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Clic, clic, fric

jeudi 8 novembre 2012 à 11:39

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Bonne nouvelle pour les marketeux du web et autres adeptes du SoLoMo en quête du sacro-saint buzz sur le web ! Un nouveau service révolutionnaire vient de sortir, permettant de faire exploser les compteurs de vues des dernières vidéos publiées.

Intitulé Buyral, ce dispositif vend des clics, selon différentes formules : 250 000 à 25 000 000 vues pour des sommes allant de $11,99 à $59,99.

“Marre des vidéos virales qui ne deviennent pas virales ? Avec Buyral, vous aurez des millions de clics à chaque instant !” Le succès d’un Gangnam style, de Call me Maybe ou de Maru à portée de souris ! De quoi ouvrir aussi de nouvelles perspectives à la presse, en quête de modèle stable à l’heure du numérique.

Implantée partout dans le monde, la société multiplie les opportunités d’emploi : de la maternelle aux maisons de retraite, en passant par les laboratoires de recherche et développement, toutes les forces vives sont mobilisées pour cliquer sur le bouton play des vidéos virales de demain.

L’activité du “professional clicking” (“clic professionnel”) est en plein essor et n’est pas près de s’arrêter. “Partout il y a un bouton susceptible de récolter des clics. Ascenseur, distributeurs automatiques, jeux de marteau, explique enthousiaste un porte-parole de Buyral dans une vidéo édifiante :

Cliquer ici pour voir la vidéo.



Bon, vous vous en doutiez, Buyral est évidemment une grosse blague. Mais la vidéo reprend si habilement les codes de communication aujourd’hui répandus – plans léchés, ton mielleux et musique lyrico-cul-cul – qu’elle en devient redoutablement efficace. En guise d’exemple, comparez donc avec la chaise la plus célèbre du monde

Cerise sur le gâteau, viralité sur le plan com’, ce projet sort des cervelles d’une agence de pub, John St., basée au Canada, tout aussi compétente dans le bullshit bingo de la pub en ligne : “social”, “experiential”, “digital”… Qui d’autre pour rendre virale une vidéo proposant de rendre virales des vidéos tout en se moquant de ses propres pratiques ? Inception 2.0.

Contacté par Owni pour en savoir plus sur le projet et en particulier à qui celui-ci peut bien bénéficier, les équipes de Buyral nous ont indiqué être débordées, mais ne manqueront pas de nous répondre “dès qu’une équipe de clics sera disponible”.

Mais il y a fort à parier que cette vidéo ne profite qu’aux auteurs eux-mêmes. La boîte est une habituée de ce genre de coups, qui couplent auto-promo et auto-dérision. Pour mémoire (et pour le plaisir, aussi), le clip promotionnel Catvertising. Bah oui, vous pensiez pas que les vidéos de chats rigolos étaient tournées dans un salon tout de même ?

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Photo par Pivic (ccbyncnd)

Hackers, bâtisseurs depuis 1959

jeudi 8 novembre 2012 à 08:04
Mise à jour
Les 18 premières pages de l’ebook sont téléchargeables ici [PDF]


Hackers, bâtisseurs depuis 1959.” (105 pages, 4,49 euros) est disponible au format epub sur Immatériel, la FNAC (Kobo) et Amazon (Kindle), ainsi que sur OWNI Shop au format .PDF et epub, sans marqueur ni DRM.


Aujourd’hui, la porte d’entrée grand public dans l’univers des hackers, ce sont les reportages racoleurs au JT de 20 heures sur les “vilains-pirates-chinois-qui-en-veulent-à-votre-CB”. Hackers = vilain, et puis c’est tout. Ces mêmes JT seront aussi diffusés en replay sur Internet. En toute contradiction.

Car sans les hackers, il n’y aurait pas d’Internet. Il n’y aurait pas d’ordinateur non plus. Avant d’en arriver à nos PC connectés à 5 megabits/seconde, il y a un demi-siècle d’histoire du hacking. Stricto sensu, le hacking n’est rien d’autre que l’usage créatif des techniques, l’art de démonter les systèmes – hacker signifie mettre en pièces en anglais – pour mieux en reconstruire d’autres, en fonction de ses envies, ses besoins, son simple plaisir. Autrement dit, sous le clavier de Jude Milhon, “St. Jude”, patronne des hackers, morte en 2003 :

Le contournement intelligent des limites imposées, qu’elles le soient par votre gouvernement, vos propres capacités ou les lois de la physique.

