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source: Ploum

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Les faiseurs de pluie et de beau temps

mardi 14 mai 2013 à 21:55

Comme chaque année, Nest’up tient ses promesses. Et la fournée 2015 ne semble pas faillir à la tradition. Parmi les heureux nominés, nous avons rencontré Géraldine et Fabien, initiateurs du projet MeteoroLogic.

« C’est un module entièrement autonome que chacun peut imprimer chez lui moyennant l’achat de deux trois composants. Il est également possible de nous le commander déjà monté pour une somme modique. L’apport d’énergie est fait grâce à des capteurs ventouses éoliens et des petits panneaux solaires. » fait Fabien en nous présentant un parallélépipède cylindrique fraîchement sorti de son imprimante 3D.

Géographe et météorologue de formation, le jeune homme avoue avoir toujours eu un faible pour l’électronique. « Je me construisais des stations météo de plus en plus sophistiquées. Mais j’avais du mal à me procurer certaines pièces. L’impression 3D a été une illumination et j’ai décidé de créer ma propre station. J’ai lancé un projet Kickstarter afin de pouvoir y consacrer mon été plutôt que de travailler dans un fast-food. En échange, j’ai élevé les plans de mon travail dans le domaine public. »

C’est d’ailleurs suite à un article dans le journal de l’université intitulé « Les projets de nos étudiants » que Géraldine rencontrera Fabien. À cette époque, la future ingénieur en informatique se cherche un sujet de thèse de master en intelligence artificielle.

« L’idée m’est venue un jour où j’ai vu mon flux Twitter se remplir de lamentations sur la pluie alors qu’à la fenêtre de mon kot, le soleil brillait. Quatre minutes plus tard, la drache s’abattait. Twitter avait été plus rapide que les nuages. Je me suis dit qu’on devrait pouvoir bâtir un modèle prédictif qui se base sur la position des tweets météo. Mais quand j’ai vu le projet de Fabien, j’ai tout de suite imaginé le potentiel de connecter ces stations en réseau, par internet. »

Si le potentiel semble en effet intéressant, le modèle économique l’est moins : les plans sont disponibles gratuitement, le logiciel est open source et MeteoroLogic vend les stations météo au prix coûtant. D’ailleurs, les particuliers souhaitant avoir une station météo dans leur jardin ne sont probablement pas légion. Fabien nous détrompe.

« Avec l’essor de la domotique, il devient très utile d’avoir une station météo ultra-personnalisée connectée à votre wifi qui vous donne la température exacte, le vent, l’humidité et peut prédire une averse à trois minutes près. Il est possible d’optimiser les périodes d’aération en hiver pour minimiser la perte de chaleur et, en été, au contraire de diminuer le besoin d’air conditionné. Tout est automatique et vous pouvez être averti sur votre smartphone dès qu’une pluie s’annonce afin de rentrer le linge qui sèche. Nous allons établir des partenariats avec les sociétés domotiques, ce qui devrait nous assurer un revenu. »

Mais comment une simple station pourrait-elle faire des prévisions aussi précises ? C’est ici qu’intervient la thèse de Géraldine.

« Imaginez des milliers de stations météo un peu partout dans le pays, connectées à Internet avec un GPS pour connaitre leur localisation précise. Chaque station va utiliser les informations issues des autres stations pour bâtir un modèle personnalisé du temps local. Techniquement, j’ai utilisé un réseau de neurones pour construire un modèle adaptatif. Chaque station météo découvre ses voisins et obtient leurs données à travers un protocole décentralisé inspiré par BitTorrent. Au départ, toutes les informations se valent, la station météo en Chine n’a a priori pas plus de valeur que celle du voisin. Mais, au fur et à mesure, les prédictions vont s’affiner tout en tenant compte des spécificités locales. La station va apprendre que si il pleut soudainement chez le voisin, la pluie locale ne tarde jamais alors que la météo en Chine ne semble pas avoir d’influence. Ce qui est génial, c’est que nous n’utilisons pas les modèles météorologiques traditionnels. »

Chaque station utilise donc les autres pour affiner ses prédictions. Et plus il y aura de stations, au plus les prédictions seront précises. Mais les prédictions restent ultra locales.

