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C’est la vie !

mercredi 17 juillet 2013 à 23:50

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Un mois à vivre. La nouvelle est un choc. Aussitôt, les idées sur ce que je dois faire avant l’échéance fatidique se bousculent dans ma tête. De manière absurde, mes premiers réflexes sont de lister mes mots de passe, de réfléchir à transférer mes bitcoins vers ma compagne. Je vais passer en revue mes priorités lorsque, soudain, mon réveil sonne.

Je suis quelqu’un dont les rêves s’entrelacent fortement avec la réalité. Il existe des anecdotes de ma vie dont, aujourd’hui encore, je ne sais si je les ai vécues ou rêvées.

Ce rêve me marquera, me poursuivra. Pendant deux jours entiers, l’idée planera et je devrai me convaincre que ce n’était qu’un songe, que je vais vivre.

Mais les questions posées ne sont pas de celles qu’on écarte d’un revers de main : en quoi suis-je si sûr de vivre ? Et que ferais-je si j’étais réellement condamné ?

Ouvrir un blog. Écrire. Oui, c’est ce que je ferais.

Au fond, pourquoi ne pas écrire ce blog maintenant ? Pourquoi ne pas exorciser cette angoisse, ce sentiment d’impuissance ?

J’abandonne très vite l’idée de le faire sur mon propre blog. Cela inquiéterait trop mes amis, ma famille. Je passerais mon temps à démentir. De plus, l’aspect fictif concentrerait les lecteurs éventuels sur la forme, sur le style.

Je vais donc lancer un blog anonyme. Je vais créer un personnage. Ce personnage sera aisé, sera plus vieux que moi et aura des enfants indépendants. La raison est simple : je ne veux pas m’apitoyer sur une famille, sur l’injustice de la mort d’un jeune homme. Je veux tenter de percevoir les pensées d’un homme mûr qui a vécu une vie relativement heureuse, qui a accomplit ce qu’il devait faire mais qui part néanmoins trop tôt. Cet homme sera ce que je peux devenir si ma carrière d’ingénieur est un succès selon les critères en vigueur dans notre société : beau poste, beau salaire, belle maison, enfants indépendants et femme amoureuse. Cet homme s’appellera Lionel. À l’exception de quelques détails mineurs, ce sera moi et personne d’autres.

Le parallèle entre mon idée et le roman de Victor Hugo « Les derniers jours d’un condamné » s’impose. Du coup, le nom de mon projet est tout trouvé « Le blog d’un condamné ».

Dans mon entourage, plusieurs personnes ont perdu des proches ou des amis d’une manière brutale. Des migraines ? Des troubles et, lors d’un scanner la découverte d’une tumeur au cerveau ou d’un cancer du foie. Espérance de vie ? Un an, un mois voire une semaine en fonction des cas.

J’interroge, je me documente. Quelles ont été leur réaction ? Comment cela s’est-il passé avec la famille ? Qu’ont-ils dit ? Les prédictions des médecins sont-elles fiables ?

Ce projet grandit, mes notes s’accumulent mais je retarde sans cesse l’échéance de l’écriture. Vers la fin du mois de mai je décide de me forcer à écrire en rendant ce blog public. Le premier lundi de juin sera le jour du diagnostic.

Et parce que je veux également capter les instants en dehors des moments d’écriture, le personnage disposera d’un compte Twitter. Il ne suivra personne et s’exprimera rarement. Tout cela me forcera à écrire pendant un mois, à exhumer ce sentiment qui m’obsède : ma mort se rapproche à chaque instant.

J’avoue que je triche un peu : j’écris une semaine de billets à l’avance, afin de ne pas être pris de cours en cas d’imprévu. Mais, pour garder la spontanéité, je ne m’autorise qu’une seule et unique relecture. Les billets seront écrits chacun d’une traite, dans l’urgence. N’est pas Victor Hugo qui veut et la qualité s’en ressent forcément.

Le lundi arrive et je crée un compte Tumblr. Je n’avais jamais essayé cette plate-forme, c’est l’occasion. La photo de profil par défaut est particulièrement hideuse et me gêne. Mais je vis à travers les yeux de mon personnage. Je me rends sur Google Images et je tape le mot « espoir ». Le ballon rouge en forme de cœur me parle. Je ne cherche pas plus loin.

J’ouvre également un compte Twitter. Comme pour le blog, je choisis “uncondamne”, en honneur à Victor Hugo. Lors de la création d’un compte Twitter, il faut obligatoirement suivre des comptes. Lady Gaga, Justin Bieber. Je les supprime immédiatement car, c’est décidé, mon compte ne suivra personne.

