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On Humans and Machines

samedi 11 février 2023 à 01:00

On Humans and Machines

In the ultimate form of marketing-capitalism, companies try to transform human workers into replaceable working machines and ask them to produce machines that should sound like they are humans.

To achieve that, they build machines that learn from humans.

While humans believe that, in order to gain success, they need to act like machines acting like humans. That’s because the success is defined by some counters created by the machines. The machines, themselves, are now learning from machines that act like humans instead of learning from humans.

So, in the end, we have humans acting like "machines learning from machines acting like humans" built by humans actings like machines.

That’s make "being human" really confusing. Hopefully I don’t need to think about what "being a machine" means.

As a writer and an engineer, I like to explore how technology impacts society. You can subscribe by email or by rss. I value privacy and never share your adress.

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Libérons la culture pour cultiver la liberté

lundi 23 janvier 2023 à 01:00

Libérons la culture pour cultiver la liberté

Cette conférence a été donnée le 19 novembre 2022 à Toulouse dans le cadre du Capitole du Libre.
Le texte est ma base de travail et ne reprend pas les nombreuses improvisations et disgressions inhérentes à chaque One Ploum Show.
Attention ! Cette conréfence n’est pas une conréfence sur le cyclimse. Merci de votre compréhension.

Qui d’entre vous a compris cette référence à « La classe américaine » ? Ça me fait plaisir d’être là. Je suis content de vous voir. On va manger des chips. Quoi ? C’est tout ce que ça vous fait quand je vous dis qu’on va manger des chips ?

Sérieusement, je suis très content d’être là parmi vous. Je me sens dans mon élément. J’ai fréquenté le monde de l’industrie, celui des startups, de l’académique et même un peu de la finance. Mais il n’y a que parmi les libristes que je me sens chez moi. Parce que nous partageons la même culture. Parce que nous sommes d’accord sur le fait que Vim est bien meilleur qu’Emacs. (non, pas les tomates !)

La culture c’est ça : des références qui font qu’on se comprend, qu’on exprime une certaine complicité. Un des moments forts de mon mariage a été de montrer « La cité de la peur » à mon épouse. Elle n’a pas adoré le film. Bof. Mais nous avons étendu notre vocabulaire commun.

— J’ai faim ! J’ai faim ! J’ai faim !

— On peut se tutoyer ? T’es lourd !

("oui, mais j’ai quand même faim" répond quelqu’un du public)

La culture, c’est ça : une extension du vocabulaire. Il y’a des programmeurs dans la salle ? Et bien la langue, comme le français en ce moment, correspond au langage de programmation. La culture correspond aux bibliothèques. Langage et bibliothèque. La bibliothèque est la culture. Les mots sont magnifiques !

Pour s’exprimer, pour communiquer, pour être en relation bref pour être humain, la culture est indispensable. Lorsque deux cultures sont trop différentes, il est facile de considérer l’autre comme inhumain, comme un ennemi. La culture et le partage de celle-ci sont ce qui nous rend humains.

La culture est pourtant en danger. Elle est menacée, pourchassée, interdite. Remplacée par un succédané standardisé.

Étendre sa culture, c’est augmenter son vocabulaire, affiner sa compréhension du monde. La culture sert de support à la manière de voir le monde. Prêter un livre qu’on aime est un acte d’amour, d’intimité. C’est littéralement se mettre à nu et dire : « J’aimerais que nous ayons une compréhension mutuelle plus profonde ». C’est magnifique !

Mais combien de temps cela sera-t-il légal ? Ou même techniquement possible ? Une fois l’auteur mort, son œuvre disparait pendant 70 ans, car, pour l’immense majorité d’entre eux, il n’est pas rentable de les réimprimer et de payer les droits aux descendants. Nous tuons donc la culture avec l’auteur.

La transmission est pourtant indispensable. La culture se nourrit, évolue et se transforme grâce aux interactions, aux échanges. Or les interactions sont désormais surveillées, monétisées, espionnées. Du coup, elles sont fausses, truquées, inhumaines. Les comptes Twitter et LinkedIn sont majoritairement des faux. Les likes Facebook s’achètent à la pelle. Les visites sur votre site web sont des bots. Les contenus Tiktok et YouTube sont de plus en plus générés automatiquement. Les nouvelles dans les grands médias ? Des journalistes sous-payés (non, encore moins que ça) qui sont en compétition avec des algorithmes pour voir le contenu qui rapportera le plus de clics. Les rédactions sont désormais équipées d’écrans affichant en temps réel les clics sur chaque contenu. Le job des journalistes ? Optimiser cela. Même le code Open Source est désormais généré grâce à Github Copilot. Ces algorithmes se nourrissent de contenu pour en générer de nouveaux. Vous la voyez la boucle ? Le « while True » ?

Pendant des millénaires, notre cerveau était plus rapide que les moyens de communication. Nous apprenions, nous réfléchissions. Pour la première fois dans l’histoire de l’information, notre cerveau est désormais le goulot d’étranglement. C’est lui l’élément le plus lent de la chaîne ! Il ne peut plus tout absorber. Il se gave et s’étouffe !

Lorsque nous sommes en ligne, nous alimentons cet énorme monstre qui se nourrit de nos données, de notre attention, de notre temps, de nos clics. Nous sommes littéralement la chair exploitée du film Matrix. Sauf que dans Matrix, les corps sont nourris, logés dans leur cocon alors que nous bossons et payons pour avoir le droit d’être exploités par cette gigantesque fabrique d’attache-trombones.

