout cet outillage est destiné à cueillir les pommes. Il y a donc bel et bien vol !
— En effet, fit le garde. Cela me semble clair !
— Mais je n’ai jamais été sur le terrain ! Marcel n’a jamais manqué de pomme. Il ne peut y avoir vol !
Le garde semblait embêté.
— La loi ne prévoit pas le cas des pommiers magiques. Si vous avez pris des pommes, c’est qu’il y a vol.
— Mais Marcel avait marqué son accord ! Dis leur, Marcel ! »
Marcel baissa les yeux.
« Je suis désolé, balbutia-t-il. Mais l’industriel menace de ne plus m’acheter ma production. Je n’ai pas le choix.
— Pourquoi ? demandai-je.
— C’est très simple, me répondit l’industriel. De plus en plus de gens viennent chercher des pommes illégales chez vous et font de la compote chez eux, à la maison. Ils inventent des recettes qu’ils se transmettent. Si je ne peux plus vendre de la compote, je ne peux plus acheter chez Marcel. Bien sûr, je pourrais me fournir chez vous mais je suis honnête. Je respecte le travail des autres, moi ! Je sais que tout travail mérite salaire et je n’exploite pas honteusement celui des autres !
— Ce serait ma ruine, sanglota Marcel. Tu comprends ? Je dois payer l’emprunt pour rembourser les machines agricoles. Sans compter leur entretien.
— Mais je voulais juste que tout le monde puisse manger à sa faim !
— Que se passerait-il si tout le monde faisait comme vous ? répliqua sèchement l’industriel. Incivique ! »

Je restai sans voix, pris au dépourvu. Le garde galactique me jeta un œil sévère.
« Votre compte est bon !
— Mais je n’ai rien fait de mal ! Au contraire, je me contente d’aider les pauvres et les écoles. J’ai aidé à promouvoir une alimentation saine auprès de nos jeunes.
— C’est vrai, acquiesça le garde. Cela joue en votre faveur. En échange de votre promesse de ne plus recommencer, messieurs Marcel et l’industriel ici présents accepteront certainement d’abandonner les charges retenues contre vous.
— D’accord, dit l’industriel. Mais alors, il nous faut des garanties. Coupez cette branche !

Sous mon regard hébété, le garde galactique entreprit de scier consciencieusement la branche magique. Il démonta également le bras robotisé et l’embarqua. Sans un mot, ils se retirèrent, emportant avec eux tous les seaux de pommes qui traînaient dans le jardin. Penaud, Marcel m’adressa un timide geste de la main avant de disparaître. Je contemplai un instant la branche morte qui gisait sur le sol. Un peu de sève s’écoulait.

Mélancolique, je rentrai dans la maison. Ma compagne se réveillait.
« Tu as bien dormi ? me demanda-t-elle.
— J’ai rêvé qu’une magie impromptue permettait soudainement au monde entier de ne plus mourir de faim, de manger sainement, équilibré et d’être en bonne santé.
— C’est un rêve merveilleux.
— Mais nous avons dû abandonner cette magie. La loi ne prévoyait pas ce genre de cas.
Elle posa une main sur mon bras et, de l’autre, porta une tasse de thé fumante à ses lèvres.
— Ne t’inquiète pas ! De la magie, il y en a dans chaque regard, chaque sourire. La loi ne pourra pas toujours la contrecarrer. Il suffit d’être patient. »
Elle me décocha un sourire. Je répondis par un clin d’œil. Elle se mit à rire doucement. Emporté par son élan, je ne pus réprimer un large sourire qui se transforma rapidement en un rire franc, libéré. Après quelques secondes, nous riions tous deux aux éclats. Nous nous tenions les côtes sans plus pouvoir nous arrêter. Essuyant des larmes de joies, ma compagne hoqueta :
— Tu vois ? La magie fonctionne déjà !

Crédit photo : Rovanto (Creative Commons By-NC-SA)

Sortie du livre La renaissance des communs de David Bollier

lundi 3 février 2014 à 09:58

Les biens communs, parfois appelés les communs tout court, constituent une originale et salutaire grille de lecture d’un monde en pleine mutation économique, sociale, politique et écologique.

À la fois exemple emblématique et modèle à suivre, les logiciels libres en font tout naturellement partie.

