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Mon second vélo et le piège de l’intuition

vendredi 9 décembre 2016 à 11:48

Chez les cyclistes, il y a un dicton qui dit que le nombre idéal de vélos à avoir dans son garage est N+1, où N est le nombre de vélo qu’on possède actuellement.

Oui, il y a toujours une bonne raison pour acheter un nouveau vélo : avoir un vélo de route, un VTT, un vélo de gravel. Mais si N+1 est le nombre idéal, le nombre minimal est 2. Surtout si vous utilisez votre vélo quotidiennement.

Car il n’y a qu’une seule chose de pire pour un cycliste que de devoir pédaler de nuit dans le froid et la pluie : être forcé d’utiliser une voiture !

J’ai personnellement découvert ce problème lorsque, suite à un bris de dérailleur, j’ai appris que j’allais rester dix jours sans pédaler, la pièce n’étant pas en stock.

Le lendemain, j’avais trouvé un vélo d’occasion.

Un poil vieillotte mais ayant visiblement très peu servi, cette seconde monture joue admirablement son rôle de réserviste. Je l’enfourche lorsque mon fier destrier est à l’entretien, lorsqu’il me révèle une crevaison lente le matin et que je n’ai pas le courage de changer la chambre à air avant d’aller travailler, ou lorsque la simple envie me prend de changer un peu d’air.

Après deux années de ce rythme, j’eus une intuition bizarre.

En deux ans, mon vélo principal, que j’entretiens et que je bichonne, avait subit plusieurs révisions. Il avait connu de multiples crevaisons, plusieurs jeux de pneus. Les chaînes se succédaient, les roulements devaient être changés et les câbles se grippaient.

Rien de tout cela ne semblait atteindre mon réserviste. J’avais changé une fois une chambre à air mais la chaîne et les pneus étaient toujours ceux d’origine malgré des entretiens beaucoup plus succincts voire inexistants.

Cette constatation me conduisait à une explication impitoyable : bien que plus vieux, mon réserviste était de nettement meilleure qualité. Les nouveaux vélos avec les nouveaux pneus sont fragiles et faits pour encourager la consommation.

Intuitif, non ?

Et pourtant complètement faux. Car l’usage d’un vélo ne se compare pas en temps passé dans le garage mais en kilomètres parcourus.

Comme je vous l’ai raconté, je raffole de Strava. Chacune de mes sorties est enregistrée dans l’application avec le vélo utilisé pour l’occasion. J’indique même quand je change une pièce afin de connaître le kilométrage exact de chaque composant.

Je sais ainsi que pour mon vélo principal, une bonne chaine dure 2500km alors qu’une mauvaise s’use après 1500km. Les pneus, à l’arrière, durent entre 800 et 1600km. Facilement le triple à l’avant. Outre cela, mon utilisation du vélo nécessite un passage par l’atelier en moyenne tous les 2000km. Et le vélo va sur ses 8000km.

Mon vélo de réserve, par contre, vient lui tout juste de passer les 500km !

Il est donc parfaitement normal que je n’ai eu aucun ennui, aucun entretien, aucun travail sur ce vélo : il n’a tout simplement pas encore roulé le tiers de la distance à partir de laquelle l’usure de certains composants se fait sentir.

Mon intuition était complètement trompeuse.

Cette anecdote prête à une morale générale : souvent, nous nous laissons emporter par des intuitions, des similitudes. Les deux vélos étant en permanence côte à côte dans le garage, il est normal de les comparer. Le fait de prendre de temps en temps le vélo de réserve me donnait l’impression que les deux vélos vivaient une vie presque similaire. Certes, je pensais l’utiliser trois ou quatre fois moins. Mais les chiffres révèlent qu’il s’agit de quinze fois moins !

Lorsque vous avez des convictions, des intuitions, confrontez-les aux faits, aux chiffres réels.

Beaucoup de nos problèmes viennent du fait que nous suivons aveuglément nos intuitions, même lorsque les chiffres nous démontrent l’absurdité de nos croyances. Aujourd’hui encore, les politiciens prônent l’austérité afin de relancer l’économie, ils prônent l’expulsion d’étrangers pour libérer des emplois là où tous les exemples connus ont démontré l’absurde inanité et la contre-productivité de ce genre de mesures.

Pire : aujourd’hui, il y a encore des gens pour voter pour ces politiciens.

