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Printeurs 25

vendredi 29 août 2014 à 20:21
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Ceci est le billet 25 sur 28 dans la série Printeurs

Alors qu’il explore le commissariat en compagnie de Junior Freeman, le policier qui lui a sauvé la vie lors de l’attaque des drones kamikazes, Nellio insiste pour rencontrer le mystérieux John, un homme dont le témoignage est tellement dangereux pour le monde de l’industrie que Georges Farreck l’a placé au secret sous protection rapprochée.

Je lève les yeux. L’homme m’est totalement inconnu. De taille moyenne, maigre, les cheveux épars, Monsieur John semble avoir enduré privations et souffrances. Son visage est constellé de plaques rouges. son crâne révèle des zones d’une calvitie chaotique et aléatoire. Je suis frappé par son regard noir, pénétrant. Naïvement, j’avais espéré que la vision de ce fameux John déchirerait le voile de mon amnésie. Mais l’homme m’est totalement inconnu. Cela ne semble pas être réciproque car John s’est figé dans un rictus de pur effroi. La terreur se lit sur ce visage dont la bouche est restée ouverte, laissant sa dernière phrase en suspens. Je décide de rompre le silence glacé qui s’est installé entre nous.
— Bonjour John, je suis Nellio, un ami de Georges. Je suis touché par une crise d’amnésie et j’espérais que vous puissiez m’aider. Nous connaissons-nous ?
Son visage semble se détendre progressivement, dessinant un sourire mielleux et faussement obséquieux.
— Enchanté Nellio. Non, malheureusement je ne vous connais pas. Je ne pense pas pouvoir vous aider.
Sa voix est rauque, rocailleuse. Il s’exprime dans notre langue avec difficulté, teintant son élocution d’un accent dégénéré. Pendant un fugace instant, j’ai la conviction qu’il ment. Sans pouvoir l’expliquer, je le sens, je le vois à travers tous les pores de sa peau.
— Qui êtes-vous ? Comment connaissez-vous Georges Farreck ?
Il me regarde étonné.
— Mais vous devriez le savoir. Je suppose que si vous avez accès à moi, vous êtes au courant. Demandez à Georges Farreck de vous raconter. Je ne suis qu’un modeste travailleur qui cherche à faire le bien de l’humanité.
— Pourquoi êtes-vous sous protection ?
— Monsieur Farreck prétend que ma démarche risque de m’attirer des ennuis. Que l’on voudrait taire les révélations que je suis en mesure de faire.
— Quelles révélations ?
— Et bien celles concernant mon travail. Mais je pense que le mieux est d’en discuter avec Monsieur Farreck.
Une main se pose sur mon épaule.
— Dîtes, honnêtement, je pense que les avatars sont beaucoup plus marrants que ce type. Et comme le règlement interdit aux étrangers d’accéder au centre de contrôle, j’aimerais vous le faire visiter avant que les autres ne reviennent.
Je regarde Monsieur John dans les yeux. Je ne pense pas que j’en tirerais quoi que ce soit. Il contourne, esquive et glisse comme une anguille. Il affiche à présent un air tellement innocent que mon impression initiale de roublardise s’est totalement dissipée. Je pousse un soupir.
— C’est bon mon vieux, je vous suis. Allons voir ces fameux avatars !
Tournant les talons, j’adresse un dernier regard à ce fameux John dont les révélations semblent si fracassantes. Il se tient modestement au milieu du salon et m’adresse un sourire gêné.
— Désolé de ne pas être d’une grande aide. Repassez me voir quand vous le souhaitez !