Si la littérature sur le domaine n’est pas inexistante, elle est malheureusement trop souvent en anglais. Il faut lire Hackers: Heroes of the Computer Revolution, l’ouvrage référence de Steven Levy, pour se plonger avec délice dans les prémisses du hacking moderne, au Massachusetts Institute of Technology, le prestigieux MIT. Une histoire qui commence dans un club de modèle réduit de train, à une époque où les ordinateurs font passer le bahut normand de grand-maman pour une table de chevet.

Nous ne parlons pas que de technique dans notre eBook. La richesse extraordinaire de ces gens ingénieux est indissociable d’une éthique : libre accès aux machines et au code, liberté de l’information, et donc partage des connaissances, éloge du code comme véritable art, primauté de l’horizontalité contre la pyramide hiérarchique, des actes et non des grands discours incantatoires, ce qu’on appelle la do-ocracy.

Historiquement centrés sur le logiciel, le software, les hackers exercent maintenant aussi leur curiosité et leur inventivité sur les objets, le hardware. Les années 2000 sont celles d’un retour au physique, avec l’explosion des lieux de travail collaboratifs qui gravitent autour de cette sphère : hackerspaces, makerspaces, fab labs, etc. Récemment, on observe même un effet de mode autour du DIY, le do-it-yourself, “faites-le vous-même” : il suffit de bidouiller trois LED et une imprimante 3D pour se revendiquer hacker.

De la cave au Parlement européen

En soi, le hacking est donc éminemment politique, au sens noble du terme, qui renvoie étymologiquement à l’organisation de la cité : il est un pied de nez permanent aux systèmes fermés et oligarchiques, toutes tentatives de confiscation du savoir. Ces “sorcières” modernes, pour reprendre l’expression de l’e-zine underground Phrack, sont prises en chasse dès les années 70, et la chasse s’intensifie au fur et à mesure qu’un écosystème se développe autour de l’informatique et de l’Internet. En face, la communauté se mobilise, “l’hacktivisme” se structure, avec par exemple la création de l’Electronic Frontier Foundation (EFF) en 1990.

Politisés, certains hackers sont carrément entrés dans la danse politique “classique”, avec le Parti Pirate, né de la lutte du site de téléchargement The Pirate Bay. Somme, c’est un système qu’on peut bidouiller comme un autre, nous l’avait expliqué l’élu berlinois Pavel Mayer, proche du Chaos Computer Club, l’influent collectif allemand :

La machine politique du Parlement a des boutons, des leviers, que vous pouvez contrôler, vous devez comprendre ce qui se passe si vous les actionnez. On modifie la machine quand on sait exactement comment elle fonctionne.

En théorie, l’esprit du hacking s’applique à tout domaine. Mais le système politique, coriace, se laissera-t-il détourner ? À moins que ce ne soit lui qui hacke les hackers…


Voir le diaporama de l’ebook, ici. Photographies par Ophelia Noor.
Hackers, bâtisseurs depuis 1959.” (105 pages, 4,49 euros) est disponible au format “epub” sur Immatériel, la FNAC (Kobo) et Amazon (Kindle), ainsi que sur OWNI Shop au format .PDF et epub, sans marqueur ni DRM.

Regarde les US voter

mercredi 7 novembre 2012 à 18:46

Du lendemain de la défaite républicaine en 2008 à la veille du scrutin, The Guardian vous entraîne dans une graphic novel de quatre ans de vie politique américaine.

De tous les coins de France, nous avons suivi la campagne américaine comme une série télévisée. Depuis l’élection de Barack Obama jusqu’à sa confirmation pour un second mandat, cette histoire a connu des rebondissements dignes d’une fiction, étalés sur les quatre ans d’un feuilleton que The Guardian a retracé à l’encre. En scrollant sur la page, les contours des Tea Party se forment, précédent la meurtrière primaire républicaine et les derniers mois des quatre premières années de présidence Obama. Une graphic novel qui ne souffre que d’un suspense depuis éventé.