Vous connaissez l’histoire de la fabrique d’attache-trombones ? C’est un concept inventé par le chercheur Nick Bostrom dans un papier intitulé « Ethical Issues in Advanced Artificial Intelligence ». Le concept est que si vous créez une intelligence artificielle en lui demandant de fabriquer le plus possible d’attache-trombones le plus rapidement possible, cette intelligence artificielle va rapidement s’arranger pour éliminer les humains qui pourraient la ralentir avant de transformer la planète entière en une montagne d’attache-trombones, ne gardant des ressources que pour coloniser d’autres planètes afin de les transformer en attache-trombones.

Dans une conférence de 2018, l’auteur de science-fiction Charlie Stross a montré qu’il n’était pas nécessaire d’attendre des intelligences artificielles très avancées pour voir se poser le problème. Qu’une entreprise est, par essence, une fabrique d’attache-trombones : une entité dont le seul et unique objectif est de générer de l’argent, quitte à détruire ses créateurs, l’humanité et la planète dans la foulée.

Le concept est parfaitement illustré par cette magnifique scène dans « Les raisins de la colère » de John Steinbeck où un fermier s’en prend à un représentant de la banque qui l’exproprie de son terrain. Il veut aller tuer le responsable de son expropriation. Le banquier lui dit alors : « La banque a une volonté à laquelle nous devons obéir même si nous sommes tous opposés à ses actions ». Bref, une fabrique d’attache-trombones.

La fabrique d’attache-trombones nous fait dépenser, devenir des zombies. Vous avez déjà vu un zombie ? Moi oui. Quand je fais aller la sonnette de mon vélo face à des gens qui tendent un téléphone au bout de leur bras. Ils sont dans un monde virtuel. Ils ont même délégué leur sens auditif à Apple avec ces écouteurs qui ne se retirent plus et qui ont la faculté de transmettre le son réel dans l’oreille. En mettant Apple comme intermédiaire. Comme dans Matrix, les gens vivent dans un monde virtuel. Ça a juste commencé par l’audition au lieu des gros casques devant les yeux comme on l’imaginait.

Pour nous échapper de la fabrique, pour ne pas être transformés en attache-trombones, nous devons créer, entretenir et occuper des espaces réservés aux humains. Pas des algorithmes. Pas des entreprises. Des humains. Et posez-moi ce smartphone qui vous fait littéralement perdre 20 points de QI. Ce n’est pas une blague : quand on dit que les entreprises se nourrissent de notre temps de cerveau, c’est littéral. On perd littéralement l’équivalent de 20 points de QI par le simple fait d’avoir un téléphone à proximité. Le simple son d’une notification distrait autant un conducteur que de ne pas regarder la route pendant une dizaine de secondes. Ces engins nous rendent cons et nous tuent ! Ce n’est pas une image.

Vous avez remarqué comme la déshumanisation du travail nous force de plus en plus à agir comme des automates, comme des algorithmes ? Métropolis, de Fritz Lang, et les Temps Modernes, de Charlie Chaplin, dénonçait l’industrialisation qui transformait nos corps en outils au service de la machine. 100 ans plus tard, c’est exactement pareil avec les cerveaux. On les transforme pour les mettre au service des algorithmes. Algorithmes qui, eux, prétendent se faire passer pour des humains. Nous sommes en train de fusionner l’homme et la machine d’une manière qui n’est pas belle à voir.

Ce qui fait l’humain, c’est sa diversité, sa différence d’un individu à l’autre, mais aussi d’un moment à l’autre. Quel est le connard qui pense sérieusement que comme t’as envoyé un jour un mail à une entreprise, cinq ans plus tard tu souhaites être spammé tous les jours avec leur newsletter ? Je n’invente rien, ça m’est arrivé récemment. L’humain évolue et la culture humaine doit être diverse. Comme la nourriture. Qui pense que manger tous les jours au macdo au point d’en vomir est une bonne idée ? Alors pourquoi accepte-t-on de le faire pour notre cerveau ?

L’archétype de l’industrialisation et de l’uniformisation de la culture est pour moi représenté par les superhéros. On réduit la culture à un combat entre exégètes Marvel ou DC. Ce n’est pas anodin. Vous avez déjà réfléchi à ce que représente un superhéros ? C’est littéralement un milliardaire avec des superpouvoirs innés. Il est supérieur au peuple. Il est également son seul espoir. Il est parfois injustement mal compris, car il est bon, même quand il dézingue toute une ville et ses habitants. Ce sont juste des dommages collatéraux. Le peuple a juste le droit de la fermer. C’est littéralement l’image du monde qu’ont les milliardaires d’eux-mêmes. À titre de comparaison, dans les années 90, la mode était aux films catastrophes. La terre était en danger et les humains normaux (on insistait sur la normalité, sur le fait que leur couple allait mal, qu’ils étaient blancs ou bien Will Smith) s’associaient pour accomplir des actions héroïques et sauver la terre d’un ennemi figurant la pollution. Les héros de Jurassique Park? Des gamins normaux et des scientifiques un peu dépassés. Aujourd’hui, l’humain normal a juste le droit de fermer sa gueule et d’attendre qu’un milliardaire vienne le protéger. Sans milliardaire, l’humain normal est forcé de se battre contre les autres normaux, car les milliardaires nous ont appris que la collaboration était morte ces 20 dernières années. Ils nous ont enseigné à voir tout humain comme un ennemi, un concurrent potentiel et à tenter d’accaparer ce qu’on peut avant une destruction finale. C’est ce qu’on appelle le survivalisme.