À ceux-là, racontez-leur donc l’histoire de mon second vélo.

 

Photo par AdamNCSU.

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Printeurs 42

mardi 6 décembre 2016 à 12:35
Ceci est le billet 42 sur 43 dans la série Printeurs

En parallèle aux aventures de Nellio, Eva et les autres, un étrange personnage continue sa vie : l’ex-ouvrier 689.

Je n’en reviens pas. Je n’en crois pas mes yeux. J’étais sûr de l’avoir tué. Pourtant, aujourd’hui, le plus jeune est revenu.

Cela fait des cycles et des cycles de sommeil que je suis cloîtré dans un confortable appartement. Le plus vieux m’a expliqué qu’il s’agissait de me protéger. En tant que travailleur, je suis un témoin clé dans le procès qu’il veut faire. À qui ? Je ne suis pas sûr de comprendre… Au système, aux riches, aux puissants, aux contre-maîtres. Peu importe, mon pouvoir marche d’autant mieux lorsqu’il est confronté à un idéalisme naïf et béat.

De temps en temps, le plus vieux vient me rendre visite afin de m’interroger, de dresser un tableau de la vie dans l’usine. Au vu de ses réactions à mes révélations initiales, j’ai préféré ne pas tout dire. Il risquerait de ne pas me croire.

Mais lorsque la porte s’est ouverte aujourd’hui, j’ai failli défaillir de surprise. Le plus jeune était là, souriant, complètement insensible à mon pouvoir. Il s’est dit amnésique et j’ai réussi à cacher mon trouble, à prétendre que je le connaissais pas.

Ce monde obéit-il à d’autres lois ? La mort et la douleur ne sont-elles pas les armes ultimes que je croyais maitriser ? Pour la première fois, le doute me gagne, m’envahit. Mon pouvoir s’étiole. Je tremble !

Tout fonctionnait pourtant comme sur des roulettes. Le plus vieux était bel et bien persuadé que le plus jeune était tombé du ballon par accident. Une fois le plus jeune parti, le plus vieux s’est révélé beaucoup plus vulnérable à mon pouvoir. Du moins le croyais-je…

Je regrette les contre-maitres qui étaient tellement facile à manipuler, je…

612 se tient en face de moi. Il sourit béatement et me couvre de son regard apaisant. Baissant les yeux, je constate que je suis un enfant. Machinalement, mon pouce s’est introduit dans ma bouche.

— La vie est pleine de mystère. Elle ne s’arrête pas à l’atelier et aux contre-maîtres. Un jour, l’un de vous le découvrira. Un jour, il percera les mystères de la vie et nous libérera…

Je hurle, je me rue en vociférant sur 612. Dans un craquement sourd, mon corps d’adulte s’écrase sur les parois de l’appartement. La douleur me réveille, me rassure. Ô toi, ma vieille amie, ma fidèle compagne, celle qui m’accompagnera jusqu’à la mort et au delà, celle qui me fera lutter, qui me réveillera, ô toi douleur…

Le crâne de 612 éclate tout autour de moi. Du sang ruisselle sur les murs, des lambeaux de cervelles gluants dégoulinent du plafond et, partout, le visage de 612 flotte en murmurant :
— Tu es noble !

À mes pieds, le sol est jonché de cadavres des travailleurs que j’ai fréquenté. Je reconnais chaque visage, chaque numéro. Les corps se décomposent, l’odeur me prend à la gorge et, soudain, chaque mort donne naissance, dans une explosion de pu et de chairs putrides, à un bébé sanguinolent, hurlant. Tournant leurs têtes vers moi, les bébés se mettent à ramper. Ils tiennent dans leurs petites menottes les jouets, les appareils électroniques, les outils que j’ai fabriqué. Ils les dévorent avant de ramper et de toucher, un par un, tous les objets de l’appartement.

L’un des bébés, mi-homme, mi-fœtus, caresse le rideau qui se gorge aussitôt de sang. Un autre s’empare de la tablette de divertissement qui se décompose en chairs putréfiées. Le plus effrayant se met soudain à flotter jusqu’au plafond avant d’avaler l’ampoule intelligente qui se transforme en millions de mouches bourdonnantes.

Les vêtements que je porte se mettent à hurler, à briller de longs éclairs de douleurs.

Plié en deux, je me met à vomir sous les sordides ricanements des bébés dont les visages se couvrent de rides et d’une barbe blanche.

