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eBooks : livres augmentés ou livres diminués ?

jeudi 13 septembre 2012 à 12:08

La sphère intéressée par les mutations provoquées par le livre numérique est agitée depuis une semaine – à moitié par des rires convulsifs, à moitié par des grincements de dents – suite à la publication dans les colonnes du Monde d’une tribune intitulée “le livre face au piège de la marchandisation“.

Émanant d’un “groupe des 451“, auto-désigné ainsi en référence au roman Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, ce texte constitue une diatribe radicale contre le livre numérique, bien que ses rédacteurs essaient de s’en défendre maladroitement à présent.

On y trouve pourtant des phrases sans ambiguïté, comme celle-ci “[...] nous ne pouvons nous résoudre à réduire le livre et son contenu à un flux d’informations numériques et cliquables ad nauseam [...]“, ainsi que dans cette note, une surprenante métaphore entre le livre numérique et la tomate bio :

Un ami paysan nous racontait  : « Avant, il y avait la tomate. Puis, ils ont fabriqué la tomate de merde. Et au lieu d’appeler la tomate de merde “tomate de merde”, ils l’ont appelée “tomate”, tandis que la tomate, celle qui avait un goût de tomate et qui était cultivée en tant que telle, est devenue “tomate bio”. À partir de là, c’était foutu. » Aussi nous refusons d’emblée le terme de «  livre numérique  » :  un fichier de données informatiques téléchargées sur une tablette ne sera jamais un livre.

Depuis la semaine dernière, l’un des trois rédacteurs affichés – l’éditeur Maurice Nadeau – a tenu à prendre ses distances avec la lettre du texte, tout en maintenant sa signature. Les réactions ont également été nombreuses, émanant d’une communauté d’acteurs variés, qui voient dans le numérique une opportunité plutôt qu’une menace pour la créativité et la diffusion de la culture.

Néanmoins, je tenais également, non pas à répondre, mais à rebondir à partir de ce texte, sous un angle juridique,  complètement passé sous silence par l’appel des 451, mais qui revêt pourtant une importance cruciale lorsque l’on compare le livre papier et le livre numérique.

1984 supprimé des Kindle

Les évolutions de l’édition nous proposeront-elles des livres augmentés par les potentialités du numérique ou au contraire des livres diminués, comme le laissent entendre les rédacteurs de l’appel des 451 ? L’ebook constituera-t-il un “sur-livre” ou “un sous-livre” ? La question me paraît à vrai dire quasiment dénuée de sens. L’écriture connaîtra – et elle a déjà très largement connu – une transformation avec le numérique, qui franchira un nouveau stade lorsque le livre numérique aura pleinement décollé dans les usages, mais crier pour cela à la mort de la littérature, c’est accorder bien peu de confiance à la créativité.

Ce qui est beaucoup plus certain en revanche, c’est qu’alors que le numérique pourrait faire de nous des “super-lecteurs”, capables d’entretenir des rapports plus riches et plus complexes avec les textes, il semble qu’en l’état actuel des choses, il conduise bien trop souvent à nous transformer en “sous-lecteurs”, privés des droits essentiels que le livre papier nous garantissait par sa matérialité même.

Les rédacteurs de l’appel ont choisi leur nom en référence au roman Fahrenheit 451, dans lequel les livres sont brûlés par les pompiers-policiers d’un État dictatorial. Mais l’évènement qui a révélé au grand jour la précarité des droits du lecteur dans l’environnement numérique a concerné le roman 1984 de Georges Orwell, dont des centaines d’exemplaires ont été supprimés en 2009 pour des raison de droits par Amazon des Kindle d’acheteurs, qui avaient acquis ces fichiers de bonne foi. L’affaire avait fait grand bruit, car elle avait montré qu’avec le livre numérique, le lecteur n’était plus titulaire d’un véritable droit de propriété sur son support de lecture, mais d’une simple licence révocable.

Régression des droits

On a alors compris que ce n’était plus le feu qui menaçait le livre de destruction, mais une transformation radicale du statut juridique du lecteur. Avec les livres papier, la pleine propriété des supports était garantie après l’achat de l’ouvrage, par le jeu de l’épuisement du droit d’auteur en Europe ou de la doctrine de la première vente aux États-Unis. Cet épuisement des droits  permettait au lecteur d’exercer librement tout un ensemble de facultés, du moment qu’il ne faisait pas de copie de l’ouvrage : le transporter, l’annoter, le prêter, le donner, le revendre même, sans que le droit d’auteur n’ait rien à redire. Avec le livre numérique, les choses sont complètement différentes et même après l’achat du fichier, les prérogatives du lecteur demeurent étroitement conditionnés par le droit d’auteur.

La semaine dernière, la nouvelle avait circulé que l’acteur Bruce Willis entendait attaquer Apple en justice afin d’obtenir le droit de transmettre à ses enfants après sa mort les morceaux de musique achetés sur iTunes. Cette information s’est révélée être un canular, mais le problème sous-jacent est bien réel, aussi bien pour la musique sous forme numérique que les ebooks. Amazon (toujours Amazon !) n’accepte pas par exemple que les fichiers soient transmis d’un compte à un autre après le décès d’un de ses clients, comme l’indiquait cet article du Devoir en mai dernier :

Désolé, écrit la compagnie, le contenu du Kindle ne peut pas être revendu ou cédé ou transféré entre deux comptes. Les achats et les téléchargements de contenus numériques chez Amazon.com, incluant les documents acquis en passant par le Kindle Store, sont liés seulement au compte de l’usager qui a effectué l’achat. Par conséquent, ils ne sont pas transférables.

Cet appauvrissement des droits du lecteur n’est pas une fatalité, liée en soi à la forme du livre numérique. Il résulte des stratégies commerciales de certains acteurs comme Amazon ou Apple, développant des logiques d’intégration verticale, mettant à mal l’interopérabilité des contenus et empêchant la récupération des fichiers. Il est lié également au recours encore massif aux verrous numériques – les DRM - par les éditeurs de livres numériques, destinés à se prémunir du risque du piratage.