Cette vision du monde, nous la devons à la monopolisation de la culture. À la monoculture. Mais il y’a pire ! La culture indépendante est devenue illégale, immorale. Les gens s’excusent de pirater, de partager. À cause d’une des plus grosses arnaques intellectuelles : la propriété intellectuelle. Un concept fourre-tout assez nouveau dans lequel on balance brevets, secrets commerciaux, copyrights, trademarks…

L’intellect est un bien non-rival. Si je partage une idée, cela donne deux idées. Ou 300. Au plus on la partage, au plus la culture croît. Empêcher le partage, c’est tuer la culture. Les fabriques d’attache-trombones ont même réussi à convaincre certains artistes que leurs fans étaient leurs ennemis ! Qu’empêcher la diffusion de la culture était une bonne chose. Que le fait qu’ils crèvent de misère n’était pas dû aux monopoles, mais au fait que les fans se partagent leurs œuvres. Spotify reverse aux artistes un dixième de centime par écoute, mais les pirates seraient responsables de l’appauvrissement des artistes. Pour toucher l’équivalent de ce qu’il touchait avec une vente de CD, vous devez écouter chaque chanson de l’album un millier de fois sur Spotify !

Le libre a tenté de répliquer avec les licences. GPL, Creative Commons. Mais nous sommes trop gentils. Fuck les licences ! Partagez la culture ! Diffusez-la ! Si vous le faites de bon cœur, partagez entre êtres humains. Boycottez Amazon et tentez de découvrir autour de vous des artistes locaux, indépendants. Partagez-les. Diffusez-les. Écrivez des critiques, filmez des parodies. Vous connaissez JCFrog et ses vidéos ? Et bien c’est exactement ça la culture humaine. C’est magnifique. C’est génial.

Ne dites plus « Je veux juste me vider la tête avec une série débile ». On ne se vide pas la tête. On la remplit. Avec de la merde industrielle ou du bio local artisanal, au choix. Faites des références. L’autre jour, j’ai vu sur Mastodon quelqu’un parler de son trajet dans le métro à Paris : « J’ai l’impression d’être dans Printeurs ! ». C’est le plus beau compliment qu’on puisse à un auteur. Merci à cette personne !

Dans Printeurs, tout est publicité. Ce n’est pas un hasard. Vous avez vu comme tout ressemble à une publicité désormais ? Comme le moindre film, le moindre clip vidéo en adopte les codes ? Comme chaque vidéo YouTube n’a plus qu’un objectif : vous faire vous abonner. Fabriquer des attache-trombones.

La culture bio et libre n’est pas une culture de seconde zone. Elle n’est juste pas standard. Et c’est tout son intérêt.

Pour exister, la culture libre a besoin de plateformes libres. Les plateformes propriétaires ont été conçues par le marketing pour le marketing. Pour vendre des cigarettes et de l’alcool à des gamins de 10 ans (c’est la définition du marketing. C’est juste leur métier de prétendre qu’ils font autre chose. Comme disait Bill Hicks, si vous travaillez dans le marketing, « please kill yourself »). Une fois qu’on fume, le marketing cherche à nous prétendre que c’est notre liberté et nous faire oublier que nous polluons afin que nous perdions encore plus de libertés et que nous polluions encore plus. Comme l’alcoolique boit pour oublier qu’il est alcoolique, nous consommons pour oublier que nous consommons. Le simple fait d’être sur une plateforme marketing nous force donc à faire du marketing. Du personal branding. De l’engagment. Des KPI. Promouvoir la culture libre sur Facebook, c’est comme aller manifester pour le climat en SUV. Oui, mais j’ai un vélo électrique dans le coffre, je suis écolo ! Oui, mais Facebook, Insta, c’est là que tout le monde est ! Non, c’est là que sont certains. Mais c’est sûr que sur Facebook, on ne trouve que des gens qui sont… sur Facebook. Il y’a des milliards de gens qui n’y sont pas, pour des raisons très diverses. La manière la plus simple et la plus convaincante de lutter contre ces plateformes est de tout simplement ne pas y être.

Les plateformes libres existent. Comme un simple blog. Mais elles ont besoin de choses à raconter, d’histoires. Le mot « libre » à lui tout seul raconte une histoire. Une histoire qui peut faire peur, être inconfortable. Alors on a essayé de dépolitiser le libre, de l’appeler « open source », de le dépouiller de son histoire. Le résultat, il est dans votre poche. Un téléphone Android tourne sur un Linux open-source. Pourtant, c’est le pire instrument de privation de liberté. Il vous espionne, vous inonde de publicités, vous prive de tout contrôle. RMS avait raison : en renommant le libre « open source », nous avons fait une croix sur la liberté.

La leçon est que la technologie ne peut pas être neutre. Elle est politique par excellence. Se priver de raconter des histoires pour ne pas être politique, c’est laisser la place aux autres histoires, à la publicité. C’est prétendre, comme le disaient Tatcher et Reagan, qu’il n’y a pas d’alternative. Je le disais, mais je gardais moi-même mon compte Facebook. Cela me semblait indispensable. J’ai eu du mal à le supprimer, à me priver de ce que je croyais être un outil incontournable. À la seconde où le compte a été supprimé, le voile s’est levé. Il m’est apparu évident que c’était le contraire. Que pour exister en tant que créateur, il était indispensable de supprimer mon compte.

J’avais beau dire que je ne l’utilisais pas, le simple fait de savoir qu’il y’avait plusieurs milliers de followers liés à mon nom me donnait une illusion de succès. Mes posts avaient beau ne pas avoir d’impact (ou très rarement), je les écrivais pour Facebook ou pour Twitter. Je me suis un jour surpris sous la douche à réfléchir en tweets. Je me suis séché et j’ai effacé mon compte Twitter, effrayé. Je ne faisais que produire des attache-trombones en vous encourageant à faire de même. Ma simple présence sur un réseau permettait à d’autres d’y justifier la leur. Leur présence justifiant la mienne… J’étais plongé dans les écrits de Jaron Lanier et Cal Newport lorsque j’ai réalisé qu’aucun des deux n’avait la moindre présence sur un réseau social propriétaire. Je les lis, j’admire leur pensée. Ils existent. Ils ne sont pas sur les réseaux sociaux. Ce fut une grande inspiration pour moi…

Il faut casser le « pas le choix » ou « TINA (There’Is No Alternative) ». Il y’a 8 milliards d’alternatives. Nous les créons tous les jours, ensemble. Notre rôle n’est pas d’aller convaincre le monde entier de passer à autre chose, mais de créer des multitudes de cocons de culture humaine, d’être prêts à accueillir ceux qui sont dégoutés de leur macdo quotidien, ceux qui, à leur rythme, se lassent d’être exploités et soumis à des algorithmes publicitaires. Il suffit de voir ce qui se passe entre Twitter et Mastodon.

