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La conscience et la fragilité de la vie

samedi 12 novembre 2016 à 15:36

Si on prend la peine d’y réfléchir, notre vie est un incroyable équilibre, une formidable symbiose entre des milliards de cellules.

Chacune est unique, périssable, remplaçable et pourtant toutes sont dépendantes des autres pour exister. Les cellules n’existent que grâce à l’entité supérieure qu’elles forment : un être humain !

Que cette fragile harmonie entre des milliards d’individus se rompe et, aussitôt, c’est le corps tout entier qui souffre. Que quelques cellules décident de ne plus collaborer, d’entrer dans une égoïste croissance incontrôlée et c’est la personne entière qui est atteinte d’un cancer.

Lorsque le déséquilibre devient trop grand, que la symphonie se transforme en fausses notes, vient l’heure de mourir.

La mort signifie la fin de la coopération. Les cellules vivent encore mais ne peuvent plus compter sur les autres. Elles sont condamnées à disparaître, à pourrir.

Le corps devient rigide, froid. Les cellules qui le composent s’éteignent petit à petit. Certaines ne veulent pas l’accepter mais il est trop tard. La conscience a disparu, le corps est condamné.

L’agonie se transforme en repos, le râle en silence, les convulsions en immobilité. La moite et étouffante chaleur est devenue un courant d’air. La vie s’en est allée.

Attendez !

Si on prend la peine d’y réfléchir, l’humanité est un incroyable équilibre, une formidable symbiose entre des milliards d’individus.

Que quelques personnes décident de ne plus collaborer, d’amasser au détriment des autres et c’est la planète entière qui est atteinte d’un cancer.

Mais contrairement à un corps, l’humanité n’est pas encore arrivé au stade de la conscience. Nous pouvons encore la sauver, soigner les terribles cancers qui la rongent.

Si nous pouvons compter l’un sur l’autre, si nous pouvons collaborer, considérer chaque être humain comme une cellule indispensable d’un seul et unique corps, alors, l’humanité survivra.

Pour survivre, nous n’avons sans doute pas d’autre choix que de créer et devenir la conscience de l’humanité.

 

À ma mamy, décédée le 15 octobre 2016. Photo par Sarahwynne.

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(Ré)Apprendre à rêver

jeudi 10 novembre 2016 à 08:50

Nous étions satisfaits d’avoir appris à lire et à obéir. Après le Brexit, la victoire de Trump vient douloureusement nous rappeler que nous devons apprendre à réfléchir ensemble. Apprendre à douter et à construire. À écrire, à penser et à remettre en question notre petit confort mondain.

Le pouvoir de l’écriture

Comme je l’expliquais dans « Il faudra le construire sans eux », je pense que l’humanité est rythmée par les technologies de l’information.

L’écriture nous a donné le concept d’histoire, de vérité, de transmission. Avec l’apparition de l’écriture est également apparue l’autorité centralisée, le pouvoir. L’humain a appris à obéir afin de coopérer.

Mais la lecture restait l’apanage des puissants.

L’imprimerie bouleversa complètement cette structure en apprenant à l’humanité à lire. Désormais, tout le monde, ou presque, pouvait lire, apprendre, découvrir de nouvelles idées.

Le pouvoir s’en trouva modifié. Il prit le nom trompeur de démocratie mais resta concentré dans les mains d’une minorité, ceux qui pouvaient écrire. Écrire les lois. Écrire la vérité telle qu’elle devait être à travers la presse puis les médias.

Avec Internet, chaque humain se retrouva soudainement en mesure d’écrire. Chaque humain avait désormais le pouvoir de façonner la vérité, sa vérité.

Mais, comme les rois et empereurs avant eux, les présidents et autres dirigeants furent incapables de percevoir ce changement qui les déstabilisait et qui ne pouvait que les détrôner.

Bouffie d’impunité et d’arrogance, la classe politicienne se complaisait dans sa réalité qu’elle façonnait avec la complicité des médias et de la presse. La réalité n’était-elle pas sous leur contrôle ?