« Je travaille également à un modèle pour récupérer toutes ces informations et prédire le temps à un endroit arbitraire pourvu qu’il ne soit pas trop éloigné d’au moins une station. Cet algorithme ne sera pas open source car le but est de vendre cette carte météo globale à des acteurs comme les journaux, les aéroports, les entreprises. Mais toutes les données sont publiques, MeteoroLogic n’est pas dans une situation privilégiée : nous nous contentons de nous connecter à ce réseau de stations comme n’importe qui. C’est ce qui fait la beauté du projet : une fois que les plans et le code source de la station météo sont publiques, plus rien ne peut arrêter l’explosion de ce météo-web. »

Le résultat sera-t-il à la hauteur des prédictions professionnelles ? Quelques stations d’un coût d’une petite centaine d’euros parviendront-elles à égaler les satellites lancés à grand frais en orbite géostationnaire ? Fabien et Géraldine l’espèrent. D’ailleurs, l’ESA, l’Agence Spatiale Européenne, a déjà annoncé suivre de très près les résultats des deux jeunes entrepreneurs.

 

Photo par Retromoderns

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The Cost of Being Convinced

mercredi 8 mai 2013 à 11:39

When debating, we usually consider that opinions are merely resulting of being exposed to logical arguments. And understanding them. If arguments are logical and understood, people will change their mind.

Anybody having been connected long enough on the internet knows that it never happens. Everybody stays on his own position. But why?

The reason is simple: changing opinion has a cost. A cost that we usually ignore. A good exercice is to try to evaluate this cost before any debate. For yourself and for the counterpart.

Let’s take a music fan that was convinced that piracy hurts artists. Convincing him that it’s not the case and that piracy is not immoral means to him that, firstly, he was dumb enough to be brainwashed by major companies and that, secondly, the money spent on CD is a complete waste.

Each time you will tell him “Piracy is not hurting artists and not immoral”, he will ear “You are stupid and you wasted money for years”.

This is quite a high cost but not impossible to overcome. It means that arguments should not only convince him, but also overcome that cost.

Worst: intuitively, we take the symmetry of costs for granted.

Let’s take the good old god debate.

For the atheist, the cost of being convinced is usually admitting being wrong. This is a non-negligible cost but sometimes possible. Most non-hardcore atheists are thus quite ready to be convinced. They enter any religious debate expecting the same mindset from the opponents.

But the opposite is not true. For a religious person, believing in god is
often a very important part of her life. In most case, this is something inherited from her parents. Some life choices have been made because of her belief. The person is often engaged in activities and societies related to her belief. It could be as far as being the core foundation of her social circles.

When you say “God doesn’t exist”, the religious will hear “You are stupid, your parents were liars, you wrecked your life and you have no reason to see your friends anymore”.

It looks like a joke, right? It isn’t. But, subconsciously, it is exactly what people feel and understand. No wonder that religious debates are so emotional.

Why do you think that some religious communities are fighting any individual atheist? Why do you think that any religion always try to get money or personal involvement from you? Because they want to increase the cost of not believing in them. Scammers understand that very well: they will ask you more and more money to increase the cost of you realizing it’s a scam.
Before any argument, any debate, ask everyone to answer sincerely to the question “what will happen if I’m convinced? What will I do? What will change in my life?”.

More often than not, changing opinion is simply not an option. Which settle any debate before the start.

And you? Which of your opinions are too costly to be changed? And what can you do to improve the situation?

 

Picture by r.nial.bradshaw

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La lettre d’Anton

lundi 6 mai 2013 à 19:46

Il était une fois un enfant appelé Anton. Anton vivait dans une famille très pauvre. Le dimanche, la famille se partageait un artichaut et, le reste de la semaine, se contentait de faire infuser les feuilles de l’artichaut du dimanche, ajoutant parfois quelques pissenlits qu’Anton arrachait sur le chemin de l’école.

Le père d’Anton travaillait à l’usine de nettoyage des pièces de monnaie. À la fin de chaque année, son patron le félicitait et lui octroyait une petite prime. Cette prime était intégralement dépensée à l’achat d’un cadeau de Noël pour Anton et d’un repas pour toute la famille.