Combien de temps suis-je resté dans le coma, étendu au milieu de la pièce ? Des heures ? Des jours ?

À mon réveil, tout m’a semblé effroyablement normal. Mais, au creux de mon estomac, j’ai ressenti une émotion nouvelle, angoissante. Une peur non physique. Ma vie n’est pas en danger, je n’ai pas à me défendre et, pourtant, j’ai peur, je tremble. Je veux oublier ! Et si le plus vieux décidait de me renvoyer à l’usine ? J’ai failli à ma mission ! Je serai probablement rétrogradé au plus bas de l’échelle, je redeviendrai le travailleur que j’ai toujours été.

Les genoux tremblants, je tente de me redresser et de me ressaisir. Je n’ai pas le choix, je dois continuer, je dois escalader chaque échelon. S’arrêter, c’est tomber. Monter, encore et encore, tel est mon destin.

Mais pour aller où ? Vers quels sommets ? C’est peut-être la question qu’il ne faut pas poser car seule l’ignorance me permettra de continuer.

Par quel miracle le plus jeune est-il encore en vie ? Je n’en sais rien et je n’ai pas besoin de le savoir. Je dois juste attraper le prochain échelon et monter, encore et toujours. Je dois écraser le plus vieux, je dois l’utiliser et le jeter. Ce n’est qu’à ce prix que je ne tomberai pas.

Prenant une profonde inspiration, je retrouve mon calme. Mon pouvoir est revenu, je le sens ! Il ne m’a jamais quitté. Le plus jeune est encore vivant ? Qu’à cela ne tienne, je le tuerai une seconde fois. Ou dix fois, cent fois, mille fois s’il le faut ! Car mon pouvoir est revenu et rien ni personne ne pourra plus arrêter ma fulgurante ascension.

Rien ! Pas même ces bébés à tête de vieillards qui rampent désormais partout où je porte mon regard, éructant en silence des moues terrifiées, touchant de leurs mains poisseuses chaque objet, chaque meuble, chaque outil.

Mais je les tiens à l’œil. Car eux aussi subiront désormais l’étendue de mon pouvoir.

 

Photo par Antoine Skipper.

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L’argent doit-il être notre seul objectif ?

jeudi 1 décembre 2016 à 13:31

En tant qu’humains, nous fonctionnons avec des objectifs. La mesure liée à cet objectif, que j’appelle « observable », peut pervertir complètement le système au point de le détourner de son objectif initial. J’ai introduit le concept dans « Méfiez-vous des observables » mais sachez que, dans notre société, l’observable par défaut est l’argent.

L’amour, le couple et le restaurant

Comme je l’ai expliqué à travers la fable des voitures en Observabilie, nous vivons dans un monde dont certains aspects sont difficiles à quantifier. Nous nous rabattons alors sur des « observables », faciles à mesurer. Mais si une observable est même très légèrement décorrélée de l’aspect original, le fait de mesurer va amplifier cette décorrélation jusqu’à l’absurde.

« Toute utilisation d’une observable imparfaitement liée à un objectif va tendre à maximiser la décorrélation entre cette observable et l’objectif »

Prenons un exemple simple : si vous souhaitez augmenter l’amour dans votre couple, l’amour est une donnée difficilement mesurable. Par contre, si votre conjoint remarque que vous vous invitez mutuellement plus souvent au restaurant lorsque vous êtes amoureux, vous pouvez décider de prendre le nombre de sorties gastronomiques par mois comme observable de votre amour.

Après quelques temps, vous serez sans même en avoir conscience encouragé à aller au restaurant le plus possible. Idéalement tous les soirs !

Serez-vous pour autant plus amoureux ? Dans le meilleur des cas, rien n’aura changé. Dans le pire, vous pourriez même détruire votre couple par cette absurde obsession des restaurants, vous prendrez du poids et dilapiderez vos économies.

Cela semble évident dans ce cas de figure mais pourtant nous le reproduisons en permanence avec une observable presqu’aussi absurde que le nombre de sorties au restaurant par mois. Une observable devenue universelle. L’argent !

L’argent, notre principale observable

Toute notre société, toutes nos valeurs nous poussent à maximiser l’argent.

Telle personne prétend que sa priorité dans la vie est d’éduquer ses enfants et va tout faire pour… gagner de l’argent afin de payer une école privée même si cela implique d’aller travailler à l’étranger en ne voyant ses enfants qu’une fois par mois.

