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Printeurs 21

vendredi 1 août 2014 à 18:05
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Ceci est le billet 21 sur 22 dans la série Printeurs

Printeurs est un feuilleton hebdomadaire. Les 19 premiers épisodes sont disponibles sous forme d’ebook.

Une main gantée me tourne brutalement la tête, me tordant le cou. Un léger flash lumineux me fait cligner des yeux.
— Identification rétinienne confirmée, chef !
— Ménagez-le ! gronde une voix. Ce n’est pas un télé-pass.
Immédiatement, je sens faiblir l’emprise des mains sur mon visage et mes épaules. L’étonnement est palpable.
— Pas… pas un télé-pass ? C’est que c’est un criminel alors, pourquoi le ménager ?
— L’identification sur mon prompteur dit de le ménager alors tu le ménages ! Par les couilles de ta mère, tu te prends pour un intellectuel dans Podcast Débat Littéraire ? Si ça se trouve le mec est le fils d’un Actionnaire et tu voudrais le malmener.
— Mais chef…
— Tu fermes ta gueule et tu obéis ! Si ça te convient pas, y’a des milliers de télé-pass qui vendraient le rein qui leur reste pour être à ta place.
— Bien chef !
Avec un ménagement maladroit, la main me force à me relever. Je suis emmené vers un fourgon.
— Si votre altesse veut bien se donner la peine d’entrer, persifle mon guide.
Étonné par mon manque de résistance et de réaction, j’observe avec détachement le siège se mouler aux contours de mon corps et m’enserrer d’une étreinte confortable mais ferme. Sans que je m’en sois rendu compte, mes poignets se sont légèrement enfoncés dans des accoudoirs inébranlables. Je secoue la tête et cligne plusieurs fois des yeux.
— Notre client se réveille !
— L’effet du flash rétinien est encore trop court. Mais il paraît qu’ils y travaillent.
— Y’a des télé-pass qui se plaignent de séquelles permanentes. Comme quoi ça ferait baisser les capacités du cerveau y parait.
— T’inquiète pas, toi tu ne risques rien.
Un rire gras parcourt le véhicule.
— Rigolez ! N’empêche que les télé-pass ont maintenant des flashs de contrebande. C’est un peu comme un shoot : ça ralentit le temps, ça met dans un état second.
— Ralentir le temps chez les télé-pass, cela me semble un bon plan, non ?
— C’est peut-être pour ça qu’ils arrivent à se fournir si facilement.
J’ai du mal à me concentrer. Leur discussion me semble lointaine, détachée de ma réalité. Je lutte pour respirer profondément, garder les yeux ouverts. Le véhicule vient de s’arrêter. L’étreinte de mon siège s’est brusquement détendue et un bras s’est posé sur mon épaule.
— On est arrivé votre Altesse ! Terminus, tout le monde descend !
Je titube, un instant ébloui par la lumière du corridor blanc dans lequel est stationné le fourgon. Un bruit de pas se fait entendre. Le chef s’est retourné et étouffe une exclamation de surprise. Se reprenant, il lance un bref :
— Gaaaaaaaaaard… à vous !
Mes cerbères se sont brusquement raidis. Du coin de l’œil, j’aperçois dans mon dos un uniforme bardé de galons argentés ainsi qu’un costume en civil. Ce dernier ouvre les bras et lance :
— Nellio !
L’un des policiers donne un coup de coude à son voisin en murmurant :
— Couille d’Actionnaire, on dirait que c’est Georges Farrek avec le colonel !
— Merde ! Le Georges Farrek ! Tu crois qu’on pourra lui demander un autographe ?

