PROJET AUTOBLOG


Ploum

source: Ploum

⇐ retour index

Et si vous testiez le web payant ?

samedi 26 janvier 2013 à 00:01

Virtual-Tip-Jar

English version

Je vous propose une expérience. Pendant toute l’année 2013, vous allez payer 2€ par mois pour le contenu que vous consommerez sur le web : les billets de blog, les photos que vous appréciez, la musique, les articles de la presse en ligne et même les commentaires ou les tweets. Tout deviendra payant !

Quoi ? Rendre le web payant ? Oui mais…

La première subtilité c’est que c’est vous qui allez choisir a posteriori le contenu pour lequel vous payerez. C’est un peu comme aller au cinéma et, à la fin de la séance, choisir si le film était assez valable pour mériter que de payer le ticket.

La seconde subtilité c’est que vous ne dépenserez que 2€ par mois, quoiqu’il arrive. Aucun risque d’avoir une mauvaise surprise. Au final, cette expérience ne vous coûtera donc que 24€ pour toute l’année. Si vous êtes d’un naturel curieux et que vous pouvez vous permettre cette dépense, pourquoi ne pas tenter ?

Comment se lancer dans cette expérience ?

C’est très simple : il suffit de se créer un compte sur Flattr et de leur verser 24€ par carte de crédit ou par virement IBAN.

flattr

Une fois votre compte activé, à chaque fois que vous appréciez du contenu, essayez de trouver le bouton vert afin d’envoyer un « Flatt ». Si vous n’en trouvez pas sur votre site préféré, n’hésitez pas à contacter l’auteur et lui conseiller d’en rajouter un.

flattrbuttons

Mais même sans bouton vert, vous pouvez souvent soutenir l’auteur. Si vous installez l’extension Flattr pour Firefox ou Chrome, le logo Flattr s’affichera en haut de votre navigateur à chaque fois que la page que vous êtes en train de consulter sera « Flattable ». Il est ainsi possible de Flatter les tweets sur Twitter, les vidéos sur Vimeo, la musique sur Soundcloud et GrooveShark, les images sur Flickr, 500px et Instagram, les projets et même les commits sur Github.

flattr_extension

Dans le cas où un auteur n’a pas encore de compte Flattr, votre Flatt est mis en attente et ne deviendra effectif que lorsqu’il aura été réclamé. L’argent des Flatts en attente reste bien entendu sur votre compte.

Il est même possible d’automatiser : GrooveShark propose l’option de Flatter les artistes que vous avez écouté durant le mois. Le service externe FlattrStar permet de Flatter automatiquement le contenu que vous marquez comme favori dans Google Reader, Readability, Instagram, Pocket et bien d’autres. Il est même possible de Flatter les artistes dans la rue avec son smartphone ! Mais chaque chose en son temps, gardons tout cela pour plus tard.

Recevoir des Flatts

Vous soutenez donc le contenu que vous appréciez. Mais, après tout, si vous publiez sur n’importe lequel de ces sites, vous êtes également éligible pour recevoir des Flatts. Peut-être votre production est-elle appréciée. Si vous avez un blog, n’hésitez pas à faire en sorte que chacun de vos billets soit Flattables.

Et si vous postez un commentaire sur ce blog, n’oubliez pas de renseigner votre identifiant Flattr. Qui sait d’autres le jugeront suffisamment pertinent pour mériter un Flatt !

Le revers de la médaille

Si je suis très enthousiaste sur le principe, il faut reconnaître que Flattr a deux gros défauts.

Le premier c’est qu’il s’agit d’un service propriétaire centralisé. Il faut donc leur faire entièrement confiance. Ayant des contacts assez réguliers avec l’équipe, je leur accorde la mienne mais j’avoue que j’aimerais voir l’émergence d’alternatives décentralisées (basées sur bitcoin ?) ou d’une réelle concurrence. En attendant, Flattr est une solution particulièrement intéressante.