Une autre veut vivre paisiblement dans un coin tranquille et va, en conséquence, travailler très dur dans une grande ville pendant des décennies afin de… “gagner assez pour arrêter de travailler”.

Ces cas ne sont bien entendu pas universels et nombreuses sont les occasions où nous refusons un gain financier. Mais il est amusant de remarquer que lesdites occasions seront mûrement réfléchies et devront être justifiées de long et en large. Par défaut, gagner de l’argent est la situation la plus intéressante. Nous pousserons la perversité jusqu’à quantifier n’importe quoi, y compris notre bonheur, au moyen d’équivalents financiers.

L’argent est devenu une observable tellement universelle que même le bonheur se mesure en argent. Saviez-vous qu’aux États-Unis le fait de supprimer les trajets quotidiens maison-travail correspondait, en terme de bonheur, à une augmentation salariale de 40.000 dollars par an ? Le bonheur est donc quantifiable en dollars ? N’est-il pas choquant que l’un des arguments majeurs dans la prévention des suicides soit… le coût à la société d’un suicide (849.878 $ au Canada. C’est précis !) ? Une vie de moins importe peu. Par contre, si cela coûte, il faut agir !

Si nous voulons diminuer le nombre de suicide, ce serait uniquement pour économiser de l’argent !

Est-il tout simplement possible de convertir la douleur d’un suicide en une perte financière ? Et quelle conclusion devrait-on tirer si, par hasard, le calcul avait eu pour résultat qu’un suicide rapporte à la société ?

La disparition des abeilles est inquiétante ? Non, pas réellement. Mais il suffit d’affirmer que les pollinisateurs effectuent un travail évalué entre 2 et 5 milliards d’euros par an en France pour obtenir l’attention de l’auditoire. Ajoutons qu’ils créent 1.4 milliards d’emplois dans le monde et le tour est joué. Sans insectes pollinisateurs, nous crèverons littéralement de faim. Mais ce n’est pas grave. Ce qui est grave, ce serait de perdre des milliards d’euros et des emplois…

Même le manque de sommeil est monétisé et est estimé à 411 milliards de dollars par an pour l’économie américaine.

C’est d’ailleurs le piège dans lequel sont tombés les écologistes en prétendant que l’écologie était plus économique et permettrait de créer des emplois. Il suffit de leur répondre que, dans ce cas, le marché s’orientera naturellement vers la solution la plus écologique et qu’il ne faut surtout pas intervenir.

Tout comme compter le nombre de sorties au restaurant, l’argent est une observable bien pratique et, de plus, universelle. À quelques très rares exceptions, tous les êtres humains utilisent aujourd’hui de l’argent qui est convertissable en n’importe quelle autre monnaie.

L’impossibilité des objectifs multiples.

La sagesse populaire nous enseigne qu’à courir deux lièvres, on n’en attrape aucun. Et, inconsciemment, tout humain et toute institution humaine applique ce principe en ne maximisant qu’un seul et unique objectif.

Si plusieurs objectifs sont énoncés, tout le système optimisera l’objectif principal via son observable. Si cela permet d’atteindre également les autres objectifs, tant mieux. Sinon, et bien, par définition, un objectif secondaire cédera le pas face à l’objectif principal. Il s’ensuit que tout objectif secondaire est inutile : s’il est atteint, c’est par pure chance.

Or, comme nous venons de le voir, l’observable par défaut est l’argent. L’objectif par défaut devient donc le fait de s’enrichir.

On peut d’ailleurs remarquer que les personnes dont l’objectif principal n’est clairement pas s’enrichir détonnent dans notre société. Comme l’argent n’est qu’un moyen de subsistance pour eux, ils gagnent un strict minimum et se consacrent à un objectif qu’ils ont choisi en conscience. Ils paraissent rebelles, alternatifs, étonnants. Ironiquement, affirmer vouloir gagner de l’argent est souvent mal perçu. Gagner de l’argent est notre seul et unique objectif mais il faut le cacher, être hypocrite.

Sans une direction très forte et très claire posant une observable autre que l’argent, tout projet se tournera automatiquement vers le profit. Au mieux le projet deviendra commercial, au pire les membres s’entre-déchireront et tenteront de gagner ou de perdre le moins possible d’argent.

Créer un projet dont l’observable n’est pas l’argent implique donc un travail permanent d’affirmation d’un objectif principal et de l’observable qui lui est associée.