*

Depuis que nous sommes sortis du commissariat indépendant pour grimper dans une limousine privée, je n’ai pas encore ouvert la bouche. Georges Farrek ne semble pas s’en offusquer et parle pour deux. Du regard, je suis ses lèvres sensuelles, j’observe sans écouter les mots sortir de cette bouche que j’aimerais tant embrasser et qui appartient à l’assassin d’Eva. Eva ! Eva !
— Oui, je sais que la mort d’Eva n’est pas facile pour toi.
Surpris, je réalise que j’ai parlé à voix haute.
— Que veux-tu que je te dise de plus que ce que je t’ai déjà dit, poursuis Georges. Eva comptait beaucoup pour moi également. Je donnerais tout ce que j’ai pour la faire revenir. Je ne suis pas un traître ! J’ai été, comme toi, une victime de cette erreur policière.
Son visage respire la sincérité. Mais n’est-il pas un acteur professionnel ?
— Cela ne nous console pas mais sache que mes meilleurs avocats ont intenté une action contre cette société de milice policière. C’est un véritable scandale ! Ne t’avais-je pas déjà parlé de cela ?
Je secoue la tête sans comprendre. Tendrement, Georges me prend les mains.
— Nellio, après ce que nous avons vécu ensemble, je croyais que tu m’avais pardonné, que tu ne me rendais plus responsable de ce drame atroce.
— Après ce que nous avons vécu ? bégayé-je sans assurance.
— Et puis voilà qu’après Eva, je te perds toi. Je m’en suis voulu de n’avoir pu te protéger. Mais, les Actionnaires soient loués, tu es en vie ! Je n’arrive toujours pas à y croire ! Tu n’imagines pas ma joie quand j’ai reçu l’appel de mon ami le Colonel Affout m’annonçant que tu avais été trouvé par une patrouille d’un commissariat indépendant. J’ai tout abandonné et je me suis précipité avec lui pour te venir te chercher.
La sincérité sue par tous les pores de la peau de Georges. Pourtant, je n’arrive pas à voir dans son comportement autre chose qu’une vaste séduction, un mensonge éhonté dans le seul et unique objectif de m’utiliser d’une manière ou d’une autre. Mais pourquoi ? Quel est le véritable secret de Georges Farrek ?
— Tu ne réponds rien ? Parle moi Nellio ! Dis-moi quelque chose ! Je ne sais toujours pas ce qui t’es arrivé depuis ta disparition ! La police m’a même annoncé ta mort mais je me refusais d’y croire sans avoir vu ton corps.
— Je… Les effets du flash, bredouillé-je.
— Tu as été flashé ? Ah les barbares ! Ces policiers sont pires que les télé-pass les plus réactionnaires. La lie de l’humanité. Ah, je vois que nous sommes arrivé. Le sas privatif est en train de nous connecter à la cage d’ascenseur.
La portière de la limousine s’écarte et cède la place à un étroit couloir tapissé d’un fin plastique semi-transparent. En quelques enjambées, Georges a franchi la distance qui nous sépare de l’ascenseur. Glissant mes doigts sur le fragile tunnel, je m’attarde un peu.
— Je sais que tu n’aimes pas ça, lance Georges avec un rire forcé. Mais, que veux-tu, c’est la rançon de la célébrité.
En quelques secondes, l’ascenseur nous emmène dans un appartement que je ne connais pas. Suivant Georges à travers un long couloir, je me retrouve dans une vaste chambre lumineuse et sobrement meublée.
— Tout doit te sembler confus. Ne t’inquiète pas, il s’agit du flash. Une bonne nuit de sommeil et tu seras en pleine forme pour me raconter tout ce qui t’es arrivé depuis ta disparition.
Il me regarde et me lance un clin d’œil.
— Et puis, j’espère qu’on pourra se remettre au travail !
Le sourire aux lèvres, il tourne les talons avant de se raviser.
— J’oubliais, fait-il. Lorsque tu as disparu, j’ai trouvé ceci. Je sais que tu y tenais, je le gardais en souvenir de toi. Un peu comme une relique. Je me dis que ça te fera plaisir de le retrouver.
Il me glisse un petit objet dur et rond entre les doigts avant de s’éclipser et de fermer la porte. Je regarde ma main. Il vient de me donner une bille. Une petite bille bicolore où s’enchevêtrent sans logique apparente le blanc et le noir.

 

Photo par CICampbell.

Merci d'avoir pris le temps de lire ce billet librement payant. Pour écrire, j'ai besoin de votre soutien. Suivez-moi également sur Twitter, Google+ et Facebook !

Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

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Votre idée ne vaut rien

mardi 29 juillet 2014 à 13:55
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Je suis régulièrement appelé à l’aide par des entrepreneurs ou des startups naissantes qui ont une idée géniale mais qui sont inexplicablement bloqués ou qui n’arrivent pas à se lancer. Après les avoir écouté, ma première réaction est toujours : « Vous n’avez pas d’idée. Vous croyez juste avoir une idée. Et de toutes façons, une idée ne vaut rien. » Sympa le Ploum !

Écrire votre idée

La plupart des personnes que je rencontre me disent travailler à leur idée depuis des semaines voire, parfois, des années. Dans l’immense majorité des cas, elles n’ont rien à me montrer. Tout est dans leur tête me disent-elles.

Or une idée n’existe même pas si elle n’est pas fixée sur papier (ou sur écran). Tant que vous n’avez rien écrit, rien produit, vous n’avez pas d’idée. Vous avez juste une intuition.

Tant que l’idée reste cantonnée dans votre tête et se limite à des discussions orales, elle ne progresse pas, elle ne se confronte pas à la réalité. Votre cerveau oubliera les problèmes et les contradictions, butera sans arrêt sur les mêmes remarques.

Vous pouvez écrire un texte racontant l’expérience d’un de vos utilisateurs. Ou faire un schéma de votre produit. Ou bien imaginer la page web de votre société, celle qui devra convaincre les visiteurs en quelques secondes. Certains préfèrent le mindmapping. Tout est bon du moment que le support soit fixé, que vous puissiez le raffiner et que vous puissiez observer l’évolution.

Tant que vous n’avez rien de concret, rien d’écrit, ce n’est pas du « travail sur votre idée », c’est ce que j’appelle du « branlage de nouille ».

Au fait, non, vous n’êtes pas justement l’être exceptionnel, le seul humain de la terre qui puisse tout faire dans sa tête sans écrire. Si vous n’avez rien écrit, votre réflexion est encore au stade néolithique. Pourquoi croyez-vous que l’invention de l’écriture ait été une révolution ?