C’est pourquoi la sortie de la traduction française du livre « La renaissance des communs - Pour une société de coopération et de partage » de David Bollier est une excellente nouvelle (tout comme le choix de la licence libre CC By-SA). On peut se le procurer pour 19 euros aux éditions Charles Léopold Mayer.

Nous vous en proposons ci-dessous la préface d’Hervé Le Crosnier.


La renaissance des communs - David Bollier


Préface d’Hervé Le Crosnier

La lecture du livre que vous avez entre les mains provoque un profond sentiment de joie, on y sent quelque chose qui pétille et qui rend l’espoir. Avec son style fluide (et excellemment traduit), David Bollier nous emmène dans un voyage du côté lumineux des relations humaines. Non que les dangers, les enclosures, les menaces sur les perspectives mondiales soient absents. Il s’agit bien d’une critique de la société néolibérale, de la transformation du monde sous l’égide d’un marché juge et arbitre des équilibres, et d’une critique de la façon dont les Etats baissent les bras devant les forces des monopoles privés. Mais cette critique se fait à partir des perspectives, des mouvements qui inventent ici et maintenant les utopies capables d’ouvrir les fenêtres et de faire entrer le vent joyeux d’une histoire à venir. La richesse des communs s’appuie sur leur longue histoire, rendue invisible par la suprématie du modèle économique individualiste. Mais c’est au futur que les communs peuvent offrir une architecture collective pour résister aux crises, économiques, sociales, politiques et écologiques, que nous connaissons.

Nous avions besoin d’un tel livre, à la fois accessible et pénétrant. Vous y reconnaîtrez les mouvements qui animent la planète internet comme la persistance des pratiques sociales collectives qui remontent du fond des âges. Vous y découvrirez un bouillonnement d’activités qui ont toutes pour point central l’investissement personnel des acteurs et la volonté de construire ensemble, de faire en commun. Les communs sont avant tout une forme d’organisation sociale, une manière de décider collectivement des règles qui permettent d’avoir une vie plus juste, plus équilibrée. Un buen vivir comme disent les latino-américains, c’est-à-dire l’exact opposé de la tendance à transformer tout en marchandise et à réduire l’activité des humains à l’expression de leurs intérêts personnels immédiats. L’homo economicus qui hante les réflexions politiques et économiques depuis John Locke et Adam Smith se trouve réduit à son squelette : une fiction qui sert à justifier la domination d’un marché qui pense pouvoir couvrir tous les champs de l’activité humaine et qui fabrique la soumission des pouvoirs publics à son ordre et son idéologie. Au travers des multiples exemples de construction de communs qui servent de support au raisonnement de David Bollier se dessine au contraire une conception des individus autrement plus complexe, et vraisemblablement plus conforme à la réalité. Si l’intérêt personnel est bien, et ce serait absurde de le nier, un des moteurs de l’action, ils est loin d’en constituer l’alpha et l’oméga. À côté, contre, en dehors et en face, les humains savent montrer des appétences à la sociabilité, au partage, à l’altruisme, à la coopération. L’homme est certainement sociabilis avant d’être economicus.

L’étude des communs, au travers de tous les exemples concrets présentés dans ce livre, nous montre qu’il y a des comportements collectifs, des normes sociales qui dépassent la seule addition des comportements individuels sur laquelle se base l’économie néo-classique. Quand Margaret Thatcher déclare « There’s no such thing as society », une phrase qui va servir de leitmotiv à toute la période néolibérale qui s’ouvrait alors, elle nie les évidences issues des pratiques quotidiennes pour les remplacer par une fiction. Les comportements des individus dans les situations les plus difficiles, la construction de ce que David Bollier appelle « les communs de subsistance » nous montre au contraire que la logique du « faire ensemble », la question de l’équité du partage, et la volonté de s’en sortir collectivement sont au contraire les ressorts des populations les plus démunies ou confrontées à des situations de crise.