Cette année, lorsque le directeur de l’usine demanda à le voir, le père d’Anton se demanda s’il achèterait un livre illustré ou des crayons de couleur. Il emballerait le cadeau dans un papier argenté et le glisserait, la nuit, devant la cheminée. Il grignoterait un morceau d’artichaut qu’Anton aurait placé à l’intention des rennes du père Noël puis il irait se coucher, imaginant la joie pétillant dans les yeux de son fils.

Mais le directeur n’avait pas l’air très souriant. Il mâchonnait nerveusement un gros cigare qui sentait mauvais.
— Les nouvelles ne sont pas bonnes, dit-il au père d’Anton. La crise nous fait perdre des intérêts sur les capitaux des placements dérivés. Nous devons améliorer la rentabilité globale. C’est pourquoi, nous enverrons désormais les pièces de monnaies en Chine, où l’usage de gants et de masques n’est pas obligatoire pour manipuler l’acide chlorydrique. Nous devons malheureusement nous défaire temporairement de nos nettoyeurs, jusqu’à ce que le coût du kérosène dépasse celui des masques et des gants.

Le père d’Anton ne sut que répondre. Pour le repas de Noël ce soir là, ils se contentèrent du traditionnel artichaut. Tout la nuit, le papa d’Anton se retourna en tentant d’oublier le regard déçu qu’afficherait son fils le lendemain en ne découvrant aucun cadeau. Puis, pris d’un inspiration subite, il se leva, pris un crayon, une feuille de papier neuve et croqua l’artichaut. Il alla se coucher, rasséréné.

Le lendemain, Anton se précipita hors de sa chambre mais ne trouva, au pieds de la cheminée, qu’une feuille de papier sur laquelle était écrit :

« Cher Anton,

Tu le sais, j’ai tendance à ne faire qu’un seul cadeau par an aux enfants qui ont été sages.

Mais, cette année, tu as été particulièrement sage. Plutôt que de te faire un seul cadeau, j’ai décidé de t’en offrir pour le restant de ta vie.

À chaque fois que tu seras heureux, à chaque fois que ta maman t’embrassera, que ton papa te caressera les cheveux, ce sera un cadeau que je te fais.

Mais à chaque fois que tu te sentiras malheureux, réfléchis. Au fond de toi tu te rendras compte que tu n’as peut-être pas été assez sage.

Sois sage et je te comblerai de bonheur,

Père Noël »

Anton tendit la lettre à son papa :
— Le père Noël m’a écrit. C’est vraiment lui papa ? C’est une véritable lettre du Père Noël ?
— De qui veux-tu que ce soit d’autre ? fit le papa d’Anton.
Tout en souriant, il passa sa main dans les cheveux de son fils. Anton sut alors au fond de lui que la lettre était vraie. Comme pour confirmer son intuition, Maman l’embrassa et lui souhaita un joyeux Noël. Ses yeux pétillèrent de joie.

Mais la crise touchait durement toute la ville. Les intérêts s’effondraient, les bulles explosaient, les actions s’arrêtaient et les options disparaissaient. Toutes les familles se retrouvèrent en difficulté.

Anton se trouvait à l’âge où, dans les cours de récréation, on se met à exercer son sens critique. Untel a surpris ses parents déposant les cadeaux. Un autre se demande comment le père Noël peut passer dans autant de cheminée en une seule soirée. Un troisième calcule la taille du traîneau nécessaire pour transporter assez de cadeaux. Mais Anton parait à tous ces arguments en exhibant sa lettre.

Mis au courant par leurs enfants, les parents trouvèrent que c’était une très bonne idée pour faire des économies en temps de crise ou, comme le gouvernement l’appelait, en période d’austérité. Et comme le papier et le crayon commençaient eux-mêmes à manquer, les parents se contentèrent de répéter un message transmis par le Père Noël en personne qui était venu cette nuit mais n’avait pas voulu réveiller les enfants.

Les parents vieillirent, les enfants grandirent et devinrent, à leur tour, des parents. À chaque veillée de Noël, on expliquait aux plus jeunes comment le père Noël récompensait les enfants sages. Et lorsqu’un enfant plus éveillé que les autres demandait si le père Noël existait, on lui racontait l’histoire d’Anton qui avait reçu une véritable lettre. La copie de cette lettre pouvait être trouvée dans n’importe quelle maison du pays. D’ailleurs, on l’apprenait par cœur à l’école, au grand dam de l’imprimeur qui avait fait fortune en éditant pour la première fois cette lettre.