Ces plateformes libres, cette culture libre, il n’y a que nous qui pouvons les préparer, les développer, les faire exister, les partager.

À ceux qui disent que la priorité est la lutter contre le réchauffement climatique, je réponds que la priorité est à la création de plateformes, techniques et intellectuelles, permettant la lutte contre le réchauffement climatique. On ne peut pas être écolo dans un monde financé par la publicité. Il faut penser des alternatives, les inventer. Créer des histoires pour sauver la planète. Une nouvelle forme de culture. Une permaculture !

Mon outil à moi, c’est ma machine à écrire. Elle me libère. Je l’appelle ma « machine à penser ». À vous d’inventer vos propres outils. (oui, même Emacs…) Des outils indispensables pour inventer et partager votre nouvelle culture, ce mélange de code et d’histoires à raconter qui peut sauver l’humanité avant que nous soyons tous transformés en attache-trombones !

Merci !

Et don’t forget to subscribe to my channel.

D’ailleurs, je profite de cette conférence contre la publicité pour faire de la publicité pour mon nouveau livre. Est-ce de la culture libre ? Elle est déjà libre sur libgen.io. Mais pas que ! Car mon éditeur a annoncé que toute la collection Ludomire (dans laquelle sont publiés mes livres) passera en 2023 sous licence CC By-SA.

Photo : David Revoy, Ploum et Pouhiou dédicaçant lors du Capitole du Libre à Toulouse le 19 novembre 2022.

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain. Abonnez-vous à mes écrits en français par mail ou par rss. Pour mes écrits en anglais, abonnez-vous à la newsletter anglophone ou au flux RSS complet. Votre adresse n’est jamais partagée et effacée au désabonnement.

Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir.

Comment j’ai été mis en vente sur le Web… à mon insu !

mercredi 7 décembre 2022 à 01:00

Comment j’ai été mis en vente sur le Web… à mon insu !

Dans ce billet, je vous explique comment j’ai découvert qu’une société de marketing propose mes services, mettant en avant une version fantaisiste de ma biographie, sans que j’en aie été informé.

Mon recueil de nouvelles « Stagiaire au spatioport Oméga 3000 » s’ouvre sur la génération d’un auteur artificiel adapté à vos goûts selon vos données personnelles collectées.

Lorsque j’ai écrit cette introduction, j’étais persuadé que j’allais me faire rattraper un jour ou l’autre par la réalité. Je n’imaginais pas que ce serait avant même que le livre soit disponible dans les librairies !

Et pour cause…

La découverte d’un conférencier homonyme

Après avoir publié un billet sur l’invasion des contenus générés par des AI, j’allais faire directement l’expérience de devenir un conférencier généré automatiquement !

Testant mon nouveau site, quelle ne fut pas ma surprise de trouver sur la première page Google de la recherche « Lionel Dricot » un profil à mon nom sur un site dont je n’avais jamais entendu parler.

Capture d’écran d’une recherche Google pour « Lionel Dricot »

Capture d’écran d’une recherche Google pour « Lionel Dricot »

Un profil décrivant ma biographie avec moult détails, reprenant des photos et vidéos de diverses conférences. J’étais intrigué. Sur Mastodon, un lecteur me signala que le site était chez lui le premier résultat Bing pour une recherche sur mon patronyme .

Capture d’écran d’une recherche Bing pour « Lionel Dricot »

Capture d’écran d’une recherche Bing pour « Lionel Dricot »

Un site étrange, à l’apparence très professionnelle et qui se présente comme une entreprise de « Celebrity Marketing ». Le simple fait que je sois sur un site de Celebrity Marketing a fait pouffer mon épouse. Elle a d’ailleurs remarqué que l’entreprise tire son nom de Simone Veil et Nelson Mandela. Utiliser Simone Veil et Nelson Mandela pour faire du « Celebrity Marketing », ça pose le niveau ! Ah ouais quand même…

Mon profil sur le site incriminé

Mon profil sur le site incriminé

Petite précision : je ne ferai pas de lien vers ce site, car c’est explicitement interdit dans leurs conditions d’utilisation.

Conditions d’utilisation du site S&N interdisant de faire un lien vers le site

Conditions d’utilisation du site S&N interdisant de faire un lien vers le site

Pratiquement, que fait cette société ? C’est très simple : elle met en contact des entreprises à la recherche de conférenciers et des conférenciers. C’est un service assez courant, j’ai même été en contact il y a quelques années avec une agence de ce genre. Souvent, ces agences signent un contrat d’exclusivité : le conférencier est obligé de passer par l’agence pour toutes les conférences qu’il donne. En échange, l’agence lui trouve des conférences, fait sa promotion, le place voir lui trouve un remplaçant en cas de forfait (j’ai moi-même effectué ce genre de remplacements).

Sauf que dans le cas présent, je n’ai signé aucun contrat, je n’ai pas donné mon accord ni même été vaguement informé ! Le site donne l’impression que, pour me contacter, il faut absolument passer par eux. Nous ne sommes plus dans la bêtise, mais dans la malhonnêteté caractérisée.

