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Printeurs 27

samedi 13 septembre 2014 à 19:05
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Ceci est le billet 27 sur 28 dans la série Printeurs

Nellio s’est rappelé qu’Eva lui avait inséré une carte mémoire dans le dos de la main. Il l’extrait avec l’aide de Junior Freeman, le policier qui lui a sauvé la vie et lui fait découvrir le centre de contrôle des avatars.

D’un œil expert, Junior examine la carte mémoire sanguinolente. Machinalement, il l’essuie avant de l’insérer dans un lecteur tandis que je me masse le dos de la main.

— J’avoue que votre histoire est assez géniale. Ça vaut la peine de jeter un œil au contenu de cette mystérieuse carte mémoire. C’est hyper tripant !
Il pianote sur son clavier. Étrangement, les écrans sont tous éteints. Je ne vois rien mais lui ne semble guère y prêter attention. Concentré, il siffle entre ses dents :
— Incroyable ! Je ne connais pas ce type de fichier.
Tout en me tenant la main entaillée, je m’approche.
— Je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas mais votre écran est éteint.
Il me lance un regard étonné avant d’éclater de rire.
— J’oubliais ! Vos lentilles ne sont pas autorisées dans le centre de contrôle.
Il se lève et fouille un instant dans le tiroir d’un bureau.
— Tenez, mettez ça ! C’est la paire de lunette de réserve de ma directrice. Normalement, les lunettes sont personnelles. Il est strictement interdit de les partager. Mais au point où nous en sommes…
À peine ai-je enfilé les lunettes qu’il se lance dans une explication détaillée.
— Il y a quelques années, on pensait qu’avoir un écran devant l’œil était pratique et sécurisé. Mais, en fait, on passe beaucoup de temps à regarder l’écran d’un autre, à tourner la tête pour éviter de voir son écran pendant quelques secondes. Du coup, la technologie a été considérée sans avenir commercial et abandonnée. Mais ces lunettes sont spécialement conçues pour les applications de haute sécurité. Elles créent un écran virtuel à l’endroit décidé, de la taille souhaitée. Un peu comme les publicités dans vos lentilles. D’un point de vue sécurité, c’est top car seuls ceux qui portent les lunettes ou les lentilles autorisées peuvent voir votre écran ou même savoir qu’il y a un écran. Et puis la taille d’affichage n’est plus limitée par la physique. J’ai programmé mes lunettes pour me créer un écran géant dans mon appart. C’est top pour mater des vieux films ou jouer à des vieux jeux, j’adore !
Effectivement. Sur son écran que je voyais éteint, des lignes défilent à présent. Instinctivement, je tente de les toucher. Mon geste ne lui échappe pas.
— Oui, par habitude, on a toujours des écrans physiques pour matérialiser l’endroit où sont programmés les écrans virtuels. Mais ce ne sont que des blocs de plastique noir inertes.
Joignant le geste à la parole, il retire l’écran éteint et le dépose sur un autre bureau. Comme par magie, l’image et le contenu du fichier continuent à flotter devant moi. Les lignes de code attirent mon attention.
— Bon sang, j’aurais du m’en douter !
— Quoi ?
— Il s’agit d’un fichier pour printeur. Un objet scanné. Eva a cherché à me transmettre un objet !
— Il n’y a pas moyen de savoir ce que c’est ?
— Non, il faudrait disposer d’un printeur pour l’imprimer. Nous n’avions pas prévu de méta-données descriptives. N’oublions pas que nous sommes encore à un stade très expérimental.
— En tout cas, le format est très propre. Je vois que chaque fichier différent est numéroté, ordonné afin de permettre, je suppose, d’imprimer chaque partie de l’objet différemment. Du beau boulot !
— Euh… Justement non ! Nous mettons tout de manière encore aléatoire dans un gros fichier. Le printeur peut, en théorie, lire le format multi-fichiers mais le scanner produit une bouillie infâme de code.
— Regardez ! Si ça ce n’est pas du code propre, je ne sais pas ce qu’il vous faut.
Il pointe son doigt sur l’écran virtuel qui flotte devant nos yeux. Je dois me rendre à l’évidence. Tout est parfaitement ordonné. D’un clic sur la tablette tactile posée sur le bureau, j’ouvre un fichier. Le contenu, incompréhensible, semble pourtant net, organisé. Pas du tout ce à quoi notre scanner m’a habitué.
— Mais bon sang, c’est quoi ce fichier ?
Le visage d’Eva danse devant mes yeux. Sa voix résonne dans les tréfonds de mon être.
— Eva ! Eva ! Qu’essayais-tu de me dire ? murmuré-je.
Retenant péniblement une larme, je déglutis bruyamment. Junior ne semble pas s’apercevoir de mon trouble.
— Dîtes, et si on allait l’imprimer ? Vous n’avez pas voulu me révéler l’emplacement du printeur secret mais peut-être est-ce le moment de me faire confiance ?
