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Technologies et dépendances

jeudi 19 novembre 2020 à 12:36

Quelques liens et conseils de lecture pour réfléchir sur nos dépendances à la technologie et à la superficialité.

Couché sur le dos, j’allume des séries. Je zappe. Quand mon attention déraille, je lance des sites d’actualités que je déroule à l’infini. Les actualités évitent de penser. Contrairement à une fiction, il n’y a rien à comprendre, rien à chercher. Il suffit de se laisser happer par l’émotion brute pendant quelques secondes. Puis de continuer à faire défiler le site. Je reprends ensuite une série.

Printeurs, chapitre 9

L’addiction au smartphone, un poncif sur lequel tout semble avoir été dit. Depuis le mode d’emploi simple et efficace pour se libérer de Korben aux analyses poussées de Cal Newport, est-il utile de revenir sur le sujet ?

Oui, car ce n’est pas uniquement le smartphone le problème. Nos addictions sont toutes différentes. Depuis l’addiction physique au fait d’être devant un écran (traitée notamment par Michel Desmurget dans l’excellent « TV Lobotomie »), l’addiction aux contacts sociaux, l’addiction aux actualités, l’addiction aux jeux …

Écrit en 2009, bien avant la vague des réseaux sociaux, le court texte Technology is Heroin offre une formidable analogie pour prendre du recul et comprendre notre dépendance à la technologie. Le point clé est l’inverse de ce que dit le titre : « Heroin is Technology ». En effet, l’héroïne était au départ une solution technologique innovante en vente libre pour se sentir bien. Pourquoi s’en passer ? Ce n’est qu’au fil du temps que certains effets pernicieux ont commencé à se faire sentir.

http://tiny-giant-books.com/Entry1.html?EntryId=recgcpfuOFUesUpRy

Comme l’héroïne, les nouvelles technologies ne font que manipuler un équilibre chimique cérébral issu de millénaires d’évolution pour nous procurer du plaisir facilement. Mais tout plaisir trop facile entraine un comportement morbide : évitement des difficultés, perte d’énergie, refuge dans les paradis artificiels. Ce que Cal Newport appelle « escapism ».

Les fabricants de technologies, tout comme les dealers, ont très vite compris l’intérêt de créer des consommateurs addicts. Cet effet a été renforcé par l’apparition de monopoles technologiques, apparition rendue possible par la politique reaganienne qui a détricoté les lois antitrust pour les rendre le moins efficaces possible.

https://getpocket.com/explore/item/has-dopamine-got-us-hooked-on-tech

Les militants de longue date qui dénoncent l’abus des monopoles technologiques ne manquent pas (et, à ma petite échelle, j’en fais partie). Paradoxalement, ils sont très peu médiatiques. Au contraire d’anciens employés de ces mêmes monopoles qui ont fait fortune grâce à cette addiction et qui, soudain, se lancent dans une seconde carrière de militant. C’est dangereux, car s’ils apportent une vision de l’intérieur, ils ne sont pas neutres, ils découvrent seulement cet aspect de leur ancien métier et ils sont très loin d’être objectifs. Comme le dit Aral Balkan : 
— À tous ceux qui me demandent ce que je pense du film Netflix « The social dilemma », je réponds : que pensez-vous du texte « The prodigal Techbro » ?

Un texte qui, paraphrasant la parabole biblique du fils prodigue, nous montre que nous célébrons souvent quelqu’un qui tente de se repentir en oubliant complètement ceux qui, depuis le début, ont fait attention à ne pas commettre d’actions néfastes.

https://conversationalist.org/2020/03/05/the-prodigal-techbro/

D’ailleurs, la solution la plus souvent préconisée par les « techbros repentis » (essentiellement ce que j’appelle des bliches, des hommes blancs et riches), c’est… « plus de tech ». Le problème ne serait que du design. Il n’y aurait rien de sociologique, politique là derrière. Tu parles Charles…

C’est exactement le danger dénoncé par « The prodigal techbro ». Une personne qui a fait sa fortune dans la tech, qui a l’intuition d’un problème, mais qui ne peut pas imaginer le résoudre autrement qu’en développant une solution technologique.

https://www.fastcompany.com/3051765/how-our-tech-addiction-and-constant-distraction-is-a-solvable-design-problem

Car si on creuse un peu, on se rend compte que la pollution mentale tant dénoncée n’est pas qu’un artefact technologique, un simple problème qu’une « bonne tech » pourrait résoudre. Elle est réellement volontaire et encouragée par les monopoles tech, même dans ses aspects les plus sombres et clairement illégaux. En bref, le problème n’est pas technologique, il est humain à la base.

https://getpocket.com/explore/item/how-facebook-helps-shady-advertisers-pollute-the-internet

Ce concept du prophète techbro repenti et blanchi est souvent aggravé par le syndrome du polymathe. Un polymathe, c’est quelqu’un qui excelle dans plusieurs domaines forts différents. L’exemple que j’aime donner est Bruce Dickinson, chanteur d’Iron Maiden et l’une des plus belles voix de l’histoire du métal, pilote d’avion gros porteur (licence commerciale) et escrimeur olympien. Il est également auteur de romans. Les véritables polymathes de ce genre sont incroyablement rares. Pour la plupart, ce sont des gens avec une spécialité bien précise et des centres d’intérêt vers d’autres domaines. Le problème c’est qu’il est difficile pour un non-expert de faire la différence entre un véritable expert et un amateur qui a lu deux livres sur le sujet. On aura une tendance naturelle à accorder beaucoup de valeur à l’opinion d’une personne spécialiste, même si elle s’exprime sur un domaine qui n’est pas le sien. La pandémie l’a démontré amplement : une certitude en blouse blanche devant une caméra est bien plus médiatique que mille études statistiques démontrant que l’on ne sait pas grand-chose et que la prudence est de mise.

https://applieddivinitystudies.com/2020/09/28/polymath/

Un autre aspect du problème c’est que les personnes qui parlent de ce sujet, à savoir les journalistes web, sont dépendantes des effets néfastes du même web pour vivre. Ils doivent créer des addictions à leur propre site pour vivre ! On a donc une relation symbiotique entre des pseudo-experts qui « ont vu la lumière » après avoir fait fortune en accaparant le cerveau des gens et des journalistes sans le sou qui parlent d’eux pour gagner de quoi (sur)vivre en accaparant les mêmes cerveaux. (le fait que l’article suivant soit sur Medium illustre l’ampleur du problème)

https://medium.com/message/the-hypocrisy-of-the-internet-journalist-587d33f6279e

Le pire ? Tout cela pourrit nos vies et notre cerveau, mais cela ne fait pas spécialement vendre mieux. C’est une sorte de course à l’armement. Faire plus de pubs ne fait pas vendre plus, mais ne pas faire de pub fait perdre des ventes. Lorsque cette bulle va un jour se dégonfler, cela ne risque de ne pas être joli joli.

