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Promis, je reste !

vendredi 10 février 2017 à 14:17

— S’il-te-plait, ne m’abandonne pas ! Résiste ! Reste !

Écrasé par la douleur, je broie sans m’en rendre compte les doigts frêles posé sur le lit d’hôpital. De longues larmes lourdes et pesantes ruissellent sur ma joue, inondant le drap.

Elle tourne vers moi un regard fatigué, épuisé par la douleur.

– Je t’aime, fais-je d’une voix implorante.

D’un clignement des yeux, elle me répond.

— Je t’aime, murmure un souffle, une ébauche de sourire.

Soudain, je me sens apaisé. Mon esprit s’est clarifié. D’une voix nette et fluide, je me mets à parler.

— J’ai toujours été deux avec toi. Ma vie s’est construite sur nous. Je n’ai jamais imaginé que l’un de nous puisse partir avant l’autre. L’amour, ce concept abstrait des poètes, a guidé chacun de mes pas, chacun de mes soupirs. C’est vers toi que j’ai toujours marché, c’est pour toi que j’ai toujours respiré.

Comme un barrage soudainement détruit, j’éclate en sanglot. Ma voix se déforme.

— Que vais-je faire sans toi ? Comment puis-je encore vivre ? Ne me laisse pas ! Reste !
— Je… Je te promets de rester, balbutie une voix faible. De rester aussi longtemps que tu le souhaiteras. Je partirai seulement quand tu me laisseras partir. Promis, je reste…
— Mon amour…

Pendant des heures, je baise cette main désormais décharnée, je pleure, je ris.

— Je t’aime ! Je t’aime mon amour !

Rien n’a plus d’importance que l’amour qui nous unit.

Une poigne ferme s’abat soudainement sur mon épaule.

— Monsieur ! Monsieur !

Hébété, je me retourne.

— Docteur ? Que…

— Je suis désolé. Il n’y a plus rien à faire. Nous devons procéder à la toilette du corps.

— Hein ? Mais…

Perdu, je me tourne vers ma bien aimée. Ses yeux sont fermés, un très léger sourire illumine son visage.

— Elle dort ! Elle s’est simplement assoupie !

Dans mes doigts, sa main est devenue glacée, rigide.

— Venez, me dit doucement le docteur en m’accompagnant. Avez-vous de la famille à appeler ?

*

J’entends à peine le chauffeur démarrer et faire demi-tour derrière moi. Sous mes pieds, les familiers graviers de l’allée crissent et se mélangent. Machinalement, j’ai introduit ma clé et ouvert la porte. Un sombre silence m’accueille. Ma bouche est sèche, mes tempes bourdonnent d’avoir trop pleuré.

Sans allumer la lumière, je traverse le hall d’entrée et m’installe dans la cuisine. Ouvrant le robinet, je me sers un verre d’eau.

Un frisson me parcourt l’échine. Une porte claque. Dans l’armoire du salon, les verres en cristal se mettent à chanter.

— Qui est là ?

Une fenêtre s’ouvre violemment et un tourbillon de vent envahit la pièce, m’enveloppant dans l’air froid de la nuit.

À mon oreille, une voix proche et lointaine susurre :

— Promis, je reste…

 

Photo par Matthew Perkins.

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Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

La conscience de l’humanité passera-t-elle par les réseaux sociaux ?

mardi 7 février 2017 à 14:10

Dans « Pourquoi nous regardons les étoiles », j’ai expliqué que l’humanité est pour moi un organisme multicellulaire qui est en train de se doter d’un système nerveux (l’écriture et Internet) et, bientôt, d’une conscience.

D’un point de vue anecdotique, il est intéressant de constater que le logiciel d’intelligence artificielle MogIA avait prédit, en analysant les réseaux sociaux Twitter, Facebook et Google, que Trump serait élu là où les médias traditionnels étaient convaincus de la victoire d’Hillary Clinton.

