PROJET AUTOBLOG


ploum.net

Site original : ploum.net

⇐ retour index

Considérations sur le talent, le génie, le travail et un jeu vidéo que je vous recommande

vendredi 2 juin 2023 à 02:00

Considérations sur le talent, le génie, le travail et un jeu vidéo que je vous recommande

À Épinal, j’ai eu la grande chance d’échanger avec Denis Bajram, auteur de la BD culte Universal War 1. La conversation s’est très vite portée sur la notion de génie, un sujet sur lequel je méditais justement depuis longtemps.

Dans ma vision personnelle, le talent n’est finalement qu’une facilité, un état de départ. Prenez deux individus sans la moindre expérience et demandez-leur de chanter, dessiner, courir, jongler avec un ballon ou n’importe quoi. Il y’a de grandes chances que l’un soit plus doué que l’autre. Bajram me confiait qu’il était le meilleur en dessin de son lycée. Lorsqu’on a du talent, tout semble facile. Bernard Werber a d’ailleurs dit « Écrire, c’est facile, tout le monde peut le faire » avant qu’Henri Lœvenbruck ne le reprenne « C’est facile pour toi. Pour l’infime minorité de génies. Pour les autres, c’est du travail, beaucoup de travail ». Hemingway ne disait-il pas que « Écrire c’est s’asseoir devant sa machine et saigner » ?

Cependant, le talent n’est que la base et vient ensuite le travail, l’entrainement. Le jeune, aussi talentueux soit-il, sort de son microcosme et se voit soudain confronté aux meilleurs de son pays voire, grâce à Internet, de la planète. Il se rend compte qu’il n’est pas aussi talentueux que cela. Il doit travailler, s’améliorer. Souvent, il abandonne.

Au plus on travaille, au plus on acquiert de l’expérience et de la capacité à comprendre ce que l’on fait. À percevoir les défauts de ses propres réalisations. On comprend pourquoi certaines œuvres sont bien meilleures que ce que l’on fait. On en arrive même à un point où on comprend intellectuellement ce qui est nécessaire pour arriver à un résultat extraordinaire. Sans toujours être capable de le mettre réellement en pratique.

À titre personnel, j’ai énormément travaillé la structure du récit, la narration. L’histoire d’Universal War 1 est extraordinaire, prenante et complexe. Je ne sais pas si je pourrai un jour égaler ce niveau. Mais je comprends intellectuellement le processus mis en œuvre par Bajram pour y arriver. Je vois comment il s’y prend, comment il utilise son talent et sa capacité de travail. Je pourrais dire la même chose de celui qui est, à mes yeux, le meilleur scénariste de bande dessinée de sa génération : Alain Ayrolles, auteur de l’incroyable « De Capes et de Crocs ». Si la série est l’une de meilleures qui soit, je crois que je comprends les processus créatifs à l’œuvre. Et si je « comprends » UW1 et De capes et de Crocs, j’en reste néamoins muet d’admiration et les relis régulièrement.

Mais, parfois, arrive un génie. Contrairement au talent, le génie est incompréhensible. Le génie sort de toutes les normes, de toutes les cases. Même les meilleurs experts doivent avouer « Je ne sais pas comment il a fait ». En bande dessinée, c’est par exemple un Marc-Antoine Mathieu. Sa série « Julius Corentin Acquefaques, prisonnier des rêves » relève du pur génie. J’ai beau les lire te relire, je ne vois pas comment on peut produire ce genre de livres complètement hors-normes. Je rends d’ailleurs hommage à cette série dans ma nouvelle « Le Festival », cachée dans mon recueil « Stagiaire au spatioport Omega 3000 ».

Face à un génie, même les plus grands talents doutent. Dans l’extraordinaire film « Amadeus », de Milos Forman, le musicien Salieri, pourtant un des meilleurs de son époque, se retrouve confronté à Mozart, l’adore, le jalouse, l’admire et le déteste à la fois. C’est en y faisant référence que Bajram m’a parlé de ce qu’il appelle le syndrome « Salieri », cette confrontation au génie qui fait douter même les plus talentueux.

