PROJET AUTOBLOG


Zythom

source: Zythom

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Expert ou Huissier

vendredi 5 septembre 2014 à 12:56
Je suis souvent sollicité pour mener à bien des constatations concernant du matériel informatique en tant qu'expert judiciaire. Je suis alors obligé d'expliquer à mon interlocuteur qu'à mon avis il est préférable pour lui de passer par un huissier de justice s'il souhaite que les constatations soient opposables à une partie adverse.

Quelques explications me semblent nécessaires.

Un expert judiciaire est une personne inscrite sur une liste ad hoc d'une cour d'appel ou de la cour de cassation. Cette personne n'est en "mission judiciaire" que lorsqu'elle est sollicitée par un magistrat. Le reste du temps, c'est une personne normale, sans "super pouvoir" particulier.

Il est possible (et relativement fréquent) que cette personne soit contactée par un particulier ou une entreprise parce que son nom apparaît sur la liste de la cour d'appel (ou celle plus prestigieuse de la cour de cassation). Mais dans ce cas, l'intervention se fait à titre personnel, sans mission officielle demandée par un magistrat. On parle alors de mission privée.

Lorsque j'établis un rapport d'expertise privée, celui-ci n'a pas la même valeur que le rapport que je rédige dans une mission d'expertise judiciaire.

Lorsque je rédige un rapport d'expertise judiciaire au pénal, à la demande d'un juge d'instruction par exemple, je travaille seul. Les questions qui me sont posées sont très factuelles : y a-t-il présence de telle ou telle information sur le disque dur de l'ordinateur, l'ordinateur a-t-il été utilisé pour visiter tel ou tel site internet et si oui à quel moment, etc.

Dans tous les autres cas "officiels" (civil, tribunal de commerce, etc.), l'expertise judiciaire doit être menée en présence des parties concernées, d'une manière dite "contradictoire". Les questions qui me sont posées par le magistrat sont exposées aux parties, les réponses que j'y apporte sont critiquées, débattues ou défendues par les parties présentes. Les questions posées demandent un "avis" de l'expert, par exemple sur l'évaluation des montants financiers des préjudices subis par les désordres informatiques constatés.

Il arrive, et c'est l'objet de ce billet, qu'une partie souhaite préparer son dossier au mieux avant d'aller au procès, ou simplement pour impressionner son adversaire. Elle fait alors appel à un expert judiciaire, parce que le poids de la fonction compte, ainsi que les mots de son titre : "expert" et "judiciaire". Mais le magistrat ne s'y trompe pas : la parole d'une personne missionnée par une partie (pour des missions choisies par elle et directement payée par elle) n'a pas le même poids que celle d'un expert en mission judiciaire, quand bien même il s'agisse de la même personne.

Le rapport rédigé par un expert n'est pas un acte authentique. Dans le code civil français, un acte authentique est "celui qui a été reçu par officiers publics ayant le droit d'instrumenter dans le lieu où l'acte a été rédigé, et avec les solennités requises." Ainsi, les notaires, les officiers d'état civil, les huissiers de justice peuvent rédiger des actes authentiques.

Jusqu'en 2010, les constats d'huissier n'avaient que la valeur de simples renseignements (cf article 1 de la loi en vigueur en 2007), mais depuis 2010, le texte a été corrigé : "Ils peuvent, commis par justice ou à la requête de particuliers, effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. Sauf en matière pénale où elles ont valeur de simples renseignements, ces constatations font foi jusqu'à preuve contraire."

C'est pourquoi il me semble préférable de faire faire les constatations techniques par un huissier de justice, plutôt que par un expert judiciaire en mission privée.

Bien sur, se pose alors la question : les huissiers de justice sont-ils tous compétents en matière informatique ? A l'évidence, comme pour toute profession non informatique, la réponse est non. Mais alors comment faire ?

Il existe des huissiers de justice qui se sont faits une spécialité en matière informatique. Ceux-là sont compétents, dans la mesure de leur compréhension de la technique informatique qu'ils maîtrisent. Pour eux, serveurs mandataires, caches de navigation, serveurs DNS n'ont plus de secrets. Pour autant, qu'en est-il des serveurs mandataires transparents ou des DNS menteurs ? Pour la cour d'appel de Paris, seul le respect des préconisations jurisprudentielles compte...

Mon conseil, donc :
- si les aspects techniques sont relativement simples (et que vous les maîtrisez suffisamment), faites appel uniquement à un huissier de justice compétent (sur les conseils de votre avocat bien sur, puisqu'il saura vous trouver un huissier).
- si vous pensez que la complexité technique est élevée, faites appel à un huissier de justice compétent ET un expert judiciaire.

C'est le prix à payer pour mettre toutes les chances de son côté.

AMHA.