Si l’affirmation de cet objectif n’est pas assez forte, l’observable argent reprendra le dessus. Si l’observable commune manque ou est floue, les individus se baseront sur leur observable personnelle. Très souvent, il s’agira de l’argent. La cupidité individuelle détruira le projet ou, au moins, en détournera l’intention initiale.

Dans le monde du business et des entreprises, la question ne se pose même pas : le but d’une entreprise étant de faire de l’argent, tout autre objectif sera graduellement réduit et sera corrompu au moindre signe de conflit entre cet objectif secondaire et celui de gagner de l’argent. L’écologie, le bio, le social sont des exemples frappants : d’objectifs secondaires louables, ils sont devenus de simples arguments marketing, cachant parfois des pratiques d’un cynisme total. Dans le meilleur des cas, ces objectifs secondaires sont devenus des vœux pieux qui donnent bonne conscience aux travailleurs.

L’absurdité ultime : le PIB

Le parangon de l’absurdité des observables revient à la plus grande de nos institutions : l’état, pour qui l’observable principale est également devenu l’argent avec la mesure du PIB.

Je ne détaillerais pas l’absurdité du PIB, certains l’ont fait mieux que moi. Il suffit de savoir que si vous me payez 50€ pour creuser un trou et que je vous paye le même prix pour le reboucher, nous avons augmenté le PIB de 100€ alors que rien, absolument rien, n’a changé dans le monde. Ni le trou (qui est rebouché), ni nos comptes en banque respectifs.

Pourtant cette mesure est désormais celle qui contrôle absolument tout le reste. L’exemple le plus frappant nous vient de la Grèce : alors que la crise a poussé un nombre incalculable de grecs dans la misère la plus totale, que le taux de suicide est au plus haut et que la santé s’y détériore rapidement, personne ne s’en préoccupe réellement.

Mais que le gouvernement grec annonce peut-être prendre des mesures qui pourraient impacter le PIB des pays voisins et toute la classe politique s’indigne soudainement. Il faut vous y faire : votre seule utilité dans un tel système est de faire croître le PIB.

Identifiez l’objectif de votre interlocuteur

Une fois ce principe bien acquis, tout un univers qui semble absurde devient soudainement logique. Il suffit d’identifier l’objectif réel de votre interlocuteur. L’unique objectif d’un politicien, par exemple, sera d’être réélu. Toute action qu’il entreprend ne l’est que dans le seul et unique objectif de maximiser son observable : les voix reçues aux prochaines élections.

Tout argent public dépensé ne le sera donc que de deux manières possibles : soit parce que cela donne de la visibilité au politicien qui a pris la décision, soit parce que cela lui rapporte directement ou indirectement. C’est ce que j’ai appelé « la boucle d’évaporation ».

Tout employé payé à l’unité temporelle (heure, semaine, mois, …) aura pour unique objectif de justifier le temps qu’il passe. Si le travail se réduit au point de disparaître, l’employé fera tout, même inconsciemment, pour inventer une complexité permettant de justifier ce temps. Au contraire, toute personne payée au forfait aura pour unique objectif d’y passer le moins de temps possible.

Tout organe de presse financé par la publicité optimisera son fonctionnement pour maximiser l’exposition de son audience à la publicité. Si cette audience se mesure en “clics”, alors l’organe de presse se transformera en machine à générer des clics, quel que soient les idéaux sincères des personnes qui composent l’organe de presse.

Notons bien que tout ceci n’est ni positif, ni négatif. C’est juste un fait mécanique et, pour moi, inéluctable.

« Toute organisation humaine tend naturellement vers la maximisation du profit des personnes contrôlant l’organisation ».

Si vos objectifs sont en alignement avec ceux de votre interlocuteur, tout va très bien. Si par exemple vous souhaitez organiser un bal populaire, que vous demandez des subsides et que vous proposez à un politicien de devenir le « parrain » du bal et d’y faire un discours, vos objectifs seront alignés et vous obtiendrez plus que probablement le subside.

Et vous, quel est votre observable ?

L’argent est-il le seul et unique observable universel ? Peut-être. Dans tous les cas, c’est aujourd’hui le plus courant et le plus utilisé. Il faut donc en tenir compte sans le rejeter en bloc. Construire une société sans argent me semble une utopie irréalisable et probablement pas souhaitable.