Le second défaut est que Flattr prend 10% sur chaque don. Au cours de votre expérience, 2,4€ iront donc à Flattr. Si il est raisonnable de payer une commission, le pourcentage peut sembler élevé.

Conclusion de l’expérience

Prenez un an pour tester. Dans le pire des cas, vous aurez dépensé 24€ dont 21,6 auront été directement aux contenus que vous avez apprécié. Et vous en resterez là. Vous pouvez même limiter l’expérience à 6 mois en ne virant que 12€.

Mais si tout se passe bien, vous découvrirez le plaisir de soutenir le web que vous appréciez, vous vous abonnerez aux productions particulièrement intéressantes afin de les Flatter durant 3 ou 6 mois et vous vous surprendrez à augmenter la limite mensuelle à 3€, 5€ ou, si vous êtes très riche, 250€ qui est le maximum.

Peut-être que la volonté de rentabiliser votre compte Flattr vous motivera à créer un blog, à publier des photos sur Flickr, de la musique sur SoundClound ou des vidéos sur Viméo. C’est un peu honteux de l’avouer mais, si quelques euros vous motivent et vous poussent à vous exprimer, pourquoi s’en priver ?

 

English version

flattr this!

Lorsque l’industrie fait son deuil

mardi 22 janvier 2013 à 12:54

Une vieille industrie

Confronté à une évolution de la société ou un progrès technologique qui la met en péril, une industrie doit faire le deuil de son business model. Le deuil est une étape nécessaire avant de pouvoir construire un nouveau modèle, de s’adapter.

Au cours de ce deuil, les industriels et les clients vont, sans le savoir, suivre les étapes décrites par Elisabeth Kübler-Ross : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et pour finir l’acceptation. Au plus ces étapes seront longues, au moins l’acceptation sera facile.

Le déni

Confronté à la nouveauté, les premières réactions vont être de l’ignorer ou de la minimiser. On reconnait très bien cette étape au fait que les industriels ne savent donner aucun argument concret pour justifier la continuation de leurs affaires. À la place, ils se rabattent sur de l’impalpable : « Nos clients nous sont fidèles », « Notre clientèle fait confiance à nos années d’expérience », « Chez nous il y a le service et la qualité » voire « Les clients ne vont pas acheter ce produit concurrent, ce n’est pas dans leurs habitudes » ou « Il y a des cas où notre produit est meilleur ».

Les clients eux-mêmes justifieront leur fidélité à l’ancien modèle avec ces arguments. Remarquons la difficulté de trouver du concret ou l’utilisation d’une situation existante pour justifier des ventes futures sans tenir compte de l’évolution probable. « Tout le monde n’a pas Internet ».

Aujourd’hui, ce stade est très visible chez les fabricants d’ordinateurs portables « Une tablette n’est pas un outil de travail » ou de GPS « Mais tout le monde n’a pas de smartphone ». On le retrouve également dans l’industrie automobile « Du pétrole, on en trouvera toujours » ou « Il est illusoire de vouloir se passer de la voiture ».

D’autres arguments de déni portent sur la fourniture de services annexes présentés comme indispensables : « Les gens vont continuer à acheter des CDs. Ils ont besoin de toucher, de consulter le livret. »

La colère

Les chiffres de vente sont en baisse, on ne peut plus le nier. Parfois, ce n’est pas une réelle baisse mais une croissance éhontée du concurrent. L’industrie passe alors par une phase de colère. Cette colère se marque par une moralisation appuyée de ce qui n’était que de la vente et de la consommation. L’évolution devient « mauvaise ». On fait peser sur les anciens clients infidèles une culpabilité morale.

C’est Steve Ballmer qui traite Linux de Cancer, ce sont les usines nationale qui s’insurgent contre les produits étrangers, c’est l’industrie du disque qui présente le spectre des musiciens mourants de faim et réduits à mendier.