J’ai la conviction que, bien qu’encore balbutiante, une conscience globale est en train d’émerger sur les réseaux sociaux.

Et vous avez un rôle primordial à jouer pour donner une direction à cette conscience, pour lui inculquer les valeurs qui vous sont chères.

Le piège des « fake news »

Depuis l’élection de Trump, un débat a lieu sur le partage des “fake news” sur les réseaux sociaux, des canulars présentés comme des nouvelles réelles et qui auraient influencés les électeurs américains.

Mais ces fake news ne sont-elles pas tout aussi représentatives de notre conscience collective que n’importe quelle autre information ? La réalité est une notion complexe et sa représentation est forcément subjective.

Après tout, notre société européenne s’est construite sur un livre, la bible, qui contient tellement de contradictions et d’absurdités que la question de sa réalité ne devrait pas se poser. Pourtant, il fut à la fois le fruit et l’influence de notre conscience collective durant plusieurs siècles.

Si nous voulons faire grandir notre conscience collective, il ne faut pas filtrer les fausses nouvelles, il faut apprendre à devenir critique et à les comprendre comme ce qu’elles sont : une partie légitime de nous-mêmes.

Il n’y a pas de vraie ou de fake news mais des expressions différentes de notre perception commune. Toute “vraie” news reste filtrée par la subjectivité de celui qui l’a écrite.

Construire une conscience collective sur Facebook

Je vous propose donc d’analyser l’influence que les réseaux sociaux ont sur nous et que nous pouvons avoir sur eux, en commençant par Facebook.

Pour chaque action que nous avons la possibilité d’effectuer, j’ai identifié trois effets :

Aimer une page Facebook

Sur Facebook, “Aimer” est un terme trompeur. Il serait plus juste de dire “Je soutiens publiquement”. Par exemple, en aimant la page Ploum, vous soutenez publiquement mon action de blogueur.

L’effet sur les autres est relativement important car cela revient à recommander Ploum à vos amis. Plus une page à des “J’aime”, plus elle est considérée comme crédible et importante, spécialement par les médias traditionnels. Votre “J’aime” a donc un poids réel (tout comme le fait de me suivre sur Twitter, le nombre de followers étant perçu comme une mesure de l’importance de la personne).

L’effet que cela a sur vous est très faible, voire nul à moins que vous ne cliquiez sur “Voir en premier”. Si vous ne faites pas cela, vous ne verrez presque pas les publications de la page en question. La raison est simple : Facebook fait payer les propriétaires de pages pour toucher leurs fans.

Le business de Facebook est donc de vous encourager à aimer ma page puis à me faire payer pour que mes posts vous parviennent.

Précision importante : vous offrez une part énorme de votre attention aux publicitaires si vous aimez des pages génériques ou liées à des domaines précis. Si vous aimez ce qui touche au vélo, vous serez inondés de publicités liées au vélo. C’est en utilisant cette technique que Trump a pu être élu malgré une campagne ridicule et un budget très limité.

Soyez donc vigilants et passez en revue tous vos “J’aime”, surtout ceux que vous avez fait à un moment ou un autre pour participer à un concours. N’aimez que ce que vous considérez comme un réel soutien public.

Personnellement, j’évite les marques, les grands groupes et les concepts génériques. J’aime les personnes, les artistes peu connus, les organisations ou les commerces locaux dont je souhaite activement assurer la promotion.

Profitez-en pour aimer Ploum.net sur Facebook et Twitter ! Ne suis-je pas un artiste peu connu ?

Aimer et repartager un contenu sur Facebook

En aimant et repartageant un contenu, vous un avez un effet maximal sur Facebook. Non seulement vous donnez du poids à un contenu mais vous augmentez la probabilité que votre entourage y soit confronté.

Attention, il y’a une astuce : ce poids va au contenu et pas au message au-dessus. Si vous aimez un message de type “Ce site d’extrême-droite est scandaleux”, vous donnez du poids… au site en question et favorisez l’apparition de ce site sur Facebook.