*

— Attendez, je vais allumer !
Junior tâtonne un instant avant d’activer un antique interrupteur mural. Le clignotement des néons résonne à travers le hangar.
— Et voilà les avatars ! me fait Junior avec fierté.
Comme un enfant à la fête de l’école, il m’attrape la main avec enthousiasme et m’emmène devant une rangée de policiers immobilisés dans un silencieux garde-à-vous.
— Et celui-là, c’est moi !
Je reconnais en effet le policier qui m’a tiré de la voiture. Le badge “J. Freeman” se détache sur la carapace de chitine artificielle. Incrédule, j’avance la main et je tâte les éclats d’obus et de balles.
— Oui, c’est vrai, il doit encore passer à l’entretien.
Je me retourne vers Junior :
— Ces policiers… Ce sont donc des robots ?
— Des avatars ! Pas des robots, des avatars !
— Quelle différence ?
Je tape sur le policier qui renvoie un son métallique.
— La différence est fondamentale ! Je vais vous montrer.
Nous ressortons aussitôt du hangar et Junior me conduit dans une salle bardée d’écrans et de matériel informatique. La pièce est constellée de zones circulaires entourées chacune d’une rampe sur laquelle pendent des câbles et des accessoires.
— Le centre de contrôle ! Le saint des saints !
— C’est d’ici que vous pilotez les robots ?
Il me jette un regard noir par dessus ses lunettes.
— Que nous incarnons les avatars !
Sans un mot d’explication, il pénètre dans l’un des cercle et m’invite à y prendre place.
— Enfilez ça ! fait-il en me tendant une paire de fins gants accrochée à la rampe.
Tandis que je m’exécute, il se saisit d’un casque intégral.
— Baissez la tête ! Fermez les yeux et attendez mon signal !
Noir ! Je suis dans le noir. Un noir total, étouffant. Le silence me prend à la gorge. Plongé dans une abysse de noirceur, j’entends la voix de Junior qui me parvient d’une hypothétique surface inhumainement lointaine, définitivement hors d’atteinte.
— Vous êtes prêt ? Go !
La lumière se fait. Les néons blafards du hangar m’éblouissent une fraction de seconde. Le hangar ! Je me retourne pour demander des explications à Junior. Un grincement métallique me parcourt le corps. Je baisse les yeux. Mon corps. Je manque de pousser un hurlement. Je palpe, je touche un corps de métal et de matériaux composites blindés avant de réaliser que ma main gantée est entièrement robotique. Je la porte à hauteur de mon visage. Pas de doute, je suis devenu un robot ! Je…
— Alors, vous avez compris la différence ?
Je suis dans le centre de contrôle face à Junior, la main toujours à hauteur de mes yeux. Il tient le casque qu’il vient de me retirer.
— Waw ! fais-je dans un souffle.
Son sourire s’élargit jusqu’aux oreilles, ouvrant une fente béante dans son visage ravagé par l’acné et le manque de soleil.
— Génial, non ? Les avatars ça ne s’explique pas, il faut les vivre. C’est pour ça que je voulais que vous testiez.
Tout en retirant mes gants, je cligne des yeux pour reprendre mes esprits.
— C’est hallucinant de réalisme, fais-je. J’avais l’impression d’y être.
— Mais vous y étiez ! Réfléchissez un instant : votre cerveau reçoit en permanence les informations de votre corps sous forme d’impulsions électriques. Il réagit par le même canal. Le casque permet d’envoyer au cerveau les impulsions perçues par l’avatar et de le contrôler. C’est comme si votre cerveau avait été mis dans l’avatar. Bref, vous étiez réellement l’avatar.
— Pas réellement, pinaillé-je. Moi j’étais toujours ici !
— Pourtant, lorsque vous faites de la vidéoconférence avec des personnes aux antipodes, vous dites “J’ai assisté à la réunion”. Votre moi ne se définit pas par votre corps physique mais bien par là où se porte votre attention.
Je tente de détourner la conversation.
— C’est donc cette espèce de drone sur pattes qui m’a sauvé la vie ?
Sous le coup de la colère, un bouton d’acné explose sur le front de Junior.
— Mais non ! C’est moi qui vous ai sauvé la peau ! Moi Junior Freeman, commando d’élite ultra-entraîné. Votre peau, c’est à moi que vous la devez !
Alors qu’il dit ces mots, je réalise que j’ai toujours la main levée, à hauteur de mes yeux.
— Ma peau ? Ma peau !
Un souvenir vient de fulgurer à travers mon esprit.
— Ma peau ! Vite, un couteau ! Donnez-moi un couteau ! Ou n’importe quel objet tranchant !
Junior me regarde d’un air dubitatif.
— Je suis pas sûr d’avoir envie de vous donner un objet tranchant.
À son regard, je devine qu’il me considère comme fou à lier. Mais que sur son échelle de valeur, fou est nettement plus intéressant que normal ou banal. Je retire précipitamment le gant et pose ma main sur la rampe d’un geste décidé.
— Alors je vous fais confiance. Incisez-là ! dis-je d’une voix ferme en désignant le dos de ma main.