Formulaire pour me contacter… via le site S&N !

Formulaire pour me contacter… via le site S&N !

Où je découvre des facettes ignorées de ma propre vie

La lecture de ma biographie est particulièrement intéressante, car, à première vue, elle est tout à fait crédible. Une personne peu informée n’y trouverait, à première vue, pas grand-chose à redire à part quelques fautes d’orthographe (mon roman s’appelle « Printeurs », à la française, pas « Printer » et j’ai du mal à imaginer qu’il puisse être perçu comme un message d’espoir ! La scène du nouveau-né dans le vide-ordure n’était assez explicite ?)

Mais une lecture attentive relève des aberrations. Ces aberrations ont toutes une explication pour peu qu’on se mette à creuser. Ainsi j’aurais écrit une nouvelle intitulée « Voulez-vous installer Linux mademoiselle ? ». Comme l’a découvert un lecteur, cette phrase est extraite d’une de mes nouvelles intitulées « Les non-humains », publiée sur Linuxfr et Framasoft.

J’ai également appris également que je suis cofondateur d’Ubuntu. Excusez du peu ! C’est bien entendu faux. Je suis co-auteur du premier livre publié sur Ubuntu, ce qui est très différent. Certaines phrases semblent également sorties de leur contexte (pourquoi insister sur l’obésité et la malnutrition ?) Enfin, le tout se termine par le sublime :

Lors de ses conférences, Ploum nous prédit un monde plus sain et doux.

Le ton général et les références font fortement penser à un texte généré artificiellement. Du type : « Donne-moi une biographie de Lionel Dricot », le tout en anglais suivi d’une traduction automatique. Il est possible que ce soit ce qu’on appelle un « mechanical turk », un travailleur sous-payé à qui on demande un travail que pourrait faire une IA (très fréquent dans les chats de support). Mais cela aurait dû au moins lui prendre une heure et j’ai du mal à imaginer qu’on paye une heure de travail pour pondre ma biographie.

Que le texte soit ou non généré par une IA, cela ne change rien. Il pourrait très bien l’être et est représentatif de ce que produisent et produiront toujours les IAs : quelque chose qui a l’air correct, mais est constellé de fautes difficilement détectables pour un non-spécialiste (j’ai la chance d’être le plus grand spécialiste vivant de ma propre biographie).

Comment réagir ?

À ce stade, je pourrais tout simplement envoyer un mail et exiger le retrait de la page, l’histoire en resterait là. J’ai alerté une connaissance qui est également sur ce site.

Mais ce serait trop facile. L’existence de ce profil pose plusieurs problèmes.

Premièrement en se mettant en intermédiaire entre moi et des clients potentiels sans mon accord et en donnant l’impression que je suis affilié à cette entreprise. Cela pourrait sérieusement nuire à mon image ou à mon business (si j’avais l’une ou l’autre).

Mais l’existence de ce genre de profil peut tordre la réalité de manière encore plus insidieuse. Admettons qu’un wikipédien, affilié ou nom à cette entreprise, se serve de ces infos pour créer une fiche Wikipédia à mon nom. Cela semble parfaitement légitime vu que cette page semble avoir été faite avec mon accord. Cette info pourrait être reprise ailleurs. Soudainement, je deviendrais l’auteur d’une nouvelle que je n’ai jamais écrite. De nombreux libristes informés s’affronteront pour savoir si je suis oui ou non cofondateur d’Ubuntu. Déjà que je suis devenu un écrivain français sur Babelio !

En envoyant un simple mail pour demander le retrait de cette page, je légitime cette pratique business et me prépare à devoir surveiller en permanence le web pour faire retirer les profils générés sans mon accord.

Attaquer en justice une société dans un pays qui n’est pas le mien (car Babelio se plante, pour info) ? Ô joies administratives en perspectives ! (si vous êtes juriste spécialisé et intéressé, contactez-moi)

Ou alors il me reste la solution de lutter avec mes armes à moi. De faire le ploum et de vous raconter cette histoire de la manière la plus transparente possible. Afin de vous mettre en garde sur le fait que tout ce que vous lisez sur le web est désormais un gloubi-glouba qui a l’air sérieux, qui a l’air correct, mais qui ne l’est pas. Toutes les plateformes sont impactées. Tous les résultats des moteurs de recherche.

En rendant cette histoire publique, je sais que la société va réagir avec « ouin-ouin je suis une entrepreneuse-je-ne-pensais-pas-à-mal-je-le-ferai-plus » ou alors « c’est-le-stagiaire-qui-a-fait-une-erreur-on-le-surveillera-mieux » voir « on-a-fait-ce-profil-avec-nos-petites-mains-parcec-qu’on-admire-votre-travail-on-penserait-que-vous-seriez-flatté ». Bref d’odieux mensonges hypocrites. C’est la base du métier du marketing : mentir pour pourrir la vie des autres (et détruire la planète).

Et si la malhonnêteté ne vous est pas encore flagrante, apprenez que la société se targue de posséder la propriété intellectuelle des textes et photos sur son site. Je pense que le photographe du TEDx Louvain-la-Neuve serait ravi de l’apprendre… La plupart de ces images de moi ne sont même pas sous licence libre !

Conditions d’utilisation du site S&N stipulant la propriété intellectuelle des contenus

Conditions d’utilisation du site S&N stipulant la propriété intellectuelle des contenus

Le futur du web…

Si cela n’était pas encore clair, je suis désormais la preuve vivante que tout ce que pond le marketing est du mensonge. Ce qui est juste ne l’est que par hasard. Et tout ce qui nous tombe sous les yeux est désormais du marketing. Pour sortir de ce merdier, il va falloir trouver des solutions (Bill Hicks en proposait une très convaincante…).