Dans les universités, des thèses de doctorat furent écrites pour savoir pourquoi Anton avait été choisi plutôt qu’un autre. D’autres affirmaient que si on traduisait la lettre en langage esquimau, qu’on mélangeait les lettres et qu’on lisait ensuite les lettres placées uniquement en position correspondant à un chiffre premier, on obtenait l’adresse du Père Noël. La faculté d’Aéronautique Du Traîneau fit son apparition et forma des générations de chercheurs scientifiques.

Un jour, un étudiant affirma haut et fort qu’il ne pensait pas que le père Noël existait. D’ailleurs, disait-il, nous n’avons plus la moindre preuve de son existence. Dans les temps anciens, il apportait des cadeaux tangibles. Mais ce sont certainement des racontars. Comment aurait-il pu livrer autant de cadeau en une seule nuit ?

Il lui fut rétorqué que s’il ne croyait pas au père Noël, il n’avait aucune raison d’être sage, qu’il serait donc malheureux. Que le fait qu’il lui arrive des évènements heureux était la preuve de l’existence du père Noël. Que cela revenait à traiter ses parents de menteurs pour lui avoir fait croire à quelque chose qui n’existait pas. Que lui, simple étudiant, osait traiter toute la faculté d’Aéronautique Du Traîneau de menteurs ?

Mais que bon, ça le regardait. Que si il voulait, il pouvait ne pas croire et ne pas être sage. On n’allait pas le tuer, on n’est pas chez les platerristes. Mais qu’il était hors de question de le voir au souper de Noël familial ni à la soirée de Noël avec ses amis.

Comme notre étudiant aimait ses parents, sa famille, ses amis et la faculté d’Aéronautique Du Traîneau, il répliqua que peut-être le père Noël ne voulait-il pas être vu justement pour tester ceux qui étaient vraiment sages.

On considéra que c’était une très bonne explication. Et tout le monde applaudit en se disant que, au moins, les enfants étaient sages, que chacun avait des moments de bonheur et que le Père Noël devait être content d’eux.

 

Photo par Robert Orr

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Égalité pour tous !

mardi 23 avril 2013 à 20:03

Le 23 avril, Bernard et Jean-Pierre se sautaient dans les bras. Aujourd’hui, avec un petit groupe d’une centaine de personnes, ils manifestent devant l’Élysée en réclamant une solution. Des panneaux “Égalité” et “Pour tous” sont brandis.
— Nous ne pouvions y croire, murmure Jean-Pierre avec un brin de nostalgie. À l’époque j’étais réellement amoureux.

Les deux amants ont donc immédiatement accompli les formalités nécessaires et, en juin 2013, ils comptaient parmi les premiers couples homosexuels mariés en France. Dans la foulée, ils achètent un appartement en banlieue parisienne.

Mais, dès septembre, le couple bat de l’aile.
— Je ne connaissais pas Berrnard sous ce jour. Il est devenu colérique.

À part, Bernard nous confie :
— Cette salope de Jean-Pierre est sorti avec Sabrina, ma meilleure amie, un soir où j’étais en voyage d’affaire. Il avait bien caché ses penchants hétéros.

La situation devenant tendue, le couple décide de divorcer. Mais à la première audience, surprise : la loi n’autorise le divorce qu’entre un homme et une femme. Si le vote du 23 avril a rendu le mariage accessible aux couples de même sexe, il n’en est pas de même pour le divorce.

Refusant chacun d’abandonner l’appartement qu’ils ont acheté ensemble, Bernard et Jean-Pierre sont donc forcé de cohabiter. Ce que Jean-Pierre considère comme très éprouvant.
— Comme je travaille essentiellement à domicile, cela me force de vivre 24h sur 24 avec une pédale comme Bernard. Sans compter que ma relation avec Sabrina en souffre énormément.

Leurs amis ont bien essayé de trouver un arrangement.
— Je veux bien revendre mes parts de l’appartement, nous dit Bernard, mais j’exige la garde de Kiki, mon hamster.
— Hors de question que je laisse mon hamster à une tantouze, tempête Jean-Pierre.
— C’est mon hamster, espèce de vieux pervers !