Je reste un instant interdit, hésitant.
— Allez quoi ! Je vous ai fait essayer les avatars, je vous donne les lunettes de ma chef. Je risque dix fois la prison. Et puis votre printeur, ça m’a l’air diablement cool. J’ai vraiment envie d’en voir un en action.
Je déglutis. D’un bond, il m’indique un écran géant qui emplit la pièce. Un plan de la ville sur lequel des dizaines de points en mouvements se déplacent.
— Alors, elle est où votre cachette secrète.
— Ici ! fais-je en pointant le quartier après une profonde inspiration.
— Et bien c’est marrant, on dirait que tous mes collègues convergent vers cet endroit.
— Hein ?
— Les icônes qui se déplacent représentent des avatars ou bien des collègues en chair et en os en mission.
— Mais que vont-ils faire là ? Et qui les y emmène.
Junior découvre ses dents mal alignées en un grand sourire.
— On va très vite le savoir. N’oublions pas que nous sommes dans le centre de contrôle et que je suis de garde.
Cliquant sur une des icônes, il lance un flux vidéo. Je comprends très vite qu’il s’agit de streaming depuis des lunettes. Devant la caméra se trouve… Georges Farreck ! Sa voix retentit.
— Nous sommes encore loin ?
— Encore plusieurs minutes. Vous n’avez pas voulu que nous utilisions les avatars alors, forcément, cela nous ralentit.
La voix qui vient de lui répondre me semble étrangement proche. Certainement le porteur des lunettes.
— Vous êtes vraiment certain que nous devons détruire complètement le bâtiment ?
— Oui, le comportement de Nellio depuis sa réapparition est étrange. Je pensais l’avoir convaincu de nous aider mais il semble avoir changé de camp. Je le soupçonne d’avoir accès à un printeur dont j’ignore l’existence. Si, comme je le crains, ses ambitions se sont réveillées, cela peut être dramatique pour nous. Cet éventuel printeur ne peut être que dans ce bâtiment. Avant la destruction, procédez à une fouille complète.
D’un geste, je coupe la vidéo et je me tourne vers Junior.
— Merde ! C’est quoi ce délire ? Georges Farreck veut détruire le dernier printeur ?
— Le dernier dont tu as connaissance. C’est très différent.
— Merde ! Merde ! Merde !
Mon esprit tourne à toute vitesse. Georges Farreck est un traître. Ou peut-être le suis-je moi-même ? Quelles sont ces ambitions qu’il me prête ?
— Il faut absolument arriver avant lui !
Junior me lance un clin d’œil énigmatique.
— C’est théoriquement possible. Nous avons des réserves d’avatars un peu partout dans la ville afin d’intervenir très rapidement. Ils en ont encore pour plus d’une dizaine de minutes et nous avons un hangar à moins de 2 minutes du bâtiment que tu m’as indiqué.
— Et le fichier ? fais-je en pointant la carte mémoire encore tâchée de mon sang.
— Il suffit de l’envoyer vers l’avatar. Nous avons un réseau d’un térabyte par seconde, ça ne devrait pas poser de problème.
Je n’hésite pas une seconde.
— Ok, allons-y ! Il faut absolument y arriver avant eux.
— Hola, hola ! Tout doux mon pote ! Te faire visiter, ça je voulais bien. Mais sortir un avatar illégalement, ça va me coûter cher.
— Mais c’est notre seul espoir !
— Notre seul espoir pour quoi ?
— Tu ne comprends donc pas ? Le printeur est une avancée incroyable. Il permet de s’affranchir de la plupart des contraintes matérielles. Mais il remet en question toute l’industrie du transport. Il expose au grand jour l’incompétence totale des politiciens qui ont investi dans l’intertube.
— D’ac. Mais moi je suis un policier d’élite. Pas un rebelle, pas un politicien. Pourquoi devrais-je prendre des risques ?
— Parce que…
Ma voix s’étrangle dans ma gorge.
— Tu as raison. Tu ne devrais pas le faire. C’est complètement irrationnel de ma part d’avoir essayé de te convaincre.
D’un geste rageur, je jette la carte mémoire sur le sol. Junior s’en saisit et la contemple d’un air songeur.
— Pourquoi me proposes-tu une solution ? Pourquoi me fais-tu miroiter d’utiliser les avatars si tu refuses ensuite de m’aider ?
— Tu sais… fait-il, je ne suis pas sûr de tout comprendre. Je ne sais pas exactement qui tu es ni si je peux te faire confiance. Mais parfois il faut se fier à son intuition. Et mon intuition me dit que ce qui se joue maintenant est plus important que ma petite sécurité personnelle.
Je n’en crois pas mes oreilles.
— Junior… je… tu n’es pas obligé !
— Non. C’est justement pour ça que j’ai le sentiment que c’est important. Par contre, même avec un avatar de la réserve, on va être très juste. Il faudrait pouvoir les retarder.
— Je crois que je connais quelqu’un qui pourrait nous aider !
— Et puis, entre nous, je trouve ça vachement trippant, me lance Junior avec un clin d’œil complice.