Nous allons devoir reconstruire des cercles de confiance. Oublier nos formations à reconnaître les « fake news » et considérer toute information comme étant fausse par défaut. Identifier les personnes en qui nous avons confiance et vérifier qu’un texte signé avec leur nom est bien de leur plume. Ce n’est pas parce qu’il y’a un cadenas vert ou une marque bleue à côté du pseudo que l’on peut faire confiance. C’est même peut-être le contraire…

Bref, bienvenue dans un web de merde !

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain. Abonnez-vous à mes écrits en français par mail ou par rss. Pour mes écrits en anglais, abonnez-vous à la newsletter anglophone ou au flux RSS complet. Votre adresse n’est jamais partagée et effacée au désabonnement.

Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir.

Drowning in AI Generated Garbage : the silent war we are fighting

lundi 5 décembre 2022 à 01:00

Drowning in AI Generated Garbage : the silent war we are fighting

All over the web, we are witnessing very spectacular results from statistic algorithms that have been in the work for the last forty years. We gave those algorithms an incredibly catchy name: "Artificial Intelligence". We now have very popular and direct applications for them: give the algorithm a simple text prompt (don’t get me started on the importance of text) and it generates a beautiful original picture or a very serious-sounding text. It could also generate sounds or videos (we call them "deep fakes"). After all, it generates only a stream of bits, a bunch of 1 and 0 open to interpretation.

All of this has been made possible because billions of humans were uploading and sharing texts and pictures on the commons we call "the Internet" (and more specifically the web, a common more endangered every day because of the greediness of monopolies). People upload their creation. Or creations from others. After all, does "owning" a text or a picture has any meaning anywhere except in the twisted minds of corrupted lawyers?

What we are witnessing is thus not "artificial creativity" but a simple "statistical mean of everything uploaded by humans on the internet which fits certain criteria". It looks nice. It looks fantastic.

While they are exciting because they are new, those creations are basically random statistical noise tailored to be liked. Facebook created algorithms to show us the content that will engage us the most. Algorithms are able to create out of nowhere this very engaging content. That’s exactly why you are finding the results fascinating. Those are pictures and text that have the maximal probability of fascinating us. They are designed that way.

But one thing is happening really fast.

Those "artificial" creations are also uploaded on the Internet. Those artificial artefacts are now part of the statistical data.

Do you see where it leads?

The algorithms are already feeding themselves on their own data. And, as any graduate student will tell you, training on your own results is usually a bad idea. You end sooner or later with pure overfitted inbred garbage. Eating your own shit is never healthy in the long run.

Twitter and Facebook are good examples of such algorithmic trash. The problem is that they managed to become too powerful and influential before we realised it was trash.

From now on, we have to treat anything we see on the Internet as potential AI garbage. The picture gallery from an artist? The very cool sounding answer on Stackoverflow? This article in the newspaper? This short viral video? This book on Amazon? They are all potential AI garbage.

Fascinating garbage but garbage nonetheless.

The robot invasion started 15 years ago, mostly unnoticed. We were expecting killing robots, we didn’t realise we were drowned in AI generated garbage. We will never fight laser wearing Terminators. Instead, we have to outsmart algorithms which are making us dumb enough to fight one against the other.

Time to enter into resistance, to fight back by being and acting like decent human beings. Disconnect. Go outside. Start human discussions. Refuse to take for granted "what was posted on the Internet". Meet. Touch. Smell. Build local businesses. Flee from monopolies. Refuse to quickly share and like things on your little brainwired screen. Stop calling a follower number "you community" and join small online human communities. Think.

How to recognise true human communities free of algorithmics interferences?

I don’t know. I don’t even know if there are any left. That’s frightening. But as long as we can pull the plug, we can resist. Disconnect!

As a writer and an engineer, I like to explore how technology impacts society. You can subscibe by email or by rss. I value privacy and never share your adress. If you read French, you can support me by buying/sharing/reading my books. I also develop Free Software.

La fin d’un blog et la dernière version de ploum.net

dimanche 4 décembre 2022 à 01:00

La fin d’un blog et la dernière version de ploum.net

Avertissement : Ce billet est une rétrospective technique des 18 années de ce blog. Il contient des termes informatiques et traite de la manière dont j’ai développé du code pour créer les pages que vous lisez. N’hésitez pas à passer les paragraphes qui contiennent trop de jargon.

La naissance d’un blog

Je suis un précurseur visionnaire.

En 2004, sur les conseils de mon ami Bertrand qui avait constaté que j’écrivais de longues tartines éparpillées aux quatre coins du web, je finis par ouvrir un blog. J’étais au départ réticent, affirmant qu’un blog n’était qu’un site web comme un autre, que la mode passerait vite. Tout comme le podcast n’était jamais qu’un fichier MP3, que la mode passerait tout autant. J’avais tenu un discours similaire en 97, affirmant que le web n’était que du texte affiché à l’écran, que la mode passerait. Juste avant de créer mon premier site. Un véritable précurseur visionnaire vous dis-je.

Inspiré par le Standblog de Tristan Nitot (que je lisais et lis toujours), j’installai le logiciel Dotclear sur le serveur de deux amis et me mis à bloguer. Pour ne plus jamais arrêter. Que Bertrand, Tristan, Anthony, Fabien et Valérie (qui nomma mon blog "Where is Ploum?") soient ici mille fois remerciés.

En 2010, n’arrivant pas à trouver un thème Dotclear 2 qui me satisfasse, je décidai de migrer temporairement vers Wordpress (et non pas vers J2EE). Plateforme sur laquelle je suis resté depuis.

La vie avec Wordpress n’est pas de tout repos : mises à jour fréquentes, incompatibilités avec certains plug-ins, évolutions de plug-ins et de thèmes, certains devenant payants, messages d’alertes pour des versions PHP ou MySQL dépassées. Sans compter des pléthores de versions d’un fichier htaccess à ne surtout pas toucher sous peine de tout casser, des sauvegardes de bases de données à faire et oubliées dans un coin.

Cherchant un minimalisme numérique, Wordpress ne me convenait plus du tout. Il ne correspondait plus non à ma philosophie. Malgré quelques tentatives, je n’avais pas réussi à retirer tout le JavaScript ni certaines fontes hébergées par Google sans casser mon thème. En 2018, je me suis activement mis à chercher une alternative.

À cette époque, j’ai rencontré Matt, le fondateur de Write.as. J’ai contribué au projet afin de le rendre open source (ce que Matt fera sous le nom WriteFreely). Nous avons tenté de l’adapter à mes besoins. Besoins que je décrivais dans un long document évolutif. En parallèle, je testais tous les générateurs de sites statiques, les trouvant complexes, n’arrivant pas à faire exactement ce que je voulais.

Je prétendais chercher du minimalisme et je reproduisais, sans le vouloir, le syndrome du project manager J2EE dont je m’étais moqué.

Découvrant le protocole Gemini, je me suis rendu compte que c’était bel et bien ce genre de minimalisme auquel j’aspirais. J’en étais convaincu : mon Ploum.net nouvelle génération devrait également être sur Gemini.

Mais loin de m’aider, cette certitude ne faisait qu’ajouter une fonctionnalité à la liste déjà longue de ce que je voulais pour mon blog. Je me perdais dans une quête d’un workflow idéal.

Après quelques mois, abandonnant l’idée de mettre mon blog sur Gemini, je me décidai à ouvrir un Gemlog sur rawtext.club. Pour tester. Que cmccabe soit ici publiquement remercié.

J’écrivais tous mes fichiers à la main dans Vim, je les envoyai ensuite sur le serveur distant depuis mon terminal. Le tout sans le moindre automatisme. J’y prenais énormément de plaisir. Alors que je pensais juste tester la technologie, je me suis naturellement retrouvé à écrire sur mon Gemlog, à réfléchir, à partager. Je retrouvais la naïveté initiale de mon blog, la spontanéité.

Au fil des mois, j’introduisis néanmoins certaines automatisations. Sauvegardes et envoi vers le serveur grâce à git. Un petit script pour générer la page d’index. Les billets sur mon gemlog connaissaient un certain succès et certains les partageaient sur le web grâce à un proxy gemini−>web. Un comble !

Et c’est à ce moment-là que je compris que mon blog ne serait jamais sur Gemini. Ce serait le contraire ! J’allais mettre mon gemlog sur le web. Et importer près de 800 billets Wordpress dans mon Gemlog. Plus de 800.000 mots écrits en 18 années de blog. L’équivalent de 15 livres de la taille de Printeurs.

Lire avant tout

Depuis mon premier Dotclear, je jouais avec les thèmes, les plug-ins, les artifices, les commentaires. Je ne m’étais jamais vraiment posé la question de ce que j’attendais de mon blog.

Mon blog est, depuis ces années, un fil de vie, un élément essentiel de mon identité. Mon blog me reflète, je suis qui je suis grâce à mon blog. Il est une partie de mon intimité, de mon essence.

Qu’ai-je envie de faire de ma vie ? Écrire ! Mon blog doit donc me faciliter le fait d’écrire et son pendant indissociable : être lu !

Être lu ne signifie pas être découvert, avoir des fans, des likes ou des abonnés. Être lu signifie que chaque personne arrivant sur un article sera considérée comme une lectrice et respectée comme telle. Pas d’engagement, de métriques, d’invitation à découvrir d’autres articles. Une lectrice a le droit de lire dans les meilleures conditions et de passer ensuite à autre chose.

Au travail !

Pour la première fois, le chemin me semblait enfin clair. Je n’allais pas tenter de trouver le logiciel parfait pour faire ce que je voulais. Je n’allais pas planifier, tester, connecter des solutions différentes en écumant le web. J’allais tout faire à la main, tout seul comme un grand. Si j’arrivais à convertir mon blog Wordpress en fichiers gmi (le format Gemini), il ne me restait qu’à écrire une petite routine pour convertir le tout en HTML.

Un adage chez les programmeurs dit que tout programme complexe nait parce que le programmeur pensait sincèrement que c’était facile. Mon script ne fait pas exception à la règle. Il m’aura fallu plusieurs mois pour peaufiner et arriver à un résultat acceptable. Devant me passer du service Mailpoet intégré à Wordpress (service dont la licence m’était fournie par un sympathique lecteur, qu’il soit ici remercié), je du me résoudre à écrire ma propre gestion d’email pour pouvoir l’intégrer à un service open source. Ce fut la partie la plus difficile (probablement parce qu’en toute honnêteté, cela ne m’intéresse pas du tout). Si vous voulez recevoir les billets par mail, il existe désormais deux mailing-listes (si vous avez reçu ce billet par mail, vous êtes inscrit à la première FR mais pas à celle en anglais EN, je vous laisse vous inscrire si vous le souhaitez) :

J’avoue être assez fier du résultat. Chaque billet que vous lisez est désormais un simple fichier texte que j’écris et corrige avant de publier en l’insérant dans le répertoire FR ou EN selon la langue. À partir de là, le tout est envoyé par git sur le service sourcehut et un script publish.py transforme mon texte en une page gmi, une page hmtl ou un email. À l’exception des éventuelles images, chaque page est complètement indépendante et ne fait appel à aucune ressource externe. Même les 40 lignes de CSS (pas une de plus) sont incluses. Cela permet des pages légères, rapides à charger même sur une mauvaise connexion, compatibles avec absolument toutes les plateformes même les plus anciennes, des pages que vous pouvez sauver, imprimer, envoyer sans craindre de perdre des informations. Bref, des véritables pages web, un concept devenu absurdement rare.

