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Les filons chocolatifères de la Lune

mercredi 31 juillet 2013 à 15:07

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— Papiers s’il-vous-plait !

Depuis sa cahute de plexiglas blindé, le cerbère aux sourcils épais inspecte ma cybercarte.

— Motif de votre séjour sur la Lune ?
— Je suis ingénieur. J’ai été engagé par le conglomérat des compagnies chocolatifères afin d’optimiser le rendement…
— C’est bon, m’interrompt-il ! Pas de liquides ? Pas d’armes ? Pas de coupe-ongle ? Pas de dentifrice ni de cotton-tiges ? Pas de chaussettes en soie ? Pas de trotinette à moteur ?
— Non, répondis-je machinalement.

Quelque part au début du siècle, la liste des objets interdits à bord des stratavions avait échappé à tout contrôle. Entité vivante indépendante, elle croissait de manière organique, se nourrissant de notre bêtise et de nos craintes. Mais quand on voyage, on ne s’arrête plus à ces considérations.

Après la fouille, le contrôle de mes bagages, de mes chaussures et mes deux passages successifs aux détecteurs, je prend place dans le stratavion. Je suis excité ! C’est la première fois que je me rend sur la Lune. En temps que jeune ingénieur, je suis très fier de ce nouveau poste.

Les compagnies chocolatifères exploitent chacune un gisement particulier du sol lunaire. Les mines produisant le chocolat le plus pur sont étalées dans la mer de la Tranquilité. Mais le chocolat issu de Copernic ou d’Eratosthène a un goût praliné tout particulier. Bref, les compagnies se font une concurrence sévère.

Regardant autour de moi, je constate que nous ne sommes que deux passagers. Le reste du stratavion semble être du fret. Probablement du matériel et du ravitaillement pour les mineurs.

Car les compagnies sont toutes confrontées à un problème commun : le coût prohibitif du transport. Raison pour laquelle les industries terrestres tournent toujours à plein régime, produisant un chocolat à base de cacao, certes d’une qualité inférieure mais ô combien moins onéreux. Seules quelques élites privilégiées peuvent se payer quotidiennement le fameux chocolat lunaire. Pour les autres, comme moi, il s’agit d’un luxe rare et dispendieux.

Luxe que mon séjour sur la Lune devrait mettre à ma portée, du moins, je l’espère.

Afin de résorber en partie ce problème pécunier, les compagnies ont décidé de mettre temporairement leur rivalité de côté et de créer un bureau d’optimisation, bureau pour lequel je viens d’être engagé.

Je me demande à quoi ressemblera mon travail. L’optimisation à un côté excitant, passionnant. Oui, je me demande…

*

Après les formalités d’usage ( non, je n’ai pas acheté des armes ni enfilé des chaussettes en soie durant le voyage ! ), je débarque dans le hall désert de l’astroport. Machinalement, je sautille d’une jambe sur l’autre, encore peu habitué au sixième de gravité ambiant.
— Monsieur Kautedaure ?
Je me retourne. Un petit bonhomme à la barbiche blanche s’approche de moi en rigolant. Ses yeux se plissent derrière ses lunettes d’argent et son costume de laine trop serré semble n’avoir pour seul but que d’empêcher ses membres de se séparer du tronc en une autonome sarabande.
— C’est moi, dis-je d’un air un peu hautain.
— Hi hi hi. Enchanté mon garçon. Je suis le professeur Kalebo. Hi hi. Je suis le président du bureau d’optimisation.

Je déglutis de surprise. Se faire accueillir à sa descente de stratavion par son supérieur, voilà qui écorne sévèrement le protocole.

Il me saisit le bras et se met à m’entrainer en direction du métro lunaire.

— Viens mon garçon. Hi hi. Veux-tu te reposer ? Je te conseille de ne pas déballer tes affaires de suite. Hi hi.
— Je ne suis pas fatigué, Monsieur, fais-je en insistant lourdement sur la majuscule.
— En effet, pas de décallage horaire à craindre. Hi hi. Non, pas de décallage.
— Je suis disposé à me mettre de suite au travail, Monsieur.
— Au travail ? Hi hi, d’accord, au travail !

Il ricane, sautille. De temps en temps, ses yeux roulent derrière les montures argentées et se fixent une seconde sur moi tandis qu’il lisse sa moustache ou sa barbiche. Nous montons dans une rame qui, comme tout ce que j’ai vu jusqu’à présent, est déserte.

— De quel travail parlais-tu au juste ? Hi hi !

Je manque d’éclater de colère.

— Mais de mon… de notre travail ! Le rendement, l’optimisation.
— Ah oui, le rendement. Hi hi ! Vaste sujet s’il en est. Par où commencerons-nous ? Oui, par où ?
— Par les mines, proposé-je.
— Excellente idée, hi hi ! Les mines. Très bien les mines.

Quel étrange personnage. Je suis pris d’un affreux doute : et s’il s’agissait d’un imposteur ? Peut-être me laissé-je entraîner par un fou ? Dangereux. Il pose sur moi un regard pénétrant, comme s’il lisait dans me pensées.

— Rassurez-vous mon garçon, je ne suis pas fou. Hi hi. Juste follement amusé. Vous allez voir, vous le serez vous aussi. Fou ou amusé, hi hi, je ne sais pas encore lequel.