Comme le dit Olivier Ertzscheid dans un billet récent, le numérique offre aux industries culturelles la possibilité d’atteindre “l’acopie”, un état de la culture dans lequel le lecteur se verrait supprimé toute possibilité de manipulation des contenus :

L’acopie ce serait alors l’antonyme de la copie. Un terme désignant la mystification visant à abolir, au travers d’un transfert des opérations de stockage et d’hébergement liées à la dématérialisation d’un bien, la possibilité de la jouissance dudit bien et ce dans son caractère transmissible, en en abolissant toute possibilité d’utilisation ou de réutilisation réellement privative.

Il est certain que les projets de lecture en streaming, type MO3T d’Orange annoncé récemment, sont l’occasion de transformer le livre en un simple “droit de lecture“. On donnera alors satisfaction à bon nombre d’acteurs du monde de l’édition, mais une telle évolution constituera pour les lecteurs une régression  majeure de leurs droits.

Des mouvements de protestations se sont déjà élevés contre ces dérives, rassemblant auteurs, éditeurs, lecteurs et bibliothécaires, notamment autour d’une déclaration des droits de l’utilisateur de livres numériques, proposée aux États-Unis. On s’étonne que l’appel des 451, qui accuse pourtant directement des acteurs comme Amazon ou Apple de tous les maux, ne fasse aucune mention de ces problèmes liés à la diminution des droits des lecteurs. Ils auraient pourtant mis là le doigt sur un des problèmes majeurs liés au numérique, mais il faut croire que ces professionnels du livre se soucient paradoxalement assez peu des lecteurs !

Quels usages collectifs ?

Il y a par ailleurs une autre phrase dans l’appel des 451 qui soulève des questions importantes à propos du passage au numérique :

[...] ce que nous produisons, partageons et vendons est avant tout un objet social, politique et poétique. Même dans son aspect le plus humble, de divertissement ou de plaisir, nous tenons à ce qu’il reste entouré d’humains.

Le livre papier avait en effet la caractéristique d’être un “objet social”, dans le sens où il était susceptible de faire l’objet d’usages collectifs. C’est le cas notamment par le biais de la mise en disposition et du prêt en bibliothèques (la “lecture publique”) ou dans le cadre des activités pédagogiques ou de recherche.

L’appel des 451 souligne la dimension sociale du livre, mais il ne pointe à aucun moment là encore les risques de régression que le livre numérique peut occasionner en matière d’usages collectifs. Un exemple frappant permettra d’en prendre la mesure, qui montre à quel point une certaine conception commerciale du livre numérique peut contribuer à créer des “sous-livres”.

Plusieurs bibliothèques universitaires se plaignent des pratiques de l’éditeur Pearson, qui vend à ces établissements des manuels (comme celui-ci), constituant des livres “mutilés”, amputés d’une partie de leur contenu pour des raisons de stratégie commerciale. En effet, les versions numériques de ces manuels papier sont soit-disant “augmentés” par des compléments en ligne, offrant des fonctionnalités supplémentaires aux lecteurs, mais aussi… les sept derniers chapitres de l’ouvrage ! Or la bibliothèque qui achète ces livres en version papier ne peut pas donner accès à ses usagers aux derniers chapitres du livre. Contacté à ce sujet par un bibliothécaire, voici la réponse apportée par l’éditeur :

Il existe en effet une version numérique en ligne d’Introduction à la microbiologie de Tortora. C’est un format e-text qui regroupe tous les chapitres de l’ouvrage, et pas seulement les sept derniers. Vous pouvez y prendre des notes, les partager, consulter le glossaire…

Nous fournissons des codes d’accès démo d’1 mois aux enseignants ; nous pouvons également vous en fournir si vous souhaitez le tester. L’e-text est disponible à la vente aux institutions, sous la forme d’un code d’accès par individu. Plusieurs individus ne peuvent se connecter au même e-text avec le même code d’accès. C’est pourquoi ce format n’est pas spécialement développé pour les bibliothèques.

On voit bien qu’avec ce type de stratégie commerciale, ce sont des “sous-livres” qui sont produits, bien plus que des livres “augmentés”. Et certaines formes d’usages collectifs importants pour l’accès à la connaissance deviennent les victimes collatérales de ces pratiques, qui se focalisent sur le consommateur individuel.

Le pire, c’est qu’il n’est sans doute pas possible d’attaquer ces formules de vente sur le plan juridique. Il existe bien en France un droit de prêt des livres, mais celui-ci n’est pas applicable aux livres numériques. Pearson est donc libre de diffuser les versions numériques de ses manuels de la manière dont il l’entend, même si cela conduit les bibliothèques à proposer des manuels “diminués”.

Mais l’impact sur les usages collectifs peut être encore plus fort, notamment dans le cadre de la littérature générale. Les éditeurs ont en effet la possibilité de supprimer purement et simplement les bibliothèques de la carte numérique, en ne leur proposant tout simplement pas d’offres. Par peur que les prêts ne viennent “cannibaliser” leurs ventes d’ebooks, plusieurs gros éditeurs appliquent une sorte “d’embargo numérique” à l’encontre des bibliothèques. C’est très clairement ce qu’expliquait Arnaud Nourry, président d’Hachette lors du dernier salon du livre :

[Les bibliothèques] ont pour vocation d’offrir à des gens qui n’ont pas les moyens financiers, un accès subventionné par la collectivité, au livre. Nous sommes très attachés aux bibliothèques, qui sont des clients très importants pour nos éditeurs, particulièrement en littérature. Alors, il faut vous retourner la question : est-ce que les acheteurs d’iPad ont besoin qu’on les aide à se procurer des livres numériques gratuitement ? Je ne suis pas certain que cela corresponde à la mission des bibliothèques.

Par définition, me semble-t-il, les gens qui ont acheté un Kindle ou un iPad, ont un pouvoir d’achat, là où les gens qui sont les usagers de ces lieux en manquent. La position de Hachette aujourd’hui, c’est que l’on ne vend pas aux bibliothèques [...].