 

Photo par NASA.

 

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Pas aujourd’hui !

jeudi 28 août 2014 à 19:16
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Aujourd’hui, nous vivons dans un univers de listes sur lesquelles nous avons perdu prise et qui nous contrôlent. Mais je vous propose de reprendre ce contrôle avec un principe simple : “Pas aujourd’hui !”

Afin de s’organiser, les humains ont développé une propension toute particulière à créer et remplir des listes. Aujourd’hui, nous sommes à l’apogée de la civilisation de la liste : emails, todos, liste de lecture, liste de films à voir, liste de bonnes résolutions, liste de commissions.

Lorsque nous créons une liste, c’est avec le secret idéal de la vider. Un jour, ma liste de todos, ma liste de mails et ma liste de commissions seront vides. Ma liste de listes sera vide également. Ce jour là, je pourrai enfin souffler ! Ou m’attaquer à la liste des choses à faire le jour où mes listes seront vides…

Or, force est de constater que cette situation est entièrement illusoire. Les listes ont la fâcheuse tendance à se remplir plus vite qu’elles ne se vident. Cette situation a pour résultat catastrophique que nous n’avons plus aucun incitant à vider les listes. Quel est l’intérêt de travailler une journée pour faire passer une liste de todos de 232 items à 208 ? Voire à 231 ! Aucun. Donc autant ne rien faire.

Comment avons-nous pallié ce problème ? En créant des listes dans les listes mais sans que ça ressemble à des listes : on assigne des priorités, on utilise le status lu/non-lu pour créer deux listes, on crée un hiérarchie de fichiers pour classer et trier nos listes. Bref, nous ajoutons des listes aux listes et nous plaçons le tout dans des listes de listes. Non seulement ce n’est pas très efficace mais c’est de plus absurde. À quoi sert de définir une priorité dans une liste ? Soit l’élément doit être réalisé, soit il doit être supprimé de la liste. Les éléments en priorité basse se verront toujours dépasser par des nouveaux éléments de haute priorité et ne servent donc qu’à remplir la liste.

En gros, nous avons du mal à supprimer consciemment des éléments de nos listes et nous préférons refuser le contrôle de nos listes pour ne pas avoir à prendre une décision ferme. Toute notre structure de listes, de répertoires, de priorités ne sert, finalement, qu’à se dédouaner.

Si j’expose le problème, vous vous en doutez, c’est que j’ai une solution à proposer. Et, conceptuellement, cette solution est simple. Il “suffit” de vider ses listes. Inbox 0 !

J’ai déjà expliqué en détail comment parvenir à l’Inbox 0 et pourquoi vous n’êtes pas à Inbox 0. Et bien vous pouvez appliquer la même méthode à toutes vos listes.

En premier lieu, vous devez éviter à tout prix de rajouter des listes aux listes. Bannissez les priorités, les folders, les classements divers. Dans les mails, un mail est soit dans l’inbox, soit archivé. Tout autre classement est un obstacle à l’inbox 0. Les todos sont soit faits, soit à faire. Le travail de classement est une dangereuse procrastination qui donne l’illusion de productivité.

Mais cela ne résout pas le problème fondamental qui est que votre liste est une montagne et que vous n’avez aucune motivation pour vous y attaquer. C’est ici qu’intervient un concept fondamental de l’Inbox 0 : pas aujourd’hui !

Pour chaque élément de vos listes, vous devez pouvoir consciemment décider : “Non, ça je ne ferais pas aujourd’hui”. Au fur et à mesure de la journée, les imprévus s’intercalant, vous raffinerez “Finalement, celui-là, pas aujourd’hui non plus”.

Cette approche a même été poussée à son paroxysme avec le gestionnaire de todos Do It Tomorrow.

Mais on peut envisager de raffiner la fonctionnalité en repoussant un élément de la liste à une date donnée : dans une semaine, dans un mois, le 3 novembre. C’est pour cette raison que, dès sa conception initiale, GTG comportait le principe de “start date”. Any.do propose également de passer en revue sa liste de tâches chaque matin et de décider celles qui sont pour aujourd’hui et celles pour un autre jour. Pour les mails, Mailbox vient d’implémenter exactement ce principe avec un certain succès. Au contraire, je n’insisterai jamais assez sur le fait que tous les gestionnaires de projets, de tâches, de todos ou de listes en général qui n’ont pas cette fonctionnalité finiront par devenir tôt ou tard des trous noirs, des listes qu’on remplit mais dont personne n’ose plus explorer autre chose que la surface.