Il est donc important de ne pas partager ce qui vous indigne mais bien des sites, des articles, des vidéos que vous soutenez réellement.

Autre revers de la médaille : vous vous mettez à nu face aux publicitaires. Si vous aimez des articles sur le vélo, ils finiront par comprendre que vous aimez le vélo, bien que vous n’aimiez aucune page liée.

En résumé, soyez très prudents avec ce que vous partagez et soyez positifs !

Si vous voulez donner de la « conscience » à notre humanité Facebookienne, je vous encourage à partager des articles, des textes, des vidéos que vous trouvez vraiment intéressants, qui ont du fond, qui vous semblent pertinents.

Personnellement, je tente de proscrire les « révélations » de type « ce que les médecins/politiciens/médias vous cachent », les vidéos ou images amusantes, choquantes mais sans réelle réflexion. J’évite également les posts automatisés de type quizz, sondages ou « quel chat/acteur/personnage êtes-vous ? ». J’essaie également d’éviter ce qui fait réagir mais n’est au fond qu’anecdotique. Je fuis la manipulation des émotions.

En postant des articles ou des vidéos de fond, vous invitez à la réflexion, à échanger des idées. En développant des arguments serein et positifs dans les commentaires, vous faites grandir notre conscience collective. C’est justement ce que j’essaie de faire, à ma petite échelle, avec les articles que j’écris ou que je partage.

Qui façonne ceux qui nous façonnent ?

En conclusion, il apparaît que Facebook est avant tout une machine à nous façonner. L’influence que Facebook a sur nous est maximale tandis que celle que nous avons sur Facebook est minimale.

Minimale mais existante !

Si nous sommes de plus en plus nombreux à utiliser Facebook avec la pleine conscience de ce que nous faisons, l’effet sera tangible !

Je comprends le désir de beaucoup d’entre vous de quitter ou de ne jamais rejoindre Facebook. Malheureusement, on ne peut plus nier l’importance que cet outil a pris dans le façonnement de notre humanité. À tel point que je le trouve de plus en plus représentatif de la « conscience de l’humanité ». Alors est-il préférable de le quitter complètement ou d’essayer de le façonner à notre image ? À chacun de choisir sa solution en conscience…

 

Photo par Frans de Wit.

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Pourquoi nous ne faisons pas la révolution ?

dimanche 5 février 2017 à 13:19

Autour de moi, nombreux sont ceux qui s’indignent sur les différentes injustices, sur la malhonnêteté flagrante et indiscutable des politiciens qui nous gouvernent. Et de s’interroger : « Comment se fait-il qu’on tolère ça ? Pourquoi n’y a-t-il pas de révolutions ? »

La réponse est simple : car nous avons trop à perdre.

Depuis la corruption à peine voilée et bien connue de nos dirigeants aux injustices inhumaines de notre système, nous dénonçons mais n’agissons pas.

Nous avons peur de perdre…

Grâce à la productivité accrue, notre société pourrait nous nourrir et nous loger confortablement sans soucis. Cependant, nous sommes encore tous entretenus dans la superstition qu’il est nécessaire de travailler pour mériter le droit de survivre. Nous avons peur de la pauvreté voir même de demander de l’aide, d’être assistés.

Le travail est une denrée de plus en plus rare ? Le travail est le seul moyen de survivre ?

Ces deux croyances sont si profondément ancrées qu’elles rendent difficile de prendre le moindre risque de changer les choses. Car tout changement pourrait être pire. Et induire le changement est un risque individuel !

Nous avons trop à perdre…

Emprunt hypothécaire, grosse voiture, smartphone assemblé en Chine, ordinateur portable, chemises de marque produites par des enfants au Bangladesh. La société de consommation nous pousse à trouver dans l’achat et le luxe ostentatoire une réponse à tous nos maux.