Les clients fidèles intègrent cette moralité et elle donne un côté éthique à leurs achats. Acheter ces produits procure une gratification morale intense. Cela devient d’ailleurs l’unique valeur ajoutée de l’achat : on paie plus cher pour s’acheter une bonne conscience. Les clients ayant abandonné le navire sont pointés du doigt. Souvent, il est également fait appel à la fibre patriotique ou éthique.

Le marchandage

Il devient évident que la compétitivité et la rentabilité économique font désormais partie du passé. En échange de cette reconnaissance, l’industrie négocie la poursuite de ses activités mais, cette fois-ci, subventionnées par le gouvernement ou par des transactions tout à fait artificielles.

Les arguments deviennent la préservation des emplois et le fait que la société ne peut pas se passer de l’industrie concernée. Contrairement aux étapes précédentes, les arguments ne sont plus destinés aux clients mais bien uniquement au pouvoir politique. On met également au défi les clients infidèles de trouver un nouveau business model mais sans changer un iota des intérêts existants. L’impossibilité flagrante de s’adapter sans rien changer  est pris comme une justification de la continuation actuelle.

Typiquement, on trouve les industries lourdes qui ne tournent que grâce au financement public ou les journalistes qui souhaitent faire payer Google pour combler la perte de leurs revenus.

Dans une grande majorité des cas, le pouvoir politique saute à pieds joint et finance des emplois de toutes façons condamnés.

La dépression

Dans la dépression, toutes les barrières sautent. L’industrie n’hésitera pas à recourir à des moyens à la limite de la légalité pour tenter d’inverser le cours de destin : corruption, attaques en justice de ses anciens clients qui ont eu le malheur de l’abandonner, lobby politique pour faire passer des lois iniques dans son unique intérêt.

L’industrie du disque attaquant des citoyens pour téléchargement de MP3 et tentant de faire passer l’accord SOPA est un exemple particulièrement illustratif : toute moralité, toute humanité a été abandonnée. On est dans la rage destructrice : le monde disparaîtra avec moi !

Les grèves contre la fermeture d’une usine sont une autre illustration. Face à une menace de ne plus pouvoir travailler, les employés arrêtent le travail en signe de protestation et vont, dans certains cas, jusqu’à la destruction physique du matériel. L’apparente absurdité est en fait la manifestation d’un profond désespoir.

La dépression mène aux licenciements en masse voire à la faillite totale. La responsabilité n’est que rarement assumée. Le monde entier et principalement les anciens clients sont accusés de tous les maux.

L’acceptation

Le nouvel ordre est accepté. De nouvelles entreprises apparaissent. Les anciennes qui n’ont pas fait faillite se restructurent soit en ciblant un marché particulier soit en adaptant leur offre.

On notera par exemple la transformation radicale d’IBM qui est passé en quelques années d’une société produisant des ordinateurs à une pure société de logiciels, de services et de conseils. Devant la pression du marché, il était en effet évident que les marges sur le matériel n’allaient faire que baisser. IBM a anticipé et accepté ce fait pour s’adapter. D’autres, comme HP, éprouvent aujourd’hui les plus grandes difficultés pour être resté dans le déni (et y être toujours ?).

Différence par rapport à un deuil classique

Il est important de remarquer que, contrairement à un deuil classique, une industrie devant faire face à la disparition de son business model va faire l’expérience des étapes décrites sur une longue période et va les mélanger allègrement. En effet, les étapes concernent les individus. Les travailleurs, les dirigeants, les clients et les politiques. Chaque individu va passer à travers les étapes selon son propre rythme.

Ainsi, un groupe de dirigeant peut être dans la phase de marchandage et convaincre un politicien de rester dans le déni en lui disant qu’il ne s’agit que d’une situation temporaire. Dans le même temps, on tentera de garder les clients dans l’état de la colère afin qu’ils fassent pression sur le politicien. Si l’industrie de la musique est clairement entré dans la phase de dépression, ses clients fidèles et ses employés (les musiciens) oscillent pour la plupart entre la colère et le marchandage.