 

Photo par Laurent Alquier.

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Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

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Pourquoi vous devriez viser Inbox 0

jeudi 11 septembre 2014 à 18:20
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Si vous n’êtes pas un adepte de la méthode inbox 0, il y a fort à parier que votre boîte mail soit actuellement bien remplie et que le nombre de mails dans votre inbox soit un chiffre sans aucune signification réelle.

Passer à l’inbox 0 représente un effort non négligeable et il est donc très important d’être intiment convaincu que cet effort soit nécessaire et rentable.

L’inbox 0 est comme un sport : si vous la pratiquez régulièrement, elle vous semble couler de source, vous procure un sentiment de satisfaction et vous semble indispensable pour être productif. Mais si vous ne l’avez jamais pratiqué, cela vous semble une montagne, un effort surhumain et une perte de temps sans réel bénéfice.

Décharger le cerveau

Un mail reçu n’a que deux résultats possibles : soit il nécessite une action de votre part, soit il n’en nécessite pas. C’est aussi simple que cela. Après avoir pris connaissance de l’email, vous devez soit agir, soit pas.

Si vous n’êtes pas adepte de la méthode inbox 0, votre boîte mail est donc remplie des deux types de mails, sans distinction. Vous allez donc inconsciemment construire dans votre cerveau la liste des emails sur lesquels vous devez agir.

Votre cerveau devient donc responsable de maintenir cette liste, ce qui implique un stress permanent et surtout un manque de fiabilité total.

Une astuce utilisée par beaucoup consiste à utiliser le marquer lu/non-lu. Cependant, ce marqueur repassera à “lu” à chaque fois que vous consulterez le mail. Vous aurez donc le stress de ne pas oublier de le remettre à non-lu.

En pratique, votre inbox deviendra donc la liste des emails “sur lesquels je dois peut-être faire quelque chose mais je ne suis pas sûr”. Après tout, imagineriez-vous laisser tout votre courrier dans votre boîte aux lettres en refermant les enveloppes de ce qui est important ?

L’incitant de la liste vide

À partir d’un certains nombre d’éléments, le cerveau humain ne distingue plus les individus mais parle d’un groupe. Nous parlons à Jean et Marie. Mais si il y a trente personnes, nous parlons à un groupe et non plus aux individus.

Si votre inbox est un groupe, votre cerveau le percevra comme tel. Chaque nouveau mail ne changera rien au fait que votre inbox est un groupe de mails. Il s’en suit que vous n’avez aucun incitant positif pour agir sur le mail. Le seul incitant qui vous pousse à agir est la peur de rater un email, la peur d’oublier.