Un email arrive dans ma boîte. Le compte Twitter a été désactivé pour comportement louche. Je le réactive et, pour éviter pareille mésaventure, je décide de suivre des comptes. Twitter m’en propose automatiquement dont celui du Monde.

La personnalité de L… s’affine. En bon ingénieur approchant de la soixantaine, il sera passionné par l’actualité. Et amateur d’œnologie. Découvrant Twitter pour la première fois, il ne pourra résister à suivre le Monde. Twitter propose alors de suivre d’autres journaux et des journalistes. Quatre séries de cinq propositions que mon personnage acceptera, par curiosité devant ce nouvel outil.

Le premier billet est posté. C’est trop long, trop littéraire, trop ampoulé. Je ne pense pas que cela attirera beaucoup de lecteurs. Ce n’est pas le but, je suis le seul spectateur de l’expérience, je ne cherche pas à rameuter le public.

Néanmoins, avoir quelques lecteurs serait une motivation et un gage de réalisme. Je décide donc d’un petit mensonge promotionnel et poste sur le forum Doctissimo, le seul endroit où j’imagine qu’il puisse avoir de l’intérêt pour ce genre de texte. Rétrospectivement, ce mensonge sera une erreur. Je recevrai d’ailleurs beaucoup plus tard un message agressif d’un employé de Doctissimo qui menacera de révéler mon identité.

L’expérience est lancée.

Deux heures plus tard, je découvre avec surprise que le compte Twitter est pris d’assaut. Les réactions fusent et certaines sont très violentes. Une seule question est sur les lèvres : est-ce un buzz ? Devant des messages haineux du type « Si tu n’es pas vraiment condamné, t’inquiète pas, tu le seras quand on saura qui tu es ! », je prend peur. Je pense arrêter tout. Je n’irai pas plus loin.

Et puis je réfléchis. Je n’ai pas à me faire dicter ma conduite. Ce sont des émotions que j’ai en moi, que je souhaite exprimer. En postant le second billet, je sais que j’irai jusqu’au bout, quoi qu’il arrive.

Alors, je continue. Mon personnage, mon moi a pris le dessus. Je suis devenu un simple lecteur. J’observe sa vie. Afin de rendre l’histoire crédible, j’interroge du personnel médical, je lis de nombreux livres de témoignages sur la mort d’un proche. L’un raconte un décès chez une personne bouddhiste. Deux autres se passent dans des milieux très catholiques. Je lis deux livres de Gabriel Ringlet, j’étudie un manuel à l’usage des personnes confrontées professionnellement au deuil. Je passe une soirée à interroger une infirmière spécialisée dans les soins palliatifs et j’en tire des expériences, des dizaines d’anecdotes comme le mariage, le bénévole qui apporte un accompagnement spirituel, la pudeur du malade face à sa famille.

Tout est vrai. À l’exception de la blague de mon personnage, sa fausse mort, qui est un fantasme personnel, tout est véridique. L’histoire de D… m’a été racontée par son banquier, qui a du gérer les soucis financiers de son épouse. L’histoire de R… me fut confiée par une infirmière. La détection, l’annonce et l’évolution de la maladie de L… sont elles-même calquées, au jour près, sur un cas existant de cancer du cerveau. Certains commentateurs sur le web se découvrent soudainement experts en oncologie et dénoncent l’impossibilité de mourir si vite sans symptômes, l’irréalité d’un médecin qui donne une échéance précise. D’autres soutiennent qu’il s’agit d’un texte militant pour ou contre l’euthanasie.

Et si je vous racontais cette anecdote d’une personne arrivée aux urgences pour un mal de dos et décédée d’un cancer du poumon une semaine plus tard ? Ou celle de cette échéance de trois mois annoncée maladroitement par le médecin par téléphone ? Si je vous disais que, dans mon pays, l’euthanasie est parfaitement légale et acceptée, que j’ignorais qu’elle ne le fut point en France ?