Par rapport aux gestionnaires classiques, le résultat de la méthode “Pas aujourd’hui !” est sans appel : vous êtes aux commandes de vos listes. Vous êtes forcé de passer en revue chaque élément et de décider consciemment de ne pas faire quelque chose aujourd’hui. Résultat : il est parfois plus facile psychologiquement de le faire plutôt que de le repousser. Quoi que vous décidiez, vous êtes aux commandes de vos listes et de votre vie. Vous prenez des décisions.

Et, chaque soir, en regardant vos listes vides, vous aurez la délicieuse satisfaction du travail accompli !

 

Photo par Palo.

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Laissez-vous guider par la jalousie positive !

mardi 26 août 2014 à 22:11
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Il y a quelques années, j’ai découvert que j’étais, sans le savoir, quelqu’un de très jaloux, particulièrement envieux du succès des autres. Et plutôt que de combattre cette tendance, j’ai décidé d’en tirer parti. Utiliser ma jalousie comme une force plutôt qu’une faiblesse m’a permis de modifier durablement ma façon d’être.

Lorsqu’une connaissance me faisait part d’un projet, j’avais tout naturellement tendance à l’encourager et à lui souhaiter sincèrement le plus grand succès. Untel travaillait dur pour devenir violoniste ? J’étais de tout cœur avec lui. Je n’hésitais pas à faire sa promotion et à le soutenir. D’ailleurs, j’avoue que l’idée d’être ami avec un violoniste célèbre m’emplissait d’une certaine fierté.

Par contre, si ce projet rentrait dans un domaine de compétence proche du mien, j’avais tendance à voir tous les défauts, tous les problèmes possibles. Un projet informatique ? D’écriture ? Sur le web ? “Cela ne marchera jamais” disais-je. En fait, au fond de moi, je ne voulais pas que ça fonctionne.

Je ne voulais pas qu’il réussisse, je lui souhaitais même l’échec. Car j’étais aussi compétent que cette personne dans ce domaine. Je n’avais pas eu de succès dans ce type d’entreprise ou je n’avais même pas osé me lancer. Si cette personne réussissait là où j’avais échoué ou là où je n’avais même pas commencé, cela serait… Non, le projet ne devait pas réussir !

Il m’a fallu des années pour comprendre que ce sentiment était de la jalousie pure et simple. La peur de se faire dépasser.

Mais plutôt que de me soigner, de tenter de faire disparaître ce sentiment, j’ai décidé de l’utiliser. Si je suis jaloux d’une personne, c’est que j’ai à apprendre d’elle. Si je souhaite l’échec d’un projet, c’est que je dois absolument l’observer voire y contribuer.

Ce simple paradigme a bouleversé ma vie. En à peine quelques mois, j’ai observé que mon cercle d’amis et de connaissances s’élargissait et s’enrichissait de personnes particulièrement intéressantes.

Alors que je me plongeais dans les projets que j’aurais voulu créer moi-même, je découvrais des subtilités, des problèmes que je n’aurais probablement pas été capable de relever seul. En fréquentant les personnes que je jalousais, j’apprenais les sacrifices qu’elles avaient dû faire, je comprenais les différences qui nous séparaient. Et j’en arrivais à ne plus les jalouser du tout voire, dans certains cas, à être heureux de ne pas être à leur place.

Contribuant à ces projets dont j’avais initialement souhaité l’échec, je finissais par les encourager à tout prix, à m’associer à leur succès. À chaque fois que je dépassais les simples apparences, de celles qui rendent envieux, je découvrais un monde complexe et des conséquences parfois insoupçonnées.

Utiliser ma jalousie comme un indicateur, comme un phare m’a permis d’apprendre, de découvrir les autres, de savourer les succès de mon entourage et, surtout, de me réjouir de mes propres accomplissements. Au fond, la jalousie est peut-être ma qualité innée la plus importante. Il m’a seulement fallu beaucoup d’années avant de comprendre comment en tirer parti.

 

Photo par Indy Kethdy.