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De toutes façons, si vous êtes trop paresseux pour prendre une feuille de papier et mettre votre idée par écrit, abandonnez tout de suite l’idée de créer une startup.

Confronter votre idée

Une fois que vous avez une idée concrète fixée sur un support, vous devez en permanence la confronter. Une fois encore, le support a de l’importance. Si vous n’avez pas de support, vous adapterez inconsciemment votre discours à la personne en face de vous. Vous lui ferez miroiter les bons côtés et vous écarterez les questions dérangeantes d’un haussement d’épaule. Vous compenserez les faiblesses de votre projets par votre rhétorique.

Utilisez toujours un support pour expliquer votre idée. Rien ne vous empêche d’écrire ou de faire un dessin en direct ! Inscrivez toutes les questions, les remarques que vous recevez avant même d’y répondre.

Quelle que soit votre idée, vous recevrez toujours un feedback positif de vos amis et de votre famille. Cherchez le feedback négatif ! Il m’est déjà arrivé de critiquer une idée qu’on me présentait et de me faire remballer car « Tous mes potes trouvent l’idée géniale ».

Soyez aussi particulièrement attentif à l’incompréhension. Si vous n’arrivez pas, en quelques minutes, à expliquer votre idée à une personne comme moi qui est a priori compétente, intéressée par le domaine et prête à vous écouter, ce n’est pas l’auditeur le problème. C’est vous ! N’oubliez pas que, par après, vous aurez à convaincre un public nettement moins réceptif, nettement moins compétent et disposant de nettement moins de temps !

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Enfin, si une personne vous semble enthousiaste, demandez-lui combien elle serait prête à payer, hic et nunc, pour pouvoir utiliser votre service ou produit. Prétendez que vous faites des précommandes. Si la réponse est « Moi, non, mais je suis sûr qu’il y a un marché pour ça ! », une lumière rouge doit s’allumer dans votre cerveau. Les cimetières de startups sont remplis d’idées dont « personne ne veut mais dont tout le monde pense qu’il y a un marché pour ».

La lumière verte que vous devez provoquer est une personne qui, après vous avoir entendu, demande spontanément quand elle pourra se procurer votre produit ou s’inscrire à votre service ou lire votre roman ou voir votre film.

Faire pivoter votre idée

Une notion fondamentale de la création d’une startup est le pivot : vous modifiez votre idée de base pour vous concentrer sur un segment particulier du marché voire pour adresser un besoin complètement différent de celui initialement envisagé.

Si, depuis votre première intuition, vous n’avez pas pivoté, c’est que votre idée ne vaut rien mais que vous y êtes accroché aveuglément.

Est-ce qu’on réussit un chef d’œuvre en jetant de la peinture sur une toile ? Pourtant, c’est ce que fait notre cerveau lorsqu’il a une intuition. En l’écrivant, la décrivant, la schématisant, vous forcerez votre idée à pivoter, à faire des ajustements. En la confrontant, vous générez des pivots plus importants.

Si vous ne savez pas me montrer au moins un pivot majeur dans votre idée, c’est soit que vous êtes le mec le plus chanceux du monde et que vous avez gagné à l’Euromillions trois fois de suite avec des tickets trouvés par terre. Ou bien que votre idée ne vaut rien.

Réaliser votre idée

J’ai eu l’idée de réaliser une peinture qui représenterait une jeune femme au regard et au sourire énigmatique. À votre avis, quelle est la valeur de cette idée ?

Nulle ! Bien entendu. Par contre, la Joconde est un tableau d’une valeur inestimable. Toute la valeur est dans la réalisation. Pour une startup, c’est pareil. Je peux vous citer des services web qui faisaient exactement ce que font Twitter et Facebook avec des années d’avance mais qui n’ont jamais eu de succès. L’idée de base était là mais des tas de petits détails, techniques ou marketing, ont fait la différence.

Je suis également souvent confronté à des « idées géniales » pour laquelle le dépositaire n’a aucune compétence technique. Non, il ne suffit pas de « trouver un programmeur qui va implémenter mon idée » ou un « chimiste qui va faire une batterie super légère qui a une autonomie de plusieurs jours ». Si votre valeur ajoutée se résume à « apporter l’idée et la vision », votre valeur est nulle et l’équipe devrait se débarrasser de vous.

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Chaque jour, 7 milliards d’êtres humains sur terre sont confrontés aux mêmes problèmes que vous. Ils ont accès à la même connaissance, aux mêmes technologies. Ils ont donc les mêmes idées que vous. Votre idée, seule, ne vaut donc absolument rien.

Par contre, chaque réalisation sera unique. Et c’est là que vous pouvez faire la différence. C’est même votre seule solution.

Libérer votre idée

En discutant avec une jeune startup confrontée à un problème majeur, j’ai émis l’idée d’un pivot qui me paraissait sensé. Les créateurs l’ont refusé sous le prétexte que « Ce n’était pas leur idée ».

Vous n’êtes pas votre idée ! Votre idée ne fait pas partie de vous, de votre identité. Elle est mouvante et doit évoluer en se nourrissant de tout ce qui passe à sa portée. Ne perdez jamais une occasion de la décrire, de la présenter et de la modifier.

