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Zythom

source: Zythom

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Les lettres 7/9

vendredi 16 avril 2021 à 10:41

Résumé du texte qui suit : Vincent et Sylvie sont amoureux et rien ne viendra perturber ce bonheur, sauf peut-être…

30 juin

Sylvie a décidé d’éteindre son téléphone, seul lien avec l’entreprise qu’elle dirige. C’est la première fois depuis longtemps que je la vois se couper de son équipe de direction et la laisser gérer les affaires courantes. De savoir qu’elle a fait ça pour moi me rend immensément heureux. J’ai savouré pendant une semaine ce bonheur de ne l’avoir que pour moi, puis je l’ai convaincue de rallumer son téléphone. Je suis très fier d’elle et de ce qu’elle a construit.

Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Sylvie est aux petits soins avec moi et nous vivons cette bulle de bonheur comme un retour à nos jeunes années de mariage : nous sommes amoureux. Les balades en forêt s’enchaînent, ainsi que les promenades le long du lac. Il nous arrive de croiser un client de l’auberge qui aime nager dans le lac. J’envie son énergie.

Nous sommes allés en vélo jusqu’au village de Cerniébaud où nous avons vu par hasard un vélo géant en bois que nous avons pris en photo. Il y avait un article dans l’exemplaire du Progrès, le journal local que l’auberge met à notre disposition le matin. Pour un peu, nous étions aussi dans le journal 🙂 Le journaliste explique que c’est l’œuvre d’un habitant du village qui espère attirer l’attention des médias lors du passage du Tour de France en septembre prochain.

Ce matin, j’ai croisé une femme dans le couloir qui m’a demandé quelque chose que je n’ai pas compris. J’ai répondu “Oui ?” et elle m’a pris dans ses bras en me disant “je vous souhaite tout le bonheur possible”. C’était un geste étrange et rempli de bienveillance. Je suis resté interloqué, mais moins que Sylvie qui arrivait dans le couloir. La femme mystère est ensuite entrée dans sa chambre sans voir Sylvie. J’ai répondu à son haussement de sourcil par un “tu vois, je connais moi aussi quelqu’un dans cette auberge.” C’était une référence à la réponse qu’elle m’a faite un peu plus tôt quand nous avons croisé un jeune homme un peu timide qu’elle a salué d’un “Bonjour Mattéo”…

Un jeune homme invite ma femme à boire un verre dans sa chambre (et elle accepte), une femme me prend dans ses bras pour me souhaiter tout le bonheur du monde, tous les ingrédients d’une dispute en temps normal. Oui, mais le temps n’est pas normal pour les amoureux.

Pourtant, sans rien dire à Sylvie, j’ai envoyé les lettres que j’avais écrites aux enfants avant qu’elle ne me rejoigne à l’auberge.

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Commentaire de l’auteur :

Je ne voulais pas écrire une histoire avec deux personnages sans détailler aussi le deuxième personnage important : Sylvie. Pour rendre plausible l’isolement de Vincent, j’ai voulu que Sylvie soit à la tête d’une entreprise et pilote une équipe de direction. Et elle a choisi de s’entourer professionnellement de personnes compétentes à qui elle peut laisser gérer les affaires courantes en son absence, le temps de comprendre ce qui arrive à son mari. Loin d’être écrasé par la réussite et le pouvoir de sa femme, Vincent est très heureux et fier d’elle. Un couple amoureux.

La phrase “Il nous arrive de croiser un client de l’auberge qui aime nager dans le lac. J’envie son énergie.” est une interaction simple vers un autre personnage de l’auberge, Matteo Pict, et fait référence au billet de son auteur “Je ne m’ennuie pas“.

L’anecdote du vélo géant en bois pris en photo lors d’une ballade fait référence à la troisième contrainte littéraire proposée par les organisateurs, et qui s’appelle “Revue de presse” : Évoquer un ou plusieurs articles parus dans la semaine au journal « Le Progrès », édition nationale et/ou locales (Ain, Jura Sud). Je pense avoir réussi cet exercice en intégrant l’article de presse assez naturellement dans mon histoire, et en plus en faisant écho à une phrase du journaliste “[…] explique son réalisateur surpris de voir les nombreux cyclistes passant au village en ce samedi s’arrêter pour une photo.