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Printeurs 22

vendredi 8 août 2014 à 17:14
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Ceci est le billet 22 sur 22 dans la série Printeurs

Emportés dans le torrent impétueux de la vie, obnubilé par le présent, terrifié par le futur, nous en oublions parfois du prendre du recul, de savourer les moments de bonheur et les tournants inattendus que prend notre existence.

Par exemple se réveiller dans des draps doux et propres. Se faire apporter le petit déjeuner au lit par Georges Farreck. Le grand, l’unique Georges Farreck. Mater subrepticement le dessin de ses fesses à travers sa robe de chambre. Ajouter le piment de l’interdit en dégustant un croissant prohibé au beurre animal. Observer en silence les muscles saillants du cou de Georges se fondre avec le col en soie de son peignoir. Déguster. Profiter.

Alors, oui, Georges est peut-être un traître. Il est sans doute l’assassin d’Eva. Mais, sincèrement, aurais-je pu imaginer que Georges Farreck m’apporterait un jour le petit déjeuner au lit ? Que de chemin parcouru depuis cette désormais lointaine conférence où mon regard croisa celui d’Eva. Que de douleur et de sang. Eva. Max. Mais, en cet instant, en cette sublime seconde, peu me chaut. Je suis à moitié nu sur un lit avec Georges Farreck tandis que les miettes d’un croissant fondent sur ma langue.

— Alors Nellio, bien dormi ? Bien remis des émotions de hier soir ?
Georges me dégaine ce sourire irrésistible avec lequel il a bâtit sa carrière.
— J’avoue que je n’espérais pas te revoir, poursuit-il. J’étais réellement convaincu de ta mort.
— Ah ? fais-je tout en mastiquant soigneusement mon croissant.
— Il est vrai que l’on n’a pas retrouvé ton cadavre. Juste cette bille ensanglantée sur la nacelle. Et comme tu m’avais dit en rigolant que c’était ton porte-bonheur…

Je manque de m’étouffer et tousse bruyamment. Georges me tape amicalement dans le dos.
— De… Quoi ? Quelle nacelle ?
Georges paraît surpris.
— Et bien, celle du zeppelin bien entendu. L’enquête a déterminé que tu étais tombé dans le vide au cours d’une lutte avec un ouvrier temporaire, un ancien télé-pass en période de stage qui a lui aussi disparu. Ce que j’aimerais savoir c’est par quel miracle tu t’en es sorti vivant et pourquoi tu as attendu toutes ces semaines pour réapparaître. Et pourquoi es-tu retourné à proximité de notre ancien local ? Tu sais pourtant bien qu’il était grillé !
— Zeppelin ? Grillé ? Toutes ces… semaines ? Mais… quelle date sommes-nous ?
Malgré tout son talent, je perçois un net mouvement de recul chez Georges.
— Nellio ?
Sans qu’il n’aie esquissé le moindre mouvement, le moindre geste, la porte s’ouvre brutalement. Quatre hommes habillés de blanc se jette avec une rapidité effrayante sur moi et me maintienne au sol. Je sens une fine aiguille s’enfoncer dans la peau de mon bras.
— Excuse-moi Nellio, mais ton comportement est étrange. Je dois m’assurer que tu es bien celui que tu prétends être.
— Bien sûr que je suis Nellio ! Qui veux-tu que je sois ?
— Nellio, quel est ton dernier souvenir avec moi.
Je le regarde dans les yeux.
— Je suis dans ton appartement. Les policiers font irruption. Eva est tuée. Je saute par la fenêtre.
Georges ouvre la bouche, reste un instant interdit et se reprend.
— Continue Nellio. Raconte-moi !
— J’arrive au sol sans dommage grâce au câble d’évacuation. Je m’enfuis et je me cache dans notre local. Là…
J’hésite un instant. Puis-je révéler à Georges l’existence de la pièce secrète ?
— Continue ! m’encourage-t-il. Continue !
— Et bien, là, je… je fouille les décombres.
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas trop pourquoi. Par désespoir peut-être. Bref, je m’approche d’une armoire en équilibre instable. Je sens un grand choc sur ma tête. Je ne sais pas combien de temps je suis assommé mais je me réveille. Je titube dehors et je suis arrêté par une patrouille de policiers.
— Tu parles de policiers. Quelques télé-pass à qui on donne une arme afin de calmer les autres. Quelle bande d’amateurs ! Mais au fait Nellio, tu n’as pas oublié un épisode ?
Je panique un instant. Georges serait-il au courant de l’existence de la pièce secrète ? Après tout, peut-être l’a-t-il lui-même installée !