Vous aurez sans doute peur qu’on vous vole votre idée. Pensez-vous sincèrement être le seul sur 7 milliards d’êtres humains à avoir eu cette idée ?

Si, vraiment, quelqu’un peut « voler » votre idée après quelques minutes de présentation, sans avoir les détails, sans avoir comme vous passé des semaines et des mois de réflexion et de recherche, sans être comme vous passionné par la problématique, c’est que, honnêtement, votre idée ne vaut rien. Elle mérite d’être « volée » ! Je préfère employer le mot « partager ».

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Et puis, si le « voleur » réalise votre idée mieux que vous ne l’avez fait jusqu’à présent, c’est qu’il est plus efficace que vous et que vous n’étiez sans doute pas la bonne personne pour cette idée particulière.

Vous ne devez pas avoir une idée mais 1000 !

Il ne se passe pas une seule journée sans que je crée une startup. Tous les jours, je crée au moins une, si pas deux ou trois startups. Du moins j’en ai l’idée et je les crée dans ma tête. Elles sont toutes géniales jusqu’au moment de les mettre sur papier. Parfois, je vais assez loin dans la description. Certaines idées me semblent tellement bonnes que je travaille dessus pendant un mois ou deux. Je trouve des partenaires. Je discute. Je confronte. Avant de me rendre compte que, peut-être, je n’avais pas d’idée du tout.

J’ai eu l’idée de centaines de billets de blog qui seraient géniaux. Des centaines si pas des milliers ! Parfois, ils me trottent dans la tête pendant plusieurs jours. Puis, j’écris un résumé succinct sur une fiche. Avant de me rendre compte que mes idées sont bien plus confuses que ce que je croyais. Parfois, convaincu, je m’atèle à l’écriture du billet. Voire je le termine. Avant de me rendre compte, à la relecture, que c’est nul. J’ai déjà jeté de longs billets sur lesquels j’avais travaillé pendant près d’un mois.

Heureusement, tout n’est pas à jeter. Sinon vous ne liriez pas ce blog. Mais si vous avez une et une seule idée, alors elle ne vaut rien. Vous devez en avoir mille, dix mille ! En changer tous les jours. En jeter, en trier, en travailler, en abandonner. Et parfois revenir vers une ancienne.

Alors, peut-être, vous trouverez une idée qui, comme toutes les idées, ne vaut rien mais dont la réalisation aura de la valeur. Là, vous pourrez enfin vous mettre sérieusement au travail.

 

Photo par Kris Williams. Je recommande également ce billet sur le blog Freedelity et celui-ci sur le Framablog. Relecture par Thé en Bulles.

 

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Quelle est la valeur de votre temps de cerveau ?

dimanche 27 juillet 2014 à 18:56
geisha

Lorsque je parle du prix libre, j’explique que la valeur n’est pas liée au prix. Au contraire ! En économie, un agent économique ne va justement payer un prix que s’il estime obtenir une valeur supérieure. Si cela semble évident pour l’échange de biens, appliquer la réflexion à la publicité conduit à une seule conclusion : nous devons éviter la publicité à tout prix et la bloquer dès que possible !

Le prix de la publicité

Le but d’une publicité est de se glisser jusqu’à votre cerveau, que ce soit à travers votre vue ou votre ouïe. Le patron d’une chaîne de télévision avait employé des mots très justes pour parler de la publicité en se déclarant « vendeur de temps de cerveau disponible ».

Les publicitaires paient donc un prix à tout support qui, de manière visuelle ou auditive, va donner accès aux cerveaux. Prenons un exemple dont les chiffres sont entièrement fictifs : admettons qu’une agence de publicité comme Google paie 1 centime aux sites web que vous visitez pour chaque publicité que vous visionnez. Ce centime va dans la poche du blogueur ou de l’auteur de la vidéo que vous consultez. C’est leur salaire pour avoir attiré votre cerveau et l’avoir rendu disponible. Google, de son côté, revend votre temps de cerveau 2 centimes à un annonceur.

Le fait que l’annonceur soit prêt à payer 2 centimes juste pour s’afficher un bref instant dans votre champs d’attention est la preuve que, pour cette annonceur, la valeur de la publicité est supérieure à 2 centimes. Si, par mois, vous êtes exposé à 100 publicités de cet annonceur, c’est qu’il est convaincu que vous allez augmenter ses bénéfices de plus de 2€ par mois. Sans doute de 3€ ou 4€ par mois.

Si l’annonceur vend un produit ou un service qui coûte 20€ et sur lequel il fait 10% de bénéfice net (le reste allant aux matières premières, à l’emballage, à la production, aux transports, aux salaires et à la vente), cela signifie que l’annonceur est certain que vous allez acheter au moins 2 produits par mois. Bref que vous allez dépenser 40€ par mois là où l’annonceur a dépensé 2€ et où votre blogueur favori a reçu 1€.

Je vous vois hocher la tête en disant que vous, vous n’achetez pas comme ça. Mais si. Vous le faites sinon l’annonceur ne paierait pas. Mais vous ne vous en rendez même pas compte ! C’est là toute la force de la publicité.