Après tout, me dis-je, je suis physiquement supérieur à lui en tout point. Je me résoud donc à suivre mon impromptu cicerone.

— Arrêt « Mine Principale », tout le monde descend ! Venez mon garçon ! Hi hi.

D’un geste énergique, il me pousse hors du wagon et m’entraîne à travers un réseau de gigantesques couloirs souterrains. Les murs irréguliers sont couverts d’appareillages, des lumières de chantier balisent le chemin. Malgré la course folle, je ne peux m’empêcher d’être fasciné. Les mines. Les fameuses mines chocolatifères de la Lune !

Alors que mon étrange guide s’arrête un instant pour me laisser reprendre mon souffle, je suis frappé par le calme qui règne. Un silence profond, pénétrant.
— Où sont les mineurs ? Et le minerai chocolatifère ?
— Nous y voilà, hihi, bonne question. Tu as mis du temps pour la poser mon garçon !

Son regard pétille de joie refoulée. Du revers de sa jaquette élimée, il essuie un sourire amusé. La moutarde commence à me monter au nez.
— Où sommes-nous donc, Vous moquez vous donc de moi depuis mon arrivée ?

Sous le coup de la colère, je tape du pied et m’envole d’un bon mètre. Mon extravagant directeur prend soudain un visage sérieux.
— Depuis bien plus longtemps que ton arrivée mon garçon. Mais rassure-toi, tu n’es pas le seul. Vous êtes des milliards !
— Expliquez-vous ! fais-je d’une voix que je veux dure mais où perce un réel étonnement.
— Regarde autour de toi mon garçon ! Regarde et touche !

Il se saisit d’un marteau-piqueur qui traine contre un mur et me le met de force entre les mains.
— Creuse, mon garçon ! Extrait donc le fameux chocolat lunaire !

Embarrassé, je m’approche de la paroi. De près, la délicieuse teinte marron laisse place à des reflets de roche. Je tend la main: la pierre est froide, sableuse au toucher.
— Mais ce sont des rochers !
— Que t’attendais-tu donc à trouver mon garçon ?
— Du minerai chocolatifère pardi !
— Vraiment ? Du chocolat ? Sur la lune ? Hi hi ! Et pourquoi pas des rivières de caramel ou des arbres à sucres d’orge ? Tu te crois donc dans un conte pour enfant mon garçon ?

Mon estomac se contracte. Pendant une fraction de seconde, mon cœur s’arrête de battre et je me sens défaillir.
— Mais… le chocolat… le bureau d’optimisation…
Se départissant de sa morgue, il éclate d’un grand rire sonore qui se répercute étrangement sur les parois de la mine. Il rit aux éclats, se tenant les côtes sans pouvoir reprendre son souffle. Humilié, je me tiens à ses côtés, ne sachant si je dois le relever ou l’abandonner à son sort afin de trouver une personne censée.
— Excuse-moi mon garçon, hoquete-t-il en essuyant une larme. J’avais beau m’y attendre, je n’ai pas résisté à ton air proprement ahuri. Hi hi ! Excellent, excellent !
— Et si vous vous expliquiez ? fais-je, vexé. Que signifie tout ceci ?
— Écoute ton intelligence ! Écoute tes sens ! Penses-tu qu’il puisse exister du chocolat sur la lune ?
— Bien sûr, d’ailleurs j’en ai une fois goûté…
— Je parle de ton intelligence, pas de ce que tu as pu apprendre ou entendre dire. Trouve-tu cela logique ?
— Et bien…
— Vois-tu un seul gramme de chocolat dans cette mine ?
— Pas vraiment, non, mais…
— As-tu vu un seul ouvrier ? Es-tu venu avec un stratavion empli de travailleurs ?
— Non…
— Que peux-tu déduire de tout cela ?
— Mais… Le chocolat que j’ai goûté ? Le chocolat vendu en magasin ? D’où provient-il ?
— Des usines de chocolat bon sang. D’où crois-tu donc qu’il puisse venir ?
— Mais il coûte tellement cher !
— L’imagination humaine est sans limite lorsqu’il s’agit d’augmenter les prix.

Brusquement, il me tourne le dos et se met à marcher vers la rame de métro.
— Attendez ! Fais-je d’une voix involontairement suppliante. Et ces vaisseaux qui débarque du chocolat en provenance de la lune ? Ma sœur les a vu atterir ! Ils regorgent de chocolat.
Il m’adresse un regard par dessus son épaule :
— C’est vrai. Il y a beaucoup de chocolat qui transite par la lune. Que crois-tu que contenait les caisses de matériel avec lesquelles tu es arrivé ?

Un monde s’effondre. Mon rêve le plus cher se brise. Refusant d’y croire, je décide d’en avoir le cœur net. En quelques bonds je le rattrape et l’empoigne par les revers.
— Sale petit bonhomme. Je vais te faire ravaler tes mensonges ! Pourquoi fais-tu cela ?
— Me rosser apaisera sans doute ta colère mais cela ne fera pas apparaître du chocolat pour autant, balbutie-t-il à moitié étranglé. N’est-il pas amusant de constater que tu es arrivé à ces conclusions par toi-même, en confrontant ton intelligence à des faits tangibles. Mais que c’est à moi que tu en veux. Hi hi !