Ce doute de l’artiste, ce syndrome est intéressant, car, sur son blog, Bajram confie être déçu par les séances de signatures où les fans font la file sans même lui parler. Fans qui, pour certains, vont même jusqu’à se plaindre sur Facebook.

Les artistes sont des éponges émotionnelles et pour une critique négative sur Facebook ou Twitter, combien de fans intimidés qui n’ont même pas osé adresser la parole à leur idole ? D’ailleurs, si j’ai moi-même franchi ce pas, c’est parce que je m’étais préparé mentalement depuis une semaine : « si tu vois Bajram et/ou Mangin, tu vas vers eux et tu leur offres un livre ». En lisant le post de Bajram, j’ai envie de lui dire : « Ce ne sont pas les séances de signatures qu’il faut arrêter, c’est Facebook ! »

Régulièrement, des artistes, parfois très connus, parlent de mettre leur carrière en pause à cause du harcèlement continu qu’ils subissent en ligne. Mais ce n’est pas l’art ni la notoriété le problème, c’est bel et bien les plateformes qui exploitent les failles de la psyché humaine et nous font ressortir le négatif. Même sur Mastodon, je le vis assez régulièrement : un simple commentaire négatif peut me faire douter, voire m’énerver durant plusieurs heures (solution: allez relire les critiques positives sur Babelio ou sur les blogs, ça fait du bien, merci à ceux qui les postent !)

De plus en plus de professionnels se coupent des réseaux sociaux. C’est par exemple le cas du cycliste Remco Evenepoel que le staff isole totalement des réseaux sociaux pour être sûr qu’il soit concentré et moralement au top lors des courses.

Le talent et le jeu de Gee

Pourquoi vous parler de talent, de travail et de génie ? Parce que c’est justement une réflexion qui murit en moi depuis que j’ai joué à Superflu Riteurnz, le jeu de Gee.

Je suis Gee depuis qu’il a commencé à poster sur Framasoft. Et un truc qui m’a marqué depuis le début, c’est qu’il n’a pas un grand talent pour le dessin. Yep, je sais, ce n’est pas sympa. Mais faisant moi-même des crobards de temps à autre, je pense avoir au moins autant de talent que lui. Il me fait bien marrer Gee, il a un humour bien à lui, mais ce n’est pas un grand dessinateur.

Y’a juste une petite subtilité. C’est que lui il travaille. Il persévère. Il a créé un univers avec son dessin assez simpliste. Il a même auto-publié une BD de Superflu.

Et, soyons honnêtes, si la BD est sympathique, voire amusante, elle n’est pas transcendante.

Sauf que Gee ne s’est pas arrêté en chemin. Il a sorti le jeu. Qui est la suite de la BD, mais vous pouvez jouer sans avoir lu la BD.

Et là, l’incroyable travail de Gee m’a sauté aux yeux. L’univers Superflu s’est affiné. S’est enrichi du talent informatique de l’auteur. Les décors du jeu, les animations comme le vent dans les arbres où dans les cheveux m’ont bluffé. J’ai plongé avec Miniploumette (11 ans) et Miniploum (6ans). Ils ont adoré.

Je suis un énorme fan des point-n-click. Le premier jeu vidéo auquel je forme mes enfants est Monkey Island, mon jeu fétiche. De temps en temps, je réessaye un vieux jeu (je suis d’ailleurs bloqué depuis des mois dans Sherlock Holmes : Case of the Rose Tatoo, malgré toutes les soluces que j’ai pu lire en ligne, rien n’y fait). Superflu Riteurnz n’est pas seulement un hommage, c’est une véritable version moderne du principe. La jouabilité est excellente. Il y’a très peu de redondances ou de longueurs.