https://www.wired.com/story/ad-tech-could-be-the-next-internet-bubble/

La publicité pourrit toute notre société. Notre étrange rapport aux stars qui ne sont plus adulées pour des accomplissements, mais parce qu’elles sont… des stars n’en est qu’un exemple parmi tant d’autres. Au Royaume-Uni, 54% des adolescents de 16 ans ont pour plan de vie de « devenir une célébrité ».

https://www.theguardian.com/commentisfree/2016/dec/20/celebrity-corporate-machine-fame-big-business-donald-trump-kim-kardashian

Et ne croyez pas que les populations éduquées soient préservées. La recherche de prestige est même devenue l’ambition majeure des jeunes diplômés qui se ruent dans les entreprises qui sont « prestigieuses ». Si le prestige comme conséquence de l’excellence est peut-être une bonne chose, la recherche du prestige avant l’excellence entraine une course vers la médiocrité où l’apparence est le seul atout.

Le problème, c’est que nous n’avons plus de mesure de l’excellence. Pour faire la différence entre un expert qui a étudié, avec compétence, un domaine pendant 20 ans et un internaute qui a lu des opinions sur des forums, il faut généralement avoir une certaine expertise soi-même. L’excellence est donc une perte de temps et la sélection naturelle nous pousse vers une culture d’apparence, de mensonge et de déconnexion de la réalité qui n’est pas sans rappeler les mouvances religieuses.

https://wesdesilvestro.com/the-prestige-trap

L’exemple est frappant dans mon pays où le parti écologiste a réussi faire voter une loi pour « sortir du nucléaire », entrainant un désinvestissement complet des infrastructures nucléaires alors que le nucléaire est aujourd’hui l’énergie la plus écologique. L’apparence et la médiatisation ont pris le pas sur la compétence et la réalité, avec des résultats dramatiques.

Au final, on en est réduit à s’acheter tout. Même les amis histoire de montrer qu’on est populaire, qu’on a du prestige. Même si c’est un mensonge et que tout le monde le sait.

https://namok.be/blog/?post/2014/04/25/comment-acheter-des-amis

Enfermés dans nos petits plaisirs faciles et addictifs, nous n’avons plus l’énergie ni le temps de cerveau pour la difficulté, étape essentielle à l’excellence. Nous en sommes réduits à simuler, à nous mentir à nous même et à faire du marketing pour tout et n’importe quoi.

D’ailleurs, à propos de faire du marketing : l’addiction à la technologie et la publicité sont des thèmes centraux de Printeurs, mon premier roman de science-fiction à paraître le 24 novembre. Si vous commandez votre exemplaire avant cette date, vous pourrez rejoindre le club très select des lecteurs privilégiés qui recevront chaque chapitre du tome 2 au fur et à mesure de son écriture ! Une opportunité unique et prestigieuse de briller dans les cocktails mondains.

https://www.plaisirvaleurdhistoire.com/shop/29-utopies-p2p

Si la crise du coronavirus a malheureusement impacté votre portefeuille, mais que le cœur y est, j’ai encore des exemplaires suspendus à distribuer (et vous pourrez également bénéficier du tome 2 en exclusivité). Envoyez-moi un mail !

https://ploum.net/le-roman-suspendu/

Je regarde défiler les milliers de messages de ces télépass persuadés de détenir des vérités secrètes pour la simple raison qu’elles leur font du bien et qu’ils se les racontent en groupe. Ils se sentent soudainement importants, ils se sentent exister, ils se créent une identité dans une société qui ne veut même plus d’eux comme simple rouage. Comme eux, je me sens seul, inutile, dans le noir. Comme eux, je ressens le désir, la bouffée d’espoir que représente une information qui me rendrait supérieur, important. Ou, pour le moins, pas complètement, désespérément inutile.

Printeurs, chapitre 9

Photo by engin akyurt on Unsplash

Je suis @ploum, ingénieur écrivain. Abonnez-vous pour recevoir mes billets par mail ou RSS, partagez mes écrits autour de vous autour de vous et soutenez-moi en achetant mes livres. Printeurs, mon dernier roman de science-fiction, est disponible en précommande.

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Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

Miniaventure cycliste : ma traversée des Flandres

mardi 10 novembre 2020 à 10:39

D’Ostende à Louvain-la-Neuve à vélo, en passant par le célèbre mur de Grammont. Comme je prends beaucoup de plaisir à lire les miniaventures cyclistes de Thierry Crouzet, je me suis dit que j’allais raconter les miennes également.

Je suis tellement mal après un trajet en voiture que la moindre escapade familiale est le prétexte à une aventure en vélo. Nous partons passer le week-end à la mer ? Pourquoi ne rentrerais-je pas en vélo me propose ma tendre épouse ?

Excellente idée sauf que le trajet est de 165km, une distance que je n’ai encore jamais couverte d’une seule traite. Ma dernière miniaventure m’avait également laissé un goût amer à cause d’une double crevaison.

J’étais donc assez stressé, particulièrement sur le matériel. Quant à ma condition, on verra bien. Je suis également conscient que les dernières heures se rouleront dans la nuit. Prévoyant, je monte déjà mes phares. J’ai également prévu une veste de pluie, une doudoune, une casquette d’hiver et des jambières au cas où la température chuterait trop. Le tout occupe mon sac de cadre et justifie l’appelation « bikepacking » pour ce trip même si je ne l’ouvrirais finalement pas.

Il faut reconnaitre ce miracle des vêtements de cyclisme moderne : je passerai la journée sans enlever n’y rajouter la moindre couche, sans éprouver le moindre inconfort dans un sens ou dans l’autre durant 10h passant de 20°C à 6°C, alternant les efforts et les pauses.

Après un petit-déjeuner copieux, je m’élance donc de la digue ostendaise, un peu tardivement. Je me retrouve sur une voie verte, une piste cyclable rectiligne qui traverse la campagne flamande. Elle est pleine à craquer de cyclistes et de joggeurs, le vent est fort et j’ai du mal à rouler à plus de 22km/h.

J’aperçois, au loin, un couple de cyclistes plus sportifs. Je tente de les rattraper, ce qui me mettra plus d’un kilomètre de quasi-sprint. Une fois dans leurs roues, je profite pour me laisser emporter pendant…à peine 300m avant qu’ils ne bifurquent. Avec un vent comme celui-là, l’effet d’aspiration est incroyablement fort.