À partir de tels postulats, le livre numérique peut signifier la fin des bibliothèques ou d’une certaine conception de la bibliothèque comme point d’accès à la connaissance. Si les 451 défendent le livre comme “objet social”, ils devraient inclure dans leur réflexion les impacts du numérique sur les usages collectifs, mais force est de constater que les bibliothèques, l’enseignement ou la recherche sont complètement absents de leur texte.

Là encore pourtant, il n’y a absolument aucune fatalité à ce que le numérique en lui-même entraîne ce genre de dommages collatéraux. L’éditeur Publie.net par exemple a su mettre en place une formule de vente à destination des bibliothèques qui leur garantie à la fois des livres papier “entiers” et des fichiers numériques adaptés aux usages collectifs. Dans le cadre de son offre papier+ePub, il propose aux bibliothèques d’acquérir des livres papiers imprimés à la demande à partir de son catalogue de livres numériques, tout en leur permettant de récupérer à cette occasion un fichier ePub sans DRM, pouvant être chargé sur des tablettes ou des liseuses et prêtés aux usagers.

Le gouvernement pourrait également garantir les usages collectifs, en étendant par décret le droit de prêt prévu par la loi du 18 juin 2003 aux livres numériques ou en conditionnant les généreuses subventions versées aux éditeurs pour la numérisation de leurs fonds au développement d’une offre à destination des bibliothèques. Mais encore faudrait-il qu’il en ait le courage politique !

Support des libertés

On le voit : la condamnation sans appel des 451 proférée à l’encontre du livre numérique est absurde. Mais cela ne signifie pas que le passage en numérique des livres soit exempt de tout danger pour nos droits et libertés fondamentales. C’est pourtant cet aspect, sans doute le plus important au-delà des considérations corporatistes, que l’appel des 451 laisse complètement dans l’ombre.

Dans une conférence éblouissante prononcée dans le cadre de Re:Publica à Berlin en mai dernier, le juriste américain Eben Moglen expliquait que nous pourrions bien perdre avec le passage à la lecture numérique des éléments plus fondamentaux encore de nos libertés.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Il rappelle que l’apparition du livre imprimé à la Renaissance est indissociable de l’avènement de l’individu et de la défense de la liberté de pensée et de conscience. Le livre est intimement lié à la liberté, car il garantit à l’individu la confidentialité de sa lecture et l’ouverture d’un espace mental au sein laquelle il peut renforcer son autonomie et explorer les chemins de son émancipation.

Avec le passage aux médias numériques, Eben Moglen prévient que cette dimension protectrice est en train de s’effriter :

Nous étions des consommateurs de médias, mais maintenant, les médias nous consomment. Les objets que nous lisons nous lisent pendant que nous les lisons ; les choses que nous écoutons nous écoutent pendant que nous les écoutons ; les choses que nous regardons nous regardent pendant que nous les regardons.

Par ces mots, Eben Moglen fait référence à la capacité qu’ont les médias numériques à capter nos données personnelles lorsque nous les utilisons. Le livre numérique peut en effet faire complètement disparaître la confidentialité de la lecture, comme le démontrait cet article paru dans Courrier International en août 2012. Les grandes plateformes de vente de livres numériques, détenues par Amazon, Apple ou Google, savent exactement quels livres nous achetons, quand nous les lisons, quels passages nous surlignons, comment nous les partageons, etc. Ces données de lecture leur livrent des informations très précieuses sur les individus, en renversant l’ordre de la lecture, puisque que c’est bien alors le livre qui lit son lecteur !

Droits du lecteur, garantie de la propriété, permanence des usages collectifs, respect de la confidentialité : l’appel des 451, focalisé sur une défense à courte vue des intérêts corporatistes des acteurs de la “chaîne du livre” manque les enjeux fondamentaux liés au livre numérique.

Il est pourtant possible de transposer au livre numérique les mécanismes juridiques qui ont constitué les fondements des libertés du lecteur dans l’environnement papier. Philippe Aigrain, dans ses Éléments pour la réforme du droit d’auteur, propose que l’épuisement des droits soient appliqués aux œuvres sous forme numériques. Il estime même que cette réforme serait particulièrement importante dans le domaine du livre numérique :

La prévisibilité de cette guerre au partage m’a poussé depuis longtemps à estimer que c’est aussi et même particulièrement dans le domaine du livre numérique qu’il faut d’urgence reconnaître un droit au partage non-marchand entre individus associé à de nouvelles rémunérations et financements, faute de quoi le déploiement massif des DRM et la guerre au partage feront régresser tragiquement les droits des lecteurs - et parmi eux des auteurs - même par rapport aux possibilités du livre papier.

Pour avoir le privilège de s’appeler livre, le livre numérique devra continuer à constituer un moyen d’émancipation et non un instrument d’amoindrissement des libertés.


Images Flickr PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Mr. T in DC, PaternitéPas de modification Meredith Harris et PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales harold.lloyd

Le Liban grand maître censeur

mercredi 12 septembre 2012 à 13:43

En marge de la conférence Share Beirut, qui débutera le 5 octobre dans la capitale libanaise, plusieurs ONG lanceront un festival pour la liberté d’expression destiné à dénoncer la censure en vigueur au Liban. Et elles déposeront à cette occasion un projet de loi au Parlement, largement inspiré par le travail de l’avocat Nizar Saghieh, coauteur d’un rapport de 152 pages sur le fonctionnement de la censure au Liban.

Devant son plat de sushis et derrière ses lunettes noires, le musicien Zeid Hamdan, clé de voûte de la scène underground libanaise avec son groupe Zeid & the Wings, désigne “un cancer qui gangrène la société libanaise” quand on parle de censure. Avant d’ajouter plus provoc : “En m’enfermant à cause de la chanson General Suleimane, ils m’ont fait un super coup de pub ! Tous les artistes jouent à flirter avec la censure à présent” .