Nous soignons l’hyperpossession par des achats compulsifs. Nous ne sommes même pas intéressés par les objets en question mais par le simple fait d’acheter, de posséder. Sinon, nous achèterions de la qualité.

Et le résultat est que nous possédons énormément de brols, de produits de mauvaises qualité que nous n’utilisons pas mais que nous entassons et refusons de jeter pour ne pas remettre en question notre acte d’achat. Nous possédons tellement que tout changement nous fait peur. Serions-nous prêts, comme nos arrières-grand-parents, à partir sur les routes en n’emportant qu’une simple valise ? Nous avons travaillé tellement d’heures pour acheter ces biens que nous stockons, souvent sans les utiliser une fois l’effet de nouveauté passé.

Prendre des risques

Au plus nous possédons, au plus nous avons à perdre. Ajoutons à cela que, dans le crédo sociétal, toute déviation de la norme est perçue comme une prise de risque incroyable, vitale. Si vous n’avez pas votre maison, vous risquez d’être sans ressource à la pension. Si vous n’avez pas de travail, vous êtes sociétalement un paria et vous serez demain à la rue. Demander de l’aide à des amis ou à la famille serait le comble du déshonneur.

Il est donc préférable de perpétuer le système tel qu’il est, de ne surtout rien changer.

Alors, nous râlons devant les injustices flagrantes, les manquements. Nous nous attacherons à des petits avantages, des augmentations salariales.

Nous voterons pour “le changement” en espérant de tout cœur que rien ne change.

Les révolutions

Il faut se rendre à l’évidence : les révolutions se font par des gens qui sont prêts à sacrifier leur vie.

Or nous ne sommes même pas prêts à sacrifier notre nouvelle télévision et notre carte essence.

Tant que nous nous évertuerons à protéger notre emploi et nos petits avantages, fut-ce au mépris de nos valeurs et de nos propres règles morales, nous nous condamnons à entretenir le système.

Par contre, nous pouvons apprendre à acheter de manière responsable, à ne plus sacrifier nos valeurs pour un emploi, à sortir de nos aliénations. Nous pouvons apprendre à remettre en question ce que nous achetons, ce que nous faisons pour gagner notre vie. Nous pouvons apprendre à refuser de nous laisser manipuler.

Peut-être que c’est tout simplement cela la prochaine révolution : prendre conscience des conséquences de nos actions individuelles, reprendre le pouvoir sur nos vies au lieu de se contenter de remplacer régulièrement ceux à qui nous déléguons le pouvoir.

 

Photo par Albert.

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Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

Stagiaire au spatioport Omega 3000

dimanche 29 janvier 2017 à 14:30

Cette nouvelle, illustrée par Alexei Kispredilov, a été publiée dans le numéro 4 du magazine Amazing que vous pouvez dès à présent commander sur ce lien.

Un léger choc métallique m’informe que la navette vient de s’amarrer à la station spatiale. Je ne peux réprimer un sentiment de fierté, voire de supériorité en observant mes compagnon·ne·s de voyage. Que ce soit ce triplet verdâtre d’alligodiles de Procyon Beta, ce filiforme et tentaculaire Orionais ou ce couple d’humains à la peau matte, tou·te·s ne sont que de simples voyageur·euse·s qui ne feront que transiter dans la station pour quelques heures.

Alors que moi, j’ai été engagé! Je suis stagiaire!
À pleines narines, je déguste les relents tout particuliers du spatioport Omega 3000. Un remugle de mélange, de mixité, de races, d’espèces. Une odeur indéfinissable, bâtarde, propre à tous les spatioports. L’odeur de la vie dans la galaxie.