Budget

Derrière les groupes de soutien aux candidats, des hommes d'affaires dans l'attente de renvoies d'ascenseur... Les Super Pacs, étrangeté du financement des campagnes américaines décryptée par ProPublica.


Consécutive à la crise, cette campagne aura été marquée par la démesure de ses moyens, des milliards de dollars injectés en billets d’avion, convention et spot télés. Méconnud en France, les Super Pacs ont fait scandale aux États-Unis, ces structures de soutien aux candidats abondées à coup de millions par des cadres haut placés de sociétés américaines soulignant des liens préoccupants entre milieux d’affaire et pouvoir en place.

Fidèle à sa mission d’empêcheur de magouiller en rond, ProPublica a inspecté en long en large et en travers les données de la Commission fédérale aux élections publiées par The New York Times pour visualiser et analyser les donateurs et bénéficiaires de ces sommes folles. Dans le graphique ci-dessus, les dons sont représentés par des carrés dont la taille est proportionnelle au montant. Survolez l’un d’eux et vous retrouverez le donateur dans les autres Super Pacs, comme ici Bobby Jack Perry, déjà généreux donateur de Georges W. Bush.

La liste des donateurs détaillées avec leurs contributions peut également être consultée dans le dossier PacTrack sous une forme plus sommaire. Quant aux bénéficiaires, ProPublica les a également triés par montant et par payeur. Où l’on découvre que le principal sous traitants des Républicains fut la société de conseil en communication American Ramble Productions (18 millions de dollars jusqu’en mars 2012) et que le premier fournisseur des Démocrates fut AB Data (16 millions), spécialiste… en collecte de fonds !

Follow the money

Avec une navigation simple et riche et des données mêlées à des interviews vidéos en plan serré, le webdocu Moneyocracy donne un regard en profondeur et critique sur le système des Super Pacs.


Superbe hybride, fruit du travail au long court de deux journalistes français, Moneyocracy propose une approche plus vivante mais pas moins informée sur les Super Pacs. Avec une dose de serious game et de vrais extraits des pubs les plus improbables diffusées à travers les États-Unis, Gérald Hubolowicz et Jean-Nicholas Guillot (fondateurs de l’agence Chewbahat) embarquent les lecteurs dans un voyage au pays où la télévision fait et défait les votes à coup de millions de dollars.

Sur le front

Tous les médias ont parlé des “swing states” États bascules pouvant faire pencher d’un côté ou de l’autre le scrutin, sur lesquels les deux principaux candidats ont concentré leurs efforts. D’une carte en à-plat de couleurs, le site Matière Primaire fait surgir d’un survol de la souris sur la tête des candidats leurs principaux points de focales, cumulant les meetings du nominé et de son vice-président, en une véritable carte d’Etat major. S’y dessinent l’obsession de Romney pour la Floride (55 réunions publiques), la dispersion d’Obama et la compétition féroce pour le petit mais crucial État de l’Iowa.

En temps réel

Toute la journée durant, les votes des usagers de Facebook ayant décidé de partager leur choix avec leurs amis apparaissaient sur cette carte. Depuis sur une boucle des derniers bulletins adressés, l'application propose quelques statistiques sur les participants.


Durant la journée du 6 novembre, plus de neuf millions et demi d’Américains ont partagé sur Facebook leur choix via l’application Election Day Prompt, permettant à Facebook Stories de placer sur une carte chacun des bulletins glissés dans l’urne. En temps réel, n’importe qui pouvait voir exploser, ici et là, les bulles de la couleur du réseau social, depuis animées suivant le mouvement des derniers votants. Au pied de cette carte, des statistiques retracent le profil des participants : par sexe, par âge et par région. Une archive non exhaustive mais utile pour connaître cet échantillon du corps électoral qui partage numériquement sa vie citoyenne.

Vents contraires

Revirement démocrate dans le Sud-Est, poussée massive pro-Romney dans le centre... d'une cartographie dynamique, le New York Times brosse le mouvement dessiné par un vote plus serré qu'en 2008.


Pas vraiment serrée sur le plan des grands électeurs, la victoire de Barack Obama n’a pas été si large sur le plan des électeurs. Pour voir quels courants ont maintenu le candidat démocrate à la Maison blanche, The New York Times a dressé une carte de l’évolution des votes. A chaque point, un vecteur représentant l’évolution du vote, vers la gauche en bleu pour les démocrates et vers la droite en rouge pour les ralliés à Romney.