Après quelques heures passées en garde à vue en juillet 2011, pour une chanson qui s’achève sur un “General Suleimane go home!” très peu du goût de l’entourage du président libanais, Zeid estime qu’il y a eu plus de bruit que de mal : “En Syrie, j’aurais fini égorgé, en Iran, emprisonné. C’est parce qu’il y a de la liberté au Liban qu’on peut jouer avec la censure”. Voire.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Son optimisme contagieux n’a pas atteint la cinéaste Danielle Arbid qui, après la censure de son dernier film Beyrouth Hôtel -dont Zeid Hamdan a composé la bande originale- a jeté l’éponge : “Rien ne marche dans ce pays, sauf le bureau de censure”, a-t-elle lâché en même temps que sa décision de ne plus travailler au Liban, non sans avoir lancé un procès contre la Sûreté générale.

Censurer la liste

Le bureau de censure, au sein de la toute-puissante Sûreté générale libanaise, délivre les indispensables autorisations de diffusion. Il fait planer une menace d’interdiction sur toute nouvelle production des artistes et médias libanais, mais n’a jamais cru nécessaire de justifier ses décisions.

“Depuis sa mise en œuvre dans les années 1950, le travail du bureau de la censure est lié à un cadre légal est assez flou. La loi sur la censure dispose qu’est interdit tout ce qui porte atteinte à la sécurité nationale, ce qui incite à la discorde confessionnelle, qui met en danger la relation entre le Liban et des pays amis et frères… Ce sont des formulations très floues et élastiques dont, l’interprétation change au gré de l’humeur politique du moment”, rappelle Ayman Mhanna, directeur de l’organisation Samir Kassir Eyes (SKeyes), sorte de Reporter Sans Frontières pour le Liban, la Jordanie, la Syrie et la Palestine.

Le bureau n’a pas non plus daigné rendre publique la liste des œuvres censurées. “Ils nous ont toujours dit une chose et fait l’autre, alors peu à peu, on a compris qu’ils s’en étaient toujours tirés comme ça, de manière opaque”, explique Léa Baroudi, membre de l’ONG March qui milite pour la suppression de la censure au Liban. Sur la page facebook de l’organisation, le résumé d’une conversation avec le général responsable de la censure, tenue en mars 2012, vaut toutes les descriptions :

-Nous n’avons pas honte de censurer. Tout ce qui est censuré l’est pour une raison valide, c’est dans l’intérêt de tout le monde.

-Ok, donc on pourrait avoir une lise du matériel censuré par votre bureau ?

-Bien sûr, envoyez une lettre officielle, nous sommes là pour aider

-Désolé mais en réalité, on ne peut pas vous envoyer cette liste.

-Donc vous censurez la liste du matériel censuré… Juste quand on pensait que ça ne pouvait pas être pire !

La liste en question est disponible depuis le 3 septembre sur le site du Musée virtuel de la censure . “Mais ce n’est pas le bureau qui nous l’a donné. Nous avons fouillé les archives du quotidien An-Nahar, bénéficié de la participation citoyenne depuis le site internet, de l’aide de libraires…” explique Léa Baroudi, ajoutant que “les gens sont très surpris et indignés de voir que de telles œuvres aient pu être censurées. Personne n’avait idée de l’ampleur du phénomène !”

Tout commence avec Le Dictateur de Charlie Chaplin dans les années 1940, et se poursuit sans ordre apparent, en forme d’inventaire à la Prévert, des Monty Python à Rabbi Jacob en passant par Woody Allen, les Pink Floyd, The Da Vinci Code, un article de Libération jugé critique envers Hafez el-Assad, tous les films de Danielle Arbid ou encore une caricature de Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah, réalisée par Pierre Sadek. Après examen, Léa Baroudi décèle un ordre logique :

On retrouve quatre thèmes sujets à censure. La politique, notamment l’image des États amis, de la Syrie à l’Iran en passant par l’Arabie Saoudite. La religion, dont les institutions interfèrent sans aucune assise légale, Israël, et le sexe.

Les conséquences d’une telle censure sont clairs pour la jeune activiste : Beaucoup d’artistes s’en vont ou s’autocensurent pour éviter de passer par le bureau de censure. Le risque, c’est que la culture devienne de plus en plus conventionnelle…

Amnésie

Sous un portrait de Samir Kassir revisité en icône pop, faisant du journaliste assassiné le 2 juin 2005 un Che Guevara libanais, Ayman Mhanna met en évidence la perversion du système : “Avant même que ces films n’arrivent à la Sûreté générale, il y a une sorte de réflexe pavlovien des mecs de la censure qui en font un pré-visionnage : dès qu’ils sentent qu’une œuvre est lié de près ou de loin à la religion, ils l’envoient à l’autorité religieuse compétente, soit au centre catholique d’information, soit au Dar el-Fatwa sunnite, soit au grand conseil supérieur musulman chiite. Puis, ils acceptent sans rechigner les restrictions que ces derniers leurs réclament.”

Au Liban, religion et politique sont inextricablement liées au sein d’une architecture institutionnelle censée promouvoir l’équilibre entre 18 communautés confessionnelles coexistant dans un espace de 10 452 km² de superficie. Avec un Président de la République forcément chrétien, un Premier ministre toujours sunnite et un président du Parlement chiite. Une savante répartition qui a volé en éclats pendant les quinze années de guerre civile, 1975-1990, laissant 150 000 morts derrière elle autant d’horreurs provoqués par l’une ou l’autre des communautés. Ayman Mhanna soupçonne le bureau de censure de prendre la place du travail de mémoire :

La plupart des films qui ont été interdits depuis la fin de la guerre sont liés à la question de la mémoire de la guerre. Au lieu de faire un travail de mémoire pour une réconciliation pérenne, on a préféré l’amnésie et l’amnistie. On ne peut pas parler de la mémoire, ni écrire dessus et encore moins en faire des films, car on craint toujours que cela ne réveille de vieux démons. En réalité, cette censure enracine toutes les rancœurs à l’intérieur des gens ; ils ne peuvent pas faire leur deuil.

Robert Fisk, journaliste britannique qui a couvert et vécu la guerre civile libanaise, écrivait le 9 avril 2005 dans The Independent que “l’adage quoique tu fasses, ne mentionne pas la guerre” a acquis une place spéciale dans un pays dont les habitants s’entêtent à refuser de tirer des leçons de leur massacre fratricide.