Après les deux premiers jours, je pense avoir épuisé le sujet. Il n’y aura plus rien à dire. Quand l’inspiration me manquera, L… mourra. Mais il refuse. Pour survivre, il me dicte des idées, des phrases dont je ne suis plus que l’interprète. Pendant un mois, je vis avec L…, il est moi et je suis lui. J’ai parfois du mal à faire la part des choses, je me sens triste, une boule se forme dans ma gorge à des moments inattendus de la journée. Ses réflexions me bouleversent, me font relativiser. Parce que je voulais pousser la logique jusqu’au bout, L… était condamné, pas de happy end possible. Il devait mourir trois ou quatre jours avant l’échéance fatale. Il parviendra à la repousser de deux jours avant d’arrêter d’écrire et de me laisser, moi aussi, dans l’expectative.

Je comptais publier un message décrivant le projet à l’arrêt du blog. Mais la création a dépassé son concepteur. L’ampleur du phénomène a échappé à mon contrôle. Ce projet était personnel, je ne souhaite pas le transformer en vitrine promotionnelle pour ma petite personne.

Néanmoins, j’estime important de laisser une porte ouverte. Je crée une adresse mail anonyme que je place dans le dernier billet. Cet élément n’était pas prévu, pas logique mais, pour une fois, j’ai pris la bonne décision.

En quelques jours, ce sont plus de 600 courriels qui arrivent dans ma boîte et je continue à en recevoir une grosse dizaine par jour. Sur cette masse de messages, deux se révéleront franchement négatifs et trois entièrement neutres. Quand au reste, jamais je ne me serais attendu à cela.

Ils me racontent des vies, des instants, des émotions. Un tel me confie son désespoir à la mort de son père et puis son progressif retour à la joie de vivre. Un couple m’annonce, suite à la lecture du blog, s’être réconcilié et considérer leur relation sous un autre jour. Une dame me raconte avoir commencé à prendre des leçons de piano, rêve trop longtemps refoulé. Des personnes de toutes les religions m’envoient, avec respect et humanité, ce simple mot : « Merci ». À la lecture de tous ces messages, les larmes me sont souvent montées aux yeux.

J’ai trompé le monde avec une fausse histoire ? Mais la toute grande majorité de ceux qui m’écrivent ne sont pas dupes. Ils me disent « Condoléances si cette histoire est vraie et merci à l’écrivain si ce n’est pas le cas ». Et si certains m’en veulent, considèrent que c’est un manque de respect pour les personnes malades, je leur répondrai : « C’est le plus bel hommage dont j’étais capable ».

Beaucoup ont demandé une version plus durable de cette histoire. Il n’est pas dans mes moyens d’imprimer un livre papier mais j’ai décidé de créer un livre électronique, auquel j’ai ajouté une série de petites nouvelles. J’ai intitulé ce recueil « C’est la vie ! ». Parce que vous m’avez fait confiance, parce que nous avons partagé ces moments, je vous le confie. Je vous laisse le lire et le partager autour de vous.

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Merci pour votre attention durant cette lecture, merci pour vos messages, merci pour avoir partagé avec moi les émotions de L…. Je vous souhaite une merveilleuse seconde vie.

Lionel Dricot, 16 juillet 2013

 

MÀJ 17 juillet : j’ai supprimé le mot de passe. Cette page était au départ destinée à ceux qui avaient réagi au blog d’un condamné et à ceux qui avaient, d’une manière ou d’une autre, soutenu mon blog. Mais elle est à présent largement partagée et le mot de passe perd toute son utilité.

 

Merci d'avoir pris le temps de lire ce texte. Ce blog est payant mais vous êtes libre de choisir le prix. Vous pouvez soutenir l'écriture de ces billets via Flattr, Patreon, virements IBAN, Paypal ou en bitcoins. Mais le plus beau moyen de me remercier est de simplement partager ce texte autour de vous.

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L’inauguration du RER

mardi 16 juillet 2013 à 11:34

Je me fraie un passage dans la foule clairsemée de la gare d’Ottignies. Une rumeur court : le ministre arrive.

En effet, une berline noire ancien modèle, conduite par un chauffeur humain, s’arrête sur l’aire de débarquement. Quelques vieux téléphones se dressent au dessus de la foule pour prendre des photos, les journalistes et blogueurs portent tous en même temps l’index à la monture de leurs lunettes afin d’enregistrer l’événement. Serrages de mains. Sourires de façade.

Alors que la petite troupe se dirige au pas vers le quai où attend une rame flambant neuve, j’observe le chauffeur qui part garer la voiture. Les jeunes adolescents présents se la montrent du doigt. Un véritable chauffeur humain ! Quel anachronisme ! Le ministre serait venu en diligence tirée par quatre chevaux qu’ils n’auraient pas réagi autrement.