Le jeu innove également avec une mécanique très appréciable : la hotline pour obtenir des indices. Plutôt que d’aller chercher sur le web des soluces, le jeu vous les apporte sur un plateau. Est-ce de la triche ? Spontanément, mes enfants ne veulent pas utiliser la hotline sauf quand ça commence à les gonfler. Il n’y a pas de score, pas d’enjeu et pourtant ça fonctionne. Des enquêtes dans les bars crapuleux de Fochougny aux hauteurs vertigineuses du château d’eau en passant par les courses poursuites infernales. En tracteur.

Le seul reproche ? C’est trop court. Après l’avoir terminé, on veut une extension, une nouvelle aventure.

Mon conseil : si vous pouvez vous le permettre financièrement, achetez la BD et le jeu. Les deux sont complémentaires. Si la BD ne vous intéresse pas, pas de soucis, je l’ai lue après le jeu et le jeu fonctionne très bien sans.

Ce jeu démontre qu’avec un travail de fou au dessin (les décors du jeu sont vraiment superbes), à la programmation (et là, je m’y connais) voire à la musique, Gee produit une œuvre multifacette particulièrement intéressante, ludique, drôle, divertissante et intergénérationnelle. Politique et critique, aussi. Le final m’a ôté mes dernières hésitations. Le résultat est sans appel : le travail paie ! (du moins si vous achetez le jeu)

Peut-être qu’après toutes ces superproductions hollywoodiennes, les aventures de Superflu à Fochougny (dont la maire m’a fait éclater de rire) sont un retour bienvenu au confort de la proximité, du local. Peut-être qu’après toutes ces années à suivre le blog de Gee sans être fan de ses dessins, l’univers de Superflu, dont je trouvais le concept moyennement amusant, s’est enfin mis en place pour moi et sans doute pour beaucoup d’autres.

Allez à Fochougny, le voyage vaut le déplacement !

Et souvenez-vous que des débutants au plus grands artistes que vous admirez, tout le monde doute. Qu’un petit encouragement, un message sympa, un serrage de main, une poignée d’étoiles sur votre site de recommandation préféré sont le carburant qui produira le prochain livre, le prochain jeu, le prochain court-métrage ou la prochaine musique qui vous accompagnera dans un petit bout de vie. Ou qui vous inspirera.

Bonne découvertes, bonne créations !

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain. Abonnez-vous à mes écrits en français par mail ou par rss. Pour mes écrits en anglais, abonnez-vous à la newsletter anglophone ou au flux RSS complet. Votre adresse n’est jamais partagée et effacée au désabonnement.

Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir.

De la difficulté de classifier la littérature (et de l’occasion de se rencontrer aux Imaginales)

mercredi 24 mai 2023 à 02:00

De la difficulté de classifier la littérature (et de l’occasion de se rencontrer aux Imaginales)

La sérendipité de mon bibliotaphe m’a fait enchainer deux livres entre lesquels je n’ai pas pu m’empêcher de voir une grande similitude. « L’apothicaire » d’Henri Lœvenbruck et « Hoc Est Corpus » de Stéphane Paccaud.

Si l’un conte les aventures du très moderne Andreas Saint-Loup dans le Paris de Philippe le Bel, l’autre nous emmène dans la Jérusalem de Baudouin le Lépreux. Tous les deux sont des romans historiques extrêmement documentés, réalistes, immersifs et néanmoins mâtinés d’une subtile dose de fantastique. Fantastique qui ne l’est que pas le style et pourrait très bien se révéler une simple vue de l’esprit.

Dans les deux cas, l’écriture est parfaitement maitrisée, érudite tout en restant fluide et agréable. Lœvenbruck se plait à rajouter des tournures désuètes et du vocabulaire ancien, lançant des phrases et des répliques anachroniques pleines d’humour. Paccaud, de son côté, alterne rapidement les narrateurs, allant jusqu’à donner la parole aux murs chargés d’humidité ou au vent du désert.