J’éclate en sanglots tandis qu’il me pousse gentillement dans le wagon ouvert qui semble nous attendre.
— Pourquoi ? Mais pourquoi donc ?
— Simple raison marketing. N’est-ce donc pas une bonne idée après tout ? Je suis d’ailleurs ébahi que cela aie été possible.
— Je me sens trompé, spolié. Les chocolatiers sont-ils donc tous des crapules ?
— Bien sûr que non mon garçon ! Ils ne sont pas plus au courant que tu ne l’étais.

Devant mon regard étonné, il éclate une fois de plus en un rire chuintant.
— Excellent ! Excellent ! Quel merveilleuse tête d’ahuri. Tu as du talent mon garçon.
— Que… Que voulez-vous dire les chocolatiers ne sont pas au courant ?

Il prend son temps et se met à admirer l’intérieur du métro comme si c’était la première fois qu’il les voyait. Le bougre, il sait maintenir l’attention de son auditoire. Nous voilà de retour à notre point de départ. Poussant un soupir, il se tourne vers moi et m’entraine dans le hall d’accueil.
— Nul ne sait si certains y ont vraiment cru au départ. D’ailleurs, ce n’est pas très important. Le seul fait est qu’un ingénieur a un jour prétendu qu’il devait y avoir du chocolat sur la Lune, qu’il a réussi à se faire payer le voyage et à revenir avec un peu de chocolat. Les compagnies ont commencé à vendre du chocolat comme s’il venait de la lune et ça s’est avéré rentable. Afin de préserver le secret, les ingénieurs complices se sont mis à envoyer des petites quantités de chocolat sur la Lune et à le réenvoyer sur terre. Pour épater les directeurs en visite, on a construit cette unique galerie minière et ce métro à deux stations bien que le plan en indique seize.
— Et les conseils d’administration n’ont jamais rien vu ? Cela parait tout bonnement improbable !
— As-tu déjà essayé d’expliquer à un financier qu’il a investi des millions pour rien ? Hi hi, tu devrais ! Ils réagiront exactement comme toi : en te traitant de menteur. À partir d’une certaine somme, un administrateur à toujours raison. Même si cela lui coûte encore plus cher.

Sans force, je me laisse tomber sur le sol, abasourdi.
— Je me sens anéanti.
— Mais mon garçon, tu es sur la Lune. Te rends tu compte de l’infime minorité d’humains qui a eu la chance de quitter la Terre ? Tu es un veinard mon garçon.
— Tout cela n’est que tromperie et malhonnêteté.
— La morale n’est qu’une arme de contrôle des foules. L’individu en est exempt. Vis, profite ! La Lune, par l’espace, tu es sur la Lune ! Debout !

Son enthousiasme est communicatif. Je sens mon sourire se réveiller. Une douce chaleur envahit ma poitrine. D’un bond je me lève.
— C’est vrai, je devrais en profiter, être heureux. Je suis sur la Lune ! Mais que vais-je faire ? Je n’ai plus aucun projet maintenant.
— Que dirais-tu de m’aider à démontrer que le sous-sol de Mars regorge de pâte de fruit ?

Je manque de m’étouffer.
— Pardon ?
— Tu n’as jamais eu envie d’explorer Mars mon garçon ?
Limelette, 4 janvier 2012, rêve du 5-6 décembre 2010

 

Merci d’avoir lu ce texte. Cette nouvelle est payante mais le prix est libre. Vous pouvez payer en bitcoins à l’adresse 17Rf9V5dJpNJ4FfB3WKcEjPkPYvJ7o5bYX, cliquer sur le bouton Flattr ou utiliser tout autre moyen. Si vous souhaitez encourager l’écriture de ces nouvelles, vous pouvez également décider d’une somme fixe par publication sur le site Patreon. Enfin, le plus beau moyen de paiement est de simplement partager ce texte autour de vous. L’illustration est de Pedro Szekely.

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The Last GUADEC?

mardi 23 juillet 2013 à 11:06

Last year, during GUADEC, there was that running joke amongst some participants that this was the last GUADEC. It was, of course, a joke. Everybody was expecting to see each other in Brno, in 2013.

One year later, most of those who were joking are not coming to GUADEC. For them, the joke became a reality.

I believe the root cause is that GNOME has never been able to clearly offer an answer to one very simple question: what is GNOME? (baby don’t hurt me, don’t hurt me, no more)

People are increasingly leaving the desktop computer to use phones, tablets and services in the cloud. ChromeOS has successfully filled the gap between desktop and mobile devices and is becoming the dominant OS. Most people don’t need more than a Chromebook. In fact, it’s way easier to fill most current needs with a Chromebook.

One could say that the professional world is not following, that GNOME is targeting businesses or those who can’t work on a simple notebook/tablet. But we know that this is only a matter of time, that enterprises are simply lagging, on purpose or not. After all, some are still using Windows NT. And what was impossible to do in the cloud one year ago is already becoming the standard, like basic photo editing or video conference.

Of course, Android and Chrome OS are not free. Worst, the recent PRISM scandal has put under light the true importance of free software and transparent web services. Thousands of people understood the problem and decided to download the most popular free operating system of our time: Cyanogenmod, the free version of Android which reacted to PRISM by offering an incognito mode.