À l’exception du ministre, la majorité des personnes présentes est venue en voiture partagée, sans même y penser. Une fois l’événement joint au dossier de presse ajouté à votre calendrier, et pour peu que votre abonnement Cambio soit en ordre, vous n’avez plus rien à faire : la durée du trajet est automatiquement calculée en fonction de votre position et une voiture vient vous attendre devant chez vous ou là où vous vous trouvez. Votre téléphone vibre, vous sortez, entrez dans la voiture et continuez votre travail sur un clavier portatif. Vous pouvez également lire un livre ou regarder un film dans vos lunettes.

Si vous n’avez pas un abonnement exclusif, qui est un peu plus onéreux, vous risquez de partager la voiture avec un inconnu. Aujourd’hui, je suis tombé sur un journaliste complètement réactionnaire qui s’enthousiasmait de cette inauguration du RER afin de renforcer la compétitivité de la fédération Wallonie-Bruxelles par rapport à la Flandre. Un discours sur la croissance tout droit sorti du vingtième siècle. Je me suis d’ailleurs demandé s’il venait juste d’être décongelé. Comme il était très bavard, j’ai pu faire une croix sur mon film et j’ai, intérieurement, reconsidéré l’upgrade de mon abonnement vers la formule exclusive.

Un ruban barre l’accès au quai flambant neuf du RER. Le ministre est souriant, détendu. Il est socialiste, comme le veut la tradition wallonne, mais ce n’est plus qu’un épithète, un contre-sens, un synonyme de népotisme gérontocratique. Car je ne l’aime pas ce ministre. Pendant des années, il a lutté contre les voitures autonomes sous prétexte de sécurité, de mise en danger de la vie des passagers. Il avait soutenu une campagne de dénigrement où on voyait un bébé entouré de robots patibulaires issus d’un mauvais film de série Z avec le slogan : « Leur confierez-vous la vie de votre enfant ? ».

Le fait que son épouse soit au conseil d’administration d’un des grands constructeurs automobiles n’a, selon lui, eu aucune influence sur sa position. Ces révélations le forcèrent néanmoins à démissionner. Que la mortalité routière chuta de 200 à trois morts par an après la généralisation des voitures autonomes ne l’empêcha pas de se représenter aux élections et de l’emporter haut la main. On avait tellement parlé de lui, on l’avait tellement caricaturé sur le web que tout le monde connaissait son nom.

Voilà, il a coupé le ruban. Quelques applaudissement saluent l’exploit. Il prononce quelques mots et pénètre dans le wagon rutilant. Mais, entre nous, qui prendra jamais ce RER ?

Ceux qui n’utilisent pas les voitures partagées sont, en majorité, de la génération consumériste. Ils achètent pour posséder et non par utilité, permettant la survivance d’une industrie moribonde. La voiture personnelle est chez eux un symbole de puissance, de richesse, de virilité. Inutile de préciser que, chez les plus jeunes, l’image perçue oscille entre l’irresponsabilité écologique et un folklore décati, à mi-chemin entre le phonographe et l’éclairage à la bougie.

Quoiqu’il en soit, ces deux générations se rejoignent amplement sur le fait qu’ils ne prendront pas le RER. Les partisans de la voiture personnelle pensent que c’est un bon moyen de transport pour ceux qui ne savent pas s’acheter un véhicule. Les autres pensent que c’est une bonne alternative pour ceux que rebute la voiture partagée.

En 2021, alors que la mise en service de la ligne était, une fois de plus, retardée, quelques voix ont émis des doutes sur l’utilité de continuer. Elles furent bien vite muselées. Après les milliards déjà dépensé, les décennies de chantier, il était impossible de faire marche arrière. J’avoue que reconnaître son erreur aussi tardivement aurait été un véritable suicide politique. Tout le monde savait que c’était inutile mais personne n’osait le dire.

Alors on a continué. On applaudit et on mange les petits fours payés par le contribuable. On sirote un mauvais mousseux dans une coupe biodégradable. Et on se prend à rêver de ce qui se serait passé si on avait pu prévoir cela bien plutôt, avant 2010 ou 2015. Mais qui aurait pu conjecturer une telle évolution des transports ?

 

Photo par Jean-Paul Remy

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À l’ombre de la Grande Boucle (première partie)

dimanche 14 juillet 2013 à 13:28
Ceci est le billet 1 sur 1 dans la série À l'ombre de la Grande Boucle

— Monsieur le président directeur général, la parole est à vous.
— Merci Boris ! Avez-vous vérifié la sécurité de la pièce ? Pas de mouchard ? Pas d’écoute ?
— Tout a été fait monsieur le président directeur général. Chacun d’entre nous est clean. La pièce est garantie.
— Bon, Armstrong, veillez commencer présentation !