Une fois la tâche accomplie et le mail archivé, vous n’éprouvez aucune réelle satisfaction. Votre inbox est passée de 102 à 101? Et alors ? Pire, l’incitant peut même être négatif : “À quoi bon ? De toutes façons, cela fait des mois que ces mails trainent”.

Pouvoir admirer une inbox vide, au contraire, offre une grande satisfaction et, en soit, est une motivation pour être productif et pour prendre des décisions.

Soyez actifs !

Lorsqu’on utilise pas la méthode inbox 0, il y a toujours un email où l’on se dit qu’il serait bien d’agir. Peut-être. Oui, ce serait bien.

Cependant, comme on est pas très sûr, on marque le mail comme lu en se disant qu’on s’en souviendra. Le mail est finalement enterré par pure passivité.

La méthode inbox 0 empêche la passivité : pour chaque mail, il est nécessaire de prendre une décision : vais-je agir, oui ou non ? Il n’y a pas de “peut-être” qui est finalement l’état dans lequel se trouvent les mails qui sont actuellement dans votre mailbox.

Un des secrets du bonheur est justement de ne pas être passif mais, au contraire, d’être pro-actif et de prendre le contrôle. Si vous souhaitez être aux commandes de vos communications et, par extension, de votre productivité, de vos projets, la méthode inbox 0 s’impose.

Minimisez vos efforts

Il est tout à fait possible d’être heureux et productif sans inbox 0. C’est juste beaucoup plus stressant et cela demande plus d’efforts et de discipline.

Certains prétendent qu’ils reçoivent trop de mails pour la méthode 0. Mais cet argument est un aveu même de passivité et du fait qu’ils sont surpassés. Si vous recevez trop de mails, c’est le cas que vous soyez à l’inbox 0 ou non. La différence est que l’inbox 0 permet de vous rendre immédiatement compte des périodes où vous êtes dépassé afin de prendre les actions qui s’imposent.

La méthode inbox 0 est un changement de paradigme. Elle demande effort et discipline uniquement le temps de la transition. Après, elle coule de source, elle devient un réflexe d’hygiène quotidien. Mais pour réussir cette transition, il est important que vous soyez intiment convaincu de sa nécessité.

Dans un billet suivant, je détaillerai mes astuces pour parvenir à l’inbox 0.

 

Photo par Denis Dore.

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Le transport parfait ?

lundi 8 septembre 2014 à 12:58
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“Madame la ministre, l’industrie des voitures intelligentes est actuellement l’une des plus grosses pourvoyeuses d’emplois. Dans un contexte où le chômage atteint les 50%, il serait déraisonnable de…

— Je sais très bien tout cela, Monsieur Nisoya. J’ai les chiffres sous les yeux. Tenez-vous en aux arguments concernant la concurrence déloyale.”

Mon voisin me donne un coup de coude et me chuchote à l’oreille :
— Le type qui vient de parler, c’est Nisoya. Le Nisoya de l’Automotive Corp. Il est venu exprès du Japon. Le mec à sa droite c’est Van Pientje, le directeur des chemins de fer européens. Tout au bout, c’est McKenzie, la CEO de la Compagnie.

Je le regarde d’un air étonné. Mais pour qui se prend-il ? Si je suis à l’audience de la Commission Européenne pour l’affaire InstantMoves, c’est que je ne suis pas le dernier des websurfeurs. Encore un de ces blogueurs qui a l’impression d’avoir la science infuse car il podcaste en direct depuis ses lunettes vers une chaîne à un million d’abonnés. Van Pientje vient justement de prendre la parole. Une goutte de sueur brille un instant avant de se glisser dans le col trop serré de sa chemise griffée et probablement hors de prix.
— L’industrie des chemins de fer constitue la colonne vertébrale économique de notre industrie avec une efficacité et une sécurité démontrée depuis plusieurs siècles. En cassant les prix, InstantMoves risque de créer une attente disproportionnée et dangereuse. Cette concurrence est non seulement déloyale, elle est malhonnête. Je pense qu’il en est de même pour le transport aérien.