Au bout de 30km de lignes droites, durant lesquelles je ne peux m’empêcher d’imaginer Thierry Crouzet pestant sur la Floride, mon compteur marque un dénivelé de … 8m !

Il faudra attendre le 50e kilomètre pour escalader la toute première côtelette, toute mignonne : le Poelberg. Au « sommet » (ce qui est un bien grand mot) se trouve un centre de repos/cafétéria pour les cyclistes qui semble fermé à cause du confinement. L’idée est sympathique !

Le sommet du Poelberg. Vertigineux… ou pas !

La voie verte est terminée et la trace alterne entre des chemins boueux au milieu des champs, quelques rares bocages et, surtout, de longues pistes cyclables bordées par des routes nationales.

Heureusement, nous sommes en Flandres et les pistes cyclables sont sur site propre, très sécurisées. À aucun moment le cycliste ne se sent en danger. Il n’empêche que c’est moche, bruyant. Les villages traversés sont tous identiques, alternants concessionnaires automobiles et friteries.

La trace fait de son mieux pour m’éloigner des nationales, mais comme j’ai encore plus de cent bornes à faire, je ne suis pas toujours d’humeur à aller rouler 2km dans la boue plutôt que de faire 500m en ligne droite sur une nationale.

Nationale qui se révèlera bloquée par un combi de policiers qui m’avait dépassé toute sirène hurlante quelques kilomètres plus tôt. Je comprends qu’il y’a un incendie un peu plus loin (j’avais d’ailleurs observé la fumée depuis la colline en face), mais le détour ne m’arrange pas. C’est l’un des rares endroits où il n’y a pas de chemins parallèles. Je m’éloignerai alors un peu au pif pour découvrir quelques kilomètres d’un petit chemin boisé, un des plus beaux tronçons du parcours.

J’essaie de faire des arrêts réguliers, mais encore faut-il trouver un lieu propice. C’est amusant comme certains endroits s’imposent pour faire une pause alors que dans un autre décor, on peut rouler plus de 30 bornes sans vouloir s’arrêter malgré la fatigue.

Après 75km, je débouche sur la place d’Oudernaade, sous un soleil éclatant. Un jeune cycliste de l’équipe Trek Segafredo fait un photo shoot. Les bancs sont accueillants. Je me pose. Avant d’aviser un kebab. J’ai déjà consommé 3 barres d’énergie, mon estomac réclame du gras et du salé. Je prends un burger de poulet et quelques frites, pile poile ce qui me fallait. Je repars. D’après mon roadbook, le mur de Grammont ne devrait pas tarder.

À l’ombre de l’hôtel de ville d’Oudenaarde

Je n’ai jamais vu le mur de Grammont, mais ayant plusieurs expériences du mur de Huy, je sais à quel point ces difficultés peuvent couper les jambes. Je stresse un peu, je me prépare psychologiquement.

Il s’avère que je m’étais trompé dans mon roadbook. Je passe 25km à attendre que Grammont apparaisse au moindre virage. C’est au kilomètre 100 que j’arrive enfin sur la place du célèbre village.

Tout est propre et décoré en l’honneur du fameux mur. Dans les vitrines, des panneaux retracent les exploits historiques des cyclistes. Je fais une micropause, j’avale un bonbon et je découvre en enfourchant mon vélo que je m’étais garé sur une ligne gravée dans le sol qui indique le début du segment « Mur de Grammont » sur Strava.

Depuis la place, je gravis une petite montée en pavés bien plats et propres, je tourne à gauche en suivant les flèches. La route est bordée de panneaux célébrant le mur. Elle monte légèrement, je garde un rythme calme, je tourne à droite dans un petit chemin qui monte entre les arbres.
— On y est, me dis-je !

Je suis dépassé par une cycliste que je laisse partir, ne souhaitant pas présumer de mes forces. J’ai pas mal de poids sur mon vélo chargé et 100km dans les pattes.

La montée tourne brusquement à gauche puis encore à gauche. Sans forcer, il me reste encore deux vitesses et mon rythme cardiaque ne dépasse pas le 155. Je continue et j’aperçois la fameuse chapelle alors que je rattrape ma cycliste de tout à l’heure qui semble avoir un peu coincé.

J’arrive à la chapelle, étonné, pas du tout essoufflé. Il y’a plein de touristes.

Le sommet du fameux mur. C’est tout ?

Je ne peux m’empêcher de comparer avec le mur de Huy qui est autrement plus difficile. Dans le mur de Huy, impossible de mouliner. Je suis toujours à la limite de mettre le pied à terre, en poussant comme un forcené avec ma vitesse la plus facile. Quand j’arrive au sommet du mur de Huy, je m’écroule généralement. J’explose mes pulsations, je suis vidé.

Par contre, d’un point de vue marketing, le mur de Huy est une petite ruelle obscure bien cachée dans un coin de la ville. Il est très difficile à trouver si on ne connait pas. Au sommet, rien n’indique qu’on est arrivé. Il s’agit plus d’un plateau et d’une route qui continue.

Quant aux pavés ? À Grammont ils sont propres, lisses. C’est un plaisir de rouler dessus. Rien qu’autour de chez moi, je peux citer cinq montées plus abruptes et aux pavés bien défoncés qui sont un enfer à gravir.

Je suis tellement surpris qu’une fois la photo faite, je continue immédiatement mon chemin. Pas besoin de pause. Alors que le soleil commence à se coucher, je me dirige vers Hal. J’apprécie les couleurs du crépuscule sur les champs à peine bosselés à perte de vue.

Hal est une ville très moche, remplie de magasin. Je fais une halte dans un square sous le buste de Léopold II qui regarde avec bienveillance des nègres stylisés lui apporter une représentation du Congo. Je m’étonne que ce square n’ait pas encore été vandalisé avant de me rappeler que je suis en Flandre, pas à Bruxelles.

Je m’échappe de Hal par de petites montées sèches, de celles que j’apprécie particulièrement, et gagne le bois de Hal, bois où j’ai longuement couru lorsque je travaillais à proximité.

Il fait nuit noire, mais le chemin forestier est rectiligne et dégagé. Mon phare fait des merveilles. J’apprécie d’être dans les bois la nuit. Un vrai moment de plaisir trop vite passé avant de déboucher à Colipain, un endroit que je connais bien. Je suis en Wallonie. Je traverse le zoning industriel où j’ai travaillé pour gagner l’ancienne ligne de chemin de fer qui va m’amener à la gare de Braine-l’Alleud.