« Comme vous le savez certainement, nos laboratoires de génie génétique ont récemment mis au point un virus, le X1, qui entraîne un légère mutation de l’ADN humain. Chez la personne infectée, les globules rouges voient leur capacité de transport de l’oxygène augmentée de 10% à 15%. Cet effet est permanent même après disparition totale du virus.

Contrairement à l’EPO ou à l’autotransfusion, il ne s’agit pas d’augmenter le nombre de globules rouges mais bien l’efficacité de chacun.

Un essai grandeur nature est actuellement en cours sur notre équipe cycliste participant au tour de France. Il est extrêmement concluant. Aucun contrôle positif, une moyenne nettement améliorée, des résultats et la capacité pour toute l’équipe de rester groupée dans les difficultés là où une équipe traditionnelle n’envoie généralement qu’un baroudeur qui sera hors course le lendemain.

Selon nos conseillers, il ne s’agit pas de dopage mais bien d’optimisation d’entraînement, au même titre qu’un régime spécifique. D’ailleurs, aucun produit interdit n’est utilisé. La modification physiologique étant permanente et non-réversible, elle ne peut être considérée comme illégale sans circonvenir à loi anti discrimination du CIO.

D’un point de vue éthique, aucun effet secondaire n’a été observé et ce virus permet donc à nos coureurs de diminuer la dose des produits traditionnels, dont la nocivité sur le long terme n’est plus à démontrer..  »

Une main s’éleva dans l’assemblée.

— Monsieur le président directeur général, je pense que tous les administrateurs ici présent sont au courant de l’existence du X1. J’ai du mal à croire que vous ayez convoqué cette assemblée confidentielle uniquement pour partager avec nous les bons résultats de notre équipe cycliste.

Le président se redressa dans le dossier de son fauteuil. D’un tiroir, il extirpa un cigare. D’un seul coup d’œil, les voisins les plus proches remarquèrent qu’il s’agissait d’un véritable Havane, entièrement prohibé sur le territoire de l’Union, et non un de ces succédanés électroniques.

— Mon petit Gilbert, vous pensez bien que, aussi plaisante que soit une victoire de notre équipe au tour de France, on ne dépense pas des millions en génie génétique pour faire pédaler quelques paysans et obtenir quatre victoires d’étapes au lieu de deux. Le marché du X1 est beaucoup plus large, beaucoup plus juteux. Pas en millions mais en milliards. Un seul mot : militaire. Voyez-vous où je veux en venir ?

Le visage brusquement livide, Gilbert déglutit en se rasseyant :
— Très bien, Monsieur le président directeur général, très bien.

— Cependant, ceux qui suivent cette épreuve sportive auront remarqué que d’autres coureurs commencent à se démarquer. Alors que nous entrons dans la troisième semaine et que notre équipe garde une moyenne et une énergie jamais vue à ce stade de la compétition, elle se fait de plus en plus concurrencer. Nos médecins sur place ont mené l’enquête et ils n’y a aucun doute : le virus a muté ! Il est devenu contagieux !

Des voix s’élevèrent, un brouhaha agita soudain l’assemblée.

— Monsieur le président directeur général, cela signifie-t-il que des coureurs font une utilisation, professionnelle qui plus est, de notre propriété intellectuelle sans notre accord ?

— Il faut absolument mettre en place une stratégie de quarantaine et faire payer une licence à toute personne infectée !

— Nos concurrents risquent de mettre la main sur le virus, c’est irresponsable !

— Du calme, du calme !

D’une voix ferme et autoritaire, le président avait repris le contrôle sur l’assemblée.

— Si je vous ai réunis, c’est justement pour trouver une solution. Nous disposons d’un arsenal de juristes et d’un appui politique sans faille grâce au fait que nous employons plusieurs dizaines de milliers de personnes dans l’Union. Nous avons les contacts nécessaires dans la plupart des médias et disposons d’une dizaine de blogueurs influents que nous avons, à dessein, alimenté d’informations négatives à notre encontre pour leur bâtir une crédibilité au-dessus de tout soupçon. Notre travail aujourd’hui est donc clair : mettre en place une stratégie globale, non seulement pour le X1 mais également pour les futurs virus de génie génétique que nous produirons.