Il se tourne vers une dame au regard sévère. C’est la célèbre McKenzie, en chair et en os. Ayant gravit un à un les échelons de l’industrie aéronautique, elle a été à la base de la fusion de Sky Team avec Star Alliance, devenant de facto la directrice de la seule et unique compagnie aérienne mondiale, désormais appelée “La Compagnie”. Le site Klout l’a classée comme la femme la plus influente du monde et la onzième personnalité d’un classement décidément encore trop masculin.

— Dans l’aérien, annonce-t-elle de sa voix grave et rocailleuse, nous avons travaillé durant des décennies pour améliorer la sécurité. Nous avons découvert que la moitié des incidents étaient d’origine humaine. C’est la raison pour laquelle nous avons remplacé les pilotes par des algorithmes sophistiqués et que toutes les maintenances au sol se font à présent sous la supervision de contrôleurs robotisés. Ce résultat est le fruit de plus d’un siècle de progrès et, malheureusement, d’accidents et de morts. Aussi, je vous pose une question : combien de morts sommes-nous prêts à accepter pour tout recommencer à zéro afin qu’InstantMoves devienne aussi fiable que le transport par avion, par train ou par voiture intelligente ? Combien de morts, de famille détruites ? Je vous le demande !

C’en est trop. Leur hypocrisie me débecte. Tant pis pour la fin, j’en ai assez entendu. D’un geste du doigt sur l’écran de ma montre, j’indique que je veux rentrer à la maison. Le temps de sortir du bâtiment et je m’engouffre dans une voiture intelligente. J’étends les jambes et je ferme les yeux. L’écran de la voiture me propose de continuer le visionnage du film que j’ai commencé à regarder hier soir. Mais je n’ai pas le cœur au divertissement. Sérieusement, dans quel monde vivons-nous ?

Bon sang ! InstantMoves est une startup d’une trentaine de personnes. Ils ont réussi à mettre au point la téléportation ! La vraie, la véritable téléportation ! Encore mieux que dans StarTrek ! C’est incroyable, c’est génial, c’est bon marché ! Toute imprimante 3D digne de ce nom peut réaliser une base de téléportation en quelques heures. Ces types sont des génies, des bienfaiteurs. On devrait tous sauter de joie, leur décerner des médailles. Et au lieu de ça…

Merde quoi, la téléportation ! Le transport parfait !

 

Quels seront les véhicules du futur ? Comment se transforme la mobilité ? Pour aborder ce domaine passionnant, je vous invite à la conférence ResearchTalks du 14 octobre à Bruxelles. 6 courts exposés par 6 experts afin de s’imprégner du sujet. Inscrivez-vous, la participation est gratuite. Rejoignez également l’événement Facebook.

Photo par Fredrik Linge.

 

 

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Printeurs 26

samedi 6 septembre 2014 à 14:36
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Ceci est le billet 26 sur 28 dans la série Printeurs

Le travailleur 689, devenu le gardien G89, s’est vu confier la mission d’embarquer avec le chargement afin de convaincre les commanditaires d’envoyer du ravitaillement. Aucun garde ni contre-maître ne souhaitant l’accompagner jusqu’au vaisseau, il a pénétré seul dans le sas.

 

Respirer ! Je dois respirer ! J’ai le souffle coupé comme lorsque je reçois des coups de pieds dans le ventre. Malgré mes paupières fermées, mes yeux scintillent et restent éblouis. Que se passe-t-il ? De quel incroyable mystère suis-je le témoin ? À ma gauche, le vaisseau de transport, tel que je l’imaginais. Des bras robotisés sont en train de le remplir de caissons. Ils contiennent certainement la marchandise que nous produisons. Sur ma droite, je m’appuie sur la paroi lisse et métallique qui prolonge le sas dont je viens de m’extirper. À travers les gants de ma combinaison, la solidité inébranlable me rassure.

Mais devant ! Devant !

Est-ce pour cette raison que les contre-maîtres ont peur du couloir ? Les arguties politiques afin de ne pas envoyer l’un d’entre eux n’étaient-elles que de simples excuses pour éviter d’être confronté à ce qui se dresse devant moi ? L’horreur, la joie ultime. La peur et le soulagement. L’infini. Le néant.