Le passage sur la femme mystère est une réponse à une interaction libre simple de Pâquerette Deschamp qui écrit dans son carnet (que Vincent-personnage ne peut pas lire, mais que Vincent-auteur peut lire comme tous les lecteurs du projet) :
Sur le pallier de mon étage j’ai croisé le monsieur tout triste du début, ni une ni deux je l’ai pris dans mes bras en lui souhaitant tout le bonheur du monde et je suis rentrée dans ma chambre finir ma valise.

J’ai donc récupéré cette scène pour la faire se dérouler devant Sylvie (sans que la femme mystère ne la voit). Sylvie est forcément surprise (d’où son haussement de sourcil). Ma réponse-explication “tu vois, je connais moi aussi quelqu’un dans cette auberge.” est comme je l’indique dans le texte une référence à une scène décrite par un autre auteur et qui concerne directement mon histoire : souvenez-vous, dans le scénario du texte n°5/9, j’écris “Sylvie se lève en silence et quitte la chambre sans un mot. […] Cinq minutes plus tard, Sylvie entre brutalement dans la chambre et prend Vincent dans ses bras.

Ce qu’il s’est passé pendant ces cinq minutes a été imaginé par un autre auteur du projet (Matteo-auteur) dans ce texte que je vous invite à lire : Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Extrait :

C’est d’ailleurs en sortant de ma chambre avant-hier que j’ai croisé une femme, debout, seule dans le couloir. Elle tournait le dos à la porte de la chambre 5. Je me suis approché.
« Vous allez bien, Madame ?
– Mon mari est vraiment un con.
– Ah. Je ne sais pas ce qu’il a fait, mais si c’est une histoire de coucherie, je peux vous jurer que je n’y suis pour rien. C’est pas moi, promis juré craché. » Elle a eu un petit sourire.
« Non, ce n’est pas ça. C’est un peu plus grave.
– Vous voulez boire quelque chose ? J’ai de l’eau et du café dans ma chambre. »
Elle m’a suivi. Pendant qu’elle buvait un peu d’eau, j’ai continué à lui parler, mais un peu plus sérieusement.
« On m’a dit un jour : “Les hommes… On peut pas vivre avec, mais on peut pas vivre sans.” Je suis jeune, mais j’ai … essayé les deux cas, dernièrement. Je sais que la vie n’est pas tendre avec nous. Je ne sais pas vraiment quoi vous dire de plus. Mais si vous voulez parler, de ça ou d’autre chose, vous pouvez venir me voir.
– Merci. Pas maintenant. Je vais repartir voir mon mari. Plus tard, peut-être. Merci…
– Matteo.
– Enchantée, Matteo. Moi c’est Sylvie.
– Enchanté. »
Elle m’a rendu le verre et elle est repartie vers la chambre 5. Je souhaite qu’elle et son mari s’en sortent mieux qu’Isidore et moi.

Diantre, ma femme Sylvie est allée prendre un verre dans la chambre d’un inconnu dans l’auberge… J’ai donc répondu à cette interaction libre complexe par un combo “femme mystère” / jeune homme inconnu et par une pirouette entre deux amoureux : “tu vois, je connais moi aussi quelqu’un dans cette auberge” et la conclusion qui en découle :

Un jeune homme invite ma femme à boire un verre dans sa chambre (et elle accepte), une femme me prend dans ses bras pour me souhaiter tout le bonheur du monde, tous les ingrédients d’une dispute en temps normal. Oui, mais le temps n’est pas normal pour les amoureux.

Ouf !

La dernière phrase donnera le titre du texte : “Pourtant, sans rien dire à Sylvie, j’ai envoyé les lettres que j’avais écrites aux enfants avant qu’elle ne me rejoigne à l’auberge.

Mais pourquoi donc Vincent envoie t-il ces lettres à ses enfants et pourquoi sans en parler à Sylvie ? Encore des cachotteries

Le billet suivant s’appellera “La passion du Roi”.

Xkcd – Movie Narrative Charts https://xkcd.com/657/

Les choses vont changer 6/9

jeudi 15 avril 2021 à 10:04

Résumé du texte qui suit : Rien ne sera plus banal

28 juin

Ses mains glissent sur ma peau et me font frissonner. Nos vêtements sont éparpillés dans toute la chambre. Je suis au dessus d’elle sur le lit et lui embrasse les seins. Elle a les yeux mi-clos et j’écoute le rythme de sa respiration qui s’accélère. Je connais toutes les parties de son corps, mais c’est une redécouverte à chaque fois, comme une exploration perpétuelle. Ma main court le long de son corps. Je lui caresse la jambe jusqu’au pied que je masse doucement. Elle me guide en murmurant, pour fermer la boucle de rétroaction, gagner en intensité et en contrôle. Notre plaisir augmente.

Soudain, elle arrête ma main et me retourne sur le lit. Elle prend les commandes. “les choses vont changer” me dit-elle. Sa bouche parcourt mon corps et la douceur de ses lèvres me donne la chair de poule. Elle m’embrasse. Elle m’enlace. Elle me chevauche, d’abord avec douceur…

Elle s’arrête pour me laisser au bord du plaisir savourer ce moment délicieux. Je reprends le contrôle et mes doigts experts caressent son corps. Tout son corps. Chacun de nous cherche à donner à l’autre le plaisir le plus intense, tout en essayant de contenir le sien. Nos bouches frémissent, nos corps murmurent, nos plaisirs s’entremêlent…

L’univers explose.

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Commentaire de l’auteur :

Les billets précédents étaient particulièrement noirs, avec une atmosphère pesante. Je réfléchissais à une manière de contre balancer cette noirceur, et dans ma tête d’homme/geek, immédiatement est venue l’idée d’une scène de cul érotique. Ah, ah, ah quelle bonne idée, rédigeons cela d’une traite en 5mn… Il m’a fallu 3 jours de raturages, d’essais ratés et de tentatives infructueuses. Je ne vous ferai pas lire ici les brouillons, mais ce fut un exercice très difficile pour moi, et principalement à cause de VOUS.

Car si je découvre avec plaisir avec gourmandise avec attention les scènes érotiques dans les romans que je lis (essentiellement de la science-fiction, c’est dire le désert en la matière), inventer soi-même une telle scène, la décrire avec des mots, savoir qu’elle sera lue, que je serai jugé par les lecteurs (dont mes enfants), tout cela est une autre histoire.

A la relecture, je me dis que je suis allé assez loin dans les limites de ma propre pudeur. C’est aussi l’intérêt de l’exercice : apprendre à faire vivre des personnages de fiction et à dépasser sa propre identification. Je laisse à mes amis le plaisir de faire toutes les blagues salaces et les interprétations possibles sur cette scène. Ainsi va la vie de Vincent-auteur.

Mais j’aime bien le titre du billet, reprise de la dernière phrase du billet précédent, et son reflet dans ce texte. Le fait que le texte soit numéroté 6/9 est un hasard…

Le billet suivant s’appellera “Les lettres”.

Cogitationis poenam nemo patitur : nul ne peut être puni pour de simples pensées
(Code de Justinien VI° siècle).

La Force est avec lui 5/9

mercredi 14 avril 2021 à 09:49

Résumé du texte qui suit : Sylvie explique pourquoi elle est venue, et Vincent pourquoi il est parti.

24 juin

Synopsis

Clap de début de scène.
La caméra est centrée sur le visage de Sylvie.

Sylvie se tient dans l’encadrure de la porte et demande si elle peut entrer. Une fois assise sur un coin du lit dans la chambre, elle explique que Vincent a commis une petite erreur en partant pour sa cure de repos sans prendre son ordinateur.

Changement de plan, la caméra est sur le visage de Vincent. Il a l’œil vif, mais le visage triste. Il ouvre la bouche pour parler, mais Sylvie le précède. La caméra reste sur le visage de Vincent pendant que Sylvie parle.

Elle indique aussi avoir appelé le médecin, ami de la famille, et lui avoir demandé ce que Vincent avait comme maladie. Bien sur, le médecin s’est retranché derrière le secret médical. Ce qui a mis la puce à l’oreille de Sylvie, c’est qu’à chacune de ses questions, le médecin répondait “secret médical”, sauf quand elle a demandé “mais il a quelque chose de grave ?”. Là, il a répondu “secret très TRÈS médical”.

Retour de la caméra sur le visage de Sylvie. Elle demande à Vincent ce qu’il a comme maladie.

Champ large sur la chambre. Vincent se lève, ouvre son attaché-case années 80 et sort un parapheur, l’ouvre à la première page et sort une feuille de papier. Il la tend à Sylvie. Sylvie la lit en silence, puis elle pose la feuille à côté d’elle sur le lit.

Gros plan sur le visage de Sylvie. Celui-ci est fermé et ses yeux sont noirs de colère. Élargissement du champ, Sylvie se lève en silence et quitte la chambre sans un mot.

Vincent baisse la tête et pleure doucement. Une musique mélancolique (ou triste, enfin bien émouvante hein) vient d’une des chambres voisines.

Cinq minutes plus tard, Sylvie entre brutalement dans la chambre et prend Vincent dans ses bras. Elle le serre avec force, et lui dit “tu es vraiment con”.
Elle pleure avec lui.

Les choses vont changer.
Clap de fin de scène.

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Commentaire de l’auteur :

Avant de parler du fond, je voudrais parler de la forme. Comme pour le premier texte, les organisateur du projet nous proposent de suivre une contrainte littéraire (si l’on souhaite). La voici :
Contrainte littéraire : “Je est un autre”
Le texte ne comprend aucun pronom personnel de la première personne du singulier (je, moi, mon, ma…). Bonus : il n’en comporte aucun de la première personne du pluriel non plus.

Après avoir tourné le problème dans tous les sens, j’ai eu l’idée d’écrire un scénario en mode “description extérieure”. Une fois l’idée en tête, sa mise en œuvre a été facile. J’ai un peu hésité sur l’idée car je la trouvais limite par rapport à la contrainte de base du projet qui consiste pour les personnages à écrire des notes dans un carnet intime, mais en tant que blogueur, il m’est arrivé d’écrire des billets en mode “expérience d’écriture” donc j’ai validé le principe… Je me suis même amusé à surligner des passages, comme pourrait le faire un réalisateur qui lit le synopsis pour en faire un script.

En 2019, j’ai eu la chance de participer aux “Confluences pénales de l’Ouest” dont le thème choisi était “Justice et secret(s)”. En tant qu’expert judiciaire, j’ai toujours été sensible au secret, et à la problématique de son respect plus ou moins strict. Je n’ai jamais trahi le secret de l’instruction, ni le secret de mes dossiers, et pourtant j’ai su romancer mes expériences judiciaires pour en parler sur mon blog. Je me suis amusé ici à imaginer comment un médecin pouvait garder un secret médical tout en donnant quand même une indication, plus ou moins volontairement.

Vincent-personnage donne à Sylvie la lettre qu’il a écrite pour elle. Celle-ci réagit. J’aime bien cette idée qu’une personne puisse être en colère, puis quelques secondes après, avoir pardonné, parce que son intelligence lui montre les intentions cachées. L’intelligence plus forte que la colère pour laisser place à l’amour. Oui, je suis un peu romantique. Et oui, j’ai un attaché-case années 80 et un parapheur que je garde en souvenir et qui fait sourire Mme Zythom (qui m’interdit de sortir avec).

Le billet suivant s’appellera “Les choses vont changer”.

Sculpture sur crayon par Dalton Ghetti – via Designboom

Gruyère Surprises 4/9

mardi 13 avril 2021 à 10:26

Résumé du texte qui suit : Vincent prépare sa sortie et organise la mise en ordre de ses explications pour ses proches. Mais la vie s’accroche et est toujours pleine de surprises.

23 juin

Neuf jours que je suis planqué dans cette auberge à faire semblant… Je reste discret et fidèle à mes habitudes : je limite mes interactions avec les humains. Je n’ai parlé à personne pendant l’exercice incendie de mardi dernier (ou la fausse alerte, je n’ai pas bien compris). Mais curieusement, je me suis inscrit à la promenade nocturne de samedi, organisée par le syndicat d’initiative de L’Éreintante. J’ai adoré me promener de nuit dans la forêt. J’avais pris une canne de marche et un petit sac à dos pour y glisser une torche, une gourde, un sifflet et une couverture de survie. Tout cela m’a rappelé l’époque des sorties spéléos dans le coin, où l’on passait la journée sous terre et où l’on ressortait à l’air libre en pleine nuit. Tout cela me semble si loin. Je me souviens d’un seul nom : la Traversée Gruyère-Surprises, qui fait se rejoindre la lésine du Gruyère et le gouffre des Surprises. Il faudrait que je demande à Mme Lalochère, la patronne de l’auberge si c’est vraiment dans le coin.

Les jours passent. Je suis cloîtré dans ma chambre et je fais des listes : je note tout ce que je dois mettre en ordre avant de, avant de… Bref je mets en ordre ce qui doit être mis en ordre. J’ai commencé par écrire (oui écrire) le mot de passe de mon coffre-fort numérique qui contient tous mes mots de passe. J’ai indiqué où se trouve ma clé d’authentification multifactorielle, et le code de mon téléphone. J’ai écrit le message qui doit être mis sur mon blog, sur mon site pro, sur mes comptes de réseaux sociaux. Et chaque jour, j’écris une lettre à chacun de mes proches. En commençant par Sylvie, l’amour de ma vie. Une lettre par enfant. Une lettre par petit-enfant. Ce que je veux que chacun garde de moi doit tenir sur une feuille.

Je mange toujours seul à une table du restaurant. M. Carolo, l’homme d’action de la propriétaire, me laisse m’installer dans un coin d’où je peux regarder le spectacle de la petite communauté des clients. Les visages fournissent tellement d’indications…

Je regarde le mien dans le miroir de la salle de bain, et je me trouve le teint jaune. Enfin, un peu plus jaune que d’habitude. Mes origines japonaises sont accentuées par la maladie, mais cachent son symptôme le plus visible. Au moins les gens ne me

TOC TOC TOC

On a frappé à la porte de la chambre pendant que j’écrivais dans le carnet. Après avoir ouvert, je suis resté bouche bée.

Imaginez : devant moi se tient Sylvie, ma femme.

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Commentaire de l’auteur :

Le premier paragraphe est un exemple d’interaction de groupe proposée par la Direction de l’auberge (une promenade nocturne dans les environs). Comme indiqué précédemment, j’ai une idée précise de l’histoire que j’ai décidé de raconter, ce qui me met un peu hors jeu concernant les interactions. Les organisateurs (expérimentés) du projet avait prévu le cas et il était possible d’indiquer si l’on acceptait ou refusait les interactions libres avec les autres auteurs. Mais c’est aussi le sel de ce projet que de voir les autres joueurs venir potentiellement bouleverser ses plans, et j’ai donc laissé mon choix sur “oui, j’autorise les interactions libres”, tout en croisant les doigts.

Par contre, il y avait également un deuxième type d’interaction possible : les interactions concertées. Le fait de faire écrire par Vincent-personnage dans son carnet “Je reste discret et fidèle à mes habitudes : je limite mes interactions avec les humains.” prépare le terrain à un refus poli si l’interaction proposée ne cadre pas avec le script prévu pour ma marionnette.

Dans les règles du jeu, les organisateurs nous avaient indiqué que l’auberge, bien que fictive, était située approximativement dans le Jura. Il se trouve que j’ai beaucoup pratiqué la spéléologie dans le Doubs et le Jura pendant mes jeunes années. Je me suis donc amusé à faire écrire Vincent-personnage un souvenir de sortie spéléo dans le coin : la Traversée Gruyère-Surprises, qui fait se rejoindre la lésine du Gruyère et le gouffre des Surprises. C’est l’une des deux sorties spéléos où j’ai emmené Mme Zythom pour lui faire découvrir la pratique de ce sport qui lui volait son fiancé un week-end sur deux. Il s’agit d’un petit réseau simple à équiper en cordes et pouvant accueillir des débutants bien encadrés. Il y a 4 entrées possibles et autant de sorties. Vous entrez et descendez, puis vous progressez sous terre avec des difficultés intéressantes (ressauts, toboggan, puits, étroitures) qui illustrent assez bien toutes les sensations que procurent ce sport :-). Puis vous remontez et sortez à la même hauteur que là où vous êtes entrés. Ce qui a beaucoup amusé mon épouse, c’est qu’il a fallu 4h sous terre de l’entrée “Gruyère” jusqu’à la sortie “Surprises”, et 5mn de marche en extérieur pour revenir de “Surprises” à “Gruyère” chercher nos affaires… Elle garde aussi un bon souvenir des étroitures (ce qui est rare), où pourtant seul son casque apparaissait !

La fin du billet bute sur une incohérence qui je l’espère est passée inaperçue de la plupart des lecteurs : comment écrire la scène de la surprise de Vincent-personnage lors de l’ouverture de la porte, sachant que ce que vous lisez est une note écrite par Vincent-personnage dans son carnet ? J’ai beaucoup cherché, et je n’ai pas trouvé de solution qui me satisfasse pleinement. Personne n’écrit “TOC TOC TOC” dans un carnet intime ! Mais il me fallait une rupture justifiant l’arrêt d’écriture (la phrase “Au moins les gens ne me” n’est pas terminée). Dans la vraie vie, si l’on est arrêté en pleine écriture, on reprend simplement là où l’on a été interrompu ! Mais c’est moins dramatique. J’apprends mes limites de Vincent-auteur…

Le billet suivant s’appellera “La Force est avec lui”.

Topographie de la Traversée Gruyère-Surprise. Source Jura Spéléo

Le bonheur à tout prix 3/9

lundi 12 avril 2021 à 09:23

Résumé du texte qui suit : Après avoir révélé son secret, Vincent en tire une conséquence pour le moins radicale…

22 juin

Il m’a fallu quelques minutes pour analyser les conséquences de ce que le médecin vient de m’annoncer. Il ne me reste que six mois à vivre !

J’ai alors pris la décision la plus importante de ma vie, et je lui ai dit : “Tu ne dis RIEN à personne. Tu es tenu au secret professionnel. LE PLUS STRICT. Tu ne dis rien à ma femme, ni à la tienne d’ailleurs, ni à mes enfants, ni au maire. À PERSONNE. Tu scannes la feuille de résultats dans mon dossier et tu détruis l’original. Donne-moi mon ordonnance pour les anti-douleurs.”

Je suis rentré chez moi, j’ai embrassé ma femme Sylvie et je lui ai expliqué que le médecin m’avait trouvé fatigué et me conseillait un repos forcé avec des médicaments pour mon mal de ventre.

Puis je me suis réfugié dans mon antre.

Le choc de l’annonce a été terrible. Je fonds en larmes.

J’aime plus que tout Sylvie. J’aime mes enfants. J’aime même mes beaux-fils et belles-filles, c’est dire. J’aime encore plus mes petits-enfants.

Je suis un eudémoniste convaincu. Le bonheur est au cœur de mon existence. Mais comment annoncer aux gens qui m’aiment ma mort prochaine ? J’ai décidé cela en quelques secondes, dans le cabinet médical : rien ne viendra perturber le bonheur des personnes que j’aime, au moins pendant les six prochains mois. Ma mort sera brutale, nette et précise. Disons en une semaine. Oui, c’est ça une semaine pour mourir, c’est bien.

Le bonheur de mes proches, à tout prix.

Je sèche mes larmes. Je réserve sur internet un séjour dans une auberge perdue dans la pampa.

J’annonce à Sylvie ma décision de m’isoler trois semaines pour me reposer.

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Commentaire de l’auteur :

Dans ce troisième texte, le problème est posé : quand on apprend la date assez précise de sa mort, comment gérer cette nouvelle et en particulier pour ses proches ? Faut-il l’annoncer sur les réseaux sociaux pour détailler au monde son départ, dans la pure ligne éditoriale d’un épisode de Black Mirror, faut-il le garder pour soi et préparer secrètement sa sortie en beauté en trompant tout son monde au risque que chacun se dise “je n’ai pas profité de lui pendant ses derniers instants”, faut-il mettre ses proches dans la confidence et faire souffrir tout le monde en même temps que soi ? Vincent a choisi. Il a également choisi sa fin de vie.

Mais cette note écrite dans le carnet disposé dans une chambre d’auberge cache-t-elle autre chose ?

Le texte suivant s’appellera “Gruyère Surprises”.