D’un geste de la main, il me montre la bille blanche et noire.
— Je veux parler de ça. Et des vêtements que tu portais. Comment te les es-tu procuré ?
Je pousse un soupir.
— J’ai trouvé refuge provisoire chez une télé-pass. Mais c’est un détail.
— Son nom ?
— Isabelle. Mais pourquoi cet interrogatoire ? Et pourquoi suis-je maintenu de force par tes quatre cerbères ? Pourquoi sont-ils entrés ?
— Ils sont entrés car je les ai appelés.
De l’index, il me désigne son neurex avant de s’adresser à l’homme qui a enfoncé l’aiguille dans le pli de mon coude.
— ADN ?
— Identique monsieur. Aucune tentative de masquage ou d’altération.
— C’est bon, lâchez-le. C’est bien lui.
Aussi rapidement qu’ils étaient entrés, les hommes se retirent en silence. Tandis que je me masse les poignets et m’assieds sur le lit, Georges me regarde d’un air dubitatif.
— Je les ai appelé car j’ai eu un doute quand à ton identité réelle. Mets-toi à ma place. Un ami que je crois mort et disparu depuis plusieurs semaines fait une soudaine réapparition. Il agit bizarrement et ne semble pas se souvenir du dernier mois passé ensemble.
— Du… du dernier mois passé ensemble ?
Georges semble hésiter. Nerveusement, il frotte ses doigts sur ses lèvres. Je l’entends murmurer machinalement : « Amnésie, amnésie ». Il se tourne brusquement vers moi.
— Nellio, j’aimerais continuer avec toi le travail commencé. Mais tu dois me faire confiance.
— Mais… Mais je te fais confiance Georges.
— Non Nellio. Tu mens. Tu me crois responsable de la mort d’Eva. Je le sais. Je sais ce que tu penses. Je sais également que j’arriverai à te prouver mon innocence, à te convaincre de coopérer avec moi à un plan pour délivrer l’humanité toute entière. Mais cela va prendre du temps et, malheureusement, ce temps ne nous est plus imparti. Il faut accélérer. Il faut agir comme si je t’avais déjà convaincu.
— Mais comment peux-tu être aussi sûr ? bredouillé-je.
— Parce que, Nellio, il y a deux mois d’ici, nous avons eu exactement la même conversation.
— La même conversation ?
— Oui. Le lendemain de l’accident dans mon appartement, une patrouille de commissariat indépendant t’as trouvé au même endroit que hier, tenant le même discours et portant les même vêtements. Tu as passé la nuit dans cette même chambre. Chambre qui fût ensuite la tienne jusqu’à ta disparition.
— Il y a deux mois ? Mais… Mais ce n’est pas possible ! Tu inventes ! Tu essayes de me manipuler !
Georges se lève et dépose un petit objet dur entre mes mains.
— Réfléchis Nellio ! Réfléchis !

Par l’entrebâillement de la porte restée entrouverte, une forme rousse se glisse brusquement dans la chambre. En un éclair, la forme bondit et atterrit sur mes genoux où elle se met à ronronner en frottant son museau contre mon corps. George rigole.

— Si j’avais encore le moindre doute, le voilà levé. Guenièvre déteste les étrangers. Visiblement, tu n’en es pas un !

Tout en caressant l’énorme chat roux, je déplie les doigts et j’observe la bille que Georges vient d’y déposer. Une bille bicolore où le noir et le blanc se mélangent sans logique apparente.

 

Photo par Robyn Lee.

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Venez découvrir les histoires de Ploum dans mon Tipeee

jeudi 7 août 2014 à 20:25
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Depuis que ce blog est payant, j’explore les différentes formes que peut prendre le prix libre. Comme vous le savez certainement, je suis tombé amoureux du principe de Flattr. Mais aujourd’hui j’aimerais vous parler des plateformes Tipeee et Patreon.

Flattr, le soutien du contenu

Ce qui m’a séduit chez Flattr, c’est la souplesse offerte au fan. Il suffit de déterminer un budget fixe par mois et on ne doit plus s’occuper de rien d’autres. De plus, Flattr permet d’être réellement exigeant et de soutenir les contenus de haute qualité. Flattr est fortement centré sur le contenu. Si vous ne connaissez pas encore Flattr, je vous invite à lire ce billet.