Je titube tout en tentant de m’approcher du vaisseau. La mission ! Je dois me concentrer sur la mission ! Mais cet infini, ce gigantesque univers peuplé d’une scintillante noirceur m’aspire, m’attire. J’ai peur. Je n’ai plus peur. Une onde traverse mon corps, un sentiment inconnu fait frissonner mes membres. Des images inconnues me traversent l’esprit, des souvenirs, des sensations. Je suis encore un enfant et 612, le vieux, raconte des histoires. Je n’en comprends pas un traître mot. Je ne sais pas de quoi il parle. Mais la base de ma nuque se détend, frémit. Mes yeux se plissent, les coins de ma bouche sont irrémédiablement attirés vers le haut. L’air qui sort de mes poumons me semble plus chaud, plus doux, enrobant, envoûtant.

Le vieux ! Il savait ! Il tentait de nous préparer. Il se tient à présent devant le vaisseau et me fait signe d’avancer d’un geste apaisant. Mais pourquoi me montre-t-il l’infini en souriant ? Pourquoi son doigt est-il dressé vers le vide angoissant ? Je ne comprends pas. Les images du passé et du présent s’entrechoquent.

Je tombe à genoux. Un mot du vieux me revient à l’esprit. Un mot bizarre, incompréhensible. Beau !
— C’est… c’est beau, articulé-je en rampant vers le vaisseau.
Le vieux me regarde. Il continue à parler mais aucun son ne me parvient. Ses lèvres s’agitent dans le silence absolu du vide. Il s’arrête et se tient immobile. Et puis, soudain, sa voix surgit de l’éther, résonnant à travers mes souvenirs, se mélangeant au bruit des machines et de l’usine, décor sonore immuable et inévitable de mon enfance.
— Nous ne sommes qu’une poussière dans un infini. Nous volons à travers l’espace sur une simple pierre. Cet espace est le plus beau spectacle qu’il ne m’aie jamais été donné l’occasion de contempler.
— 612, pourrons-nous aussi voir un jour ce fameux espace ?
— G89 ! G89 ! Je crois que nous avons perdu G89 !
— Oui, vous pourrez un jour le voir ! L’un d’entre vous vous libérera et vous ouvrira les portes de l’espace.
— G89 ! Je vous avais bien dit que c’était une mauvaise idée d’utiliser un ancien travailleur. Ils ne sont pas mentalement aptes.
— Mais, 612, cet espace infini, il doit être très effrayant, non ?
— Oui. Et beau à la fois. La liberté n’est belle et désirable que parce qu’elle est terrifiante.
— G89 !

En titubant, je m’appuie sur le vaisseau pour me relever. Dans le casque de mon scaphandre, mes oreilles grésillent.
— G89 ! Bon, il va falloir désigner l’un d’entre-nous !
— …
— G89 !
— Ou… oui, balbutié-je. Je… je suis arrivé au vaisseau.

À l’autre bout de la communication, un silence s’est installé. La voix reprend, incertaine, hésitant entre le soulagement et l’inquiétude.
— Vous… Tu es arrivé au vaisseau ?
— Ou… oui chef !
— Je… C’est bien G89 ! Maintenant embarque dans le compartiment de voyage.
— Il va étouffer ! Tout un voyage dans un espace aussi exigu !
— Très chère, pour un ancien travailleur, cet espace représente un luxe inimaginable. Ne vous inquiétez donc pas pour lui !
— Tu es installé G89 ?

À travers les tremblements de leurs voix, j’ai reconnu les accents familiers et encourageant de la peur. Ma chère et indispensable peur, mon guide, mon compagnon. J’ai senti la volonté et l’adrénaline affluer dans mes muscles. D’un pas assuré, j’ai franchi les derniers mètres qui me séparent de l’ouverture dans la coque du vaisseau. Grâce à un effort de volonté suprême, j’ai réussi à détacher mes yeux de l’espace et de l’infini. Le vieux a arrêté de sourire. Il a ébauché un geste dans ma direction mais je l’ai ignoré. Je ne l’ai même pas bousculé, je me suis contenté de continuer mon chemin, de nier son existence. Un vent de panique a soufflé dans son regard. Sa main s’est tendue. J’ai continué et il a disparu de ma conscience.

Suivant les instructions, j’ai refermé la porte du vaisseau derrière moi. Après m’être glissé avec difficulté dans l’étroit compartiment, je me suis sanglé contre une paroi. J’ai à peine assez d’espace pour respirer. Sans même tendre le bras, je peux toucher le hublot de verre qui s’ouvre devant mes yeux et qui plonge à travers l’espace. L’espace !
— Tu es sanglé G89 ?
— Oui chef !
— N’oublie pas ta mission ! Tu dois convaincre les commanditaires d’envoyer du ravitaillement. Il y va de leur propre intérêt !
— Oui chef !

Sans avertissement, un choc violent m’enfonce dans la paroi. Un grondement sourd agite la structure du vaisseau. Je suis parti ! Les moteurs me propulsent à travers l’espace. Une force d’attraction me fait glisser vers la gauche. Tournant la tête, je constate que le vaisseau est en train d’effectuer un demi-tour. En me contorsionnant, j’arrive à apercevoir sous mes pieds un informe et gigantesque caillou grisâtre. L’usine. Mon monde. Mon univers. Et encore, pensé-je, je n’ai jamais vécu que dans une toute petite partie. Cette grosse pierre contient des dizaines d’usines, chacune contrôlée par son propre contre-maître. Le vieux appelait l’ensemble “l’astéroïde”. L’astéroïde vient de disparaître sous moi et j’ai l’intime conviction que jamais je ne le reverrai.

Une boule brillante m’éblouit un instant. Après quelques secondes, je distingue du blanc, du bleu et du jaune se découpant sur sa surface. La voix du vieux me parvint, affaiblie.
— La Terre est la plus belle planète. Les humains s’évertuent à la détruire et à la quitter. Mais dès qu’ils en sont éloignés, ils n’aspirent qu’à y revenir. La Terre est belle ! Belle !

Je me frappe la tête et les écouteurs du casque pour éteindre ce dernier fantôme qui me rattache à l’astéroïde, à l’usine. Je me sens mal. Cette boule bleue et blanche brillante… Non, je ne dois rien éprouver ! Je dois me concentrer sur mon super-pouvoir, oublier tout le reste !
— L’un d’entre vous verra la Terre. Il la sauvera. L’Élu !
Je me tappe violemment la tête contre la paroi.
— Ta gueule le vieux ! Ta gueule ! Ta gueule !

 

Photo par European Southern Observatory.

 

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Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

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La nuit du halo

mercredi 3 septembre 2014 à 14:16
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D’une certaine manière, nous l’avons bien cherché. Nous sommes les seuls et uniques responsables de ce qui nous arrive. Nous avions confiance. Certes, nous savions que les erreurs et les actes de malveillance étaient toujours possibles et continueraient à exister. Mais n’ont-ils pas toujours fait partie de l’histoire de l’homme ?

En tant que technophile, j’étais moi-même un des plus chauds partisans du tout-au-numérique. Lorsque le gouvernement a définitivement aboli l’usage de documents papiers, j’ai applaudi des deux mains. Même les réactionnaires les plus conservateurs devaient bien admettre que les nouveaux smart papers procuraient la même facilité, la même simplicité tout en offrant une numérisation instantanée.

Le fait que chaque appareil, chaque paire de lunettes, chaque montre, chaque écran portatif enregistre en permanence le son, l’image, la position et les mouvements ? Je crois que c’était inéluctable. À quoi bon résister ? La lutte était perdue d’avance. L’histoire a prouvé que l’on n’inculque pas l’importance de la vie privée aux humains car ils n’en veulent pas. Ils sont exhibitionnistes ! Dès le début d’Internet, ils se mirent à poster des messages privés sur les murs publics Facebook. Ils choisirent volontairement d’installer Foursquare pour que le monde entier sache où ils étaient. Ils se sont battus pour remplir Instagram des photos de leur repas et Twitter de chaque pensée au petit coin.

Mais bon, tout cela c’était avant le halo. Peut-être que beaucoup regrettent, se disent que s’ils avaient su… Il est trop tard. Pourtant, on ne peut pas dire que nous n’avions pas prévu les conséquences. Mais ceux qui tentèrent de nous mettre en garde passèrent pour des prêcheurs, des prédicateurs un peu fous, des oiseaux de mauvaise augure.

Et puis il y a eu la nuit du halo. Inexplicable, soudain. Au début, nous avons tous cru à un piratage. Ou à une faille de sécurité exploitée massivement. Mais il a fallu se rendre à l’évidence. Le phénomène était général, planétaire : plus aucune information numérique n’était privée. On a parlé de rémanence du réseau, de sentience. La vérité est que personne ne comprend encore bien ce qui s’est passé cette nuit là. Et, au fond, cela a-t-il vraiment de l’importance ?

Il est désormais possible de retrouver n’importe quelle information, passée ou présente, ayant un jour transité par le réseau. En fait, il est probable que le halo existe depuis plusieurs mois voire plusieurs années. Mais ce n’est que lors de ce que nous avons appelé “la nuit du halo” qu’un hacker, qui avait observé le phénomène, publia un petit logiciel. Un moteur de recherche à la syntaxe incroyablement simple mais très puissant. Le logiciel étant open source, des versions successives virent le jour. Elles permettent de retrouver toutes les informations concernant un lieu, un endroit, une date précise, une personne ou un type de fichier. Vous voulez tout savoir concernant Untel dans la nuit du samedi à dimanche 21 février d’il y a 2 ans ? Voici toutes les vidéos de toutes les lunettes qui ont croisé sa route, y compris les siennes, toutes les caméras de sécurité, tous les drones, tous les textes qu’il a envoyé, les appels qu’il a reçu. Voici tous les documents qui étaient sur son téléphone à ce moment là. Le secret n’existe plus, c’est un fait.

Les stars, les personnes célèbres, les politiciens ont de suite vu leur vie mise à nu. Mais il n’a pas fallu longtemps avant que les conséquences se fassent sentir chez le commun des mortels. Des couples se sont brisés, des enquêtes furent clôturées prématurément, des affaires furent rompues et des bigots firent scandale au sein de leur propre paroisse. Dans les pays totalitaires, beaucoup d’opposants furent arrêtés et exécutés sommairement.

Puis, l’humanité a commencé à comprendre que l’entièreté de la population passait un temps non négligeable à dormir, déféquer, se masturber, se regarder nu et avoir des rapports sexuels. Et que regarder les autres réaliser ces activités banales n’était finalement pas si intéressant. Les tyrannies s’écroulèrent car tout le monde pouvait désormais surveiller le tyran. Les traitrises étaient irrémédiablement démasquées, impossibles. Et les dictateurs, les puissants ou les célébrités n’aspiraient plus qu’à regagner l’anonymat.

Il a fallu plusieurs millénaires, un progrès technologique hors du commun et un phénomène incompréhensible pour que les hommes acceptent que ce que nous faisons tous, sans exception, régulièrement au cours de notre vie n’a rien de honteux, rien de répréhensible.

La morale sur laquelle reposait notre société semble être détruite, rasée. Une partie de la population continue à vaquer à ses occupations machinalement, zombies fantomatiques sortant d’un mauvais cauchemar. Mais un ressort s’est cassé. L’économie ne s’est jamais portée aussi mal. Même ceux qui s’accouplaient de manière obscène dans les rues durant les premiers jours qui suivirent la nuit du halo se sont calmés. Au fond, la chaleur d’un matelas vaut bien le froid granuleux du macadam.

Quand je me promène en ville, j’ai parfois l’impression de me réveiller après une explosion nucléaire. Même si certains de mes concitoyens sourient. Ils n’ont que faire des apparences qui se sont définitivement révélées n’être que des paravents de papier. Ils sourient profondément, par delà la superficialité. Ils sont de plus en plus nombreux à sourire.

Parfois, au détour d’une discussion, je me remémore que j’avais soutenu cette numérisation à outrance. Que je n’avais rien dit face à cette invasion totale dans nos vies privées. Mon interlocuteur me réplique alors : “Si seulement on avait pu prévoir le halo !”

Je ne réponds rien. Mais en mon fort intérieur je sais très bien ce que je pense. Si c’était à refaire, si j’avais pu prévoir le halo, je ne changerais rien. Et je recommencerais.

 

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Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

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