Le disque dur

lundi 1 septembre 2014 à 14:08
Le disque dur est posé devant moi sur le bureau. Je l'observe quelques instants en silence. Je viens de passer plusieurs heures à l'extraire d'un ordinateur particulièrement résistant au démontage. Je ne voulais pas faire de rayures avec mes tournevis, aussi ai-je du en fabriquer des souples avec de vieilles brosses à dents...

J'ai maintenant devant moi un disque dur tout à fait banal (et un tas de vis que j'ai mis de côté pour le remontage). Je le regarde fixement, faisant une petite pause dans cette expertise judiciaire solitaire. Comme tous les disques durs non SSD, c'est une merveille de mécanique. Pendant son fonctionnement, les têtes de lecture flottent sur un coussin d'air à quelques nanomètres des plateaux, ce qui ne laisse pas de me surprendre.

Le premier défi, qui consiste à essayer de faire démarrer l'ordinateur sur cédérom sans toucher au disque dur, a échoué. Mes différents "boot cd" n'ont pas réussi à reconnaître les différents éléments de l'ordinateur, en particulier la carte réseau. En tout cas, pas suffisamment pour me permettre de cloner le disque dur en un temps "raisonnable", et avec la garantie de ne PAS modifier les données inscrites dessus. Préservation de la preuve, garantie d'une expertise ultérieure donnant les mêmes résultats, responsabilité de l'expert, etc.

Le deuxième défi a donc été de réussir à extraire le disque dur du cocon constitué par cette magnifique carcasse aluminium, mince et fragile, sans vis apparente, clipsée de manière invisible. Difficile défi. Heureusement, internet est une source d'informations telle que j'ai pu trouver un site de passionnés ayant déjà entrepris le démontage de ce modèle ET partageant cette expérience. Avec précaution, j'ai entrepris de suivre leurs conseils, et pas à pas, malgré quelques petites différences liées certainement à une évolution du modèle, j'ai réussi à extraire le disque dur.

Le voilà posé sur mon bureau.

Je le prends en photo, je note le numéro de série et les diverses caractéristiques du disque. Je le prends délicatement entre les doigts pour le brancher sur mon ordinateur d'acquisition.

Je mets ce dernier sous tension. Quelques gouttes de sueurs perlent sur mon front : le moment est critique. Le disque dur fonctionne-t-il ? Les plateaux tournent-ils ? Les têtes de lecture vont-elles accéder correctement aux données stockées sur la couche ferromagnétique ? Y a-t-il un bruit suspect ?

Malgré toute mon expérience, mon cœur bat plus vite.

Apparemment tout va bien. Je lance la copie bit à bit du disque dur. Celle-ci va durer une douzaine d'heure. Je m'assure une nième fois que mon système de stockage est suffisant pour recevoir la copie, qu'aucune coupure programmée n'arrêtera le transfert, que la pièce est assez aérée pour évacuer la chaleur (mon bureau est minuscule). Je pars me coucher, un peu inquiet.

Le lendemain, avant de partir travailler, je vérifie que la copie suit son cours, qu'elle avance correctement, que le disque dur ne chauffe pas trop. J'ai hâte d'être ce soir pour pouvoir enfin éteindre le disque dur original.

Dans un coin de mon bureau trône l'ordinateur éventré, entouré de ses vis et clips soigneusement identifiés. Ma journée de travail est terminée, je peux commencer mon activité d'expert judiciaire. Je m'assure que les hashs de la copie et celui du disque dur d'origine sont cohérents, que ma copie numérique est bien sauvegardée et en sécurité. Je commence le remontage du disque dur dans l'ordinateur.

Puis, enfin, vient le défi principal : la recherche des informations que l'on m'a demandée de faire. Celles-ci sont peut-être cachées quelques parts, dans un fichier ou dans un container chiffré. Celles-ci sont peut-être dans la zone non allouée, dans des fragments d'anciens fichiers. Celles-ci n'existent peut-être pas. Mais ça, je ne le saurais que dans quelques jours ou quelques semaines.

J'aborde avec effroi ce dernier défi...

Tome 5

lundi 18 août 2014 à 17:36
De temps en temps, je transfère sur papier, en autopublication, une sélection des meilleurs billets de ce blog. J'ai ainsi la joie de vous annoncer la sortie du tome 5 de "Dans la peau d'un informaticien expert judiciaire" !

Le bébé fait 238 pages et le papa se porte bien...

Vous pouvez le commander chez mon éditeur en suivant ce lien.

Parce que j'aime l'esprit de partage qui règne sur internet, il est également disponible gratuitement sans DRM dans les formats suivants (cliquez pour télécharger) :

- Pdf (3724 Ko)
- Epub (4155 Ko)
- Fb2 (6635 Ko)
- Azw3 (6705 Ko)
- Lrf (3103 Ko)
- Mobi (3378 Ko)
- Papier (238 pages ;-)

Je voudrais particulièrement remercier M. Nojhan qui édite le site web Geekscottes et M. Randall Munroe, du site xkcd, pour leurs dessins.

Bien sûr, les tomes précédents sont encore disponibles, en format papier ou électronique sur la page publications.


Avertissements :

Les habitués du blog le savent, mais cela va mieux en l'écrivant: la publication des billets de mon blog, sous la forme de livres, est surtout destinée à ma famille et à mes proches. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi la démarche d'une autopublication. J'ai endossé tous les métiers amenant à la publication d'un livre, et croyez moi, ces personnes méritent amplement leurs salaires! Mise en page, corrections, choix des titres, choix des couvertures, choix du format, choix des polices de caractère, marketing, numérisation, etc., sont un aperçu des activités qui amènent à la réalisation d'un livre. Je ne suis pas un professionnel de ces questions, je vous prie donc de m'excuser si le résultat n'est pas à la hauteur de la qualité que vous pouviez attendre. Le fait d'avoir travaillé seul (avec Mme Zythom-mère pour la relecture, merci à elle), explique aussi le faible prix de la version papier pour un livre de 238 pages.

Je me dois également, par honnêteté envers les acheteurs du livre, de dire que les billets en question sont encore en ligne et le resteront. Les billets sont identiques, à part les adaptations indiquées ci-après.

Le passage d'un billet de blog à une version papier nécessite la suppression des liens. J'ai donc inséré beaucoup de "notes de bas de page" pour expliquer ou remplacer les liens d'origine. Dans la version électronique, j'ai laissé les liens ET les notes de bas de page. Je vous incite à lire les notes de bas de page le plus souvent possible car j'y ai glissé quelques explications qui éclaireront les allusions obscures.

J’espère que ce tome 5 vous plaira. En tout cas, je vous en souhaite une bonne lecture.

Septieme ciel

lundi 18 août 2014 à 12:06
Je regarde par la fenêtre de l'avion et la tension monte...

Je n'ai à mon compteur que six sauts, mais le prochain, le septième, est le premier que je vais faire entièrement seul... Je suis monté dans l'avion avec une certaine appréhension, les autres camarades de stage qui m'accompagnent effectuant leur sixième saut sont eux accompagnés de leur moniteur.

Dans l'avion, chacun est silencieux, concentré sur les figures imposées comme exercice pour son saut. Les moniteurs se font des signes entre eux, amusés par notre enthousiasme et notre inexpérience. Chaque stagiaire est dans sa bulle. La mienne grossit, grossit à mesure que l'avion prend de la hauteur. Le stress monte également, ce qui me surprend car les autres sauts ne m'avaient pas fait peur. Mais cette fois, je suis seul, sans moniteur pour me demander si tout va bien, pour me faire vérifier mon équipement encore une fois dans l'avion, pour me déstresser par un geste ou un sourire moqueur.

Je vérifie mon équipement :  la poignée permettant de sortir l'extracteur de la voile est bien en place, les deux poignées de la terrible procédure de sécurité sont bien là (largage de la voile principale et ouverture de la voile de secours), les sangles sont bien mises...

[Note: le mot "parachute" désigne l'ensemble complet : sac + voile principale +  voile de secours + sangles, poignées et dispositifs divers]

Je regarde l'aiguille de l'altimètre tourner lentement : 2500m, 3000m, 3500m, 4000m... Quand elle indique 4200m, le pilote secoue une grosse clochette et l'un des moniteurs ouvre la porte. Le vacarme ambiant augmente d'un cran. Je suis le premier qui doit sauter, je suis assis à même le sol de la cabine exiguë qui peine à loger les 9 parachutistes.

Je me lève tant bien que mal, chacun me laissant une petite place pour me permettre de bouger.

Pendant la montée, j'ai décidé du type de sortie que j'allais faire : un roulé-boulé arrière qui démarre dos au vide. J'ai également repensé à toutes les péripéties qui me sont arrivées tout au long de ces quatre derniers jours, pendant ma formation PAC :

- Lors du 1er saut, j'attendais je ne sais quel signe pour ouvrir ma voile, la main sur la poignée de l'extracteur... L'un des moniteurs a saisi ma main (et la poignée avec) et tiré dessus pour me faire ouvrir la voile !

- Autant la voile s'était ouverte en douceur pour mon 1er saut, autant elle a "claqué" lors du 2e saut. Je suis secoué comme un pantin désarticulé pendant son ouverture. Je ne m'y attendais pas du tout !

- Pour le 3e saut, le moniteur qui nous guide du sol pendant toute la descente sous voile (chaque élève dispose d'une oreillette radio) s'emmêle dans les couleurs des voiles et je prends pour moi un ordre impératif de faire demi-tour, alors que je ne suis plus qu'à 50m du sol. Me voilà donc vent arrière pour me poser. Trop tard pour changer de direction, je me pose en courant, avec une belle gamelle à la clef et une dizaine de mètres à brouter de l'herbe !

- Les conditions  météo ont changé en altitude, et voilà qu'il fait -5°C à 4200m... Je n'avais pas vraiment prévu cela : je n'ai pas de gants, pas de pull. Y fait frette!

- Je n'ai pas réussi l'exercice du 4e saut consistant à rester en chute libre volontairement sur le dos pendant quelques secondes... Je suis tellement cambré que je me retourne immédiatement. A moins que ce ne soit mon (léger) ventre qui décale mon centre de gravité ;-)

- Le roulé-boulé avant du 5e saut était correct (voir vidéo ci-après). Mais lorsque j'ai ouvert les bras, je me suis retrouvé sur le dos ! Du coup, je me suis cambré pour me retourner, mais le retournement a été plus brutal que prévu et je me suis désarticulé (voir vidéo).

- Pendant l'exercice consistant à faire un 360° à plat, à droite, puis à gauche, j'ai les deux coudes trop bas. Du coup, je n'arrive pas bien à tourner. Il me faut un peu de temps pour comprendre, mais à 200 km/h, le temps manque. Priorité au contrôle de l'altimètre et à l'ouverture de la voile !

- Lors du 6e saut (et dernier saut accompagné), après le roulé-boulé arrière et les deux séries de tonneaux de l'exercice, une fois stabilisé, j'ai perdu mes surlunettes ! Ce qui veut dire que mes lunettes de vue était exposée directement au vent relatif de la chute libre à 200 km/h. Elles sont restées par miracle sur mes yeux. Le moniteur a apprécié que je ne m'en occupe pas plus que ça et que je me concentre sur ma stabilité, mon altimètre et mon ouverture de voile. Néanmoins, juste avant que la voile ne me secoue comme un prunier, j'ai sauvé mes lunettes en mettant les deux mains sur les yeux !

5e saut PAC, où le pantin désarticulé qui cherche à se stabiliser ;-)
Musique audionautix.com (Pentagram)

--oOo--

Je suis maintenant seul pour sauter de l'avion. Je tiens la barre à deux mains.

Je me lance un "go" dans la tête, lâche la barre qui me retient à l'avion, lance la tête en arrière, attrape mes deux genoux avec les mains et commence une série de 4 pirouettes arrières dans le vide.

Je me mets sagement à plat et stabilise comme je peux ma position. Je teste quelques mouvements des bras et des jambes et analyse leurs impacts sur ma position.

Je regarde mon altimètre toutes les cinq secondes.

A partir de 2000m, je ne le quitte plus des yeux, en révisant mentalement la procédure de sécurité à faire si la voile ne s'ouvre pas.

A 1700m, je sors l'extracteur et déclenche l'ouverture de la voile.

A 1500m, la voile est correctement déployée, je pousse un cri sauvage de joie et prend les commandes. Les six minutes suivantes sont une formalité : je profite de la vue, je fais quelques 360° sous voile, je me rends tranquillement vers mon point de rendez-vous de 300m, je fais mon approche finale et je me pose en douceur (sur les fesses, c'est ma technique ;-)

Je savoure le plaisir intense que je viens de vivre. Je vous laisse deviner la définition la plus appropriée de l'expression "septième ciel" qui s'applique à ce que je ressens après ce septième saut.

J'ai une pensée pour Sid et je le remercie de m'avoir encouragé à faire cette formation.

Puis je range mon parachute et rentre à pied au hangar, avec des étoiles plein les yeux et la musique de "Top Gun" dans la tête ;-)

Premier saut J-20

mardi 22 juillet 2014 à 17:11
Ceci devrait être le billet le plus court de mon blog, et aurait pu s'intituler "au cas où"...

J'ai enfin réussi à planifier la date de mon premier saut en parachute : ce sera le 11 août 2014 si la météo s'y prête.

Comme Sid me l'avait conseillé, j'ai choisi une PAC (Progression Accompagnée en Chute), c'est à dire une série de sauts tout seul, accompagné de près par un moniteur (deux pour le premier saut), très différents du saut en tandem. Normalement je dois faire 7 sauts à 4000m, avec à chaque fois environ 40s de chute libre. J'ai déjà hâte d'y être.

J'ai réussi à extorquer une attestation de bonne santé à mon médecin qui s'inquiète de ma santé mentale... Il me reste à me maintenir (juste) sous la barre des 90 kg (poids max accepté par les parachutes du club) et à trouver des attaches pour mes lunettes... J'espère pouvoir rapidement vous raconter mes aventures.

J'aurai une pensée toute particulière pour toi, Sid.