Par contre, Flattr possède deux désavantages de taille.

Premièrement, les artistes n’ont aucune idée de ce qu’ils vont toucher avant la fin du mois. La valeur d’un flattr individuel varie, rien que chez moi, entre 0,01€ et 10€. Si j’observe une moyenne relativement stable, aux alentours de 0,60€ le flattr, elle n’est aucunement garantie. La conséquence directe est que les artistes n’aiment pas Flattr, l’utilisent peu et n’en font pas la promotion.

En second point, flatter reste très difficile. Pour chaque contenu que le fan veut soutenir, il doit décider explicitement de cliquer sur le bouton Flattr. Mais si le contenu est lu à travers Pocket ou un lecteur RSS, l’opération devient complexe voire, comme quand je lis des articles sur mon Kobo, impossible. Et encore faut-il que l’artiste ait mis le bouton Flattr bien en évidence sur chaque article de son site ce qu’il fait rarement à cause du premier point sus-cité. Sans compter que tout cela doit se faire lorsque le serveur Flattr n’est pas en rade, ce qui n’est pas gagné.

Patreon et Tipeee, le soutien de l’artiste

C’est pour palier à ce problème que l’artiste Jack Conte a lancé Patreon. Alors que Flattr était lancé par des fans pour des fans, Patreon est lancé par un artiste pour les artistes. Le principe de Patreon est très simple : le fan promet une petite somme d’argent pour chaque contenu produit par l’artiste, avec une limite mensuelle. Un fan pourra, par exemple, proposer 1€ par chanson du musicien Untel et 3€ par vidéo du Youtubeur Machin.

Pour l’artiste, la situation est idéale : il sait exactement combien il va gagner par contenu produit. Il sait également qu’il suffit de convaincre le fan de s’inscrire une seule fois et que les paiements seront ensuite automatiques. Bref, cela résout les problèmes de Flattr et c’est la raison pour laquelle les artistes se sont précipités sur Patreon après avoir ignoré superbement Flattr. Patreon étant fort axé sur les États-Unis, un clone francophone européen a vu le jour : Tipeee.

Contrairement à Flattr, qui est centré sur le contenu, Patreon et Tipeee sont centrés sur l’artiste. Si c’est tout bénéfice pour l’artiste, cela a un coût pour le fan qui aura plus de mal à contrôler son budget et qui se voit obligé de soutenir tous les contenus de l’artiste qu’il apprécie.

Ploum sur Patreon et Tipeee

Pour un blogueur comme moi, Flattr est idéal. En l’utilisant, vous m’indiquez en effet quels sont les contenus que vous préférez et que vous voulez soutenir. Mais étant donné la qualité très disparate de mes billets, je ne peux décemment pas demander de soutenir l’écriture de chacun de mes billets sur Patreon ou Tipeee.

Par contre, comme vous l’avez peut-être remarqué, je me suis lancé dans la publication de mini-livres électroniques : des nouvelles, des recueils de textes ou des essais plus poussés qu’un simple article de blog. Chaque mini-livre est publié comme un très long billet de blog mais est également disponible au format epub et pdf.

Écrire et publier ces mini-livres me demande beaucoup plus de temps et de travail qu’un simple billet. Aussi, je vous propose de soutenir leur écriture, que ce soit par Patreon ou Tipeee, à votre convenance. Patreon est en dollars et fonctionne par carte de crédit ce qui génère une taxe variable assez élevée. Tipeee est en euros et prend une commission de 8%.

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Mais, en plus, vous m’aidez à créer une véritable petite communauté au sein de laquelle nous pouvons interagir. Pour l’avoir testé avec mon NaNoWriMo, j’avoue que c’est extrêmement enrichissant et motivant. C’est peut-être ce qui manque le plus à Flattr : la possibilité de fédérer une communauté autour du créateur.

En attendant une solution parfaite qui reprendrait le meilleur des deux mondes et qui serait intégralement décentralisée grâce à la blockchain Bitcoin, je vous laisse choisir, tester et expérimenter la manière qui vous convient le mieux de soutenir, sur Flattr ou sur Tipeee, les artistes comme Gee, Dany Caligula et… votre humble serviteur. Merci d’avance !

 

Photo par Peupleloup.

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