Bref, j’ai adoré tant le style que l’histoire et je recommande chaudement ces deux lectures même si le final m’a chaque fois légèrement déçu, tuant toute ambiguïté de réalisme et rendant le fantastique inéluctablement explicite. J’aurais préféré garder le doute jusqu’au bout.

D’ailleurs, Henri Lœvenbruck, Stéphane Paccaud et moi-même serons ce week-end à Épinal pour les imaginales. N’hésitez pas à venir faire coucou et taper la causette. C’est la raison même de ce genre d’événements. (suivez-nous sur Mastodon pour nous trouver plus facilement).

De la classification de la littérature

S’il fallait les classer, ces deux livres devraient clairement se trouver côte à côte dans les rayons d’une bibliothèque. Des romans historiques avec des éléments fantastiques. D’ailleurs, Lœvenbruck m’a asséné : « Une histoire n’est pas fantastique. Elle comporte des éléments de fantastique ! » (citation approximative,).

Mais voilà. Henri Lœvenbruck est réputé comme un auteur de polars. Vous trouverez donc « L’Apothicaire » dans la section polar de votre librairie. Quand à « Hoc Est Corpus », il est paru dans la collection Ludomire chez PVH éditions, une collection (où je suis moi-même édité) spécialisée dans la « littérature de genre », à savoir la SFFF pour « Science-Fiction Fantasy Fantastique ».

Quelle importance, me demandez-vous ? On s’en fout de la classification.

Pas du tout !

Car, comme je l’ai appris à mes dépens, le lectorat grand public ne veut pas entendre parler de science-fiction ou de fantastique. Le simple fait de voir le mot sur la couverture fait fuir une immense quantité de lecteurs qui, pourtant, en lit régulièrement sous la forme de polars. La plupart des librairies générales cachent pudiquement sous une étagère quelques vieux Asimov qui prennent la poussière et ne veulent pas entendre parler de science-fiction moderne. Quelques échoppes tentent de faire exception, comme « La boîte à livre » à Tours, qui a un magnifique rayon ou le salon de thé/librairie « Nicole Maruani », près de la place d’Italie à Paris, qui m’a fait la surprise de mettre mon livre à l’honneur dans son étagère de SF (et qui fait du super bon brownie, allez-y de ma part !).

Mais Ploum, si le mot « science-fiction » est mal considéré, pourquoi ne pas mettre simplement ton roman dans la catégorie polar ? Après tout, Printeurs est clairement un thriller.

Parce que la niche des lecteurs de science-fiction est également étanche. Elle se rend dans des lieux comme « La Dimension Fantastique », près de la gare du Nord à Paris. Un endroit magique ! J’avais les yeux qui pétillaient en survolant les rayons et en écoutant l’érudition du libraire.

La SF est-elle condamnée à être cantonnée dans sa niche ? À la Dimension Fantastique, le libraire m’a confié qu’il espérait que le genre gagne ses lettres de noblesse, qu’il voyait une évolution ces dernières années.

Pour Bookynette, l’hyperactive présidente de l’April et directrice de la bibliothèque jeunesse « À livr’ouvert », le genre à la mode est le « Young Adult ». Et c’est vrai : dès que le protagoniste est un·e adolescent·e, soudainement le fantastique devient acceptable (Harry Potter) et la pure science-fiction dystopique devient branchée (Hunger Games).

Bref, la classification a son importance. Au point de décider dans quelle librairie vous allez être. Étant un geek de science-fiction, j’ai l’impression que d’en écrire. Mais j’ai la prétention de penser que certains de mes textes vont au-delà de la SF, qu’ils pourraient parler à un public plus large et leur donner des clés pour comprendre un monde qui n’est pas très éloigné de la science-fiction d’il y a quelques décennies. Surtout les genres dystopiques. En pire.

La science-fiction ne parle pas et n’a jamais parlé du futur. Elle est un genre de littérature essentiel pour comprendre le présent. Peut-être doit-elle parfois se camoufler pour briser certains a priori ?