Par contre, au niveau individuel, nous sommes bien peu à considérer l’argent comme le seul moteur de notre vie. Pourtant, par facilité, nous nous y abandonnons. Nous travaillons plus pour gagner plus. Nous repoussons les prises de risque qui pourraient nous faire perdre de l’argent.

Confronté à cette réalité, nous avons tendance à camoufler. À brandir des objectifs secondaires, des déclarations d’intention. À nous tromper nous-mêmes.

Mais alors, quel est l’observable de nos vrais objectifs personnels, ceux que nous n’avons jamais pris la peine d’explorer, de conscientiser ?

Car si nous voulons changer le monde et nous changer nous-même, il faut se fixer un réel objectif principal avec une observable digne de lui.

 

Photo par Glenn Halog.

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Laprimaire.org, une expérience de démocratie

samedi 26 novembre 2016 à 12:36

Étymologiquement, la démocratie signifie le pouvoir par le peuple. Elle s’oppose à l’aristocratie où le pouvoir est détenu par une minorité.

Dans la société d’aujourd’hui, force est de constater que ce que nous appelons démocratie n’en est pas une. Le pouvoir réel est toujours détenu par une minorité.

Mais, contrairement à une aristocratie traditionnelle héréditaire, l’aristocratie moderne est désormais choisie par le peuple à travers le processus électoral. Nous vivons dans une aristocratie démocratiquement représentative, le processus électoral nous permettant de nous affubler du titre de « démocratie ».

Les faiblesses des élections

Comme je le soulignais dans « Et si on tuait le parti pirate ? », se faire élire et être un élu sont deux métiers fondamentalement différents voire antagonistes. Ceux qui maîtrisent l’art de se faire élire vont conquérir le pouvoir et s’y maintenir, quelles que soient leurs actions. Notre système est donc complètement inféodé aux faiblesses du processus électoral choisi.

Deux qualités sont essentielles pour être élu : la popularité et l’accès à l’argent, l’argent permettant d’acheter la popularité à travers les campagnes électorales. L’élection va donc favoriser l’émergence de personnages riches, représentant les intérêts d’autres riches et étant maîtres dans l’art de l’apparence ou du détournement de l’attention à travers un programme aussi inutile que mensonger.

Les méthodes de calcul des résultats électoraux, elles-mêmes, vont avoir un poids définitif. Ainsi, le système à deux tours français va avoir tendance à tuer tout candidat favorisant le compromis ou l’innovation au profit de celui qui sera inacceptable pour 49% des électeurs mais suffisant pour 51%.

Aux États-Unis, le système des grands électeurs permet l’élection d’un président moins populaire que son adversaire. Deux fois (Bush vs Gore en 2000 et Trump vs Clinton en 2016), le gagnant ne l’est devenu qu’en emportant de manière très suspecte l’état de Floride.

Ce que nous appelons démocratie est donc un ensemble de règles donnant le pouvoir à celui qui saura le mieux les exploiter, légalement ou illégalement.

Le futur de la démocratie

Comme je le décris dans mes billets « Il faudra la construire sans eux » et « Obéir, lire, écrire, les trois apprentissages de l’humain », je pense que nous sommes arrivés à un tournant de l’histoire.

Après l’aristocratie et l’aristocratie démocratiquement représentative (plus communément appelée « démocratie »), il est temps de réinventer une nouvelle forme de gouvernance.

Selon moi, cette post-démocratie sera fondée sur les outils technologiques de son époque, à savoir Internet et la blockchain. Les expériences de démocratie liquide nous ouvrent la voie en ce sens.

Cependant, cette (r)évolution n’est pas encore là et il faut bien composer avec le système en place. Comment apporter de nouvelles idées dans un système structurellement construit pour favoriser le conservatisme ?

Le candidat Jean-Luc Mélenchon, par exemple, promet s’il est élu de former une assemblée constituante puis de démissionner. Dans l’idée, c’est évidemment magnifique. Mais Mr Mélenchon reste un homme politique traditionnel issu d’un parti traditionnel cherchant avant tout à défendre des valeurs. Cette défense de valeurs pourrait être en conflit avec la mise en place d’un nouveau système.

L’expérience de laprimaire.org

Tenter d’utiliser les outils modernes pour perturber, même légèrement, le système en place, c’est exactement ce que tente de faire laprimaire.org pour les élections présidentielles françaises de 2017.