À partir d’ici, je connais la région par cœur. Et, psychologiquement, cela se révèle un calvaire. Je connais en effet toutes les difficultés qui m’attendent. Il fait nuit noire, j’ai 130km dans les jambes et, surtout, je commence à avoir un mal de ventre affreux.

À chaque fois que je fais des longues distances, je me tape un mal de ventre. Je ne sais pas si c’est l’abus des sucres des barres d’énergie, le fait que je bois trop ou que je ne supporte pas les électrolytes. Chaque coup de pédale est un enfer que je n’arrive pas à soulager. Je ne peux surtout plus boire ni manger, mais, du coup, je n’ai plus d’énergie.

Je traverse Braine-l’Alleud puis le champ de bataille de Waterloo par Hougoumont sous l’œil du lion illuminé. Je descends vers la vallée de Lasne. Ma trace m’a fait prendre des chemins pavés qui secouent mon estomac. Qu’ils viennent un peu voir à Lasne ceux qui disent que les pavés de Grammont sont une épreuve.

Pour sortir de la vallée, ma trace passe par la rue de la gendarmerie, une côte assez fameuse dans la région. Je me dis que je préfère cette côte-là à l’escalade par Couture-Saint-Germain ou par Chapelle-Saint-Lambert. La rue de la gendarmerie fait une grande boucle que je coupe par un petit chemin pentu, en pavé. Encore une fois, je rigole en songeant au mur de Grammont.

Je continue ensuite vers Céroux. Un chemin que j’ai parcouru des centaines de fois. Mais, la fatigue aidant, les pavés me semblent effroyablement durs, mon estomac est retourné. Et ce n’est pas fini, d’autres chemins pavés se succèdent sur les hauteurs d’Ottignies. Je sais bien que ce sont les derniers. À partir de là, je me laisse descendre jusqu’au bois des rêves, que je traverse dans le noir, je contourne le lac de Louvain-la-Neuve avant la dernière escalade jusqu’à mon lit. De manière étonnante, celle-ci se passera très bien. Si l’on excepte mon mal de ventre, les jambes tournent parfaitement alors que mon compteur affiche 165km et 10h en selle. Je sonne pour qu’on m’ouvre le garage et réveille mon fils qui était en train de s’endormir. Mais je suis content de le voir, de serrer ma femme dans mes bras avant d’aller prendre ma douche.

Je suis dans cet état que j’appelle « au bout de la fatigue ». Tellement crevé que dormir est difficile. Je soulage instantanément mon mal de ventre grâce à deux remèdes miracles : de la tisane et du fromage blanc. Le fromage blanc m’apaise, comme s’il absorbait l’excès de sucre et d’acidité. Je soupçonne que l’effet de la tisane ou du thé est essentiellement de la chaleur. Lors de mon trip avec Thierry, j’avais également éprouvé cette envie fulgurante d’un thé chaud.

Je dois peut-être apprendre à manger et boire moins. Je devrais tenter de me passer d’électrolytes.

Quoiqu’il en soit, j’adore ces miniaventures, ces journées hors du temps sur un vélo à parcourir un pays, à sentir chaque mètre de paysage, à croiser des visages que l’on re reverra jamais, à connecter avec mon histoire tout ce qui n’est que points sur une carte. J’aime me retrouver le nez dans mon cockpit, les pieds sur les pédales.

J’aime aussi d’avoir un objectif, d’être forcé d’arriver quelque part, sans raccourci possible pour dépasser la douleur et la fatigue. En temps normal, je n’aurais jamais été de Braine-l’Alleud à chez moi en pleine nuit. Avec 130km dans les jambes et pas d’autres options, cela devient tout simplement une évidence.

Le bikepacking, ce sont avant tout des rencontres, des nouveaux visages…

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Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

Et si Al Gore était devenu président des États-Unis en 2000 ?

lundi 2 novembre 2020 à 09:21

Une dizaine de votes. C’est ce qui a permis à Georges Bush de devenir président face à Al Gore, vice-président sortant, en 2000. Que serait devenu le monde si la dizaine de votes avait, au contraire, fait peser la balance en faveur d’Al Gore ? Aurions-nous eu Obama et Trump ? Google et Facebook ?

En 2000, dans certains cantons de Floride, la méthode de vote consiste à percer un trou à côté de son candidat. Malheureusement, les trous ne sont parfois pas clairement marqués (un morceau de papier reste attaché, les fameux « hanging chads »). De plus, les trous ne sont parfois pas alignés avec le bon candidat. Certains candidats anecdotiques feront des scores étonnants, car leur trou se révèle très proche du nom « Al Gore ». Face à ces incertitudes, un recomptage est inévitable.

Naïve et tellement sûre de sa victoire en Floride (ce qui s’avérera mathématiquement exact), l’équipe d’Al Gore choisit de la jouer en « gentleman », faisant confiance au recomptage et au processus démocratique. L’équipe de Georges Bush décide de ne pas respecter ces règles tacites, intimidant les recompteurs, jouant de la pression médiatique pour empêcher le recomptage. Le recomptage doit être interrompu pour éviter une escalade dans les tensions que déchainent les républicains. Georges Bush est déclaré vainqueur des petits cantons contestés et donc de la Floride et donc des États-Unis d’Amérique ! L’histoire est incroyablement racontée par Jane Mcalevey qui était justement chargée du recomptage et qui a vu la situation déraper, a tenté d’agir, mais s’est fait reprendre à l’ordre, car Al Gore voulait garder de la dignité.

https://jacobinmag.com/2020/10/trump-coup-florida-2000-recount

L’élection de Georges Bush marque peut-être la fin d’un semblant de dignité dans le débat politique. Elle démontre que l’on peut mentir, tricher et gagner sans scrupules. Le CEO de Diebold, fournisseur de machines de votes électroniques, avait d’ailleurs déclaré qu’il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour faire gagner Bush. Dans certains endroits où le vote électronique était de mise, Bush devait même obtenir plus de votes que d’habitants. Al Gore a préféré perdre dignement que de se lancer dans un combat acharné. Au grand désarroi d’une jeunesse acquise à Al Gore et qui manifestera sa déception sur Internet avec le slogan « Not My President » (20 ans plus tard, la comparaison avec Trump ferait passer Bush pour un intellectuel progressiste !).