Un maëlstrom de vents contraires, qui trouve son noyau anti-Obama dans les grandes plaines, compensé par le revirement de la Floride et le soutien dans grands centres urbains de Californie et du Nord-Est. En accompagnement, quelques graphiques décryptent les soutiens clefs au président sortant : les femmes, les hispaniques (plus encore qu’en 2008) et les jeunes, qui ont fait basculer la Floride.

Bonus : nostalgie

L’équipe de Paule D’Atha vous le rappelle régulièrement : le datajournalisme ne date pas d’hier ! Entre les datavisualisation des bureaux de statistiques du XIXe siècle et les représentations naturelles de fractales, les exemples sont nombreux de la continuité d’un désir de représenter chiffres et notions abstraites de manières plus douces à l’œil que les ingrats tableaux Excel.

Dans la continuité de son traitement esthète des questions d’actualité, le magazine The Atlantic a plongé dans les archives de The New York Times pour livrer quelques cartographies anciennes des précédents scrutins présidentiels. Des blocs monochromes de 1896 aux cartes semées de chiffres des années 1970, qui précèdent de peu les analyses avec camembert du scrutin Clinton/Dole de 1996, la petite balade a le charme du papiers vieillis et un petit goût d’artisanat qui plaira aux éternels étudiants de cette nouvelle discipline journalistique que nous sommes.

Internet ça change la vie

mercredi 7 novembre 2012 à 17:08

Un des problèmes majeurs qu’on rencontre, quand on essaie de comprendre l’impact d’Internet dans nos sociétés, c’est de prendre le recul nécessaire : il est si difficile d’imaginer notre vie sans lui qu’on n’arrive pas à voir ce qu’il change. Il nous manque la possibilité de comparer notre monde à un monde sans réseau informatique global pour appréhender vraiment tout ce qu’il a changé et tout ce qu’il changera.

Il est plus facile – du coup – de tenter l’exercice de l’allégorie.

Il était une fois

Imaginons quelque chose de vraiment très improbable : les Mayas se sont plantés et la fin du monde n’est pas pour dans un mois.

Imaginons que, du coup, notre technologie continue d’évoluer et que d’ici une dizaine d’années un groupe de hackers invente dans son coin une imprimante 3D capable de reproduire à peu près n’importe quoi, au niveau moléculaire. Tant qu’à faire d’imaginer l’improbable, pourquoi pas ça ?

Son coût initial est très élevé, mais – dès sa conception – il tend vers zéro du simple fait de son existence : elle peut se reproduire elle-même à l’infini à partir de matériaux de base à très faible coût.

Au tout début, les fichiers sont rares. Le réplicateur ne sait reproduire que quelques rares objets : des yoyos, des chaussures de sport (sans les lacets) et des claviers d’ordinateur. Les informaticiens qui s’amusent avec les premiers modèles produisent des claviers de toutes sortes et des chaussures qui donnent l’heure. Et ils jouent au yoyo. Mais très vite sur Internet apparaissent des projets d’écriture de fichiers permettant la reproduction d’objets de plus en plus complexes et on voit bientôt arriver des stylos-plume, un succédané de viande, des batteries et des télécommandes de télé. Un type affirme pouvoir reproduire des chatons vivants. Personne ne le croit vraiment, mais le buzz “création de la vie” pousse le grand public à s’équiper.

Une nouvelle économie

Dix ans plus tard, le réplicateur est devenu un équipement standard présent chez tout-un-chacun. La qualité des objets produits n’est pas toujours au rendez-vous, mais leur coût est si bas que leur durée de vie importe peu et, quand un objet se casse, le réplicateur peut réutiliser ses matériaux pour en fabriquer un neuf en quelques minutes.

Quelques grandes entreprises vendent encore des fichiers chiffrés qui ne fonctionnent que sur les appareils de leur marque et permettent de créer des pièces de très bonne qualité, mais quelles que soient les protections mises en place, des copies apparaissent toujours en quelques mois sur les réseaux pirates.

Peu à peu, une nouvelle économie se met en place.