Ils brassaient l’argent et l’économie mondiale, ils façonnaient une réalité qu’ils croyaient universelle et étaient à ce point déconnectés des autres réalités qu’ils ne pouvaient plus en imaginer l’existence.

Ce n’est donc pas une surprise qu’ils ne virent pas que le reste de l’humanité apprenait à écrire et à se passer d’eux.

Une révolte ? Une révolution !

Lorsque des tentatives de changement voyaient le jour, le pouvoir les étouffait ou, confiant, les laissait mourir afin de servir d’exemple. La technique était simple : se convaincre et convaincre les autres que le changement était impossible, voué à l’échec. Que les réponses apportées étaient indiscutables.

Aux États-Unis, par exemple, un réel mouvement progressiste tenta de porter Bernie Sanders à la présidence. L’homme inspirait la passion et, comme Michael Moore, je suis convaincu qu’il aurait gagné contre n’importe quel adversaire. Il représentait l’espoir d’une génération qui avait appris à lire et qui voulait désormais se mettre à écrire.

Mais Hillary Clinton parvint à convaincre tous les partisans qu’un tel changement était impossible, qu’écrire, c’était bien, mais que la lecture était suffisante pour la majorité.

Les jeunes, les intellectuels, les penseurs critiquaient Hillary Clinton mais se pliaient à la réalité qu’on leur avait tellement bien inculquée. C’est beau de rêver mais les sondages et les médias ont toujours raison. Les politiciens ne sont pas parfaits mais ils savent ce qui est bien pour nous.

À l’époque, j’avais dit que les démocrates regretteraient amèrement d’avoir détruit Sanders, qui représentait leur meilleure chance. Puis, je me suis moi-même plié à cette réalité. J’étais persuadé que le Brexit ne passerait pas, que Trump serait défait. J’ai été un parfait petit représentant de cette frange éduquée et indignée qui se résigne.

Mais toutes ces considérations n’atteignaient pas les franges de la population qui avaient toujours été oubliées, spoliées. La masse qui a soudainement appris à écrire avant même de savoir lire.

Dans une leçon magistrale, cette masse a refusé de se plier aux injonctions d’une réalité que, de toutes façons, elle ne comprenait pas. Insensible à la raison, à la logique, elle démontre qu’il n’est pas nécessaire de se plier à une réalité imposée.

La résignation des millenials

Si les « millenials » et les jeunes étaient les seuls à voter, le Brexit ne serait pas passé, Bernie Sanders serait probablement président. Malheureusement, les millenials ont également appris à « être réalistes », à ne pas se laisser aller à leurs rêves si ceux-ci sont plus gros qu’une belle voiture et une maison 4 façades.

Au fond, les millenials auraient aimé changer le monde mais sans prendre le risque de perturber leur petit confort bien douillet.

Ces millenials, dont je fais partie, sont coupables d’avoir oublié la masse qui n’a pas la chance d’être éduquée, qui n’a plus rien à perdre. Les révoltes progressistes et écologiques contre le pouvoir en place sont, fondamentalement, égocentriques et égoïstes. Nous luttons pour notre idéal sans tenir compte des autres réalités.

Enfermés dans nos bulles de confirmation par les algorithmes des réseaux sociaux, nous avons oublié une partie de l’humanité qui ne savait pas lire, pas écrire.

Une partie de l’humanité qui, ironiquement, s’est trouvée un champion qui personnifie tout ce contre quoi nous devrions nous unir : le profit sans scrupule, l’égotisme maladif, la haine, le rejet de la différence et le non-respect de l’autre.

Reconstruire nos rêves

Si nous ne devons retenir qu’une leçon de l’élection de Trump, c’est que l’ancien monde est mort. Que nous ne pouvons pas faire confiance aux politiciens, aux médias, aux sondages. Il est indispensable d’éteindre définitivement notre télévision, de refuser de consulter les médias financés par l’état et la publicité, d’apprendre à ne plus brader nos émotions.

Il est primordial d’arrêter d’élever le « journalisme » au rang d’outil rebelle au service de la démocratie. C’était le cas au 18ème siècle et les médias, comme les politiciens, tentent de nous garder dans ce passéisme suranné tout en nous poussant à la consommation. Les rares exceptions se reconnaissent : elles n’ont ni publicités ni subventions publiques.

Rendons-nous à l’évidence : les politiciens et les journalistes n’en savent pas plus que nous. Au contraire, ils sont fats, imbus de leur ignorance ! Mais ils sont persuadés d’avoir raison, de contrôler la réalité. Nous ne pouvons même plus leur accorder le bénéfice du doute et nous devons accepter que ces fonctions sont devenues essentiellement néfastes.

Mais nous ne pouvons plus non plus nous complaire dans nos bulles qui nous renforcent dans nos convictions. Il est nécessaire d’écouter les autres, de se confronter.

Aurons-nous la lâcheté de léguer le monde tel qu’il est aujourd’hui à nos enfants parce que nous nous limitons à ce qui est “réaliste” ? Aurons-nous l’honnêteté intellectuelle de leur dire que nous avons préféré consacrer notre énergie à payer une maison et une carte essence plutôt qu’à rendre le monde un tout petit peu meilleur ?

Il est urgent de réapprendre ensemble à lire, à écrire et, surtout, à rêver et à désobéir, même au risque de tout perdre. Le monde n’est-il pas façonné par ceux qui n’ont plus rien à perdre ?

 

Photo par Joel Penner.

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Printeurs 41

vendredi 4 novembre 2016 à 13:17
Ceci est le billet 41 sur 43 dans la série Printeurs

Nellio, Eva, Max et Junior se sont engoufrés dans une voiture un peu particulière.

— Bon sang, mais c’est une voiture de flics !
— Et oui, fait Junior avec un sourire désarmant. J’ai l’avantage de connaître tous leurs petits points faibles.

Utilisant sa main nouvellement greffée, Junior pianote sur l’écran et, d’une pression, valide la destination. Des instructions s’affichent mais, curieusement, la voiture ne bouge pas. Junior s’empare alors d’un curieux objet circulaire et…

— Accrochez-vous les gars, Junior est au commande !
— Junior, ne me dit pas que tu pilotes ce truc en mode manuel !
— Et oui mon pote, les voitures des policiers d’élite sont avant tout manuelles, pour éviter tout brouillage ou piratage trop simple. J’ai appris à conduire même, si je vous l’avoue, c’est la première fois que je le fais sans avatar !

Max se tourne vers moi.
— En mode manuel, les voitures n’identifient pas les occupants. Ne me demande pas pourquoi, sans doute un vieux bug informatique. Mais cela va nous permettre de gagner du temps et d’arriver au siège du conglomérat avant d’être repérés.
— Et une fois là-bas, on fait quoi ?

Le silence se fait un instant dans l’habitacle.
— On improvise, répond Eva d’une voix très douce. Mais je pense qu’on ne nous laissera pas beaucoup de choix.

Une froide distance semble s’être installée entre Eva et moi. Je n’arrive plus à la percevoir, à la comprendre. J’ai face à moi une étrangère, une inconnue. J’aimerais faire un geste, lui demander des explications, lui montrer de l’empathie mais je ne fais que croiser son regard fuyant, son front contracté, ses lèvres serrées.

Maladroitement, je fais un geste vers elle, je la touche. Elle sursaute mais ne se retourne pas. J’ai l’étrange impression d’être à la fois victime et coupable, de devoir m’excuser après avoir été humilié.

— Eva, dis-je doucement. Est-ce que tu pourrais m’expliquer ce que je suis le seul à ne pas comprendre ? Que sont ces outils de masturbation à ton effigie ?

— Masturbation, c’est peut-être pas le mot que j’aurais employé, nous interrompt Max. Avec le projet Eva, la différence entre la masturbation et le coït devient vraiment ténue. Il s’est toujours dit que les réels progrès technologiques se faisaient d’abord dans l’industrie du porno. Nous n’avions juste pas pensé à appliquer la loi de Turing à cette règle.

— Tu veux dire, fais-je en déglutissant, que l’on pourra considérer l’intelligence artificielle comme douée de raisonnement le jour où les humains feront l’amour à un robot sans le savoir ?

— Quelques choses dans le genre, oui. Et j’avoue que, de ce côté là, le projet Eva est incroyablement innovant et surprenant. Je ne suis pas sûr que les créateurs se soient vraiment rendu compte de ce qu’ils faisaient.

— Ils ne se sont rendu compte de rien, je le garantis, intervient brusquement Eva. Ils n’ont fait que suivre mes instructions. Du moins au début… Avant…

Max semble aussi surpris que moi. Nous n’avons pas le temps d’esquisser un geste qu’une brusque secousse nous projette les uns contre les autres dans la voiture.

— Ah oui, accrochez-vous, nous lance Junior, hilare ! Le mode manuel est généralement un peu moins fluide et beaucoup plus dangereux que la conduite automatique traditionnelle !

Une embardée particulièrement violente projette mon front contre le nez d’Eva. Son visage reste fixe, sans émotion mais une goutte de sang perle le long de sa narine et vient s’étaler sur sa lèvre supérieure. Machinalement, Eva porte un doigt à sa bouche, le frotte et le contemple longuement avant de me jeter un regard étonné, comme apeuré.

— Du sang ! Est-ce que tu…

— Non, fais-je en me dépêtrant de la situation inconfortable dans laquelle je suis tombée. Je n’ai rien. Il s’agit de ton sang.

— Mon sang ? Mon sang ?

Sa surprise me parait étrange mais Junior, concentré sur sa route, ne me laisse pas le temps d’investiguer.

— Waw, ça revient vite la conduite manuelle. Désolé pour les chocs mais y’a du traffic. J’espère qu’on ne va pas tomber sur un autre attentat !

Tout en donnant de violents coups de volant, il continue à grommeler dans sa barbe.

— Saleté de califat. On aurait dû les atomiser depuis longtemps.

Max éclate de rire.

— Parce que tu penses vraiment que ce califat islamique est derrière ces attentats ?

— Bien sûr, qui d’autre ?

— N’importe qui ! Quoi de plus facile que de créer un ennemi virtuel qui aurait tous les attributs que la majorité déteste mais qui séduirait les plus psychopathes d’entre nous ?

Junior sursaute.

— Hein ? Mais quel serait l’intérêt ?

— Facile, continue Max de sa voix douce et convaincante. Un ennemi commun qui unit le peuple sans discussion, qui fait que tout le monde se serre les coudes. Sans compter que les attentats créent beaucoup d’emplois : les morts qu’il faut remplacer, les dégâts à réparer, les policiers pour sécuriser encore plus les périmètres. Ton boulot, tu le dois principalement aux attentats !

— Tu voudrais dire que le califat serait inventé de toutes pièces ? Mais comment seraient recrutés les terroristes ? Ça n’a pas de sens !

— Le califat existe, intervient brutalement Eva. Son existence pose d’ailleurs de plus gros problèmes que de simples attentats. Il est le reliquat animal de l’humanité, cette partie sauvage qui est en chacun de nous et que nous refusons de voir, ce fragment de notre inconscient collectif qui nous transforme en bêtes féroces ne pensant qu’à tuer et à copuler pour propager nos gênes.

— Copuler ? Au califat ? Ils sont plutôt rigoristes là-bas, fais-je avec un pauvre sourire.

Eva me darde de son regard noir.

— Justement ! Le rigorisme n’est que l’apanage des pauvres, la façade. Les puissants, eux, disposent de harems. Le califat est encore à un stade de l’évolution où le mâle tente de multiplier les femelles afin de les ravir aux autres mâles. Cette compétition accrue entre les mâles les rend fous et prêts à n’importe quel acte insensé, même au suicide. Quand aux femmes, elles ne sont que du cheptel et traitées comme tel.