Tout les coups sont permis. Une leçon que les démocrates n’avaient toujours pas assimilée en 2016, année où Trump remporta la même Floride alors que les votes anticipés avaient donné à Hillary Clinton un avantage mathématiquement insurmontable.

https://www.palmerreport.com/opinion/rigged-election-hillary-clintons-early-voting-lead-florida-mathematically-insurmountable/114/

Les démocrates semblent accepter un jeu de dupes où la seule manière de l’emporter n’est pas de gagner l’élection, mais de la gagner suffisamment pour que les tricheries républicaines ne soient pas suffisantes. Seul Obama y parviendra. Notons que 2004 est la seule élection où les républicains remportent le vote populaire depuis 1988. Mais l’équipe de Biden ne se laissera certainement pas faire en cas de résultat serré entre lui et Trump.

https://fivethirtyeight.com/features/a-contested-2020-election-would-be-way-worse-than-bush-v-gore/

Al Gore président

Imaginons un moment qu’Al Gore ne se soit pas laissé faire. Qu’il soit devenu président. Le monde aurait-il été fondamentalement différent ?

Devenu président en janvier 2001, Al Gore décide de lancer l’économie des États-Unis sur les rails du développement durable : panneaux solaires, éoliennes. Il veut faire des États-Unis la première puissance mondiale sur le marché de l’écologie.

Les attentats du 10 septembre 2001 modifient largement l’ambiance qui règne dans le pays. Le cabinet d’Al Gore déclare un programme militaire appelé : « Peace on Earth ». L’objectif ? Pacifier les zones où naissent les pulsions terroristes. Des militaires américains débarquent en Afghanistan. Certains conseillers proposent une présence militaire accrue au Koweït et en Irak, mais Al Gore veut étouffer économiquement ces pays en faisant baisser le prix du baril de pétrole. Certains conseillers militaires se désolent. Ils veulent une « War on Terror » et pensent que les militaires ne sont pas là pour appliquer un programme de hippie.

Cette stratégie n’a pas les effets escomptés : le pétrole se consomme comme jamais. La classe moyenne américaine souffre d’une économie qui n’est pas entièrement prête pour la transition. Certes, l’emploi est au beau fixe, mais les républicains entretiennent l’idée que les taxes n’ont jamais été aussi hautes. De plus, la popularité des démocrates chez les militaires est en chute libre.

En 2003, l’entreprise Google fait faillite. Sous la conduite de la secrétaire d’État Hillary Clinton, le gouvernement américain a déclaré inconstitutionnelle l’exploitation des données privées à des fins publicitaires. Hillary Clinton n’a pas eu le choix : des journalistes ont en effet révélé qu’elle était en pourparlers secrets pour que Google aide le gouvernement américain à mettre en place un système d’espionnage généralisé des citoyens afin de lutter contre le terrorisme. Dans l’opposition, le parti républicain n’a pas laissé passer cette opportunité de démontrer que les démocrates sont un parti de riches qui espionne et exploite les pauvres. La bulle Internet de 2000 finit de se dégonfler pour que les démocrates puissent se racheter une conscience morale. Seules les entreprises Amazon et Microsoft semblent tirer leur épingle du jeu.

En 2004, Al Gore se fait réélire de justesse, mais la popularité des démocrates est en chute libre. La baisse d’émission du CO2 s’est accompagnée d’une baisse de l’emploi. Les Américains n’ont jamais été aussi endettés.

En 2008, un républicain d’à peine 50 ans devient le premier président noir des États-Unis. Michael Steele est conservateur, opposé à l’avortement et, surtout, il nie le réchauffement climatique. Il a mené sa campagne sur Twitter, un réseau social par SMS qui a réussi à négocier avec Apple pour obtenir une place sur l’écran du tout nouvel iPhone. Steve Jobs ne veut pas d’installation d’applications non Apple, mais un accord a été trouvé : Apple est devenu un actionnaire majoritaire de Twitter. Twitter est automatiquement fourni avec chaque iPhone.

https://en.wikipedia.org/wiki/Michael_Steele

Comme vice-président, Steele a choisi un autre républicain conservateur, plus expérimenté et plus âgé : Herman Cain.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Herman_Cain

Deux hommes noirs à la maison blanche. Le parti républicain devient le parti de l’intégration. Le parti démocrate est perçu comme un parti de riches blancs qui militent pour l’écologie au détriment de l’économie et du bien être des classes populaires. En 2012, Hillary Clinton tente de faire basculer l’élection en jouant sur le droit des femmes et le féminisme. L’idée est bonne, mais Hillary Clinton n’est pas la bonne personne. Le féminisme devient, comme l’écologie, une forme de blague récurrente, une manière pour les républicains de pointer du doigt ces démocrates déconnectés de la réalité. Michael Steele le clame lors d’un discours de campagne un peu avant sa réélection :

« Mesdames, êtes-vous vraiment à plaindre en Amérique ? Que voulez-vous de plus ? Nous vous adorons ? Vous avez le meilleur rôle près de nos enfants ! Je vous le demande : qu’est-ce qui est plus important ? Empêcher la température d’augmenter d’un dixième de degré et faire en sorte que les homosexuels se marient ? Ou bien s’assurer que chaque Américain et chaque Américaine aie un travail, un salaire et de quoi nourrir ses enfants ? Chaque parti a ses priorités, vous connaissez les miennes… »

En 2016, le parti démocrate poursuit son virage à gauche avec Bernie Sanders et Elizabeth Warren qui s’affrontent durant les primaires. Bernie Sanders est plus populaire sur Internet, mais le parti pousse Warren, plus modérée et plus jeune. Elle devient la première femme présidente des États-Unis.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Elizabeth_Warren

Warren l’emporte face à un Mitt Romney qui peine à sortir d’une image d’homme blanc riche, exactement la caricature que Steele faisait des démocrates. Romney a fait l’erreur de miser une grosse partie de sa campagne sur le réseau social TheFacebook qui est très populaire dans les universités. Mais, contrairement à Twitter, il n’est pas disponible sur l’iPhone, uniquement sur les BlackBerry. Il touche donc beaucoup moins les classes populaires. TheFacebook a également des soucis de trésorerie. Le projet n’est pas rentable, le précédent Google enterre toute tentative de monétisation des données. Les investisseurs sont sur le point de quitter le bateau. La startup Instagram a été rachetée par Apple qui semble étendre son hégémonie sur tout l’Internet mobile. Un procès pour abus de position dominante est en cours.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mitt_Romney