Il avala une profonde bouffée de cigare.

— Messieurs, nous sommes à la pointe de l’innovation, nous améliorons le genre humain lui-même. Nous allons forcément nous heurter à la foule réactionnaire et conservatrice. Vous risquerez même de douter ! Souvenez-vous que des dizaines de milliers d’emplois dépendent de nous. Alors, au travail !

À suivre…

Photo par Michael Ziemann

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Ce blog est payant

mercredi 10 juillet 2013 à 12:12

Voilà, ce blog est désormais officiellement un blog payant. En contrepartie, je vous laisse la liberté de choisir le prix ainsi que la manière de me payer.

Comme je l’ai déjà écrit, vous pouvez utiliser Flattr. Ou bien Bitcoin. Vous pouvez décider de m’envoyer une fois pour toute, par le moyen de votre choix, une petite somme pour un abonnement annuel ou à vie. Vous pouvez décider que le temps passé à me lire est un paiement amplement suffisant. Vous partagez mes articles autour de vous ou sur les réseaux sociaux ? Alors peut-être estimerez-vous qu’il s’agit là d’un paiement en nature. Vous pouvez m’offrir une eau gazeuse lors d’une conférence, m’inviter un week-end dans votre maison de campagne, m’envoyer un t-shirt, une carte postale ou un mail exprimant votre gratitude.

Quoiqu’il en soit, je ne jugerai pas, je vous laisse la liberté. Car, si ce blog est payant, le prix est entièrement libre, même si vous le fixez à rien du tout. Voir mes articles lu et partagés est déjà un paiement en soi.

Un prix libre ? N’est-ce pas une utopie ?

Dans un monde où les biens sont rares, la théorie libérale veut que le prix tende automatiquement, grâce à la main invisible du marché, vers sa valeur réelle. Ce postulat est à ce point ancré dans nos mentalités que peu d’entre nous savent se départir de l’équation valeur = prix. Ou imaginer que la valeur puisse être différente pour chacun.

Or, dans un monde virtuel où la rareté n’a plus court, il est évident que ces théories libérales doivent être revues en profondeur. Plutôt que de mettre en cause la théorie, les conservateurs ont donc tenté d’implémenter la rareté artificielle, que ce soit techniquement avec les DRMs, législativement avec des lois criminalisant le partage d’informations ou culturellement, avec du lavage de cerveau.

Plutôt que de suivre cette approche, j’ai décidé d’explorer l’alternative. Et si la théorie était inapplicable ? Et si la valeur n’était plus corrélée au prix ? C’est déjà le cas avec, par exemple, la musique en ligne. Le MP3 piraté a-t-il moins de valeur aux yeux de l’auditeur que celui acheté à prix d’or ? Non, la musique procure autant de plaisir dans les deux cas. Pour un prix nul ou un prix fixé par le distributeur, vous obtenez la même valeur.

Dans ce cas, pourquoi acheter ? Deux raisons, dont aucune n’est liée à la valeur de la musique : un incitant moral négatif et un incitant moral positif.

L’incitant négatif, c’est la peur de se faire prendre, c’est le refus d’outrepasser la loi. Cet incitant est puissant et c’est pourquoi les lobbies industriels ont tant fait pression auprès du législateur. Il n’en reste pas moins que, personnellement, je trouve moralement inacceptable de soutirer de l’argent en utilisant la crainte ou la culpabilité. Ce n’est rien d’autre que du racket, de l’extorsion.

L’incitant positif, c’est le désir de soutenir l’artiste, de montrer notre appréciation envers son travail, de lui permettre de consacrer autant de temps que possible à son art. C’est un incitant merveilleux. Par contre, c’est dommage que le prix soit fixé. Certains aimeraient montrer leur soutien mais de manière plus raisonnable, les fins de mois étant difficiles. D’autres aimeraient, au contraire, contribuer plus amplement à ce créateur qui change leur vie.

Si vous avez, ne fut-ce qu’une fois dans votre vie, acheté un bien disponible gratuitement pour « soutenir l’artiste », si vous avez donné un pourboire dans un restaurant, si vous avez jeté une pièce à une artiste que vous appréciez dans le métro, alors vous avez fait l’expérience du prix libre. Ne le confondez pas avec la charité, il s’agit bel et bien d’un prix, d’un échange économique.

Mais pourquoi rendre ce blog payant ? Pourquoi monétiser ?