Le coût de la publicité

Tout cela n’est rendu possible que parce que vous avez réalisé un échange économique avec votre blogueur favori : vous lui donnez le contrôle de votre cerveau plusieurs minutes par jour en échange de son contenu. C’est aussi simple que cela.

Rappelons-nous que le temps, c’est la vie. Notre vie n’est faite que de temps. Notre cerveau, c’est nous, notre identité, notre personnalité. Ce que nous échangeons contre un article ou une courte vidéo est donc bien un morceau de notre vie et de notre personnalité. Bref, nous bradons notre bien le plus précieux : notre vie, notre personnalité !

Le premier effet est, bien évidemment, de nous faire dépenser notre argent. Dans cet exemple ce sont 40€ que nous aurions pu économiser en nous passant d’un achat inutile ou en préférant une alternative bon marché.

Mais pour arriver à ce résultat, notre personnalité, notre perception a du être modifiée. En bref, après une publicité, nous ne sommes plus les mêmes. Nous avons transformé notre identité en suivant inconsciemment les directives de l’annonceur.

Cela vous semble exagéré ? Tiré par les cheveux ? N’oubliez pas que l’annonceur donne une grande valeur à ce temps de cerveau auquel vous, vous n’accordez que peu d’intérêt ! C’est la base de l’échange économique : vous cédez ce que vous n’utilisez pas ou ne voulez pas utiliser. Votre cerveau et votre vie.

Certains annonceurs veulent faire interdire les logiciels anti-publicité ? Hormis la dangereuse absurdité technique, j’estime qu’ils devraient, au contraire, être obligatoires ! Mon cerveau, ma vie et ma capacité à penser par moi-même ne sont pas à vendre !

La valeur de la publicité

Ce constat est tellement effrayant que beaucoup refusent de l’admettre et se bercent d’illusions : « moi, je ne me laisse pas influencer par la publicité » ou « j’aurais de toutes façons acheté ce bien ». Malheureusement, toutes les études démontrent le contraire : la publicité a un effet tellement profond que même les publicitaires le sous-estiment.

Pour moi, la conclusion est sans appel : je fuis comme la peste les supports publicitaires. Je n’ai pas la télévision ni la radio. Je ne vais plus au cinéma. Et je ne surfe jamais sans Adblock. Si une vidéo Youtube commence par une publicité, je me pose la question : « Ce contenu mérite-t’il vraiment mon temps de cerveau ? ». Sans surprise, la réponse est toujours « non ». C’est même devenu un indicateur : s’il y a une publicité alors la vidéo a une grande probabilité d’être inutile.

Ce régime strict demande une certaine discipline mais, après quelques semaines, lorsque je suis confronté à une publicité, je ne peux qu’être estomaqué par la violence visuelle et auditive qui est infligée quotidiennement à notre cerveau. Une violence que je n’avais jamais remarqué auparavant. La publicité est comme le sucre de notre alimentation : invisible mais retirez-le pendant un mois et, une fois votre corps déshabitué, il vous dégoûtera.

Et ceux qui vivent de la publicité ? Et bien, comme je l’ai déjà dit, leur business model n’est pas mon problème.

Je soutiens les échanges réciproques de valeur. Je suis prêt à soutenir, flattrer ou faire un don à tout contenu qui m’apporte de la valeur. Si le créateur du contenu se rémunère par la publicité, c’est que ce n’est pas à moi qu’il cherche à apporter de la valeur ! Par essence, le fait d’introduire la publicité va pervertir le contenu.

Lorsqu’un créateur de contenu demande ou exige de son public qu’il fasse ce qu’ils n’ont pas envie de faire (désactiver Adblock), lorsqu’un business en est réduit au chantage moral pour justifier sa survie, fuyez !

Je n’arrive peut-être pas à gagner ma vie avec mon blog. Mais je sais que chaque paiement, chaque contribution à ce blog a été envoyée parce que le lecteur avait envie de le faire, parce qu’il se sentait engagé avec moi dans un échange de valeur réciproque.

Les publicitaires ont tout à gagner du fait que vous soyez abrutis, que votre cerveau perde sa capacité à réfléchir. Cela augmente votre docilité et, par extension, la valeur de votre temps de cerveau. Par opposition, mon intérêt sur ce blog est tout autre. Plus mes lecteurs sont intelligents, plus ils lisent, plus ils découvrent et plus je gagne de l’argent ou des contributions. Leur temps de cerveau m’est donc infiniment précieux !

Alors, à quel type d’échange souhaitez-vous participer ? À quel prix êtes-vous prêt à vendre votre temps de cerveau, votre vie et votre capacité de penser ?

À vous de choisir !

 

Photo par Stevie Gill. Relecture par Aleph Dombinard.

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Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

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Printeurs 20

vendredi 25 juillet 2014 à 18:05
drone
Ceci est le billet 20 sur 22 dans la série Printeurs

Printeurs est un feuilleton hebdomadaire. Les 19 premiers épisodes sont disponibles sous forme d’ebook.