Les deux époux ont donc lancé le Divorce Pour Tous, un collectif qui a pour but de réclamer l’égalité devant le divorce. Kiki en est rapidement devenu l’icône, ainsi que nous confie une militante qui brandit un panneau à son effigie :
— Si je suis ici c’est parce que je trouve injuste qu’une pauvre bête comme Kiki souffre à cause de la bêtise des hommes. À cause d’une loi mal conçue, ce hamster est obligé de vivre dans une situation conflictuelle permanente, tiraillé entre ses deux papas. C’est affreux. Le parlement doit agir pour mettre fin à cette situation ! Pour sauver Kiki, nous réclamons le divorce pour tous.

Et la centaine de militants de reprendre avec elle :
— Pour sauver Kiki, le divorce pour tous !

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Récit de voyage

jeudi 18 avril 2013 à 18:34

Il fait chaud. Dans un nuage de poussière nauséabonde, le vieux bus bringuebalant s’arrête devant nous. D’un revers de la main, j’essuie la goutte de sueur qui perle au dessus de mes lunettes de soleil. Une foule criarde s’engouffre dans l’antique tacot en fer blanc, me pressant, me collant et me dévisageant avec amusement.

Je jette un coup d’œil inquiet à mon téléphone : montez dans le bus 42 et insérez 200 chtongs dans le récepteur à côté du chauffeur. Attention, le symbole suivant indique que le paiement se fait au débarquement et non à l’embarquement.

Relevant la tête, je constate que le chauffeur m’invective. Sa bouche édentée mâche une matière brunâtre tandis que, d’un geste insistant, il m’indique alternativement le fond du bus et un symbole illuminé au dessus de sa tête. Le symbole de paiement à la sortie. Derrière moi, la foule s’impatiente. Je murmure une excuse en patois local, si je dois en croire ce que mon téléphone m’a inculqué dans les semaines précédent le départ, et je m’élance vers le fond de l’engin où j’ai à peine le temps d’empoigner ce qui fut une poignée de cuir avant que le démarrage ne me projette sur mes compagnons de voyage.

Durée de trajet estimée : 18 minutes, toujours selon mon téléphone. De toutes façons, il me préviendra quelques minutes avant mon arrêt de destination, au cas où je m’assoupirais.

Je n’ai jamais été très aventurier dans l’âme. Mais la technologie m’a permis de découvrir le monde en chair et en os. Depuis trois ans, j’investis annuellement deux ou trois bitcoins dans un grand voyage de découverte. Et je n’ai jamais eu à le regretter. Sauf la première fois lorsque, dans une étape, j’ai découvert un cafard dans mes draps de lit. Ma note de 0 sur cet hôtel a fait comprendre à Wikitravel que si j’étais assez souple sur le confort, j’avais néanmoins une certaine exigence de propreté.

Mais le système d’apprentissage a fonctionné à merveille : je n’ai plus que des hôtels honorables tout en restant relativement typiques et dans ma limite de budget.

Cette année, j’ai fait entièrement confiance. J’ai simplement déclaré que je voulais visiter le Zizikistan Oriental, j’ai donné mes dates approximatives et mon budget. Wikitravel a fait le reste, en minimisant les escales et allant jusqu’à réserver le taxi et le payer à l’avance pour m’amener de mon domicile à l’aéroport. À chaque étape, je n’ai qu’à suivre mon téléphone. J’ai des rappels pour tous les événements importants, il me signale les bus, les arrêts. Il m’avertis lorsque je dois presser le pas car je me suis trop éloigné et affiche un QR code pour franchir les portes d’embarquement à l’aéroport. Même les places dans l’avion sont choisies selon mes goûts.

Dans les semaines qui précèdent, je peux m’entraîner à prononcer les phrases usuelles dont je vais avoir besoin : bonjour, au revoir, merci, pardon. Et laissez-moi vous dire que le Zizikistanais, ce n’est pas une sinécure.

Bzzzz ! Mon téléphone vibre. C’est ici que je descends du bus. Je dépose deux pièces de 100 chtongs dans le réceptacle et murmure un remerciement au conducteur. Derrière moi, le bus redémarre dans un vrombissement de vieux gazoil brûlé. Après quelques dizaines de mètres sur les cailloux brûlants, j’arrive à un antique panneau délavé, placé en des temps antédiluviens par un office de tourisme bien intentionné mais manifestement fâché avec l’anglais.

Ce qui ne m’incommode pas le moins du monde, mon téléphone me fournissant toutes les informations utiles ou simplement intéressantes. Dans le cas présent, il me signale de suivre les symboles jaunâtres placés sur des piquets de bois. Nul besoin de rester rivé sur mon téléphone : il m’avertira si je m’éloigne de plus de cent mètres de mon itinéraire, me laissant le choix de marquer cet écart comme volontaire ou non.

Le planning initialement proposé par Wikitravel tenait compte de mes préférences : monuments historiques, ballades dans la nature et un jour ou deux sur une plage pour terminer. Comme les plages du Zizikistan Oriental sont particulièrement célèbres, j’ai ajusté le voyage pour y passer 3 jours. Tant pis pour la visite du village aborigène. Mais aujourd’hui, j’ai enfilé mes chaussures pour une randonnée de 10 km à travers la forêt tropicale. Une ballade jusqu’à un petit temple perdu dans les brumes de la jungle marquée, par Wikitravel, comme à ne pas manquer car elle permet une immersion dans la faune et la flore locale.

Encore un panneau jaune ! Décidémment, cette randonnée est bien balisée. Je m’arrête un instant pour prendre des photos d’une splendide libellule. J’enregistre également une séquence son des bruits de jungle. C’est magique ! Tout cela est génère automatiquement un diaporama avec la carte de mes déplacements, mes notes personnelles, les sons, vidéos, photos. Ce diaporama est partagé en temps réel avec mes amis proches et ma famille car, oui, même dans la jungle Zizikistanaise il y a du 3G.

Chaque soir, j’édite mon “carnet de voyage” en supprimant les photos marquées comme inutiles ou ratées par mes amis. Je décide également de rendre public certaines notes, surtout les appréciations, et les images les plus jolies. Le tout agrémente WikiTravel et sera certainement utile aux voyageurs suivants.

Alors qu’ils avaient une avance certaine avec Latitude et Maps, l’hégémonie de l’omniprésent Google est pour une fois remise en question. Qui plus est par la fondation Wikimedia !

D’ailleurs, j’ai toujours répugné à confier mon budget à Google. L’un des points forts de Wikitravel est justement la gestion totale du budget. Les hôtels et les vols sont bien entendu réservés à l’avance mais Wikitravel va jusqu’à prévoir le prix du bus local, me suggérer la quantité de monnaie locale à retirer, me conseiller le petit restaurant typique pas cher sans aucun intérêt publicitaire autre que s’adapter à mes goûts et mes désirs de découverte.

Le 1% du prix total versé automatiquement comme “donation” à la fondation Wikimedia n’est donc que justice. Surtout depuis qu’elle s’occupe également d’OpenStreetMap, qui est une pierre angulaire de WikiTravel. D’ailleurs, on peut configurer ce pourcentage et choisir un prix libre. Un business model assez intéressant et qui a donné une bouffé d’oxygène à la fondation dont le produit phare reste Wikipédia.

La jungle bruisse de mille bruits. C’est merveilleux. Moi qui n’ai jamais été un débrouillard, moi qui n’ai jamais réussi à organiser correctement une semaine dans un camping de la Costa Brava et dont le sens de l’orientation est inexistant, je découvre enfin le monde. Je ne sais même pas dans quelle ville je vais loger ce soir ni comment je vais m’y rendre. Je me laisse guider et je savoure chaque instant.

Tiens, le sentier se divise et un piquet esseulé m’indique que, un jour, un symbole jaune a du guider des touristes comme moi, perdu à 5 km de la lisière de la forêt.

Je sort mon téléphone de ma poche. L’écran est noir. J’appuie sur la touche plusieurs fois mais sans succès. Un oiseau tropical pousse un cri strident. Je sursaute, pose un regard inquiet autour de moi avant de replonger sur mon téléphone.

Hier soir, après avoir trié les photos de la journée vautré dans mon lit, j’ai eu la flemme d’aller le mettre à charger sur la seule prise de la chambre. Je m’étais dit que, étant donné sa vitesse de charge, je ferai ça durant le petit déjeuner.

Je crois que j’ai oublié. Ma batterie est morte. Les feuilles bruissent autour de moi. Un nouveau cri de l’oiseau me fait frisonner l’échine…

 

Photo par moi-même (tout arrive)

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