Je me permets de faire la leçon aux créateurs, je critique certains modèles économiques mais je suggère des nouvelles formes de monétisation. À ce titre, il serait hypocrite de ne pas appliquer les méthodes que je préconise.

D’autres part, oui, j’aimerais pouvoir consacrer plus de temps à l’écriture. À l’heure où mes revenus Flattr représentent entre 3% et 5% de mes revenus mensuels, ce rêve ne semble plus complètement absurde. Difficile à atteindre, certes, mais possible. À plus petite échelle, la monétisation garde un sens pour couvrir les frais d’hébergement et mettre, pourquoi pas, un peu de beurre dans les épinards.

Enfin, et ce n’est pas le moindre des arguments, pour la fierté et la motivation. Il y a peu de temps, l’idée de gagner de l’argent avec ma plume m’aurait semblé inconcevable. Aujourd’hui, c’est un fait. Chaque don, fut-il de 0,01 bitcoin ou de 10 centimes, me remplit de fierté et de motivation. Si quelqu’un, dans le monde, estime mes écrits au point de faire la démarche de me rétribuer, à sa manière, c’est un signal très fort, un véritable symbole, un incitant à continuer.

La monétisation ne va-t-elle pas pervertir le contenu ?

Tout indicateur, de quelque nature que ce soit, va déformer le créateur. Un blogueur qui vit de la pub va avoir tendance à écrire des articles courts pour que le visiteur clique le plus vite possible sur la réclame clignotante. Un autre, consultant compulsivement ses statistiques, va avoir tendance à écrire des billets qui ramènent le plus de visiteurs. Un troisième va tenter, inconsciemment, de générer le plus de commentaires. Enfin ce dernier, obsédé par son score Klout, délaisse totalement son blog pour avoir le plus de retweets.

Il n’existe pas de réelle perversion ni de pureté originale. Nous sommes des humains qui évoluons avec les interactions. Refuser l’évolution n’a donc pas de sens.

En ce sens, j’estime que le prix libre est une excellente chose. Il va me pousser à écrire des articles auxquels les lecteurs attachent une grande valeur, des billets qu’ils ne pourront pas trouver ailleurs et qui leur apporteront quelque chose. Ce sera ma seule statistique, mon indicateur.

Le danger hypothétique est de voir une personne très riche tenter d’orienter ma motivation en faisant de très gros dons pour les billets d’un sujet précis. Mais, outre la faible probabilité que ça arrive, ce danger est fortement mitigé par le fait que le nombre de personnes ayant fait un don (ou un flattr) est pour moi plus importante que la valeur du don lui-même.

Conclusion

Ce blog est donc payant. Je ne fais pas appel à la charité. Je ne demande pas de la compassion ni de l’aide (je ne suis pas l’UMP). Il s’agit d’un véritable échange économique. À la différence du commerce classique, c’est vous qui fixerez le prix. Selon votre ressenti, selon la valeur que vous apportent mes écrits et selon vos propres possibilités.

Mais je n’insisterai jamais assez sur le fait que votre temps à me lire et à me partager autour de vous est déjà le plus beau des paiements.

 

Photo par Thomas Schlueter.

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La révolte des rebelles apatrides

lundi 8 juillet 2013 à 20:10

Lorsque j’ai découvert Wikileaks pour la première fois, j’ai été émerveillé par un outil qui ne pouvait qu’amener plus de transparence, qui pourrait aider les oppressés à lutter contre les gouvernements totalitaires, les employés à dénoncer les entreprises mafieuses et corrompues. Un réel instrument de démocratie. Je n’imaginais pas un seul instant qu’il s’agissait d’une déclaration de guerre à l’encontre des démocraties établies, que je finirais par me sentir moi-même un rebelle apatride.

Sa première révélation d’envergure fut de nous ouvrir les yeux sur les guerres modernes que les médias nous décrivent comme propres, aseptisées, sans bavures. Avec parfois un malheureux cercueil brillant qui revient au pays recouvert d’un drapeau, de médailles et d’honneurs. Comme nous le savions tous au fond de nous, les guerres sont sales, pleines de dommages collatéraux, de sang, de hurlements. La mort est donnée par un soldat contrôlant un joystick, les yeux rivés sur son écran mais les membres arrachés continuent de voler dans la poussière.

Ingénu, je pensais que ces révélations nous permettraient d’ouvrir les yeux, de taire l’hypocrisie latente. Oui, la guerre est sale et affreuse. Si vous voulez la faire, ayez au moins le courage d’en accepter les conséquences !

Au lieu de cela, j’ai assisté à une chasse aux sorcières pour trouver le responsable de la fuite. Aucun questionnement de fond, uniquement une mesure d’urgence, une vengeance. Il a été arrêté, détenu dans des conditions jugées inhumaines par l’ONU et, trois ans plus tard, est toujours dans l’attente d’un jugement. Personne n’a de nouvelles de lui.

L’individu n’est pas dangereux. Il a déjà fait ses révélations. Il ne peut plus nuire à la société. Pourtant, il est détenu comme le pire des criminels. Et, selon mon code moral, il n’a pas un instant nuit à la société, au contraire, il s’est comporté en héros. Il a bravé sa hiérarchie afin de servir l’humanité dans son ensemble.

Son gouvernement, ami de mon pays et dirigé par un prix Nobel de la paix, ne cherche pas à le punir. Il cherche à faire un exemple, le plus horrible possible afin de dissuader d’autres candidats.

Le porte-parole du site ayant hébergé la vidéo est lui-même recherché. Mais, de manière étrange, on ne lui reproche rien si ce n’est une affaire de viol. Or, il se voit obligé de se réfugier dans une ambassade et d’y trouver l’asile politique car le gouvernement du pays où il se trouve, ami du mien, risquerait de le livrer à un autre gouvernement, ami du mien également mais qui n’est pourtant pas le sien. Nul n’ose imaginer ce qui lui arriverait…

Je veux me rassurer, me dire que c’est simplement un violeur qui a profité de son aura médiatique pour échapper à sa peine. Mais ce n’est pas logique. Un an enfermé dans une ambassade pour échapper à un procès qui semble anecdotique ? Sans compter que le sort de l’informateur pose un fâcheux précédent.

Vient ensuite un jeune homme brillant, intelligent. Un petit génie. Qui décide de rendre public des millions d’articles scientifiques. Une démarche admirable dont nul ne peut nier le bénéfice pour l’intérêt général. Son gouvernement, ami du mien, décide de le poursuivre, de le persécuter à tel point qu’il se suicidera.

Enfin, voici le quatrième larron. Lui aussi cherche la transparence, l’ouverture. Il nous révèle que son gouvernement a probablement accès à tous mes fichiers, mes emails, qu’il me surveille. Il se croyait à l’abri et le voilà obligé de fuir à travers le monde. Aucun pays ne veut l’accueillir, le protéger.

Il n’est pourtant pas dangereux. Il a sans doute déjà fait toutes les révélations qu’il avait à faire. Mais il faut faire un exemple, le punir, le pourchasser.

Je voudrais l’accueillir chez moi, dans mon pays. Mais à peine poserait-il un pied ici qu’il serait immédiatement envoyé chez lui et mis au secret voire torturé.

Autour de moi, j’observe un consensus important sur le fait que ces hommes sont des bienfaiteurs de l’humanité. Les opposants les plus acharnés se contentent de mitiger leur action. Et pourtant, ils seraient expulsés comme terroristes s’ils venaient à mettre le pied ici.

Je vis dans un pays qui serait prêt à envoyer un bienfaiteur de l’humanité à la torture. Mon gouvernement considère que les échanges commerciaux et les accords de coopération sont plus importants que les droits de l’homme ou le respect de la vie privée de ses citoyens.

Soudainement, j’ai pris conscience que je n’étais plus représenté par aucun gouvernement d’aucun pays. Tout comme des millions de gens, j’essaie d’appliquer mes valeurs personnelles d’entraide, de coopération, de respect de l’humain, de partage de la connaissance. Une nébuleuse imprécise de gouvernements et de gros intérêts industriels est en train de prendre forme, de s’unir pour contrer ce en quoi je crois. Même des institutions respectées, comme le comité Nobel, ont choisi leur camp. Une guerre a été déclarée. Les citoyens de l’humanité, rebelles apatrides, s’opposent à leurs propres dirigeants démocratiquement élus.

Ils sont quatre martyrs médiatiques. Leur sort est lointain, anecdotique. Mais mon propre gouvernement est complice ! Si une situation propice se présentait pour moi de faire une action bénéfique à l’humanité, aurais-je le courage ? Oserais-je devenir un criminel dans mon propre pays ?

Mais si mes « représentants » ne respectent plus mes valeurs fondamentales, si je ne peux plus leur faire confiance pour ma propre vie, de qui sont-ils vraiment les représentants ?

 

Photo par Chris Wieland

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