— Dis moi, jeune homme, tu n’aurais pas vu dans ta navette une dame répondant au nom de Nathan Pasavan? Je suis certaine qu’elle devait être dans ton vol mais…
Étonné, je suis sorti de ma rêverie par une imposante dame aux cheveux gris et frisés. Ses lèvres semblent s’agiter plus vite que la vitesse à laquelle me parviennent ses paroles.— Je suis Nathan Pasavan, fais-je en tentant de prendre mon ton le plus assuré.
Son corps semble se figer un instant et elle pose sur moi un regard amusé.— Toi? Tu es le stagiaire?
— Oui, j’ai été sélectionné après les années de formation, les examens et les tests physiques. Je suis très fier d’avoir été assigné à Oméga 3000.
— Mais… Tu es un homme! Voire même encore un garçon. Je ne m’attendais pas à un jeune homme. Enfin bon, après tout, pourquoi pas. Combien de spatioports as-tu déjà visité ?— Et bien… Un seul!
— Un seul! Lequel?
— Celui-ci… fais-je en bégayant un petit peu.
Elle éclate soudainement de rire.
— T’es mignon. Allez stagiaire, au boulot !
D’une poigne ferme, elle me traîne à travers les méandres de la station avant de me planter une brosse dégoulinante dans les mains.
— Tiens, me dit-elle en pointant du doigt une porte munie d’un hiéroglyphe abscons. Au boulot stagiaire ! Montre-nous qu’un homme peut accomplir un véritable boulot de femme !

Surpris, je reste tétanisé, la brosse à la main. Derrière moi, j’entends la porte se fermer alors qu’une odeur pestilentielle m’assaille violemment les narines. Dans une semi-pénombre, j’arrive à observer un incroyable carnage: une large toilette débordante d’une matière verdâtre, émettant des effluves nauséabondes miroitant à la limite du spectre visible. Une toilette bételgienne, visiblement peu entretenue et utilisée par une armée de blobs visqueux en transit entre la terre et leur planète natale.

Serrant la brosse dans ma main, je déglutis. Est-ce ainsi que sont accueillis les stagiaires? Avec les tâches les plus indignes, les plus avilissantes? Est-ce parce que je suis un homme ?

Retroussant mes manches, je pousse un soupir avant de… Des souvenirs de mon entraînement me remontent à l’esprit. Ce scintillement est caractéristique des excréments de Bételgiens femâles. Une caste sexuelle qui ne mange et n’excrète qu’une mousse organiquement friable. C’est un piège! Si je trempe ma brosse, la mousse va la coloniser et utiliser les particules de savon pour se nourrir et grandir. C’est certainement ce qui s’est passé dans cette toilette. Les excréments de Bételgiens femâles sont cependant particulièrement sensibles à la lumière. Obéissant à mon intuition, je cherche l’interrupteur et inonde la pièce d’une lumière blanche et crue. Aussitôt, l’immonde matière visqueuse se met à ramper et à fuir vers la seule issue obscure : la toilette. En quelques secondes, la pièce brille comme un sou neuf. La porte s’ouvre et ma mentor me dévisage avec un sourire étonné.

— Pas mal pour un mâle, me dit-elle. Bienvenue sur Omega 3000, je suis Yoolandia, Madame Pipi en chef de tout le spatioport. Te voici désormais Madame Pipi stagiaire. Solennellement, elle me tend le cache poussière rose à fleur traditionnel et l’assiette à piécette, insigne historique de la fonction. Ne pouvant réprimer un immense sentiment de fierté, je me mets aussitôt au garde-à-vous.

***

— Alerte ! Alerte ! Situation au box 137.
Mon écran digital vient de s’allumer et je bondis immédiatement. Cela fait à peine quelques mois que je suis sur Omega 3000 mais mon corps a déjà acquis les réflexes de ma fonction. Yoolandia me toise d’un regard narquois.

— Encore une mission dont notre petit génie va s’extirper avec les félicitations du jury. Tu vas bientôt obtenir le grade officiel de Madame Pipi et me faire de l’ombre si tu continues !

— Pourquoi n’ai-je pas le droit à être appelé Monsieur Pipi ?