En 2020, Elizabeth Warren joue sa réélection dans une situation tendue. L’épidémie de COVID-19 a fait plus de 80.000 morts et les républicains l’accusent de ne pas avoir géré la crise correctement. Elle a hérité du bourbier afghan, passé sous silence dans les médias durant les années Steele, et n’est pas du tout populaire face aux militaires qui réclament un recentrage sur le pays. D’un point de vue économique, le monopole Apple a été démantelé comme AT&T en son temps. La Silicon Valley est remplie de petites entreprises qui fonctionnent bien. Le chômage diminue chaque année. Mais peu de ces entreprises sont cotées en bourse. Le SP500, qui reste noyauté par les grosses industries du passé, est en chute libre. Les démocrates ont beau tenter d’expliquer que le SP500 est un indicateur du passé, peine perdue. Warren a face à elle un Paul Ryan aux dents particulièrement longues. Présenté comme le « Kennedy républicain », ce catholique fait des ravages chez les immigrés, les noirs et les populations plus religieuses. Il promet de redresser l’économie et de sortir de ce qu’il appelle une « présidente hippie déconnectée des réalités ».

https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Ryan

En filigrane, la planète retient son souffle. Ryan va-t-il mettre à mal les décennies d’effort pour sensibiliser les nations au réchauffement climatique ? Les États-Unis vont-ils abandonner complètement leur rôle de gendarme du monde, laissant les Russes et les Chinois se développer en Afrique ?

La question est importante. Comme tous les quatre ans, le destin de la planète semble se jouer entre une poignée d’électeurs dans un obscur canton de Floride…

Photo par JD Lasica.

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Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

Lectures 6: Épanadiplose sur la peur, la sécurité et la résistance

jeudi 29 octobre 2020 à 16:01

Quelques liens et conseils de lecture pour réfléchir sur notre rapport à l’autre, à la peur et à notre désir de sécurité.

La peur et la fiction

Moi qui n’accroche que rarement à la fantasy, je suis en train de dévorer une préversion d’« Adjaï aux mille visages » dont le crowdfunding se termine bientôt (et qui a grand besoin de votre soutien). Je le conseille chaudement !

https://fr.ulule.com/adjai/

D’ailleurs, si vous avez raté la campagne Printeurs, vous pouvez en profiter pour vous rattraper. 20€ pour le livre Printeurs en version papier et les versions électroniques d’Adjaï et de Printeurs, tome 2 (que je dois encore écrire). Vous aurez aussi la possibilité de recevoir les chapitres de Printeurs 2 par mail au fur et à mesure de l’écriture !

https://fr.ulule.com/adjai/?reward=660832

Sous le couvert d’une palpitante histoire de voleuse amorale qui change d’apparence et de sexe à volonté, Adjaï explore le concept d’identité, de fluidité de genre et de parentalité. Mais un autre aspect revient régulièrement (notamment dans une scène qui fera sourire les rôlistes chevronnés) : celui de la peur de l’autre, de la peur de l’inconnu et de l’insécurité.

Une peur complètement irrationnelle qui nous pousse vers les comportements les plus dangereux. Une peur le plus souvent attisée par les auteurs de fiction, car… c’est plus facile pour faire avancer l’histoire.

https://slate.com/technology/2020/10/cory-docotorow-sci-fi-intuition-pumps.html

Un exemple parmi tant d’autres : notre peur du nucléaire est complètement absurde, surtout quand on compare le nombre de morts et les dégâts causés par les alternatives au nucléaire (le charbon, notamment, mais le solaire et l’éolien restent beaucoup plus dangereux que le nucléaire). Mais c’est une peur qui a été nourrie par une quantité impressionnante de science-fiction au sortir d’Hiroshima.

https://sceptom.wordpress.com/2014/08/25/la-vraie-raison-pour-laquelle-certains-detestent-le-nucleaire-brave-new-climate/

Comme le souligne Cory Doctorrow plus haut, les auteurs de science-fiction ont une réelle responsabilité. Ursula Le Guin enfonçait le clou il y a quelques années : on a besoin d’écrivains qui savent faire la différence entre écrire et faire un produit qui se vend bien. Je pense qu’Adjaï est un exemple magnifique de livre qui nous ouvre à la différence.

https://parkerhiggins.net/2014/11/will-need-writers-can-remember-freedom-ursula-k-le-guin-national-book-awards/

L’intuition et la peur

Il faut bien avouer qu’il est difficile de lutter contre une peur intuitive (prendre l’avion) tout en risquant notre vie tous les jours sans réfléchir (prendre la voiture). C’est le piège de l’intuition.

https://ploum.net/mon-second-velo-et-le-piege-de-lintuition/

Karl Popper le résume magnifiquement dans son « Plaidoyer pour l’indéterminisme ».

« Je considère l’intuition et l’imagination comme extrêmement importantes : nous en avons besoin pour inventer une théorie. Mais l’intuition, précisément parce qu’elle peut nous persuader et nous convaincre de la vérité de ce que nous avons saisi par son intermédiaire, peut nous égarer très gravement : elle est une aide dont la valeur est inappréciable, mais aussi un secours qui n’est pas sans danger, car elle tend à nous rendre non critiques. Nous devons toujours la rencontrer avec respect et gratitude, et aussi avec un effort pour la critique très sévèrement. »

La sécurité et l’intuition

L’intuition est rarement aussi mise à mal que lorsqu’on parle de sécurité.

Pour tenter d’analyser les mesures de sécurité, j’ai mis en place un framework dit des « 3 piliers ». Le principe est simple : toute mesure qui n’améliore pas l’un des piliers n’est pas sécuritaire. Elle est au mieux inutile, au pire nuisible.

https://ploum.net/les-3-piliers-de-la-securite/

L’exemple le plus frappant : les militaires en rue ? Phénomène dont je me moquais à outrance dans la nouvelle « Petit manuel d’antiterrorisme ».

https://ploum.net/petit-manuel-dantiterrorisme/

Une autre mesure absurde qui fait pire que bien ? Les contrôles dans les aéroports.

https://www.vox.com/2016/5/17/11687014/tsa-against-airport-security

Oh, et vous savez quoi ? L’espionnage de toutes nos communications pendant plus d’une décennie, un espionnage dénoncé par Snowden et qui lui vaut, aujourd’hui encore, de devoir se cacher. Et bien ça n’a servi à rien. Pas un prout de terroriste n’a été empêché.

https://tutanota.com/blog/posts/nsa-phone-surveillance-illegal-expensive/

Les abus et la sécurité

Servi à rien ? C’est vite dit. Parce que c’est notamment grâce à ce programme et cette volonté politique post-11 septembre que Google existe. Comme le raconte Shoshana Zuboff dans « The Age of Surveillance Capitalism », les pratiques de Google, qui préfiguraient l’analyse des données à des fins publicitaires, ont failli être interdites en 2001. Puis le 11 septembre a eu lieu. Et les services secrets américains se sont tournés vers Google en disant : « On vous laisse espionner tout le monde à la condition que vous nous aidiez à faire pareil. »

https://en.wikipedia.org/wiki/The_Age_of_Surveillance_Capitalism

Le tout grâce à des recherches financées par les mêmes institutions publiques quelques années plus tôt.