Noir. Néant. Douleur. Sensation d’étouffer.

J’ai l’impression d’avoir été soudainement englué dans une masse huileuse et sombre. Mon corps hurle de douleur, brûle, se consume. Je suis aveugle. Dans la fureur du désespoir je donne des violents coups de pieds, j’agite les bras sans savoir dans quel univers je suis.

Une chute. Fracas de verre brisé, de métal entrechoqué. Mon corps se tord sous les aiguilles de glace brûlante d’une souffrance diffuse. Lumière.

Soudain, sans le moindre éblouissement, je vois. Un halo jaunâtre. Une petite sphère. Une ampoule ! Je suis en train de contempler le plafond ! Lentement, je tente de reprendre contrôle de mon corps. L’insoutenable douleur qui me parcourait semble s’atténuer. Je me tâte les membres et, prudemment, je tente de bouger la tête puis de me relever.

Je suis toujours dans le réduit caché derrière le laboratoire. Autour de moi gisent épars les décombres du scanner multi-modal et de la cuve d’impression dont le liquide robotique s’est répandu dans toute la pièce. Dans la panique, j’ai du la cogner et la renverser. Aussitôt, la lumière se fait dans mon esprit : Max ! Il a trafiqué le scanner multi-modal pour m’étourdir. Son insistance à vouloir me scanner aurait du me paraître suspecte. Le salopard ! De rage, je saisis une plaque de verre que je fracasse à deux mains contre la paroi. L’enflure ! Mais, au fond, était-ce vraiment Max ? Et surtout, pourquoi ? Et s’il voulait se débarrasser de moi, pour quelles raisons suis-je encore en vie ?

Avant toutes choses, il faut que je sorte d’ici, de ce réduit étouffant et sombre. Max a bien entendu refermé la porte camouflée derrière le frigo d’azote. J’essaie de l’ouvrir mais il résiste. Depuis combien de temps suis-je inconscient dans ce réduit ? Je ne ressens aucune faim, aucune soif. Mais je sais bien que ce sont des sensations qu’une simple drogue peut manipuler. Mon inconscience a pu durer un battement de cil comme plusieurs jours.

Prenant mon élan, je m’élance et cogne de tout mon poids la porte derrière laquelle se trouve le frigo. Je rebondis et reste un instant étourdi, comme si je venais de me jeter contre un mur. La porte ne semble pas avoir bougé d’un millimètre.

Calme-toi, respire, fais le vide ! Prends le temps de réfléchir ! L’histoire de l’humanité a prouvé que nos muscles, nos réflexes et nos instincts sont des outils développés pour la vie sauvage dans la jungle ou la savane. À partir de l’époque glaciaire, notre intelligence est devenue l’outil primordial, le seul qui permette de faire la différence. Pourtant, nous gardons encore les stigmates de millions d’années de vie animale. À la moindre contrariété, à la moindre émotion, nous éteignons le cerveau et fonctionnons à l’instinct et à la force physique. Un instinct et une force qui sont bien entendu complètement déplacés dans un monde qui est tout le contraire d’une jungle peuplée d’animaux sauvages.

Réfléchis Nellio ! Réfléchis ! Oublie tes muscles, utilise ton cerveau ! Agis en homme et non plus en animal malgré le cri de tes milliards de cellules !

Si Max ou n’importe qui avait voulu te tuer, tu serais déjà mort. Ce n’est pas le cas. Dans les films, le méchant décide toujours de donner au héros une mort lente et affreuse, le temps pour les scénaristes de lui trouver un échappatoire. Mais nous ne sommes pas dans un film et tu n’es pas un héros. Si on avait voulu te tuer, tu serais mort, point barre. Tout cela ne peut avoir qu’une seule signification : on a simplement voulu te ralentir, te retenir. Donc tu dois pouvoir sortir sans trop de difficulté de cette pièce.

Fort de cette simple constatation, je prends posément le temps d’inspecter la porte. De porte, elle n’a que le nom. Il s’agit plutôt d’un mécanisme qui fait pivoter le frigo tout entier vers l’intérieur. Le frigo est attaché à une paroi qui ne s’encastre même pas dans son encadrement.

Une idée me vient. Ce frigo est un grand parallélépipède posé sur son petit côté. En me jetant dessus, je m’oppose non seulement à leur poids mais également au mécanisme qui s’ouvre vers moi, dans le sens opposé. Par contre, si je pouvais déséquilibrer suffisamment le frigo, il tomberait en avant et emporterait la cloison mobile.

Je pousse un cri de joie et esquisse une danse improvisée. Lorsque tout semble perdu, lorsqu’on est au fond du trou, la moindre idée positive, le moindre espoir semble un bonheur inespéré. Une pointe de fierté m’envahit même à l’idée que l’intelligence a de nouveau pris le dessus sur la force brute.

Rassemblant les débris du scanner, je trouve une longue barre métallique que j’insère dans l’interstice entre le sol et la porte. Afin d’exercer un mouvement de levier, je glisse également une chaise sous la barre. Plein d’enthousiasme, je donne une poussée.

Rien ne bouge.