Plutôt que des produits finis, le public n’achète plus que les matériaux bruts les plus rares (ceux que leur machine ne peut extraire en assez grande quantité des déchets dont on la nourrit). Presque toutes les industries du passé souffrent et déclinent, en dehors de celles qui ont su assez tôt se reconvertir en apportant de réels services (livraison à domicile dans l’heure, nouveaux designs innovants, prix tenant compte de la quasi-disparition des coûts de production…).

Face au changement inéluctable, la réaction a tardé à se mettre en place. Les puissants, n’ayant eu aucun besoin d’utiliser la nouvelle technologie pour se payer ce qu’ils voulaient, n’ont pas compris très vite ses implications et ont du mal à accepter de voir partout autour d’eux des romanichels équipés de montres plus chères – théoriquement – que les leurs. Ils se rebellent face à ce manque de savoir-vivre évident. Ayant l’écoute des pouvoirs en place, ils demandent (et obtiennent) le vote d’une loi interdisant de se nourrir de reproduction numérique de caviar, mais Le peuple n’en tient pas compte et – après avoir beaucoup ri – continue de manger ce qu’il peut fabriquer gratuitement.

Un monde nouveau

Arrêtons là notre petite science-fiction, je vous laisse imaginer la suite de la longue liste des changements économiques et sociaux qu’une telle invention impliquerait.

Un nouveau monde est né. Un réplicateur ne serait – dans le monde analogique – rien de moins que ce qu’est Internet dans monde numérique : une machine à copier n’importe quoi pour un coût qui tend vers zéro.

Les nouvelles puissances de ce monde ne sont pas celles qui héritent du pouvoir de leur parents, mais celles qui ont assez d’imagination pour deviner les usages et les besoins de demain. Le savoir n’est plus réservé aux élites capables de se payer les écoles les plus chères : il est accessible à tous, partout, en permanence. Il suffit de savoir utiliser un moteur de recherche et d’avoir un peu de temps pour apprendre presque n’importe quoi (j’ai réparé moi-même ma chaudière la semaine dernière : un acte qui ne me serait même pas venu à l’esprit il y a 10 ans à peine).

Petit à petit, ce savoir va inonder nos sociétés, en commençant – quoi qu’on pense d’eux – par ceux qui sont nés dans ce nouveau monde et qui ne pourront jamais imaginer qu’on ait pu un jour vivre dans un monde sans Wikipedia. Tout va changer (oui lecteur de mon âge : beaucoup plus encore que ce que tu crois pouvoir imaginer). Le savoir est le moteur de notre espèce, et nous venons de passer directement de la rame au réacteur.

Déclencheur

“L’Internet arabe était perçu comme l’Internet de Ben Laden”

“L’Internet arabe était perçu comme l’Internet de Ben Laden”

Les révoltes arabes ont consacré le rôle des réseaux sociaux, admis par certains, contestés par d'autres. Dans son ...

On parle beaucoup, par exemple, de l’utilisation des réseaux sociaux dans les révolutions arabes. Mais, même si je n’ai aucune preuve de ce que j’avance, je prétends qu’Internet a eu non seulement un rôle d’accompagnateur de la colère des peuples, mais aussi et surtout de déclencheur de cette colère (je ne dis pas que ce fut le seul, bien sûr). Comment imaginer que toute une génération, qui a eu toute sa vie sous les yeux – via Internet – l’opulence des pays occidentaux, puisse accepter la misère comme seul horizon en arrivant à l’âge adulte ? Surtout si elle a – en plus – les moyens de s’organiser en dehors du contrôle du pouvoir…

Qu’ils continuent donc, nos chers politiciens formés dans les grandes écoles du passé, à n’écouter que leurs amis arc-boutés sur des modèles dépassés. Qu’ils continuent donc à vouloir limiter l’accès libre à la culture, à tenter de préserver des industries moribondes, à limiter les libertés pour garantir encore et toujours des revenus indécents aux élites qui ont leur oreille. Qu’ils continuent donc, et ils verront que les jeunes arabes ne sont pas les seuls à être révoltés par les méthodes des puissants pour conserver le pouvoir. Ni à savoir s’organiser.

Aujourd’hui déjà, tous les jours, on peut voir des géants industriels plier devant la colère de leurs clients, quand les réseaux sociaux s’emparent de tel ou tel scandale avéré. Nos gouvernants, pendant ce temps, préfèrent plier devant quelques centaines de “pigeons” riches et puissants.

Aujourd’hui déjà, chacun peut anticiper la fin des industries culturelles dont les modèles étaient basés sur l’économie de la rareté (de l’offre, des ondes hertziennes, de l’espace physique des rayons de la FNAC…). Nos gouvernants, pendant ce temps, préfèrent imaginer comment financer les jouets éditoriaux de leurs amis médiatiques, comment garantir les rentes de quelques-uns au prix des libertés de tous les autres.

Oublions-les.

On achève bien les dinosaures

On achève bien les dinosaures

Copinage, incompréhension, contre-sens. Nos représentants politiques sont les seuls à croire encore que le Web est ...

Qu’ils persistent encore et on verra alors – la crise aidant – que l’exemple tunisien peut très bien s’exporter aussi en Occident.

Oublions-les. Ils ne vivent pas dans le même monde que nous.

Qu’ils se retranchent donc derrière leurs miradors, qu’ils persistent à ne pas voir la façon dont le monde a été transformé par le seul fait qu’Internet existe, tout comme il sera transformé quand apparaîtra le réplicateur.

Ce n’est pas leur monde, c’est le nôtre. Nos Ben Ali locaux, enfermés dans leurs villas luxueuses et traversant le vrai monde dans leurs berlines aux vitres fumées, ne veulent pas, ne peuvent pas voir la réalité qui les entoure.

Tant pis pour eux. Ignorons-les. Il n’est même pas besoin de les renverser : il suffit de les laisser vivre entre eux dans leur loft videosurveillé pendant que nous inventerons l’avenir ailleurs. Qu’ils votent leurs HADOPI : nous créerons d’autres cultures que celles qu’ils protègent, et d’autres moyens de la partager. Qu’ils fassent disparaître les journaux de leurs amis des moteurs de recherche : nous irons nous informer dans les blogs, les timelines, les reportages diffusés par nos semblables. Qu’ils imposent donc des limites à Internet tel qu’il est : nous saurons le transformer en réseau full-mesh résolument incontrôlable.

Leurs analyses, leur savoir-faire ? On voit ce qu’ils valent quand le rapport tant attendu pour redresser notre économie ignore superbement tout ce qui touche aux nouvelles technologies et n’utilise sur 11 pages qu’une seule fois le mot “Internet”.

Ils ne servent à rien. Laissons-les manger leur caviar entre eux et passons à la suite de l’histoire sans eux.

Les nouvelles structures se mettent en place, tranquillement, en dehors des modèles anciens. AMAPs, SELs, logiciels et cultures libres, jardins partagés… l’économie solidaire est en plein développement, hors des sentiers battus du capitalisme centralisateur.

Et s’il manque encore, pour bien faire, un moyen d’assurer le gite et le couvert, pour tous en dehors de l’ancien monde, je ne peux qu’espérer, vite, la création du réplicateur.


Les plus anciens (j’ai failli écrire “vieux”) d’entre vous trouveront sans doute quelques similitudes entre ce billet et un précédent tout aussi vieux qu’eux (houlala, 13 ans déjà). C’est normal : considérez ceci comme une mise à jour.


Illustrations de l’internet par Ssoosay (CC)

“L’Internet arabe était perçu comme l’Internet de Ben Laden”

mercredi 7 novembre 2012 à 15:10

Tout et son contraire a été dit, écrit, décrié, affirmé, à propos du rôle des réseaux sociaux dans les révolutions arabes. Nettement moins sur l’Internet arabe avant la chute de Ben Ali, de Moubarak, de Kadhafi et des mouvements révolutionnaires qui contestent depuis l’hiver 2010 les régimes en place partout au Moyen-Orient.

Yves Gonzalez-Quijano revient sur ces deux moments dans son ouvrage Arabités Numériques, Le printemps du web arabe. Universitaire arabophone et traducteur, il scrute l’Internet arabe (plutôt l’arabisation d’Internet) et en rend compte, entre autres, sur son blog Culture et Politique Arabes dont les articles ont parfois été repris sur Owni.