https://qz.com/1145669/googles-true-origin-partly-lies-in-cia-and-nsa-research-grants-for-mass-surveillance/

Dans un tout autre registre, la bande dessinée « Inhumain », du trio Bajram/Mangin/Rochebrune illustre à quel point la sécurité absolue est le pire des cauchemars. Des navigateurs spatiaux s’écrasent sur une planète occupée par une tribu humaine amicale, bienveillante et totalement soumise au « Grand Tout ». Sans être un chef-d’œuvre, la lecture est plaisante (je suis un homme simple. Je vois Bajram sur la couverture, j’achète sans discuter).

https://www.bajram.com/livres/inhumain/

La résistance et les abus

Lire, c’est résister. C’est peut-être pour cela que les plateformes qui promeuvent réellement la lecture sont désormais illégales. Heureusement, Orel Auwen vous invite pour une petite visite guidée.

https://serveur410.com/dans-lombre-dinternet-des-bibliotheques-illegales/

J’espère de tout cœur que Printeurs et Aïdja aux mille visages seront rapidement disponibles sur ces plateformes !

Bonne fin de semaine et bonnes lectures. Car, si vous ne prenez pas le temps de lire, vous n’avez pas le temps de résister.

Photo by Apollo Reyes on Unsplash

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Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

La politique du doigt mouillé

lundi 26 octobre 2020 à 12:33

Ce que la crise du coronavirus exemplifie à l’extrême est un problème qui gangrène nos institutions depuis plusieurs années : le fait que les décisions sont prises à l’intuition par une minorité. Que la communication et l’affect aient désormais plus d’importance que la rationalité et les faits. Bref, que tout se décide désormais au doigt mouillé.

Contre cette tendance, les spécialistes et les scientifiques ne peuvent pas lutter. En effet, un véritable scientifique commencera toujours par affirmer qu’il y’a beaucoup de choses qu’il ne sait pas. Qu’il n’est certain de rien. Qu’il faut tester des hypothèses. Bref, qu’il faut faire preuve d’humilité.

Humilité qui nécessite une érudition, une expertise : la seule chose que je sais c’est que je ne sais rien. Humilité qui peut permettre de convaincre les individus, mais qui n’est malheureusement pas « médiatique ».

https://cenestquunetheorie.wordpress.com/2020/05/27/methode-4-lhumilite-epistemique-la-clef-pour-convaincre-ethiquement/

Au contraire, lorsqu’on n’a pas étudié un domaine pendant des années, il est tellement simple d’avoir l’impression que l’on sait, de confondre intuition, opinion et décision. De croire que la réalité se plie face à nos certitudes. La certitude est l’apanage des ignorants.

C’est, depuis des millénaires, le fonds de commerce des religions. Enseigner qu’une croyance a plus d’importance que l’observation de la réalité. C’est la raison pour laquelle j’affirme haut et fort que les discours « anti-science » et toutes les formes de foi sont d’une prétention infinie : cela revient à dire que l’on est détenteur d’une vérité unique et absolue. Bref que l’on est plus intelligent que tous les humains passés, présents et futurs.

https://ploum.net/la-science-na-pas-reponse-a-tout/

Cette perversion mentale est particulièrement flagrante chez les politiciens qui n’essaient même pas de prendre des décisions sensées, mais pour qui, de par le fonctionnement de nos démocraties, jaugent toute action à l’aulne de sa popularité, entrant de ce fait dans une boucle de résonnance avec leur propre public, attisant les idéologies extrêmes.

Cette victoire de l’idéologie sur la philosophie, nous en avons un exemple historique sous les yeux avec le déclin intellectuel de l’Islam aux alentours de l’an 1200. Alors que l’Europe nageait dans l’obscurantisme religieux, le monde arabe, concentré sur son expansion commerciale plutôt que militaire, brillait par ses philosophes, ses scientifiques. Jusqu’au jour où d’obscures sectes musulmanes ont pris le pouvoir et ont décidé que le Coran (où du moins l’interprétation qu’en faisait une clique de potentats) était la seule source de vérité.

https://www.thenewatlantis.com/publications/why-the-arabic-world-turned-away-from-science

La crise du coronavirus nous démontre à quel point nos politiciens sont, par construction de notre système, ineptes. Les réseaux sociaux les trompent en leur faisant croire qu’ils sont en contact avec la population, qu’ils comprennent les gens, qu’ils sont populaires. Ce mensonge n’est qu’un artefact technologique qui, sous prétexte d’optimiser les revenus publicitaires de quelques entreprises, enferme une minorité dans une bulle de résonnance hyperaddictive, mais décorrélée de la réalité.

https://ploum.net/le-mensonge-des-reseaux-sociaux/

Une réalité qui est qu’aujourd’hui encore, une quantité non négligeable de la population (principalement paupérisée et peu connectée) ne sait pas ce qu’est le covid. Bien sûr, on préfère oublier cela. La bulle médiatique n’est pas le reflet de la réalité, mais ses addicts, dont l’immense majorité des politiciens, tentent de transformer la réalité pour qu’elle corresponde à leurs croyances. Un phénomène qui n’est rien d’autre qu’une forme de religiosité, nourrissant l’idéologie plutôt que la raison.

Mais le coronavirus n’est qu’un révélateur. Et les politiciens ne sont qu’un exemple des plus extrêmes. Dans les entreprises privées, la majorité des managers et des CEO prend désormais des décisions intuitives, rapides et sans aucun moyen d’en mesurer les effets. Une mesure ne semble pas avoir l’effet escompté ? Plutôt que de la remettre en question on prend cela comme un signal qu’il faut l’appliquer encore plus fort. Un effet positif se dégage ? On prend cela comme un confirmation qu’il faut l’appliquer… encore plus fort.

Sans les réseaux sociaux et les médias de masse, les décisions devraient être pensées et réfléchies, car il serait hors de question de les modifier trop souvent. Nul n’est censé ignorer la loi. Chaque loi devrait donc également être diffusée, atteindre la population.

L’ère de la connexion donne aux politiciens la croyance qu’ils peuvent changer d’avis plusieurs fois par jour. Le nombre de likes leur fait croire qu’une multitude les soutient, que tout le monde est au courant. Pire : que pour continuer à être visible, il est souhaitable de changer les règlements régulièrement, d’apporter de la nouveauté.