Au sein d’une même entreprise, des employés peuvent être en train de suivre des cours du soir et d’envoyer déjà des CV (acceptation) alors que d’autres manifestent (dépression) et que certains préfèrent ne même pas y penser (déni).

Conclusion

Un point important est l’inéluctabilité. Dès qu’une entreprise ou un pan entier d’une industrie rentre dans le déni, la fin est annoncée. La résistance peut retarder la chute finale mais la rendra également plus violente. Plus les différentes étapes sont prolongées, moins il y a de chance d’avoir une acceptation douce avec une adaptation plutôt qu’un drame.

Il faut cependant relativiser sur le fait qu’une fin annoncée peut parfois prendre des années pour devenir perceptible. L’aspect lointain renforcera le déni, posant les bases d’une chute finale violente en lieu et place d’une reconversion négociée.

Photo par Holger Eilhard

 

flattr this!

An Open Letter To Pirated Artists

vendredi 18 janvier 2013 à 00:08

Pelican et drapeau pirate

Également disponible en français.

Dear artists,

A year ago, in order to support the blackout against SOPA, I wrote a blog post explaining why I was pirating your work. A few hours later, the sudden closure of Megaupload gave an unexpected popularity to my text. In the weeks that followed, nearly 100,000 people read it on this blog, not to mention the numerous translations.

With Flattr, I earned a total of € 34.70 for that post and its French translation. If I had a 1€ paywall, this post alone would worth € 100,000. Even considering that only 10% of readers would pay, it would still be around € 10,000. Not bad, isn’t it?

But if I charged visitors, nobody would have read that text in the first place. It would never have become viral and I would not have earned a single euro on Flattr. This seems obvious, isn’t it? It is nevertheless exactly what the entertainment industry makes you believe when they say that pirates steal. Pirates steal your art as much as readers stole mine when reading my blog post.

The fundamental error is to consider art as a commodity. Even selling MP3 or eBooks follows the principle of hardware. Buyers keep their “MP3s” as a collection of records. DRM attempts to mimic physical constraints in the virtual world.

But what is your goal as an artist? Selling records, books and paintings? Or to be read, listened to and admired? Hopefully, money put aside, you would choose the second. Discs and books are only physical mediums that allow you to broadcast  your art.

Many of you can not make a living out of art. It is a sad but perfectly normal situation. Personally, I also consider myself as an artist. After all, I blog and I write fiction. I would like to make a living out of it in order to devote myself full time to writing. This is obviously not the case. Either I did not found the right business model or I don’t have enough talent. Is it the fault of people who read my blog for free? Definitely not : they spread my writings and give me sometimes small donations. Yet again, this is exactly what the industry makes you believe: that your fans are your enemies, those that prevent you from living from your talent.

You want to broadcast your art, and if possible, earn money. We want to enjoy your art, and if possible, contribute financially to your talent.

However, when we buy your art “legally”, we know that over 95% of our money goes to intermediaries. We consider most of them unnecessary and harmful to society. All the sweat, all the talent that you put in your art is vampirized at 95% by these parasites. We are also reluctant to pay the same price for a fun song that we will listen to once or twice or a hymn that will resonate for every morning of our lives.

We are ready to invest in the launch of your projects, eg on Kickstarter. But we do not want to pay to “own” a file. It does not make any sense. We do not imagine paying a fixed price each time we “consume” a piece of art. Your hardcore fans would be ruined. Not to mention those who listen to background music while working. It would be a barrier to your success. My personal solution is to  give, every month, a fixed amount through Flattr. On Grooveshark, an artist is Flattred if I listened to one of his song at least once during the month. I’d like to see similar automatism for ebooks or web pages I read within Pocket.