Aurais-je crié victoire trop tôt ? Prenant une profonde inspiration, je me résous à utiliser les muscles et la force physique. Crachant dans mes mains, je murmure :
— Saint Archimède, donne-moi un levier assez long !

Dans un grand cri, je saute de tout mon poids en m’accrochant au levier. La porte a bougé ! Je hurle, je crie ! La porte bouge ! Encore une fois ! Ho hisse ! Ho hisse ! Aaaaaargh !

Un bruit assourdissement. Je tombe en arrière. Me relevant, je suis un instant ébloui par la lumière du jour qui me parvient à travers les fenêtres du laboratoire. Ça a marché ! Le frigo s’est couché, révélant un espace à un mètre du sol par lequel je m’extirpe sans peine.

La lumière ! L’air frais !

Doucement, j’avance dans les décombres du laboratoire saccagé. Aucune trace de Max. Au fond, quel jour sommes-nous ? Par réflexe, je tente de toucher mes lunettes ou de regarder mon poignet. Soupir ! C’est vrai que je me suis débarrassé de tout objet connecté et que je porte encore ces informes frusques que m’a passées Isabelle.

Prudemment, je sors de l’immeuble et fais quelques pas dans la rue. Personne. La ville semble déserte. Il est vrai que ce quartier n’a jamais réellement brillé par son animation.

Un léger bourdonnement retenti. Machinalement, je lève la tête. Un drone ! Il reste un instant en vol stationnaire, comme s’il me fixait. À travers l’œil de la caméra volante, j’ai l’impression de croiser un regard humain. Un regard fixe, sans haine ni compassion.

Rompant le charme, le drone prend soudain de l’altitude. Comme par réflexe, je porte la main à mon visage pour toucher le maquillage anti-reco… Mon cœur fait un bond ! Le maquillage ! Avec le temps et la sueur, celui-ci s’est dilué. Le drone m’a probablement reconnu.

Paniqué, je lance des regards autour de moi. Derrière moi, une voix mécanique s’élève :
— Nous souhaitons procéder à un contrôle. Veuillez mettre les bras en l’air et ne plus bouger.
Sans réfléchir, je me mets à courir dans la direction opposée. La voix retentit :
— Halte ! Veuillez vous arrêter !
Je m’engouffre dans une ruelle. De toutes mes forces, je me mets a courir, tournant au hasard des croisements, me glissant entre les bâtiments sombres. Mes poumons brûlent mais je continue, sans jamais regarder derrière moi. Une douleur insistante entre mes côtes me force à m’arrêter pour reprendre mon souffle mais, soudain, les formes noires des policiers apparaissent devant moi, la gueule béante des fusils pointée dans ma direction. Je me retourne. D’autres policiers m’ont pris en chasse. Je suis pris au piège, fait comme un rat.
— Nous souhaitons procéder à un contrôle, poursuit la voix. Veuillez être coopératif.
Le bruit des bottes résonne sur les murs étroits de la ruelle. La respiration saccadée, j’hésite une seconde. Le temps semble s’arrêter.

Résigné, je lève des mains tremblantes et m’agenouille d’un geste lent. Le canon d’un fusil vient se poser sur ma tempe.

 

Photo par Duncan Rawlinson

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Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

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L’entreprise qui n’existait pas

mercredi 23 juillet 2014 à 18:26
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Vous connaissez le service web JamJam ? Peut-être l’utilisez-vous régulièrement pour envoyer de l’argent à vos amis ou à vos artistes préférés et pour effectuer vos paiements. Il fonctionne très bien, est efficace et surtout pas cher. Il ne coûte que 0,01% de vos transactions !

Mais vous serez peut-être surpris d’apprendre l’histoire derrière la création de JamJam.

En 2015, un programmeur appelé John Am, connu sous le pseudonyme de Jam, a décidé de se simplifier la vie pour les paiements en ligne en programmant une petite application qui accepterait tous les types de paiement existants et accepterait de payer vers tous les systèmes. Virement bancaires, cartes de crédit, Paypal, bitcoins furent les premiers à être implémenté.

Pour Joh Am, l’objectif initial était évident : en tant qu’indépendant, il recevait des paiements de ses clients sur de multiples systèmes et effectuait lui-même des achats à travers ce que les sites marchands voulaient bien accepter. Il devait donc jongler entre tout ces comptes. JamJam était, au départ, une simple couche d’abstraction doublé d’un plugin Firefox/Chrome qui transformait n’importe quel moyen de paiement en bouton JamJam.

Le système ayant été rendu public, JamJam pouvait optimiser au mieux les flux d’entrée et de sortie grâce à un algorithme intelligent autonome. L’algo minimisait les conversions entre plateformes. Lorsqu’on demanda à John Am d’intégrer d’autres moyens de paiement, il répondit avec une API simple avec laquelle tout le monde pouvait programmer un nouveau moyen de paiement pour JamJam. Les sites de vente commencèrent à se simplifier la vie en ajoutant un simple bouton JamJam qui permettait à l’utilisateur de choisir le moyen de paiement de son choix. Y compris le transfert direct entre compte JamJam.