Elle soupire…

— Jamais le terme n’a été utilisé. C’est une fonction trop importante pour un homme. Allez, va! Le box 137 a besoin de toi!

Tournant les talons, je m’engouffre dans les méandres de la station. Pourquoi les hommes ne pourraient-ils pas occuper de hautes fonctions? Car le rôle de Madame Pipi est primordial dans une station spatiale! Lorsque les races de l’univers sont entrées en contact, nous nous sommes très vite aperçu·e·s que le concept de sexe était extrêmement variable voire indéfini d’une race à l’autre. Par contre, excréter semblait être une constante de la nature.

Les êtres humains étaient la seule race à proposer des toilettes séparées pour les différents sexes. Alors que même les compétitions sportives avaient depuis longtemps aboli toute catégorisation par sexe, les toilettes restaient encore et toujours un lieu de ségrégation. Le reste de la galaxie trouva cette mode tellement excentrique qu’elle décida de l’adopter. Mais comme la plupart des races ne se divisent pas entre mâles et femelles, il fallut instituer des toilettes séparées pour chaque cas pouvant se présenter. Le lépidoptère amurien, par exemple, passe par 235 modifications de sexe au cours de son existence. Dont 30 au cours d’une seule et unique heure. Heureusement, ils ne voyagent que dans 17 de ces situations.

Le rôle de Madame Pipi est donc primordial dans un spatioport. Il requiert de longues années d’études et un entraînement physique à toute épreuve. Pour, par exemple, résoudre le cas qui se présente à moi au box 137. Un box réservé normalement aux surfemelles. Mais dans laquelle est entrée par erreur une limace tronesque agenrée.

Les excréments d’une limace tronesque ressemblent à des billes transparentes qui croissent au contact de l’eau si elles ne sont pas auparavant dissoutes. En tirant la chasse, les surfemelles Odariennes se sont donc retrouvées coincées au milieu de gigantesques sphères translucides.

Un cas d’école assez routinier.

***

— Alerte! Alerte! Situation au box 59!
Je pousse un profond soupir. Tous ces problèmes me semblent si simples à résoudre, si artificiels. En vérité, je m’ennuie !

***

– Bravo Nathan!
Tout en m’embrassant sur les deux joues, Yoolandia colle symboliquement une pièce dans mon assiette. La directrice du spatioport Omega 3000, en personne, s’adresse à l’assemblée.

— Nous sommes très fières, aujourd’hui, de nommer Nathan «Madame Pipi certifiée».
— Monsieur Pipi, grommelé-je entre mes dents.
— La pièce que vient de coller Yoolandia dans l’assiette de Nathan est une véritable pièce de monnaie préhistorique. Cet acte symbolique rappelle l’importance historique de la fonction…

Mais déjà je n’écoute plus. Je suis impatient d’exposer mon idée à Yoolandia. Une idée qui va révolutionner la fonction de Madame Pipi. Tandis que la directrice continue sa harangue, je tire Yoolandia un peu à l’écart.
— Alors, tu es prêt pour ton discours ? me fait-elle.
— Oui, justement, je compte présenter une idée incroyable !
— Quelle idée?
— Eh bien j’ai imaginé supprimer la ségrégation des toilettes…
— Comme c’est original, fait-elle en éclatant d’un rire jaune. Tu crois que tu es le premier? N’as-tu pas compris que chaque type d’excrément doit être traité différemment ? Que la séparation est nécessaire?
— Justement, fais-je, je m’attendais à cette objection. J’ai développé une méthode très simple qui évacue tous les types d’excréments sans produire la moindre réaction indésirable. Un système basé sur de la lumière pulsée, des vibrations et un assortiment d’enzymes tronesques dont…
— Malheureux !
Comme par réflexe, elle m’a couvert la bouche. Son regard est terrifié. Je tente de me dégager.

—Non, tais-toi ,me fait-elle. Tu ne comprends pas ? Tu ne vois pas que tu es en train de tuer notre métier ! Notre prestige !
—Hein?
— Si tu fais cela, c’est la fin des Madames Pipi! Tu n’es certainement pas le premier à arriver à cette solution. Mais celleux qui l’ont trouvée ont vite compris où était leur intérêt.
— Que veux-tu dire?
— Regarde-les, me dit-elle en pointant la foule hétéroclite des employé·e·s du spatioport. La moitié d’entre elleux nous obéissent. Iels sont plombier·e·s, nettoyeur·euse·s, spécialistes en sanitaires différenciés. Leur job dépend de nous! Tu ne peux pas simplifier la situation! Pense aux conséquences!
— Mais…
— Et maintenant, entonne la directrice dans son micro, je vous demande un tonnerre d’applaudissements pour Nathan, notre nouvelle Madame Pipi!
— Monsieur Pipi, murmuré-je machinalement !
Alors que je me dirige vers l’estrade, la voix de Yoolantia me parvient.
— Pense aux conséquences, Nathan. Pour ton emploi et ceux des autres.
À mi-chemin, je me retourne. Elle me darde de son regard perçant.
— N’oublie pas que tu es un mâle. Un mâle du box 227. Je suis une femelle du box 1. Alors, réfléchis bien aux conséquences…

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Les pistes cyclables n’existent pas, ce sont des routes !

samedi 21 janvier 2017 à 10:56
Ceci est le billet 2 sur 2 dans la série Les pistes cyclables

Je pensais avoir découvert la vérité : les pistes cyclables seraient en fait des parkings. Mais j’ai réalisé que ce n’était pas vrai. Les pistes cyclables sont tout simplement des routes comme les autres.

Il suffit donc de mettre des flèches sur le sol pour déclarer, avec fierté, être une commune cyclable.

Ce système n’apporte, bien entendu, aucune protection aux cyclistes. Pire : selon le code de la route, ils sont obligés de rester dans cette bande parfois mal définie et les voitures sont obligés de rouler sur cette bande. Ce système est donc pire pour les cyclistes que pas de piste cyclable du tout ! La couleur n’y change rien…

Tout au plus cela fait-il penser au sang versé par les cyclistes renversé. Cette couleur rouge a d’ailleurs la particularité d’être tellement glissante par temps de pluie que je l’évite à tout prix. Ce serait bien trop dangereux !

Une nouvelle idée a alors fait son chemin dans la tête des politiciens désireux de séduire l’électorat cycliste mais sans dépenser un centime. Les rues cyclables !

Une rue cyclable est une rue dans laquelle une voiture ne peut pas dépasser un vélo. Rappelons que, normalement, un automobiliste ne peut dépasser un cycliste qu’en laissant au minimum un mètre entre lui et le vélo. Cette initiative, si elle est sympathique, ne sert donc strictement à rien pour encourager l’utilisation du vélo.

Heureusement, les rues cyclables font rarement plus d’une dizaine de mètres de long. Il ne faut pas déconner non plus. Ces zones tendent donc à confiner l’utilisation du vélo dans certains rares endroits et renforcent la conviction des automobilistes que, ailleurs, ils sont les rois absolus.

Moralité, les pistes cyclables n’existent pas, ce sont tout simplement des routes ! Ou parfois, des trottoirs…

Le cycliste a donc l’obligation de circuler sur un trottoir étroit, mettant en danger les piétons. Car, rappelons-le, l’usage des pistes cyclables (qui n’existent pas), est obligatoire !

Mais heureusement, les pistes cyclables n’existent pas. Ce sont des routes…

…ou des trottoirs !

Les photos de cet article et du suivant illustrent le combat quotidien d’un cycliste à travers les communes de Grez-Doiceau (bourgmestre MR), Chaumont-Gistoux (bourgmestre MR, Ecolo dans la majorité), Mont-Saint-Guibert (bourgmestre Ecolo) et Ottignies-Louvain-la-Neuve (bourgmestre Ecolo).

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