Pendant au moins dix ans, mon propre livre sur la guerre civile a été interdit par les censeurs libanais” . Mais le reporter insiste aussi, quatre jours avant la commémoration des 40 ans du 13 avril 1975, date du début de la guerre civile, sur les raisons de l’amnésie libanaise : “Les Libanais s’apprêtent à se rappeler du plus terrible conflit de leurs vies, celui qui a tué 150 000 personnes et dont la commémoration la semaine prochaine était à l’origine entre les mains de l’ex-premier ministre Rafic Hariri, qui a été lui-même assassiné le 14 février”.

Malgré les accords de Taëf signant la fin de la guerre le 22 octobre 1989, les Libanais continuent de vivre un quotidien rythmé d’invasions territoriales israéliennes et syriennes et d’assassinats ciblés, de Samir Kassir à Rafic Hariri, laissant peu de place à un retour serein sur leur passé.

Trembler

“Interdit une fois, interdit toujours, la morale ne change pas avec le temps”, siffle une employée du bureau de censure, justifiant l’interdiction d’une chanson jugée sexuellement explicite, parce que “« trembler » ça a une connotation sexuelle, non ?”.

Fictive, cette réflexion est tirée du sixième épisode de la web-série Mamnou3 (Interdit en arabe), dirigée par Nadim Lahoud, lequel, “après avoir écouté mon discours sur l’opacité du bureau de la censure”, raconte Ayman, “est venu me proposer de faire quelque chose d’autre qu’une énième campagne de presse.

Comme il est britannique, inspiré par la série The Office, il a proposé de faire quelque chose sur internet, donc pas censuré, et comique. On a décidé de ne pas faire dans l’investigation : si le bureau de censure n’est pas transparent, libre à nous d’imaginer comment il fonctionne. En insistant sur le côté absurde et anachronique de la plupart de ces décisions”. Le résultat est diffusée sur YouTube au rythme d’un épisode par semaine depuis juin, chacun attirant près de 40 000 visiteurs.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Malgré la chape de plomb qui pèse encore sur la mémoire de la guerre et les autres tabous libanais, la nouvelle génération brandit de nouvelles armes : l’humour lol, l’accès gratuit, la diffusion en réseau et la liberté de ton octroyés par l’Internet. Entre Mamnou3 et le Musée de la censure, l’Internet libanais devient le réceptacle d’initiatives visant à rompre avec l’idée bien ancrée qu’il y a des choses plus urgentes à régler que l’accès à la culture.

“Tu entends souvent que, alors que beaucoup de gens meurent, s’occuper de la censure est secondaire. Pourtant, la liberté d’expression ne devrait pas passer avant ou après les autres problèmes politiques, mais en parallèle. C’est un droit fondamental !” , rappelle Léa Baroudi, dont l’ONG March participe à la rédaction d’un projet de loi qui vise à supprimer la censure a priori des œuvres audiovisuelles. Et de préciser :

Avec la fondation Maharat, l’avocat et activiste Nizar Saghieh et d’autres organisations, nous proposons dans ce projet de loi, qui sera porté devant le Parlement en octobre, de transformer le bureau de censure en un comité d’experts dont le rôle se limitera à définir des catégories d’âge pour avertir sur le contenu d’un film avant sa diffusion. Après, si un film pose problème, l’affaire doit passer en justice, selon des critères précis, comme dans tout pays qui se veut démocratique.

Share Beirut

Mais le bras de fer n’est pas terminé. Le 26 mai, à l’appel du Conseil spirituel druze, toutes les autorités religieuses du pays se sont réunies “pour créer un comité de vigilance de la vertu ou un truc avec un nom aussi libéral, où ils se sont mis d’accord pour se soutenir sur les demandes de censure des uns ou des autres”, raconte Ayman Mhanna. Depuis l’entrée en fonction du gouvernement de Najib Mikati en juin 2011, pas moins de quinze films ont été totalement ou partiellement censurés. Une recrudescence qui va au-delà du changement de majorité politique, selon le directeur de SKeyes :

Chaque fois que la situation politique au Liban est relativement stable, les décisions sur la censure sont rares. Dès qu’il y a des problèmes de sécurité régionale et des divisions profondes comme c’est le cas depuis juin dernier, la censure se fait plus forte.

L’enlisement de la guerre civile syrienne et les plaies qu’il réveille au Liban renforce les tabous d’une nation fragile. Alors certains fuient le pays pour ne pas étouffer, d’autres se tournent vers Internet et s’inspireront de la conférence Share Beirut organisée début octobre autour d’Internet et de la culture des hackers. Le bureau de la censure, lui, continue de scruter le moindre risque de subversion : “Trois minutes peuvent enflammer tout le pays”, s’inquiète le général de la série Mamnou3… devant un vidéo-clip de musique pop !


Photos via la vidéo General Suleiman, le musée de la censure.
Illustration de Une remixée par Ophelia Noor pour Owni à partir du Clip General Suleiman de Zeid Hamdan.

La formation fantôme de la vidéosurveillance

mardi 11 septembre 2012 à 17:57

D’ici la fin de l’année, les salariés de Pimkie ou des parking Vinci qui font de la vidéosurveillance devront effectuer une formation de 70 heures au Greta de Montpellier, unique centre qui dispense une formation sur ce domaine. Sinon, ils seront hors la loi. Telles sont les conclusions d’un article de blog paru ce lundi qui sème le doute sur les nouvelles obligations des opérateurs de vidéosurveillance.

La vidéosurveillance vidéoprotection est devenue par décret une spécialité de la sécurité privée en décembre dernier, en même temps que les “recherches privées”. Concernant la formation, la loi est claire, souligne notre blogueur :

Chaque activité du monde de la sécurité privée doit avoir “en face” une formation spécialisée, se rapportant à l’activité exercée [...]

Article 1
Les [...] salariés d’entreprises exerçant l’une des activités mentionnées à l’article 1er de la loi du 12 juillet 1983 susvisée justifient de leur aptitude professionnelle par la détention :

-soit d’une certification professionnelle, enregistrée au répertoire national des certifications professionnelles, se rapportant à l’activité exercée ; [...]