On se retrouve sur le stand PVH aux Imaginales pour discuter de tout ça ?

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain. Abonnez-vous à mes écrits en français par mail ou par rss. Pour mes écrits en anglais, abonnez-vous à la newsletter anglophone ou au flux RSS complet. Votre adresse n’est jamais partagée et effacée au désabonnement.

Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir.

La fausse bonne idée de la livraison à domicile

lundi 15 mai 2023 à 02:00

La fausse bonne idée de la livraison à domicile

J’ai reçu ce matin un email me précisant qu’une livraison allait être faite à mon domicile entre 12h51 et 13h51.

Me voilà devant le fait accompli. Je peux tout à fait rater cette livraison qui n’est pas urgente. Mais il est plus facile pour moi d’adapter mon horaire aujourd’hui que pour une relivraison hypothétique ou pour une livraison dans un point relais aléatoire. Car, pour l’anecdote, j’habite une ville entièrement piétonnière. Mais le seul point Mondial Relay de la ville se trouve dans une station d’essence située entre les deux bandes d’un boulevard fréquenté et sans aucune manière d’y accéder à pied sauf à traverser des buissons puis à marcher 200m le long de cette route pour automobiles et de la traverser.

Consultant ma montre, je m’arrange pour arriver à 12h45 chez moi. Une camionnette de livraison est garée, moteur tournant. J’interpelle le chauffeur. Il regarde sa montre et me dit qu’il ne peut pas me donner le paquet avant 12h51, qu’il doit attendre. Moteur tournant.

Comme beaucoup d’inventions humaines, la livraison à domicile semblait une bonne idée. Parce que nous n’avions pas envisagé les impacts.

Nous croyions pouvoir consommer confortablement assis dans notre canapé. Nous avons oublié que nous étions souvent hors de chez nous, pour le travail ou pour le plaisir. Nous avons oublié le service que nous rendaient les commerçants de proximité, remplacés dans tous les domaines par de la grande distribution dans des points de plus en plus éloignés.

Nous avons oublié que, parfois, nous n’avons pas envie d’être dérangés. Comme cette fameuse journée de travail à domicile durant le confinement où j’ai reçu quatre livreurs de trois entreprises différentes sur une seule après-midi. Le tout pour me livrer une seule et unique commande Amazon dans laquelle j’avais tenté de regrouper tous mes achats.

Nourriture, vêtements, livres, articles de sports. Ce qui se trouve dans ces magasins, la plupart du temps uniquement accessibles en voiture, est le strict minimum, le modèle moyen, les marques standard. Pour tout le reste ? Commandez sur Internet. Que dis-je, sur Amazon !

Amazon qui, soit dit en passant, impose à ses fournisseurs de ne pas vendre moins cher ailleurs, mais qui prend une telle marge que les producteurs, pour pouvoir être sur Amazon, sont obligés de monter leurs prix… partout ! Amazon qui n’hésite pas à copier un produit qui se vend bien et qui impose également aux producteurs de payer pour apparaître dans les résultats.

Au final, des livreurs payés au lance-pierre sont obligés de faire un nombre ahurissant de livraisons par jour en respectant des horaires à la minute près, forcés d’attendre ou d’accélérer en fonction des algorithmes. Tout cela pendant que nous sommes forcés de rester chez nous pour attendre la livraison, pour guetter par la fenêtre le livreur qui dépose un papier arguant de notre absence alors que nous étions derrière la porte.

Enfin, nous ouvrons le carton contenant des biens que nous n’avons jamais vus, que nous n’avons jamais essayés, que nous n’aurions peut-être pas achetés si nous n’avions pas été séduits par la photo subtilement éclairée, mais que nous gardons quand même devant la difficulté du renvoi ou de l’échange, lorsque celui-ci n’est tout simplement pas à un coût prohibitif.