La signification du minimalisme

En codant ce site, il m’est apparu que le minimalisme impliquait de faire des sacrifices. D’abandonner certains besoins. La raison pour laquelle je n’avais jamais été satisfait jusqu’à présent était mon incapacité à abandonner ce que je pensais essentiel.

Les tags aident-ils la lecture ? Non, ils ont donc disparu. Les séries ? J’étais convaincu d’en avoir besoin. J’ai commencé à les implémenter, mais je n’ai pas été convaincu et j’ai mis ce travail de côté. La recherche intégrée ? La fonctionnalité est certes utile, mais son bénéfice ne couvre pas le coût de sa complexité. J’ai dû me faire violence pour l’abandonner, mais, une fois convaincu, quel soulagement !

Pour remplacer la recherche, je dispose de deux armes : la première est que la liste de tous mes billets est désormais disponible sur une simple page. Si vous connaissez un mot du titre du billet que vous recherchez, vous le trouverez avec un simple Ctrl+f dans votre navigateur.

Pour la recherche plus profonde sur le contenu, mes billets étant désormais de simples fichiers texte sur mon disque dur, la commande "grep" me convient parfaitement. Et elle fonctionne même lorsque je suis déconnecté.

Car l’aspect déconnecté est primordial. Ma déconnexion dans la première moitié de 2022 m’a fait prendre conscience à quel point mon blog Wordpress n’était plus en phase avec moi. Je ne pouvais plus le consulter simplement, je ne pouvais plus y poster sans passer du temps en ligne.

Mes lecteurs les plus techniques peuvent également me consulter offline avec un simple "git clone/git pull".

La dernière version ?

Le titre de ce billet est volontairement racoleur (et si vous êtes arrivé jusqu’ici, c’est que ça fonctionne), mais, oui, ce billet annonce bel et bien la fin de mon blog sur le web tel qu’il a été durant 18 ans.

Désormais, vous ne lirez plus que mon Gemlog. Gemlog dans lequel j’ai importé le contenu de mon ancien blog. Cette approche Gemini-first implique des contraintes assez fortes, notamment celle de n’avoir qu’un lien par ligne (ce qui rend certains de mes anciens billets truffés de liens assez particuliers à lire, je le reconnais).

J’ai cependant pris grand soin de faire en sorte que les anciennes URLs fonctionnent toujours. "Cool URLs never change". Si ce n’est pas le cas, signalez-le-moi !

Une autre particularité de ce projet dont je suis fier est que tout mon blog ne dépend désormais plus que de deux briques logicielles : git et python, des composants fondamentaux sur lesquels je peux espérer me baser jusqu’à la fin de ma vie. Le tout étant rédigé dans Vim et corrigé par le couple Antidote/Grammalecte (le point le plus fragile de mon système).

Ce qui me fait dire que ce site est peut-être bel et bien la dernière version de ploum.net. Après Dotclear et Wordpress, je ne dépends désormais plus de personne. Plus de mises à jour imposées, plus de changements soudains d’interface, plus d’adaptation à des nouvelles versions (à part un éventuel python 4 qui ne devrait pas poser de problème vu que je n’utilise à dessein aucune bibliothèque externe). J’évolue à mon rythme et en faisant exactement ce qui me plait, sans dépendre d’une communauté ou d’un fournisseur.

Aurais-je été plus efficace avec un générateur de site web existant ? Peut-être. Je n’en suis pas convaincu. J’aurais dû l’apprendre et me plier à ses contraintes arbitraires. Pour ensuite tenter de l’adapter à mes besoins. Même si cela avait été plus rapide sur le court terme, il aurait été nécessaire de me plier aux nouvelles versions, d’espérer qu’il soit maintenu, de m’intégrer dans la communauté et j’aurais forcément fini par migrer vers une autre solution un moment ou un autre.

La philosophie du code

Pour la première fois, mon blog exprime donc avec son code des valeurs que je tente de mettre par écrit : la simplicité volontaire est difficile, mais libère autant l’auteur que les lecteurs. Elle implique une vision tournée vers un long terme qui se compte en décennies. L’indépendance se conquiert en apprenant à maitriser des outils de base plutôt qu’en tentant d’adopter la dernière mode.

En apportant les dernières touches au code qui génère ce qui n’est pour vous qu’une page parmi tant d’autres, j’ai eu l’impression d’avoir réduit la distance qui nous séparait. Les intermédiaires entre mon clavier et votre intelligence ont été réduits au strict nécessaire. Plutôt que des connexions à des interfaces impliquant des copier-coller, des chargements de librairies JavaScript, j’écris désormais dans un simple fichier texte.

Fichier texte qui s’affiche ensuite dans vos mails, votre lecteur RSS ou votre nagivateur.

Cela parait trivial, simple. C’est pourtant l’essence du web. Une essence qui est malheureusement beaucoup trop rare.

Merci de me lire, de me partager (pour certain·e·s depuis des années), de partager mon intimité. Merci pour vos réactions, vos suggestions et votre soutien. J’espère que cette version vous plaira.

Bonnes lectures et bons partages !

PS: Si vous relisez régulièrement certains anciens articles (plusieurs personnes m’ont confié le faire), n’hésitez pas à vérifier que tout est OK et me signaler tout problème éventuel. Comme tout logiciel, le travail n’est jamais terminé. La version Wordpress restera disponible sur le domaine ploum.eu pour quelques mois.

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain. Abonnez-vous par mail ou par rss. Maximum 2 billets par semaine, votre adresse n’est jamais partagée et effacée au désabonnement. Pour me soutenir, achetez mes livres. Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir.