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Taxons, l’addition s’il vous plaît !

lundi 10 février 2014 à 12:39
stations

Le gouvernement belge réfléchit à taxer l’utilisation de la voiture en fonction du kilométrage parcouru. Comme toujours dès qu’on touche au sacro-saint phallus qu’est la voiture, la moitié de mes compatriotes rangent leurs neurones dans un placard et se mettent à hurler à moitié nu en agitant les bras et en frappant les murs de leur maison avec des restes de poulet mayonnaise à moitié mâchés. Et à signer des pétitions. N’importe quoi pourvu que ce soit une pétition.

Pourtant, l’idée semble excellente. Actuellement, la taxe de roulage est un forfait. Une fois celui-ci payé, autant en profiter et rouler au maximum. C’est logique. Moins on roule, plus la taxe de roulage nous revient cher au kilomètre. C’est parfaitement injuste pour ceux qui roulent peu et qui favorisent les transports alternatifs. Transformer cette taxe de roulage en une taxe au kilomètre me semble donc parfaitement sensé.

On répliquera souvent que rouler coûte déjà assez cher. En valeur absolue, peut-être. Mais en réalité, nous sommes encore très loin du véritable coût que représente le déplacement automobile. Il y a, bien entendu, la pollution de l’air. On parle de CO2 mais n’oublions pas les micro-particules cancérigènes. Sans compter les atteintes directes sur la faune et la flore locale. Rouler en voiture est donc un désastre écologique.

Mais également sociétal. Quel pourcentage de la surface d’un pays comme le nôtre est recouverte de bitume juste pour que nous puissions nous déplacer ? Quel budget de l’état est consacré entièrement à l’entretien et la création des routes ? Sans compter la surveillance, la répression des infractions, les secours en cas d’accident, les plans catastrophes. Rouler en voiture coûte énormément aux citoyens !

Attendez, ce n’est pas fini ! Rouler en voiture est l’une des première cause de mortalité chez les jeunes. Rouler en voiture coûte la vie de nos jeunes, de notre avenir. Et combien resteront handicapés gravement à cause de la route ? Sans parler des causes indirectes. Croyez-vous que passer une ou deux heures par jour pendant dix ans à respirer des gaz d’échappement dans les embouteillages soit bénéfique pour notre cœur ? Plus que le tabac, les drogues, la criminalité ou le terrorisme combiné, la voiture tue.

Vous avez l’impression que rouler en voiture coûte cher ? Et bien, pourtant, vous êtes loin du compte. Vous êtes très largement subsidié par l’état pour rouler en voiture, pour vous détruire la santé et pour tuer des jeunes adultes.

En conséquence de quoi il semble parfaitement logique de vouloir taxer plus ceux qui roulent plus. L’état va donc tester un système qui vous taxera en fonction du nombre de kilomètres parcourus et en fonction de la consommation de votre moteur. Mais vous payerez également plus lorsque vous roulez en ville ou dans les embouteillages aux heures de pointe et moins en heures creuses.

Tout cela a l’air très compliqué à mettre en place. Il faudra un boîtier GPS dans chaque voiture sans qu’on puisse le trafiquer. Et, comme le souligne Greg, cela implique que l’état puisse nous tracer en permanence ! Bon, ils le font déjà avec les téléphones mais ce n’est pas une raison.

Pourtant, il y a une solution toute simple. Facile. Efficace. Applicable dès aujourd’hui. Qui taxera les gros rouleurs, les gros pollueurs. Qui vous coûtera plus cher en ville et dans les embouteillages. Qui vous encouragera à vous passer de votre voiture autant que possible. Qui ne permettra pas à l’état de vous espionner mais qui, pourtant, sera non-trafiquable. Qui fera payer également les étrangers qui traversent notre pays.

La solution ?

Augmentons les taxes sur l’essence. Certains se plaignent que l’essence est chère ? Mais Tristan Nitot le disait il y a déjà dix ans : elle n’est pas assez chère ! Tant que prendre sa voiture ne sera pas un luxe, l’essence sera trop bon marché. Augmentons ! Augmentons ! D’ailleurs, en pratique, une telle augmentation de l’essence serait, pour nos portefeuilles, indiscernable d’une taxe au kilomètre.

Oh, bien sûr, il faudra également supprimer cette abomination qu’est la « voiture de société » et la « carte essence illimitée ». Il faudra également accepter qu’il est préférable pour la société qu’un chômeur reste sans emploi plutôt que de le forcer à accepter un travail mal payé à deux heures de route de chez lui. Il faudra également accepter que payer des milliers de personnes pour venir s’entasser en journée dans les grandes villes pour passer 8h dans un bâtiment à faire ce qu’is pourraient faire en deux heures chez eux n’est pas rentable.

Bref, il faudra accepter que notre modèle de société travail-voiture est en train de se fissurer de toutes parts.

Non, les électeurs n’accepteront jamais. Parlons plutôt d’un boîtier GPS qui n’a aucune chance de voir le jour avant les élections. C’est complètement stupide mais tellement plus sûr d’un point de vue électoral…

 

Photo par Jim Nix.

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Printeurs 15

samedi 8 février 2014 à 12:16
billes
Ceci est le billet 15 sur 18 dans la série Printeurs

Isa s’est approchée de l’écran. D’un mouvement convenu de la main dans le vide, elle l’allume. Apparaît alors le visage d’une dame sans âge, le regard teinté d’une sévérité d’apparat, quelques rides flasques enserrant une bouche sèche en molles ondulations fluides.
— Bonjour Isa.
— Bonjour madame la conseillère.
Péniblement, j’entends qu’Isa tente de cacher son accent. Elle prononce exagérément les syllabes avec une obséquiosité qui me parait risible.
— Tout va bien ? Vous avez déjà eu des obligations aujourd’hui ? Vous les avez remplies ?
— Oui madame la conseillère. J’ai une obligation toutes les deux heures. Enfin, pendant les heures de travail. Je ne les rate presque jamais ! Je suis très motivée vous savez ?
— Je sais Isa. C’est très bien. Vous avez raison de vous battre.
Faisant semblant de retoucher son chignon grisonnant, la conseillère semble chercher ses mots.
— Aujourd’hui encore j’ai du passer plusieurs télé-pass en allocations dégressives parce qu’ils ne remplissaient pas leurs obligations.
Isa étouffe un cri d’effroi en portant ses deux mains à sa bouche.
— Mais ne vous inquiétez pas Isa, je sens que vous, vous en voulez. Vous ne voulez pas rester télé-pass. Vous voulez être employée !
— Oh oui, m’dame ! acquiesce Isa avec ferveur. Ce que j’aimerais être employée !
La conseillère se met à chuchoter avec un ton de complicité.
— Écoutez, moi aussi j’ai été télé-pass. Je sais ce que c’est. J’ai entendu qu’ils vont peut-être renforcer les obligations. Les doubler.
— …
Isa ne répond pas. Elle n’a pas l’air enchantée.
— Ce qui signifie, ma petite Isa, que nous allons recruter des conseillers. Vous voudriez devenir conseillère comme moi Isa ?
— Ben… Je ne sais pas si j’aurais les capacités, madame…
Isa, penaude, regarde ses pieds.
— Ne vous inquiétez pas ! Si vous continuez à montrer votre motivation durant les obligations, vous finirez par devenir employée. La volonté et l’effort paient Isa !
— Oui madame, la volonté et l’effort paient !
La conseillère s’est redressée sur sa chaise et reprend une voix normale.
— Passons à votre obligation. Voulez-vous travailler Isa ?
Devant mes yeux médusés, j’observe alors Isa se mettre au garde à vous, le menton dressé et entonner d’une voix forte.
— Oui, je veux travailler. Je cherche du travail. Je ne veux pas rester inactive. Je veux travailler.
— Parfait. Tu as les billes Isa ?
— Oui madame !
— On va faire l’exercice des billes alors.
— Oui madame !
J’aperçois alors ma singulière hôtesse ouvrir un tiroir et se saisir de deux bocaux et d’un grand bol. Elle les brandit en direction de l’écran.
— Voilà madame. J’ai plus de mille billes noires et mille billes blanches.
— Mille ! Mais ton obligation mentionne cinq cents de chaque !
— Je sais bien madame, bégaye Isa en rougissant. Mais j’en ai acheté un pack supplémentaire. Parce que je suis motivée, je veux travailler.
La conseillère semble sincèrement impressionnée.
— Bravo Isa. Je ne m’attendais pas à cela. Et bien, allons-y !
Sans hésiter, Isa vide les deux bocaux dans le grand bol évasé, posé à même le sol. À quatre pattes, elle commence machinalement à mélanger les billes sous les encouragements de la conseillère.
— C’est ça Isa, mélange bien ! Encore un peu ! Voilà ! Au travail maintenant !
J’observe Isa s’installer en tailleur et commencer à retirer une à une les billes du bol pour les remettre dans leur bocal respectif en fonction de leur couleur.
— Deux mille billes, ça risque de durer plus longtemps que prévu, murmure la conseillère.
Isa suspend un instant son geste.
— Oh ! Je suis désolée madame ! Je pensais bien faire !
— Je comprends Isa.
— Vous pouvez vérifier lors de la prochaine obligation. Je peux travailler seule vous savez !
— Non Isa, c’est contraire au règlement. Je dois t’accompagner dans ton obligation. Si tu veux devenir une conseillère, tu devras apprendre à respecter le règlement.
— Vous croyez que je pourrais vraiment ?
— J’y suis bien arrivée moi. J’étais aussi une télé-pass. La volonté et l’effort paient ! Vous êtes différente des autres Isa. Vous montrez une réelle volonté de vous en sortir. Beaucoup de télé-pass nous critiquent, nous injurient. Ils ne se rendent pas compte que nous faisons ce travail pour les aider. Pour leur bien. Et que nous sommes tous d’anciens télé-pass. Mais que nous avons réussi grâce à notre volonté et notre effort.

Depuis ma cachette, je ne vois que le dos d’Isa, penchée sur son ouvrage. Comme rythmées par le tic-tac d’une horloge mécanique invisible, les secondes s’égrènent à la cadence du petit bruit cristallin des billes qui tombent dans leur bocal. Plic ! Ploc ! Isa est méthodique, consciencieuse. Elle ne prend jamais deux billes à la fois. Les noires avec les noires. Plic ! Les blanches avec les blanches. Ploc !

Je tente de ne pas me laisser entraîner dans cette hypnotique sarabande. Le monde des télé-pass me semble bien étrange, plus complexe que l’habituel stéréotype qui circule parmi les cols blancs. Je ressens une pointe de pitié à l’égard d’Isa. Manipulée, elle n’est que le jouet de… de quoi au fond ? Et en quoi mon sort est-il préférable ? Depuis ma rencontre avec Eva, je n’ai fait que suivre ou fuir aveuglément. Quand ai-je fait preuve de volonté ? D’esprit de décision ? Je m’enfonce un poing dans la bouche et étouffe un cri de rage. Mes sentiments pour Eva ou pour Georges, mon désir de me réfugier chez ma mère, tout cela m’a été artificiellement insufflé ! Ma participation au projet, ma fuite de l’appartement ? Tout cela a été organisé par Eva dont je n’ai été qu’une marionnette ! Et sans les interventions combinées de ce mystérieux clochard et d’Isa, je serais probablement dans les mains de… de qui ? Je ne sais…

Bon sang Nellio ! Qui es-tu ? Es-tu un homme ? As-tu la moindre volonté, le moindre désir d’agir ? Regarde Isa ! Elle a décidé d’échapper à son destin. Elle a pris une initiative : elle a acheté un pack de billes pour surprendre son conseiller. Cela te semble risible ? Mais toi, Nellio ? À quand remonte ta dernière initiative ? As-tu jamais acheté un pack de billes supplémentaire ? La fuite est facile. Mais elle est toujours perdante. Dans une heure ou dans cent ans, la mort te rattrapera. Tu n’es qu’un pantin sans passion, sans âme…

Une seconde ! L’âme !

Pourquoi Eva a-t-elle insisté sur cette histoire d’âme ? Cela ne lui ressemble pas. Il y a également ce détail qui m’a interpellé dans l’appartement de Georges. Quelque chose n’est pas logique. Rien n’est logique dans cette affaire. Eva. Georges. Le roi Arthur. L’âme. Je suis sur le point de mettre le doigt sur un point important. Je le sens. J’en suis sûr. Je l’ai sur le bout de la langue…

 

Photo par Garret Voight.

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Printeurs 14

vendredi 31 janvier 2014 à 16:07
graffitis
Ceci est le billet 14 sur 17 dans la série Printeurs

La foule ! À peine ai-je passé la tête hors de la ruelle que je me fais happer par une meute suante et bourdonnante. Des vendeurs, des étals. Des télé-passifs. Des travailleurs comme moi qui préfèrent se fournir à bas prix ou qui apprécient la perverse promiscuité avec les classes inférieures. Je suis de retour dans la vie grouillante et puante de la ville, de l’humanité.

On me jette à peine un coup d’œil curieux. Ma nudité se fond dans la pléthore de corps zigzagants entre les échoppes, mon étrangeté se confond avec les normales aberrations de ces quartiers. Comme à chaque fois que je suis confronté à une foule, je vérifie machinalement ma montre et mes lunettes. Les pickpockets ou les voleurs à la tire sont si nombreux !

Il me faut quelques secondes pour réaliser que je suis entièrement nu. Que je n’ai rien à voler. Les corps me touchent, me bousculent. Pourtant, je ne peux réprimer un sourire. Je suis nu, faible et malgré tout invulnérable, intouchable, introuvable. Quelle ironie !

Un murmure agite la foule, des mouvements se font sentir. Goutte dans l’océan, je commence à percevoir le ressac d’un écueil. Je vois passer au dessus de moi plusieurs drones. J’entends des cris des protestations. Une angoisse glacée me parcourt l’échine. Ils se rapprochent. Ils me cherchent. Je baisse les yeux. La foule s’écarte soudainement. Un policier ! Il s’avance, me fixant droit dans les yeux. Je reste paralysé, incapable du moindre mouvement. Ses lunettes vont m’identifier, je suis perdu !

Pris d’une inspiration subite, je me rue vers lui en hurlant.
— Non aux vêtements ! Vive la nature ! Non à la toute puissance de l’électronique !
Il me regarde, surpris. Je continue à vociférer.
— Rejoins-nous mon frère ! Ne sois pas l’esclave des corporations !
Il me balance un coup de matraque dans les côtes. Je tombe à genoux, plié en deux, le souffle coupé.
— Dégage le déchet, où je t’embarque ! Va te branler ailleurs !
Un crachat chaud et gluant me dégouline le long de l’oreille. Péniblement, je me relève, aidé par une foule anonyme mais compatissante. Le policier s’est déjà éloigné. D’un large balayage oculaire, il laisse ses lunettes scanner la population à ma recherche, tentant de repérer les individus qui se cachent, qui ont quelque chose à se reprocher. D’autres policiers arrivent. Cette fois-ci ils sont nombreux. Ils contrôlent tout le monde. Apeuré, je lance un regard paniqué autour de moi. Une issue, une solution ! Vite !

Une main ferme me tire soudain contre un mur. Une couverture est jetée sur moi.
— Viens-y ! Vite !
Abasourdi, je me laisse emmener sans protester. La main me guide, me fait raser les murs jusqu’à un porche obscur, couvert de graffitis. Essoufflés, nous pénétrons dans un immeuble sale. Au sol, des ordures fournissent la pitance d’une colonie de cafards. Les carreaux des portes vitrées sont fêlés, crasseux. Je tente de reprendre mes esprits, de donner un visage à cette aide providentielle.
— Monte chez moi ! Viendront pas nous chercher là !
Des boucles rousses. Des joues bouffies, des paupières maquillées sans talent.
— Qui êtes-vous ? Pourquoi m’avez-vous attiré ici ?
— Z’êtes bien celui que les flics recherchaient, non ?
La voix est placide, sans aucune animosité. Elle roule ses grands yeux verts et esquisse un sourire de dents imparfaitement alignée mais où transpire l’honnêteté et la sympathie.
— Comment le savez-vous ?
— Z’avez pas la tête à être d’ici. Z’êtes pas un vrai militant.
Elle baisse les yeux et indique sans pudeur mon sexe flasque.
— D’ailleurs, z’avez pas une queue de branleur. C’est rare chez nous les mecs qui aiment pas la branlette. J’aime mater les queues. Du coup, j’lai remarqué. Et puis les flics qui arrivent, ça peut pas être un hasard. Alors, si les flics vous cherchent, je me dis que c’est ptêtre que vous remplissez pas vos obligations. Ils vous cherchent des misères pour vos allocs, c’est ça ? Z’avez pas rempli vos obligations ?
Je suis un peu étonné. Après l’ascension d’un étroit escalier en spirale, elle me fait entrer dans un maigre appartement une-pièce. La lumière peine à nous parvenir, entre les toits d’immeubles et les barreaux qui scellent hermétiquement les fenêtres. Mais l’endroit sent le propre. Tous les meubles sont usés, délavés, vieillots à l’exception d’un gigantesque écran du tout dernier modèle qui trône, trophée incongru, sur un des murs de la pièce. Sa modernité et sa nouveauté jurent affreusement avec l’impression de pauvreté propre et résignée qui se dégage de l’endroit. Méprenant mon regard, mon hôte m’adresse un sourire :
— Il est beau hein ? Dernier modèle ! Image haute résolution, enceinte panoramiques intégrées, format extra3000. Les voisins sont jaloux. J’ai vachement économisé. Mais l’écran précédent avait déjà deux ans. Fallait changer. J’avais droit à un crédit.
Elle me lance un clin d’œil, j’acquiesce en silence.
— Asseyez-vous ! Vous voulez des crunchies ou du kauklaïette ? Z’avez envie de baiser ? Faudra juste vous planquer hors de l’écran pendant mes obligations.
— Excusez-moi, fais-je d’un ton un peu ennuyé, bien conscient que je dois paraître peu reconnaissant envers ma sauveuse, mais de quelles obligations parlez-vous ?
Sa mâchoire se décroche.
— Z’êtes bien un télé-pass, non ? Vous devez bien avoir des obligations pour gagner vos allocs !
Devant mon air ahuri, elle s’assied sur le lit et se prend le visage entre les mains.
— Oh merde, Isa. Tu croyais aider un Télé-pass comme toi et tu embarques un travailleur en fuite dans ton appart.
Elle me jette un regard horrifié. Je me veux chaleureux.
— Rassurez-vous ! Je ne vous veux aucun mal ! Au contraire, j’aimerais vous prouver ma reconnaissance. Mais je ne comprends pas bien. Expliquez-moi !
Doucement, je m’approche et lui prends les mains. Elle a un mouvement de recul. À travers ses vêtements trop moulants, j’aperçois quelques bourrelets qui tressautent.
— Isa ! Mon nom est Nellio. J’apprécie ce que vous venez de faire pour moi. Je suis un peu perdu, j’ai besoin d’aide.
Elle semble hésiter. Un son strident en provenance de l’écran retentit soudain dans la pièce.
— Merde ! L’obligation ! Planque-toi sous le lit. Ne te montre sous aucun prétexte tant que tout n’est pas terminé !
Mon corps nu frissonne lors du contact brutal avec le carrelage froid. Je me morigène d’avoir laissé glisser la couverture. Combien de temps vais-je devoir tenir dans cette inconfortable position ? Le son continue à retentir, j’entraperçois les pieds potelés d’Isa qui se dirige vers l’écran. Elle se ravise soudain et revient vers moi. Sa main ramasse la couverture sur le sol et l’enfourne sous le lit, dans ma direction.
— Prends ça, tu vas te les geler sinon ! Bouge plus un poil !
Sommairement, je m’emmaillote tout en adressant une silencieuse bénédiction à ma bienfaitrice. De l’extérieur me proviennent le bourdonnement animé de la foule, de la rue. Inconsciemment, je guette le bruit caractéristique des drones. Je suis immobile, je retiens ma respiration.

 

Photo par Jean-Philippe Romain.

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Accueillons l’abondance !

mercredi 29 janvier 2014 à 00:03
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Selon les théoriciens, nous sommes en train de passer d’une économie basée sur la rareté à une économie basée sur l’abondance. La phrase est connue, ressassée mais reste fort hermétique. Tentons ensemble de comprendre ce que cela implique dans la vie quotidienne !

La transition vers l’abondance, nous la vivons tous les jours. Elle s’illustre avec un exemple très simple : traditionnellement, lorsque vous aviez envie de lire un livre ou de regarder un film, vous consultiez la liste de ce qui était disponible. Que ce soit chez-vous, dans votre bibliothèque ou dans votre cinéma.

Or, nous avons mis le pieds dans un monde où tout est disponible. Sans effort. En un clic. Tous les livres écrits, tous les films tournés. Face à l’immensité du choix, nous prenons peur, nous nous replions sur des concepts irrationnels comme « le plaisir de l’objet ». Mais nous nous habituerons, nous évoluerons.

Des sites se sont créés pour partager des recommandations, des critiques. Si vous aimez ceci, alors vous aimerez sans doute cela. Certains d’entre nous gardent, dans un fichier, une liste de films qu’ils aimeraient voir ou de livres recommandés par les amis. Mais toutes ces méthodes ont un point commun : il va falloir se procurer par après le contenu. Il faut avoir l’opportunité de l’acheter. Ces systèmes n’exploitent donc pas l’abondance, ils sont déjà dépassés.

Dans un monde où tout est disponible, séparer la recommandation du contenu n’a plus de sens. Imaginez que vous puissiez ajouter, en un clic, un article intéressant, un roman qui vous est recommandé, une trilogie de 1000 pages ou un film dont vous avez vu la bande-annonce à votre liste « à voir/à lire ». Que, lorsque vous avez des envies, vous puissiez simplement dire : « Je veux lire un livre. Je veux regarder un film amusant pour me changer les idées. Je n’ai pas d’idées particulière. » Votre liste vous suggérerait immédiatement ce que vous êtes susceptible d’apprécier maintenant et pour lequel vous avez marqué de l’intérêt.

Science-fiction ? Pourtant c’est exactement ce que le service Pocket est en train de mettre en place avec la gestion fine des vidéos. Grand utilisateur de Pocket, que j’utilise depuis mon ebook, j’en ai déjà fait l’expérience : pour les livres du domaine public disponibles sur WikiSource, je ne prends même plus la peine de télécharger l’epub et de le charger sur mon Kobo. Je me contente d’ajouter la page WikiSource à ma liste Pocket. Il est à présent possible de faire de même avec les films que l’on souhaite visionner sur sa télévision. Chez Wallabag (ex-Poche), le concurrent Open Source de Pocket, il existe à présent un plugin permettant de transformer tout ses articles en epub, lisibles sur une liseuse. Pratique ! Mais si, au final, nous nous dirigions vers le contraire en convertissant tous nos epubs déjà vieillissants en… simples pages web ?

Ce n’est pas un changement, c’est une véritable révolution. Les intermédiaires verront avec effroi disparaitre leur raison d’être. Un auteur se contentera de publier ses textes sur un blog. Un réalisateur se contentera d’envoyer sa vidéo sur Youtube.

Ceux qui resteront accrochés à leur copyright, qui refuseront ce type de diffusion finiront par disparaître hors des radars. Mais tout cela n’est possible que si ce type de consommation s’accompagne d’une prise de conscience du public et d’une contribution spontanée. Nous sommes dans une période transitoire ou trop peu d’artistes acceptent d’être payés librement et, du coup, très peu de consommateurs utilisent ce principe. Mais cela va changer !

Cela vous semble illusoire ? N’avez-vous jamais acheté un CD ou un livre que vous possédiez déjà en version « pirate » dans le seul but « de soutenir l’auteur » ? Piratez-vous uniquement par ladrerie ? Sans le savoir, vous êtes donc déjà un adepte du prix libre.

L’abondance fait peur car il menace tout un pan de l’économie basé sur la rareté. L’abondance menace l’emploi. Mais l’abondance fait également peur au public, le rend insatisfait. C’est le paradoxe du choix.

Pourtant, l’abondance est une opportunité unique pour les créateurs et pour le public. Il s’agit d’un nouvel âge d’or de la culture. Dans quelques décennies, les ebooks d’histoire nous décriront comme des sauvages abrutis qui tentèrent, vainement, de s’opposer à ce progrès. Ils s’exclaferont en se demandant comment nous avons pu être aussi arriérés, comment nous avons pu être effrayé à l’idée de bénéficier d’une des plus grandes merveilles de l’histoire de l’humanité.

Tentons, ensemble, l’évolution, essayons le positif ! Écrivons à nos créateurs favoris pour leur proposer spontanément des paiements libres ! Soutenons les créations que nous aimons, que ce soit avec Flattr ou tout autre système ! Accueillons l’abondance !

Si possible avec le sourire. Après tout, n’est-ce pas un des plus grands bienfaits de l’histoire de l’humanité qui se profile ?

 

Photo par Paul Mayne.

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J’ai suivi une formation du FOREM (2ème partie)

lundi 27 janvier 2014 à 19:46
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Ceci est le billet 2 sur 2 dans la série Ma formation FOREM

Cela fait une heure que je suis à ma formation sur la création d’entreprise organisée par le FOREM, l’équivalent wallon du Pôle-Emploi français. Vous pouvez lire mon compte-rendu de la première heure de formation.

Je commence à étouffer dans cette pièce surchauffée. Je ressens des vagues d’énergie négative qui me prennent à la gorge, qui aspirent toute ma créativité, tout mon désir de travailler. Depuis une heure, la formation du FOREM tourne en rond sur tous les règlements qui rendent incompatibles le fait d’être chômeur et entrepreneur. Le message en filigrane est très clair : restez chômeurs !
— Attention aussi pour le cas des indépendants complémentaires poursuit notre formateur.
Il détaille alors le cas de cette dame qui était indépendante à titre complémentaire les soirs. Ayant perdu son travail principal, elle décida de regrouper toute son activité indépendante complémentaire sur un seul jour de la semaine afin de faire des économies durant ses déplacements. Honnête, elle a déclaré, pendant 3 ans, ce jour hebdomadaire durant lequel elle n’a donc pas touché de chômage. Au bout de 3 ans, le FOREM s’est rendu compte que son activité n’était pas ponctuelle. La brave dame a donc du rembourser 3 ans de chômage. L’anecdote servait à illustrer l’importance du mot « ponctuel ». Une voix s’élève dans la salle, disant que c’est injuste. Le formateur répond :
— Mais non, c’est le règlement. Toutes les semaines, ce n’est pas ponctuel ! C’est pourtant clair !
— Si je comprends bien, poursuit le participant, elle aurait simplement du s’abstenir de déclarer les jours où elle avait une activité ( « hachurer la case », en jargon de chômeur). En plus, elle aurait touché tout son chômage.
Le formateur hésite.
— Oui… mais ce n’est pas honnête.

Mais il est temps d’embrayer sur les formations. Dont celles pour les femmes.
— Parce que vous, mesdames, quand vous rentrez à la maison, vous avez en plus un deuxième boulot. Qu’il faut concilier avec le métier d’indépendant ! La cuisine, la vaisselle, le repassage, s’occuper des enfants !

Bon, sur ce coup là, j’ai été estomaqué. Je somnolais à moitié et cela m’a empêché de réagir. J’ai hésité. Et je me suis dit qu’il serait intéressant de voir jusqu’où il allait aller, surtout que ça n’avait pas l’air du tout d’être une blague.
— C’est pour ça qu’il y a des formations spécialement pour les femmes. Bon, c’est un peu cliché mais, avouez, c’est la vérité ! C’est bien les femmes qui font tout ça. Les hommes, eux, n’ont pas besoin d’une formation spéciale. Sortir la poubelle une fois par semaine et tondre la pelouse, pas besoin d’une formation pour ça.
Clin d’œil à l’assemblée.
— Comme ça, tout le monde en a pris pour son grade.
Je tente de rester zen. Je me force à respirer par les narines.

La formation me semble complètement déstructurée. Entre anecdotes et digressions arrivent enfin quelques conseils pratiques pèle-mêle. Par exemple pour obtenir de l’argent auprès de la banque.
— Il vous faut un plan financier qui montre que vous allez pouvoir rembourser le prêt. Soyez-sûr de vous. Ne prenez pas rendez-vous le vendredi après-midi. Le banquier en a marre, il veut partir en week-end et vous expédiera.

Le FOREM peut donc également faire dans les conseils pratiques ! Et faire bénéficier les chômeurs de certains avantages dans la création d’une entreprise.
— Mais attention, certains avantages ne sont valables que si vous êtes au chômage depuis deux ans. Si possible, attendez d’avoir deux ans de chômage pour lancer votre activité.