The switch is deeper and quicker than anything we imagined. Take a look at screens during a free software hackers conference. Yes, that’s it: Unity. Besides some Macbook and some Chromebook, it’s Unity everywhere. Unity who abandoned GTK+ to switch to Qt, renaming Qt Creator to Ubuntu SDK. Even Subsurface, Linus Torvald’s pet project, is switching from GTK+ to Qt. If you spot a GNOME desktop in a conference, chances are that you are dealing with a Red Hat employee. That’s it. According to Google Trends, interest in GNOME and GTK+ is soon to be extinct.

For years, I’ve been a proud GNOME supporter. I’ve been increasingly interested by the usability of the desktop, by the innovation of GNOME 3. But, today, who really cares about Unity/GNOME/KDE or GTK+/Qt when all you need to do is to launch a browser full screen? All I need, all I want are web based versions of the free software I use. Not an WinXP replacement.

Only a few years ago, GNOME was at the centre of the creative world. Remember Maemo and the N700? This was ground-breaking. A mobile full-fledged OS was the future. Multiple companies emerged from the chaos to provide support, expertise, innovation. But the last remaining bastard child of this era, Tizen, has been definitely buried only a couple of weeks ago.

I can’t accept that all we will keep from this wonderful story is a bunch of coloured t-shirts. We are multiple companies that were created during the GNOME golden era. We are a family of hackers, volunteers and friends. We are a community. We share a lot of experience, we share values. The free software ecosystem has produced hugely successful products which are still unmatched in the cloud offering: Gimp, Inkscape, LibreOffice, Blender to name a few. Even my own pet project, Getting Things GNOME, has no satisfactory web equivalent. And when a web solution exists, it is often a proprietary, centralized, privacy crushing one. There’s surely room for free solutions. That’s why LibreOffice is already investigating the web/mobile space.

For all those reasons, I would like to take the time to sit down together and discuss about the GNOME or free software business future during a BOF. How can we evolve? Can we move the GNOME spirit into a web browser? How can we make use of our history and bring freedom to users instead of becoming just another web dev consultancy company?

How can we ensure, together, that this will not be the last GUADEC?

 

Picture by Ana Rey

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Aimez-vous lire des histoires ?

dimanche 21 juillet 2013 à 18:28

Parce que, justement, j’aime en écrire. Depuis la fin de mon adolescence, j’écris des nouvelles de fiction que personne ne lit et qui pourrissent sur mon disque dur en attendant le jour où, pas magie, ils se retrouveront publiés dans un livre.

Plusieurs raisons m’ont, jusqu’ici, retenu de publier ces nouvelles sur le web.

1. Sur un blog, le texte n’est pas franchement mis en valeur, entre les boutons de partage et les liens.
2. Les gens ne lisent pas sur le web. Ils regardent des vidéos, des photos mais ne savent plus lire.
3. Je fais beaucoup de fautes d’orthographe, les nouvelles sont encore loin d’être parfaites et fignolées.
4. Dans un texte de fiction, je mets généralement beaucoup plus de moi que dans un billet de blog. Cela peut paraître absurde mais je n’ai pas envie de publier ces nouvelles gratuitement. Un vieux relent de « Si c’est gratuit, c’est que c’est forcément moins bien que le payant ».
5. Publier sur le web, c’est perdre le contrôle. Un texte sur du vrai papier d’arbres morts semble toujours bien cadré, bien comme je le veux. Sur le web, il risque d’être copié-collé, déformé, réutilisé.
6. Être lu, c’est s’exposer à énormément de critiques, c’est risquer de voir son travail détruit par la plume acerbe d’un commentateur anonyme.
7. Une fois une nouvelle publiée sur le web, elle ne sera plus « originale » et n’aura plus aucune chance d’être publiée dans un « vrai livre ».

Cela fait beaucoup de raisons qui, pendant des années, m’ont convaincu de garder ces textes en chantonnant : « Un jour, mon éditeur viendra, un jour il me dira… ». Un jour qui ne risquait pas d’arriver vu que je n’ai jamais pris la peine d’envoyer le moindre manuscrit à un éditeur, que je n’ai jamais été assez satisfait de moi pour faire lire une nouvelle à plus d’une ou deux personnes voire pas du tout. Et que ma production littéraire est tombée à un niveau proche de zéro, pâtissant de la concurrence déloyale de mon blog.

Mais la plume me démange. La spontanéité du blog et l’immédiateté des réactions sont très motivantes. Comment transférer cette motivation à la fiction ? J’ai repris les problèmes dans l’ordre.