— Heureusement que nous n’en sommes plus là. L’égalité entre les hommes et les femmes…

Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase qu’Eva m’interrompt, au bord de l’hystérie. Elle hurle, sa voix résonne comme une sirène dans l’étroit habitacle de la voiture.

— Tu penses que nous avons progressé ? Que nous valons mieux qu’eux ? La vue de l’usine ne t’a pas suffi ? Pourquoi crois-tu que j’ai été fabriquée ?

Je reste un instant bouche bée. Le silence s’est brutalement installé.

— Fabriquée ? Que veux-tu dire Eva ?

Photo par Andy Rudorfer.

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La moitié du monde qui vit dans la peur

jeudi 14 avril 2016 à 23:34
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J’aime me balader seul la nuit dans les rues désertes. Couper par un bois obscur. Respirer l’air de la nuit. Je me sens bien.

Peur ?

Je ne connais pas vraiment la peur. J’ai confiance dans mes capacités de défense. J’ai confiance dans ma pointe de vitesse. J’ai surtout confiance dans le fait que m’agresser est un acte très grave, complètement condamné par la société. Les agresseurs sont donc relativement peu nombreux et doivent être vraiment acculés. De plus, une agression éventuelle aurait très peu de chance de laisser des séquelles durables. Même si c’était le cas, je sais que j’aurais le support de l’ensemble de la société, que mon agresseur serait unanimement condamné.

Je suis donc en confiance, j’ai la chance de vivre dans un endroit sûr.

Parce que je suis un homme.

Si je me transforme en femme, le monde est immédiatement différent. Physiquement, j’ai moins de chance d’être plus forte ou plus rapide qu’un éventuel agresseur. Je suis obligée de considérer chaque homme comme un agresseur potentiel. Les regards, les remarques, même les plus gentilles, me rappellent à chaque instant que je suis avant tout une proie sexuelle dans le regard des mâles.

Que ce soit dans un contexte professionnel, intellectuel ou de détente, les premières remarques concerneront toujours mon physique et, implicitement, ma baisabilité. Et si l’on sort des considérations sexuelles, ce sera essentiellement pour parler de mon rôle potentiel d’épouse et de mère.

Des agresseurs potentiels n’ont pas besoin d’être acculés, désespérés pour passer à l’acte avec moi : il suffit qu’ils aient des pulsions sexuelles un peu trop vives.

De plus, je sais que la société les condamne très peu. Si je suis victime d’un viol, les policiers commenceront par me culpabiliser en me demandant pourquoi je me suis promené à tel endroit dans telle tenue. Pourquoi j’étais seule. Victime d’un viol, je suis en partie coupable. Et, pour toujours, impure et détruite à vie au regard des hommes, même les plus bienveillants.

Dans le meilleur des cas, mon agresseur sera puni comme s’il m’avait donné quelques coups. Si on le retrouve.

Je ne suis donc pas en confiance, je vis dans la peur. Que ce soit dans la rue, dans un événement professionnel, une soirée, un concert. Sans aucune gêne, les hommes à faible distance parlent de mon décolleté, des positions sexuelles qu’ils vont essayer avec moi ou une autre, du fait que je suis baisable ou non. Ils ne se cachent même pas, ils n’imaginent pas que je les entends. Ils sont même persuadés d’être gentils et attentionnés en soulignant mes qualités physiques. Et je suis forcée de me sentir flattée de peur d’être perçue comme prude, d’être exclue de leurs cercles et, dans le cas professionnel, de voir se volatiliser les opportunités de carrière.

Une immense majorité d’hommes et de femmes me critiquent, ouvertement ou sans s’en rendre compte car je tente de m’octroyer les mêmes libertés de parole et d’action que les hommes. Ils me trouvent bizarre, dérangeante, choquante. Pour les femmes, je ne suis pas assez féminine, sensible. Un simple gros mot ou une allusion sexuelle prend dans ma bouche une ampleur insoupçonnée. Je n’ai pas le droit de les dire, seulement d’en rire quand elles proviennent d’un homme.