Article 9
Le candidat à l’emploi justifie de l’aptitude professionnelle correspondant à l’activité qu’il exercera.

Sécurité privée d’État

Sécurité privée d’État

Un nouveau conseil des sages des sociétés de sécurité privée, le Cnaps, est installé ce 9 janvier pour tenter de ...

Depuis mars, la loi 83-629 régissant la sécurité privée a été intégrée dans le code de la sécurité intérieure (CSI). Son article L613-13 introduit une nouveau disposition : les opérateurs privés de vidéosurveillance visionnant la voie publique ou des lieux ouverts au publics sont soumis au CSI. En clair, un agent travaillant dans un parking, un magasin, un PC autoroutier est concerné.

La situation se complique pour nos opérateurs nouvellement soumis à ces obligations car ils ont jusqu’au 31 décembre… 2012, comme le stipule un décret de 2009. Un délai d’autant plus court que le Greta de Montpellier est donc le seul sur le créneau.

Formation sine die

L’article a vite été repéré par l’œil sagace d’Alain Bauer, le président du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps), le nouvel organisme chargé d’encadrer le secteur. Alertée, la délégation interministérielle à la sécurité privée (DISP) a“rassur[é] les intéressés” le jour même par nos confrères de l’agence AEF sécurité globale. Son interprétation diffère totalement de celle du blogueur. Extrait du communiqué que la DISP nous a ensuite envoyé, qui se garde de fouiller les textes de loi :

Le décret n° 2011-1919 du 22/12/2011 a bien confirmé que la vidéoprotection était partie du champ des activités privées réglementées de sécurité.

Ceci a bien pour conséquence que tout opérateur chargé de visionner des images, qu’il appartienne à une société privée prestataire de services ou à un service interne, doit être détenteur avant le 31/12/2012 d’un numéro de carte professionnelle susceptible de lui être délivré au regard de ses antécédents et de la possession d’une attestation de formation en lien avec son activité.

Actuellement, toute formation, titre ou CQP (certification de qualification professionnelle, NDLR) concernant le champ de la surveillance par des moyens humains ou électroniques permet d’obtenir la carte professionnelle d’opérateur de vidéoprotection.

La DISP précise que les formations spécifiques sont reportées sine die :

En lien avec les professions concernées, et dans le cadre de la nécessaire professionnalisation de la formation aux métiers de la sécurité privée, l’Etat a prévu de procéder à la mise en place par arrêté, d’un cadre permettant à des opérateurs agissant dans le champ de la formation de proposer le moment venu des CQP ou titres spécialisés.

La formation des opérateurs de vidéosurveillance est pourtant un enjeu urgent, comme en témoignait encore récemment une étude du chercheur Tanguy Le Goff : regard discriminatoire ou distrait pour tuer le temps, perte de temps sur des aspects techniques. Et la petite histoire illustre la mise en ordre à marche forcée de la sécurité privée, à l’image de la mise en place accélérée du Conseil national des activités privées de sécurité cette année.

Car ce n’est pas la première fois que ce genre de tour de passe-passe est exécuté rappelle l’article :

- Un CQP APS sans agrément pendant au moins quatre mois [...] (avec arrêté rétroactif pour réparer tout ça)

- Tous les diplômes de niveau II Éducation nationale (psychologie, biologie et autres) sont “transitoirement” (et illégalement ? encore aujourd’hui) reconnus comme valant aptitude préalable à être dirigeant d’une société de sécurité privée, faute de n’avoir pas assez de formation reconnue au RNCP concernant cette aptitude.

En outre, et quand bien même une formation en vidéosurveillance ne serait pas requise, la marge reste étroite pour se mettre dans les règles, nous a expliqué le blogueur :

Entre ceux qui ne sont même pas au courant qu’ils vont être soumis au CSI, et le délai incompréhensible d’environ deux à trois mois de traitement du dossier par le Cnaps, sans compter le délai de formation (au moins quinze jours) et en supposant que des sessions de formation seront programmées à temps, je vois mal comment on pourrait respecter les délais.

Si dans les hypermarchés, qui ont souvent un service sécurité déclaré, les agents visualisant le système de vidéoprotection auront cette habilitation facilement, c’est surtout pour les nouveaux acteurs que cela va être compliqué, car avant, être devant des moniteurs de vidéoprotection ne nécessitait aucun agrément ou qualification.


Photo par minifig (CC-byncsa)

Les data en forme

mardi 11 septembre 2012 à 15:35

Aux écoliers qui viennent de réintégrer leurs classes, les professeurs présenteront sûrement Raymond Queneau comme un remarquable prosateur. Mais rares sont ceux à qui on exposera son surréaliste ouvrage de littérature expérimental Cent mille milliards de poèmes, lequel propose, par un jeu de languettes et de rimes, plus de vers que ne pourra jamais en lire l’humanité.

Sur un principe voisin, l’artiste allemande Tauba Aurebach (à qui on devait déjà un piano qui ne peut se jouer qu’à deux) a imprimé un “atlas colorimétrique”, déclinant sur 3 000 pages le spectre RGB (ou RVB pour les francophones). Basé sur les trois couleurs primaires de la lumière, ce nuancier constitue le système chromatique de référence pour les écrans et logiciels d’imagerie à travers le monde.

