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Zythom

source: Zythom

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25 ans dans une startup - billet n.12

mardi 24 juillet 2018 à 05:00
Introduction - billet n.11

Après trois années dédiées pleinement à la pédagogie, avec beaucoup de choses à apprendre, beaucoup de progrès à faire, j'ai complètement arrêté la recherche, d'autant plus que la startup ne développe aucun axe de recherche en informatique, et que je n'ai pas vraiment l'étoffe pour proposer de créer ex nihilo un programme de recherche avec les financements qui vont avec.

Mais sans recherche, comment rester dans le coup, techniquement ?

Bien sûr, je fais de la veille sur tous les sujets qui le nécessitent, et j'ai déjà beaucoup à faire sur mon périmètre fonctionnel : suivi des étudiants, révision du cours, animation de l'équipe de vacataires, modification des sujets de TD et de ceux de TP, enseignements en amphis, TD et TP, mise en place de projets techniques, encadrement de stagiaires, évaluation des apprentissages, participation à la promotion de l'école dans les différents salons et forums post-bac...

Mais le départ du technicien informatique, n'est-ce pas là l'occasion de revenir à mes premières amours : mettre l'informatique au service des utilisateurs ? De remplacer l'activité de recherche et son dynamisme intellectuel par une activité similaire mais plus concrète et appliquée : la gestion de l'informatique d'une entreprise naissante ? D'utiliser ma double formation d'ingénieur et d'enseignant-chercheur ?

Après mûre réflexion, je suis allé voir le directeur général et je lui ai fait la proposition suivante : "Je vous propose de créer le poste de responsable informatique et de me mettre sur cette fonction à mi-temps. Une seule condition : un rattachement hiérarchique directement à vous-même, et non plus au directeur administratif et financier. L'informatique ne doit pas être vue uniquement comme un centre de coût, mais comme un outil transversal au service de tous, avec éventuellement des arbitrages à votre niveau."

Il m'a répondu "Ok, mais je vous préviens, vous serez à plein temps sur la fonction, en plus de votre fonction actuelle..."

J'ai signé.

Le lendemain, les problèmes tombaient comme à Gravelotte.

A suivre..

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Ce récit est basé sur des faits réels, les noms et certains lieux ont été changés.

25 ans dans une startup - billet n.11

jeudi 19 juillet 2018 à 05:00
Introduction - billet précédent

Sur le sujet de la pédagogie : rien que cette matière mériterait une saga entière de plusieurs tomes ;-)

Pour faire cours court, voici mes quelques règles de base :
- Appel. On ne peut pas espérer transmettre un savoir sans un minimum de présentiel. Mon cours n'est pas un MOOC. Je commente beaucoup de choses en direct live. Je fais donc circuler une feuille d'émargement que je ne quitte pas des yeux pendant le premier quart d'heure. J'accepte tous les retardataires tant qu'ils ne dérangent pas le cours (lire cette anecdote à ce sujet). Comme je sais que certains signent pour d'autres, au bout de trois amphis, je compare les signatures et, au cours suivant, j'appelle à voix haute les suspects d’absentéisme récurrent. En général, personne ne répond : effet garanti, et l'amphi est ensuite plein jusqu'à la fin du module.

- Discipline. J'ai la chance d'avoir une voix de Stentor qui me permet de surmonter le brouhaha. Je me déplace tout autour des étudiants et reste parfois tout en haut de l'amphi. Cela les intrigue et remet le dernier rang dans la course. J'essaye de faire varier le cours entre répétitions, interactions et anecdotes pour maintenir l'attention.

- Pause. Je fais une pause au bout d'une heure de cours. Les étudiants sortent 5mn, on perd un quart d'heure, mais l'attention peut de nouveau être soutenue. Tout le monde y gagne.

- Structure du cours. Je fais souvent des retours arrière, qui agacent les bons élèves, mais qui permettent aux moins bons de rester dans la progression. Je demande aux étudiants de faire des autoévaluations entre deux cours pour les aider à apprendre. Je les encourage à poser des questions en TD et en TP.

- A quoi ça sert. Je donne beaucoup d'exemples, les plus concrets possibles. L'algorithmique ne sert pas qu'à faire de la programmation. C'est une méthode de résolution de problèmes, par décomposition en sous problèmes jusqu'à ce que chaque sous problème soit simple à résoudre. Un peu comme la rédaction d'une notice de montage de meuble en kit...

- Ludique. Apprendre à programmer un jeu de dames, non pas chacun de son côté, mais en travaillant en mode projet : un seul programme de jeu de dames, mais développé par 100 personnes, est un excellent moyen de mettre en pratique les méthodes de gestion de projet. Chacun a une tâche relativement simple à faire, les problèmes mis en valeur se retrouvent surtout dans la coordination.

- Personnaliser. Chaque étudiant est unique. Il faut trouver le juste équilibre pour permettre à chacun d'y arriver. Il y a ceux qui travaillent pour payer leurs études, ceux qui ont besoin de temps pour acquérir des connaissances, ceux qui ont un poil dans la main, ceux qui aiment la discipline, ceux qui la détestent... Il faut discuter avec les étudiants (cafétéria, pauses, activités périscolaires...), essayer de les connaître, laisser sa porte ouverte, convoquer ceux en difficulté avant que les difficultés ne deviennent insurmontables, etc. Il faut respecter chaque personnalité et la laisser s'exprimer sans la juger. Former sans déformer. Ni moule, ni moules.

- Évaluer pour former. Je fais très attention à ce que les différentes évaluations des connaissances des étudiants que je réalise ne deviennent pas une évaluation de mon manque de pédagogie. J'insiste lourdement sur les points importants : "si vous ne deviez retenir que peu de choses de ce cours, celle-ci en fait partie". Si je constate que la moyenne de la promotion à un devoir est très basse, c'est souvent que j'ai raté quelque chose : soit j'ai été nul dans mes explications, soit j'ai mal rédigé mon sujet d'examen, soit mon barème est mauvais. Dans tous les cas, je suis en faute. Soit j'annule l'épreuve, en expliquant pourquoi aux étudiants et je recommence si possible, soit je modifie mon barème.

Une première année passe, puis une deuxième, et alors que je consacrais toute mon énergie à essayer de devenir un bon enseignant former de bons ingénieurs, tout à coup, au bout de trois ans, le technicien responsable de l'informatique démissionne.

Sa décision allait changer ma vie...

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Ce récit est basé sur des faits réels, les noms et certains lieux ont été changés.



25 ans dans une startup - billet n.10

mardi 17 juillet 2018 à 05:00
Introduction - billet précédent

"La pédagogie désigne l'art de l'éducation. Le terme rassemble les méthodes et pratiques d'enseignement requises pour transmettre des compétences, c'est-à-dire un savoir (connaissances), un savoir-faire (capacités) ou un savoir-être (attitudes)." (source Wikipédia)

Je ne voudrais pas généraliser à partir de ma seule expérience, mais il me semble que les enseignants du supérieur sont quasiment tous lancés dans le grand bain sans une once de formation à la pédagogie. On appelle cela "l'enseignement par la recherche"... L'intervenant vient essayer de transmettre tant bien que mal son savoir, un peu de son savoir-faire, plus rarement de son savoir-être. Il n'a pas été formé à cela.

Je voudrais citer ici un extrait du livre de Michel Serres "Petite Poucette" :
Jusqu'à ce matin compris, un enseignant, dans sa classe ou son amphi, délivrait un savoir qui, en partie, gisait déjà dans les livres. Il oralisait de l'écrit, une page-source. S'il invente, chose rare, il écrira demain une page-recueil. Sa chaire faisait entendre ce porte-voix. Pour cette émission orale, il demandait le silence. Il ne l'obtient plus.
Formé dès l'enfance, aux classes élémentaires et préparatoires, la vague de ce que l'on nomme le bavardage, levée en tsunami dans le secondaire, vient d'atteindre le supérieur où les amphis, débordés par lui, se remplissent, pour la première fois de l'histoire, d'un brouhaha permanent qui rend pénible toute écoute ou rend inaudible la vieille voix du livre. Voilà un phénomène assez général pour que l'on y prête attention. Petite Poucette ne lit ni ne désire ouïr l'écrit dit. Celui qu'une ancienne publicité dessinait comme un chien n'entend plus la voix de son maître. Réduits au silence depuis trois millénaires, Petite Poucette, ses sœurs et ses frères produisent en chœur, désormais, un bruit de fond qui assourdit le porte-voix de l'écriture.
Pourquoi bavarde-t-elle, parmi le brouhaha de ses bavards camarades ? Parce que, ce savoir annoncé, tout le monde l'a déjà. En entier. À disposition. Sous la main. Accessible par le Web, Wikipédia, portable, par n'importe quel portail. Expliqué, documenté, illustré, sans plus d'erreurs que dans les meilleures encyclopédies. Nul n'a plus besoin des porte-voix d'antan, sauf si l'un, original et rare, invente.
Fin de l'ère du savoir.
Me voilà donc à la fois en train de découvrir la pédagogie, mais aussi les effets de la révolution numérique : les étudiants n'écoutent plus aussi facilement.

Problème : ma hiérarchie me demande d'enseigner à l'ensemble de l'amphithéâtre... Pas uniquement aux deux premiers rangs occupés, mais à l'ensemble des étudiants de la promotion. Pas uniquement aux étudiants souhaitant assister à mon cours, mais faire en sorte que tous les étudiants soient présents, y compris ceux ayant pensant avoir mieux à faire ailleurs...
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Il faut donc faire l'appel (en amphi!), rendre le cours intéressant, maintenir l'intérêt des étudiants pendant 2h de suite, faire en sorte qu'ils soient présents, attentifs, concentrés, prêts à écouter, comprendre, apprendre, retenir l'ensemble des informations que je vais leur transmettre...

Bref, il faut que j'essaye d'être un bon pédagogue, un bon policier, un bon juge, un bon animateur, un bon psychologue. Ferme mais juste.

Après moult essais et erreurs, voici ce que j'ai mis en place.

A suivre...

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Ce récit est basé sur des faits réels, les noms et certains lieux ont été changés.

25 ans dans une startup - billet n.9

jeudi 12 juillet 2018 à 05:00
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Je n'ai jamais fait de cours avant. Mon poste précédent de Maître de conférences me cantonnait au suivi de travaux pratiques (TP) et à quelques cours de formation continue en effectif réduit.

Il s'agit cette fois d'assurer un cours dans un amphithéâtre, face à une promotion d'une centaine d'étudiants.

Ma seule expérience face à un auditoire aussi nombreux, je la devais à un colloque effectué à la suite de mon DEA, et que j'ai déjà racontée ici (lire le billet "tribun du troisième âge"). Autant dire que je n'en menais pas large.

Il n'y a pas si longtemps, j'étais assis à leurs places dans des amphithéâtres à regarder des professeurs inconnus démarrer leurs cours. En 10s ils étaient catalogués : prof pénible, prof inaudible, prof terne... 10s !

Mon cœur bat à 3Hz...

Me voici dans l'amphithéâtre, à regarder les étudiants s'installer. Eux-même me regardent avec curiosité. Quelques semaines auparavant, ils étaient en terminale dans une salle de classe. Ils sont intimidés par ce grand amphithéâtre.

J'attends que tout le monde soit assis. J'installe mon premier transparent sur le rétroprojecteur. Je regarde mes mains : elles tremblent un peu. Je les pose sur le rétroprojecteur en faisant face aux étudiants. Je m'éclaircis la voix.

"Bonjour à tous. Je vois que certains sont un peu intimidés. Sachez que c'est mon cas aussi, car, comme vous, il s'agit de mon premier cours en amphithéâtre."

Je vois quelques sourires sur les visages de certains étudiants qui regardent au-dessus de mon épaule. Je jette un œil derrière moi et je vois que le léger tremblement de mes mains posées sur le rétroprojecteur est amplifié sur l'immense écran derrière moi. Je retire mes mains, j'ajoute "comme vous pouvez le voir", je respire un grand coup et je me lance dans le grand bain.

2h plus tard, les étudiants sortent. J'en retrouve quelques uns dans le laboratoire informatique à déballer des cartons. Je leur demande si le cours s'est bien passé. Ils me rassurent, et me disent que si ma voix était un peu tremblante au début, ils ont aimé le "show".

Je venais de remporter la plus importante de toutes les auditions !

Il me reste maintenant à concrétiser.

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Ce récit est basé sur des faits réels, les noms et certains lieux ont été changés.

Source Pexels


25 ans dans une startup - billet n.8

mardi 10 juillet 2018 à 05:00
Introduction - billet précédent

Rentrée de septembre 1993. Me voici assis dans mon bureau, entouré d'inconnus, dans un lieu inconnu, avec des étudiants inconnus, et un programme pédagogique inconnu...

Le directeur des études me donne un mois pour mettre sur pied mes premiers cours. Je m’attelle à la tâche. Premièrement, prendre contact avec les enseignants vacataires ayant officié l'année précédente. Les rassurer et leur présenter la feuille de route que j'ai établie (établir la feuille de route). Prendre progressivement la mesure des responsabilités qui sont les miennes et les enjeux pour les étudiants. Établir les grandes lignes d'un cours d'initiation à l'algorithmique basé sur le langage Pascal, jeter les bases des TP associés. Faire de même avec le cours d'algorithmique avancé associé au langage C. Préparer deux conférences pour les 5e années.

L'avantage d'une embauche dans une startup, le seul en fait, est de participer au lancement de quelque chose. L'école a déjà 3 ans quand je la rejoins, et donc trois (petites) promotions d'étudiants aux profils d'aventuriers. Nous sommes une dizaine d'employés à les encadrer. En fait, tout le monde entraide tout le monde : l'équipement est à déballer dans les nouveaux bâtiments construits par le département, la pédagogie est à (co)construire.

Des étudiants enthousiastes aident le technicien informatique à ouvrir les cartons des nouveaux ordinateurs, et à installer les tables et les chaises. Bien entendu, je suis avec eux, à découvrir nos nouveaux jouets : des stations de calcul sous HP-UX et des ordinateurs "compatibles IBM PC" sous Windows 3.1. Nous branchons tout cela sur le réseau Novell Netware flambant neuf.

Les rôles entre le technicien informatique et moi sont clairs : il s'occupe de tout, je m'occupe de l'enseignement. Comme il ne m'est pas hiérarchiquement rattaché, je ne suis pas son chef, je ne lui donne pas d'ordre. Ok, ça me va, j'ai suffisamment à faire de mon côté. Je crois qu'il m'aime bien, parce qu'il voit bien que je le respecte, malgré tous mes diplômes. Et que je le laisse tranquille.

Non seulement je le respecte, mais j'apprends plein de chose avec lui. Le savoir-faire concernant le réseau Apollo Token-Ring (avec des contacts en or !) que j'avais mis en place dans mon travail précédent ne m'est pas d'une grande utilité : je découvre Ethernet 10BASE-T, l'administration réseau Novell, la gestion des comptes, le brassage des prises, l'assemblage de PC...

Dans cette effervescence, je rédige les premiers chapitres de mes cours. Et fatalement, arrive le premier cours en amphithéâtre.

Je n'ai jamais fait cours avant...

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Ce récit est basé sur des faits réels, les noms et certains lieux ont été changés.

Source YouTube