If we generalize such a system, your interest as an artist would become to be heard, read, admired. Even if it is years later, allowing you to focus on the long term. On the opposite, mixing a work with its physical support encourages quick consumption, aggressive marketing and ephemeral success before falling into oblivion.

In order to preserve its own obsolete interests, the entertainment industry has lied to you pretending that we were your worst enemy, they benefited from the vast majority of your earnings, they threatened your fans as criminals, they perverted our laws, our politicians and our educational system, they standardized our culture and creativity.  Simple tactics: they oppose us and benefit. However, we share a common interest: that you could devote yourself to your art without having to flip burgers. While their own is to earn money, regardless of your accomplishment.

Dear artists, would you embark on a pirate ship bound for the new world where fans and artists cooperate? Everything has to be discovered yet. Flattr is anecdotal and, moreover, might be more an experiment than a solution. Same for online donations. Many problems have to be solved. This is why we need you and your creativity. But not those leeches on your back.

Hoping for a positive answer from you,

A pirate fan.

 

Picture by Jason Barnette.

Également disponible en français.

flattr this!

Lettre ouverte aux artistes piratés

vendredi 18 janvier 2013 à 00:07

Pelican et drapeau pirate

English translation available.

Chers artistes,

Il y a un an, en solidarité avec le blackout de protestation contre SOPA, j’ai écrit un billet expliquant pourquoi je piratais vos œuvres. Quelques heures plus tard, la fermeture soudaine de MegaUpload suscitait une vague d’indignation sur le web, donnant à mon billet une visibilité inattendue. Dans les semaines qui ont suivi, près de 100.000 personnes ont lu mon billet, sans compter les nombreuses traductions.

Grâce à Flattr, j’ai gagné un total de 34,70€ pour ce billet et sa traduction anglophone. N’aurais-je pas du rendre la lecture payante à 1€ ? Ce billet à lui seul m’aurait alors rapporté 100.000€. Même en considérant que seulement 10% des lecteurs auraient payé, cela ferait toujours 10.000€. Pas mal non ?

Mais si j’avais rendu l’accès à mon texte payant, personne ne l’aurait lu, il ne serait jamais devenu viral, je n’aurais pas eu le moindre euro sur Flattr. Cela doit vous sembler évident. Pourtant, c’est exactement ce que les industriels du divertissement vous font croire quand ils vous disent que les pirates vous volent. Les pirates vous volent autant que les lecteurs de mon billet m’ont volé en le lisant.

L’erreur fondamentale est de continuer à considérer l’art comme un bien matériel. Même la vente de MP3 ou de livres électroniques suit ce principe de matérialisation. Les acheteurs gardent « leurs MP3 » comme une collection de disques. Les DRM tentent d’imposer les contraintes matérielles au monde virtuel.

Mais vous, artistes, quel est votre objectif ? Vendre des disques, des livres et des planches ? Ou être lu, écouté et admiré ? J’ose espérer que, toute considération pécuniaire mise à part, vous préférez la seconde solution. Les disques et les livres ne sont que des supports matériels à votre art.

Beaucoup d’entre vous n’arrivent pas à en vivre. Même si c’est dommage, c’est entièrement normal. Personnellement, je me considère également comme un artiste : je blogue et j’écris de la fiction. J’aimerais en vivre pour pouvoir m’y consacrer pleinement. Pourtant, ce n’est pas le cas. Soit que je n’aie pas trouvé le bon business model soit que je n’aie tout simplement pas le talent nécessaire. Est-ce de le faute des gens qui consomment mon blog gratuitement ? Non, au contraire vu que certains me font même des dons ou répandent mes écrits. Pourtant, encore une fois, c’est exactement ce que les producteurs vous font croire : que vos fans sont vos ennemis, ceux qui vous empêchent de vivre de votre talent.

Vous voulez diffuser votre art et, si possible, gagner de l’argent. Nous voulons profiter de votre art et, si possible, contribuer financièrement à votre talent.

Cependant, lorsque nous achetons votre art « légalement », nous savons que plus de 95% de notre argent ira à des intermédiaires que nous considérons inutiles et nocifs pour la société. Toute la sueur, tout le talent que vous avez mis dans votre expression est vampirisé à 95% par ces parasites. Nous sommes également réticents à payer le même prix pour une chanson amusante que nous écouterons une ou deux fois ou un hymne qui résonnera chaque matin de nos vies.

Nous sommes prêts à investir dans le lancement de vos projets, par exemple via Kickstarter. Mais nous ne voulons pas payer pour « posséder » un fichier informatique. Cela n’a plus de sens. Nous n’imaginons pas non plus payer un prix fixe à chaque fois que nous vous écoutons ou lisons. Cela ruinerait vos fans et ceux qui écoutent de la musique en arrière plan toute la journée. Ce serait un frein à votre succès. À la place, personnellement, je donne tous les mois une somme fixe via Flattr. Sur Grooveshark, un artiste est Flattré si je l’ai écouté au moins une fois durant le mois. J’aimerais que cela soit également automatique quand je lis un ebook ou une page web dans Pocket.

En généralisant un tel système, votre intérêt d’artiste serait d’être écouté, lu, admiré. Et cela même des années plus tard, vous autorisant à miser sur le long terme. À l’opposé, lier une œuvre à un support encourage le marketing aggressif, la consommation éphémère et le succès bref avant de retomber dans l’oubli total.

Afin de préserver ses seuls intérêts et son obsolescence, l’industrie du divertissement vous a menti en nous faisant passer comme vos pires ennemis, vous a exploités en vous soutirant l’énorme majorité de vos gains, a traité vos fans comme des criminels, a perverti nos lois, nos politiciens et notre système éducatif, a uniformisé la culture et la créativité. Leur technique est simple : nous opposer l’un à l’autre. Pourtant, notre intérêt est commun : que vous puissiez vous consacrer pleinement à votre art sans faire les nuits dans un fast-food pour survivre. Alors que le leur est d’engranger un maximum d’argent, sans considération aucune pour l’art.

Chers artistes, voulez-vous embarquer sur le navire pirate à destination de ce nouveau monde où les fans et les artistes coopéreront ? Certes, tout reste encore à découvrir. Flattr n’est pour le moment qu’anecdotique et, d’ailleurs, c’est peut-être plus une piste de réflexion qu’une solution réelle. Tout comme les dons en ligne. Il y a beaucoup de problèmes à résoudre. C’est pourquoi nous avons besoin de vous et de votre créativité. Mais pas de ces sangsues que vous avez sur le dos.

En espérant une réponse positive de votre part,

Un admirateur pirate.

 

Photo par Jason Barnette.

English translation available.

flattr this!

La conséquence inattendue du libre : la politique

mercredi 16 janvier 2013 à 17:12

open_lock

Dernièrement, j’ai partagé avec vous trois éléments que je trouve cruciaux pour l’informatique de demain et qui, je pense, ont été très mal négociés par le monde du logiciel libre. Tellement mal négociés que je doute que le logiciel libre puisse jamais rattraper son retard. Il s’agit de l’expérience utilisateur, de la décentralisation et du respect de la vie privée.

À certains égards, les libristes comme moi font de plus en plus penser à une tribu de Papous vivant à l’écart, n’ayant que très peu de contacts avec le reste du monde. Ainsi, à l’heure où plus personne n’utilise Flash, le projet prioritaire de la Free Software Foundation reste l’implémentation d’un lecteur Flash libre. Le FOSDEM, grand messe des libristes, possède des salles réservées aux discussions des développeurs ADA ou Smalltalk mais aucune n’a pour sujet les réseaux sociaux libres ou HTML5 et Javascript.

Soyons réalistes : si le libre est partout, on cherchera à trouver plus d’une poignée de produit grand public et libres au sens de la FSF. Les plus grands succès du libre comme Android et, dans une moindre mesure, Ubuntu, sont rejetés des puristes.

Le libre devrait-il toujours s’associer avec le propriétaire pour réussir ? A-t-il donc échoué ? Est-il mort ? Faut-il renier toutes ces années ?

Non car, pour réussir, le propriétaire n’est-il pas désormais obligé de s’associer avec le libre ? Les deux ne sont-ils pas intrinsèquement liés ? La pureté est-elle essentielle au succès ?

Mais au-delà de l’informatique, le libre a étendu son influence dans un domaine où peu l’attendaient : la politique. Si le libre n’a pas su gérer techniquement la décentralisation et la vie privée, les idées sous-jacentes ont fait leur chemin dans la conscience collective. Au point d’envahir la place publique.

Dernièrement, les chemins de fer belges ont diffusé par accident les données personnelles de plus d’un million d’utilisateurs, prenant complètement au dépourvu une classe politique ne sachant même pas s’il s’agissait d’un fait grave ou pas. Ce sont les citoyens qui ont répondus les premiers, qui ont géré la crise et qui ont mis en place l’information nécessaire. Là où le libre n’a pas su apporter une solution technique, il a néanmoins préparé le terrain pour que les citoyens puissent faire face.

Si beaucoup de sociétés privées ne voient que le court terme ou le prix, de plus en plus d’administrations découvrent la nécessité de l’intéropérabilité et financent des projets comme LibreOffice. Le modèle même de collaboration du libre s’invite de plus en plus souvent au sein des collectivités, afin de mettre en commun les ressources comme on peut le voir notamment avec CommunesPlone.

Le libre n’a pas su tenir toutes ses promesses techniques. Mais il a finalement apporté beaucoup plus que de la technique. Il change le monde. Son influence se fait sentir dans les conférences et jusque dans les partis politiques existants (citons Ecolo en Belgique, chez qui c’est particulièrement visible). Cet univers libriste a même été le terreau d’un nouveau mouvement politique : le Parti Pirate.

Car si tous les libristes sont loin d’adhérer à la philosophie du Parti Pirate, force est de constater que celui-ci rejoint souvent les préoccupations du libre : liberté individuelle, respect de la vie privée et transparence de la politique, le code source de notre société. À tel point que beaucoup de pirates passent au logiciel libre suite à leur engagement politique !

On pourrait y voir une idéologie libriste à l’œuvre. J’y vois surtout un pragmatisme. Une génération a découvert, à travers tous les projets libres, les bienfaits de la collaboration à l’échelle planétaire, l’efficacité de la gestion transparente. Une génération biberonnée à la mixité culturelle, maternée au débat technique et à la remise en question permanente sans a priori de race, de sexe, d’apparence physique.

Cette génération qui ouvre les yeux et qui se dit : « Si on a réussi à le faire pour des projets techniquement ultra-complexes, pourquoi est-ce que cela ne marcherait pas avec la gestion de la chose publique ? ».

Peut-être que la plus grande conséquence du libre n’est pas à chercher dans les milliards de lignes de code ni dans les millions de pages Wikipédia mais là, parmi ceux qui, ayant fait l’expérience de l’ouverture, de la transparence et de l’égalité ne peuvent plus concevoir un état obscur, complexe et trop souvent inique.

Peut-être que le libre est avant tout un modèle de société, une école de vie.

 

Photo par Lyudagreen.

PS: Comme mon blog prend une connotation de plus en plus politique, certains lecteurs du Planet Libre se plaignent, par mails ou dans les commentaires, qu’il s’agit de contenu qu’ils n’ont pas envie de lire sur le Planet. Bien que je me souvienne pas avoir forcé qui que ce soit à me lire, je ne souhaite pas entrer dans ce débat à chacun de mes billets et j’ai donc demandé la suppression de mon blog du Planet Libre. J’invite ceux qui souhaitent continuer à me lire à me suivre directement par RSS ou Twitter.

 

flattr this!