Le principe est assez simple : un règlement fixé à l’avance pour désigner un candidat unique, un candidat issu du net et choisi par tous les citoyens qui le souhaitent.

Début 2016, tout citoyen français pouvait se déclarer candidat. Afin d’être sélectionné pour le second tour, il fallait obtenir 500 soutiens d’autres citoyens français. Une barrière arbitraire, certes, mais facilement franchissable pour qui avait la motivation de devenir réellement candidat.

Sur 215 candidats déclarés, ils furent 16 à passer le cap des 500 soutiens. Tous les citoyens inscrits sur laprimaire.org ont ensuite été appelés à choisir leurs 5 candidats préférés parmi les 16 qualifiés à travers un processus se basant sur le « jugement majoritaire ».

De ces 5 candidats, un seul sera finalement choisi comme le candidat de laprimaire.org pour se présenter réellement aux présidentielles. Mais les organisateurs avaient fixé une limite minimale de 100.000 citoyens inscrits avant de poursuivre l’aventure.

Ils sont actuellement près de 97.000. Alors, si vous êtes citoyen français, vous savez ce qu’il vous reste à faire pour voir se présenter un candidat à la présidentielle issu non pas d’un parti mais bien d’un processus citoyen innovant.

Même si ce candidat n’a aucune chance, sa simple présence sur les bulletins de vote assurera une incroyable publicité au fait que, oui, Internet permet désormais un nouveau mode de gouvernance. Que nous avons faim de remises en question, d’idées nouvelles, d’explorations. Que nous souhaitons prendre en main notre destin !

Laprimaire.org n’est certainement pas parfaite mais c’est une expérience réelle qui innove, qui essaie et qui s’ouvre à toutes les tendances politiques. Étant belge, je ne peux participer mais je recommande chaudement à mes lecteurs français de s’inscrire.

Vite, il ne vous reste que deux semaines !

 

Photo par Will Keightley. Relecture par le gauchiste.

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Obéir, lire, écrire : les trois apprentissages de l’humain

mercredi 23 novembre 2016 à 14:37

Comme je le soulignais dans « Il faudra le construire sans eux », l’humanité est passée par plusieurs étapes liées à l’écriture. Chaque étape a modifié notre conscience de nous-même et le rapport que nous entretenons avec la réalité.

Au commencement

Durant la préhistoire, l’humanité est dans sa petite enfance. Sans écriture, l’information est mouvante, sujette à interprétation. La transmission se fait de manière floue, interprétée et adaptée. La vérité n’existe pas, tout est sujet à interprétation.

Le terme « préhistoire » n’est pas anodin. Les humains n’ont en effet pas la conscience de faire partie de l’histoire, d’une évolution. Ils vivent dans le moment présent.

Cette situation est comparable à celle d’un nouveau-né qui réagit par réflexe aux stimuli extérieurs mais sans conscientiser son existence et ni celle d’une réalité extérieure.

Obéir, le premier apprentissage

Avec l’invention de l’écriture apparaît la notion d’une réalité extérieure immuable, la vérité. Ce qui est écrit ne peut être modifié et, contrairement aux souvenirs ou à la transmission orale, permet la création d’une vérité immuable. Comme toute innovation technologique importante, l’écriture est parfois perçue comme magique, surhumaine.

De la même manière, un enfant comprend que les adultes détiennent un savoir que lui ne possède pas. Il apprend donc à obéir à l’autorité.

Pour l’humanité, l’écriture est un instrument d’autorité à la fois géographique (les écrits voyagent) et temporel (les écrits se transmettent). L’écrit est donc perçu comme étant la vérité ultime, indiscutable. Comme pour un enfant à qui on raconte des histoires, la fiction et l’imaginaire sont des concepts incompréhensibles.

Lire, le second apprentissage

L’imprimerie provoque un véritable bouleversement. Pour la première fois, les écrits deviennent accessibles au plus grand nombre. L’humain apprend à lire.

Le fait de lire permet de prendre conscience que tout écrit doit être interprété. Face à différentes sources parfois contradictoires, le lecteur comprend qu’il doit reconstruire la vérité en utilisant son esprit critique. L’impression de la bible, par exemple, aura pour conséquence directe la naissance du protestantisme.

Si l’imprimerie a permis de diffuser l’information, seule une minorité contrôlait ce qui était imprimé. Cette compréhension du rôle fondamental de l’écriture a d’ailleurs conduit au copyright, outil de censure créé dans le seul et unique but de s’assurer que rien de ce qui était imprimé ne remettait en cause le système (et non pas pour protéger les auteurs).