Me plaindre est hors de question : mon audience me soulignera immédiatement la chance que j’ai de vivre dans un pays où les femmes ont déjà tellement de droits, que j’exagère, qu’en Arabie Saoudite, c’est bien pire mais qu’au moins les hommes ont la paix là bas (rires gras). Mais ces droits dont je jouis sont si fragiles… Chaque jour, nous devons lutter pour les faire exister, les matérialiser et la lutte est d’autant plus difficile que la plupart sont persuadés que le combat est terminé, que l’égalité est acquise.

Pire, certains hommes vont jusqu’à se sentir opprimés du fait que je tente de jouir des mêmes droits qu’eux. Il est vrai qu’après des millénaires de privilèges, le retour à l’égalité doit ressembler à de l’oppression.

Aujourd’hui, j’ai peur d’être ce que je suis, j’ai peur de perdre les droits pour lesquels les femmes se sont battues et, malgré tout, je dois cacher cette peur, être belle et forte pour avancer.

Enfin, heureusement, je ne connais pas cette peur. Car je suis un homme.

Mais, souvent, la honte m’étreint à l’idée de vivre dans un monde soi-disant libre où plus de la moitié de la population est forcée de vivre dans la peur de l’autre moitié.

 

Photo par Nicola Albertini.

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Il faut agrandir le centre commercial !

dimanche 21 février 2016 à 16:33
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Comment ? Mais bien sûr qu’il faut agrandir le centre commercial ! Ceux qui vous disent le contraire ne sont qu’une poignée de véhéments passéistes.

Voyez-vous, le centre commercial est devenu un endroit de ralliement, d’échanges. Tous, jeunes, vieux, s’y retrouvent, seuls ou en familles, pour consommer et se faire plaisir.

En se retrouvant dans le centre commercial, nous sommes exposés à des opportunités, des couleurs, des offres alléchantes et nous dépensons alors que si nous avions simplement passé du temps chez nous, chez des amis ou en forêt, nous n’aurions jamais fait tourner l’économie.

Et, sans centre commercial, qui fournirait de l’emploi ? L’extension du centre commercial, c’est avant tout plusieurs dizaines de personnes qui, au lieu de perdre du temps à lire sur internet, vont passer leurs journées dans ce cadre fermé magnifique à vous vendre la production d’enfants indiens ou chinois. Le centre commercial est donc également une ouverture à l’autre, un geste vers les pays défavorisés.

Je sais que, dans notre culture, nous avons tendance à voir cela d’un mauvais œil mais le petit thaïlandais est lui bien content de coudre des vêtements plutôt que de mourir de faim.

De plus, l’extension du centre commercial, c’est également un engagement écologique durable. Toute l’énergie que nous utilisons pour refroidir fortement le centre en été et le réchauffer à outrance en hiver sera produite par un fournisseur de gaz russe qui s’est engagé à ce que 10% de sa production soit certifiée durable par une agence de certification locale dont le fondateur siège dans le conseil d’administration de notre entrepreneur. C’est vous dire à quel point nous sommes attentifs à la nature et à la préservation de la planète !

Mais l’agrandissement du centre commercial, c’est avant tout un projet économique qui aura des retombées non négligeables. Bien sûr qu’il faudra réduire fortement la taille du parc boisé, mais certainement pas le raser comme quelques manifestants le prétendent. N’oublions pas qu’un parc n’est pas économiquement viable ni rentable. Tandis que le projet de centre commercial, lui, promet de verser des dividendes aux investisseurs après seulement cinq années grâce à la participation des pouvoirs publics et le versement de différentes aides de l’état. Sans compter une défiscalisation astucieuse que nous permet l’établissement de notre siège au Luxembourg et une classe politique locale convaincue que la création de quelques emplois ne doit pas être mise en péril par une application trop stricte de la fiscalité.

Non, franchement. Je ne vois pas comment on peut oser s’opposer à l’agrandissement du centre commercial ! Du plaisir, de l’emploi et une économie ronflante, n’est-ce pas ce que nous désirons tous ?

 

Photo par Logan Elliott.

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