À 0,01%, JamJam n’était pas rentable. Pas encore. Mais cela ne gênait pas John Am qui avoua sur un forum n’avoir jamais envisagé d’en faire un business. Par contre, il souhaitait se détacher de la maintenance de JamJam. Victime de son succès, la plateforme nécessitait en permanence l’adjonction de ressources supplémentaires. Le site, au design très simple et épuré, n’était par contre plus modifié. Et, comme le soulignait Joh Am, les utilisateurs eux-mêmes introduisaient les nouveaux moyens de paiement ou les adaptaient lorsqu’un fournisseur modifiait son API.

Après plusieurs semaines de silence, John Am annonça avoir développé un algorithme dans JamJam qui analysait les tarifs des différents prestataires d’hébergement de type cloud, comme Amazon S3. L’algo commandait les ressources en fonction des besoins et migrait automatiquement vers le prestataire le plus intéressant. Le renouvellement du nom de domaine et sa gestion était également inclus. Les paiements se faisaient automatiquement grâce au peu d’argent que JamJam générait.

Un an plus tard, John Am annonça fièrement n’avoir plus touché à JamJam pendant près d’un an. Il n’avait strictement rien fait. Pourtant, le site continuait à tourner, à être utilisé et, mieux, avait même généré un bénéfice important ! Histoire de s’amuser, John Am avait lancé un petit programme de trading automatique qui achetait des actions ou des actifs et les revendait. Le programme était même capable de créer plusieurs comptes sur les différentes plateformes de trading. L’algo jonglait avec les produits dérivés et les plateformes de trading installées dans les pays où les vérifications d’identité n’étaient pas strictes. Jam annonça que, pour cet algo, il avait même ouvert des comptes à numéro dans plusieurs paradis fiscaux. Les bénéfices y seraient versés. Une simple blague de potache, selon John Am.

En quelques années, JamJam est devenu l’une des plateformes de paiement les plus importantes au monde. Son chiffre d’affaire est un mystère total mais certains chercheurs l’estiment à plusieurs dizaines de millions de dollars par mois. Le chiffre de cent millions mensuels a même été avancé. JamJam est donc une société commerciale extrêmement importante.

John Am, de son côté, avait complètement disparu de la circulation. Plus le moindre message, plus la moindre annonce. De temps en temps, un blogueur se plaisait à l’imaginer sur une île paradisiaque ou dépensant son argent en fêtes et jets privés. Son visage n’étant pas connu du grand public, il pouvait être partout !

Il y a quelques mois, un groupe de blogueurs annonça avoir retrouvé la trace de John Am qui ne serait autre que John Armsbrough, un jeune hacker anglais qui vivait dans une banlieue cossue de Londres. Les premiers utilisateurs de JamJam qui l’avaient rencontrés ou qui avaient discuté avec lui en vidéo conférence le confirmèrent sans hésitation : John Am était bien John Armsbrough. Sous son vrai nom, il tenait également un blog de poésie dont l’analyse sémantique ne laissa aucun doute : l’auteur du blog et l’auteur des communiqués de JamJam ne faisaient qu’une seule et même personne.

Cependant, il y avait un problème. Et de taille ! John Armsbrough était décédé deux ans plus tôt dans un stupide accident, une semaine après s’être offert une puissante voiture de sport pour son vingt-neuvième anniversaire. Si quelques rares amis proches avouèrent être au courant qu’il était à l’origine de JamJam, personne n’avait la moindre idée de comment fonctionnait JamJam ni comment étaient gérés les bénéfices. JamJam semblait exister sur plusieurs plateformes d’hébergement et, en cas de suppression de compte sur l’une, migrait automatiquement sur l’autre avant de recréer des comptes sous différents pseudonymes.

Où vont ces bénéfices aujourd’hui étant donné que JamJam ne paie aucun salaire, aucun bâtiment ? Ni même aucun impôt vu que JamJam n’existe dans aucun pays ! Personne ne le sait avec certitude. Certains pensent qu’ils s’accumulent. D’autres que John Am a bel et bien implémenté son robot trader et que l’argent est investi de manière continue. Dans les milieux financiers, JamJam est devenu une légende. Face à certains mouvements inexplicables, les traders ont désormais coutume de dire « Encore un coup de JamJam ! ».

Sur le web, certains fanatiques tentent désormais d’analyser les mouvements financiers. Ils se basent également sur des statistiques d’achats des sites utilisant JamJam et des sondages auprès des internautes. Selon certaines estimations, le trésor accumulé par JamJam serait colossal et ne ferait que croître. D’ici quelques années, JamJam deviendrait probablement une des entreprises les plus riches de la planète. Contrôlant une transaction sur 10 dans le monde, tous moyens de paiement confondus, elle serait à elle seule propriétaire de près de 1% des actions des entreprises du Fortune 500. Elle serait également dans le top 10 des plus gros propriétaires d’or, d’argent et de bitcoins.

Le seul problème est qu’aucun être humain n’est plus lié à JamJam. Tant du point de vue juridique que géographique, l’entreprise n’existe pas !

 

Photo par Thomas Guignard. Relecture par François Martin.

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Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

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