Comme nous l’a montré la révolution française, le copyright n’a pas été un garde-fou suffisant. La technologie l’a emporté, l’autorité suprême est rejetée au profit du débat et du consensus. Du moins en apparence. L’individu devient citoyen. Il n’accepte plus une autorité arbitraire mais uniquement celle qu’il a choisie (ou qu’il a l’impression d’avoir choisie). C’est l’avènement de la démocratie représentative et de son apanage direct, la presse.

L’enfant apprend à désobéir, à questionner l’autorité et à se faire sa propre opinion. Il n’est pas encore autonome mais souvent rebelle. C’est l’adolescence.

Écrire, le troisième apprentissage

Avec l’apparition d’Internet et des réseaux sociaux, écrire, être diffusé et lu devient soudain à la portée de n’importe quel individu.

Que ce soit pour commenter un match de football, partager une photo ou ce texte, tout être humain dispose désormais de la faculté d’être lu par l’humanité entière.

L’adolescent a grandi et partage son opinion avec d’autres. Il enrichit le collectif et s’enrichit lui-même de ces échanges. Il devient le créateur de sa propre conscience, une conscience qu’il perçoit comme s’insérant dans un réseau d’autres consciences, parfois fort différentes de la sienne : l’humanité.

L’autorité, même choisie, n’est plus tolérable. Chaque humain étant en conscience, il veut pouvoir décider en direct, être maître de son propre destin tout en s’insérant dans la société. C’est un mode de gouvernance qui reste à inventer mais dont on aperçoit les prémices dans la démocratie liquide.

Selon moi, une conscience globale ne sera donc atteinte que lorsque chaque humain sera lui-même pleinement conscient de son libre arbitre et de sa contribution à l’humanité. Qu’il aura la volonté d’être maître de son destin tout en ayant la maturité pour s’insérer dans une société qu’il co-construit.

Le déséquilibre de l’écriture sans lecture

Obéir, lire, écrire. Trois étapes indispensables à la création d’une conscience autonome et responsable.

Le problème est que, pour l’autorité, il est préférable de garder les humains dans le stade de l’obéissance, de la croyance en une seule vérité immuable et indiscutable. La démocratie représentative n’est alors qu’une façade : il suffit de rendre les électeurs obéissants en ne leur apprenant pas à « lire ».

Avec la généralisation des réseaux sociaux, des humains accèdent directement à l’écriture sans jamais avoir appris à « lire », à être critiques. Ils sont confrontés à des débats, à des opinions divergentes, à des remises en question pour la première fois de leur vie.

Comme je l’explique dans « Le coût de la conviction », cette confrontation est souvent violente et conduit au rejet. Les personnes concernées vont se contenter de hurler leur opinion en se bouchant les oreilles.

La solution la plus pertinente serait de patiemment tenter de mettre tout le monde à niveau, d’enseigner la lecture et l’esprit critique.

Le dangereux attrait de l’autoritarisme

Malheureusement, nous sommes enclins à tomber dans nos travers. Ceux qui écrivent ont tendance à se considérer comme supérieurs et ne veulent pas que d’autres puissent apprendre à lire.

Le fait de pointer Facebook et Google dans la propagation de « Fake News » va exactement dans cette direction. Facebook et Google sont intronisés détenteur de la vérité ultime comme l’étaient les médias. En leur demandant explicitement de traiter différemment les “fake news” et les “real news”, nous leur donnons le pouvoir de contrôler ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, nous leur demandons de contrôler la réalité.

Est-ce souhaitable ?

Je pense que ce serait une véritable catastrophe. Au contraire, nous devons être sans cesse confrontés à des informations contradictoires, à des nouvelles qui contredisent nos croyances, à des réflexions qui démontent nos convictions.

Nous devons réaliser que les médias à qui nous avons délégué ce pouvoir de vérité sont mensongers et manipulateurs, même inconsciemment. Ils gardent jalousement l’écriture et sont donc devenus des obstacles à l’évolution de l’humanité.

Si nous voulons sortir de l’obéissance aveugle, nous devons apprendre à critiquer, à accepter nos erreurs. Nous devons apprendre à lire et à écrire !

Désobéir, lire, écrire…

 

Photo par David Fielke.

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