1. Charlie Merland a créé ce magnifique thème de blog qui met le texte en valeur et encourage à la lecture. De plus, je peux également fournir une version epub et pdf.
2. Il existe des gens qui lisent sur le web. Pour les autres, j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes en les encourageant à pratiquer la lecture.
3. Contrairement à un texte papier, un texte sur le web peut être corrigé et amélioré en continu. Du coup, je compte sur vous, amis lecteurs, pour me signaler les erreurs, pour me donner des conseils, y compris dans la mise en page, dans la génération de fichiers epub. Si vous préférez éviter les textes moins travaillés, attendez les recueils.
4. J’ai résolu ce point en rendant l’entièreté de mon blog payant. N’est-ce pas machiavélique ?
5. Ici, j’ai travaillé sur moi-même et découvert que perdre le contrôle, c’est gagner de la liberté. En publiant des textes, je me libère. En fait, j’aspire maintenant à ce que mes textes soient repris, déformés, réutilisés. Amusant retournement de situation.
6. Le blog d’un condamné m’a fait prendre conscience que les critiques ne sont pas toujours cohérentes. Certains m’ont reproché ma verbosité, une plume un peu trop grandiloquente voire légèrement amphigourique. D’autres, au contraire, ont décrié un style misérable, des phrases trop courtes et un vocabulaire limité. De cette expérience, je tire la conviction que la seule manière de plaire à tout le monde, c’est ne rien faire, ne rien écrire. Je vous fait également confiance, chers affidés, pour me faire des critiques constructives en pointant des manières de m’améliorer. Je progresserai certainement mieux de cette façon qu’en ne publiant rien du tout.
7. Récemment, une connaissance voulait partager avec moi un livre qui lui avait plu sur Google Book. Un message d’erreur m’a signalé que ce livre n’était pas disponible dans mon pays. Est-ce cela le monde dans lequel je veux vivre ? Est-ce dans une prison que je souhaite voir un jour mes écrits alors que je rêve de partage sans contrainte ?

J’ai donc décidé de publier, de temps en temps une nouvelle de fiction plus longue qu’un billet de blog. Celle-ci sera à chaque fois accompagnée d’une version epub et pdf. Quand le matériel sera suffisant, je les regrouperai en recueils. Si vous aimez, vous pourrez soutenir le texte sur Flattr ou le payer en bitcoins. Je compte sur votre indulgence pour les textes les plus anciens. Et quand à ceux qui n’aiment pas mes fictions, rassurez-vous : le reste du blog continuera comme avant et vous ne serez pas obligé de lire !

Pour ceux qui voudraient encourager l’écriture de ces nouvelles, j’ai également ouvert un compte Patreon. Ici, contrairement à Flattr, vous payez à l’avance. Le principe est de fixer une somme, à partir d’un dollar, qui me sera versée à chaque fois que je publie une nouvelle. Comme vous pouvez fixer un montant maximum par mois, c’est une bonne alternative pour ceux qui ne sont pas convaincu par Flattr : en fixant un don de un dollar et un maximum de un dollar par mois, vous dépenserez 0,75€ les mois où je publie au moins une nouvelle et rien les autres. La commission de Patreon est également plus faible que Flattr, peut-être que certains d’entre vous préférerons me soutenir de cette façon.

Devançant les accusations de mercantilisme, je rappelle que le prix est entièrement libre. Si je multiplie les méthodes de paiement, c’est pour donner à chacun l’opportunité de me payer selon sa préférence. Je ne souhaite pas que la même personne me fasse des dons en bitcoins, par Flattr et par Patreon. De plus, en cette période de crise, débourser quelques euros est parfois une véritable gageure. Ne faites donc pas de sacrifice pour moi, ne ressentez pas la moindre culpabilité : si vous êtes un peu serré au niveau budget ou si vous avez d’autres priorités financières, vous avez malgré tout toujours besoin d’un peu de rêve et de bonheur. Je tenterai d’y contribuer en vous offrant, de bon cœur, mes écrits.

De mon côté, j’espère que votre accueil me motivera à écrire les dizaines de nouvelles en chantier depuis plus d’une décennie. Bonne lecture !

 

Photo par Olli Thomson

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C’est la vie !

mercredi 17 juillet 2013 à 23:50

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Un mois à vivre. La nouvelle est un choc. Aussitôt, les idées sur ce que je dois faire avant l’échéance fatidique se bousculent dans ma tête. De manière absurde, mes premiers réflexes sont de lister mes mots de passe, de réfléchir à transférer mes bitcoins vers ma compagne. Je vais passer en revue mes priorités lorsque, soudain, mon réveil sonne.

Je suis quelqu’un dont les rêves s’entrelacent fortement avec la réalité. Il existe des anecdotes de ma vie dont, aujourd’hui encore, je ne sais si je les ai vécues ou rêvées.

Ce rêve me marquera, me poursuivra. Pendant deux jours entiers, l’idée planera et je devrai me convaincre que ce n’était qu’un songe, que je vais vivre.

Mais les questions posées ne sont pas de celles qu’on écarte d’un revers de main : en quoi suis-je si sûr de vivre ? Et que ferais-je si j’étais réellement condamné ?

Ouvrir un blog. Écrire. Oui, c’est ce que je ferais.

Au fond, pourquoi ne pas écrire ce blog maintenant ? Pourquoi ne pas exorciser cette angoisse, ce sentiment d’impuissance ?

J’abandonne très vite l’idée de le faire sur mon propre blog. Cela inquiéterait trop mes amis, ma famille. Je passerais mon temps à démentir. De plus, l’aspect fictif concentrerait les lecteurs éventuels sur la forme, sur le style.