Car contrairement aux mythes néo-classiques, les gens se parlent, s’organisent, font émerger des règles et se donnent les moyens de les faire respecter. Les communs ne sont ni des phalanstères, isolés et protégés du monde extérieur, ni des espaces sans droit, où chacun pourrait puiser à sa guise. La fable d’un commun abstrait qui serait ouvert à tous, sert de cadre aux réflexions de Garett Hardin sur la « tragédie des communs », mais ne ressemble nullement aux espaces dans lesquels vivent réellement les humains. On trouve certes des communs trop larges pour qu’on puisse en assurer aisément le contrôle. Ceux-ci apparaissent ouverts et sont vite dégradés par l’avidité marchande : épuisement des ressources, pollution, mépris des populations… Loin de constituer un domaine public, ces communs universels sont investis rapidement par les plus fortunés, les plus actifs, les plus influents, ne laissant que des miettes aux populations. Une situation qui conduit inéluctablement à une mainmise monopolistique et à la destruction des équilibres naturels.

Le mouvement des communs s’est souvent appuyé sur des actions locales, sur des analyses ponctuelles, sur des collectifs de taille maîtrisable. Ce n’est que récemment, suite à l’expérience de la constitution et du maintien de l’internet par une vaste population mondialement répartie, que nous considérons des ressources globales comme des communs universels. C’est au travers de l’étude de ces communs universels que David Bollier avance une proposition innovante de relation entre les communautés concernées et les structures étatiques. On connaît bien les porosités qui existent entre le marché et les communs, par exemple en regardant les logiciels libres, internet ou la production coopérative. La relation entre les communautés qui protègent, partagent et maintiennent des ressources et les États est plus complexe. Ceux-ci, depuis les révolutions du XVIIIe siècle se considèrent investis, par l’élection démocratique, de ces mêmes missions, et s’imaginent « propriétaires » du domaine public. David Bollier avance l’idée d’un autre type de contrat, une « garantie publique », qui rend les États (et les autres structures publiques, locales ou supranationales) garants des communs considérés et non décideurs. Il s’agit d’assurer aux citoyens investis que la décision définitive sera bien dans les mains de tous. L’autorisation d’exploiter, et souvent de sur-exploiter, ces communs universels ne pourra plus être donnée aux corporations et aux industries dominantes sans que les populations n’y soient associées. Cette proposition d’une relation complexe qui viendrait changer les modes de gestion de l’économie par les États apparaît comme une manière de contrer la montée de l’extractivisme, la destruction des environnements ou la mainmise sur le vivant et la biomasse. Elle renforce par ailleurs la pratique démocratique en accompagnant la délégation par l’action collective. Il s’agit d’articuler l’expérience acquise dans la gestion de communs locaux avec le besoin d’une gouvernance mondiale renouvelée pour faire face aux enjeux de notre siècle. Nourrir bientôt neuf milliards d’humains, s’adapter au changement climatique, répartir les richesses à l’échelle de la planète, et fondamentalement éviter que les logiques d’inégalités qui sont aujourd’hui dominantes ne nous conduisent à des explosions guerrières ou des conflits économiques dont les populations feront les frais, rend nécessaire cette activité en commun.

Les communs, de l’échelle locale à l’échelle globale, sont la source d’une nouvelle conception de la richesse, qui ne se mesure plus en PIB ou en obligations boursières, mais s’évalue en fonction de la capacité des humains à vivre ensemble. Nous y apprenons à partager ce qui est disponible, et à inventer les formes sociales, les règles, les critères qui favorisent l’investissement de chacun dans l’intérêt de tous. C’est cette joie des communs qui transparaît tout au long de l’ouvrage de David Bollier. Il ne s’agit jamais de solutions clés en main, de rêves d’une humanité parfaite, mais bien de la nécessité de faire avec les humains imparfaits que nous sommes pour construire des sociétés inclusives, égalitaires. Comment partager les fruits de la nature et de la connaissance, protéger les ressources rares et travailler à étendre sans cesse les ressources inépuisables de la connaissance et de la culture grâce à de nouvelles formes d’organisation de la vie collective ? David Bollier, au long de ce livre ne cesse d’appuyer cette force humaniste sur des exemples concrets émanant de communautés engagées dans la construction et la défense de communs. C’est la force « d’utopie pragmatique » des communs qui s’exprime au long de ces pages. Sachons nous en emparer pour renouveler notre imaginaire politique.

Hervé Le Crosnier est enseignant-chercheur à l’Université de Caen. Sa recherche porte sur les relations entre Internet, et plus généralement le numérique et la société. Il travaille également sur la théorie des biens communs, et sur la communication scientifique. Il est membre de l’association Vecam.

Geektionnerd : Wallabag

vendredi 31 janvier 2014 à 17:23

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Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)