Des biens surpayés pour permettre aux producteurs de vivre avec les marges d’Amazon et des entreprises de livraison. Des biens désormais introuvables en magasin.

La livraison à domicile paraissait une bonne idée. Elle bénéficie à certains. Mais ce ne sont ni les livreurs, ni les vendeurs de magasin, ni même les clients.

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain. Abonnez-vous à mes écrits en français par mail ou par rss. Pour mes écrits en anglais, abonnez-vous à la newsletter anglophone ou au flux RSS complet. Votre adresse n’est jamais partagée et effacée au désabonnement.

Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir.

Les réseaux sociaux sont des maladies mentales

vendredi 12 mai 2023 à 02:00

Les réseaux sociaux sont des maladies mentales

La nuit passée, j’ai été réveillé par de la techno tonitruante. Étonné par cette cause de bruit soudaine, j’ai regardé par ma fenêtre et vu une voiture garée en face de chez moi.

Au volant, une jeune femme se filmait en train de secouer la tête comme si elle s’amusait follement, agitant le bras libre dans tous les sens. Exactement trois minutes après le début de la nuisance sonore, elle a coupé la vidéo, à coupé la musique et s’est remis à scroller sur son téléphone en silence, la nuque penchée.

Je n’ai pu ressentir qu’une bouffée de pitié pour cette jeune femme seule en pleine nuit, enfermée dans sa voiture et qui ressentait le besoin de faire savoir à d’autres qu’elle s’amusait, même s’il fallait pour cela réveiller tout le quartier. La brève durée de cet épisode m’a fait soupçonner une vidéo Tiktok.

En me recouchant, j’ai pensé à cette jeune maman que nous avons aperçue, mon épouse et moi-même, la semaine précédente.

Nous étions sur un chemin surplombant de quelques mètres une petite plage hérissée de rochers. Un parapet séparait le chemin du vide. Sur ce parapet se tenait, debout, une fillette de trois ou quatre ans qui tenait la main de sa mère. La mère a lâché sa fille, a pris son appareil photo pour prendre une photo tout en lui recommandant de ne pas bouger.

Mon cœur de père s’est arrêté. J’ai hésité à agir, mais j’ai très vite pris conscience que le moindre mouvement brusque de ma part pouvait déclencher une catastrophe. Que je n’étais émotionnellement pas capable de tenter de raisonner une mère capable de mettre la vie de son enfant en danger pour une photo Instagram.

J’ai passé mon chemin en fermant très fort les yeux.

Je pensais que les réseaux sociaux étaient des addictions, des dangers pour notre concentration. Mais pas seulement. Je pense que ce sont désormais des maladies mentales graves. Que leurs utilisateurs (dont je fais partie avec Mastodon) doivent être vus comme des personnes malades dès le moment où elles modifient leur comportement dans le seul et unique objectif de faire un post.

Les principales victimes sont les adolescents et les jeunes adultes. Et loin de les aider, le système scolaire les enfonce, de plus en plus d’enseignants et d’écoles utilisant des "apps" pour avoir l’air de suivre une pédagogie moderne et forçant leurs élèves à avoir un téléphone (et je ne parle pas des cours "d’informatique" qui forment à… Word et PowerPoint !).

Il ne fait aucun doute que, d’ici quelques années, les smartphones seront perçus pour le cerveau comme la cigarette l’est pour les poumons. Mais nous sommes dans cette période où une poignée d’experts (dont je fais partie) s’époumone face à un lobby industriel et une masse qui "suit la mode pour avoir l’air cool", qui a peur "de ne pas être dans la révolution informatique".

Quand je vois les ravages de la cigarette, encore aujourd’hui, je ne peux qu’être terrorisé pour mes enfants et les générations qui nous suivent. Car ceux qui ne sont pas atteints doivent vivre avec les autres. Ils sont les exceptions. Ils doivent justifier de ne pas sortir leur smartphone, de ne pas être connecté, de ne pas vouloir s’interrompre pour une photo.