Je vais donc lancer un blog anonyme. Je vais créer un personnage. Ce personnage sera aisé, sera plus vieux que moi et aura des enfants indépendants. La raison est simple : je ne veux pas m’apitoyer sur une famille, sur l’injustice de la mort d’un jeune homme. Je veux tenter de percevoir les pensées d’un homme mûr qui a vécu une vie relativement heureuse, qui a accomplit ce qu’il devait faire mais qui part néanmoins trop tôt. Cet homme sera ce que je peux devenir si ma carrière d’ingénieur est un succès selon les critères en vigueur dans notre société : beau poste, beau salaire, belle maison, enfants indépendants et femme amoureuse. Cet homme s’appellera Lionel. À l’exception de quelques détails mineurs, ce sera moi et personne d’autres.

Le parallèle entre mon idée et le roman de Victor Hugo « Les derniers jours d’un condamné » s’impose. Du coup, le nom de mon projet est tout trouvé « Le blog d’un condamné ».

Dans mon entourage, plusieurs personnes ont perdu des proches ou des amis d’une manière brutale. Des migraines ? Des troubles et, lors d’un scanner la découverte d’une tumeur au cerveau ou d’un cancer du foie. Espérance de vie ? Un an, un mois voire une semaine en fonction des cas.

J’interroge, je me documente. Quelles ont été leur réaction ? Comment cela s’est-il passé avec la famille ? Qu’ont-ils dit ? Les prédictions des médecins sont-elles fiables ?

Ce projet grandit, mes notes s’accumulent mais je retarde sans cesse l’échéance de l’écriture. Vers la fin du mois de mai je décide de me forcer à écrire en rendant ce blog public. Le premier lundi de juin sera le jour du diagnostic.

Et parce que je veux également capter les instants en dehors des moments d’écriture, le personnage disposera d’un compte Twitter. Il ne suivra personne et s’exprimera rarement. Tout cela me forcera à écrire pendant un mois, à exhumer ce sentiment qui m’obsède : ma mort se rapproche à chaque instant.

J’avoue que je triche un peu : j’écris une semaine de billets à l’avance, afin de ne pas être pris de cours en cas d’imprévu. Mais, pour garder la spontanéité, je ne m’autorise qu’une seule et unique relecture. Les billets seront écrits chacun d’une traite, dans l’urgence. N’est pas Victor Hugo qui veut et la qualité s’en ressent forcément.

Le lundi arrive et je crée un compte Tumblr. Je n’avais jamais essayé cette plate-forme, c’est l’occasion. La photo de profil par défaut est particulièrement hideuse et me gêne. Mais je vis à travers les yeux de mon personnage. Je me rends sur Google Images et je tape le mot « espoir ». Le ballon rouge en forme de cœur me parle. Je ne cherche pas plus loin.

J’ouvre également un compte Twitter. Comme pour le blog, je choisis “uncondamne”, en honneur à Victor Hugo. Lors de la création d’un compte Twitter, il faut obligatoirement suivre des comptes. Lady Gaga, Justin Bieber. Je les supprime immédiatement car, c’est décidé, mon compte ne suivra personne.

Un email arrive dans ma boîte. Le compte Twitter a été désactivé pour comportement louche. Je le réactive et, pour éviter pareille mésaventure, je décide de suivre des comptes. Twitter m’en propose automatiquement dont celui du Monde.

La personnalité de L… s’affine. En bon ingénieur approchant de la soixantaine, il sera passionné par l’actualité. Et amateur d’œnologie. Découvrant Twitter pour la première fois, il ne pourra résister à suivre le Monde. Twitter propose alors de suivre d’autres journaux et des journalistes. Quatre séries de cinq propositions que mon personnage acceptera, par curiosité devant ce nouvel outil.

Le premier billet est posté. C’est trop long, trop littéraire, trop ampoulé. Je ne pense pas que cela attirera beaucoup de lecteurs. Ce n’est pas le but, je suis le seul spectateur de l’expérience, je ne cherche pas à rameuter le public.

Néanmoins, avoir quelques lecteurs serait une motivation et un gage de réalisme. Je décide donc d’un petit mensonge promotionnel et poste sur le forum Doctissimo, le seul endroit où j’imagine qu’il puisse avoir de l’intérêt pour ce genre de texte. Rétrospectivement, ce mensonge sera une erreur. Je recevrai d’ailleurs beaucoup plus tard un message agressif d’un employé de Doctissimo qui menacera de révéler mon identité.

L’expérience est lancée.

Deux heures plus tard, je découvre avec surprise que le compte Twitter est pris d’assaut. Les réactions fusent et certaines sont très violentes. Une seule question est sur les lèvres : est-ce un buzz ? Devant des messages haineux du type « Si tu n’es pas vraiment condamné, t’inquiète pas, tu le seras quand on saura qui tu es ! », je prend peur. Je pense arrêter tout. Je n’irai pas plus loin.

Et puis je réfléchis. Je n’ai pas à me faire dicter ma conduite. Ce sont des émotions que j’ai en moi, que je souhaite exprimer. En postant le second billet, je sais que j’irai jusqu’au bout, quoi qu’il arrive.

Alors, je continue. Mon personnage, mon moi a pris le dessus. Je suis devenu un simple lecteur. J’observe sa vie. Afin de rendre l’histoire crédible, j’interroge du personnel médical, je lis de nombreux livres de témoignages sur la mort d’un proche. L’un raconte un décès chez une personne bouddhiste. Deux autres se passent dans des milieux très catholiques. Je lis deux livres de Gabriel Ringlet, j’étudie un manuel à l’usage des personnes confrontées professionnellement au deuil. Je passe une soirée à interroger une infirmière spécialisée dans les soins palliatifs et j’en tire des expériences, des dizaines d’anecdotes comme le mariage, le bénévole qui apporte un accompagnement spirituel, la pudeur du malade face à sa famille.

Tout est vrai. À l’exception de la blague de mon personnage, sa fausse mort, qui est un fantasme personnel, tout est véridique. L’histoire de D… m’a été racontée par son banquier, qui a du gérer les soucis financiers de son épouse. L’histoire de R… me fut confiée par une infirmière. La détection, l’annonce et l’évolution de la maladie de L… sont elles-même calquées, au jour près, sur un cas existant de cancer du cerveau. Certains commentateurs sur le web se découvrent soudainement experts en oncologie et dénoncent l’impossibilité de mourir si vite sans symptômes, l’irréalité d’un médecin qui donne une échéance précise. D’autres soutiennent qu’il s’agit d’un texte militant pour ou contre l’euthanasie.

Et si je vous racontais cette anecdote d’une personne arrivée aux urgences pour un mal de dos et décédée d’un cancer du poumon une semaine plus tard ? Ou celle de cette échéance de trois mois annoncée maladroitement par le médecin par téléphone ? Si je vous disais que, dans mon pays, l’euthanasie est parfaitement légale et acceptée, que j’ignorais qu’elle ne le fut point en France ?

Après les deux premiers jours, je pense avoir épuisé le sujet. Il n’y aura plus rien à dire. Quand l’inspiration me manquera, L… mourra. Mais il refuse. Pour survivre, il me dicte des idées, des phrases dont je ne suis plus que l’interprète. Pendant un mois, je vis avec L…, il est moi et je suis lui. J’ai parfois du mal à faire la part des choses, je me sens triste, une boule se forme dans ma gorge à des moments inattendus de la journée. Ses réflexions me bouleversent, me font relativiser. Parce que je voulais pousser la logique jusqu’au bout, L… était condamné, pas de happy end possible. Il devait mourir trois ou quatre jours avant l’échéance fatale. Il parviendra à la repousser de deux jours avant d’arrêter d’écrire et de me laisser, moi aussi, dans l’expectative.

Je comptais publier un message décrivant le projet à l’arrêt du blog. Mais la création a dépassé son concepteur. L’ampleur du phénomène a échappé à mon contrôle. Ce projet était personnel, je ne souhaite pas le transformer en vitrine promotionnelle pour ma petite personne.

Néanmoins, j’estime important de laisser une porte ouverte. Je crée une adresse mail anonyme que je place dans le dernier billet. Cet élément n’était pas prévu, pas logique mais, pour une fois, j’ai pris la bonne décision.

En quelques jours, ce sont plus de 600 courriels qui arrivent dans ma boîte et je continue à en recevoir une grosse dizaine par jour. Sur cette masse de messages, deux se révéleront franchement négatifs et trois entièrement neutres. Quand au reste, jamais je ne me serais attendu à cela.

Ils me racontent des vies, des instants, des émotions. Un tel me confie son désespoir à la mort de son père et puis son progressif retour à la joie de vivre. Un couple m’annonce, suite à la lecture du blog, s’être réconcilié et considérer leur relation sous un autre jour. Une dame me raconte avoir commencé à prendre des leçons de piano, rêve trop longtemps refoulé. Des personnes de toutes les religions m’envoient, avec respect et humanité, ce simple mot : « Merci ». À la lecture de tous ces messages, les larmes me sont souvent montées aux yeux.

J’ai trompé le monde avec une fausse histoire ? Mais la toute grande majorité de ceux qui m’écrivent ne sont pas dupes. Ils me disent « Condoléances si cette histoire est vraie et merci à l’écrivain si ce n’est pas le cas ». Et si certains m’en veulent, considèrent que c’est un manque de respect pour les personnes malades, je leur répondrai : « C’est le plus bel hommage dont j’étais capable ».

Beaucoup ont demandé une version plus durable de cette histoire. Il n’est pas dans mes moyens d’imprimer un livre papier mais j’ai décidé de créer un livre électronique, auquel j’ai ajouté une série de petites nouvelles. J’ai intitulé ce recueil « C’est la vie ! ». Parce que vous m’avez fait confiance, parce que nous avons partagé ces moments, je vous le confie. Je vous laisse le lire et le partager autour de vous.

Télécharger « C’est la vie ! » (format .epub)

Télécharger « C’est la vie ! » (format .pdf)

Merci pour votre attention durant cette lecture, merci pour vos messages, merci pour avoir partagé avec moi les émotions de L…. Je vous souhaite une merveilleuse seconde vie.

Lionel Dricot, 16 juillet 2013

 

MÀJ 17 juillet : j’ai supprimé le mot de passe. Cette page était au départ destinée à ceux qui avaient réagi au blog d’un condamné et à ceux qui avaient, d’une manière ou d’une autre, soutenu mon blog. Mais elle est à présent largement partagée et le mot de passe perd toute son utilité.

 

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L’inauguration du RER

mardi 16 juillet 2013 à 11:34

Je me fraie un passage dans la foule clairsemée de la gare d’Ottignies. Une rumeur court : le ministre arrive.

En effet, une berline noire ancien modèle, conduite par un chauffeur humain, s’arrête sur l’aire de débarquement. Quelques vieux téléphones se dressent au dessus de la foule pour prendre des photos, les journalistes et blogueurs portent tous en même temps l’index à la monture de leurs lunettes afin d’enregistrer l’événement. Serrages de mains. Sourires de façade.

Alors que la petite troupe se dirige au pas vers le quai où attend une rame flambant neuve, j’observe le chauffeur qui part garer la voiture. Les jeunes adolescents présents se la montrent du doigt. Un véritable chauffeur humain ! Quel anachronisme ! Le ministre serait venu en diligence tirée par quatre chevaux qu’ils n’auraient pas réagi autrement.

À l’exception du ministre, la majorité des personnes présentes est venue en voiture partagée, sans même y penser. Une fois l’événement joint au dossier de presse ajouté à votre calendrier, et pour peu que votre abonnement Cambio soit en ordre, vous n’avez plus rien à faire : la durée du trajet est automatiquement calculée en fonction de votre position et une voiture vient vous attendre devant chez vous ou là où vous vous trouvez. Votre téléphone vibre, vous sortez, entrez dans la voiture et continuez votre travail sur un clavier portatif. Vous pouvez également lire un livre ou regarder un film dans vos lunettes.

Si vous n’avez pas un abonnement exclusif, qui est un peu plus onéreux, vous risquez de partager la voiture avec un inconnu. Aujourd’hui, je suis tombé sur un journaliste complètement réactionnaire qui s’enthousiasmait de cette inauguration du RER afin de renforcer la compétitivité de la fédération Wallonie-Bruxelles par rapport à la Flandre. Un discours sur la croissance tout droit sorti du vingtième siècle. Je me suis d’ailleurs demandé s’il venait juste d’être décongelé. Comme il était très bavard, j’ai pu faire une croix sur mon film et j’ai, intérieurement, reconsidéré l’upgrade de mon abonnement vers la formule exclusive.

Un ruban barre l’accès au quai flambant neuf du RER. Le ministre est souriant, détendu. Il est socialiste, comme le veut la tradition wallonne, mais ce n’est plus qu’un épithète, un contre-sens, un synonyme de népotisme gérontocratique. Car je ne l’aime pas ce ministre. Pendant des années, il a lutté contre les voitures autonomes sous prétexte de sécurité, de mise en danger de la vie des passagers. Il avait soutenu une campagne de dénigrement où on voyait un bébé entouré de robots patibulaires issus d’un mauvais film de série Z avec le slogan : « Leur confierez-vous la vie de votre enfant ? ».

Le fait que son épouse soit au conseil d’administration d’un des grands constructeurs automobiles n’a, selon lui, eu aucune influence sur sa position. Ces révélations le forcèrent néanmoins à démissionner. Que la mortalité routière chuta de 200 à trois morts par an après la généralisation des voitures autonomes ne l’empêcha pas de se représenter aux élections et de l’emporter haut la main. On avait tellement parlé de lui, on l’avait tellement caricaturé sur le web que tout le monde connaissait son nom.

Voilà, il a coupé le ruban. Quelques applaudissement saluent l’exploit. Il prononce quelques mots et pénètre dans le wagon rutilant. Mais, entre nous, qui prendra jamais ce RER ?

Ceux qui n’utilisent pas les voitures partagées sont, en majorité, de la génération consumériste. Ils achètent pour posséder et non par utilité, permettant la survivance d’une industrie moribonde. La voiture personnelle est chez eux un symbole de puissance, de richesse, de virilité. Inutile de préciser que, chez les plus jeunes, l’image perçue oscille entre l’irresponsabilité écologique et un folklore décati, à mi-chemin entre le phonographe et l’éclairage à la bougie.

Quoiqu’il en soit, ces deux générations se rejoignent amplement sur le fait qu’ils ne prendront pas le RER. Les partisans de la voiture personnelle pensent que c’est un bon moyen de transport pour ceux qui ne savent pas s’acheter un véhicule. Les autres pensent que c’est une bonne alternative pour ceux que rebute la voiture partagée.

En 2021, alors que la mise en service de la ligne était, une fois de plus, retardée, quelques voix ont émis des doutes sur l’utilité de continuer. Elles furent bien vite muselées. Après les milliards déjà dépensé, les décennies de chantier, il était impossible de faire marche arrière. J’avoue que reconnaître son erreur aussi tardivement aurait été un véritable suicide politique. Tout le monde savait que c’était inutile mais personne n’osait le dire.

Alors on a continué. On applaudit et on mange les petits fours payés par le contribuable. On sirote un mauvais mousseux dans une coupe biodégradable. Et on se prend à rêver de ce qui se serait passé si on avait pu prévoir cela bien plutôt, avant 2010 ou 2015. Mais qui aurait pu conjecturer une telle évolution des transports ?

 

Photo par Jean-Paul Remy

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