Personne n’avait vu venir les soulèvements arabes. Personne n’avait vu venir les jeunes des pays arabes sur Internet non plus. Il y avait pourtant des signes. A la fin des années 1990, un groupe tunisien connu sous le nom de Takriz lance une liste de diffusion sur laquelle circulent des informations alternatives. L’un des membres, Zouhair Yahyaoui (Ettounsi sur les réseaux) devient en 2002 l’un des premiers cyberdissidents arrêté et emprisonné en Tunisie pour son activisme en ligne, presque dix ans avant les révoltes de 2011. Triste symbole.

Marchés de substitution

Dès le début des années 2000, alors que la bulle Internet venait d’éclater, “les pays émergents en général, et ceux du monde arabe en particulier, offr[ent] des marchés de substitution grâce auxquels les industries mondialisées de l’information de la communication pouv[ent] continuer leur croissance”, note Yves Gonzalez-Quijano. Apple, qui proposait des produits arabisés dix ans plus tôt mais a abandonné la voie, est doublé par Microsoft et le multilinguisme d’Internet Explorer.

A la technique s’ajoute une idéologie nationaliste arabe qui veut son industrie du logiciel. Les initiatives de développeurs arabes, notamment en Jordanie, se multiplient. Avec certains succès, comme Maktoub, lancé en 1998 et racheté dix ans plus tard par Yahoo!. Dernier élément : l’envie. “L’arrivée d’Internet dans le monde arabe a été un appel d’air” explique le chercheur à Owni :

Internet, c’est le culte du cargo. Le savoir est accessible immédiatement, il vous tombe presque dessus, tout en échappant au contrôle social de la famille ou de l’entourage. C’est un peu comme lire sous les draps…

Révolutions interconnectées

Au milieu des années 2000, l’Internet a changé, il est moins austère, plus tourné vers l’utilisateur (user friendly). C’est le temps du web 2.0, la grande époque des blogs. Viennent les réseaux sociaux, plus compatibles avec le son et l’image. Avant l’irruption de l’Internet arabe dans les agendas médiatique et politique, avaient eu lieu plusieurs révolutions, écrit Yves Gonzalez-Quijano :

On est en présence non pas d’une seule et unique révolution, celle des réseaux sociaux dont l’extension frappe tellement les esprits aujourd’hui, mais bien de trois ou quatre, successives et interconnectées.

Comment les observateurs du monde arabe ont-ils pu ignorer ce phénomène, l’émergence de cet Internet arabe, ou plutôt l’arabisation d’Internet ? Le chercheur évoque plusieurs pistes dans son livre. ”Un blocage culturel, un exotisme orientaliste en quelque sorte, empêchait d’associer Internet et arabe” résume-t-il. Les rapports sur l’utilisation d’Internet dans la région se concentrent sur la répression, sur la censure. Ce qui a “contribué à ancrer dans les esprits la conviction que l’Internet arabe avait encore devant lui un très très long chemin à parcourir avant de pouvoir exister de plein droit et de contribuer au changement”

L’Internet de Ben Laden

Le comportement des potentats locaux est pourtant plus ambivalent. “Moubarak était perçu comme un tyran rétrograde. Tyran il l’était, mais pas rétrograde ! corrige Yves Gonzalez-Quijano. Beaucoup ont refusé de le voir.” L’Égypte est le premier État arabe à nommer un ministère aux technologies de l’information et de la communication.

Dernier biais : quand elle ne se concentre pas sur la répression, les études des années 2000 échouent sur un autre biais, la (cyber) pieuvre islamiste. La peur panique de l’islamisme après 9/11 “a fortement contribué à faire en quelque sorte ‘disparaître des écrans’ l’activité numérique arabe, totalement recouverte par une nouvelle catégorie, celle du ‘web islamique’, sujet d’un bon nombre d’études” note le chercheur, qui résume à l’oral :

En somme, l’Internet arabe était perçu comme l’Internet de Ben Laden.

Une perception qui a volé en éclat avec les soulèvements de 2011. Le Printemps arabe “a au moins eu cette vertu d’ôter un peu de leur crédibilité aux commentaires inquiets sur les risques du cyberjihad” écrit Yvez Gonzalez-Quijano.


Photo d’Alazaat [CC-by]