Suite à des remarques, la discussion se porte peu à peu sur l’absurdité des lois, des règlements. Je suis heureux de ne pas être le seul à percevoir la stupidité du système. Pour clore la conversation avant la pause cigarette, le formateur nous adresse un grand sourire :
— Ce sont les politiciens que vous avez élu qui font les lois. Alors, en 2014, votez bien !

C’en est trop pour moi. Profitant de l’interruption, je m’éclipse. J’aurai tenu deux heures. Tout ce que je vous ai raconté ici est entièrement véridique. J’ai transformé certains passages pour éviter que des personnes soient reconnaissables mais, en essence, ce billet est le reflet exact de ma première expérience avec FOREM.

Bien sûr, il est possible que je sois tombé justement sur le pire formateur qui existe. Formateur depuis 10 ans selon ses dires, il n’a probablement jamais créé son entreprise et ne sait même plus ce que c’est de travailler dans le privé. Il ira jusqu’à se vanter plusieurs fois d’être payé par nos impôts, nous encourageant sur un ton humoristique à les payer pour qu’il puisse toucher son salaire. Mais, d’ailleurs, comment voulez-vous enseigner l’efficacité si vous commencez votre formation en disant que vous terminerez avec 30 minutes ou une heure de retard sur l’horaire prévu ?

Je ne crois pas au hasard. Être justement tombé sur l’unique phénomène ? Peut-être. Mais ces gens-là n’existent que dans un système qui les soutient et les renforce. Comme il l’a reconnu très honnêtement : leur but est que le chômeur cherche du travail sans en trouver. Il existe certainement de très bons formateurs au FOREM. Inconsciemment, ils doivent subir tous les jours ce conflit d’intérêt latent. Par construction du système, ils ne peuvent être que des exceptions.

Je repense aux participants qui veulent ouvrir leur bar ou leur friterie : tout ce qu’ils demandent, c’est d’avoir la paix. Laissez-les entreprendre. Offrez-leur une fiscalité simple et minimale pour qu’ils puissent la comprendre. Ils ont envie de bosser. Ils ne demandent que ça, même s’ils toucheront au final moins que leur chômage.

Mais on les noie sous l’absurdité et la paperasse. Ils doivent prouver qu’ils ont envoyé des CVs et qu’ils n’ont pas travaillé à leur business plan entre 7h et 18h. Ils sont englués dans la complexité des cotisations sociales, des différentes formes de société. Loin de les aider, les primes ne font qu’enfoncer le clou. Complexifiées à outrance, pleine de conditions absurdes, elles portent toutes un nom très différent pour que chaque politicien puisse se targuer d’avoir créé « une aide à l’entrepreneuriat ». Au final, le temps perdu en paperasse coûtera à notre indépendant plus que la misérable centaine d’euros obtenue par la prime.

Si vous croyez que le revenu de base risque de décourager les gens à travailler, venez assister à une formation FOREM. Nous avons mis en place le système le plus efficace possible pour être sûr que les gens ne fassent rien, qu’ils ne trouvent pas de boulot et qu’ils ne créent pas leur entreprise. C’est tellement démoniaque, tellement machiavélique que je me demande si j’arriverais à faire plus efficace en termes de maintien des gens au chômage. On parle de chômeurs fainéants ? Mais le FOREM fait tout pour les créer, les mouler, les fabriquer à la chaîne et leur faire creuser/reboucher des trous.

J’avais un a priori négatif sur le FOREM. Mais la réalité est bien pire que tout ce que je pouvais imaginer. En relisant mon billet, je me rends compte que beaucoup de lecteurs vont croire à une fiction. Ou à une exagération de ma part. Pourtant mes notes sont là. La plupart des phrases du formateur ont été prononcées telles quelles, presque mot à mot. Je les ai notées directement, ma mémoire ne peut donc pas me jouer des tours. En sortant de là, je pensais à vous, amis lecteurs. Je pensais au billet que j’allais écrire. J’avais l’impression d’être un reporter de guerre de retour d’une mission sur le terrain. Ou un ethnologue de retour d’un mois dans une tribu qui n’avait jamais connu la civilisation.

J’ai fait pire. J’ai passé deux heures au FOREM.

 

Photo par Brian Wolfe.

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