Nous gérons nos pays et nos entreprises sur le modèle des sites web rentabilisés par la publicité : faire du clic, faire du buzz, faire de statistiques. Il n’est plus un commerce, plus une association qui ne cherche à optimiser son nombre de visiteurs et ses likes sur Facebook sans que cela soit positivement corrélé avec son chiffre d’affaires.

Les CEOs des très grosses entreprises n’ont d’ailleurs rien à craindre. Ils font tout pour ne pas mesurer l’impact de leurs décisions. La société fait de l’argent ? C’est grâce à eux et ils auront un bonus. La société n’en fait pas : c’est une mauvaise exécution des employés. Au pire, le CEO sera démis de ses fonctions avec un parachute doré. Il est désormais avéré que les CEOs ne font pas mieux que des décisions aléatoires. Leurs bonus mirobolants ne récompensent donc aucun risque, aucune compétence, mais sont de facto une rente sur le copinage.

Les scientifiques ne sont évidemment pas en reste. La recherche s’est transformée en une course à la publication. Les résultats incertains sont immédiatement transformés en titres sensationnalistes. Les codes sources sont très rarement partagés, la reproductibilité est nulle. Quand, tout simplement, l’idéologie ne prend pas le pas sur la méthode scientifique.

Exemple frappant : deux économistes à tendance très conservatrice ont choisi de démontrer que l’endettement d’un pays arrêtait sa croissance. Ce papier, incroyablement influent, inventa le concept d’austérité dont les Grecs et de nombreux Européens furent les victimes.

Mais afin d’établir le lien entre déclin de croissance et endettement, les auteurs se contentèrent d’établir une moyenne de plusieurs pays. Méthodologiquement, le principe de tirer une généralité sur une moyenne est complètement faux. Pour s’en convaincre, il suffit de s’imaginer que si Jeff Bezos rentre dans un stade bondé, chaque spectateur est en moyenne multimillionnaire.

La méthodologie est donc fausse. Mais même en l’admettant, le résultat ne démontre rien. En moyenne, les pays endettés de plus de 90% ont une croissance de près de 3%. C’est en revoyant les calculs que des chercheurs ont découvert qu’une erreur de la formule dans Excel ne prenait pas tous les pays en compte.

https://theconversation.com/the-reinhart-rogoff-error-or-how-not-to-excel-at-economics-13646

Mais nul ne s’est trop penché dessus, car, idéologiquement, la décision de l’austérité était intuitive. L’austérité ne fonctionne pas et n’est justifiée que par une erreur de calcul. On continue de l’appliquer car personne n’osera prendre la décision inverse.

Aujourd’hui, on découvre que la manière la plus efficace et la moins chère de lutter contre la pauvreté est de… donner de l’argent aux pauvres. De fournir un logement décent aux sans-abris. Cela fonctionne. Au Canada, une étude a montré que donner 7500$ à des sans-abris était en moyenne suffisant pour les tirer de la misère. Que ceux qui avaient reçu de l’argent dépensaient 34% en moins que les autres en drogues et alcools. Que ça coutait moins cher que de les héberger dans un centre.

https://edition.cnn.com/2020/10/09/americas/direct-giving-homeless-people-vancouver-trnd/index.html

Malheureusement, tout cela va à l’encontre de l’idéologie selon laquelle « tout salaire doit être mérité par un travail » (nonobstant le fait que les riches « font travailler leur argent »). Naïvement, on pourrait croire que lutter contre la pauvreté fait l’unanimité. Ce n’est pas le cas.

Les gauchistes et écologistes ne sont pas épargnés par ce misérabilisme intellectuel. Un exemple des plus frappants en est le rejet du nucléaire. Le nucléaire est, à ce jour l’énergie la plus propre, la plus sûre jamais inventée. L’effet nocif des radiations en cas d’accident est des millions de fois moins important que l’effet nocif, avéré et permanent, de la pollution de l’air par les centrales à charbon. Cependant, ces 20 dernières années, nous avons augmenté notre dépendance au charbon par simple rejet irrationnel du nucléaire. Et je n’aborde même pas la mouvance antivaccins.

Comme le résumé Vaclav Smil : « Les gens n’ont rien à faire du monde réel ».

https://www.transitionsenergies.com/vaclav-smil-les-gens-nen-ont-rien-a-faire-du-monde-reel/

L’idéologie avant la raison et l’intuition avant les faits sont les pires des gestions. Le monde s’en accommodait grâce à une tendance naturelle au progrès. Mais la pandémie fait éclater au grand jour l’incompétence épistémique de nos institutions politiciennes.

Mais plutôt que de rejeter tout en bloc, de tomber dans le populisme, je vous invite à réfléchir à la voie de la modération. Oui, le port du masque partout est absurde. Mais le masque reste utile. Le couvre-feu est une atteinte à nos libertés. Mais peut-être que c’est une mesure qui peut avoir un impact important. Apprenons l’humilité que nos décideurs ne peuvent pas se permettre d’afficher.

Le 21ème siècle doit être le siècle de la prise de décision rationnelle et consciente. De l’acceptation que toute mesure doit être mesurée, doit être remise en question régulièrement et qu’il n’est pas de posture morale plus élégante pour un politicien que de dire « Je me suis trompé, changeons de cap ».

À ce titre, je me réjouis de lire « Vaincre les épidémies » de Didier Pittet et Thierry Crouzet.

https://tcrouzet.com/2020/10/22/la-voix-de-la-sagesse-dans-la-crise-covid/

Et n’oubliez pas que consultez les malheurs du monde en boucle peut avoir un impact très néfaste sur votre santé. C’est justement ce qui arrive dans la dernière nouvelle (drôle) de Valéry Bonneau que je vous invite à lire en guise de conclusion.

https://www.valerybonneau.com/nouvelles-noires/tako-tsubo

Si nous pouvons retenir une chose des milliers de morts du Coronavirus c’est que la politique du doigt mouillé ne fonctionne pas et que les certitudes idéologiques sont les premières causes de mortalité et de souffrance. Que l’éducation est notre seul espoir. Que les immenses progrès scientifques et philosophiques de notre époque sont nés de la lecture des livres, pas des tweets.

https://www.calnewport.com/blog/2020/06/27/on-the-exceptionalism-of-books-in-an-age-of-tweets/

Vous savez ce qui vous reste à faire : coupez Facebook, Twitter et la presse. Entrez dans la résistance, ouvrez un livre !

Bonnes lectures et bonne semaine.

Photo by Karl JK Hedin on Unsplash

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