Peut-être qu’il est temps de considérer le fait de poster sur les réseaux sociaux pour ce que c’est réellement : une action pathétique et misérable, un espoir d’exister dans un univers factice. Un appel au secours d’une personne malade.

Ne nous voilons pas la face : je suis tout aussi coupable que n’importe qui d’autre. Mais promis, je me soigne…

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain. Abonnez-vous à mes écrits en français par mail ou par rss. Pour mes écrits en anglais, abonnez-vous à la newsletter anglophone ou au flux RSS complet. Votre adresse n’est jamais partagée et effacée au désabonnement.

Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir.

Trolls & Légendes le samedi 8 avril et autres dates…

vendredi 7 avril 2023 à 02:00

Trolls & Légendes le samedi 8 avril et autres dates…

Samedi 8 avril (demain quoi), je serai à Mons au festival Troll & Légende. Si vous êtes dans le coin, passez sur le stand PVH/PVH Labs pour tailler une bavette. Je n’ai pas encore les infos exactes, je posterai en direct les infos pratiques sur Mastodon.

Une question récurrente qui m’est régulièrement posée est celle du nombre de mes followers. Souvent, ce sont des journalistes qui me la posent et ils sont déçus quand je leur dis que je n’ai pas la réponse.

Il y a 10 ans, j’ai annoncé que je supprimais tout outil statistique de mon blog. Tant pour la vie privée de mes lecteurs que pour ma santé mentale. J’ai poursuivi en encourageant mes lecteurs à me suivre par RSS, une technologie sur laquelle je n’ai aucune visibilité. Sourcehut offre également la possibilité de recevoir mes billets par mail sans que je puisse voir la liste des abonnés ou même leur nombre (mais les contenus sont en texte brut et pas mis en page, contrairement à la newsletter classique qui reste recommandée pour la plupart des lecteurs).

À part Mastodon, je n’ai donc pas de « compteur ». Je sais à quel point ce genre de métrique est à la fois addictif et complètement trompeur, voire même nocif. Avec mon logiciel de newsletter précédent, je pouvais voir le nombre de désabonnements consécutifs à chaque billet, ce qui avait pour effet de me morigéner d’avoir publié.

Pour remplacer le compteur, j’ai découvert une métrique magique, magnifique : quand je participe à une conférence, un festival ou une séance de dédicace, j’ai désormais la chance de rencontrer des lecteurs. Des gens qui me lisent depuis parfois plus d’une décennie. Des personnes qui peuvent me parler d’un vieux billet que j’avais oublié, me demander des nouvelles de ma boulangère voire me recommander une bande dessinée ou un roman qui devrait vraiment me plaire (j’adore). Des visages qui viennent parfois éclairer certains noms que j’ai lu sur le web, sur gemini ou dans ma boîte email. Des êtres humains quoi ! (enfin, pour la plupart)

Ces rencontres sont courtes, intenses et me restent dans la tête. Elles me font plaisir, me nourrissent. Donc, si vous êtes dans un coin où je traine, n’hésitez pas à venir me faire coucou, ça me fait plaisir. Et, contrairement à un Henri Loevenbruck assailli par des hordes de fans, avec Ploum vous n’aurez pas à faire la file.

Rendez-vous donc ce samedi 8 avril à Mons à Troll & Légende. Le mardi 25 avril, je donnerai une conférence pour l’Electrokot à Louvain-la-Neuve (auditoire Montesquieu 1, 20h). Et je vous préviens déjà que je serai à Épinal pour le festival Imaginales aux alentours du 25 au 28 mai.

On trouvera bien une occasion de se croiser !

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain. Abonnez-vous à mes écrits en français par mail ou par rss. Pour mes écrits en anglais, abonnez-vous à la newsletter anglophone ou au flux RSS complet. Votre adresse n’est jamais partagée et effacée au désabonnement.

Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir.