PROJET AUTOBLOG


Owni

Archivé

source: Owni

⇐ retour index

Le jour où Instagram découvrit le web

vendredi 16 novembre 2012 à 11:11

À l’heure où Instagram publie des photos aériennes prises par un drone, à l’heure où l’on visionne ses photos sur un pico projecteur, à l’heure où je vous publie chaque jour un dessin sur cette même plateforme, Instagram ouvre enfin son service au web sous forme de page galerie personnelle. Petite révolution pour libérer les photos du téléphone de millions d’utilisateurs, premier pas vers l’absorption d’Instagram par Facebook ou évolution de l’expérience utilisateur ? Aujourd’hui, on fait un petit tour par ce grand saut sur le web.

Instagram, du mobile au web

Il ne vous est plus nécessaire d’avoir un smartphone ou de passer par des services tiers (webstagram, statigram, etc.) pour accéder aux galeries de vos photographes amateurs préférés. Instagram est un enfant du smartphone, né de la mobilité, de la photo et des réseaux sociaux, il aura quand même mis du temps à faire le pont entre mobile et web.

Mais pourquoi Instagram lance ses profils web maintenant ?

Kevin Systrom, le CEO d’Instagram affirme qu’il attendait le bon moment avant de sortir les galeries web de ses 100 millions d’utilisateurs. En réalité, l’idée est de se positionner également pour les entreprises qui utilisent Instagram dans le cadre de leur promotion dans les médias sociaux. La version web du compte Instagram de Nike est sorti avec les premiers exemples. Ce changement est tout simplement une façon facile de rendre ces contenus disponibles pour tous les utilisateurs, en particulier ceux qui n’ont pas de smartphone sur iOS ou Android.

Sur le web, en plus de l’affichage de photos d’un utilisateur et de ses informations, vous pouvez aussi faire des choses telles que suivre cet utilisateur, commenter.

L’Interface

La chose la plus frappante sur les profils web est sa ressemblance avec la timeline de Facebook ! Graphiquement c’est à s’y méprendre tant l’inspiration est grande. Mais étrangement, nous ne sommes pas exactement dans les mêmes dimensions, et quelques subtilités ont été mises en place.

Une élégante animation lors du survol de la souris laisse place à la date, au nombre de commentaires et de likes, la mosaïque tout en haut offre un changement régulier des photos dans des petites cases qui forment une grille. Cette mosaïque justement occupe toujours la même disposition et n’est pas sans rappeler la photo de couverture des profils sur Facebook.

Typographie & interactivité

Côté typographie, Instagram utilise du Proxima Nova, une police d’écriture totalement revue en 1994. Entre du Futura et de l’Akzidenz Grotesk, le Proxima s’avère être assez élégant et très actuel, très inscrit dans la tendance.

Pour l’interaction c’est très simple, rien de révolutionnaire, il suffit de cliquer sur une photo et elle apparaîtra en taille réelle aux côtés des likes et des commentaires. On se rendra hélas compte à ce moment que la résolution des photos et parfois médiocre. En effet, pas de souci pour l’affichage sur mobile mais lors d’un affichage sur écran d’ordinateur cela s’avère plus délicat.

Une semaine après, de réels changements ?

Une semaine après son ouverture sur le web, de nombreux “Instagrameurs” redécouvrent leurs photos, on échange des albums sur Twitter, la vision d’ensemble se dessine et l’oeil de chacun peut mieux constater le talent de tel ou tel photographe. Pour ma part j’ai redécouvert ma galerie Instagram et j’ai découvert de nombreux artistes qui détournent Instagram comme le peintre japonais Ostatosh, les ambiances suédoises de Cimek, le dessinateur Dika ou encore l’univers typographique de Frank.

L’avenir ?

Peut-être qu’à l’instar de son cousin Pinterest, Instagram proposera des versions “privées” en ligne ? À l’heure actuelle, les profils privés sur l’application mobile apparaissent comme “vides” sur la version web. Le lien entre mobilité et interface ordinateur soulève souvent des questions de ce genre, la réponse est dans le camp des designers et des développeurs — sans oublier évidemment l’éthique qu’un tel service se doit d’avoir.

De même, il est tout à fait possible d’imaginer à l’avenir une version “blog” d’Instagram en pouvant, pourquoi pas, créer des “boards” comme sur Pinterest ou des articles comme sur Tumblr. La base du service reposant sur le partage de photos (avec ses filtres), le like et le commentaire — mais Facebook occupant la place du plus gros réseau social au monde — ça va être à Instagram (et donc désormais à Facebook), de tirer son épingle du jeu pour rester innovant et fédérer les amoureux de l’image que nous sommes.

En attendant, sur Instagram web ou Instagram mobile, on trouve de tout, des gansters aux enfants fortunés en passant par l’ouragan Sandy. La vie donc…

Relents tunisiens d’ACTA

jeudi 15 novembre 2012 à 16:55

Inscrire la propriété intellectuelle dans la Constitution tunisienne, en voilà une idée saugrenue et inquiétante qui mobilise le Parti Pirate local, T’Harrek et Fi9, deux groupes autonomes œuvrant pour renouveler la démocratie, et HackerScop, la coopérative de travailleurs montée par le hackerspace de Tunis. Ce samedi, ils organisaient une table ronde de sensibilisation avec des cinéastes et des vendeurs de DVD. Elle fait partie de leur contre-opération, baptisée “el fikr mouch milk”, “l’idée n’est pas une propriété”.

Actuellement, le pays est en transition. Suite au départ du dictateur Ben Ali en janvier 2011, une assemblée a été désignée pour rédiger une nouvelle Constitution, avec le 23 octobre dernier comme date butoir. Si l’objectif n’est pas complètement atteint, une partie a déjà été dévoilée. L’article 26 est clair :

La propriété intellectuelle et littéraire est garantie.

“On sentait que ça venait de l’extérieur”

Cet été, les Tunisiens ont vu surgir une “campagne nationale de sensibilisation sur la contrefaçon en Tunisie”, Bidoun taklid, littéralement “sans contrefaçon”. Mais ce n’est pas un plagiat de la chanson de Mylène Farmer. Empreinte de main rouge sang en guise de logo, fond noir et gris anthracite, musique du spot radio dramatisante (on s’est permis de l’embedder sans leur autorisation), la Tunisie a aussi peur que la France de Bruno Gicquel :

Azza Chaouch, membre de hackerspace.tn et étudiante en droit, se souvient :

On ne comprenait pas d’où ça venait, en Tunisie, la contrefaçon fait vivre plein de monde, veulent-ils plus de chômeurs ? Et ils ont mis les moyens : il distribuait des tracts à la gare, avec du beau papier, ils ont un site. On sentait que ça venait de l’extérieur.

De fait, ça vient en partie de l’extérieur. Lancée officiellement par le Centre des jeunes dirigeants  de Tunisie (CJDT), a reçu le soutien du bureau méditerranéen du Middle East Partnership Initiative. Le MEPI, qui n’a pas répondu à nos questions, tout comme le CJDT, est un outil du soft power américain financé par le Départment d’État américain. Logique, selon Slim Amamou, l’emblématique figure de la révolution tunisienne, membre du Parti Pirate :

La propriété intellectuelle est une politique d’État pour les États-Unis. Les ambassadeurs américains sont tenus de présenter un rapport chaque six mois sur l’avancement du pays dans lequel ils sont en termes de propriété intellectuelle.

Et de pointer vers un des câbles diplomatiques fuités par WikiLeaks sur le climat de l’investissement début 2010. Il souligne les efforts de la Tunisie pour rentrer dans le rang :

Bien que le concept et l’application de la protection  de la propriété intellectuelle en soient encore à leurs débuts, le gouvernement fait des efforts pour susciter une prise de conscience et a accru son effort de régulation dans ce domaine.

Car la Tunisie est un pays où la contrefaçon de biens matériels fleurit, ce qui lui vaut d’être sous la pression depuis plusieurs années de la part de l’OMC. Le pays est en effet membre de l’Organisation mondiale du commerce depuis 1995, organisme international où les États-Unis pèsent de tout leur poids. La législation a déjà évolué dans son sens avec une batterie de lois en 2001.

La Tunisie 2.0 est aux urnes

La Tunisie 2.0 est aux urnes

Le 23 octobre, la Tunisie a rendez-vous avec l'Histoire, pour l'élection de son Assemblée constituante. À Tunis, OWNI a ...

Et son soutien direct n’est pas nouveau. Le câble évoque “une initiative soutenue par le gouvernement américain, mise en œuvre par le ministère du Commerce, en lien avec le United States Patent and Trademark Office  (USPTO) [qui] fournit une formation aux fonctionnaires dans le champ du renforcement de la régulation de la propriété intellectuelle.” Et d’enchainer sur l’annonce d’une nouvelle législation dans le sens des États-Unis.

Faire peur

La chute de Ben Ali ne semble pas avoir diminué l’influence états-unienne dans le domaine. L’argumentaire rappelle celui d’ACTA, le traité anti-contrefaçon initié par les États-Unis et le Japon, négocié en secret, jugé liberticide et rejeté à ce titre par le Parlement européen cet été. De façon habile, la culture n’est pas pour le moment dans leur collimateur : “notre campagne s’intéresse seulement a la contrefaçon de marques mais pas encore à la contrefaçon des autres matières de la propriété intellectuelle.”

En revanche, il met en avant les dangers pour la santé et la sécurité des consommateurs, plus à même de toucher le quidam :

Pour le consommateur la contrefaçon présente de grands dangers notamment sur sa sante et sa sécurité en fonction des produits contrefaits qu’il consomme ces produits peuvent aller des médicaments contrefaits aux jouets et pièces de rechange automobiles aux produits cosmétiques, d’électroménagers, d’habillement ou alimentaire qui ne respectent aucune norme de qualité.

L’impact économique est aussi souligné : “La contrefaçon se traduit par une perte de chiffre d’affaire et de bénéfice et par conséquent elle se traduit par une baisse de la rentabilité et la perte de certains marchés”, etc.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

100 000 familles concernées

Par principe, le Parti Pirate est hostile à la notion de propriété intellectuelle. Slim martèle :

D’abord la propriété intellectuelle comme concept c’est une aberration. Ils veulent faire passer des gens qui copient pour des voleurs. La copie est un droit humain depuis le début de l’humanité. Point.

Quant à l’argument économique, encore faut-il connaître la nationalité des entreprises concernés. Pour les opposants au projet, cette inscription dans la Constitution ne ferait qu’aggraver l’économie déjà en berne :

Il est difficile de dénombrer le nombre exact des familles touchées par cette loi, mais nous savons qu’un minimum de 100 000 familles sont dépendantes de ses petits commerces qui vivent de la vente de DVD, ou de la vente des démodulateurs TV, ou encore des produits dérivés à bas prix venus de Chine reproduisant des technologies autrement trop coûteuses pour le marché tunisien.
Plus largement, les étudiants n’ont pas les moyens d’acheter des livres et apprennent grâce aux photocopies, et le public tunisien n’a pas les moyens de s’offrir les DVD originaux des grandes multinationales vendus à un prix exorbitant.

Pour échelle, le kebab vaut là-bas quatre fois moins cher qu’en France, alors acheter des titres sur iTunes… Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que le centre commercial Galerie 7 et ses boutiques fleurant bon la copie de DVD ait pignon sur rue.

Sondage éloquent sur le site de la campagne anti-contrefaçon

Sondage éloquent sur le site de la campagne anti-contrefaçon.

L’an II de l’hacktivisme tunisien

L’an II de l’hacktivisme tunisien

La communauté hacker tunisienne a initié de nombreux projets dans l'élan révolutionnaire de 2011. Mais derrière, les ...

 “Je ne m’habille plus, je ne regarde plus rien, ironise Azza. On gère notre quotidien grâce à la contrefaçon. Déjà aux États-Unis, ce n’est pas logique, alors ici… Comme dit Godard, ‘pour faire des films, il faut voir des films.” La citation ne déplairait pas à JLG, grand pourfendeur de la Hadopi.

Ses confrères tunisiens sont les premières cibles de cette contre-campagne, “parce que c’est le plus médiatique et parce que les cinéastes sont les plus virulents défenseurs de la propriété intellectuelle, justifie Slim Amamou. Nous avons commencé par faire du porte-à-porte chez les vendeurs de DVD. Nous leur avons fait signer une pétition contre la propriété intellectuelle”.

De la journée d’échange, il est sorti “une recommandation pour le secteur qui satisfait les cinéastes et évite la propriété intellectuelle”, se félicite l’activiste. Azza renchérit :

Il faut penser la Tunisie et pas imposer un modèle étranger.

“Introduire la notion de Propriété Intellectuelle dans la Constitution à pour unique but de faire disparaitre ce tissu économico-culturel, renchérit Slim, pour mettre en place un nouveau tissu sous le contrôle des multinationales.”

Durcissement ou pas, une chose est sûre : le site de Bidoun ne risque pas d’être pompé. Sauf à être fan de l’esthétique web des années 90.

Lex Google : faites entrer le médiateur !

jeudi 15 novembre 2012 à 16:33

Mise à jour, 16/11/2012, 17h40 : avec du retard, le communiqué officiel a été publié. Laconique, il confirme que la “médiation a été confiée à M. Marc SCHWARTZ, associé
au sein du Cabinet Mazars”
. Elle a pour objectif de “faciliter la conclusion, d’ici la fin du mois de décembre, d’un accord sur un partage équitable de la ressource générée par l’utilisation des contenus éditoriaux des sites de presse, qui sont indexés et mis en valeur par les moteurs de recherche.” Faute de quoi, “un mécanisme de rémunération équitable au bénéfice des éditeurs de presse” sera instauré par la voie législative.

A en croire la formulation donc, Google et l’IPG, l’association des éditeurs de presse à l’origine du débat, ne seraient pas les seuls invités autour de la table : “sites de presse” et “moteurs de recherche” dans leur globalité seraient ainsi concernés par l’accord en question.

Mise à jour, 16/11/2012, 13h15 : des sources gouvernementales confirment l’officialisation aux alentours de 15 heures. Le communiqué ne devrait pas comporter la lettre de mission, toujours en attente de la signature des ministres concernées. Elle devrait être finalisée en début de semaine prochaine. Sa publication, au même titre que celle dont avait fait l’objet la lettre de mission de Pierre Lescure, n’est pas exclue.

Mise à jour, 16/11/2012, 12h50 : Selon plusieurs sources proches du dossier, le communiqué de presse officialisant la nomination de Marc Schwartz au poste de médiateur dans le différend opposant Google à certains éditeurs de presse partirait dans l’après-midi. Il devrait être conjoint aux ministères de la Culture et de l’économie numérique, qui se disputaient jusqu’alors la responsabilité du dossier.

La ministre de la Culture Aurélie Filippetti aurait déjà confirmé son nom au détour du discours prononcé hier au Forum d’Avignon (voir à 38′52, le passage ne figure pas dans la version écrite du discours). Nous attendons encore la confirmation du gouvernement, contacté à plusieurs reprises par Owni.

Il était attendu. Pas comme le messie, mais pas loin : le médiateur chargé de trancher les bisbilles qui opposent depuis quelques semaines Google et certains éditeurs de presse a été désigné par le gouvernement. Et devrait recevoir très prochainement sa lettre de mission. Selon nos informations, c’est une histoire de jours : l’officialisation devrait survenir à la fin de la semaine ou en tout début de semaine prochaine.

Lex Google : état des lieux

Lex Google : état des lieux

Oh, les jolis sourires crispés ! Ce lundi 29 octobre, François Hollande, accompagné des ministres Aurélie Filippetti ...

Qui est alors l’heureux appelé ? Depuis hier, le nom de Marc Schwartz, ancien conseiller à la Cour des comptes et actuellement en poste au cabinet Mazars, semble se détacher.

Si les ministères se refusent pour le moment à confirmer l’information, Marc Schwartz semble bel et bien être l’élu. C’est un habitué de ce genre d’affaires : en 2008 déjà, il a conduit “à la demande du Gouvernement, les négociations tripartites entre l’Etat, La Poste et les éditeurs de presse” [PDF]. Le conflit ne portait pas à l’époque sur le web, mais sur les conditions de distribution de la presse.

Cette expérience n’en a pas moins joué dans le choix du personnage, ancien conseiller de Dominique Strauss-Kahn et connaisseur du monde des médias. En 2000, il intègre ainsi France Télévisions, “en tant que directeur financier puis directeur général”, indique sa biographie sur le site de Mazars. Cabinet où il officie aujourd’hui et où il garde également contact avec le monde médiatique, en sa qualité de “conseil au secteur public et aux médias.”

Contacté par Owni, Marc Schwartz fait savoir par ses collaborateurs qu’il ne souhaite pas s’exprimer pour le moment. Même fin de non recevoir du côté de Google ou de l’IPG, “l’association de la presse d’intérêt politique et générale” à l’origine du débat en France, dont nous attendons encore la réaction.

Il faut croire que l’apaisement reste le mot d’ordre. Du moins pour l’instant : une fois la lettre de mission publiée et les orientations gouvernementales précisées sur papier, les deux parties devraient à nouveau fourbir leurs armes pour peser dans la négociation. Pour rappel, certains éditeurs de presse, IPG en tête, veulent que Google paye pour faire figurer dans ses services (moteur de recherche, Google Actu) des liens menant aux articles des titres quand le géant américain lui, refuse de payer pour un contenu qu’il n’héberge pas.

Google se paie la presse

Google se paie la presse

C'est la guerre ! Face au projet de loi de certains éditeurs de presse qui souhaitent faire payer Google dès qu'il ...

Une impasse à laquelle le calendrier de discussion mis en place par le médiateur sous l’égide des ministères de l’économie numérique et de la Culture devra apporter une solution. Le temps presse : François Hollande souhaite que les négociations soient “conclusives d’ici la fin de l’année”. Faute de quoi “une loi pourrait intervenir sur cette question”. Reprenant l’idée de l’instauration d’un droit voisin pour la presse en ligne, loin de faire l’unanimité, y compris chez les éditeurs de presse.

Joint par téléphone, Maurice Botbol, le président du Spiil (Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne, qui comprend Mediapart, Rue89 ou Slate) réaffirme par exemple ses doutes sur la démarche menée par ses confrères de l’IPG. Il explique par ailleurs ne pas avoir été associé aux discussions menées jusqu’à présent mais n’exclue pas de contacter le médiateur une fois celui-ci nommé :

J’espère que l’ensemble des parties prenantes seront associées aux discussions. Il serait paradoxal que seule l’IPG y participe, car il est ici question de presse en ligne.


Illustration par Owni /-)

Revoilà le cyberterrorisme

mercredi 14 novembre 2012 à 18:06

Nathalie Kosciusko-Morizet en 2010 à Vilnius pour l'Internet Governance Forum (cc) V.Markovski

La loi contre la consultation des sites terroristes revient par la petite porte. Nathalie Kosciusko-Morizet (UMP) l’avait annoncé dans une tribune parue la semaine dernière dans Le Monde : elle propose de réintroduire ce délit par amendement.

En reprenant les dispositions suggérées par le précédent gouvernement : 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende en cas de consultation habituelle de sites terroristes, sans motif légitime (journalisme, recherche universitaire, travaux de police).

Flashback

Petit retour en arrière. L’assaut contre Mohamed Merah à peine terminé, Nicolas Sarkozy annonce depuis l’Elysée sa volonté de lutter contre “les sites Internet qui font l’apologie du terrorisme”. A deux mois de l’élection présidentielle, un projet de loi [PDF] est déposé au Sénat par le Garde des Sceaux d’alors, Michel Mercier.

La loi contre les web terroristes

La loi contre les web terroristes

Le projet de loi sanctionnant la simple lecture de sites Internet appelant au terrorisme devrait être présenté demain en ...

L’article 2 punit alors “de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende le fait de consulter de façon habituelle [un site internet] soit provoquant directement à des actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes”. La sanction ne s’applique pas “lorsque la consultation résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice.”

Avec le changement de gouvernement et de majorité, le projet de loi prend la poussière au Sénat. Jusqu’en septembre, lorsque Manuel Valls, ministre de l’Intérieur frais émoulu, annonce une nouvelle batterie de mesures. Le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme est déposé au Sénat. Mais sans le délit de consultation.

Lors de son examen, le sénateur Hyest (UMP) propose de le réintroduire par amendement. Il reprend mot pour mot l’article rédigé quelques mois plus tôt par la majorité précédente. Contacté par Owni, il le justifie par l’existence de mesures équivalentes pour lutter contre les sites pédophiles.

Le cyberterrorisme par la petite porte au Sénat

Le cyberterrorisme par la petite porte au Sénat

Nicolas Sarkozy rêvait d'une loi sanctionnant la consultation de sites terroristes. L'actuel gouvernement n'a pas suivi. ...

L’amendement est rejeté, même si les sénateurs s’accordent sur l’importance de lutter contre le cyberterrorisme. Lors des débats, Michel Mercier le regrette, mais reconnait “que la réflexion n’était pas mûre.”

Antiterrorisme sur Internet

Nathalie Kosciusko-Morizet ne l’entend pas ainsi et le fait savoir : “le terrorisme doit être aussi pourchassé sur Internet” tonne-t-elle dans sa tribune. Dont acte. Deux amendements ont été déposés [PDF].

Outre les sanctions (deux ans de prison et 30 000 euros d’amendement), le texte proposé par l’ancienne secrétaire d’État à l’économie numérique “[permettra] la cyber-infiltration dans les enquêtes relatives à ce nouveau délit.” Depuis l’adoption de la loi dite LOPPSI en 2011, les autorités ont déjà la possibilité de participer “sous un pseudonyme” aux échanges sur des sites soupçonnés de provoquer des actes terrorisme ou d’en faire l’apologie.

Nathalie Kosciusko-Morizet semble donc décidée à entretenir sa flamme numérique. Chargée du dossier de 2009 à 2010, l’ancienne ministre entend réaffirmer et imposer son expertise sur le sujet. Dans la continuité des positions de Nicolas Sarkozy.

Interrogé par Owni, son entourage précise que l’amendement est de son fait, et non du groupe UMP. Elle fait d’ailleurs cavalier seul aux côtés d’autres députés de la même famille politique, dont Éric Ciotti, qui ont déposé un amendement similaire. Pas suffisamment encadré selon Nathalie Kosciusko-Morizet. Pour éviter une “censure” du Conseil Constitutionnel, elle préconise le “principe de proportionnalité”. L’exclusion de certaines profession et des mesures les plus liberticides de l’antiterrorisme, comme elle l’a détaillé cet après-midi en ces termes devant la commission des lois de l’Assemblée nationale :

organiser des dérogations pour les professions qui ont besoin d’aller sur ces sites (journalistes, chercheurs, services de police) ; écarter de la consultation l’application de certaines mesures pour les faits relevant du terrorisme (garde à vue supérieure à 48h, prescription de 20 ans, perquisition de nuit).

Interrogé sur les motivations de Nathalie Kosciusko-Morizet, son entourage indique encore qu’elle détaillera “sa philosophie sur le sujet” après la présentation des amendements à Manuel Valls, toujours en cours à l’Assemblée Nationale.


Photo de Nathalie Kosciusko-Morizet par Veni Markovski [CC-by] éditée par Owni

Les 150 millions égarés de la République

mercredi 14 novembre 2012 à 13:48

Mise à jour, 16 novembre à 18h10
Le député Jean-Michel Couve, cité dans cet article, nous a recontacté pour donner suite à notre article. Lire sa réaction.

150 millions d’euros échappent chaque année à la publication du budget. Sous le titre de “programme 122″ (concours spécifiques et administration) et de multiples programmes ministériels, environ 60 millions sont ainsi attribués et dépensés par les sénateurs et 90 millions par les députés sans que soit publiée la liste des enveloppes ni le reçu des sommes engagées. Faute de disposer d’un document intégral, Owni s’est tourné vers l’annexe au projet de loi de Finances 2013 [pdf] portant sur “l’effort financier de l’État en faveur des associations”, un des deux postes de dépense autorisé pour la réserve parlementaire avec les investissements pour les collectivités locales. En “scrapant” ce document pour récupérer les données correspondant à l’objectif “réserve parlementaire” pour l’année 2011, nous avons pu reconstituer une liste partielle mais riche d’informations des récipiendaires de ce mystérieux programme. Nous vous la restituons ci-dessous et vous invitons à la consulter en document partagé sur Google Drive, liste classée par ordre alphabétique des associations ou par ordre décroissant de montant.

Parti associé de l’UMP

Notre cosœur de Mediapart Mathilde Mathieu avait déjà révélé la façon dont le sénateur Grosdidier avait subventionné son propre club de réflexion par l’injection de 60000€ de sa propre réserve parlementaire en 2011. Révélation qui avait valu le dépôt d’une plainte pour prise illégale d’intérêt. A la lecture de l’interminable document que nous avons reconstitué, les conflits d’intérêts émergent.

Au titre de la réserve parlementaire 2011 apparaît ainsi une enveloppe de 50 000 € au nom du “Mouvement initiative et liberté”. Selon la plaquette de ce club politique [pdf], sa création le 16 décembre 1981 répondait à un objectif :

Il s’agissait d’empêcher que les socialo-communistes, après s’être emparés du pouvoir politique, ne mettent définitivement la main sur les esprits et sur les structures de notre pays. Il n’existait pas d’organisation adaptée à ce genre d’action : c’est ce vide que le MIL a voulu combler.

Le site officiel répertorie parmi ses inspirateurs de Gaulle, le général de Boissieu et Jacques Foccart, figure notable de la Françafrique et du Service d’action civique, dissout l’année de la création du MIL. Contacté par Owni, le mouvement n’a pas souhaité répondre à nos questions sur la réserve parlementaire :

Vous croyez vraiment que je vais répondre à une question pareille ?
— C’est votre droit. Et pensez-vous que je puisse avoir des détails sur le statut du Mil vis-à-vis de l’UMP ?
— Il faut aller voir sur le site.

Moins réticent, le site nous apprend que le Mil est un “parti associé à l’UMP” qui, à ce titre, peut disposer de représentants dans son bureau politique. 50 000 € d’argent public ont donc été attribués, en 2011 et en toute discrétion, à un club politique disposant de ses entrées au sein du parti majoritaire à droite.

Sous le titre incomplet de “Association developp durable territoire” se dissimule un autre cas notable. Mais à 130 000 € celui-là. Suivant le numéro Insee, il s’agit en fait de l’association de développement durable du Territoire Maures, à la Garde-Freinet (depuis déménagée à Saint-Tropez) . Laquelle a pour président Jean-Michel Couve, député UMP de la 4è circonscription du Var, qui en fait même une longue mention accompagnée d’une vidéo sur son blog. L’association se fixe notamment pour objectif la rédaction d’un Schéma de développement durable du tourisme. Un sujet que le député Couve traite par ailleurs au sein de son parti, puisqu’il est secrétaire nationale en Charge de l’Hôtellerie-restauration et des Loisirs de l’UMP.

“Personne ne vous parlera”

Dans un autre genre, les 10 000 € accordés au Lion’s Club de Conflans-Montjoie prennent un relief particulier quand on note sur le site de l’association que son président, Claude Ney, est directeur de cabinet chez Arnaud Richard, député UMP des Yvelines (le risque d’homonymie étant écartée à la lecture d’un article de presse local signalant la visite du député à l’association auprès de son assistant).

En survolant les 1 243 lignes du fichier, la majorité des organisations tombent néanmoins dans les grandes catégories de la vie associative : caritatif (les Restos du cœur et la Croix-Rouge reçoivent les plus grosses enveloppes), aide à l’emploi, à la jeunesse et à la famille, associations mémorielles (fondation Charles-de-Gaulle en tête) et activités culturelles et sportives diverses. En regardant de plus près, certains surprendront également quelques organismes de gestion de l’enseignement catholique (OGEC) et associations de chasseurs.

La qualité du fichier laisse cependant à désirer. En colonne “Objet”, nous avons laissé les mentions du fichier PDF original, lesquelles nous apprennent que, dans certains cas, la réserve parlementaire ne représente qu’une partie des dons ministériels (dont le montant n’est pas toujours précisé). Le total des montants que nous avons pu réunir est donc certainement bien inférieur. Le plus gros problème étant qu’il ne s’élève qu’à un peu plus de 10 millions d’euros, soit un quinzième du montant de la réserve. 140 millions sont toujours intraçables.

Pour trouver les sous manquants, nous nous sommes tournés successivement vers l’Assemblée, le ministère de l’Économie et le ministère de l’Intérieur. La première réponse devint un refrain à nos requêtes :

Personne ne vous parlera.

Au fil des jours et mêmes des mois (les premiers contacts ayant été pris avant l’été), le doux parfum d’omerta semblait embaumer du Palais Bourbon à Bercy, passant même la Seine jusqu’à la place Beauvau. Contactés et relancés par nos soins, aucun des deux cabinets ni des services techniques associés n’ont donné suite à deux simples questions : existe-t-il une base compilant les montants de la réserve parlementaire ? Existe-t-il un interlocuteur pour nous parler du système ? Renvoyés à nos chers tableaux, nous nous sommes vus plusieurs fois répliquer que le sujet était “trop technique” et même, par un fonctionnaire du Trésor, que les auteurs des “Jaunes” ne répondaient “jamais aux journalistes, ne cherchez pas”.

Corruption

L’analyse de ce fichier et ses insuffisances imposent cependant quelques constats : les sommes utilisées de façon discrétionnaires le sont parfois dans des cadres qui recoupent clairement la définition du conflit d’intérêt. Quand ce n’est pas le cas (comme pour l’écrasante majorité des bénéficiaires), il s’agit de subventions pour des missions d’intérêt général (aide à l’emploi, l’enfance, l’éducation, l’insertion, etc.) normalement prises en charges par les collectivités ou l’État et donc de circuits détournés d’aide publique. Lesquels donnent parfois lieu, comme c’est le cas pour le député Grosdidier, à des détournements à des profits politiques.

Engagée dans la lutte anticorruption, l’association Anticor tente d’alerter sur le sujet depuis maintenant plusieurs années, comme le souligne son secrétaire général, Pierrick Prévert :

Sur la réserve parlementaire, notre action vise surtout à la mobilisation et à l’information. À l’occasion des dernières législatives, nous avons fait signer la charte Anticor des engagements des candidats à la députation qui engage ses signataires à, notamment, “mettre un terme à la pratique féodale de distribution opaque et inéquitable de la réserve parlementaire”.

Cette démarche reste cependant isolée et les propositions pour lutter contre cette pratique ou bien l’encadrer, ne serait-ce que par la publication de ses comptes, tombent régulièrement dans l’oubli ou le consensus mou. Annonçant son intention de réformer le système, promettant la publication des données, le nouveau président de l’Assemblée, Claude Bartolone, n’a en fait donné comme instruction aux parlementaires socialistes que de limiter l’enveloppe et de respecter les délais administratifs, ainsi que d’éviter les petites subventions. Du côté du rapport Jospin, les mesures “techniques” s’accumulent sur les élections mais les mots “réserve parlementaire” n’apparaissent pas plus que le fameux “programme 122″. Non sollicité par la commission, le secrétaire général d’Anticor regrette ces piétinements :

Chaque petit pas est encourageant, et ces propositions vont incontestablement dans le bon sens mais il est très difficile de s’enthousiasmer tant elles sont en demi-teinte. Le rapport Jospin a 10 ans de retard. Il préconise la fin du cumul avec un mandat exécutif local. Sur le même sujet, la position d’Anticor qui n’est pas franchement révolutionnaire est : interdiction du cumul dans le temps (pas plus de deux mandats successifs), interdiction du cumul avec des mandats exécutifs, mais aussi avec des fonctions exécutives.

Parmi les quelques députés à s’être intéressés au sujet, feu Patrick Roy avait avancé la proposition de proportionner cette aide aux revenus des circonscriptions [pdf] (proposition tombée dans l’oubli une fois dépassé le délai légal de constitution d’un groupe de travail sur le sujet).

Crowdsourcing

Dès lors, il n’y a que deux options face à la situation : soit la réserve parlementaire est illégale car relevant de pratiques que la République réprouve, auquel cas elle devrait être supprimée. Soit elle relève d’une “aide aux collectivités territoriales”, comme l’avançait la députée Marie-Françoise Pérol-Dumont, auquel cas, elle doit être publique dans ses attributions comme dans ses dépenses.

Dans l’attente d’une démarche d’Open Data sur les montants attribués et dépensés dans ce cadre, qui nous apparaît comme la seule démarche logique quant à l’usage des deniers de l’État, Owni s’associe à Anticor pour inviter les citoyens à nous aider dans notre exploration des données déjà collectées. Sur la base du fichier constitué à partir des annexes du projet de loi de Finances, nous mettons à disposition le formulaire ci-dessous afin que chacun puisse, anonymement, signaler des liens dont il aurait connaissance entre une association bénéficiaire et un parlementaire ainsi que la source sur laquelle il s’appuie.

Au fil des jours, nous vérifierons et interpellerons les élus concernés ainsi que les associations. Nous réaliserons à partir des données recueillies des outils permettant de visualiser l’usage de la réserve ainsi que des systèmes de recherche pour faciliter l’accès aux informations contenues dans ces documents. Si nous venions à nous procurer des données complémentaires, elles seraient mises à disposition du public sur Owni et sur le site d’Anticor.

Ce projet ouvert sera mis à jour au fil des contributions et des découvertes. À moins que la décision ne soit prise de publier l’intégralité des attributions et de l’usage de la réserve parlementaire depuis ses origines.


Vendredi 16 novembre à 17h40, Jean-Michel Couve a recontacté Owni pour donner suite à nos questions. Il a confirmé être toujours président de l’association et être à l’origine de la subvention de 130 000€ qui lui a été versée au titre de la réserve parlementaire en 2011 :

Cette association existe depuis 10 ans et, du fait de l’absence de subvention (en dehors des cotisations des mairies membres), nous avions le choix entre tout arrêter ou faire une demande. J’ai donc décidé de verser l’intégralité de ma réserve pour l’année 2011 à cette association qui concentre son action sur une partie spécifique du territoire du Var : le dossier a été instruit par le groupe puis par les services de l’Etat, le ministère de l’environnement en l’occurrence, et personne n’y a rien trouvé à redire.

Interrogé sur l’usage de la réserve parlementaire, le député de la 4è circonscription du Var a défendu le système au nom des “multiples associations qui, depuis des années, ne survivraient pas sans les moyens alloués par ce biais”.


Photo par wand3rl0st[CC-byncnd]