Le livre ne portant aucune autre indication que les couleurs elles-mêmes, pas même code offrant la possiblité d’appliquer la couleur observée sur Photoshop ou Gimp, il s’avère d’une parfaite inutilité pratique. Les amateurs éclairés pourront donc se contenter de la pure contemplation et feuilleter ce qui s’avère être une véritable oeuvre de data-art.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Inflation en temps réel sur Amazon

A l’issue d’une enquête mené par ses journalistes Julian Angwin et Dana Mattioli sur Amazon, le Wall Street Journal a découvert une autre sorte de nuancier : celui des prix pratiqués par les géants du eCommerce ! A l’image du “yield management”, par lequel les compagnies aériennes font fluctuer d’heure en heure le prix de ticket en fonction de la demande et de la disponibilité des places, des algorithmes ont été implémentés sur ce site et chez certains de ses concurrents pour modifier heure par heure (voire quart d’heure par quart d’heure) l’étiquette d’un produit. Objectif de la manoeuvre : optimiser son référencement dans les moteurs de recherche qui scannent le web à la recherche des meilleurs prix, et qui “même pour un penny de différence” ramènent en tête des classements telle ou telle plate-forme. Une méthode surprenante que le site web du quotidien économique a retranscrit en suivant le cours d’un micro onde General Electric sur trois sites différents (dont Amazon) durant la journée du 12 août dernier :

Durant cette seule journée, le four aura ainsi vu son prix passer de 745 dollars à l’aube à plus de 850 dollars dans la matinée avant d’amorcer un creux entre 9h30 et midi, heure à laquelle il est revenu à son pic et ainsi de suite… Le tout correspondant de façon assez fidèle aux heures de lever, repas et travail de l’Américain moyen. Au total, notre micro onde aura connu neuf changements de prix en 24 heures sur Amazon, contre deux seulement chez son concurrent Best Buy, avec une amplitude de prix de 100 dollars ! Interrogé par les journalistes, la société Mercent Corp qui commercialise ces solutions de montagnes russes tarifaires annonce modifier le prix de deux millions de produits chaque heure. De quoi renouveler le concept de shopping en temps réel.

Dans la poche des parlementaires anglais

En 2009, un scandale avait entaché toute la classe politique britannique et interrogé la France : plongeant dans le détail des notes de frais des parlementaires, nos confrères du quotidien le Daily Telegraph avaient relevé des abus manifestes dans ces dépenses discrétionnaires, depuis les travaux de jardinages jusqu’à la spéculation immobilière en par la nourriture pour chat. Tandis que les Français n’ont pas encore vu la première virgule d’un amendement donnant un droit de regard sur les 6 142 euros de “frais de mandat” versés chaque mois par l’Assemblée, le gouvernement britannique a appliqué aux budgets de fonction de ses députés sa politique d’Open Data. Publiées par l’Independant parliamentary standards authority (ou Ipsa), les émoluements des parlementaires sont désormais publics et consultables à loisir sur le site de l’institution. A ceux qui veulent aller droit au but, nos talentueux confrères du Guardian proposent une application qui permet de passeren revue, poste par poste, les dépenses de chacun des élus et de les comparer avec les moyennes des autres partis :

L’application, élaborée à l’aide d’utilitaires de la société de datavisualisation Tableau, propose même un “top” des élus les plus dépensiers, la première place revenant au travailliste Jim Murphy qui a dépensé pour l’année fiscale 2011-2012 près de 87 000 livres, soit 109 000 euros ! Et pour ceux qui s’indigne du manque de transparence de ces données en France, leur souris pourra s’attarder sur l’initiative de l’ONG Avaaz qui a lancé pour cette rentrée parlementaires une pétition en ligne exigeant que les citoyens puissent avoir un droit de regard les livres de compte du Palais Bourbon.

Highway to hell

Avant de retourner à d’autres comptabilités d’utilité publique, permettez-nous de vous offrir une petite pause musicale dans votre voiture de fonction. La filiale australienne de l’assureur Allianz a compilé une série de données d’intérêt divers sur les autoradios, de leur naissance (en 1930, par la bien nommée société Motorola) aux derniers “pods” pour smartphones embarqués :

Nous y apprenons notamment que des études ont prouvé que l’écoute de musique en voiture augmente de cinquante millisecondes le temps de réaction de l’automobiliste aux objets se présentant devant lui mais réduisait de cent millisecondes leur réactivité aux menaces provenant des côtés du véhicule. Le tempo semble également être en cause : le compositeur le plus “sécure” selon une étude cité par ce panneau serait Mozart tandis que Eminem serait le plus accidentogène. Au milieu du classement, Elton John constituerait le meilleur compromis. En tout cas du point de vue de la sécurité routière.

Tous les amis du Monde !

Lancé début août, le site Facebook Stories s’était donné pour vocation de relayer “les plus belles histoires” partagées sur le réseau et ceux qui l’utilisent. En plus des histoires particulières, le site d’est enrichi cette semaine d’une datavisualisation réalisée par une chercheuse issue de la prestigieuse université de Stanford portant sur les liens entre les usagers selon leur pays : la “carte interactive de l’amitié mondiale” :

Le diamètre de chaque cercle est calculée en fonction du nombre de “liens d’amitié” Facebook entre chacun des pays pondéré par le nombre total de ces liens à l’intérieur de chacun des pays.

Si beaucoup de faits sont largement connus (les liens entre les pays européens et leurs anciennes colonies ou bien entre les Etats membre du Commonwealth), d’autres amitiés à longue distance révèlent des aspects méconnus de l’histoire culturel, politique ou économique de certains Etats. Les Brésiliens y révèlent ainsi les forts liens qui les unis aux Japonais, du fait de l’immigration massive vers l’Archipel dans les années 1970, et les intérêts économiques du pays en République démocratique du Congo. Des détails sont présentés en pied de carte pour expliquer l’origine de certains liens (avec quelques bugs néanmoins, comme l’amitié franco-tunisienne expliquée par l’immigration des Zimbabwéens en Afrique du Sud).

La minute autopromo : P/Datha est sur C/Politique !

Owni et France 5 sont heureux de vous annoncer la naissance dimanche 9 septembre d’une nouvelle chronique : C/Data. Elle marche (grâce à Loguy), elle parle (grâce à Julien Goetz) et elle sait même compter (grâce à Paule d’Atha) pour dynamiser en image les débats menés par Caroline Roux dans l’émission C/Politique. Pour cette rentrée, peut-être sous l’influence familiale, elle a parlé de gaz de schiste, pour questionner le lieutenant d’Europe écologie-Les Verts Jean-Vincent Placé, en exposant les pour et les contre de l’exploitation de cette ressource :

Chaque semaine, elle viendra chahuter dans vos dimanches après-midi vers 17h40. Les papas sont un peu crevés mais très contents.

Bonus : quand la nature fait des fractales


Sans l’aide d’aucun logiciel connu, la nature produit spontanément aux quatre coins du globe des représentations mathématiques complexes que l’homme a mis des siècles à mettre en équation. Depuis deux ans, le professeur Paul Bourke de l’University of Western Australia chasse sur Google Earth les fractales partout où ils apparaissent, des plateaux secs d’Espagne aux deltas sinueux de Birmanie et jusqu’au fin fond du Groenland, où la verdure se complexifie mathématiquement.

Le projet Google Earth fractals est libre de contribution et accompagne chaque image d’un fichier .KMZ (compression du format .KML, format de localisation de Google Earth et Google Maps) pour aller admirer, dans leur milieu d’origine, les gribouillis matheux de mère Nature. Et à ceux qui veulent se balader dans l’univers des représentations fractales, depuis Second Life jusqu’au Grand Canyon, le site perso de Paul Bourke offre une jolie galerie de liens.

L’argent caché d’Ennahdha

lundi 10 septembre 2012 à 17:26

Le rapport de la Cour des comptes tunisienne sur les élections à l’Assemblée constituante renforce les soupçons quant à l’existence de financements occultes au profit du parti Ennahdha, sorti vainqueur de ce scrutin. Sur les 217 sièges à pourvoir, le mouvement islamiste en avait remporté 89 il y a près d’un an, le 24 octobre 2011.

Or, dans ce document de 168 pages, diffusé le 8 août dernier en langue arabe, les magistrats tunisiens livrent une analyse très critique des opérations financières qui ont pu mener à cette victoire.

Durant plusieurs mois, ils ont passé au crible les bilans comptables – quand ils les ont reçu – des 1 624 listes de candidats qui se sont présentées à travers tout le pays. D’abord dans le but de vérifier l’utilisation des 8,3 millions de dinars tunisiens (environ 4 millions d’euros) de financement public débloqués pour les différents partis, pour un pays comptant 7 millions d’électeurs.

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Selon les éléments transmis par Ennahdha à la Cour, le parti aurait dépensé 400 000 dinars tunisiens (DT) pour ces élections, dont 171 000 DT au titre du financement public. Un montant qui ne semble pas convaincre plusieurs membres de la Cour, au regard du coût moyen de fonctionnement d’une liste. Tandis que 69 000 DT engagés par Ennahdha dans ces élections ont été justifiés par des factures non conformes.

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En outre, onze listes Ennahdha en lice dans la trentaine de circonscriptions n’ont pas enregistré de dépenses liées à plusieurs manifestations publiques qui ont bel et bien été tenues. De même, huit listes Ennahdha ne présentent aucune dépense de transports, et dix-sept listes Ennahdha ne font figurer aucune dépense au titre de la communication électorale – laissant donc supposer que ces frais étaient supportés par d’autres structures.

Dans la même veine, la Cour note que les opérations au débit du compte bancaire d’Ennahdha ne comprenaient pas toutes les dépenses réalisées par le parti durant cette campagne. Autant de lacunes et d’incertitudes qui relancent les soupçons d’un financement en provenance d’hommes d’affaires et d’organisations islamistes basées dans le Golfe.

Au mois d’avril dernier, des Anonymous avaient révélé des milliers de mails des dirigeants d’Ennahdha, dont certains mettaient en évidence de curieuses discussions financières. À l’image de Kamel Ben Amara, élu d’Ennahdha, ancien membre de la Commission à l’énergie, qui semble disposer d’un compte ouvert dans une banque islamique du Qatar. Sur ces sujets cependant, les enquêteurs de la Cour se sont heurtés aux reliquats du système Ben Ali, qui ne fut pas vraiment conçu pour faciliter la transparence dans les choses de l’argent. Ils remarquent ainsi :

Les investigations sur le financement en provenance de l’étranger se caractérisaient par la longueur des procédures et la difficulté de suivre ces opérations puisque la douane se réfère au numéro de passeport pour suivre le bénéficiaire d’un mouvement financier en provenance de l’étranger, mais les banques utilisent le numéro de la carte d’identité nationale pour l’ouverture des comptes, empêchant ainsi un suivi automatique de telles opérations.
(Page 34)

Les Anonymous dévoilent Ennahdha

Les Anonymous dévoilent Ennahdha

En deux semaines, des Anonymous, avec lesquels OWNI s'est entretenu, ont installé sur des serveurs plus de 3 000 ...

L’hypothèse de financements étrangers venus remplir les caisses d’Ennahdha sort renforcée après cet examen par la Cour des comptes. Dans ce contexte, le 15 août dernier, l’Association tunisienne pour la transparence financière publiait un communiqué accusateur. Faisant en particulier référence à deux importants contrats confiés à des intérêts qataris ; l’exploitation de l’usine de phosphate de Sra-Ouertane, et la concession du marché de la raffinerie Skhira – confiée à Qatar Petroleum.

Ennahdha a répondu à ces diverses accusations lors de son dernier congrès. En promettant que ses ressources financières sont d’origine nationale. De manière plus détaillée, le parti a annoncé que durant la période de mars 2011 à juillet 2012, la totalité de ses ressources s’est élevée à 3,4 millions DT, pour 3,3 millions DT de dépenses.

Les autres formations politiques tunisiennes, dans leur apprentissage de la transparence, ne sont pas exemptes de reproches. Ainsi, Takatol, le parti du président de l’Assemblée constituante Mustapha Ben Jaâfar a effectué des versements en liquide de 21 000 DT ce qui est interdit par la loi. Takatol a aussi dépensé 55 000 DT sous forme de dons et de cadeaux soit 11% de la totalité de ses dépenses alors que la loi n’autorise que 5% (page 50 du rapport).

Dans la phase de transition démocratique qu’il a connu, le législateur n’a pas encore fixé de sanctions en cas de fraude ou d’irrégularité dans le financement d’une campagne électorale. En cas d’absence de dossier comptable, la sanction maximale pour un parti présent dans toutes les circonscriptions n’est que 5 000 DT.


Photo d’un graff de Banksy par ESSG (CC-byncsa) remixé par Ophelia Noor pour Owni ~~~~=:)